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Génération M: Trilogie Toucan
Génération M: Trilogie Toucan
Génération M: Trilogie Toucan
Ebook424 pages5 hours

Génération M: Trilogie Toucan

Rating: 4.5 out of 5 stars

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About this ebook

Mettant en place froidement leur vision d’un futur utopique, les scientifiques du CDC laissent une infection mortelle se transformer en épidémie hors des colonies. Abby, dévorée par la nouvelle maladie, s'embarque dans une course contre la montre pour trouver son frère et sa sœur, et sauver des millions de vies.

LanguageFrançais
PublisherScott Cramer
Release dateMay 19, 2021
ISBN9781667401157
Génération M: Trilogie Toucan

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Reviews for Génération M

Rating: 4.714285714285714 out of 5 stars
4.5/5

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  • Rating: 5 out of 5 stars
    5/5
    The long awaited last of this trilogy .. and worth the wait.. though I did have to re-read the first 2 before really getting into this one. As I said in my earlier reviews it is so nice to find a trilogy that gets better and better - so many of them really let the reader down with subsequent publications.

    The Toucan Trilogy really delivers - a very different dystopian world and this final ending was rather unexpected (which I love :) ).
  • Rating: 5 out of 5 stars
    5/5
    The Toucan trilogy is a wonderful series. This is book three in the trilogy and picks up where book two left off.Wow! What a great ending to a great story. This book is well written, has a great story line with some good twists and turns that were not predictable, great characters and a great ending. I am a slow reader and I read this in one night. That's how awesome this book is!If you enjoy a good story of family, strength, determination and grit in a near future world scenario then pick up this series. I'd recommend for most ages.I received this book via Goodreads giveaway.

Book preview

Génération M - Scott Cramer

À l’équipe Toucan : Otto, Perrin et Laura

PREMIER JOUR

COLONIE ATLANTA – CAMPUS EMORY

« Je suis le germe d’une civilisation nouvelle. » L’homme avait une voix bourrue, mais amicale.

Lisette fronçait le nez de frustration en ajustant soigneusement les écouteurs. Ils étaient trop grands et glissait continuellement sous ses oreilles.

« Je suis le germe d’une civilisation nouvelle, répéta-t-elle d’un ton grave.

— La science nous montre la voie », déclara monsieur bourru-mais-amical.

Elle étendit les bras et les jambes et pointa ses orteils vers le haut pour former une petite tente sous la couverture.

« La science nous montre la voie. Nous sommes les germes d’une civilisation nouvelle. » Les voix qui passaient par les écouteurs changeaient souvent. Maintenant, la femme avait le nez bouché.

Lisette se pinça le nez. « Nous sommes les germes d’une civilisation nouvelle. »

Dans la pénombre, elle pouvait voir les autres filles assises dans leur lit, récitant les phrases de l’exercice de motivation matinal. L’unité 2A était composée d’une longue pièce, les lits alignés contre les murs. Comme elle, la plupart des filles avaient cinq ans. Lisette était heureuse de voir que les voyants de tous les émomètres étaient au vert. Cela signifiait que tout le monde était heureux. Si tous les voyants EM restaient verts pendant un exercice de motivation, elles gagneraient quinze minutes de récréation supplémentaires.

L’émomètre tenait confortablement sur son index, et Lisette le poussa encore plus, s’assurant qu’il était bien ajusté. Chandra, sa scientifique préférée, lui avait expliqué comment il fonctionnait.

« L’EM mesure l’humidité et le pouls sur ta peau. Un cœur qui s’emballe indique que tu as peur ou que tu es anxieuse. Une peau moite signifie que tu es triste. Ce sont les moments où la lumière devient jaune ou rouge. Chaque émomètre envoie un signal à la salle de contrôle centrale. Si ta lumière change de couleur, un scientifique stoppera l’enregistrement et viendra te parler directement. Le signal est également envoyé à la station de surveillance, ce qui me permet de savoir comment chacun se sent dans l’unité. »

Chandra était de service à la station de surveillance juste à ce moment.

