v
PARTOUT ET NULLE PART?
1. La PHILOSOPHIE ET LE < DEHORS >.
uo ouvrage collestif sur es philovophes
reprise peut paraitre innocente.
t pas sans scrupules ; elle met en cause Mi
ire de V'histoire de la philosophie, et méme
sure le déve-
probléme, Nous ne pouvons donc pas avoir
Philosophi
PARTOUT ET NULLE PART 155
vérité, et la philosophic risque de n’étre plus, dans notre
ouvrage, qu'un catalogue de < points de vue > ou de
« théo: intellectuels laissera au
e vaine, ot chacun donne
ms 4 leur début et
» tans que, d’un univers
ttre, une comparaison soit possible. Les mémes
erté, savoir — n’ayant pas ici et la le
méme sens, et faute d'un unique témoin qui les réduise au
méme dénominateur, comment verrions-nous croitre & tra:
vers les philosophes une seule philosophie ?
Pour avoir égard 4 ce qu'ils ont cherché et pour parler
eux dignement, ne faudraitil par au contrac preedee
leurs doctrines comme les mo seule doctrine en
marche, et lea sauver,
méandres du Parménide
cours des Méditations pouvaient étre sans perte réd
un paragraphe du Systeme.
En réalité, le Systéme
commence en Ie foyer oi se concentrent Tes
rayons de bien miroirs: il tomberait au degré zérosicnes
ile cessaient un seul moment de darder vers lui leurs
mnscroissance du passé
dit-il, est toute au présent
cartes, Kant ne sont pas
va, réeerve faite de ce qt
sont pas révolus par les
hégéliemne; ils restent
‘est que la mémoire de tout
Hegel referme son systéme
jes passées continuent d’y
enfermé avee elles Pinquiétude,
il de la contingence. Dire que le
ee qui a précédé, c'est aussi dire
cette vie, prononga ces paroles,
bloc inentamable, borne 4
nisme, « philosophie bi
change
raison, és que nulle fr
va Deseartes et of commencent
ventaire d'une langue. Sous cette réserve, ce
ventaire ; réserve, ce qi te,
crest bien Ja vie pe quien appelle Descartes et dont
ses cenvres sont Ie sillage heurensement conservé. Ce qui
fait que Descartes est précent, c'est que, environné de eir-
1. M. Gueroult.
ee
PARTOUT ET NULLE PART 161
constanees_aujourd’hui abolies, hanté des soucis et de
‘quelques illusions de eon temps, il a répondu 2 ces hasards
1i nous apprend a répondre anx nétres,
bien qu’ils soient différents, et notre réponse différente aussi.
‘On n’entre pas au Panthéon des philosophes pour s’étre
appliqué woir que des pensées éternelles, et Paccent
é jamais ci longtemps que quand V'autear
interpelle Les philosophies du passé ne survivent
pas dans leur esprit seulement, comme moments d’un sys-
téme final. Leur accés 4 Vintemporel n’est pas I’ ee
‘au musée, Elles durent aveo leurs vérités et leurs folies,
comme entreprises totales, on elles ne durent pas du tout.
Hegel luiméme, cette téte qui a voulu contenir IEtre, vit
anjourd’hui et nous donne & penser non seulement par ses
profondeurs, mais aussi par ses manies et ses tics. I n'y 2
pas une philosophie qui contienne toutes les philosophies;
la philosophie tout entiére est, 4 certains moments, en
chacune. Pour reprendre le mot fameux, son centre est
partout et ea circonférence nulle part.
‘Done la vérité, le tout, sont Id dés le début, — mais
comme tache & accomplir, et ils ne cont done pas encore
Th. Ce rapport singulier de Ia philocophie avec son passé
éclaire en général sce rapports avec le dehors et, par
exemple, avec histoire personnelle et sociale.
Comme des doctrines passées, elle vit de tout ce qui
advient au philosophe et & aon temps, mais elle le décentre
ou elle le transporte dans Vordre des symboles et de Ia
vérité proférée, de sorte qu’il n'y a pas plus de sens & juger
de Poeuvre par la vie que de Ia vie par Pecuvre.
‘Nous n’avons
histoire de l'indivi
des constructions symboliques du philosophe, et ceux qui
science philosophique a par
principe les clefo de sociale et personnelle. Lal-
ternative est imaginal Ja preuve en est que ceux qui
défendent I'une de ces théses ont eubrepticement recours
& Pautre.
‘On ne peut penser a remplacer étude interne des philo-
sophies par une explication socio-historique qu’en se réfé-
rant & une histoire dont on croit connaitre avec évidence le162 SIGNES
‘sens et le cours. On suppose, par exemple, une certaine idée
de < Thomme total » on un équilibre < naturel > de
Thomme avec l'homme et de Vhomme avec Ja nature. Alors,
ce «fcc historique étant donné, toute philosophic peut
&tre présentée comme diversion, aliénation, ¥é
Végard de cet avenir nécessaire, ou, au contrai
étape et progres vers lui, Mais d’oit vient et que vaut
directrice 7 “La question ne doit pas étre posée: la
poser, c'est déja « résister > & une dialectique qui est dans
Jes choses, c'est prendre parti contre elle. — Mais com-
elle y est ? Par philosophic. Simple-
ée en Processus.
oppose & l'étude interne des philosophi
Vexplication socio-historique, c'est toujours une
‘autre philosophic, cachée en elle.
‘On montre que Hegel a congu
fait, parce qu'il avait sous les yeux
it selon elle. Cette « explication » ne
it son compte & Valiénation hégélienne et n’en ferait
ide du capitalisme que si 'on pouvait montrer une
i Thomme s‘objective sans s'aliéner. Une telle
é n’était pour Marx qu'une idée, et, méme pour nous,
Je moins qu’on puisse dire est quielle ‘n'est pas un fait,
Ce quion oppose & Hegel, ce n'est pas un fait, c'est une
idée du rapport de "homme et du tout soci is Ie nom
explication objective, c'est toujours une pensée qui con-
teste une autre pensée et la dénonce comme illusion. Si l'on
répond quo T'idée marxiste, comme hypothése i
éclaire V'histoire du capitalise avant et api
passe sur le terrain des faits ot de la probabilité historique.
dra, sur ce terrain, ¢ essayer > de la méme
hégélienne de’ Valiénation, et voir, par
exemple, n’aide pas & comprendre ets
fondées sur V'idée marxiste. On exclut pr
enquéte quand on déclare
Hegel vivai
in des faits et « Pex
PARTOUT ET NULLE PART 163
philosophies qu’a de devenir philosophie elle-
méme, et philosophie implicite.
De ‘leur été, Jes philosophes les plus férus d'inté-
rlorité manquent étrangement 4 leurs principes quand ile
convoyuent a leur tribunal les cultures, les régimes, et les
jugeat de Mextérieur, comme si Vintériorité cessait d’étre
importante quand ce nest pas la leur.
‘Ainsi les partisans de la philosophie < pure » ot ceux
do Vexplication socio-économirpie échangent sous nos yeux
leurs roles et mous n’avons pas a entrer dans leur perpé-
tuel débat, nous n’avons pas 4 prendre parti entre une
fausse conception de < Vintérieur » et une fausse concep-
tion de « Fextérieur 3. La philosophic est partout, méme
dans les « faite > — et elle n'a nulle part de domaine
ot elle soit préservée de la contagion de la vie.
‘Nous avons beaucoup 4 faire pour éliminer les mythes
jumeaux de la philosophie pure et de histoire pure et
pour retrouver leurs rapporte effectifs. Tl nous faudrait
abord une théorie du concept ou de la significa i
prenne V'idée philosophique comme elle est
tée des imports historiques, et jamais réduc
origines. Comme les nouvelles formes de la gram
de la syntaxe, nées des débris d'un ancien systéme
tique ou des hasards de Vhistoire générale, 6%
Pourtant suivant une intention expressive qui
un nouveau systéme, V'idée philovophique, née dans Je flux
et le reflux de Phistoire personnelle et social
ment ct un instrament. Comme diserininant dans un nou-
veau type de ponsée ct dans un nouveau symbolisme, elle
se constitue un champ d'application
mune mesure avec ses origines etn
que du dedans. Lorigine n'est pas un piché et pas davan-
ite, et c'est ensemble dans sa maturité qui
, selon les vues et les prises qu'il nous donne
at qu’a « expliquer » une philoso-
ique sert a montrer Vexcts de sa
tances, ct comment, fait histo-
juation de départ en moyen de
comprendre d'autres.
rique,
Ja comprendre el164 SIGNES
qui n'est p:
peychologiques ou sociaux,
tantét s’en écarte, ou plu
méme dimension.
ces entités négatives ne peuvent servir & penser une société
ow un homme existants. I faudrait surtout comprendre le
dans lequel sont tant bien que mal installés, s'il
paralyse ou vivre, et cela & tous égards, compte
tenu, en psychanalyse, da métier et du travail aussi bien
que de la vie sexuelle, et, en ce qui concerne le m:
des rapports vécus aussi bien que des variables de
économique, de la qualité humaine des rapports
bien que de la production, des réles sociaux land
aussi bien que des régulations officielles. Des comparai-
cons de ce genre, si elles peuvent fonder une
tun choix, ne donnent pas une série génétique
e rapport d'une formation historique & une aut
ions, le type d’équilibre
ire, d’une immi-
homme est récon-
. est bien Th
de force dans histoire qui
Lhistoire humaine
de maniére 4 marquer un jour, ct sur tous ses eadrans 4
Ja fois, Ie plein midi de Videntité, Le progrés de Phistoire
PARTOUT ET NULLE PART 165,
socio-économique, et jusqu’a ses révolutions, ne sont pas
tant un passage & la société homogéne ou sans classes que
la recherche,
et ne se curmonte jamais dane la négation pure
— et le concept philosophique qui ne rompt
Jiens avec le monde, les rapports sont aussi étroita qu’on
voudra, non qu'un méme sens sane équivoque habite le
rationnel et le réel, comme Hegel et Marx, de différentes
es, le pensaient, mais parce que le « réel > et le
« rationnel » sont découpés dans la méme étoffe, qui ost
istence historique des hommes, et que par elle le réel
— h an
re
Meme & considérer un seul
difiérences intérieures et c'est
travers ces discordances
quill faut retrouver son sens « total >. Le Descartes absolu
i qui a vécu et écrit une fois pour
si j'ai peine & retrouver son
En voila assez, non certes pour définir In philosophie,166 SICNES
mais pour absoudre un ouvrage tel que celui-ci, le mélange
loeophie, de Mhistoire et de anecdote, Ce désordre
fe de Ia philosophie; elle trouve le moyen d'y faire
par digression et retour au centre, Crest le
{16 d'un paysage on d'un discours, oit tout est
Hig indirectement par secréte ré ‘4 un centre d'in-
térét on de perspective
Comme PE
taposition ou d’acctimt
phies sont autant de lang:
augmente & peine celle des phil
‘on demande 4 chacun, comme nous
compte rendu « objectif », sa
réaction devant un philosophe, peut-étre, & co comble de
subjectivité, retrouve-t-on une sorte de convergence, et une
parenté entre les questions que chacun de ces contempo-
rains pose 4 son philosophe célébre, téte & téte.
