PROLETAIRES DE TOUS LES PAYS, UNISSEZ-VOUS!
FEVRIER 1946 PRIX: 20Fr.
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FOU TRIEME.
INTERNATIONALE
a
La Question de
LULR. S. S.SOMMAIRE :
® EDITORIAL: NOTRE POSITION ACTUELLE SUR L'U.R.S.S.
® L’EXPLOSION D'IMPERIALISME BUREAUCRATIQUE.
@ LA POLITIQUE DU KREMLiN-EN ASIE.
@ THESES SUR LA RUSSIE STALINIENNE D‘AUJOURD’HUI.
® DEFENSE INCONDITIONNELLE DE L’U.R.S.S.
@ PERSPECTIVES ECONOMIQUES POUR L’ AMERIQUE
D’APRES GUERRE.
@ LA STAGNATION DE L'ECONOMIE FRANCAISE.
NOUVELLES DU MOUVEMENT EES ET DE L'INTER-
NATIONALE,
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19, Rue Daguére - PARIS (14°)
Compie Cheque Postal : Faujet - 3.205-19 Paris.FEVRIER 1946
Publications du Comité Exécutif Européen de la
IV" INTERNATIONALE
La guerre accélére les différents processus politiques.
Elle peut accélérer le processus de régénérescence révolu-
tionnaire de I'U.R.S.S. Mais elle peut aussi accélérer le
processus de sa dégénérescence finale.
Pour cette raison, il est indispensable que nous suivions
attentivement et sans préjugés les modifications que la
guerre peut introduire dans la vie intérieure de I'U.R.S.S.
de facon a ce que nous puissions faire une juste appréciation
de leurs rythmes.
(L’'U.R.S.S. en Guerre). L. Trotsky (septembre 1939).
NOTRE POSITION ACTUELLE SUR
L’ UE R825.
OMMENT pouvons-nous faire le bilan de la deuxiéme guerre impérialiste pour
iC YU.R.SS. et défnir la position que nous défendons en ce qui concerne son
earactére de classe, et la question de sa défense inconditionnelle ? Les
attaques venant du dehors et de nos rangs eux-mémes se multiplient contre notre
position —- celle que Trotsky a défendue jusqu’A ses derniers instants — au fur
et A mesure que s'accumulent les effets de la dégénérescence bureancratique de
YU.RSS, : violation du droit des peuples A disposer d’eux-mémes, transferts
massifs de populations, pillages, terreur policiére, bureaucratisation et prostration
du mouvement ouvrier, abandon de Yinternationalisme et d’une politique de classe.
Les ouvriers avancés, aussi bien dans les pays occupés ou contrélés par
YU.R.S.S. que dans le reste du monde, sont complétement désorientés devant ces
manifestations de la politique de la bureaucratic soviétique et des Partis Commu-
nistes qu'elle contréle, et qui sont & l’opposé des théses essentielles, des parties
intégrantes et fondamentales de la notion et du contenu de notre doctrine socialiste.
Les ouvriers et les paysans des pays qui ont assisté a Ventrée en guerre de
VArmée Rouge, et qui ont subi son occupation, ces mémes ouvriers et paysans
qui ont salué, en entrant dans une action révolutionnaire, cette arrivée comme
synonyme du commencement de la Révolution, restent encore stupéfaits devant
le primitivisme et 1a brutalité sous laquelle leur est apparu le visage de I’Etat
ouvrier, du pays du Socialisme, en la personne de la bureaucratie soviétique.
Cependant, est-ce que cela est déjé suffisant pour changer notre appréciation
sur la nature de’ classe de !'U-R.S.S, ?2 Iv) INTERNATIONALE
Nous pensons, quant & nous, que les éyénements depuis 1940, au lieu de nous
ineiter & prendre le chemin des révisionnistes de toute couleur sur cette question
fondamentale de la politique du prolétariat révolutionnaire, confirment pleinement,
au contraire, l'analyse donnée par Trotsky.
Quels étaient les éléments essentiels de cette analyse et comment se sont-ils
confirmés par l'expérience de la guerre et de ses conséquences ? ‘Trotsky, patiem-
ment, systématiquement, a expliqué, jusqu’aux derniers moments de sa Vie, que si
on veut rester fidéle & la théorie marxiste, le caractére de classe de !'U.R.S.S.
doit étre déduit de son origine historique et de ses rapports de propriété, et non
pas de la politique suivie par la couche sociale qui détient le pouvoir étatique.
L'U.R.S.S. représente encore a Vheure actuelle un type d’Btat gui a été instauré
griice & la révolution prolétarienne d’octobre 1917, et qui a transformé les rapports
de propriété capitalistes par I’étatisation des moyens de production et la planifi-
cation de l'économie étatisée,
Ce type d’Btat qui a une telle origine historique, et qui maintient encore
une économie étatisée et planifiée, malgré la politique de la couche sociale qui
détient le pouvoir étatique, ne peut étre qualifié que comme un Etat ouvrier
dégénéré, c'est-a-dire que comme un tat qui ne représente pas un nouveau type
de société historiquement nécessaire entre le capitalisme et le socialisme, mais
une déformation trés avancée de Etat ouvrier dans les conditions de V'isolement
_ de la Révolution dans un seul pays arriéré, entouré de limpérialisme,
Les partisans de la théorie que I'U:R.S.S. est redevenue un Etat capitaliste,
fasciste et impérialiste, tombent dans Vabsurde et le revisionisme pur en admettant
que le capitalisme est capable dans sa phase de décadence impérialiste, de donner
A sa structure économique une forme générale et durable d’étatisation et de plani-
fication, en maitrisant ainsi ses contradictions internes, son anarchie, ses crises,
et en assurant un nouveau développement de ses forces productives.