Bien des scientifiques de la colonie demandait qu’on les appelle « Docteur », mais Chandra était un peu différente. Lors de leur première rencontre, elle s’était présentée sous le nom de docteur Ramanathan et avait ajouté : « Tu peux m’appeler par mon prénom, Chandra, ou même Mère ».

La maman de Lisette était morte durant la nuit de la lune pourpre, alors elle avait décidé de l’appeler Chandra.

« Le futur est radieux »

Lisette bâilla. « Le futur est radieux »

Elle fit un petit signe de la main à l’une de ses meilleures amies, Zoé, qui était assise dans le lit voisin. Les cheveux bruns de Zoé étaient longs et soyeux, et elle pouvait courir comme le vent. Zoé pouvait distancer toutes les filles de l’unité et même les garçons plus âgés de l’unité 2B.

Lisette n’arrêtait pas d’agiter la lumière EM parce qu’elle lui rappelait l’île de Castine. Abby et Jordan lui permettaient de rester debout après l’heure du coucher pour qu’ils puissent sortir tous ensemble regarder les lucioles clignoter. La maison lui manquait.

« Les scientifiques prennent soin de nous », entonna une femme.

Lisette releva le menton et gazouilla : « Les scientifiques prennent soin de nous. »

Juste à ce moment, une boule de papier atterrit au pied de son lit. Le « jeu du canard » avait commencé. Le perdant était celle qui tenait le dessin froissé du canard à la fin de l’exercice de motivation.

Lisette jeta un coup d’œil à gauche, devinant qu’il venait de cette direction. Elle vit Émilie essayer de dissimuler un sourire et sut immédiatement qui l’avait jeté. Émilie gloussait tout le temps. S’assurant que Chandra ne regardait pas, Lisette lança le canard à Chloé, la plus grande fille de l’unité. Chloé le renvoya à Lydie, la plus petite des filles, et Lydia le jeta à Molly. Molly, qui était parfois méchante, le renvoya à Émilie.

« J’appartiens à la génération M », déclara la femme d’une voix fière.

M venait de Mendel. Gregor Mendel avait étudié la génétique il y avait plus de cent ans. C’est ce que le docteur Perkins, le scientifique responsable des colonies, avait expliqué à la télévision. « Le travail de Mendel nous inspire. Notre capacité à gérer efficacement le pool génétique nous aidera à optimiser la société dans les années à venir. »

Le docteur Perkins aimait utiliser de grands mots, et Lisette le comprenait rarement.

« J’appartiens à la génération M, répéta-t-elle fièrement.

— L’épidémie a tué mon frère et ma sœur », énonça la femme.

La gorge de Lisette se serra. Des images de sa sœur et de son frère lui vinrent à l’esprit : Courir et sauter dans les bras tendus d’Abby ; Jordan la soulevant sur ses épaules, puis sautant dans l’eau glacée de l’océan, tous les deux hurlant de rire.

Une nouvelle femme se mit à parler. « Neuf quatre quatre... » Le numéro d’identification de Lisette. « ... répondez s’il vous plaît. » Son ton était froid et sévère.

Lisette laissa ses muscles se relâcher, essayant de ralentir son rythme cardiaque.

Elle fixa les yeux sur la lumière de son émomètre et marmonna : « L’épidémie a tué... »

Abby et Jordan sont vivants, se dit Lisette.

Elle sursauta de peur en s’apercevant que son voyant EM était jaune.

« Neuf quatre quatre, faites attention ! »

Lisette passa une manche de pyjama sur son front humide, espérant que la lumière redeviendrait verte. Elle enfouit sa main sous les couvertures, mais se souvint que son émomètre transmettait un signal à la salle de contrôle et au poste de surveillance. Chandra la regarda avec une expression inquiète.

« Abby et Jordan sont morts », claqua la femme.

Lisette jeta un œil sous les couvertures et son estomac se serra. La lumière était maintenant rouge.

