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Poésie : 1935-1965 : quel engagement ?

Aragon/Eluard; Jouve; Frénaud, Ponge, Tardieu, Queneau


Grande figure : René Char

Introduction :

Bien que la poésie ait peut-être souffert de la puissante diffusion du roman et de


l'élargisement de son domaine, le XXème siècle apparaît comme une grande époque
poétique. Non seulement la poésie « continue » malgré le désordre du monde, mais à
partir d'Apolinaire et des surréalistes, elle développe une audace et une originalité
effective. En effet, la seconde guerre mondiale, de la captivité, de l'Occupation et de la
Résistance provoque une véritable relance poétique. Dès 1940, des noyaux de ferveur
poétique se constituent et les revues se multiplient, citons à Marseille : Les Cahiers du Sud; à
Lyon et à Saint-Etienne : Confluences et Positions. Il faut également parler de l'oeuvre
importante accomplie en Suisse par Les Cahiers du Rhône, fondés par Albert Béguin,
spécialiste de la poétique moderne connu pour ses études sur Gérard de Nerval.
Ces revues proposent d'incarner une véritable « résistance spirituelle » et font alors
une véritable place à la poésie, seul langage capable d'affirmer encore, symboliquement la
liberté. C'est que la poésie s'affirme alors comme une expérience de la liberté, dans le
démenti vivant d'évènements historiques intolérables. Engagée, elle l'est le plus souvent,
dans la mesure où elle prend appui sur cette histoire même et sur la protestation qu'elle
suscite. Elle peut également tenter de remonter aux sources en faisant revivre les grands
mythes ou donner une nouvelle fraîcheur au lyrisme de la nature ou de l'amour. Certes,
cette poésie de la Résistance peut paraître un épisode superficiel. Il est né beaucoup de
poètes, et il en a peu survécu. Mais l'inspiration avait traversé une expérience humaine
qui, jointe à l'héritage des années 1920-1940, explique certains aspects parmi les plus
importants de la poésie contemporaine.

Aragon : (1897-1982)

Fils illégitime d’un haut fonctionnaire de la IIIe République, élevé dans la gêne
financière d’une bourgeoisie déclassée, Louis Aragon est reçu bachelier en 1915, puis
entreprend des études de médecine et fait la connaissance d’André Breton, avec qui il se
lie d’amitié. Mobilisé en 1917, il retrouve son ami pendant et après la guerre et participe
avec lui et Philippe Soupault à la création de la revue Littérature (1919). L’année suivante, il
publie un premier recueil de poèmes (Feu de joie), puis, après avoir pris part à quelques
manifestations de Dada, s’engage dans des recherches littéraires qui vont aboutir au
surréalisme, rédigeant successivement un texte ironique présenté sous la forme d’un
roman d'apprentissage (Anicet ou le Panorama, 1921), un pastiche du roman didactique de
Fénelon (les Aventures de Télémaque, 1922), composé en partie selon le principe de l’écriture
automatique, et un recueil de nouvelles (le Libertinage, 1924). L’année même où paraît le
premier Manifeste du surréalisme de Breton, Aragon expose sa propre conception du
surréalisme dans un texte théorique (Une vague de rêves, 1924), prônant le « merveilleux
quotidien », issu de la rencontre de l’imaginaire avec le réel, et se révélant spécialement
attentif au problème de la description littéraire, développé peu de temps après dans un
roman (le Paysan de Paris, 1926).
En 1927, Aragon adhère au Parti communiste, avec notamment Breton. Cette
adhésion marque pour lui le premier pas en direction d'un engagement profond, qui le
conduit à rompre avec le surréalisme et avec Breton en 1932. Le Traité du style (1928) porte
déjà les indices d’un doute qui ira croissant sur la capacité du mouvement à se renouveler.
La rencontre, en 1928, du poète avec l’écrivain d’origine russe Elsa Triolet est à cet égard
déterminante ; elle l’amène à se mettre au service de la révolution, renforce son orientation
esthétique vers le réalisme et contribue à l’éloigner de Breton.
Alors que le Roman inachevé (1956) est un recueil de poèmes d’inspiration
autobiographique où se lit un retour à certains traits de la poétique surréaliste, le Fou
d’Elsa (1963) et Il ne m’est Paris que d’Elsa (1964) s’inscrivent dans la continuité du thème de
la célébration de la femme, inauguré dans les poèmes engagés de la Résistance. son œuvre
se nourrit désormais d’une interrogation sur la création artistique et sur la conscience (la
Mise à mort, 1965 ; Blanche ou l’Oubli, 1967 et Théâtre / Roman, 1974). Correspondant à
la fois à un désir de communication sincère et à un goût prononcé pour le masque et les
énigmes, la diversité de sa création témoigne de la passion d’Aragon pour l’exploration de
l’inconnu, qui l’a amené, finalement, à assimiler l’écriture à une quête de soi. Les Œuvres
romanesques croisées d’Elsa Triolet et d’Aragon ont paru en quarante-deux volumes de
1964 à 1974.

– Le Fou d’Elsa fait écho aux images du Cantique des cantiques, et son projet peut être
mis en regard de celui de la Légende des siècles, de Hugo ; la marque du modèle
romantique est présente dans l’inscription d’un rapport d’intertextualité avec
Chateaubriand (Aventures du dernier Abencérage) ou Barrès, mais il permet surtout
de voir apparaître la conception de l’histoire d’Aragon.