Ces problémes ne sont pas
ne faut pas qu’ils le soient.
par différence ou écart faut que
nous retrouvions la difficulté de la penser 4 chaque moment
de ce livre. Quand nous i
par rapport & la pensée d
les doctrines qui se traduisent
ou bien ci Yon peut l’étendre
A des tagesses, 4 des disciplines
pa jusqu’a ce degré ou ce genre de conscience, et c'est
sbléme du concept philosophique et de sa nature quo
PARTOUT ET NULLE PART 167
‘nous retrouverons. Chaque fois que nous nous risquerons
& tracer des lignes de développement que les philosophes
eux-mémes n'ont assur
autour de thémes qui n’étaient pas expressément les leurs
— en un mot, avec chaque partie de cet ouvrage, —
nous demander jusqu’oi va notre
de placer les philosophies passées dans un
Je nétre, si nous pouvons 1
a retrouver Tunité indirecte, et Ie lecteur verra revenir
Yimterrogation que nous venons de formuler on commen-
gant: car elle n'est pas préface & la philosophie, elle est
Ja philosophie méme.
TL LOnenr er 1a pmosorme,
sophie >? Estil poseible de
TOceident a appelé de ce nor
prise comme Vhorizon d'une s
ni comme conquéte et possess
Crest plutét un trésor épars dans
tonte philosophi
ne se sent pas chargée de pousser plus
anciennes, ni méme d'opter entre elles,
de les dépasser vraiment en formant une nouvelle idée
ny est pas com-
je de recherches,
Hectuelle de tre.
pas qu'il y ait Ta de P
un monde magique oft rien n’est
mortes persistent, et of celles qu'on cro}
se mélangent.168 STONES
Cortes, il faut ici faire Ia part de notre ignorance : si nous
voyions la pensée occidentale ausei cavaliérement et d’aussi
mn, d'une trahison hypocrite, d'un
qui ne se dirige pas. Pourtant,
Jrient persiste ches des connais-
it de "Inde: « Nous avons
ans unité aucune, oi rien
ie fagon tout & fait neuve,
dépassé > non plus ne
jungle inextricable de
doctrines, > Un auteur
changement involonta:
ce sentiment & Pégard d
seurs. M. Masson-Oursel
trouve un raigonnement et des arguments iques.
Mais, comparés aux écrits philosophiques oe TOceident,
ils ne sont pas encore assez arti
es philosophes chinois avaient
sous forme d’aphorismes, d’apophtegmes ou
est sans limites... Les bréves sentences des Entretiens de
simplement des conelus
dues... On peut réunir toutes les idées contenues dans le
le meilleur ? Un moine de
1. Fong Yeou-Lan : Préci
ene re de la philosophie chinotee,
Pp.
PARTOUT ET NULLE PART 169
Pécole houddhiste Tch’an ou Zen d'une période postérieure
dit un jour: < Tout le monde dit que Kouo-Siang a écrit
sur le Tchouang-Tseu; moi, je voudrai
‘chonang-Tseu qui a écrit un commentaire
sur KouoSiang, »
Certes, pendant les vingt derniers siécles de la philoso-
phic occidentale, les thémes chrétiens demeurent. Et peut
tre, encore une fois, fautil, comme on 'a dit’, étre dans
une civilisation pour percevoir, sous V'apparence de la stax
gnation, le mouvement et l'histoire. Pourtant il est difficile
de mettre en comparaison la durée du christianisme en
Oceident et celle du Confucianisme en Chine. Le christia-
nisme qui persiste parmi nous n’est pas une philosophies
c'est le récit et la méditation d'une expérience, dun
ensemble d’événements énigmatiques qui, d’euxmémes,
appelaient plusieurs élaborations philosophiques et n'ont
‘susciter des philosophies, méme quand
un privilége était reconnu 4 Pune d’elles. Les themes chré
tiens sont des ferments, non des reliques. Avons-nous rien
de comparable au pullulement des apocryphes dans 1a tra-
dition confucéenne, a Y'amalgame des themes dans Je néo-
taoisme du mt sié ie é is
entreprises folles de recensement inti
Tiation auxquelles des générations de lettrés chinois se sont
vouées, & cette orthodoxie philosophique qui durera depuis
‘Tchou-Hi (1130-1200) jusqu’a 1a suppression des examens
i Yon entre dans le contenn des doctrines
ae tr" philosophie
exprime de homme avec le monde — aucune doctrine
occidentale a-t-elle jamais enseigné une concordance aussi
rigoureuse du microcosme et du macrocosme, fixé pour
chaque chose et chaque homme, sans méme I’échappatoire
du mépris stoicien, une place et un nom qui sont les leurs,
défini Ia ¢ correction > comme vertu cardinale? On a le
sentiment que les philosophes chinois n’entendent pas
comme ceux dt mnt Vidée méme de comprendre ou de
connaitre, qu'il ne se proposent pas la genése intellectuelle
1. G, hive Senacss.170 SIGNES
de Vobjet, quiils ne cherchent pas a le saisir, mais seule-
ment 4 lévoquer dans sa perfection primordiale; et c'est
i ils suggérent, c'est pourquoi on ne peut
chez eux le comme et ce qui est commenti
loppant et Venveloppé, le signifiant ct le signifié; c'est
pourquoi, chez eux, le concept est tout autant allusion a
Paphorisme que Paphorisme allusion au concept.
Si cela est vrai, comment, dans cette ontologie et dans
ce temps inarticulés, découvrir un profil, un devenir, une
histoire ? Comment cerner apport de chaque philosophe,
quand ils gravitent tous autour du méme monde immé&
morial qu’ils ne cherchent pas & penser, mais seulement &
rendre présent ? Le rapport du philosophe chinois avee le
monde est une fascination et l'on ne peut y entri
ou bien on s'initie — par le moyen de Thi
coutumes, de le civilisation — et la philosophie chinoise
devient alors une des euperstructures, sans vérité interne,
de ce prodige historique. Ou bien il faut renoncer & com
prendre. Comme tout ce que Thomme fabrique ow institue,
Vinde et la Chine ont wi
les ne mous Te donnent pas
ne sont pas en pleine pos:
session de ce qu’elles disent. Il leur manque, pour avoir
des philosophies, de chercher a se saisir elles-mémes et tout
Te resten
Ces remarques, aujourd'hui banales, ne tranchent pour-
tant pas Ia question, Elles nous viennent de Hegel. C'est
Ini qui a inventé de « dépasser » Orient en le ¢ compre-
nant 2; c'est Tui qui a opposé & VOrient T'idée occidentale
de la vérité, celle du concept comme reprise totale du
monde dans sa variété, ot a défini l’Orient comme un échee
dans Ia méme entreprise. Tl vaut Ia peine de rappeler les
termes de Ia condamnation avant de décider si nous pou-
vons la prendre & notre compte.
La pensée de V'Orient est bien, pour Hegel, philosophic,
en ce sens que 'esprit y apprend & se dégager de l'appa-
rence et de la vanité. Mais, comme beaucoup d'autres
bizarreries du monde humain, comme les Pyramides, elle
PARTOUT ET NULLE PART im
‘estsicdire que le philosophe
y lit Pannonce de Pes est pas dana con état
de conscience ou de pureté. Car Mesprit n'est pas encore
esprit tant qu'il est séparé, posé au-dessus des apparences :
cette pensée abstraite a pour contrepartie le foisonnement
yparences non dominées. D'un cété donc, on a une
intuition « qui ne voit rien >, une pensée « qui ne pense
rien >, T'Un incorporel, la substance éternelle, calme,
immense, un recueillement incomparable, le nom mystique
jew, la syllabe om, indéfiniment murmuré — c'est--
onecience et Je vide. Et, d’autre part, une masse
absurdes, des cérémonies saugrenues, des inven
is, des énumé démesurées, une technique
‘ion et des sens dont on attend
rte quoi, la di mn. des pensées d’autrui, la force
sphant, Je courage du lion et Ja vitesse du vent. Chez
irs — comme cher les cyniques de la Gréce et chez
Jes moines mendiants du christianisme — on trouve une
« profonde abstraction des rapports ex ais el
provocante, voyante, pittoresque. Nulle part il n'y a
ion, ou passage du dedans vers Ie dehors ct retour
en soi du dehors. Linde ignore « Je rayonnement de la
ce pressentiment de
n'est que philosophie en
elle distingue la barbaric
ibérément de Tune & V’autre,
de Ia culture et progresse di
mais « une cultnre q
son principe > et qui ne se développe pas au-de mn
autre niveau que Inde, elle maintient le téte-d-téte immé-
diat et paralysant de V'intérieur et de lextérieur, de Puni-
versel ot d'une sagesse prosaique, et on Ia voit chercher le
secret du monde dans une écaille de tortue, pratiquer un
droit formaliste et sans critique morale. « Il ne viendra
jamais 4 Tesprit d'un Européen de placer si prés de Pahs-
traction les choses sensibles?. » La pensée glisse sans profit,
de Tabstraction au sensible, et pendant ce temps ne devient
pas, ne mirit pas.
fre de ta Philosophie.