« Abby et Jordan sont... » Elle s’arrêta avant de répéter un mensonge.

Ou bien était-ce vrai ? Son corps était déchiré par des lames de terreur. Lisette ne savait pas où se trouvaient sa sœur et son frère. Il aurait pu leur arriver quelque chose de terrible.

Le canard atterrit sur son lit juste au moment où Chandra se levait de son siège. Lisette saisit le papier froissé et le serra dans son poing.

D’un air compatissant, Chandra retira les écouteurs de Lisette et déclipsa son EM.

« Viens avec moi », dit-elle en lui tendant la main.

Lisette prit la main de Chandra. Ensemble, ils se dirigèrent vers la porte. Lisette jeta le canard froissé derrière son dos, sur le lit de Molly.

Lisette eut un frisson en passant devant la station de surveillance. Toutes les lignes de suivi des émomètres étaient vertes, sauf une : la sienne. Elle se dit que les autres enfants de la génération M étaient à Colonie Atlanta depuis si longtemps qu’ils ne se souciaient plus de leurs frères et sœurs aînés.

Le docteur Ingard, que les filles appelaient « Tatie », entra dans l’unité et prit place à la station de surveillance. Tatie portait une raie au milieu et un parfum que Lisette aimait beaucoup.

Après un bref entretien avec Tatie, Chandra conduisit Lisette dans le couloir jusqu’à la salle de thérapie, où elles s’assirent ensemble sur un canapé. Le soleil venait juste de se lever.

Lisette se tortilla à côté de Chandra, inquiète de devoir affronter ses amies. Comme son voyant EM était passé au rouge, ils n’auraient droit qu’à quarante-cinq minutes de récréation.

« Je sais qu’il est difficile d’arrêter de penser à tes proches, mais tu dois y arriver », déclara Chandra.

Lisette croisa les bras. « Abby et Jordan sont vivants ! On a attrapé des lucioles ensemble. Ils me laissent aller me coucher tard et m’appellent Toucan. Je n’aime pas être appelée 944 ! »

Chandra regarda dans le vide pendant un long moment. « Tu sais ce que dit le docteur Perkins : Le bonheur est le meilleur état d’esprit pour apprendre. Il veut s’assurer que chaque membre de la génération M puisse apporter une contribution importante à la civilisation de demain. Si tu es heureuse, tes résultats aux tests s’amélioreront progressivement. »

Lisette avait l’impression de passer un test tous les jours. Même pendant sa convalescence après l’infection par AHA-B, au cabinet médical 3, les scientifiques lui avaient fait passer des tests.

« Nous mesurons ton QI », lui avait dit un scientifique.

Lisette regarda Chandra en face. « je veux rentrer à la maison. Je veux être avec ma famille à nouveau, et avec Timmy, Danny et Chat ! »

Chandra fronça les sourcils. « Toutes les familles changent. Les enfants grandissent et suivent leur propre chemin. Nous sommes ta famille maintenant. Les filles et les garçons des unités 2A et 2B sont tes frères et sœurs.

— Non, ils ne sont pas mes frères et sœurs ! C’est un mensonge ! » Lisette gronda entre ses dents serrées. « Abby est ma sœur. Jordan est mon frère. »

Chandra l’attira contre elle et fit danser le bout de ses doigts sur ses cheveux raz. Les scientifiques avaient rasé la tête de Lisette à plusieurs reprises au cabinet médical 3 afin que les fils d’enregistrement restent bien en place sur son cuir chevelu lisse. La bande froide de la bague en or de Chandra glissait sur son cuir chevelu, et les coutures de la blouse de laboratoire lui grattaient la joue.

« Je veux te dire quelque chose, mais seulement si tu promets de ne rien dire à personne », chuchota Chandra.

Lisette leva son petit doigt. Elle adorait partager des secrets. « Promesse de petits doigts. »

Abby et elle faisaient des promesses de petits doigts tout le temps.