– Aragon : principales œuvres


ANNÉE TITRE GENRE
1920 Feu de joie recueil de poèmes
1921 Anicet ou le Panorama roman
1922 Les Aventures de Télémaque roman
1924 Une vague de rêve essai
recueil de récits et de pièces de
1924 Le Libertinage
théâtre
1926 Le Paysan de Paris roman
1928 Traité du style essai
1934 Les Cloches de Bâle1 roman
1934 Hourra l’Oural recueil de poèmes
1936 Les Beaux Quartiers1 roman
1941 Le Crève-Cœur recueil de poèmes
1942 Les Yeux d’Elsa recueil de poèmes
1942 Les Voyageurs de l’impériale1 roman
1943 Le Musée Grévin poème
1944 Aurélien1 roman
1945 La Diane française2 recueil de poèmes
1949 Les Communistes3 roman
1956 Le Roman inachevé recueil de poèmes
1958 La Semaine sainte roman
1959 Elsa poème
1963 Le Fou d’Elsa poème
1965 La Mise à mort roman
1967 Blanche ou l’Oubli roman
1974 Théâtre/Roman roman
1980 Le Mentir-vrai recueil de nouvelles
1 Fait partie du cycle intitulé le Monde réel.

2 Plusieurs textes réunis dans ce recueil ont été diffusés clandestinement


durant l’Occupation, en particulier dans l’anthologie des « poètes de la
Résistance » intitulée l’Honneur des poètes, publiée par les Éditions de Minuit
le 14 juillet 1943.

3 Ouvrage intégralement réécrit en 1951, fait partie du cycle intitulé le Monde


réel

Extrait du poème intitulé « Les Poètes »

Eluard : (1895-1952)

Paul Eugène Grindel, dit Paul Éluard, voit le jour à Saint-Denis, dans la banlieue
parisienne. Obligé d’interrompre ses études pour rétablir une santé gravement menacée
par la tuberculose (1912), il est néanmoins mobilisé en 1914, au tout début de la Première
Guerre mondiale : il devient alors infirmier militaire. Si les premiers poèmes d’Éluard sont
encore influencés par la littérature de Jules Romains, ils révèlent surtout les sentiments
d’horreur et de pitié qu’ont pu inspirer à un poète désormais en quête de pacifisme les
spectacles quotidiens de la guerre (le Devoir et l’Inquiétude, 1917 ; Poèmes pour la paix, 1918).
Remarqué par Jean Paulhan, futur directeur de la NRF, Éluard est présenté par son
intermédiaire à Benjamin Péret, puis à André Breton, à Louis Aragon et à Philippe
Soupault. Il lie ensuite connaissance avec Tristan Tzara, René Magritte, mais aussi Man
Ray et Joan Miró. Il participe dans un premier temps au mouvement Dada (les Animaux et
leurs hommes, les hommes et leurs animaux, 1920 ; les Nécessités de la vie et les conséquences des
rêves, 1921). En 1919, il entre dans le groupe réuni autour de la revue Littérature, puis se
lance dans l’aventure surréaliste. Il écrit ainsi Mourir de ne pas mourir qui paraît la même
année que le Manifeste du surréalisme d’André Breton (1924). Éluard s’engage sans réserve
dans les activités du groupe surréaliste et sur la voie de l’expérimentation littéraire. Avec
Benjamin Péret, il compose 152 Proverbes mis au goût du jour (1925). Durant l’année 1930, il
écrit Ralentir travaux, en collaboration avec René Char et André Breton, puis rédige avec ce
dernier l’Immaculée Conception.
Son adhésion au groupe ne l’empêche cependant jamais d’affirmer son goût et son
respect pour la poésie du passé — à laquelle il dédie plusieurs anthologies (Première
Anthologie vivante de la poésie du passé, 1951) —, ni de défendre son esthétique propre,
marquée par une grande clarté et une grande simplicité d’expression, mais aussi par un
classicisme — parfaitement assumé — sur le plan formel. Pour Éluard, le poème d’amour
n’est ni un exercice de style ni un simple hommage amoureux ; il est une célébration du
rôle intercesseur de la Femme, cet être qui constitue pour le poète un lien entre le monde
et l’univers poétique : son inspiratrice.
Choqué par le massacre de Guernica en 1937, il prend position en faveur de
l’Espagne républicaine (« la Victoire de Guernica », Cours naturel, 1938), puis s’engage
dans la Résistance. Membre d’un réseau clandestin, animateur du Comité national des
écrivains (CNE), il fait de la poésie l’instrument d’un combat contre la barbarie en publiant
plusieurs ouvrages dans la clandestinité. Tout d’abord Poésie et Vérité (1942), qui
comprend le célèbre poème « Liberté », largué par les avions de la RAF en milliers de tracts
sur la France occupée. On peut aussi citer les Sept Poèmes d’amour en guerre (1943) et Au
rendez-vous allemand (1944). Après la guerre, il poursuit dans la voie de la poésie politique
procommuniste (Poèmes politiques, 1948).
Dans ces écrits politiques, comme dans les autres recueils poétiques de cette période
(Poésie ininterrompue I, 1946 ; Corps mémorable, 1947 ; Poésie ininterrompue II, posthume,
1953), Éluard continue à utiliser une écriture tout à la fois simple et empreinte
d’éblouissantes métaphores (« La terre est bleue comme une orange ») et à revendiquer
une philosophie où se marient humanisme et aspirations révolutionnaires.

