FINI DE RIRE!
Ces gens-la n’ont pas du tout le sens juridique - Je crois mame qu'ils
n’ont de sens dans aucun sens ~ mais, en tout cas, la signification et la logique
de la récente loi du divorce (1) leur échappent absolument.
Pourquoi avons-nous fait la loi du divorce ? Pour beaucoup de raisons
sans doute, mais, en particulier, c’est une chose que créve jusqu’aux yeux de
Sarcey, que nous l’avons faite pour consommer l’abolition partielle de la
peine de mort. Cela ne fait pas l'ombre d’un doute —a ce point que la chaleur,
comme vous pouvey, vous en apercevoir, en est augmentée.
Trois hommes en France, trois hommes seuls, aux termes du code,
étaient pourvus du droit de tuer impunément, et méme avec certains
honneurs spéciaux attachés a leurs professions, C’étaient M. Grévy, le
docteur en médecine, et le mari trompé. On leur avait donné ce privilege par
compensation de beaucoup d’ennuis qu'ils ont dans leur position. M. Grévy
est tenu de s'occuper de politique, le médecin peut, s’infiltrer le choléra,
Vhomme marié est marié. Cela vaut une petite indemnité. On leur avait
accordé le droit au meurtre, pour les empécher de pleurer. C’était trés bien
On ne pouvait leur reprocher que d’en profiter trop largement. M. Grévy
était le seul qui n’en abusat point. Mais enfin, vaille que vaille, l'organisation
du meurtre était satisfaisante.
La-dessus, la loi du divorce passe. Mes amis, il n'y a pas dire : Mon bel
ami! Du méme coup la peine de mort 4 I'usage de monsieur le Cocu ~ que
Dieu garde ! - est abolie. I] est évident qu’il serait trop insensé d'une part de
permettre aux mal mariés de ne létre plus ; d’autre part, et en méme tem
de les autoriser 4 trancher le lien conjugal 4 coups de couteau.
Je comprends trés bien, mes gaillards, que cela vous désoblige. Com-
ment! Plus permis de juguler sa petite femme quand elle est munie d’un
cousin, plus permis de faire retentir la maison de coups de revolver, quand
mon meilleur ami enjambe le balcon dans une envolée de chemise de nuit
effarouchée ! Plus de fine partie de coups de fusil, au coin du parc! Ah!
bien, alors ! Il n'y a plus moyen de s’amuser dans ce pays-la |
— Je sais bien. C’est ennuyeux. Une des gaietés de la vieille France s'en
va aprés tant d'autres. Notre vieille patrie va peu a peu cesser de devenir
habitable. Mais que voulez-vous ? La loi est faite, et du moment que la loi est
faite, il faut vous résegner a toutes les déceptions qu’elle entraine et & toutes
les tristesses qu’elle renferme.Votre erreur était de croire que la fameuse excuse légale du code pénal,
qui faisait votre bonheur, avait été rédigée pour vous procurer des distrac-
tions. Vous l’aviez prise a ce point de vue, je n’en ignore, et l'aviez tenue pour
une délicate attention du législateur, a l’effet de vous procurer des émotions
douces. Mais ce n’était pas cela du tout.
Liexcuse légale était un expédient, un palliatif. Le législateur s’était dit :
« Je condamne les gens qui n’ont fait, en somme, qu’une simple sottise, a la
subir toujours. Mariés ils sont, mariés ils seront. L’union conjugale est
indélébile
= Quoi ! méme s’ils sont trompés !
— Méme s'ils le sont. Cependam ouvrons une soupape. Le divorce,
jamais ; parce que le divorce est une immoralité. Mais si le divorce est une
immoralité, le meurtre n’a rien d’immoral. C'est l'exercice d’une activité
légitime, un mouvement rapide et vif, qui peut méme avoir sa grace. J'interdis
le divorce, mais je ne vais pas jusqu’a interdire le meurtre. I] ne faut pas
pousser les choses 4 Pextréme. »
Et voila quel était l'état du code que Europe nous enviait, il y a encore
six semaines. C était une chose trés intéressante.
