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Cassien le Romain : pont entre l'Égypte et l'Occident [modifier]

Article détaillé : Jean Cassien.


Jean Cassien est un pont entre l'Orient et l'Occident. Il fut à la fois le disciple des moines du
désert d'Égypte (et particulièrement Évagre) et de saint Jean Chrysostome. C'est dans ses
écrits que nous trouvons l'un des plus anciens témoignage concernant la prière perpétuelle à
partir d'une phrase courte : il associe l'enseignement des Pères grecs à la pratique ascétique
des pères égyptiens. Opposé à Augustin sur la doctrine de la prédestination et de la liberté
humaine, sa place fut minorée dans l'Église catholique malgré l'influence décisive qu'il eut sur
des personnalité aussi importante que saint Dominique[4] et même Thomas d'Aquin. Au sein
de l'Église orthodoxe, c'est au contraire saint Jean Cassien et non Augustin, qui représente la
juste foi des Pères : le salut n'est possible que par la synergie de la volonté humaine et divine.
Jean Cassien est né au IVe siècle (vers 360/365) dans l'actuelle Roumanie. Lors d'un séjour au
désert de Scété en Égypte, il y devient le disciple de l'abbé Paphnuce. Il prend conscience de
l'insuffisance de l'enseignement qu'il avait reçu jusqu'alors dans les monastères. On lui avait
appris à renoncer au monde et quelque enseignement dans la lutte contre les passions, mais
non pas à s'élever jusqu'à l'union intime avec Dieu.
Cassien vécut la fin de sa vie à Marseille, en France. C'est de là qu'il va transmettre à
l'Occident l'enseignement pratique et ascétique qu'il reçut en Égypte.
Sur la liberté [modifier]
Cassien défendait l'existence d'une certaine forme de libre arbitre présent avant l'Incarnation :
l'image de Dieu en l'homme était obscurcie mais non pas détruite.
« On ne doit pas penser que Dieu ait créé l’homme de telle façon qu’il ne puisse
jamais accomplir, ni même vouloir le bien. Sinon il ne lui aurait pas concédé le libre
arbitre s’il ne lui avait donné que de pouvoir et vouloir le mal, mais non, de lui-même
le bien » (Coll., 13, 12).
Selon Cassien, la grâce ne détruit pas le libre arbitre, mais le soutient :
« Faisons une comparaison avec l’incomparable bonté de notre créateur, par un
exemple humain. Il ne s’agit pas d’y trouver une égale tendresse, mais quelque
ressemblance avec sa bienveillance. Une mère aimante et attentive garde longtemps
son petit enfant sur les genoux ; elle lui apprend enfin à marcher ; à la vérité, elle lui
permet d’abord de ramper. Puis, elle le met debout, le soutenant de la main droite pour
qu’il s’exerce à faire des pas successifs. Bientôt, elle le lâche un peu, le reprenant
aussitôt si elle le voit tituber. S’il vacille, elle le retient ; s’il tombe, elle le redresse, ou
l’empêche de s’affaler, ou encore le laisse doucement tomber pour le relever après sa
chute. Cependant, sa force s’affermit au cours de l’enfance, de l’adolescence, et de la
jeunesse. Elle lui fait alors porter des poids, s’exercer à des travaux qui ne le
fatigueront pas et lui permet de se mesurer à ses compagnons. Combien plus notre
Père céleste distingue-t-il celui qu’il doit porter dans sa grâce et celui qui, en sa
présence, s’exercera à la vertu par le choix de sa libre volonté ; tout en secourant celui
qui peine, en exerçant celui qui l’invoque, il n’abandonne pas celui qui le cherche, et
parfois le retire du danger, même à son insu » (Coll., 13, 14).
Fidèle à l'enseignement de saint Jean Chrysostome, Jean Cassien défend la nécessité d'une
synergie entre la volonté de l'homme et de Dieu :
« Dès que Dieu a perçu en nous le moindre germe de bon vouloir, il verse en lui sa
lumière, l’affermit, nous attirant au salut, faisant grandir cette semence, soit qu’il l’ait
semée lui-même, soit qu’il l’ait vu pousser par notre effort » (Coll., 13, 8).