Éluard : principales œuvres


ANNÉE TITRE
1917 Le Devoir et l’Inquiétude
1918 Poèmes pour la paix
Les Animaux et leurs hommes, les hommes et leurs
1920
animaux
1924 Mourir de ne pas mourir
1925 152 Proverbes mis au goût du jour1
1926 Capitale de la douleur
1929 L’Amour, la poésie
Ralentir travaux2
1930
L’Immaculée Conception3
1932 La Vie immédiate
1934 La Rose publique
1936 Les Yeux fertiles
1938 Cours naturel
1939 Donner à voir
1942 Poésie et Vérité
1944 Au rendez-vous allemand
1946 Poésie ininterrompue I
1947 Corps mémorable
posth.
Poésie ininterrompue II
1953
1 Écrit en collaboration avec Benjamin Péret.

2
Écrit en collaboration avec André Breton et René Char.

3
Écrit en collaboration avec André Breton.

Extrait du poème intitulé « Liberté » :

« Sur mes cahiers d'écoliers


Sur les pupitres et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom

Sur toutes les pages lues


Sur toutes les pages blanches
Pierre sang ou cendre
J'écris ton nom... »

Jouve : (1887-1976)

Contemporain de Saint-John Perse, Pierre-jean Jouve dut, comme lui, attendre les
années 40 pour trouver sa place exacte dans la poésie; mais là s'arrête leur ressemblance.
Jouve, en effet, après avoir subi des influences symbolistes et après avoir longuement
cherché sa voie originale, découve à quarante ans sa vocation prophétique. La guerre lui
est l'occasion de ressentir encore plus profondément l'accord de sa sensibilité avec la
dimension du drame : Mort et ressurection, les Chevaliers de l'Apocalyspe, le Christ et
l'Antéchrist, la Nuit obscure, de saint jean de la Croix, l'Amour et la Connaissance, tels
sont les thèmes et réalités dont la parolepoétique entreprend de peupler « L'Absence du
Monde ».

Oeuvres principales de Jouve : les Noces (1931), qui allient le lyrisme et la spiritualité ;
Sueur de sang (1935) ; la Vierge de Paris (1944), transfiguration mystique et visionnaire de
l'esprit de la Résistance. Dans la création jouvienne, où s'entremêlent l'amour et la faute, le
désir et la mort, la figure féminine est parfois élevée à la dimension du mythe. C'est le cas
dans Matière céleste (1937) et dans Kyrie (1938). Toujours plus voué à la solitude et à
l'expérience intérieure, Jouve publia ensuite Diadème (1949) ; Mélodrame (1957) ; Moires
(1962), dernier regard porté sur son enfance. En visant à transformer « la matière d'en bas
» en « matière d'en haut », à la manière de Novalis, de Nerval ou d'Hölderlin, il a élevé à la
dimension spirituelle les lieux et les êtres qu'il a connus. Il a également publié plusieurs
essais sur l'art, la littérature (Défense et illustration, 1943 ; Tombeau de Baudelaire, 1958) et
la musique (le Don Juan de Mozart, 1942).

Extrait du poème intitulé « Hélène »

Hélène

« Que tu es belle maintenant que tu n'es plus


La poussière de la mort t'a déshabillée même de l'âme
Que tu es convoitée depuis que nous avons disparu
Les ondes les ondes remplissent le coeur du désert
La plus pale des femmes
Il fait beau sur les crêtes d'eau de cette terre
Du paysage mort de faim
Qui borde la ville d'hier des malentendus
Il fait beau sur les cirques verts inattendus
Transformés en églises
Il fait beau sur le plateau désastreux nu et retourné
Parce que tu es si morte
Répandant des soleils par les traces de tes yeux
Et les ombres des grands arbres enracinés
Dans la terrible Chevelure celle qui me faisait délirer »

Frénaud (André) 1907-1993

Poète français qui décrit dans son œuvre la grandeur et la misère de la destinée
humaine. fervent admirateur de Rimbaud, choisit d’être avant tout poète. En 1943, il fait
publier son recueil le plus important, les Rois mages. S’il est salué par Seghers et Aragon,
son itinéraire d’écrivain reste singulier. Au cœur de la poésie d’André Frénaud se trouve
une méditation pessimiste sur la condition humaine. Le poète offre en effet la vision d’un
monde dépourvu de sens et abandonné de Dieu, où l’Homme doit lutter, sans cesse
renvoyé à sa solitude et à l’énigme de sa destinée. Dans ce chaos indéchiffrable, seules les
possibilités ouvertes par le langage permettent une échappée, précaire mais précieuse,
vers l’absolu et vers la paix — ce que Frénaud appelle le « passage de la Visitation ». Le
poète traduit cette lutte en des termes brutaux, affectifs, trouvant un souffle épique dans
ses premiers recueils, une tonalité plus intime par la suite, mais manifestant toujours le
même souci de rigueur formelle. Parmi ses principaux recueils, outre les Rois mages, citons
Soleil irréductible (1946), Il n’y a pas de paradis (1962), la Sainte Face (1968), la Sorcière de Rome
(1973), Haeres (1982), Nul ne s’égare, la Vie comme elle tourne et par exemple, et Comme un
serpent remonte les rivières (1986 pour ces trois titres).