1. Hon =
2d.sted SIGNES
Ne disons pas méme, ajoute Hegel, que la pensée orien-
tale est religion; elle est aussi étrangere a Ja religion dans
notre sens qu’ la philosophie, et pour les mémes raisons.
La religis ident sup
« subj
Je monde. L’Occident a appris que
pour esprit de se saisir et de sortir de soi, de se faire
et de ce nier. La pensée orientale ne soupgonne pas méme
i réalise; elle est hore des prises de mos
catégorics, ni théisme, ni athéisme, ni religion, ni
sophie. Brahma, Vichnou, Civa ne sont pas idus,
ni le chiffre ct Yembléme de situations humaines fonda.
mentales, et ce que inde raconte d’eux n’a pas la puis-
sance de signification inépuisable des mythes grees ou des
Paraboles chi . Ce sont presque des entités ou des
thinois se flattent aa
‘est_pas plus
gieuse, faute de connaitre le trav: ‘esprit au contact,
du monde immédiat. La pensée de TOrient est done ori-
ginale se livre @ nous que
formes terminales de notre culture.
ri de dane le ségion adele oe ayn oe
ion et pas encore philosophic; elle est
de Vesprit immédiat que nous avons su éviter. Ce
que Hegel la dépasse en I'incorporant, comme pensée aber-
au vrai devenir de lesprit.
sont partout : quand on définit l'Ocei-
dent par Tinvention de la science ou par celle du capi-
talieme, est toujours de lui quion s'inspire; car le eapi-
talisme’ ot Ia science ne peuvent définit une civilisation
que quand on les comprend comme <« ascise dans le
monde » ou ¢ travail du négatif », et Je reproche qu’on
fait & POrient est toujours de les av
Le problime est done en plei
qui le
dignité philosophique qu’en la t i
tion du concept, Notre idée du savoir est
taine approxi
PARTOUT ET NULLE PART 173
si exigeante qu'elle met tout autre type de pensée dans
Falternative de se soumettre comme premiére esquisse du
concept, ou de se disqualifier comme irrationnelle. Or ce
universel concret dont I’Orient s'est
question est de savoir si nous pouvons,
‘comme Hegel, y prétendre. Si nous me V'avons pas offec-
tivement, c'est toute notre évaluation des autres cultures
qu'il faut revoir.
1c ropsend Je chemin de Hege
garde son privilége 4 la philosophie occidentale,
pas en vertu d'un droit qu’elle aurait, et comme
possédait dans une évidence absolue les principes
te toute culture possible — c'est au nom d'un fait, et pour
igner une tiche. Huscerl a admis que toute pensée
tie d'un ensemble historique ou d'un ¢ monde
; en principe done, elles sont toutes des < spécimens
anthropologiques >, et aucune n’a de droits particuliers.
Tl admet aussi que lites primitives jouent un
xéle important dans Vexploration du « monde véeu >, en
nous offrant des ions de ce monde sans lesquelles
nous resterions englués dans nos préjugés et ne verrions
vérité qui
Talturce et done i ifs néoupérer comme moments Tune
vérité totale. En fait, il y a eu ce retournement miraculeux
ique sur elleméme, par lequel la
rité et de sa
intention qui
Ja pensée occidentale est ce
, il faut quielle en fasse la preuve en
les « mondes vécus », qu’elle atteste par
audeli des ¢ spécimens
und die trans-
Tes Eiudes Phi-4 SIGNES
anthropologiques >. L'idée de la philosophic comme
youreuse > — ou comme savoir absolu — repa-
mais désormais avec un point d'interrogation.
it dans ses derniéres années : « La philosophic
comme science rigoureuse, le réve est bien fini'. » Le
philosophe ne peut plus, en conscience, se prévaloir d'une
pensée absolument radicale, ni s‘arroger Ja possession
intelleetuelle du monde et la rigueur du concept. Le
contréle de soi et de toute chose reste sa tache, mais il
nen a jamais fini avec elle, puisqu'il doit désormais Ia
poursuivre & travers le champ dea phénoménes dont aucun
@ priori formel ne Jui assure par avance la maitrise.
Hnusserl Pavait compris : notre probléme philosophique
est d’ouvrir Je concept sans Je détruire.
Tl y a quelque chose d'irremplacable dans la pensée
occidentale : Veffort de concevoir, la rigueur du concept
restent exemplaires, méme s'ils n’épuisent jamais ce qui
existe. Une culture ee juge au degré de sa transparence, a
a conscience qu’elle a delleméme et des autres. A cet
égard, VOccident (au sens large) reste systéme de réfé-
rence: c'est Ini qui a inventé les moyens théoriques et
pratiques d'une prise de conscience, qui a ouvert le che-
min de la vérité,
Mais cette possession de soi-méme et du vrai, que POcci-
dent scul a prise pour théme, elle traverse pourtant les
réves d'autres cultures, et, dans [Occident méme, elle
n'est pas accomplice. Ce que nous avon:
relations historiques de la Gréce et do I'
sement, tout ce que nous avons découvert d'< occidental »
dane Ja pensée orientale (uno sophistique, un scepticisme,
les éléments de
lectique, de logique) nous interdit de
tracer une fronti@re géographique entre la philosophie ct
Ja non-philosophie. La philosophie pure ou absolue, au
nom de laquelle Hegel exclut l’Orient, elle exclut aussi
une bonne part du passé occidental. Peut-étre méme,
appliqué rigoureusement, le critére ne ferait-il grace qu’s
Hegel.
) — der Traum ist
PARTOUT ET NULLE PART 15
Et surtout, puisque, comme Husserl le
a & justifier sa valeur d’< entéléchie historique » par de
nouvelles créations, puisqu’il cst, Iui_au:
historique, seulement promise & Ja tache onéreuse de com-
prendre les autres, sa destinée méme est de réexaminer
jusqu’a son idée de Ia vérité et du concept, et toutes les
institutions — sciences,
complexe d’Edipe — qui
srsent, pour retrouver Ia source d
quelle elles ont di leur longue prospérité. Par
biais, les civilisations qui n’ont pas notre équipement phi
Tosophique ou économique reprennent une valeur d’e
seignement. Il ne s’agit pas d'aller chercher la vérité ou
Je salut dans ce qui est en deca de la science ou de la
conscience philosophique, ni de transporter tels quela
dans notre philosophie des morceaux de mythologie; mais,
en présence de ces variantes d’humanité dont nous sommes
i loin, dacquérir le sens des problémes théoriques et
pratiques avec lesquels nos institutions sont confrontées,
de redéconvrir le champ nee oii elles sont nées et
que leur long succés nous a fait oublier. La « puérilité >
de V'Orient a quelque chose & nous apprendre, ne serait-ce
que Vétroitesse de nos idées dadulte. Entre FOrient et
TOceident, comme entre Yenfant et l'adulte, le rapport
n’est pas celui de Vignorance au savoir, de la non-philos
phie & Ja philosophic
admet, de la part de
toutes les ¢ prématurations
ne se fera pas par ralliement simple ct subordination de
Ja € non-philosophie > & la philosophie vraic. Elle existe
déja dans les rapports latéraux de chaque culture avec les
autres, dans les échos que lune éveille en Vautre.
Tl faudrait appliquer au probléme de Puniversalité phi.
Tosophique ce que Jes voyageurs nous racontent de lew
rapports avee les civilisations étrangéres. Les photogr
phies de Chine nous donnent le sentiment d'un unive
impénétrable, si elles sarrétent au pittoresquo — c'est
dire justement & notre découpage, & notre idée de la176 SICNES
Chine. Que, par contre, une photographie essaie simple-
ment de saisir les Chinois en train de vivre ensemble,
poradoxalement, ils ce mettent a vivre pour nous, et nous
‘es comprenons. Les doctrines mémes qui paraiscent
rebelles au concept, si nous pouvions les saisir dans leur
contexte historique et humain, nous y trouverions une
yariante des rapports de homme avec Vétre qui nous
éclairerait sur nousmémes, et comme une ‘universalité
oblique. Les philosophies de l'Tnde et de la Chine ont
cherché, plutét qu’ dominer Pexistence, a étre Pécho ou
Je résonatour de notre rapport avec T'étre. La philosophie
occidentale pent apprendre d’elles retrouver le rapport
avec Vétre, Poption initisle dont elle est née, & mesurer
Jes poseibilités que nous nous sommes fermées en devenant
+ occidentaux > et, peut-étre, & les rouvrir.
Voila pourquoi nous ns faire paraitre Orient au
musée des philosophes célébres, et pourquoi, ne pouvant
Ini donner toute la place qu’exigerait une étude détaillée,
uous avons préféré aux généralités quelques échantillons
un peu précis, oft le lecteur discernera peut-tre la secréte,
Ja sourde contribution de YOrient a la philosophic,
TIL. Curisraxisme er putosopa,
La confrontation avec le christianisme est ume des
épreuves ott la philosophie révéle le mieux son essence.
Non qu'il y ait, d'un cété, le christianisme unanime, et
de autre, 1a philosophie unanime. Au contraire, ce qui
était frappant dane Ja discussion fameuse qui eut 1
co sujet ily
derriére Je diff
tiene ou sur T'e3
autre débat plus profond sur la nature de Ia philosophic,
et quiici Tes chrétiens n’étaient pas tous du méme cote,
ni Tes non-chrétiens,
‘ilson et J, Maritain di
ent que la philocophie n'est
¢ La notion de philosophie chrétienne. » Bulletin de la So=
cidté frangaise de Philosophie. Séance dui mars 1031.