Thérapeutique des passions [modifier]
Cassien rapporte l'enseignement des Pères égyptiens dans la lutte contre les passions. Ils ne
s'agit pas simplement de les condamner. Les passions sont des maladies de l'âme. La guérison
nécessite leur connaissance et leur étude, afin d'en acquérir une science médicale. Semblables
aux plus habiles médecins, les pères spirituels ne doivent pas se contenter "de soigner les
maladies déclarées, ils vont au devant de celles qui menacent, et savent les prévenir par leurs
conseils et leurs remèdes." [5].
Il faut pour cela expliquer "les différentes sortes de maladies", "leur origine et leurs causes",
sans quoi "il sera impossible de donner des remèdes aux malades et de conserver la santé de
ceux qui se portent bien"[6]. Les autres sont alors non la cause, mais les révélateurs de nos
maladies, et en tant que tels sont une aide bénéfiques. "La conduite du prochain ne nous
porterait jamais au péché, si nous n’avions dans notre cœur le principe de toutes les fautes."[7]
Cassien reprend la classifications en huit mauvaises pensées fondamentales, engendrant toutes
les autres pensées. Ces huit pensées (ou vices) peuvent être réparties selon les facultés de
l'âme. Celles qui concernent le concupiscible, l'irascible et l'esprit.
« Les orgies et l’ivrognerie viennent de la gourmandise ; les grossièretés, les bouffonneries,
les moqueries et les sottises, naissent de la luxure ; l’avarice engendre le mensonge, la
tromperie, le vol, les faux témoignages, la recherche de gains malhonnêtes, les violences, la
dureté, la cupidité ; la colère suscite homicides, clameurs, indignations ; la tristesse enfante la
rancune, l’amertume, la pusillanimité, le désespoir ; l’acédie fait naître l’oisiveté, la
somnolence, l’importunité, l’agitation inutile, le vagabondage, l’inconstance, corporelle ou
spirituelle, le bavardage, la curiosité ; la vaine gloire est la mère des querelles, des sectes, de
l’arrogance, du parti pris pour les nouveautés ; quant à l’orgueil, il produit le mépris, l’envie,
l’insoumission, les blasphèmes, les critiques, le dénigrement.[8] »
1) L'esprit de gourmandise
Le combat spirituel commence donc pas le jeûne modéré, en s'efforçant de convertir son
esprit vers des sujets lui faisant oublier les biens terrestres :
« Nous ne pourrons jamais repousser les tentations de la gourmandise, si notre âme ne
trouve pas, en s’appliquant à la contemplation divine, une joie plus grande dans
l’amour des vertus et dans la beauté des choses célestes. Celui qui méprise comme
périssables les choses présentes et qui regarde sans cesse celles qui sont immuables et
éternelles, pourra déjà goûter en lui-même, quoiqu’il soit encore dans une terre fragile,
le bonheur qui l’attend au ciel » [9].
Ce jeûne est autant corporel que psychique (colère, médisance, envie, etc.).
2) L'esprit de luxure
Il ne s'agit pas seulement de l'acte, mais de l'attitude, de la manière dont nous regardons les
femmes, selon la Parole du Christ lui-même : « Celui qui regarde une femme avec un mauvais
désir, a déjà commis l’adultère dans son cœur. » (Mt 5, 2). Il s'agit donc de "garder son cœur".
3) L'esprit d'avarice
Au contraire des autres passions, qui appartiennent en partie à notre nature, celle-ci n'est pas
naturelle. Elle commence par de petits soucis.
4) L'esprit de colère
Il nous est permis une seule colère : celle que nous dirigeons contres les mauvaises pensées.