Les partisans de la théorie que 'U.R.S.S. constitue un Etat de type nouveau
— le collectivisme bureaucratique de Burnham, de Bruno R, et de Schachtman —
admettent en réalité la nécessité historique dune telle étape succédant au capi-
talisme, et par cela méme, éliminent les possibilités révolutionnaires et les perspec-
tives socialistes du prolétariat international,
‘Nous disons, nous: la preuve décisive que 'U.R.SS. n'est pas redevenue encore
un Etat capitaliste, et ne constitue pas non plus un état de type nouveau, sera
donnée aprés une période qui, mesurée d’aprés notre échelle humaine, peut nous
paraitre longue, plus longue gu’on T’a escompté, mais qui, mesurée a l’échelle
de V'Histoire, ne paraitra pas plus longue que quelques heures dans ld vie d'un
homme,
La guerre n'a déterminé ni la chute du régime économique et social, ni la
chute du régime politique de Staline, ni la régénérescence prolétarienne et socia-
liste de PUR.S.S.
Est-ce que cela au moins constitue un démenti de Vanalyse de Trotsky et de
sa justesse théorique ?
Nous ne le pensons pas,
Rt tout d'abord, Trotsky n'a jamais envisagé la période des hostilités ouvertes
comme la seule période critique pour le sort définitif de 1'U.R.S.S. Tl @ toujours
parlé de la guerre et de ses conséquences, des hostilités et de la période les suivant
jmmédiatement, Nous vivons encote dans cette période qui, sous plusieurs aspects,
protonge la guerre, en tant que période qui continue a opposer violemment I'U.R.S.S.
& Vimpérialisme,
Deuxiémement, ‘Trotsky envisageait durant les hostilités un front impérialiste
plus uni et plus puissant contre YU.RS.S, et, & travers la guerre et ses consé-
quences, un mouvement révolutionnaire des masses plus ample et plus profond
que celui d’aujourd’hui,
La stabilité du régime de 'U.R.SS, et de Staline ne peut s'expliquer aujourd'hui
quen tenant compte des facteurs suivants :
Durant Jes hostilités ouvertes, 'U.R.S.S, et Staline ont bénéficié des antago-
nismes interimpérialistes qui ont empéché V’impérialisme d’unir toutes ses forces
contre 'U:R.S.S. Is ont bénéficié dautre part des avantages du régime économique
intérieur, des possibilités de redressement et de production de l'économie étatisée
et planifiée,
‘Aujourdhui, aprés la fin des hostilités ouvertes, Staline bénéficie de Vabsence
@un fort mouvement révolutionnaire en U-R.S.S. méme et dans le reste du monde
capable de le renverser. D’autre part, il est en butte & Ja pression de l'impérialisme
et deg éléments néo-capitalistes de Tintérieur,
La bureaucratie honapartiste maintient en définitive son équilibre général entre
Yimpérialisme et la Révotution, entre le retour au capitalisme et la régénérescenceSe eee
Ive INTERNATIONALE 3
socialiste de YU:R.S.S., parce que ni Yimpérialisme déchiré par ses contradictions
internes, ni le mouvement ouvrier subissant encore V'influence démoralisante du
stalinisme, n'arrivent encore & déterminer une poussée décisive dans un sens ou
dans Yautre,
Que cette situation puisse se prolonger pendaht une période plus longue qu'on
le prévoyait, cela est une chose ; mais que cette situation évolue vers un dénouement
inexorable est une autre chose,
Nous sommes entrés dans cette période critique qui décidera du sort final du
régime économique et social établi en U.R.S.S. et du régime politique de Staline.
Les changements intérieurs et extérieurs provoqués par la guerre ont modifié
dans un sens le rapport des forces sur lequel se basait V’équilibre relatif de 1a.
bureaucratie soviétique, Nous n’avons pas encore toutes les données nécessaires
pour apprécier la situation intérieure exacte de UR.SS.
Mais, d’ores et déjé, nous sommes en mesure d'esquisser quelques lignes
directrices :
La guerre a marqué, selon Yexpression de Molotov méme, V'arrét du dévelop-,
pement de V'appareil productif de YU.R.S.S., et par ses destructions, a ramené
de plusieurs années en arriére Véconomie du pays.
Les destructions en Ukraine seule sont évaluées & plus de 100 milliards de
dollars, soit cing fois le plus haut revenu national total de 1938.
Dautre part, !'U.R.S,S, a perdu 17.000.000 a’hommes et 3,000.000 d'irrécupé-
rables, Parmi ces pertes, figure la fleur des ouvriers des villes industrielles et de
la jeunesse soviétique, qui ont défendu le pays les deux premieres années malheu-
reuses de la, guerre germano-soviétique,
Le recul économique du pays, les ravages dans les rangs des meilleurs
éléments et des couches les plus avancées du prolétariat, ont, d'une part, renforcé
les éléments néo-bourgeois de la paysannerie (kholkhoziens millionaires), et,
autre part, la bureaucratie dans son ensemble par rapport au prolétariat
soviétique.
Au sein méme de la bureaucratie, les conditions de la guerre ont renforcé les
éléments militaires contre lesquels la bureaucratie du Parti se voit aujourd'hui
obligée de réagir,
D’autre part, 'appauvrissement général du pays, 'abaissement extraordinaire
du niveau de vie de la’ population, et Ie contact pour la premiere fois depuis la
Réyolution de millions et de millions de citoyens soviétiques avec 1'Hurope capi-
taliste et son standard de vie, provoquent des réactions dans les masses, réactions
dirigées d'une facon directe ou indirecte contre’la bureaucratic,
Ty a actuellement, selon toute probabilité, en U.R.S.S,, une telle situation de
diffieultés économiques et de tension sociale et politique entre les différentes
couches de 1a population, entre les masses et la bureaucratic, entre les différentes
fractions de la bureaucratie, qu'il ne peut y avoir d’apaisement que grace a Vaide
extérieure,
Ce qui explique en premier leu la politique actuelle d’expansion de la bureau-
eratie soviétique,
Le «< socialisme dans un seul pays > sous le nom duquel la bureaucratie a
théorisé son effort de construire une économie autarchique, fermée, servant ses
propres intéréts de caste privilégiée, a fait définitivement faillite, €conomiquement
et politiquement, La bureaucratie cherche & parer a ces difficultés actuelles, &
restaurer sa base économique, apaiser le mécontentement des masses, et a’ se
garanitir contre la pression et le retour offensif de Vimpérialisme, par extension
de sa zone d’influence et de controle effectif tant en Europe qu’en Asie.