Chandra hocha la tête et croisa le petit doigt avec Lisette. « S’ils rétablissent les communications avec Colonie Est, vous serez évalués aujourd’hui. Le docteur Perkins examinera ton profil complet. »

Lisette fronça les sourcils. « C’est quoi un profil ?

— Tes résultats de test, les observations faites sur la façon dont tu interagis avec les autres membres de la génération M, et comment tu t’en sors dans l’exercice de motivation. Le docteur Perkins décidera si tu peux rester dans la colonie. »

Un frisson parcourut sa colonne vertébrale. Est-ce qu’ils la mettraient dehors, de l’autre côté de la clôture ? Trois semaines plus tôt, ils avaient fait passé un garçon de l’unité 3C à l’extérieur de la clôture. Tout le monde dans son unité l’avait entendu pleurer. Cela effrayait Lisette de penser qu’elle pourrait se retrouver seule, si loin de chez elle.

Soudain, une pensée lui vint à l’esprit et la fit sourire à nouveau. « Si le docteur Perkins ne m’aime pas, est-ce que quelqu’un me ramènera chez moi sur l’île de Castine ? »

Chandra secoua la tête avec des yeux tristes. « Nos ressources sont limitées, et les avions ne volent qu’entre les colonies. S’il te plaît, Lisette, si le docteur Perkins te demande si l’épidémie a tué Abby et Jordan, dis oui, même si tu penses que c’est un mensonge. »

Lisette pressa son oreille contre la poitrine de Chandra, ce qui rendit les battements de son cœur plus fort. « Abby et Jordan sont vivants ! » Son propre cœur battait plus vite.

« Tu peux être très entêtée », constata Chandra.

Lisette se redressa. « Abby dit que notre famille a le gène de l’entêtement. »

Chandra plissa les yeux et serra les lèvres. Des plis se formèrent sur son front. Finalement, elle leva les yeux vers le plafond et poussa un petit soupir. « Si je libère mes cheveux, est-ce que tu me promets de mentir ? »

Les yeux de Lisette se tournèrent vers les cheveux noirs de Chandra, dont le chignon brillait sous les rayons du soleil passant par la fenêtre.

Elle adorait voir les longs cheveux de Chandra se déverser jusqu’à sa taille.

Elle croisa les bras. « Non ! »

Chandra avait déjà enlevé les pinces au sommet de sa tête et commencé à dérouler ses cheveux.

Lisette tendit la main et passa ses doigts à travers les boucles épaisses, en prétendant que ses propres cheveux pousseraient aussi long un jour. Elle espérait que ses boucles rousses repousseraient suffisamment pour cacher ses oreilles avant son sixième anniversaire. À l’âge de sept ans, elle s’imaginait que ses cheveux descendraient jusqu’à ses épaules. Quand elle aurait l’âge d’Abby, les boucles lui tomberaient au milieu du dos.

Comme elle souhaitait qu’Abby et Jordan soient là à l’instant. Elle n’oublierait jamais sa sœur et son frère.

Jamais !

1.01

COLONIE EST

Le docteur Perkins regardait par la fenêtre de la salle de conférence Gregor Mendel au quatrième étage de la tour Trump dans Colonie Est. Son visage anguleux et ses lunettes rondes formaient un reflet fantomatique dans la fenêtre comme il clignait des yeux sous le soleil matinal.

L’ouragan David était maintenant loin, à mille kilomètres plus au nord. Il avait apporté avec lui les bactéries mortelles et le dénouement qu’il espérait était enfin à portée de main. La population survivante en dehors des colonies serait éliminée par l’épidémie en deux mois. Un ouragan venu du Pacifique introduirait la bactérie de la même façon à partir la région équatoriale et réglerait le problème dans la moitié ouest du pays.

Les enfants appelaient l’épidémie le « Goinfre », en raison de l’appétit vorace que l’infection entraînait. Il préférait la nomenclature scientifique de la mutation bactérienne, « AHA-B ».