Seulement voici ce gui s’était passé : Les maris avaient dressé dans leur
coeur tendre un autel a Excuse légale. C’était leur consolation, leur joie, leur
douceur secréte. Ils lui parlaient dans le silence des nuits comme a un fétiche
discret et caressé au sanctuaire intime. Ils lui disaient, comme Tartuffe a
Elmire, ou a peu prés :
Vous étes mon trésor, mon bien, ma quiétude ;
De vous dépend ma joie et ma béatitude ;
Et nous sommes, madame, adorant cet arrét,
Heureux, puisqu’il le veut, joyeux, puisqu’il lui plait. (2)
Pleins de ces pensées touchantes, ils avaient, dans la pratique, fait de
Fexense'légaley nou pas seulement uncdiod: & tine honnére rigolade,anuis une
maniére d’obligation morale tacitement imposée par la loi. Ils l’avaient revétue
du caractére sacré du devoir. Ils ne se bornaient pas a dite, quand un mari
coupait familigrement le cou de sa femme : « Il a eu raison. » Quand un mari
s’abstenait, oubliait seulement, par inadvertance, de débiter en menus mor-
ceaux la femme infidéle, ils disaient entre eux, gravement, avec une componc-
tion douce: « Ilaeu tort, grand tort, trés gr and tort. Ine faut pas divorcer. Mais
ilfaut tuer. C’est dansla loi, Ilfautexécuter laloi, Il aeu tort dene pas exécuter.
Moi j’exécuterai. Je n’attends que le moment pour exécuter. »Et le cheeur antique, trés antique d’ordinaire, répondait en trémolo voilé
de cymbales : « I] a raison, cest dans la loi. »
Car il est trés grave de mettre quelque chose dans la loi. Cela prrend tout
de suite un caractére gigantesque et fantastique. La loi disait : « En cas de
flagrant délit, le meurtre est excusable, » Elle n’avait pas besoin de le dire.
Les jurys étant composes genéralement d’hommes mariés 4 un degré: éminent,
il n’y avait pas de danger qwils n'excusassent pas d’eux-mémes, et largement,
Je cocu tranchant et contondant.
De peur qu’ils y manquassent, le loi le leur avait dit. « Excusable », vous
entendez, excusable seulement, et seulement « en cas de flagrant délit », Cela
avait suffi pour que cette idée s’implantat dans les tétes boisées que Je
meurtre de la femme est pour le mari, surtout quand elle est infidéle, non
seulement le plus sacré des droits, cela va de soi, mais le plus imprescriptible
et le plus étroit des devoirs. Pour tout mari frangais, c’était la véritable, la
seule déclaration des droits de Phomme.
Tl en était résulté un peu d’abus. Je n’ai jamais attaché qu'une impor-
tance relative a la vivisection d'une femme matiée, et il ne faudrait pas
mattribuer une sensibilité ridicule. Mais, enfin, on en tuait trop. Ce c’était
pas la chose de la chose, comme dit Gavroche, en sa langue claire et précise ;
mais cela faisait trop de faits divers, et ne laissait plus de place a la chronique
littéraire. La cause est a, et non ailleurs, de la décadence de la critique dans
la presse francaise
Les législateurs de 1884 ont compris cela, ayant M. Schérer (3) parmi
eux et ont enfin permis le divorce. C’était rayer moralement V'illustre Excuse
légale. A qui la porte de la prison est ouverte, il p’est plus permis de tuer le
gedlier.
Eh bien ! les maris n’ont pas Pair le moins du monde de comprendre la
chose comme cela, Ils n’ont pas jugé que, leur donnant un droit, on leur
retirait un privilége. Is prétendent avoir a la fois et le privilége ¢t le droit,
pouvoir divorcer et pouvoir tuer. Gourmands ! | !
En voili un, il y a trois jours, un sergent de ville, plus sévére yardien de
son honneur que vigilant gardien de la paix, dont la femme, entra'née par la
lecture de L’Assommeoir, avait fait, avec un certain nombre d’adolescents, ce
que, comme dit Homére dans sa langue divine, « des femmes ont «ccoutumé
de faire avec les hommes ». I] n’y a ni Zola, ni Homére qui tienne, Et pan !
pan ! Voila le gardien de la paix qui troue sa belle Héléne a coups ce révolver,
4l’instar d'une poéle a marrons.
Est-il bon ? Est-il méchant ?
comme disait Diderot. Je n’er sais rien.