PARTOUT ET NULLE PART aT
Pas chrétienne dans son essence, qu'elle Pest seulement
dans son état, par le mélange dens um méme temps et fina:
hier, qui séparait la pl
de notions et le christianisme comme révélation d'une
histoire surnaturelle de Yhomme, et concluait, pour sa
part, qu’aucune philosophie comme philosophie ne peut
étre chrétienne. Par contre, quand
sant & Pascal et & Malebranche, réservait la por
d'une philosophie qui constate Ia discordance de I
tence et de Tidée, et done sa propre insuffisance,
duise par 1a au christianisme comme interpré
homme et du monde existants, il n'était pas
M, Blondel, pour qui la phie était Ia pensée s’aper-
cevant quielle me peut « boucler », repérant et palpant
en nous et hors’ de nous une réalité dont Ja conscience
philosophique n'est pas la souree, Passé un certain point
de maturité, d'expérience ou de critique, ce qui sépare ou
réunit es hommes n'est pas tant Ja lettre ou la formule
finale de leurs convictions, mais plutét, chrétiens ou non,
Ja maniére dont ils traitent leur propre dualité et orga:
nisent en euximémes les rapports du notionnel et du réel.
La vraie question, qui est au fond du débat sur la philo-
sophie chrétienne, est celle du rapport de essence et de
Yexistence, Admettrons-nous une essence de la philosophic,
un savoir philos. est compromis dans
Vhomme avee la vie (ici la vie religicuse) , mais reste cepen-
ment et directement communicable,
ire tout homme venant en ce monde,
mus, au contraire, que la philosophic est
radicale justement parce qu'elle ereuse, sous ce qui parait
étre immédiatement communicable, sous les pensées dispo-
nibles et la connaissance par idées, et révéle entre les
hommes, comme entre Ies hommes et le monde, un lica
qui est antérieur 3
iéalité, et qui la fonde ?
Que cette question commande celle de la philoso,
chréticnne, on le vérificrait en suivant dans ses détours
Ia discussion de 1931, Les uns, ayant posé, dans Pordre
des principes, des notions et du possible, Fautonomie de118 SIGNES
Ia philosophic ct celle de Ja religion, admettent, quand
ils se tournent vers les faits ou vers Phistoi
religicux en philosophie, que ce soit T'idée de création,
celle de subjectivité infinie, ou celle de développement et
histoire. I y a donc, malgré les eseences, échange entre
Ja religion et Ia raison, ce qui repose en entier Ja question,
puisque enfin, si ce qui est de foi peut donner 4 penser
(@ moins que la foi ne soit ici que occasion d'une prise
de conscience possible sans elle), il faut avouer que la
foi dévoile certains cétés de Vétre, que Ia pensée, qui les
ignore, ne ¢ boucle > pas, et que les « choses non vues >
de la foi et Jes évidences de Ia raison ne se laissent pas
délimiter comme deux domaines. Si, au contraire, avec
E, Bréhier, on va droit & Vhistoire pour montrer quil n'y
4 pas eu de philosophie qui fat chrétienne, on n'y arrive
quen rejetant comme étrangéres 4 la philosophie les
notions d'origine chrétienne qui font obstacle, ou en leur
cherchant 4 tout prix des antécédents hors ‘du christia-
niame, ce qui prouve assez qu’on se référe ici & une histoire
préparée et clivée selon V'idée de Timmanence philoso-
phique. Ainsi, ou bien on pose une question de fait, mais,
sur le terrain de Vhistoixe « pure », la philosophic ehré-
tienne ne peut étre affirmée ou niée que d'une maniére
toute nominale, et le prétendu jugement de fait ne sera
eatégorique que s'il envelope tine conception de la phi-
losophie. Ou bien on pose ouvertement la question en
termes d'escences, ct alors tout est & recommencer quand
on passe de la i Yordre des mixtes et des philosophies
existantes. Dans les deux cas, on manque le probléme,
qui n’existe que pour une pensée historico-systématique,
capable de creuser au-dessous des essences, de faire le
va-etevient entre elles et Jes faits, de contester Jes essences
par les faits et les « faits > par les essences, et, en parti-
culier, de mettre en question sa propre immanence.
Pour cette pensée « ouverte », en un sens, Ia question,
aussitét que posée, est résolue. Puisqu’elle ne tient pas cs
< essences » telles quelles pour la mesure de toutes choses,
puisqu’elle ne croit pas tant & des essences qu’a des necuds
de significations qui seront défaits et refaits autrement dans
PARTOUT ET NULLE PART 179
un nouveau réseau ‘lu savoir ot de Vexpéricnce, ot ne subsis:
teront que comme son passé, on ne voit pas au nom de quoi
cette pensée en porte-afaux refuserait le nom de philoso-
phie a des modes d’expression indirects ou imaginatifs, ct le
réserverait aux doctrines du Verbe intemy
parablement plus érendue,
deux-la, tout ce qui s’est
depuis vingt siécles. Comment éter au chri
les attribuer
et sans lieu
re, de subjectivité,
— cest Ie rapport de ce
mental ou matrice de
culture, avec le eln 1¢ effcctivement véeu et pra-
tiqué dans une foi positive. C'est autre chose de trouver
tun sens et un mérite historique immense au christianisme
et de Vassumer & titre personnel. Dire oui au christianisme
comme fait de culture ou de civilisation, c'est dire oui &
saint Thomas, mais aussi a saint Augustin, et 4 Occam, et
& Nicolas de Cuse, et 4 Pascal et & Malebranche, et cet
assentiment ne nous coiite pas une once de Ja peine que
chacun deux a da prendre pour étre sans défaillance lui-
méme. Les luttes qu’ils ont soutenues, quelquefois dans la
solitude et jusqu’s la mort, la conscience philosophique
et historique Jes transmue dans Punivers bienveillant de
Ja culture. Mais justement parce qu’il les comprend tous,
Ie philosophe ou Vhistorien n'est pas Pun d’eux. L’historien
donne dailleurs Ia méme attention ot les mémes égards
infinis 4 un tesson de poterie, a des réveries informes, &
des rituels absurdes. Il ne agit pour Iui que de savoir
de quoi le monde est fait et de quoi Thomme est capable,
non de se faire braler pour cette proposition ou égorger
é. Le christianisme dont notre philosophie
est pleine, cest, pour le philosophe, Je plus frappant
embléme du dépassement de soi par oi. Pour Jui-méme
le christianisme n'est pas un symbole, il est Ia vérité. En180 SIGNES
tun sens, Ia tension est plus grande (parce que la distance
est moindre) entre Je philocophe qui comprend tout a titre
interrogation humaine, et Ia pratique étroite et profonde
< comprend », qu’entre un ratio-
(ui prétendait expliquer le monde et une foi qui
jit & ses yeux que non-sens.
Il y a done de nouveau conflit entre philosophie et
christianieme, mais c'est un confit que nous retrouvons
a Tintérieur ‘du monde chrétien et de chaque chrétien
‘comme conflit du christianisme « compris > et du chris
tianisme véeu, de Vuniversel et de Yoption. A I'intérieur
de Ja philosophic aussi, quand elle se heurte au mani-
chéisme de Vengagement. Le rapport complexe de la philo-
sophie et du christianisme ne se découvrirait que si Yon
‘mettait en comparaison un christianisme et une philoso-
phie intérieurement travaillés par la méme contradiction.
La « paix thomiste > et la « paix cartésienne », la
coexistence innocente de la philosophie et du el
pris comme denx ordres positifs ou deux v
masquent encore le secret conflit de chacun ave lui-méme
et avee Vautre et les rapports tourmentée qui en résultent.
Si Ia philosophie est une activité qui se suffit, qui com-
mence et s'achéve avec Vappréhension du concept, et Ia
foi un assentiment aux choses non ynes et données a eroire
par les textes révélés, la différence entre elles est trop
profonde pour qu'il puisse méme y avoir conflit, I y aura
conflit quand Vadéquation rationnelle se donnera comme
exhaustive. Mais si seulement Ja philosophie reconnait, au-
dela des possibles dont elle est juge, un ordre du monde
actuel dont Ie détail releve de Vexpérience, et si Yon prend
Te donné comme une expérience surnaturclle, il
n'y a pas de rivalité entre la foi et la raison, Le secret de
leur accord est dane la pensée infinie, Ia méme quand elle
concoit les possibles ct quand elle eréc le monde actuel.
Nous n’avons pas aceds a tout ce qu’elle pense ot ses décrets
ne nous sont connus que par leurs effets, Nous sommes done
hors d'état de comprendre Tunité de Ja raison et de la
foi. Ce qui est sir, c'est qu'elle se fait en Dieu. La raison
et la foi sont ainsi dans un état d’équilibre indifférent.
PARTOUT ET NULLE PART 181
Descartes, aprés avoir
naturelle, acceptor
iculté une autre lumiére, comme si, dés qu'il y en
a deux, Pune des deux an moins ne devenait pas relative
obscurité, Mais la difficulté n'est pas plus grande — et
Pas autrement résulac — que celle d’admettre la distinc.
tion que Tentendement f Tame et le corps, et par
i il y a Tentendement,
‘ines ily
Yentendement aidé de Vimagination et
que nows connaissons par Pusage d
sommes cet homme, et les deux or
ont un seul parce
que le méme Diew est garant des essences et fondement
de notre existence. Notre dualité se refléte et se dépasse
en Iui comme celle de son entendement et de sa volonté,
Nous ne sommes pas chargés de comprendre comment. La
transparence absolue de Dien nous donne I'assurance du
fait, et nous pouvons, nous devons, quant nous, respecter
la différence des ordres et vivre en paix sur les deux plans.