Le problème l’avait contrarié depuis la création des colonies. À mesure que les survivants hors des colonies vieillissaient et devenaient plus forts, ils s’impatienteraient de voir la génération M recevoir toutes l’aide venant des adultes ; ils allaient détruire l’œuvre de sa vie. Ce n’était qu’une question de temps avant que lui et ses collègues ne puissent plus repousser l’assaut. Laisser l’épidémie se propager étoufferait la question dans l’œuf.

L’ouragan David avait également causé d’importants dégâts physiques. De son perchoir dans la salle de conférence, Perkins pouvait avoir un aperçu de la dévastation. Des débris jonchaient la Cinquième Avenue, et des projectiles avaient brisé de nombreuses fenêtres dans les bâtiments environnants. Il jeta un coup d’œil à droite. Tout ce qui restait du bâtiment de Bergdorf Goodman à l’angle de la 5e et de la 58e avenue était une grande pyramide de briques, de poutres d’acier et de mobilier de bureau. Il regarda à gauche et vit un étang s’étendre depuis la station de métro. Comme il l’avait lu dans le rapport des dégâts, le métro avait été complètement inondé.

La voix du lieutenant Mathews crépita dans son talkie-walkie.

« Quoi de nouveau ? répondit-il.

— L’aéroport est prêt, monsieur. »

Perkins laissa fuser un soupir de soulagement. Nettoyer la piste avait été crucial. Ils pourraient désormais recevoir une cargaison de comprimés d’antibiotiques de l’usine d’Alpharetta. « Avez-vous informé Atlanta ?

— Négatif, monsieur. Les communications sont toujours coupées, mais nous y travaillons. La durée estimée pour la réparation est de huit heures.

— Débrouillez-vous mais faites plus rapidement, répondit-il.

— Oui, monsieur. »

Perkins pouvait entendre dans la voie de la jeune lieutenant sa volonté de gravir les échelons.

« Bien, dit-il. Tenez-moi informé ! »

Il retourna à son bureau et feuilleta une pile de rapports de dommages. D’innombrables gratte-ciel étaient structurellement instables, et la tempête avait emporté toutes les jetées le long de l’East River et de l’Hudson.

Le rapport sur l’énergie le troubla. La tempête avait détruit dix-neuf des vingt plateformes d’éoliennes qui fournissaient la colonie en électricité. Même avec des générateurs diesels fournissant un peu d’électricité, la colonie ne fonctionnait qu’à dix pour cent de sa capacité. Et ils ne disposaient que de cinq jours d’approvisionnement en carburant pour maintenir ce niveau de subsistance.

L’aspect sécurité était tout aussi problématique. Ils ne pouvaient pas électrifier la clôture du périmètre nord, et ils avaient dû limiter les patrouilles de Zodiak sur les rivières, les laissant vulnérables aux incursions.

Une fois qu’il eut examiné l’ensemble des problèmes, la conclusion devint évidente pour Perkins. Il écrivit « Évacuer » sur son bloc-notes, puis le souligna deux fois.

Juste à ce moment, le docteur Droznin entra dans son bureau, clopinant sur des béquilles.

Perkins s’émerveillait de la rapidité avec laquelle l’épidémiologiste russe avait rebondi après avoir reçu une balle dans le genou. Elle laissa tomber son corps court et robuste dans une chaise et posa un graphique sur son bureau.

« De nouvelles données sur l’analyse spectrale, déclara-t-elle. Nous avions basé nos projections initiales sur la densité bactérienne à l’équateur. Pour une raison quelconque, elle est bien plus importante ici. »

Le docteur Droznin était absorbée par ses données de recherche, et il se dit qu’il valait mieux la laisser parler avant de l’informer de sa décision d’évacuer Colonie Est.