Un danger consiste à vouloir échapper à la colère dans la solitude. Nous attribuons alors la
faute de notre colère à nos frères plutôt qu'à notre impatience. Pour éviter la colère, nous ne
devons pas exiger ni chercher la perfection de notre prochain, mais la nôtre ; ce n'est pas la
patience des autres qu'il nous faut développer mais notre propre douceur. Il ne faut pas croire
qu'il existe des colères justes envers le prochain, car alors nous prenons le risque de
l'aveuglement : « Il faut que l’athlète du Christ qui veut bien combattre, déracine en lui la
colère. Le remède le plus parfait pour guérir cette maladie, est de croire d’abord qu’il ne nous
est jamais permis de nous irriter pour des causes justes ou injustes ; car nous devons savoir
que nous perdrons la lumière de la discrétion, la sûreté du conseil, l’honnêteté même et le
sentiment de la justice, dès que cette passion aveuglera notre cœur. Elle troublera bientôt la
pureté de notre âme qui ne pourra plus être le temple du Saint-Esprit. Il ne nous sera plus
permis de prier, et Dieu ne nous écoutera pas, tant que nous serons en colère »[10].
5) L'esprit de tristesse
La tristesse peut avoir une cause connue : "un mouvement de colère, que nous avons eu, un
désir trompé, un profit perdu, le regret de n’avoir pas obtenu ce que nous avions espéré"[11] ;
mais aussi aucune cause apparente : "Quelquefois, sans aucune cause apparente qui puisse
nous faire tomber dans cet état fâcheux, la malice du démon nous jette tout à coup dans un tel
abattement, que nous ne pouvons plus recevoir avec notre joie ordinaire les personnes que
nous aimons le mieux"[12]. C'est une illusion de croire que fuir les relations nous rendra notre
bonheur : ce n'est pas par la fuite des hommes, mais par la patience que s'acquiert la
perfection du cœur. La patience, une fois acquise, nous fait conserver la paix même au milieu
de ceux qui n'en ont aucune. Tandis que si l'on fuit, nous ne l'acquerrons jamais, nous serons
capable de nous mettre en colère même envers des gens meilleurs que nous. Par ailleurs, "les
occasions de trouble qui nous feraient fuir les hommes, ne nous manqueront jamais dans nos
rapports avec eux ; mais en nous en séparant, nous n’éviterons pas les causes de notre
tristesse ; nous en changerons seulement" [13].
Il existe cependant une bonne tristesse, celle qui accompagne le deuil de la beauté et du bien
perdu lors de notre chute. Cette douleur s'accompagne toujours de douceur et de bonté.
6) L'esprit d'acédie
C'est "l'ennui, l'engourdissement du cœur"[14]. Elle est une forme de dégoût, de paresse.
Dégoût pour le travail, pour sa demeure (lassitude), envers ses frères... Le moine pris d'acédie
se plaint de ne pas arriver à travailler, mais reporte la faute sur son environnement. Souvent,
le moins pris d'acédie ressent une continuelle fatigue et un fort besoin de manger. Il ne pense
plus qu'à manger. Il est incapable de demeurer sur une même tâche.
Le travail manuel est le des meilleurs remèdes contre l'acédie.
« Saint Paul, ce grand médecin des âmes, connaissait dès l’origine cette contagion de
l’acédie qui pouvait les atteindre, et l’Esprit Saint lui révéla sans doute qu’elle ferait
des ravages parmi les moines. Aussi se hâte-t-il de la combattre par les conseils les
plus salutaires. En écrivant aux Thessaloniciens, il commence comme un habile
médecin, à traiter doucement ses malades et à les encourager par de bonnes paroles. Il
les loue d’abord de leur charité, afin de calmer ainsi l’inflammation du mal et de
pouvoir leur appliquer des remèdes plus énergiques, lorsque l’irritation de l’amour-
propre ne sera plus à craindre. Il cherche à guérir par ses conseils salutaires ses enfants
malades, en leur disant : “Nous avertissons ceux qui vivent (dans l’oisiveté) et nous les
conjurons, par Notre Seigneur Jésus-Christ, de manger leur pain, en travaillant
paisiblement” (2 Th 3, 12). Par ce précepte du travail, cet admirable médecin des âmes
guérit toutes les plaies que cause l’acédie ; il sait bien que toutes les autres maladies
qui naissent sur cette tige maudite, disparaîtront dès que leur racine sera détruite »[15].