Les pays occupés ou controlés par 1'U.R.S.S. doivent avant tout contribuer
# la restauration rapide de la puissance économique de 'U.R.S.S, méme, -
Une partie des richesses industrielles, agricoles et humaines de ces pays a été
rapidement enlevée et transférée en U.R.S.S. (démantélement des usines de I’Alle-
magne, de la Hongrie, de l'Autriche ; réparations en nature de la Finlande et de la
Roumanie ; déporlation de la main-d’euvre allemande, ete...),
Ce processus a été accéléré particuliérement dans toute cette partie de sa
zone actuelle @influence, que 1a bureaucratie croit peut-étre qu’elle sera amenée,
tot ou tard, céder & la pression de l'impérialisme.
Par contre, dans tous les autres cas, la bureaucratie travaille selon une
perspective plus longue, qui consiste a préparer Vincorporation graduelle d'une
série des pays dans son orbite économique et politique. (Hn Europe : Tchécoslova-
quie, Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, et méme une partié de
Allemagne et de I'Autriche).
Dans tous ces pays, V'action de la bureaucratic, déterminée en définitive par
son _caractére complexe de classe, a suivi la ligne générale indiquée par I'analyse
de Trotsky.
iigi ‘5 SS ie. 2 ae
Pk fe ee
i
Lientrée de'l’Armée Rouge dans ces pays a donné partout une < impuision
au mouvement révolutionnaire des masses », comme en Finlande et en Pologne
en 1940,
Dans tous ces pays, Vinstallation du controle de la bureaucratic sovidtique
‘a provoqué des changements de la structure sociale, par Vaccomplissement de la
réforme agraire, expropriation des capitaux étrangers, l’étatisation plus ou moins
étendue des industries, la formation des comités ouvriers et des comités de paysans.
Trotsky a expliqué que ce processus devient inévitable, non pas parce que « la
hureaucratie est attachée au programme socialiste, mais parce qu'elle ne désire
et n’est pas capable de partager le pouvoir et les privileges que ce dernier comporte
avec les anciennes classes dirigeantes dans les territoires occupés >.
‘Cependant, cette transformation structurelle — de caractére révolutionnaire —
se fait dans un sens militaro-bureaucratique et ne remplace nullement la révolution
socialiste, c'est-A-dire I'activité révolutionnaire indépendante des masses dans le
but d’arrver non seulement & étatiser les moyens de production, mais & controler
@abord et A gérer ensuite par elles-mémes la production.
La bureaueratie ne peut cependant admettre cette action indépendante des
masses. LA oil elle tolére les comités ouyriers et paysans, clle ne le fait que dans la
mesure oi elle a assuré par le controle bureaucratique et policier sa prépondérance
sur les masses révolutionnaires.
Nous nous séparons résolument de ceux qui nient le caractére progressif’ des
mesures économiques prises par la bureaucratie dans les pays occupés par elle
et qui refusent de les défendre contre les attaques de l'impérialisme et de la
réaction intérieure.
‘Mais nous nous délimitons aussi de ceux qui, partant du caractére progressif
relatif de ces mesures, conférent a la bureaucratie une mission historique pro-
gressive,
« Lfétatisation des moyens de production, écrivait en 1939 Trotsky, est, nous
disions, une mesure progressive. Mais son caractére progressif est relatif; son poids
‘spédifique dépend du total des autres facteurs. Nous devons dabord et prineipa-
Tement établir que Yextension du territoire dominé par Vautocratie et le parasitisme
bureaucratique, camoufié sous des mesures, « socialistes », peut augmenter le
prestige du Kremlin, engendrer des illusions concernant la possibilité de remplacer
Ja révolution prolétarienne par des mancnvres bureaueratiques et ainsi de suite.
Ce danger pase de loin -pius lourdement que le contenu progressif des réformes
staliniennes en Pologne.
« Pour que la propriété nationalisée dans les territoires occupés, ainsi que
dans PU.R.S.S, méme, devienne la base d’un développement socialiste, il est néces-
saire de renverser la bureaueratie de Moscou, Notre programme, par conséquent,
garde toute sa validité. Les événements ne dotvent pas nous prendre & V'improviste.
Tl est nécessaire seulement de les interpréter correctement. Tl est nécessaire de
comprendre clairement que des contradictions aigués sont contenues dans le carac-
tare de 'U.R.S.S, et dans sa position internationale. Il est impossible de se libérer
d'une de ces contradictions par une pirouette terminologique (état « ouvrier » —
‘ou pas « état ouvrier »). Nous devons prendre les falis tels qu'lls sont ; nous
devons construire notre politique en prenant comme point de départ les relations
et les contradictions réelles. Nous ne confions aucune mission historique au
Kremlin, Nous étions et nous restons contre Ia eonquéte de nouveaux territoires
par le Kremlin. Nous sommes pour Vindépendance de Ukraine sovictique, et si, les
Russes de Ia Biélo-Russie eux-mémes le désirent, nous sommes pour leur indépen-
danco, En méme temps, dans les parties de la Pologne occupée par Armée Rouge,
Jes partisans de la IV: Internationale doivent jouer un role décisif dans les expro-
priations des propriétaires fonciers et des capitalistes, en eant les terres
entre les paysans, ea créant des soviets et des comités d’ouvriers, etc.. Tout en
agissant ainsi, ils doivent maintenir leur indépendance politique, ils doivent Inter,
‘durant Jes élections pour les soviets et comités dusines, pour Pndépendancd
compléte de ces dernicrs vis-2-vis de la bureaueratie, et ils doivent mener une
propagande réyolutionnaire dans un esprit de méfiance vis-a-vis du Kremlin et
do ses agences locales. »
Crest encore aujourd'hui notre position en ce qui concerne nos téches dans
les pays contrdlés par I'U.R.S.S,
"Mais 1a, aussi bien qu’a V’échelle mondiale, la question de Ja défense de la
propriété étatique des moyens de production de I'U.R.S.S. et des mesures progres-
| sives économiques et sociales appliquées dans les pays controlés par elle, est
aujoura’hui subordonnée avant tout a la défense des intéréts de la révolution
prolétarienne mondiale. Ht cette défense implique, aussi bien en U.R.S.S. que dans