Il ne connaissait le graphique que trop bien : une projection du taux de mortalité global à l’extérieur des colonies. Ils avaient compris la nature de la maladie. La bactérie AHA-B attaquait l’hypothalamus, la glande qui contrôle l’appétit. Après une période d’incubation de trois jours, la victime ressentait une faim de loup, suivie d’une forte fièvre. Le nombre de victimes augmenterait rapidement au cours des premiers jours d’exposition, puis se stabiliserait. La mort survenait en une à quatre semaines.

La hausse du taux de mortalité à la quatrième semaine était une conséquence des symptômes du AHA-B. Ils avaient prédit que des émeutes allaient éclater pour l’accès à la nourriture, opposant les malades aux bien-portants, et que d’ici la huitième semaine, la population de survivants en dehors des colonies serait statistiquement inexistante.

Perkins se massa les tempes. « Je vois ça dans mes rêves.

— Regardez l’axe des X », conseilla Droznin.

Lorsque ses yeux tombèrent sur l’échelle horizontale qui indiquait la chronologie de l’augmentation de l’épidémie mortelle, il se releva d’un coup. « Deux semaines ! »

Perkins avait la tête qui tournait. Cette révélation ajouta à l’urgence à laquelle ils étaient confrontés.

Il joignit les doigts et l’informa de sa décision d’évacuer Colonie Est. « Je vais organiser une réunion avec l’amiral Samuels et les commandants de compagnie dès que possible. Le lieutenant Mathews s’occupera de la logistique pour le transfert des cadets. Atlanta peut accueillir quatre compagnies.

— Et pour Colonie Ouest ? Demanda-t-elle.

— J’ai un autre plan pour eux, que je partagerai en temps voulu. » Perkins jeta un coup d’œil à son agenda du jour. « Nous avons une réunion prévue avec les docteurs Hoffer et Ramanathan aujourd’hui à 12 h 30 pour examiner le profil d’un membre potentiel de la génération M, N° 944. Elle est au mieux limite. Je vais ordonner son expulsion, et nous pourrons alors utiliser le temps pour discuter de l’évacuation à la place.

— Lisette Leigh est la candidate, déclara Droznin. Elle a participé aux premiers essais cliniques. Elle fait partie de mon étude en cours sur les effets de l’antibiotique.

— C’est exact. Sa sœur aînée était N° 1102, le cadet qui vous a tiré dessus. »

Perkins redoutait la direction que prenait cette conversation. Droznin allait plaider pour garder 944 uniquement à des fins de recherche.

« Lisette Leigh a cinq ans ; elle est le plus jeune sujet à avoir reçu l’antibiotique », expliqua Droznin.

S’exprimant sur le ton patient qu’il réservait aux plus jeunes membres de la génération M, Perkins se pencha en avant. « Svetlana, avez-vous vu son profil ? Ses résultats aux tests sont catastrophiques. Lors de notre évacuation, nous allons ajouter deux cents nouveaux membres de la génération M dans Colonie Atlanta. Ils ne sauront pas où nous mettre tous. »

Elle insista pour qu’ils effectuent l’évaluation.

Il était convaincu que 944 n’apporterait absolument rien à la civilisation à venir. Le temps était venu d’éliminer ceux qui drainaient des ressources vitales.

« Remettons notre décision à plus tard, éluda-t-il, puis il essaya de changer de sujet. Comment va votre jambe ? »

1.02

BROOKLYN, NEW YORK

Abby se plia en deux de douleur, serrant ses genoux contre sa poitrine alors que les vagues de crampes lui traversaient l’abdomen. Elle avait le Goinfre.

L’aube se leva et projeta des ombres dans la chambre où elle avait passé la nuit après son évasion de Colonie Est.

La pièce à l’étage avait probablement été la chambre de quelqu’un avant la nuit de la lune pourpre. L’ouragan avait provoqué des dommages. Un coin du plafond s’était effondré, et de l’eau gouttait sur l’amas de débris blanchâtres sur le sol À travers la fenêtre elle pouvait apercevoir les bâtiments sombres de Colonie Est de l’autre côté de l’East River.

