AYouest du Jourdain
L'sraélien Assaf Gavron signe leroman, sans angélisme, des colons juifs en Cisjordanie
omancier et traducteur
de Yanglais vers I'hébreu
(de Salinger, Philip Roth,
Jonathan Foer, entre
autres), Assaf Gavron, né en 1968,
rassemble toutes les caractéristi-
ques de Vécrivain israélien de sa
génération. Pacifiste, de gauche, il
vient méme de déclarer specta-
culairement a un journal suédois,
regne depuis lopération « Bor-
protectrice » et la margina-
jon de son camp, « hashta~
gué» comme «gauchiste ». Et
pourtant, ce pedigree d’intellec-
tuel tel-avivien, a l’aise dans tou-
tes les métropoles occidentales,
ne I'a pas empéché de décrire
avec empathie, sinon sympathie,
Yunivers dans lequel évoluent ses
adversaires politiques, celui'des
jeux ayant choisi de
vivre dans des localités situées &
Yextérieur des frontiéres anté
jeures a 1967, au cceur de la Ci
jordanie palestinienne que les Is-
Taéliens appellent par dérision le
« far west ». Car, contrairement &
une tendance a l'ceuvre dans la
jeune littérature ou le cinéma is-
raélien, Assaf Gavron n‘a pas dé-
tourné son regard, souvent persi-
avec les Palestiniens —
intastique, 'autofiction
En un récit classique et bien
tourné, malgré une chronologie
faussement sophistiquée ba-
tie sur d'incessant flash-back, Les
Innocents propose la chronique
de ce Clochemerle en « Judée-Sa-
marie » (nom que les colons et
leurs partisans donnent aux ter-
ritoires occupés), Maaleh Her-
mesh 3, une implantation i
méme au regard de la
que Fécrivain semble poser tout
au long du récit; la, cest-a-
dire dans le décor magnifique du
désert de Judée, avec ses collines
t 1 Jade
terre de Sienne, mais cernés par
les villages palestiniens et sous la
protection constante de l’armée.
Sur le terrain
A travers l'itinéraire de Rony et
Gaby Cooper, deux orphelins un
peu paumés que la crise et les
échecs de leur vie personnelle
font tous deux s’échouer autour
de la quarantaine dans cette im-
passe, Assaf Gavron parvient avec
beaucoup d'intelligence a retra-
cer le fil invisible qui relie les
strates disparates de Yexistence
d'lsraél. Issus d'un kibboutz gali-
léen a la veille de son déclin, les
deux fréres ne sont pas sans re-
trouver I’atmosphére de leur en-
fance rurale dans ce conglomérat
déjanté d’habitations m« s, a
Ja fois loin du monde mais tou-
jours exposé aux regards suspi-
cieux des journalistes de la presse
internationale quis’y égarent et
Ja surveillance des Etats-Unis. Ce-
pendant, ni les tensions perma-
péchent qu’en tapin:
niens et Israéliens se rencontrent
sur le terrain. Comme si lintrica-
tion économique des deux peu-
ples avait ses raisons que I'idéolo-
gie ne connaissait pas.
En cherchant & lancer sur le
marché branché de Tel-Aviv, en
mal de bio, 'huile artisanale du
paysan palestinien Moussa, Rony,
le businessman failli, chassé de
New York par leffondrement des.
subprimes, incame ce fragile lu-
mignon d'espoir qui se développe
a Vabri des caméras et des lignes
de front trop bien tranchées. Dou
cette scéne étrange qui voit, réu-
nis autour d'une méme pelle-
teuse, Moussa, Rony lelaique etla
fanatique Neta protester ensem-
ble mais pour des raisons diamé-
tralement opposées contre la bar-
igre dite «de protection» —le
(i menace de s‘édifier sur
les oliviers précieux, dans tous
les sens du terme. Coalition im-
probable, sans doute, mais qui
qu’en littérature au
utopie n’a pas dit son
dernier mot. @
jwismmocnrs) 7
} traduit de ’hébreu par Laurent
} Cohen, Rivages, 656 p. 25 €.