Ponge : (1899-1988)
Poète français, auteur du Parti pris des choses, qui dans sa poésie tenta d’abolir la
distance entre le mot et la chose qu’il désigne.
La publication, en 1942, du Parti pris des choses le révèle comme un écrivain de
grand talent. Ce recueil pose les principaux éléments de son projet poétique et le place dès
lors en marge : en marge de la poésie convulsive et de l’écriture automatique prônées
par les surréalistes, en marge aussi de la dimension épique d’un Saint-John Perse ou
encore de cette forme de sacré qu’on peut trouver chez René Char. Dans ce recueil, Ponge
choisit en effet d’être le poète du quotidien, du matériel, des objets et des choses («
l’Huître », « le Savon », « l’Orange », « la Cruche », « l'Appareil du téléphone »). Loin de
percevoir et de montrer le monde à travers sa subjectivité de poète, Ponge « prend le parti
des choses », et cherche ainsi à leur donner par les mots la possibilité d’une expression,
d’une existence.
Le poème, sorte d’équivalent neutre de l’objet, devient alors un véritable objet
littéraire, un « objeu ». Par une savante et complexe utilisation de l’étymologie, de la
graphie, des sons, des jeux de mots, des figures, la poésie de Ponge devient une sorte de
redoublement du réel, qui cherche à abolir la distinction entre le mot et la chose.
De retour à Paris après la guerre, Ponge se met à enseigner tout en poursuivant son
œuvre poétique (Proêmes, 1948 ; la Rage de l’expression, 1952 ; le Grand Recueil, 1961 ;
Nouveau Recueil, 1967). Il écrit également des essais qui éclairent sa pratique poétique :
Pour un Malherbe (1965), la Fabrique du pré (1971), Comment une figue de paroles et
pourquoi (1977).
En 1963, dans un « poème-art poétique » il définissait la fonction du poète dans le
sens d'une sorte de poésie de l'objectivité : A chaque instant- J'entends- Et, lorsque m'en est
donné le loisir- j'écoute-Le monde comme symphonie etc... » Il est clair, dès lors, que se
trouvent ainsi radicalement contestées la poétique, d'origine baudelairienne et
mallarméenne, d'un pouvoir créateur du langage, et, du même coup, l'hypothèse d'une
éventuelle rédemption poétique ou esthétique. Il y a là au contraire, une soumission
absolue de la poésie à l'objet, caractéristique d'un des grands courants de la littérature
contemporaine, et, en même temps, une définition de la poésie comme enregistrement
verbal d'existences pures qui n'est pas sans relation avec l'existentialisme. Aussi donne t-il
volontiers sa préférence, du point de vue technique, à la forme du poème en prose. Il
fabriquera le néologisme « Proèmes » qui servira de titre, à un recueil de 1948 : le mot
résulte de la contamination de « prose » et de « poème ». Il s'agit bien de la mise en jeu de
procédés objectifs d'enregistrement qui, d'ordinaire, relèvent de la prose; mais la poésie
n'en est pas moins présente, qui, en poussant l'objectivité du langage jusqu'à ses extrêmes
limites, dégage de l'objet toute sa charge poétique de mystère ou d'insolite.

Extrait du poème intitulé « L'oeillet » issu du recueil « la Rage de l'expression »

« L'OEILLET. - A bout de tige se déboutonne hors d'une olive souple de feuilles un


jabot merveilleux de satin froid avec des creux d'ombre de neige viride où siège
encore un peu de chlorophylle, et dont le parfum provoque à l'intérieur du nez un
plaisir juste au bord de l'éternuement. »
Prévert : une poésie du quotidien : 1900-1977

Né à Neuilly-sur-Seine, dans un milieu modeste, Prévert passe sa jeunesse à Paris,


où il exerce différents petits métiers, fréquente un peu la canaille, avant de se lier, en
compagnie de son frère Pierre, avec des artistes tels que Marcel Duhamel et le peintre Yves
Tanguy dans le groupe surréaliste de la rue du Château, qui adhère au surréalisme de
Breton de 1925 à 1929. En 1931, il fait paraître Tentative de description d’un dîner de têtes
à Paris-France, texte qui, jouant sur le sens littéral des mots, les néologismes et les
décalages, offre une vision humoristique et dérisoire d’un dîner officiel à l’Élysée. Jusqu’en
1936, Prévert écrit de courtes pièces engagées et subversives pour le groupe Octobre,
troupe militante qui se consacre à un théâtre social. Il se passionne aussi pour l’écriture
cinématographique, qu’il aborde avec le film L’affaire est dans le sac (1932), de Pierre
Prévert, et le Crime de Monsieur Lange (1935), de Jean Renoir. Scénariste et dialoguiste,
parfois en collaboration (les Visiteurs du soir, 1942), essentiellement pour Marcel Carné, il
intègre sa vision du monde et son sens vivant de la parole au réalisme poétique du
réalisateur : Drôle de drame (1937), Quai des brumes (1938), les Enfants du paradis (1945).