Te reste du monde, une lutte implacable pour le renversement révolutionnaire deIve INTERNATIONALE 5
la bureaucratic thermidoriemne, et contre la politique revisionniste et antiproléta-
rienne des partis staliniens,
« Le principal critare politique pour nous, écrivait Trotsky, n'est pas Ia
transformation des relations de propriété dans telle ou telle région, aussi impor-
tante qu’elle soit en elle-méme, mais plutdt les changements dans la conscience
et Vorganisation du prolétariat mondial, le renforcement de son aptitude 4 défendre
ses conquétes précédentes et & en faire des nouvelles, De ce point de vue, Je seul
point de vue décisif, Ia politique de Moscou, prise comme un tout, garde comple-
tement son caractére réactionnaire, et reste le principal obstacle dans la vole de
la Révolution mondiale. »
x LEXPLOSION x
D’IMPERIALISME BUREAUCRATIQUE
toire sur V'Allemagne, ont oc- | ses de haine chauviniste aveugle sont
cupé I'Europe orientale et, en | constamment inoculées, traité comme du
grande partie, l'Europe centrale. | bétail par ses < gradés », se rattrape
Personne, évidemment, ne s’attendait A | par des brutalités contre la population
ce quelles s/arrétassent aux frontiéres | locale, par le pillage et le viol. Des wa-
de V'U:R.S.S. et le fait méme de traver- | gons de biens volés traversaient récem-
ser des frontiéres, lors du dernier acte | ment la Pologne, selon un journaliste
d'une guerre gigantesque, n’a pas en soi | américain, décorés de Pétoile soviétique
de signification politique indépendante: | (!) et d'inscriptions comme celle-ci:
Ja nécessité militaire en est évidente. Le | « Nous appartenons & une nation de
probléme & examiner n’est pas le sim- | vainqueurs >. Cette dépravation morale
ple passage des frontiéres, mais 1a poli- | est un produit direct du régime brutal
tique suivie par les autorités @occupa- | de 1a bureaucratie, Faire le silence sur
tion. eet aspect de Yoccupation, c’est faire le
cist aapens silence sur un des plus monstrueux cri-
mes de Staline.
de Ia politique d’occupation
I ES armées russes, aprés leur vie- | Le soldat soviétique, @ qui de fortes do-
Pourtant, quand tout a été ait sur Ja
Le premier point & noter dans cette | politique chauviniste réactionnaire de la
politique, c'est I'absence totale dinter- | bureaucratie, sur la corruption: de V’ar-
nationalisme. Les autorités soviétiques | mée soviétique, il reste un certain nom-
sément et cultivent avec grand soin le | pre de faits, tels que les indemnités réel-
chauvinisme aveugle, esprit de revan- | lement fantastiques, le démantélement
che. L'internationalisme et méme toute | d'usines, le travail forcé & grande
compassion humaine élémentaire sont | échelle, ete., qu'il est impossible d'ex-
piétinés, Ce seul fait serait suffisant | pliquer autrement que par des causes
Pour que nous condamnions la politique | économiques et sociales plus profondes.
staliniste en Europe. Mais il n’est 18 | Le démantélement d’usines, systémati-
rien de nouveau, Seules des illusions sur | quement opéré de l'Autriche a la Corée,
la réalité soviétique pouvaient faire at- | n'est pas simplement di a la déprava-
Yendre quelque chose d’autre, tion de tel général ou bureaucrate so-
viétiques. Nous avons 1a toute une série
Comme deuxiéme point, i faut m de phénoménes dont les racines sociales
tionner Yattitude des soldats soviéti- | et économiques sont A rechercher dans Ja.
ques, Il n'est aucune raison de faire un | gestion bureaucratique de l'économie so-
Pudique silence sur cet aspect répugnant | viétique. C’est ce dernier aspect de Yoc-
de Voccupation, pourvu que la cause en | cupation que je propose de nommer im-
soit proprement, expliquée et la respon- | périalisme, plus précisément impérialis-
sabilité placée 1€ oil il se doit. Vingt ans | me bureaucratique, pour une série de
de la barbarie politique de Staline ne | raisons que je vais essayer de présen-
sont pas passés sans laisser de traces. | ter,6 Ive
Il est A noter dés maintenant qu'il est
plus correct de parler d’éléments d’im-
périalisme, Nous n’avons observé ces
nouveaux phénoménes que pendant une
période qui, historiquement, est encore
fort bréve, Ce n'ont été jusqu’a main-
tenant que des explosions, certes vio-
lentes, mais concentrées dans un inter-
valle de temps encore trés court. Ces
éléments a’impérialisme ne jouent en-
core dans l'économie soviétique qu'un
rdle secondaire; ils sont encore bien
loin d’avoir engendré un systéme parfait,
tel que l'empire britannique. Cependant,
en tant qu’éléments, leur existence est
indéniable.
‘La gestion bureaucratique
engendre Vimpérialisme
Liimpérialisme qui domine actuelle-
ment le monde est Vimpérialisme finan-
cier. Liimpérialisme bureaucratique so-
viétique n'est manifestement pas un im-
périalisme financier, Bien au contraire.
L/impérialisme financier trouve son res-
sort interne dans une surabondance de
capital, précédemment accumulé, en
quéte d'investissements, Le trait distine-
tif de l'économie soviétique est encore
le bas degré de Vindustrialisation et le
probléme dui se pose & elle ne ressemble
nullement @ celui qui se pose au capi-
talisme mdr, mais bien plutot a celui
que dut résoudre le capitalisme naissant:
@est le probléme de l'accumulation pri-
mitive,
Le pays qui fut & la téte du dévelop-
perient capitaliste, Angleterre, résolut
le probléme de I'accumulation primitive
par des méthodes barbares dont Marx
nous a laissé une vive description dans
Vavant-dernier chapitre du premier yo-
lume du Capital: les lois contre les pau-
vres et les vagabonds, les rapts d’en-
fants, ete, Dans les pays qui suivirent
VAngleterre sur le chemin du capitalis-
ame, les mémes méthodes furent coml
nées, & des degrés divers, & I'investisse-
ment de capitaux anglais, précédemment
accumulés, ce qui permit de.résoudre la
tache plus facilement, :
Liéconomie soviétique est encore loin
@avoir yéalisé une industrialisation du
pays comparable A celle des pays capi-
talistes avancés, Or la bureaucratic sta-
liniste gére V’économie soviétique d'une
maniére telle que le fonds d’accumula-
tion amnuel se trouve fortement réduit.