Pourtant ce concordat est instable. Si vraiment Phomme
est enté sur Jes deux ordres, leur connexion se fait aussi
, et il doit en savoir quelque chose. Ses rapports
philosophiques avec Dieu et ses rapports religicux doivent
Stre de méme type. Il faut que la philosophie et la religion
symbolisent, Telle est, 2 notre sens, Ia signification de la
Philosophie de Malebranche. Lyhomme ne peut pas étre
d'une part « automate spirituel », de Pautre le sujet reli-
gicux qui recoit la lumiére surnaturelle. Dans son enten-
dement, on retrouve les structures et Jes discontinuités de
Ia vie religieuse. L’entendement est, dans l'ordre naturel,
tune sorte de contemplation, il est vision en Dieu. Méme
dans ordre du savoir, nous ne sommes pas & nous-mémes
notre Iumiére, ni la source de nos idées. Nous sommes notre
ame, mais nous n’en avons pas Tidée; nous n’avons avec
elle que Je contact ohscur du sentiment. Tout ce qu'il peut
y avoir de lumiére et d’étre intentionnel ca nous vient de
notre pa jeu; nous n’avons pas la puissance
de concevoir, toute notre initiative dans la connaissance
est d'adresser — c'est ce qu'on appelle ¢ attention > —
une ¢ priére naturelle » au Verbe qui s'est eculement obligé
ation i182 SIGNES
& Texaucer toujours. Ce qui est métre, c'est cette invo-
cation, et 16 ye des événements connaissants
qui en résultent — dans les termes de Malebranche, la
€ perception », le « sentiment ». Ce qui est nétre encore,
est cette pression actuelle et plus vive de I'étendue intel:
ligible sur notre ame, qui fait que nous croyons voir le
monde : en fait, nous ne voyons pas le monde en soi, cette
apparence est notre ignorance de nous-mémes, de notre
ame, de la genése de ses modalités, et tout ce qwil y a
de vrai dans Vexpérience que nous avons du monde, c'est
Ja certitude de principe d'un monde actuel et existant par-
dela ce que nous voyons, dépendamment duqué nous
fait voir ce que nous voyons. La moindre perception sen-
sible est donc une « révélation naturelle ». La conn
sanee naturelle est partagée entre T'idée et 1a perception,
vie religieuse entre la Inmiére de la vie mystique
et le clair-obseur des textes révélés, Ce qui permet de dire
qu'elle est naturelle, c'est seulement
lois, et que Dieu, en d'autres terme:
des volontés générales. Encore 1
Si la connaissance naturelle est tissue de rapports religieux,
Je surnaturel imite en retour la nature. On peut esquiccer
une sorte de dynamique de la Grace, entrevoir des lois,
un Ordre selon lesquels le plus souvent le Verbe incarné
et la religion les mémes structures
iques de la lumiére et du sentiment, de Vidéal et du
|. Les concepts de la philosophie naturelle envahissent
Ja théologie, les concepts religieux envahissent I
sophie naturelle. On ne se borne plus a évoquer Vinfini,
incompréhensible pour nous, oi s‘unificraient des ordres
pour nous distincts. Les articulations de la nature ne
tiennent que par Paction de Dieu; presque toutes les inter-
ventions de la Grace sassujettissent & des régles. Diew
comme cause est requis par chaque idée que nous pensons,
et Diew comme Iumiére manifeste dans presque toutes ses
volontés. Jamais on n’a été plus prés du programme augus-
PARTOUT FT NULLE PART 183
tinien: « La vraie religion ost Ja vr
son tour, la vraie philosophie est 1a vrai
et de la philosophi
dont il n'y a rien
re la formule de ce
toires, raison et foi De méme et inver-
ntrent en rivalité,
qui sont & tous,
le qui n'ont été
enseignées d'abord qu’s quelques-uns, entre le Verbe éternel
et Ie Verbe incarné, entre Ie Dieu que nous voyons dés
que nous ouvrons Jes yeux et le Dieu des Sacrements et
de PEglise, qu'il faut gagner et mériter par Ja vie surna-
turelle, entre Architecte que Yon devine dans ses ceuvres,
et le Dicu d'amour qui n'est atteint que dans l’aveuglement
du sacrifice, la communauté des catégories souligne la
discordance. C'est cette discordance méme
prendre pour théme si l'on veut fai
tienne; c'est en elle qu'il faudr
de Ia foi et de Ia raison. En quoi on
ripciaatath eit
those de la lumidre ration-
dans un unique univers
de pensée, s'il étend a la mn la positivité de Penten-
dement, if annonce aussi étre ration-
nel des renversements religieux; il y introduit la pensée
paradoxale Pane folie qui est sagesse, d'un scandale qui
est paix, d'un don qui est gain.
Entre philosophic et religion, quel serait alors le rap-
port ? Maurice Blondel 6 « La philosophie creuse
en elle et devant elle un vide préparé non pas seulement
pour ses découvertes ultérieures ot sur con propre te
mais pour des lumiéres et des apports dont elle n'est pas
elleméme et ne peut devenir Vorigine réelle. » La philo-
ie révéle des manques, un étre décentré, 'attente d'un
dépassement; elle prépare, sans les nécessiter et sans les
les options positives. Elle est le négatif d'un
non pas un vide quelconque, mais le manque184 SIGNES
went de co que Ja foi apportera, ct non pas foi
masquée, mais la prétnisse univertellement constatable d'une
foi qui reste iibre. On ne passe de Pane a Pautre ni par
prolongement ni par simple adjonetion, mais par un ren-
Versement que a philosophic motive sans l'accomp!
Le probléme estil résolu ? Ou platat ne renait-il pas a Ja
suture de la philosophie négative et de la foi posi
Si, comme Blondel le voulait, la philosophie est univer-
selle et autonome, comment laisteraitelle & une décision
absolue la responsabilité des conclusions? Co qu'elle
en pointillé, en termes notionnels, dans la paix
n’a son sens plein que dans Tirréparable et
Ja partialité Pane vie. de ce passage méme, com-
ment ne voudrait-elle pas étre témoin ? Comment demeure-
rait-elle dans le négatif et abandonnerait-lle le positif &
lune instance absolument autre ? Il faut qu’elle-méme recon-
naisse dans un certain plein ce qu’elle dessinait par avance
en creux, et dans la pratique au moins quelque chose de
ce qui a été vu par Ia théorle. Le rapport de la philosophie
au christianisme ne peut tre le rapport simple de la néga-
i interrogation 4 Vaffirmation : Finter-
son négatif,
justement parce que chacun a en Ini-méme som
ire quils sont capables de passer I'am dans Vautre
ls jouent perpétuellement dans histoire Je réle des
fréres ennemis. Est-ce pour toujours ? Entre le philosophe
et le chrétien (qu'il e'agisse de deux hommes ou de ces
deux hommes que chaque chrétien sent en lui), y aura+t.il
jamais un véritable échange ? Cela ne serait possible, &
notre sens, que si le chrétien, réserve faite des sources
ultimes de son inspiration, dont il juge seul, acceptait sans
restriction la tiche de médiation 4 laquelle Ja philosophic
ne peut renoncer sans se supprimer. I] va sans dire que ces
lignes n’engagent que leur signataire, et non pas les colla-
borateurs chrétiens qui ont bien voulu Ini donner leur
concours. Ce serait mal le reconnaitre que de créer Ia
moindre équivoque entre leur sentiment et Ie sien. Aussi
ne donnet-il pas ceci comme une introduction & leur pene
PARTOUT ET NULLE PART 185
sée, Ce sont it des réflexions et des questions qu'il
inscrit, pour Jes lour soumettre, en marge de leurs textes.
Ces textes cux-mémes, et ici nous serons sans doute una-
nimes, nous donnent un vif sentiment de la diversité des
recherches chrétiennes. Ils rappellent que le christiani
a nourri plus d’une philosophic, de quelque privilege que
Tune d’elles soit revétue, que par principe il ne comporte
pas d’exp! philosophique unique et exhaustive, et
qu’en ce
IV. Le GRAND RATIONALISME,
Ii fandrait appeler <« petit rationalisme » celui qu'on
profescait ou qu'on discutait en 1900, et qui était Vexpli-
cation de PEtre par la science. Tl suppo:
Science déja faite dans les choses, que Ja ecicr
rejoindrait au jour de son achévement, et qui ne nous
Jaisserait plus rien & demander, toute question sensée ayant
recu sa réponse. 1 nous est bien difficile de revivre cet
état de la pensée, pourtant si proche. clest un fait
qu’on a révé d’an moment oft ayant enfermé dans
un réseau de relations « la to iu réel >, et comme
en repos, ou
irer les conséquences d'un savoir défiv
sar quelque application des mémes prin-
jers soubresauts de Vimprévisible.
Ce ¢ rationalisme » nous parait plein de mythes : mythe
des lois de la nature situées vagnement & michemin des
normes et des faits, et selon lesquelles, pensait-on, ce monde
pourtant aveugle west construit; mythe de Pexplication
scientifique, comme si la connaissance des relations, méme
étendue 2 tout Vobservable, pouvait un jour traneformer
‘en une proposition identique et qui va de soi existence
méme du monde. A ceuxla, ajouter tous les
mythes annexes qui proliféraient aux limites de Ia science,
par exemple autour des notions de vie et de mort. C’était
Je temps o4 Yon se demandait avec enthousiasme ou avec186 SIGNES
angoisse ei homme pourrait créer de Ja vie au laboratoire,
et oit Jes orateurs rationalistes parlaient volontiers du
« néant », autre et plus calme milieu de vie, qu’ils se
flattaient de « rejoindre », aprés celle-ci, comme on rejoint
une destinée supra-sensible,
Mais on ne pencait pas céder 4 une mythologie. On
eroyait parler au nom de la raison. La raison se confondait
avec la connaissance des conditions ou des causes : partout
oi un conditionnement était dévoilé, on pensait avoir
fait taire toute question, résolu Je probléme de essence
avec celui de Vorigine, ramené le fait sous Pobédience de
La question entre science et métaphysique était
de savoir si le monde est un seul grand Processus
a un seul « axiome générateur », dont il
plus, & la fin des temps, qu'a répéter la
formule, ou s'il y a, par exemple au point oft surgit la vie,
des Iacunes, des discontinnités oft Yon puisee loger la puie.