UNE POÉSIE DE LA VRAIE VIE

Les textes poétiques de Prévert, composés en vers libres, restent longtemps non
publiés. Le recueil Paroles (1946) fait découvrir au grand public ces compositions au
langage et au merveilleux empruntés à la vie de tous les jours, où le rêve se mêle à
l’humour. C’est le succès. Nombre d’entre eux, sur la musique de Joseph Kosma,
deviendront des chansons très populaires interprétées par Juliette Gréco, Yves Montand
ou encore les Frères Jacques. « Les Feuilles mortes », chanson du film les Portes de la nuit,
est peut-être la plus célèbre d’entre elles.
Ayant pris ses distances avec les débats théoriques et directement politiques,
Prévert n’en reste pas moins le défenseur des pauvres et des opprimés, avec une
générosité sans faille. Son hostilité à toutes les forces d’oppression sociale se traduit dans
ses attaques pleines d’humour autant que de vigueur contre les hommes de pouvoir et les
institutions en général. Son sens de l’image insolite et sa gouaille populaire lui inspirent
une poésie sortie de sa tour d’ivoire, destinée à tous les publics et ancrée dans les
sentiments de la vie quotidienne. Elle invite le lecteur à se fier au pouvoir de la « parole »
pour accéder au bonheur, individuel et collectif. Histoires (1946), Spectacle (1951), la Pluie
et le Beau Temps (1955) sont autant de recueils où l’amour, la liberté, l’imagination sont
des thèmes récurrents. Il pratique aussi des collages (Fatras, 1966 ; Choses et autres, 1972 ;
Hebdromadaires, 1972), où le mot-valise joue un rôle essentiel. Il continue, à la fin de sa
vie, à se consacrer à son activité de parolier (Cinquante chansons Prévert-Kosma,
posthume, 1977). Il a également laissé des textes pour les enfants (Contes pour enfants pas
sages, posthume, 1977 ; Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied, posthume, 1985).

Jacques Prévert fut quelque peu lié avec les surréalistes; il en a surtout retenu, avec
une sensibilité souvent anarchisante, une attention systématique à tout ce qui, dans la
réalité la plus quotidienne recèle un ferment actif de liberté : les choses et les êtres parlent
un langage à la fois proche et inattendu. Il en retient aussi le naturel concerté de tout ce
qu'enferme de charme hétéroclite l'enregistrement verbal des choses, des êtres et des gens.
Etude sur le recueil « Paroles » :

« LES ÉCRITS S’ENVOLENT, LES PAROLES RESTENT. »

PROSE OU POÉSIE ?

Prévert a répété que Paroles est un anagramme de « la prose ». De rares textes sont en
prose, entièrement (« Souvenirs de famille »), ou partiellement (« Tentative de description
d’un dîner de têtes à Paris-France ») ; il y a une brève scène dialoguée (« l’Accent grave »).
Mais en général, Prévert écrit en vers blancs, joue sur la typographie et n’emploie pas de
mètre rythmique régulier. Mais le travail poétique est présent, sous la forme de multiples
recherches sonores qui donnent à l’œuvre un caractère humoristique et ludique.

PRÉVERT ICONOCLASTE : RÉVOLTE ET SATIRE

L’humour est parfois noir, surtout dans des textes tournant en dérision certains clichés
sociaux (« Dîner de têtes », « Souvenirs de famille », « Familiale »). Prévert, non sans
provocation, fait éclater son anticléricalisme et son antimilitarisme. Le recueil laisse
transparaître quelques allusions à la situation historique contemporaine (« la Crosse en
l’air », « Barbara »), se moque de héros nationaux (Louis XIV, Napoléon), mais prend vite
une portée plus générale pour dénoncer les horreurs de la guerre, les entraves à la liberté
individuelle ou exprimer la douleur de la condition humaine dans des poèmes d’une
concision parfois saisissante évoquant la souffrance humaine (« le Message »).

UNE POÉSIE DE CÉLÉBRATION

Le dernier poème, un hommage à Picasso et à la création artistique, propose une


conclusion sur une note très optimiste, l’évocation d’un monde « beau comme tout », qui
est d’abord un ensemble de lieux à célébrer, des villes, Paris essentiellement. L’amour, la
liberté sont des thèmes très présents, donnant lieu à des passages lyriques et exaltés, à
travers le motif du rire. Paroles est un hymne à la vie, aux impulsions vitales, à des élans
d’évasion qui trouvent une incarnation particulière dans la figure dominante de l’oiseau
ou celle, plus discrète, du cancre qui ouvre la voie du rêve et du monde de l’enfance.

Poème « Le cancre » :

« Il dit non avec la tête


mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu'il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes ls couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur »

Tardieu : (1903-1995)

Ecrivain et homme de radio français, qui renouvela la dramaturgie contemporaine


avec des pièces « éclairs », données en un acte, souvent sous la forme de poèmes.

Originaire d'une famille d'artistes, Tardieu commença par publier des poèmes
(Accents, 1939 ; le Témoin invisible, 1943), mais son œuvre ne parvint à s'imposer
qu'après-guerre. En 1946, il prit en main le désormais prestigieux Club d'essai de la
Radiodiffusion française, alors que ses recueils de poésie renforçaient sa réputation
d'auteur tantôt secret et profond (Jours pétrifiés, 1948 ; Une voix sans personne, 1954),
tantôt burlesque et virtuose (Monsieur, Monsieur, 1951). Son théâtre, qui est avant tout
une réflexion sur le langage (Un mot pour un autre, 1951 ; les Amants du métro, 1952 ;
Théâtre de chambre, 1955 ; Poèmes à jouer, 1960 ; Conversation-sinfonietta, 1962), lui valut
d'être reconnu comme un des maîtres de la dramaturgie contemporaine.

Animé par des dialogues savoureux et énigmatiques, son théâtre préfigurait le


genre du café-théâtre. L'attention toute musicale qu'il porta aux mots fut celle d'un
mélomane (l'Espace et la Flûte, 1958), tandis que son appréhension de la scène
s'apparentait à celle d'un critique d'art (De la peinture abstraite, 1960 ; Hans Hartung, 1962
; Hollande, Jean Bazaine, 1963).