Manger quelque chose aurait pu atténuer un peu les douleurs, mais la seule nourriture que Abby possédait était le petit sac de riz cuit qu’elle avait apporté de la colonie. Elle devait le faire durer.

Elle serra les poings et croisa les bras. Le sac de riz était si proche, et sa faim si forte. Comment pourrait-elle résister ?

Son cerveau lui jouait des tours. La bactérie AHA-B attaquait la glande contrôlant l’appétit, qui à son tour envoyait un signal au cerveau, convaincant le corps qu’il était en train de mourir de faim. Comment pouvait-elle contrôler ses actions quand son esprit se battait contre lui-même ?

Comme les douleurs s’intensifiaient, Abby se mit à crier à plusieurs reprises, plaçant ses mains devant sa bouche. Quand cela ne parvint plus à étouffer ses grognements et ses gémissements, elle enfouit son visage dans son sac à dos et mordit la sangle, espérant que le tissu rugueux pressé contre sa langue imiterait en quelque sorte une bouchée de nourriture.

Alors que plus de lumière entrait dans la pièce, elle pouvait distinguer l’ondulation de bâches, de couvertures et de manteaux qui formait une protection commune pour les vingt autres filles qui partageaient la pièce avec elle.

La tribu des filles de cinq et six ans l’avait conduite dans cette maison après qu’elle se fut échouée sur le rivage de l’East River. Elles lui avaient sauvé la vie.

La tête d’Abby était appuyée contre la fille à côté d’elle, et la main d’une autre fille était posée sur son épaule. Tout le monde s’était blotti pour rester au chaud.

Fermant les yeux, Abby revint à la fantaisie qui l’avait réconfortée tout au long de la longue nuit. Elle s’imaginait marcher sur un chemin de terre avec de grands pins des deux côtés. Des traces de poussière pourpre ensanglantaient le lit d’aiguilles dorées au bord de la route. Grâce à la brise fraîche, elle pouvait sentir le lac à travers les arbres avant même d’y parvenir. La rive opposée se trouvait à trois kilomètres, et la masse d’eau s’étendait à perte de vue, à droite comme à gauche.

L’image de la cabane était claire dans l’esprit d’Abby. Mandy, la fille qui avait sauvé la vie de Jordan et Abby deux ans plus tôt, lui avait décrit la cabane près du lac dans le Maine et lui avait donné des indications pour la trouver. Les grands-parents de Mandy y avaient vécu.

La cabine se trouvait à trente mètres de l’eau, avec une cheminée et une large fenêtre qui donnait sur le lac. Alors qu’Abby s’imaginait passer devant une pile de bois de chauffage, Toucan jaillissait par la porte et se précipitait pour l’accueillir, une tornade de jambes floues et de boucles rousses. Abby pliait les genoux et ouvrait les bras en grand, se préparant à l’impact.

Elle attrapait Touk en plein vol, et tout en la serrant très fort dans ses bras, elle la portait à l’intérieur, où Jordan, Toby et Jonzy riaient et plaisantaient. Jordan et Toby avaient tous deux des cheveux hirsutes et étaient minces et musclés du fait des efforts nécessaires au quotidien pour leur survie. Jonzy, qui avait passé les deux dernières années à Colonie Est, portait des lunettes épaisses et semblait tout juste sortit d’une école privée.

Une sorte de ragoût était en train de cuire sur le poêle à bois. Inhalant profondément, elle posait Touk et se dirigeait vers la marmite, essayant de deviner les ingrédients. Elle soulevait le couvercle.

Abby hurla sous le coup d’une crampe douloureuse qui interrompit sa fantaisie. Le bruit ne provoqua aucun mouvement dans la pièce. Elle se dit que les autres filles, comme beaucoup de survivants, étaient habituées aux pleurs dans la nuit.