Non seulement a bureaucratie s’appro-
prie une part disproportionnée du reve-
nu national, mais encore, — et c'est 1a
Je point Je plus important, — par ses
méthodes, elle retarde Vaccroissement,
de la productivité du travail, multiplie
les pertes et, en général, entrave de plus
en plus le développement de l'économie.
La bureauecratie se trouve ainsi con-
trainte, pour que le taux d’accumulation’
ne tombe pas A un niveau ridiculement
INTERNATIONALE
bas ou méme ne devienne négatif, & pil-
ler, partout o0 elle le peut, les moyens
de production et la force de travail afin
de combler les frais que sa gestion im-
pose & l'économie soviétique, Le carac-
tére parasitaire de la bureaucratie se
manifeste, dés que les conditions poli-
tiques le permettent, par le brigandage
impérialiste.
La politique de la bureaueratie sovié-
tique & Vextérieur de !'U.R.S.S, n’est que
la continuation de sa politique a Vinté-
rieur, Certains peuvent conclure de ce
fait, incontestable en soi, que explosion
d'impérialisme bureaucratique ne mérite
guére dattention spéciale et qu'il s'agit
d'une simple extension géographique
dun systéme déjé existant; par consé-
quent, rien de Politiquement nouveau.
C'est simplifier le probléme & Vexces,
car Vaction de la bureaucratie, A Vin-
térieur et a Vextérieur de !URS.S, ne
s'exerce pas dans le méme milieu,
‘Les armées russes ont oceupé en Eu-
rope des régions beaucoup plus avancées
que.I'U.R.S.S. par le développement des
forces productives et de la technique, par
le niveau culturel des ouvriers et de la
Population laboriewse en général (les
cas extrémes sont ceux des régions in-
dustrielles de la Tehécoslovaquic, de
YAllemagne, de V’Autriche, etc.).
La bureaueratie trouva sa raison
a’étre historique en U.R.S.S, dans V’état
barbare du pays, dans la nécessité d’im-
planter la technique étrangére. ile
remplit ces taches a sa maniére, c'est-A-
dire. fort mal, et, & mesure qu’elle les
remplissait en partie, elle devint un
frein de plus en plus grand au dévelop-
pement wltérieur de lindustrialisation,
de la technique, de la culture.
Peut-étre Vextension du pouvoir de
Ja bureauoratie du Kremlin sur un pays
arriéré, comme 1a Mongolie extérieure,
par exemple, peut-elle encore signifier
pour un tel pays un développement in-
Gustriel plus rapide, (Méme dans ce cas,
il est maintenant permis de rester scep-
tique apres le démantélement d’usines
en Mandchourie et dans la partie de la
Corée occupée par Parmée russe.) Mais
dans les zones hautement industrialisées
de YBurope centrale, Yoccupation sovié-
tique a des conséquences directement et
effroyablement réactionnaires.
L’ « abolition des koulaks en tant que
classe », il y a quinze ans, ne manqua
pas Whorreurs. Selon un témoignage cité
par Trotsky, les troupes de la Guépéou
enlevaient les bottes des jeunes enfants
< koulaks », Cependant, quelle que
puisse étre notre indignation devant de
telle méthodes, V'expropriation facilita.
la réalisation du premier plan quinquen-
nal,
La situation en Europe aujourd'hui est
bien différente, Lorsque les bureaucratesIve INTERNATIONALE 7
soviétiques font démanteler'les usines de
‘Vienne, ils condamnent Youvrier viennois
A une mort plus terrible que la mort
physique, c'est la mort de sa classe, 52.
mort sociale, C'est condamner le pays a
ne pas sortir du marasme économique,
social, politique et culturel, C'est pro-
voquer la décomposition du_prolétariat,
la seule classe d’oU puisse venir le salut
de PEBurope. C'est frapper au coeur mé-
me Ja perspective du socialisme,
Démantélement d’usines
et travail forcé
Selon des chiffres officieux, la bureau-
cratie du Kremlin avait aéj démantelé
en septembre dernier et envoyé en Rus-
sie 20 % de Vindustrie tchéque, 30 %
de Vindustrie polonaise. Ce sont 14. des
pays < alliés >, Que s’est-il passé en Au-
triche, en Silésie, etc.? Et ces chiffres
sont purement quantilatifs: les bureau-
erates n’ont certainement pas pris le
matériel le moins moderne. Moscou s'est
arrogé le privilége de saisir dans les
pays oceupés, < amis > ou ennemis, toute
machine qui porte une marque de fabri-
que aliemande; c'est en fait se procla-
mer le droit de faire main basse sur
tout ?équipement industriel de ces pays.
L'économie des pays ennemis est en ov
tre écrasée par des indemnités de guerre
normes pour un avenir indéfini,
Au démantélément d'usines s'ajoute le
travail foreé, Les prisomniers de guerre,
les déportés polonais et baltes de 1939-
40, les prisonniers politiques, les mino-
rités allemandes déplacées de la Volga
ou de Roumanie, ete., forment un trou-
peau de malheureux forcats, dont le
nombre est certainement supérieur &
huit millions et peut-étre pas inférieur
A quinze ou vingt (+), Le sort de ces
infortunés est inférieur a celui d’escla-
ves, car le propristaire d’esclaves les
fait vivre, en général, dans des condi-
tions qui permettent leur reproduction
indéfinie, Par contre, le bureaucrate so-
viétique, par suite de sa propre situa-
tion, ne pense awa tirer des forcats
tout Je travail possible dans le plus bret
délai, D'un certain groupe de 100.000 pri-
sonniers allemands, 6,000 survivaient il
(®) Les statistiques officielies sont évidem-
ment silencieuses sur ce secteur de l'économie
# socialiste > (!) Le lumigre est faite sur
un petit morceau de la réalité par des infor-
mations que les menchéviks viennent de pu-
blier sur une certaine colonie de la Guépéou.