sance antagoniste de l'esprit. Chaque conquéte du déter-
mii une défaite du sens métaphysique, dont la
exigeait la <« faillite de a scienc
Si ce rationalismea est pour nous
était, défiguré, méconnaissabl
icile & penser,
un héritage, et
la tradition qui peu &
ie fossile d'un grand rationa-
1¢ d'une ontologie vivante,
siécle 1, et dont il ne restait,
isme de 1900, que quelques formes exté-
qui avait déja
dans le ration
rieures,
Le xvut* siécle est ce moment privilégié ot Ia connaise
sance de Ja nature et la métaphysique ont cra trouver un
fondement commun. I] a eréé Ia science de la nature et
n'a pourtant pas fait de Yobjet de science le canon de
Yontologie. Tl admet qu'une philosophie surplombe la
science, sans étre pour elle une rivale. L’objet de science
PARTOUT RT NULLE PART 187
est un aspect on un degré de I'Etre; il est justifié a sa place,
peut-étre méme est-ce par lui que nous apprenons & con-
naitre Ie pouvoir de la raison. Mais ce pouvoir ne s'épuise
pas en lui, De différentes facons, Descartes,
iz, Malebranche, sous la chaine des relations ¢: .
reconnaissent un autre type détre, qui la soustend sans
Ja rompre. L’Etre n'est pas rabattu en entier ou aplati sur
le plan de "Etre extérieur. I y a aussi Pétre du sujet ou
de V'ame, et Vétre de ces idées, et les relations des idées
entre elles, le rapport interne de vér
est aussi grand que Vautre, ou plutst
que, si strict que soit le lien des faits ext
pas Tun qui rend raison derniére de Vautre
ensemble a un « intérieur > que leur li
jie universel, Ia philosophie du xvn" siécle ne cesse, at
de les poser. Comment comprendre que Vesprit
agisse sur le corps et le corps sur lesprit, et méme le corps
sur le corps, ou esprit sur autre esprit ou sur Iuianéme,
puisque enfin, si rigoureuse que soit la connexion des choses
jéres on nous et hors de nous, aucune d’elles n'est,
jamais & tous égards cause suffisante de ce qui sort d’elle ?
D'ou vient Ia cohésion du tout? Chacun des cartésiens
In congoit tout autrement. Mais, chez tous, les étres et les
rapports extérieurs s’offrent & une inspection de leurs pré-
misses profondes. La philosophic n'est ni étouffée par eux,
ni astreinte, pour se faire place, & contester leur eolidité.
Cet accord extraordinaire de Vextérieur et de Vintérieur
niest possible que par la médiation d'un infini posirif, ou
infini wuisque toute restriction 2 un cert
genre d'infinité serait un germe de négation). C’est en
que communiquent ou que se soudent l'une sur V'autre
Fexistence effective des choses partes extra partes et Péten-
due pensée par nous qui, au contraire, est continue et
infinie. S'il y a, au centre et comme au noyau de PEtre,
un infiniment infini, tout étre partiel directement ou indi-
rectement le présuppose, et en retour y est récllement ou
éminemment contenu, Tout ce que nous pouvons avoir de
rapports avec T'Etre doit y étre simultanément fondé.stGnRs
lement nous a menés
en cause par lui.
les notions vives et confuses que I
nous donnent des choses existantes. Si divers que
Gtre ces deux genres de connaissance, il faut q
une seule origine, et que méme Je monde sen:
continu, partiel et mutilé, se comprenne finalemont, & part
de notre organisation corporelle, comme eas parti
icures dont est fait Fespace intel
ée de Vinfini positif est done le secret du grand r:
nalisme, et il ne durera qu’autant qu'elle restera en vigueur.
Descartes avait entrevu dans un éclair la possibilité d'une
pensée ng it
sprit comme un étre qui
un souffle, ni aucune chose
Inianéme en Vabsence de toute
mesuré du regard ce pouvoir de
i, disait-il, me comporte pas de
dans homme comme en Dieu,
ct infini de négation, puisque, dans une liberté qui est
de ne pas faire aussi bien que de faire, la position ne
pourra jamais étre que négation niée. Crest par li que
Descartes est plus moderne que les cartésiens, i
les philosophies de la subjectivité et du :
wrest la, chez Iui, qu'un début, et il dépacce la négativité
sans retour quand ill énonce enfin que T'idée de Tinfini
précéde en lui celle du fini, et que toute pensée négative
est une ombre dans cette lumiére. Quelles que soient leurs
différences par ailleurs, les cartésiens seront sur ce point
unanimes. Malebranche dira cent fois que le néaut ¢ n'a
pas de propriétés > on ¢ n'est pas visible >, et quill n'y a
done rien & dire de ce rien. Leibniz se demandera pourquoi
ily a « quelque chose plutét que rien >, il posera un
instant le néant en regard de I'Etre, mais ce reeul en deca
de Etre, cette évocation d’un néant possible est, pour lui,
comme une preuve par V'absurde; ce n'est que le fond, le
minimum dombre nécessaire pour faire parattre la. pro.
ion souveraine de VEtre par Iui-méme. Enfin, la deter.
mination qui « est négation » de Spinoza, comprise plus
tard dans le sens d'une puissance déterminante du négatif,
ne peut étre chez Iui qu’une maniére de souligner I'mma,
existante, et qui demem
itude positive. I] avai
PARTOUT ET NULLE PART 189
ence des choses déterminées a Ia substance égale a elle-
wéme et positive,
Jamais, dans Ia
Philosophie et de
i ae métaphysi
Texclure, Méme ceux de nos contemporains qui se disent
et qui sont cartésiens donnent au négatif une toute autre
fonction philosophique, et c'est pourquoi ils ne eauraient
retrouver Téquilibre du xvi sidcle, Descartes dis:
Dieu est congu par nous, non compris, et ce non exprimait
jon en nous et un défaut. Le moderne cartésien +
‘infini est absence autant que présence, ce qui
trer le négatif, ct Yhomme comme témoin, dans
Ja définition de Dieu. Léon Brunschvicg admettait tout de
Spinoza, sauf Vordre descendant de 'Ethique : le premier
livre, disaiteil, n'est pas plus premier que le cinguidme;
TEthique doit se lie en cercle, et Dieu prémppose Thomme
comme Fhomme présuppose Dieu. C'est peut-étre la, clest
t du cartésianisme « sa vérité >, Mais une
vérité quil n’a pas Iui-méme possédée. Il y a une maniére
innocente de penser ini, qui a fait le grand
rationalisme et que rien ne nous fera retrouver.
Qu’on ne voie pas de nostalgic dans ces mots. Sinon
celle, paresseuse, d'un temps oft Tunivers mental n’était
échiré, et ott le méme homme pouvait, cans conces-
se vouer & Ia philosophie, & la science (et,
souhaitait, théologic). Mais cette paix, cette
indivision ne pouvaient durer qu’autant qu’on rostai
entrée des trois chemins, Ce qui nous sépare du xvir siecle,
ce n'est pas une décadence, c'est un progrés de conscience
et Wexpérience. Les siécles suivants ont appris que l'accord
de nos pensées évidentes et du monde existant n'est pas
si immédiat, qu'il n’est jamais sans appel, que nos évidences
ne peuvent jamais sc flatter de régir dans la suite tout le
développement da savoir, que les conséquences refluent
sur les € principes >, quill faut nous préparer & refondre
ne sobtiont pas par composition en allant
1. P. Angw
Descartes.
La Aéconverte métaphgsique de Chomme chez190 SIGNES
du simple au complexe et de lessence aux propriétés, que
ous ne pouvons ni ne pourrons nous installer au centre
des étres physiques et méme mathématiques, qu'il faut
specter en tatonnant, du dehors, les aborder par pro-
obliques, les interroger comme des personnes. La
conviction méme de saisir dans l'évidence intéricure les
principes selon lesquels un entendement infini a congu
ou congoit le monde, qui avait soutenu entreprise des
cartésiens et avait paru longtemps justifiée par les progres
de la science cartésienne, un moment est venu ott elle
la
wulant_ du savoir pour dev
menace d'une nouvelle scolastique. Il fallait bien aloi
mnir sur les principes, les ramener au rang d’« idéal
ions >, justifiées tant qu’elles animent la recherche,
jualifiées quand elles la paralysent; apprendre & mesu-
Ter notre pensée sur cette existence qui, devait dire Kant,
n’est_pas un prédicat, remonter, pour le dépasser, aux
origines du cartésianisme,
eréateur qui avait
de pensée féconde, mais qui avait &
pseudo-cartésianieme des mes, et exigeait désormais
Iniméme d’étre recommencé. Il a fallu apprendre Thisto-
ricité du savoir, cet étrange mouvement par lequel la pen-
jennes en les inté-
sa verm dans le
sée abandonne et sauve ses formules,
grant comme cas particuli A une pensée
plus compréhensive et plus le, qui ne peut se décréter
exhaustive, Cet air d'improvisation et de provisoire, cette
allure un peu hagarde des recherches modernes, que ce
soit en science ou en philosophic, ou en littérature ou dans
les arts, c'est le prix qu'il faut payer pour acquérit une
conscience plus mire de nos rapports avec I'Etre.
Le xvr siécle a cra & accord immédiat de la science
avec la métaphysique, et par ailleurs, avec Ia religion. Et,
en cela, il est bien loin de nous. La pensée métaphysique,
depuis cinquante ans, cherche son chemin hors de la coor.
dination physico-mathématique du monde, et son réle
envers Ia science parait étre de nous éveiller au « fond
non-relationnel »1 que Ia science pense et ne pense pas.
1. dean Wait.
PARTOUT ET NULLE PART
vant, Ia pensée
dans le méme sens, ce qui la met en consonance, mais aussi
en rivalité, avec la métaphysique < athée », L’« athéisme >
aujourd'hui ne prétend pas, comme celui de 1900, expli-
quer le monde « sans Dieu »: il prétend que le monde
est inexplicable, et le rationalisme de 1900 est & ses yeux
une théologie sécul i les eartésiens revenaient parmi
iple surprise de trouver une philo-
ologie qui ont pour théme favori
la contingence radicale du monde, et qui, en cela méme,
sont rivales. Notre situation philosophique est tout opposée
A celle du grand rationalisme.