Les moines d'Égypte ne restaient jamais oisifs, mais s'occupaient de gagner par eux-mêmes
leur nourriture. Ils travaillent même plus qu'ils n'en ont besoin pour leur propre survie, et font
don du surplus aux régions atteintes de la famine ou aux prisonniers.
7) L'esprit de vaine gloire
Ce vice est un des plus difficile à vaincre, car il s'attache aussi bien aux vertus. Par ailleurs,
les occasions de l'éveiller ne manquent pas. Elle s'arme de l'imagination. L'envie y est attaché,
car il s'agit d'être en concurrence avec son prochain. Pour lutter contre la vaine gloire, il faut
éviter tout ce qui, dans nos rapports avec nos frères, pourrait nous faire remarquer.
8) L'esprit d'orgueil
Contre l'orgueil, qui s'attache aux vertus, il n'est que la crainte de Dieu, la douceur et la
simplicité.
La prière continuelle [modifier]
On trouve chez saint Jean Cassien l'un des premières formulations de ce qu'on appellera la
prière monologique. Cette prière consiste à répéter continuellement une formule courte. Cette
formule, répétée tout le long du jour, permet de garder continuellement le souvenir de Dieu au
milieu de toutes nos occupations. Si elle semble inconnue de saint Jean Cassien, la tradition
hésychaste privilégiera par la suite comme prière la répétition de la prière dite "de Jésus" :
"Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, fais-nous miséricorde."
« Tout moine qui vise au souvenir continuel de Dieu doit s’accoutumer à murmurer
intérieurement et à repasser sans cesse dans son cœur la formule que je vais vous livrer, et
chasser pour cela la multitude des autres pensées, car il ne pourra s’y tenir que s’il s’affranchit
de tous les soucis et sollicitudes du corps. C’est là une doctrine à laquelle nous avons été
initiés par les rares survivants des plus anciens Pères, et que nous ne livrons de même qu’à de
rares privilégiés, qui aient vraiment soif de la connaître. »
« Pour conserver continuellement le souvenir de Dieu, vous devez donc sans cesse garder
présente dans votre esprit cette sainte formule : Mon Dieu, viens à mon aide ; Seigneur : hâte-
toi de me secourir (Psaume 69, 2). Ce n’est pas sans raison que ce verset a été choisi parmi
toute l’Écriture Sainte. Il exprime tous les sentiments que peut concevoir la nature humaine, il
convient parfaitement à tous les états et à toutes les tentations. On y trouve l’invocation de
Dieu contre tous les dangers, l’humilité d’une humble et pieuse confession, la vigilance qui
procède d’une attention et d’une crainte continuelles, la considération de notre fragilité, la
confiance d’être exaucé, l’assurance d’un secours toujours présent et prêt à intervenir. Car
celui qui invoque sans cesse son Protecteur est assuré de l’avoir toujours présent.[16] »
La prière pure [modifier]
La prière pure est l'activité spirituelle, du mens (l'esprit), et non de l'anima (l'âme psychique,
le siège des sentiment). L'homme qui a atteint la prière pure n'a plus conscience de prier.
Cassien rapporte cette parole de saint Antoine le Grand : "Il n'a pas atteint la perfection de la
prière, celui qui a conscience qu'il prie."[17] La prière pure exclut tout concept autant que toute
image.
"Non seulement cette prière n’est habitée par aucune image, mais encore elle se fait
sans le moyens des paroles ou des expressions ; elle s’élance toute de feu, dans une
continuelle vivacité de l’esprit, une tension de l’âme avec un indicible transport.
Emportée en dehors des sens, et de toute chose visible, elle s’écoule vers Dieu par des
soupirs et d’ineffables gémissements"[18]
"Tel doit être le but du solitaire ; c’est à quoi doit tendre tout son effort : mériter de
posséder dès cette vie, une image de la future béatitude, et d’avoir comme un avant-
goût, dans son corps mortel, de la vie et de la gloire du ciel. Tel est, dis-je, le terme de
toute la perfection : que l’âme soit à ce point délestée des pesanteurs charnelles,
qu’elle monte chaque jour vers les sublimes réalités spirituelles, jusqu’à ce que toute
sa vie, tout le mouvement du cœur deviennent une prière unique et ininterrompue »[19

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