Dans le nord-est de la Sibérie, prés du fleuve
olyma, se trouvent des gisements auriferes
si riches que l'exploltation peut, s'en faire
Sans grande mochinorle, La région entiere,
arune superficie & peu prés égale 2 celle de
Ja Brance, fut remise & la Guépéou. Celle-ci
exploite les gisements & T'aide de cing, mil-
Hons de Zorcuts, Polonais déportés en 1939-40
ou prisonniers de guerre allemands, réduits
au régime du pain et de Teau, privés de
toute vie sociale, traités, dans le gens Je plus
strict des mots, comme du bétail, dans une
region aut climat Je plus inclément'du monde.
y a trois mols, aprés trois ans de capti-
Vité, selon un de ces matheureux qui se
serait échappé,
Le travail foreé a pris dans l'économie
sovistique une place qui est loin a’étre
négligeable en face du travail salarié.
Avec huit A vingt millions de forcats &
Coté de la classe ouvriére russe, le tra~
vail fore n’a pas seulement une impor-
tance politique, mais aussi économique.
Avec la gestion bureaucratique de !'éco-
nomie soviétique, le probléme de la
main-d'couvre et du rendement est inso-
luble. Le résultat le plus immédiat d'une
telle gestion, avec son commandement
incontrolé et son arbitraire, avec ses ini
quités et ses brutalités, est, en effet, de
maintenir Je rendement du travail & un
niveau exrémement bas. Liouvrier, privé
de tout droit et de toute protection, ne
se sent guére poussé & produire davan-
| tage, & prendre meilleur soin de ses ou-
| tils et de sa machine, ete... (**).
| Le bureaucrate essaie de résoudre ce
probléme par ses méthodes: stakhano-
yisme, extréme différenciation des salai-
res, et, enfin, travail foreé & grande
échelle’ Celui-ci s’insére dautant plus
facilemient dans le syst8me que le ren-
dement du travail salarié est fort bas,
souvent gudre supérieur & celui du tra-
vail foreé, et qu'il est ainsi maints tra-
vaux plus avantageux A exécuter avec
du travail foreé que du travail salarié,
surtout lorsque ces forcats sont privés
de toute vie sociale et réduits a étre
de simples donneurs de force de travail
jusqu’ leur mort, Tl serait économique-
‘ment impossible d'employer le travail
foreé sur une aussi grande échelle aux
Etats-Unis, par exemple, ott la force de
travail douvriers bien payés, équipés de
machines modernes, serait 1a plupart du
temps meilleur marché que la force de
travail de forcats A trés faible rende-
ment, Ainsi, la gestion bureaucratique
de V’économie, en entretenant la faible
productivité du travail, appelle et en
méme temps rend possible l'emploi du
travail foreé & grande échelle,
‘Les manifestations les plus vives de
Vimpérialisme bureaucratique, — pillage,
livraisons forcées, démantélement dusi-
nes, travail foreé, — sont donc les con-
séquences directes de la domination bu-
veaueratique de Véconomie soviétique et
non le produit du caprice de Jouko ou
(#8) Cet aspect tien connu de l'économie
soviétique était encore souligné récemment
dans un rapport d'une délégation des syndi-
eats anglais du fer et de V'acier, & son retour
de TU.RSS.: « Les ouvriers’ sont compé-
tents, mais, molzré des histoires d’augmenta-
tons’ fabulguses de production, nous croyons
que ja production par homme’ et par, heure
je travail est considérablement _au-dessous
Ge la notre, Les délégues furent défavorable-
ment frappés par le peu d’importance atta-
ché au soin de la machine. » (The New York
| Times, 17 novembre 1945).8 ive
de la soif de pouvoir de Staline, ni
méme de facteurs tels que la déprava-
tion des soldats soviétiques. Toute la
gestion bureaucratique de_1’économie
appelle de telles méthodes, En ce sens,
il est pleinement légitime de parler
dimpérialisme bureaucratique en tant
que systéme répondant & des besoins
économiques précis.
‘Tout impérialisme nait de difficultes
dans l'économie du pays. Ce que cet
impérialisme recherche révéle quelles
sont ces difficultés, L’impérialisme
financier, en quéte d’investissements,
réyéle dans la métropole une surabon-
dance de capital ne trouvant pas un
taux de profit suffisant, Limpérialisme
bureaucratique, avec ses millions de for-
cats et ses enlévements de machines,
réyéle les besoins d'une économie étouf-
fant sous la gestion bureaucratique.
A ce point quelqu’un fera sans doute
remarquer que la guerre a tant détruit
en U.RS.S, que cette destruction suffit
en elle-méme & expliquer les besoins de
économie soviétique, indépendamment
du gaspillage bureaucratique.
marque reste trop abstraite. Li
soviétique ne repart pas de zéro. Dans
Jes années précédant immédiatement la
guerre, en 1938-40, Yexistence de la bu-
Teaucratie pesait de plus en plus lour-
dement sur V’économie, Les taux de dé-
veloppement des industries-clés avaient
beaucoup baissé en ces années-la, La
guerre, avec la misére qu'elle a amenée,
@ approfondi, matériellement et spiri-
tuellement, l'abime entre la bureaucratic
et Je peuple. Celle-ci, se sentant de par-
tout entourée de haine, peut de moins
en moins faire appel & l’émulation, &
Yenthousiasme, au sacrifice volontaire,
pour sortir d'une situation terriblement
difficile. Comment le bureaucrate pour-
rait-il demander au peuple tchéque ou
hongrois de collaborer volontairement.
avec le peuple soviétique pour l'édifica-
tion d'un avenir meilleur ? De tels ap-
pels sortant de Ja bouche d’un parvenu
niont guére l'accent de la vérité et de-
meurent sans effet. Le bureaucrate, &
sa maniére, le sait fort bien, Tl ne reste
que la yoie de la violence et des rapines,
Impérialisme et état ouvrier dégénéré
apparition d’éléments d’'impérialisme
implique-t-elle la révision de la théorie
que 'UR.SS. est un état ouvrier dégé-
néré ? Pas nécessairement, La bureau-
eratie soviétique se nourrit, en général,
dune appropriation du travail dautrui
et nous avons depuis longtemps reconnu
ce fait comme partie intégrante de
Ja dégénérescence de Yétat ouvrier.