En 1972 parurent les proses poétiques de la Part de l'ombre, et il regroupa en 1976


sous le titre Formeries ses principaux travaux de recherche formelle sur la poésie. Il donna
à son autobiographie un titre de comédie, On vient chercher Monsieur Jean (1990), écrivit
des livres pour enfants (Je m'amuse à rimer, 1991), qui viennent ponctuer une œuvre
théâtrale particulièrement riche (le Professeur Froeppel, 1978 ; l'Archipel sans nom, 1991).

Pour avoir la liste complète des oeuvres de Tardieu :


http://www.printempsdespoetes.com/file_base/pjs/PJ410_BibliographieTardieu.pdf

Queneau : (1903-1976)

Né au Havre dans un milieu modeste (ses parents sont merciers), Raymond


Queneau vient à Paris en 1920 étudier la philosophie et les sciences. Fréquentant les
surréalistes à partir de 1920, il rejoint rapidement le groupe dissident de la rue du Château
(formé notamment de Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel) pour finir par
rompre avec André Breton en 1929 pour des raisons personnelles.

Dès ses premiers textes, s’affranchissant totalement des principes surréalistes comme de
tout autre courant littéraire, l’œuvre de Queneau va se constituer autour de deux principes
fondateurs : le rôle primordial accordé à la construction, d’une part, et, d’autre part,
l’attention particulière portée au langage, considéré non plus comme un vecteur
sémantique mais, au contraire, comme un outil quasi scientifique qu’il s’agit d’explorer.
De fait, le Chiendent (1933), son premier roman publié, obéit à des contraintes formelles et
à des règles élaborées de composition symboliques, chiffrées ou rythmiques : ainsi la
structure du livre, établie selon un plan rigoureusement fixé au préalable, et la division en
chapitres, commandée par le chiffre « sept », « image numérique » de l’auteur dont les
deux noms « Raymond » et « Queneau » sont composés chacun de sept lettres ; ainsi
encore la parfaite circularité du récit, qui se termine sur la phrase par laquelle il a
commencé. Frappé en outre par la distorsion croissante entre langage parlé et langage
écrit, Queneau inaugure avec le Chiendent ce qui deviendra une constante de son
écriture : la « mise en style » du langage parlé, créant alors d’heureuses trouvailles
phonétiques, orthographiques, lexicales. Né du projet de traduire en français parlé le
Discours de la méthode, de Descartes — projet dont, au final, il ne reste que peu de chose
—, cet ouvrage est également profondément imprégné de la philosophie d’Hegel, revue
par Alexandre Kojève qui a été le professeur de l’auteur, et comporte aussi dans un de ses
chapitres un petit résumé du Parménide de Platon. Mais la matière philosophique du
roman ne saurait en aucun cas être explicite ; elle se trouve au contraire mêlée à la matière
narrative sur un mode ludique, voire parodique, si l’on donne à ce terme son sens de mise
à distance critique. Dans ce roman enfin, phare incontournable dans l’évolution du roman
français, Queneau évoque la plupart des thèmes qui seront orchestrés dans l’œuvre à venir
: prédilection pour la banlieue parisienne, hantise de la guerre, mise en scène de gens
ordinaires d’un milieu populaire.

À la suite du Chiendent, Queneau publie les romans Gueule de pierre (1933), les
Derniers jours (1936), Odile (1937) et le « roman en vers » Chêne et Chien (1937) à la
dimension autobiographique codée (« chêne » et « chien » sont deux racines probables du
nom de Queneau). Usant d’un langage volontairement banal qui met à nu une dimension
quasi biologique, Queneau tisse une poésie du quotidien, évoquant des souvenirs
d’enfance et de jeunesse, rapportant l’expérience d’une psychanalyse et racontant une fête
de village. Parallèlement, depuis 1929, l’auteur travaille à la rédaction d’une encyclopédie
des « fous littéraires » qui, ne trouvant pas d’éditeur, donnera naissance à un nouveau
roman, les Enfants du limon, en 1938.

ÉCRITURE, PATAPHYSIQUE, CINÉMA ET CHANSON

Entré aux Éditions Gallimard en 1936, Queneau en devient le secrétaire général en


1941. Entre-temps, il a fait paraître Un rude hiver (1939). Viennent ensuite Pierrot mon ami
(1942), sorte de roman policier présentant un univers foisonnant de signes ambigus, Loin
de Rueil (1944) et surtout les fameux Exercices de style (1947), qui racontent quatre-vingt-
dix-neuf fois la même anecdote en recourant avec humour à des principes de narration, à
un vocabulaire ou à un ton à chaque fois différents. Dans les années qui suivent le Journal
intime (1950), publié sous le pseudonyme de Sally Mara, Queneau entre dans une nouvelle
période de recherches formelles, fondant notamment le non conformiste Club des
Savanturiers (avec Jean Queval et Boris Vian), adhérant au Collège de pataphysique et
travaillant à plusieurs adaptations cinématographiques (la Mort en ce jardin, 1956, de
Buñuel ; Monsieur Ripois, 1954, avec Gérard Philipe, réalisé par René Clément ; le
Dimanche de la vie, 1967, adapté de son propre roman et réalisé par Jean Herman). C’est à
cette époque également qu’il fréquente Saint-Germain-des-Prés aux côtés de Boris Vian et
qu’il compose des chansons (notamment la célèbre « Si tu t’imagines », interprétée par
Juliette Gréco). Apprécié par le public, Queneau est aussi reconnu par la critique et par ses
pairs, en étant élu en 1951 membre de l’Académie Goncourt. Le succès de Zazie dans le
métro (1959), roman adapté au cinéma par Louis Malle dès 1960, témoigne de l’audience
importante désormais acquise par Queneau.