Et pourtant, il reste grand pour nous et il est proche de
nous en ceei quil est Lintermédiaire obligé vere les. philo-
sophies qui Ie récusent, parce qu’elles le récusent au nom
de la méme exigence qui I'a animé. Au moment méme ot
il eréait la seience de Ja nature, il a, du méme mouvement,
montré qu’elle n’était pas la mesure de Tétre et porté &
son plus haut point Ia conscience du probleme ontologique.
En cela, il n'est pas passé. Comme lui, nous cherchons, non
pas A restreindre ou & discréditer les initiatives de la
science, mais & la situer comme systéme intentionnel dans
Je champ total de nos rapports avec Etre, et si le passage
4 Vinfiniment infini ne nous parait pas étre Ia solution,
c'est seulement que nous reprenons plus radicalement la
tache dont ce siecle intrépide avait ern s’acquitter pour
toujours.
V. Découverts pr ta sussecriviré,
Quoi de commun & ces philosophies éparpillées sur trois
sideles, que nous groupons sous Venseigne de la subjec-
tivité ? Il y a le Moi que Montaigne aimait plus que tout,
et que Pascal hafssait, celui dont on tient registre jour
par jour, dont on note les audaces, les fuites, les intermit-
tences, les retours, que l'on met a Vessai ou & Tépreuve
comme un inconnu, I y a le Je qui pense de Descartes
et de Pascal encore, celui qui ne se rejoint qu'un instant,192 SIGNES
mais alors il est tout dans son apparence, il est tout ce
qu'il pense atre et rien d'autre, ouvert & tout, jamais fixé,
yutre mystére que cette transparence méme. Il y a
Ja série subjective des philosophes anglais, les idées qui
se eonnaissent elles-mémes dans un contact muet, et comme
Par une propriété naturelle, Il y a le moi de Rousseau,
abime de culpabilité et innocence, qui organise Iuiméme
Je ¢ complot » od il se sent pris, et pourtant revendique
& bon droit, devant cette destinée, son incorruptible bonté.
Ty a Je sujet transcendental des kantiens, aussi proche
et plas proche du monde que de Tintimité psychologique,
qui les contemple l'une et autre aprés les avoir construits,
et pourtant so sait aussi ’« habitant > du monde. Il y a
Je sujet de Biran qui ne se sait pas seulement dans le mon
mais qui y est, et ne pourrait pas méme étre suje
wavait un corps 4 mouvoir. Il y a enfin la subjectivité
au sens de Kierkegaard, qui n’est plus une région de l’étre,
mais Ia seule maniére fondamentale de se rapporter a
Yétre, ce qui fait que nous sommes quelque chose au Ticu
de survoler toutes choses dans une pensée « objective >,
qui, finalement, ne pense vraiment rien. Pourquoi faire
de ces « subjectivités » discordantes les moments d’une
seule déconverte ?
Et pourquoi < découverte »? Fautil done croire que
Ja subj it 1a avant Tes philosophes, exactement
telle quills devaient ensuite la comprendre? Une fois
survenue Ia réflexion, une fois prononeé le « je pense »,
la pensée d’étre est si bien devenne notre étre que, si
nous essayous dexprimer ce qui I'a préeédée, tout notre
effort ne va qu’a proposer um cogito préréflexif. Mais
qu’est-ce que ce contact de soi avec soi avant qu’il ne soit
révélé ? Est-ce autre chose qu'un autre exemple de I’
sion rétrospective ? La connaissance qu’on en prend n'est-
elle vraiment que retour & ce qui se savait déja & travers
notre vie? Mais je ne me savais pas en propres termes.
Qu’estce donc que ce sentiment de soi qui ne se posséde
as et ne coincide pas encore avec soi? On a dit qu'ster
do la subjectivité Ia conscicnee, c’était Ini retirer Vétre,
qu'un amour inconscient n'est rien, puisque aimer c'est
voir quelqu’un, des actions, des gestes, un visage, un corps
PARTOUT Ey NULLE PART 193
comme aimables. Mais le cogito avant la réflexion, le senti-
Ou bien donc la conscience ignore ses origines, ou, si elle
lle me peut que se projeter en elles.
de « découverte »,
irréfléchi, cHl2 Va
La subjectivité n’at-
tendait pas les philosophes comme I’Am
attendait dans les brumes de Océan ses explorateure, Ils
Yont construite, faite, et de plus dune maniére. Et ce
quills ont fait est peut-étre a défaire. Heidegger pense
quills ont perdu Pétre du jour oi ils Yont fondé sur la
conscience de soi.
‘Nous ne renongons pourtant pas a parler d'une < décou-
verte > de la « subjectivité >. Ces difficultés nous obligent
seulement a dire dans quel sens.
La parenté des philosophies de la subjectivité est évi-
dente dabord dés qu’on les place en regard des autres,
Quelles que soient leurs discordances, les modernes ont cn
commun Fidée que V'étre de Vame ou Vétre-sujet n’est pas
‘un étre moindre, qu'il est peut-étre la forme absolue de
Vatre, et c'est ce que veut marquer notre titre. Bien des
éléments dune philosophie du sujet étaient présents dans
Ja philosophie grecque : elle a parlé de I'« homme mesure
de toutes choses >; ellle a reconnu dans lame le singulier
pouvoir d'ignorer ce quelle sait avec la pr e
savoir ce quelle ignore, une incompréhensible capacité
erreur, liée & sa capacité de vérité, un rapport avec le
non-étre aussi eseentiel en elle que son rapport avec T'étre.
Elle a, par ailleurs, congu (Aristote Ia place au sommet
du monde) une ponaée qui n'est pensée que de soi, et une
liberté radicale, pardela tous les degrés de notre puis
sance, Elle a done connu la subjectivité comme nuit et
comme lumiére. Mais il reste que V'étre du sujet ou de
Tame n'est jamais pour les Grecs Ia forme canonique de
Yétre, que jamais pour eux le négatif v’est au centre de
Ja philosoph shargé de faire paraitre, d’asumer, de
transformer le posi te
‘Au contraire, de Montaigne & Kant et an-deli, c'est du
méme étre-sujet qu'il est question, La discordance des phi-194 stenzs
losophies tient & ce que la subjectivité n'est pas cho:
substance; mais Textrémité du particulier comme de T'uni-
versel, & ce qu'elle est Protée. Lee philosophies suivent tant
bien que mal ses métamorphoses, et sous leurs divergences,
c'est cette dialeetique qui se cache. Il n'y a, au fond, que
deux idées de la subj :eelle de la sal té vide,
déliée, universelle, et celle de la subjectivité pleine, enlisée
Je monde, et c'est la méme idée, comme on le voit
chez Sartre, l'idée du néant qui < vient au monde »,
qui boit le monde, qui a besoin du monde pour étre quoi
que ce soit, méme néant, et qui, dans le sacrifice qu'il
fait de Ini-méme a Vétre, reste étranger au monde.
Et certes, ceci n'est pas une découverte au sens oft Ton
a découvert Amérique ou méme le potassium. C’en est
une cependant, en ce sens que, une fois introduite en
Philosophie, la pensée du subjectif ne se l
Méme si Ja philosophic V'élimine enfin, elle ne sera plus
jamais co qu'elle fut avant cette pensée. Le vrai, tout
construit qu'il soit (et Amérique aussi est une construc-
tion, devenue simplement inévitable par Tinfinité des
témoignages), devient ensuite aussi solide qu'un fait, et Ia
pensée du subjectif est un de ces solides que Ia philosophie
dovra digérer. Ou encore, disons qu'une fois « infectéo >
Par certaines pensées, elle ne peut plus les annuler; il faut
quelle en guérisse en inventant mieux. Le philosophe
méme qui aujourd'hui regrette Parménide et voudrait nous
rendre nos rapports avee Etre tels quiils ont é&é avant
la conscience de soi, doit justement a la conscience de soi
son sens et son got de lontologic primordiale. La subjec-
tivité eat une de ces pensées en deci desquelles on ne
revient pas, méme et surtout si on les dépasee.
VI. Existence er piaLecrique,
On connait le malaise de V'éerivain quand il Ini ost
demandé de faire Vhistoire de ses pensées. Le malaise est
& peine moindre quand il faut que nous résumions nos
‘contemporains eélébres. Nous ne ponvons pas les dégager
PARTOUT BY NULLE PART 195,
de ce que nous avons appris en les Hisant, ni des « milicux >
qui ont accueilli leurs livres et les ont faits célébres. {1
faudrait deviner ce qui compte, maintenant que cette
rumeur s’est tue, ce qui comptera demain poar les nouveaux
lecteurs, s'il y en. a, pour ces étrangers qui vont venir, se
saisir des mémes livres, et en faire autre ch ya
peut-étre une phrase, écrite un jour dans le silence du
XVI? arrondissement, dans le silence picux d”: dans le
silence académique de Fribourg ou dans le fracas de la
rae de Rennes, ou & Naples ou au Vésinct, que les premiers
lecteurs ont < brilée » comme une station inutile, et &
laquelle ceux de demsin vont s'arréter: um nouveau
Bergson, un nouveau Blondel, un nouveau Husser], un
nourel Alain, un nouveau Croce, que nous ne pouvons pas
imaginer. Ce serait distribuer nos évidences et nos ques:
tions, nos pleins ect nos vides comme ils seront distribués
dans nos neveux, ce serait nous faire autres nous-mémes,
et toute I'e objectivi w monde ne va pas jusque-la.