Or, Vimpérialisme bureaucratique n'est
qu'une forme particuligre de cette ap-
propriation,
Si elles n’impliquent pas nécessaire-
INTERNATIONALE
ment une révision de la théorie, les di-
verses manifestations d'impérialisme bu-
reaucratique nous forcent néanmoins a.
constater combien la. dégénérescence est.
avancée, II n’est plus possible de parler
simplement d’état ouvrier et d’ajouter,
comme entre parentheses, dégénéré, Des
deux épithétes, « ouvrier > et « dégé-
néré », c'est ce dernier quiil faut main-
tenant souligner avec le plus de force.
La dégénérescence a fait de tels progrés
et Vimpact de cette dégénérescence sur
VEurope a des conséquences si terrible-
ment réactionnaires qu'il est impossible
c’appliquer automatiquement &YUR.SS.
@aujourd’hui des propositions qui se-
raient valables pour un état ouvrier
« normal >, L’Union soviétique est aussi
peu un état ouvrier « normal » qu'une
| pomme pourrie est une pomme < nor-
| male », et personne ne s'aviserait de
| planter ses dents dans une pomme pour-
| tie, Avec les brigandages impérialistes
|
|
aujourd'hui, la dégénérescence a at-
teint le dernier stade de la putréfaction.
A la suite de circonstances historiques
que nous avons bien souvent analysées,
est apparue une formation sociale qui
| est réellement un monstre de Vhistoire.
De méme que les biologistes nous expli-
quent qu'un monstre est di a des trou-
bles survenus lors du développement de
Yembryon, Visolement d'une révolution
prolétarienne dans un pays barbare a
engendré une société, non seulement sans
précédent, mais aussi bien différente de
toutes les normes tracées.
Répéter aujourd'hui que < fondamen-
talement > 'U.R.S.S, est un état ouvrier
parce que les moyens de production sont
nationalisés, c’est se leurrer de mots,
A ce compte-la, la Pologne de Bierut
serait une bonne approximation de la
dictature du prolétariat | Si une forme
économique est séparée du contexte so-
cial et politique dans Iequel elle baigne,
elle devient une abstraction vide.
Trotsky vit bien plus clair que tous ces
amateurs de phrases creuses quand, dés
1936, il écrivait qu’en U.R.S.S. « le ca-
ractére de l'économie dépend entizrement:
de celui du pouvoir »,
Si Union soviétique reste encore au-
jourd’hui, & mon avis, un état ouvrier
Wégénéré, crest que de cette société,
monstrueuse en quelque sorte, rien de
nouveau et de stable n'est encore sorti.
Dans la pomme pourrie aucun germe
n'est apparu, La position personnelle du
bureauerate reste encore bien précaire.
Les manifestations d’impérialisme que
nous pouvons maintenant observer ré-
valent précisément le caractére parasi-
taire d'une bureaucratie qui vit au jour
le jour de rapines et dexpédients, Si
le monstre s'avérait capable de se repro-
| duire, ce ne serait plus un monstre, maisEee
IV) INTERNATIONALE 9
une espéce nouvelle, Si un systéme d’ab-
solutisme politique combiné & une éta-
tisation des moyens de production devait
s’étendre sur le monde, la bureaucratic
soviétique serait, bien entendu, des
aujourd'hui, le prototype de ce systéme.
Mais Vhistoire n'a pas encore prouvé
que de la bureaucratic staliniste puisse
sortir un systéme social d’envergure his-
torique, dans le plein sens du mot. Ad-
metire dés aujourd'hui que la preuve a
&té faite, c'est, me semble-t-il, négliger
tout ce qu'il y a de monstrueus, d’excep-
tionnel, de parasitaire et d’instable dans
le régime bureaucratique staliniste.
Questions de termes
Les divers traits d'impérialisme pu-
veaucratique que nous observons actuel-
lement sont un phénoméne nouveau et,
comme tout phéneméne nouveau, il est
difficile de les étiqueter. Il faut forger
un terme nouveau ou bien utiliser un
nom déjé appliqué @ d'autres phénomé-
nes, Créer un mot nouveau est facile,
mais créer un mot nouveau qui soit
compris de tous, qui soit utilisable dans
notre propagande et notre agitation quo-
tidiennes, c'est bien plus difficile et jus-
qu’a maintenant rien de ce genre n'a été
Proposé, Nous en sommes done réduits
4 utiliser un terme déja employé pour
qautres phénoménes, c'est-a-dire, dans
une certaine mesure, & étendre son sens.
Deux noms ont déja été utilisés : expan-
sionnisme et impérialisme, et 1a question
de choisir entre les deux serait bien mes-
quine, si souvent il ne se cachait der-
riére ce choix des désaccords plus pro-
fonds, Pesons un instant les avantages
et désavantages relatifs des deux termes,
Le terme d'impérialisme est employé
je plus souvent pour désigner Vimpéria-
lisme financier des pays capitalistes
avancés. (Pas uniquement, cependant.
Trotsky, décrivant Vimpérialisme tsaris-
te, y découvre bien des traits qui x’ap-
partiennent nullement @ Vimpérialisme
financier classique.) Si Yon veut em-
ployer le terme pour la bureaucratic
soviétique, il importe done, pour éviter
Ja confusion, de préciser quelles sont les
racines économiques et sociales de l'im-
périalisme bureaucratique, et clest ce
que jai essayé de faire plus haut, Une
fois cette tache remplie, il reste Pargu-
ment formel que parler dimpérialisme
bureaucratique, c'est identifier 'U.R.SS.
aux pays capitalistes, car c'est em-
ployer le méme mot pour les deux camps,
Mais la méme objection, si elle était
valable, atteindrait également le terme
@expansionnisme (et bien d'autres ter-
mcs aussi, comme oppression, rapines,
stc.), car les grandes puissances capi.
talistes pratiquent aussi V'expansionnis-
me (et Voppression, les rapines, etc.).