Elle s’est assise et ses yeux s’embuèrent à cause de l’odeur du parfum Pink Sugar qui se mêlait à la puanteur des vêtements sales et de la moisissure. En grimaçant, elle inspecta ses membres et vérifia ses doigts et ses orteils. Rien n’avait été cassé ou foulé durant la descente de l’East River en furie ; elle n’avait que des éraflures et des contusions. Sa montre-bracelet avait également survécu. Il était 5 h 30

Elle fouilla dans son sac à dos et attrapa le talkie-walkie. La vague de soulagement fit place à l’appréhension lorsqu’elle la porta à son oreille. Est-ce que les piles étaient encore bonnes ? Elle alluma la radio et entendit un bruit statique satisfaisant. Elle la remit dans le sac après l’avoir éteinte.

Le talkie-walkie était le seul moyen de communiquer avec Jonzy, qui était resté à l’intérieur de Colonie Est.

Abby se leva et se mit à trembler dans l’air frais. La couverture commune et la chaleur corporelle collective des filles endormies l’avaient gardée au chaud toute la nuit, mais maintenant son jean humide collait à sa peau, froid et moite.

Elle mit son sac sur l’épaule et se dirigea vers la porte, posant les pieds entre les têtes et les jambes.

En arrivant à la porte, elle fut tentée de regarder la tribu des filles endormies, mais entra au contraire dans le couloir puis descendit les marches. Elle ne pouvait rien faire pour elles. Nombreuses étaient celles qui attraperaient le Goinfre, si ce n’était pas déjà fait. Elle devait chasser les filles de son esprit. Aller de l’avant.

Dans la cuisine, elle fixa les yeux sur un amoncellement de pommes de terre, de poisson séché, de types variés de viande séchée et de bouteilles d’eau posé sur le comptoir. Elle glissa trois pommes de terre dans son sac, consciente que c’était du vol, mais incapable de résister à l’attraction de la nourriture. Elle dévissa le bouchon d’une bouteille et but une longue gorgée d’eau.

Arrivée sur le porche, elle gémit alors qu’une nouvelle vague de crampes lui tordait les entrailles. Mais peu importe à quel point elle avait faim, elle ne pouvait pas voler les filles qui lui avaient sauvé la vie. Elle remit les pommes de terre sur le comptoir, considérant ça comme une petite victoire pour sa volonté.

Mais, incapable de contrôler sa main, elle prit une pomme de terre, la porta à sa bouche et la dévora, entièrement crue.

Dehors, elle descendit les marches du porche et s’arrêta, se sentant coupable pour ce qu’elle avait fait, mais soulagée que les petits morceaux de pommes de terre dans son estomac calmaient finalement ses douleurs.

Dans d’autres circonstances, elle aurait dit que c’était une belle matinée. Le ciel était d’un bleu pâle et la température était douce. Le léger soupçon de brise avait une saveur salée. Au-delà des squelettes brisés de deux ponts, Colonie Est s’élevait au loin, et l’East River, pleine de débris flottants, coulait rapidement. Elle s’émerveilla de la coque imposante du cargo échoué sur la rive, sachant qu’elle lui avait sauvé la vie. Si le cargo n’avait pas détourné un courant d’eau, les rapides l’auraient emporté beaucoup plus loin en aval.

Elle devait se rendre aujourd’hui à la halle aux poissons Ribbentrop, où elle avait prévu de rencontrer Toby. La halle aux poissons se trouvait en face du portail où elle avait eu son tout premier aperçu de Colonie Est dans un quartier de Brooklyn qu’elle supposait être au moins à plusieurs kilomètres de là.

« Où tu vas ? »

Abby se retourna. Une fille se tenait sur le porche. Elle portait une chemise d’homme trop grande pour elle et une paire de bottes en caoutchouc qui lui montaient jusqu’aux genoux. Elle avait des cheveux hirsutes, les joues tachées et un sourire éclatant. Ses yeux étincelaient au soleil.

Abby baissa les yeux. « Je vais retrouver un ami.

— Est-ce que tu vas revenir ? demanda la fille.

— Bien sûr, répondit Abby (c’était un

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