QUENEAU L’ENCYCLOPÉDISTE ET QUENEAU L’OULIPIEN

Curieux de tout, véritable esprit encyclopédique, Queneau s’intéresse à toutes les


formes de savoir, et plus particulièrement aux mathématiques. Parallèlement à ses
activités d’écriture, il coordonne ainsi la conception d’une anthologie des écrivains
célèbres, publiée en 1951, puis assure la direction éditoriale de l’Encyclopédie de la Pléiade
à partir de 1956. Et surtout, ses explorations du langage et du nombre vont le conduire à
créer en 1960, avec François Le Lionnais, l’OUvroir de LIttérature POtentielle (OuLiPo),
qui réunira des écrivains et des mathématiciens (auxquels se joindront Georges Perec,
Jacques Roubaud et Italo Calvino). Atelier de recherche et d’expérimentation de nouvelles
« structures » littéraires, l’OuLiPo élabore de multiples contraintes formelles, considérées
comme autant de nouvelles voies pour la création littéraire. C’est le cas de la méthode « S
+ 7 », consistant à remplacer chaque mot d’un texte (à l’exception des mots-outils) par le
septième qui suit dans un dictionnaire donné. Ainsi Queneau transforme-t-il la fable de La
Fontaine, la Cigale et la Fourmi en un autre texte, la Cimaise et la Fraction, devenu
célèbre :
« La Cimaise ayant chaponné tout l’éternueur
Se tuba fort dépurative quand la bisaxée fut verdie
Pas un sexué pétrographique morio de mouffette ou de verrat.
Elle alla cocher frange
Chez la fraction sa volcanique
[…] »
Désormais considéré comme un écrivain important, menant de front de multiples
activités créatrices, Queneau poursuit son œuvre poétique avec Cent Mille Milliards de
poèmes (1961), recueil fondé sur un jeu de découpage qui permet une combinatoire infinie
entre les vers de chacun des poèmes, et son œuvre romanesque avec les Fleurs bleues
(1965), qui repose sur une structure onirique et utilise certains postulats de la
psychanalyse. Parmi les derniers ouvrages publiés de son vivant figurent un roman (le Vol
d’Icare, 1968) et des recueils de poésie (Courir les rues, 1967 ; Battre la campagne, 1968 ;
Fendre les flots, 1969).

Queneau : principales œuvres


ANNÉE TITRE GENRE
1933 Le Chiendent roman
1936 Les Derniers Jours roman
1937 Odile roman
1937 Chêne et Chien recueil de poèmes
1938 Les Enfants du limon roman
1939 Un rude hiver roman
1942 Pierrot mon ami roman
1943 Les Ziaux recueil de poèmes
1944 Loin de Rueil roman
récits-variations sur un même
1947 Exercices de style
thème
On est toujours trop bon avec les
1947 roman
femmes*
1948 L’Instant fatal recueil de poèmes
1950 Le Journal intime* roman
1950 Petite Cosmogonie portative poème
recueil d’articles et textes
1950 et 1965 Bâtons, chiffres et lettres
divers
1952 Le Dimanche de la vie roman
1952 Saint-Glinglin roman
1952 Si tu t’imagines recueil de poèmes
1959 Zazie dans le métro roman
recueil de poésie
1961 Cent Mille Milliards de poèmes
combinatoire
1965 Les Fleurs bleues roman
1967 Courir les rues recueil de poèmes
1968 Battre la campagne recueil de poèmes
1968 Le Vol d’Icare roman
1969 Fendre les flots recueil de poèmes
recueil d’articles et textes
1973 Le Voyage en Grèce
divers
1975 Morale élémentaire recueil de poèmes
posth. 1981 Contes et Propos recueil de textes de fiction
* Publié sous le pseudonyme de Sally Mara. La mystification sera dévoilée par
Queneau lui-même à l’occasion de la réédition, en 1962, en un volume, de On est
toujours trop bon avec les femmes et le Journal intime.

René Char :

Né à l'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), René Char y passe l’essentiel de son existence.


Sa poésie y trouve une large part de son enracinement. « J’avais 10 ans. La Sorgue
m’enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le sage cadran des eaux », écrit-il dans la
Parole en archipel (1962). Le jeune René est marqué par la mort de son père en 1918. Il fait
ses études au lycée d’Avignon et suit sans entrain les cours de l’école de commerce de
Marseille. En 1928, il publie son premier recueil, les Cloches sur le cœur, qui n’appartient
pas encore à sa manière future.

L’EXPÉRIENCE SURRÉALISTE

En 1929, il publie Arsenal et adresse un exemplaire du recueil à Paul Éluard, avec


qui il se lie bientôt d’amitié. Il rencontre André Breton, Pablo Picasso, René Crevel, Louis
Aragon et adhère au mouvement surréaliste. L’année suivante, il publie Ralentir travaux,
en collaboration avec André Breton et Paul Éluard. Artine, dont le prière d'insérer est
rédigé sous forme de petites annonces par les deux poètes, est publié la même année aux
Éditions Surréalistes. En 1934, le Marteau sans maître regroupe les textes écrits
précédemment, auxquels viennent s’ajouter l’Action de la justice est éteinte (1931) et les
Poèmes militants (1931-1932), deux recueils marqués par le mode d’écriture propre aux
surréalistes, ainsi qu’Abondance viendra. À partir de 1935, René Char s’éloigne du
mouvement surréaliste. Sa Lettre à Benjamin Perret, le 7 décembre 1935, signe la rupture.
Il continuera néanmoins à partager les positions antifascistes du mouvement et conservera
des relations privilégiées avec Paul Éluard, ainsi qu’une certaine fraternité avec André
Breton.