En désignant comme csser s le demi-sitcle passé,
les thémes de I'existence et de Ia dialectique, nous disons
pentétre ce qu'une génération a In dans sa philosophic,
non pas sans doute ce que Ia suivante y lira, et encore bien
moins ce que les philosophes dont il s’agit ont eu conscience
de dire.
vaillé, méme ceux qui y tenaient le plus, a dépasser Je
criticisme, et 4 dévoiler, au-dela des relations, ce que
Brunschvieg appelait I’« incoordonnable > et que nous
appelons Yexistence. Quand Bergson faisait de la percep.
tion le mode fondamental de notre relation evee Pétre,
audela d'elleméme, quand Alain décrivait la liberté
x le cours du monde comme un nageur sur Yeau
tet qui ost sa for
au contact de
quand Croce replagait
re, quand Husserl pre~
mee charnelle de la
de la
tous cherchaient un passage entre le
re vers le réel, tous désignaient comme
possible et le née196 SIGNES
une dimension de recherche nouvelle notre
jt et celle du monde. Car la philosophie de T
pas seulement, comme le croirait un lecte
qni sen tiendrait au
qai met dans homme 1
qu'une conséquence frappante, et, sous
¥ avait, chez Sartre méme, comme on Ie voit
iée autre, et A vrai dire anta-
nest liberté qu’incorporée au
monde, et comme travail accompli sur une situation de
fait. Et dés lors, méme chez Sartre, exister m'est pas seule-
ment un terme anthropologique : Vexistence dévoile, face
a 1a liberté; toute une nouvelle figure du monde, le monde
jesse et menace pour elle, Ie monde qui lui
iéges, Ia séduit ou lui céde, ‘non plus le monde
plat des objets de science kantiens, mais un paysage
dobstacles et de chemins, enfin le monde que nous « exis-
tons > et non pas sculement le théatre de notre connais-
sance et de notre libre arbitre.
Nous aurons plus de peine peut-étre & convaincre le lee-
teur que le siécle, allant vers ‘existence, allait anssi vers
la dialectique. Blondel, Alain en ont parlé, et Croce natu-
rellement. Mais Bergson, Huscerl ? Il est assez conou
qu'ils ont cherché Vintuition, et que, pour eux, la dialec-
tique était la philosophie des raisonneurs, la philosophie
aveugle et bavarde, ou, comme dit J. Beaulret, ¢ ventri-
loque >. Relisant des manuserits ancions, Husser] éerivait
quelquefois en marge : « Das habe ich angeschaut. » Quoi
de:commun entre ces philosophes voués ce quiils voient,
positifs, méthodiquement naifs, et le philosophe roué, qui
crease toujours sous Vintuition pour y trouver l'autre intui-
tion, et que chaque spectacle renvoie 4
Crest Vhistoire contemporaine de la dialectique et celle
du renouveau hegelien qu'il faudrait évoquer pour répondre
& ces questions. La di: ¢ que les contempor
N. von Hartmann,
1. Lezistentialisme est un humanisme.
PARTOUT ET NULLE PART 197
Tun secret
¥ penser,
‘connexion est celui qui n'avait
choisir entre Ia logique et lanthropologie, qui fai
ger la dialectique de 'expérience humaine, mais définiees rt
Thomme comme por Logos, qui mettait
au centre de la philosophie ces deux perspectives et le
renversement qui transforme T'une en Pautre. Cette dia
lectique-la et intuition ne sont pas seulement compatibles
il y a um moment oi elles confluent. On peut euivre &
travers le bergsonisme comme a travers la carriére de
Husserl le travail qui peu a
ion, change 1a notation po
diates > en une
pour parler de toutes choses sans
de Ia gentse >, et lie, dans une
unité vivante, les dimensions opposées d'un temps qui est
finalement coextensif I’étre. Cet étre, entrevu & travers
Jo bougé du temps, toujours visé par notre temporalité, par
notre perception, par notre étro charnel, mais oi il ne
peut étre question de ee transporter, parce que la distance
supprimée Ini Sterait ca consistance d’étre, cet étre « des
lointains », dis legger, toujours proposé & notre trans-
cendanee, c'est T'idée dialectique de Vétre telle que la défi
nissait le Parménide, au-dela de la multiplicité empirique
des choses qui sont, et par prinef a travers elles,
‘ou nuit, Quant
lectique, les modernes la
retrouvent dés qu'il nt nous saisir dans notre rapport
effectif au monde. Car ils rencontrent alors Ia premidre et
la plas profonde des oppositions, la phase inaugurale et
Jamais liquidée de a dialectique, la naissance de la
par principe, se sépare et ne se sépare que
irréfiéchi. La recherche de I'¢ immédiat > ou
de la « chose méme », dis qu’elle est assez consciente, n'est
pas Ie contraire de la ‘m Ja médiation n'est que la
reconnaissance résolue d'un paradoxe que Tintuition, bon
gré mal gré, subit: pour se poscéder, il faut commencer
sortir de coi, pour voir le monde méme, il faut d’abord
igner de lui.
Si ces remarques sont justes, seul resterait hors de la
& la face subjoctiSIGNES
anglo-saxons ¢
toutes les philos
masqué
est durab
able, cette
les autres, ne révéle-telle pas
ordre Je champ apparemment
transparent et d'un univers véou qui 'est de moins en
moins, la pression du non-sens sur le sens n'aménera pas
le positiviome logique & réviser ses critéres du clair et de
Yobscur, par une démarche qui est, disait Platon, la
démarche méme de la p! ?
valeurs intervenait, il faudrait apprécier le positivieme
Jogique comme la derniére et la plus énergique « résis-
tance > & la philosophic concréte que, d'une maniére ou
hut de ce sitcle n’a pas cessé de chercher.
st pas une philosophic heu-
périence, et,
Yempirique, quelle
‘ontologique dont
pourtant, qu’elle ne se limite pas
restitue dans chaqcte expérience le
itéricurerient marquée.
ms, di naginer T'avenir de la philosophie, deux
est qu'elle ne retrouvera jamais
~, avec ses concepts, les clefs de la
nature ou de Vhistoire, et cest qu’elle ne renoncera pa:
son radicalisme, 2 cette recherche des présupposés et
fondements quia produit les grandes philosophies.
Elle y renoncera d’autant moins que, pendant que les
systémes perdaient leur crédit, Ies techniques se dépassaient
elles-mémes ct relangaient la philosophie, Jamais, comme
aujourd’h ifique n'a bouleversé sor
ature n’a été aussi « philoso-
phique > qu’ le, n'a autant réfléchi sur le lan-
gage, sur Ja vérité, sur le sens de Vacte d’écrire. Jaraais,
PARTOUT ET NULLE PART 199
ou sa tr
‘eonserval
lution.
seraient
que cet iétude ne se dévore, et que le monde ne se
détruise en faisant Pexpérience ‘de Iuiméme, on peut
attendre beaucoup d’un temps qui ne croit plus & Ia philo-
sophie triomphante, mai
appel permanent
Ja philosophic
On demandera peut-stre ce qu'il reste de Ia philosophic
quand elle a perdu ses droits I priori, au systéme ou
Ta construction, quand elle ne surplombe plus Texpé-
ce. Ten reste presque tout. Car le systéme, Vexpli-
cation, la déduction n’ont jamais été Vessentiel. Ces arran-
aient — et cachaient — un rapport avee
spparence, le systéme
8 Puniversalité,
ituer par rapport & Tete, et il suffit, pour
phic dure, que ce rapport demeure probléme,
pas pris comme allant de soi, que le téte-i-téte
en sort, Ie juge, Vaccueille, le repousse, Je transforme et
finalement Je quitte. C'est ee méme rapport qu'on tente
aujour@hui de formuler directement, et de Ia
philosophie se sent chez elle partout oft il a
dire partout, aussi bien dane le témoignage d'un ignorant
qui a aimé et véen comme ill a pu, dans les « trues » que
Ia science invente, sans vergogne spéculative, pour tourner
les problémes, dans les civilisations < barbares » dans les
régions de notre vie qui
officielle, que dans Ja littérature, dans Ia vie sophistiquée,
ou dans les discussions sur la substance et I'attribut. L’hu-
manité instituée se sent problématique et la vie la plus
immédiate est devenue ¢ philosophique >. Nous ne pouvons
concevoir un nouveau Leibniz, un nouveau Spinoza qui y
entreraient aujourd'hui avee leur confiance fondamentale
en sa rationalité. Les philosophes de demain n’auront pas200 SIGNES
a « ligne anaclastique », la < monade », le < conatus >,
Ja < substance », les « attributs », Je « mode infini >, mais
ils continueront d'apprendre dans Leibniz et dans
comment les siéeles heureux ont pensé
sphinx, et de répondre a lei ‘re, moins figurée et
plus abrupte, aux énigmes multipliées qu'il leur propose.
w
LE PHILOSOPHE ET SON OMBRE
La tradition est oubli des origines, disait le dernier
Husserl. Justement si nous Jai devons beaucoup, nous
sommes hors d'état de voir au juste ce qui est a Tui. A
Végard d’un philosophe dont Ventreprise a éveillé tant
Echos, et apparemment si loi du point of il se tenait
lui-méme, toute commémoration est aussi trabicon, soit que
nous lui fassions Yhommage trés superflu de nos pensées,
comme pour leur trouver un garant auquel elles n’ont
droit, — soit qu’au contraire, avec un respect qui n'est
tance, nous Je réduisions trop strictement & ce qu'il
a luiaméme voulu et dit. ces difficultés, qui sont celles
e les « ego >, Husser] justement
it bien, et ill ne nous laisse pas sans ressource
en face d'’elles. Je m'emprante a autrui, je le fais de mes
Propres pensées : ce n'est pas Ia un échec de la perception
Wautrui, c'est la perception d’autrui, Nous ne Paccableri
pas de nos commentaires importune, nous ne le réduiri
¢ qui de lui est objectivement attest
Ta pour nous, non sans doute avee P'évi-
dence frontale d'une chose, mais installé en travers de notre
pensée, détenant en nous, comme autre nousmémes, une
région qui n’est & nul autre que lui. Entre une histoire de
Ia philosophie « objective >, qui mutilerait les grands
philosophes de ce qu’ils ont donné & penser aux autres, et
une méditation déguisée en dialogue, o& nous ferions les