LA RÉSISTANCE

En 1936, Moulin premier annonce la naissance d’une nouvelle poétique entendue


comme « connaissance productive du Réel ». Mais l’existence du poète est traversée par
une sorte de crise qui dure jusqu’en 1938. Il tente de redresser l’entreprise familiale, la
Société anonyme des plâtrières de Vaucluse, dont il devient administrateur, mais
démissionne rapidement de son poste. S’ensuivent de longs mois de maladie et de
convalescence. Mobilisé en 1939 sur le front d'Alsace, René Char rejoint le Vaucluse après
la déroute de 1940. Dès l’année suivante, il entre dans la clandestinité et dans la résistance
armée, sous le pseudonyme de « capitaine Alexandre », et se distingue par son courage et
son sang-froid. Il adhère à l’Armée secrète du général Delestraint et participe à la section
atterrissage-parachutage du Vaucluse. Volontairement, il ne publie rien de 1940 à 1944.
Cependant, l’expérience du combat et de l’engagement marque son œuvre.

LE TEMPS DE LA MATURITÉ

Après la Libération, il renonce à toute carrière politique et fait paraître deux recueils
qui établissent définitivement sa renommée, Seuls demeurent (1945) et le Poème pulvérisé
(1947), bientôt réunis dans Fureur et Mystère (1948). Entre-temps paraissent les Feuillets
d'Hypnos (1946), un carnet d'aphorismes, de réflexions et d'extraits de lettres, fruit de son
engagement pendant la guerre. Ami d'Albert Camus, de Georges Braque, il publie alors
quelques-uns de ses plus beaux recueils : les Matinaux (1950), Recherche de la base et du
sommet (1955), la Parole en archipel, (1962), le Nu perdu (1971), Aromates chasseurs
(1976). En 1965, il s’engage encore en organisant une campagne de manifestations contre
l'implantation en Haute-Provence d'une base de lancement de fusées atomiques. En 1978,
il s'installe définitivement non loin de l'Isle-sur-la-Sorgue, dans sa maison des Busclats, où
il vit jusqu’à sa mort.

UNE ESTHÉTIQUE DU FRAGMENT ET DE L’INTENSITÉ

L'œuvre de René Char est souvent qualifiée d’hermétique. En effet, le poète ne


maintient qu’allusivement les éléments qui pourraient éclairer le poème en l’enracinant
dans une réalité vécue. Sa poésie sait néanmoins affirmer toute la sensualité de la réalité
sensible. On y retrouve les paysages, les végétaux et le bestiaire provençaux. Poésie du
mot plus que de la phrase, du geste plus que du mot, l'art de René Char est proche du
silence. Il n'est pas étonnant que la forme brève de l'aphorisme l'ait autant tenté. Sa parole
poétique, en effet, est indissociable du fragment. L’accès à un « Grand Réel » n’est possible
que par « un arrachement souverain qui ne s’attarde pas » (Michel Jarrety). La
concaténation des images aboutit à une esthétique de l'intensité : « L'éclair me dure » (la
Parole en archipel).

L’OUVERTURE SUR LES AUTRES ARTS

René Char a tenté des expériences dans les autres domaines artistiques. Les poèmes
dialogués de Trois coups sur les arbres (1967) relèvent du théâtre ou de l’argument de
ballet. En 1947, l’auteur tente de faire réaliser un film à partir de Soleil des eaux (1946). En
1952, Roger Planchon monte Claire, une pièce en dix tableaux, adaptée à la radio en 1955.
Le poète est sensible également à la peinture. La figure de Georges de La Tour traverse
l’œuvre entière. L’itinéraire de Van Gogh, auquel il a consacré Voisinages de Van Gogh
(1985), le fascine également. Il signe des textes de présentations d’expositions, rassemblés
dans Recherches de la base et du sommet (1955). Dans un mouvement inverse, de
nombreux peintres illustrent ses recueils, notamment Dalí, Kandinsky, Miró, Matisse,
Picasso, Giacometti, Nicolas de Staël, Braque. La Nuit talismatique, publié en 1972 dans la
collection « les Sentiers de la création » mêlant texte et illustrations, évoque les années
1955-1958 où il fait lui-même l’expérience du dessin, de la gravure et de la peinture sur
galets ou écorces de bouleau séchées. Pierre Boulez compose trois cantates sur trois de ses
recueils : le Soleil des eaux (1948), le Visage nuptial (1951) et le Marteau sans maître (1956).

Char, la Passante de Sceaux « La Passante de Sceaux », les Matinaux, de René Char.

Conclusion :

La poésie de 1935 à 1965 prône donc l'engagement. Engagement de l'homme tout


d'abord, le poète s'affirme en tant qu' « homme écrivant ». Il ne suit plus obligatoirement
un courant ou une école mais suit sa propre voie en n 'échappant pas au contexte socio-
historique alors en place. Il s'agit donc tout d'abord d'un engagement d'ordre personnel.
Cependant, il est clair, qu'au vu du contexte historique, l'engagement politique n'est pas
loin. Mais ce n'est pas une poésie qui s'engage pour ou contre quelqu'un ou quelque chose
mais bien une poésie qui s'attache à respecter et à défendre les biens les plus précieux de
l'humanité, à savoir : la liberté et la dignité.

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