Ainsi, tout argument formel dirigé con
tre le mot d'impérialisme se retourne
aussi contre celui d’expansionnisme, Si
Jes désavantages sont les memes, le
terme d’impérialisme Vemporte dans la
colonne des avantages. Quelle est, en
effet, la différence ? Expansionnisme est
um terme beaucoup plus neutre, égale-
ment applicable, par exemple, & une
expansion pacifique dans un continent
vierge. Impérialisme désigne bien plus
précisément Voppression et Yexploitation
de peuples étrangers et est bien plus
chargé d'opprobe, ce qui doit, devant les
monstrueux erimes de la bureaucratic
soviétique, nous décider A adopter le
terme dans notre propagande et notre
agitation,
Une citation de Trotsky
En octébre 1939, lors de Yoccupation
de la Pologne orientale, Trotsky écrivit :
«Peut-on appeler impérialisme Vexpan-
sion actuelle du Kremlin ? Avant tout,
il faut. convenir du contenu social que
nous mettons dans ce terme. Lhistoire
a connu Vimpérialisme de Pétat romain.
basé sur Yesclavage, Vimpérialisme de
Ja propriété fonclére féodale, Vimpéria-
lisme du capital commercial et indus-
friel, Vimpérialisme de la monarchie
tsariste, ete. La force motrice de la
bureaucratie de Moscou est, indubitable-
ment, Vaspiration & étendre son pouvoir,
son prestige, ses revenus. C’est 1a V'élé-
ment d’ « impérialisme », dans le sens
Je plus large du mot, qui fut propre dans
le passé & toutes les monarchies, oligar-
chies, castes dirigeantes, corps et clas-
ses. Cependant, dans la littérature
contemporaine, au moins Ia littérature
marxiste, on entend par impérialisme Ia
politique expansionniste du capital finan-
cier, laquelle a un contenu économique
bien défini, Appliquer & 1a politique
étrangére du Kremlin le terme d’ « im-
Périalisme », sans expliquer ce que Yon
veut exactement dire par 1a, signifie
simplement identifier la politique de Ia.
bureaucratie bonapartiste 4 Ia politique
du capitalisme monopoliste sur la base
du fait que Yun et Vautre emploic la
force militaire & des fins dexpansion, »
De cette citation, il apparait claire-
ment que Trotsky slirrite contre ceux
qui emploient le terme d'impérialisme a
Végard de I'U.R.S.S, comme une simple
insulte pour laisser échapper leur indi-
gation, mais < sans expliquer ce que
Yon veut exactement dire par 1a >. Or,
adresser cette demande, c'est accepter
implicitement qu'il est possible, une fois
qu’elle est satisfaite, d’étendre Union
Soviétique le terme d’impérialisme,
En 1940, on entrait dans une guerre
gigantesque qui allait apporter une ré-
Ponse @ bien des questions et il était
légitime d/hésiter & introduire & ce mo-
ment-la une innovation théorique, D'au-10
iv
TERRORS
INTHRNATIONALE|
tre part, les territoires occupés étaient
économiquement insignifiants, leur occu.
pation avait un caractére & peu prés
uniquement militaire a la veille d'une
guerre imminente, les quelques déman-
telements d’usines qui y furent effectués
n’étaient pas conus a l’étranger au mo-
ment oi Trotsky écrivait. Aujourdhui
il s'agit de la moitié de ’Burope, plus
de larges territoires en Asie, Peu de
temps avant la guerre, nous critiquions
encore le Kremlin pour ses actions dans
la Société des Nations, le pacifisme, les
pactes, cte, Tout cela apparait aujour-
hui presque comme un jeu d’enfants,
comparé au régime de violence et de
pillage qui s'est étendu sur l'Europe. Des
pays au prolétariat avancé sont voués
& la décomposition économique, sociale
et culturelle. Le communisme est discré-
aité en fait aux yeux de larges masses.
Les partis de la démocratie petite-
bourgeois retrouvent soudain du pres-
tige et des voix, La perspective méme
du socialisme est mise en jeu.
Loppression et exploitation, le pil-
lage a grande chelle, les millions de
forcats, Ia situation sans issue des pays
occupés, — tous ces faits sont indénia-
bles, J'ai essayé de montrer quills
nétaient point de simples épisodes pol
tiques, mais qu’ils résultaient de la ges-
tion bureaucratique de l'économie sovié-
tique et quill était donc légitime de
parler d’impérialisme bureaucratique. La
réalité est si complexe que la place ne
manque pas pour des discussions sur ce
point. Mais méme sur le mécanisme
exact de V'impérialisme financier les dit
eussions n'ont jamais cessé parmi les
marxistes depuis un demi-siécle ! A bien
plus forte raison le caractére tératologi-
que de ?Union soviétique suscite-t-fl un
constant réexamen de nos conceptions.
Ce u'll faut demander & quiconque
aborde ces discussions, c'est, bien plus
quune adhésion immédiate, un désir
d'apprendre, un souci de peser tous les
arguments, une décision bien établie de
faire taire ceux qui veulent entraver Ia
recherche par des considérations étran-
geres au débat. C’est seulement ainsi
que nous pourrons avancer.
Daniel LOGAN.
Le 25 décembre 1945.
a
LA POLITIQUE DU KREMLN
EN ASIE
Ainsi que le démontre le tableau
politique de l!'Extréme-Orient, la politi-
que de Voligarchie du Kremlin en Asie
est symétrique avec celle qu'il méne en
Hurope, Staline se fait Vallié de Vimpé-
rialismé américain en piétinant toutes
les manifestations révolutionnaires des
masses coloniales, il utilise les masses
insurgées comme bouc émissaire pour
sa diplomatie réactionnaire ; et comme
en Burope, il s'est lancé dans une poli-
tique éhontée de conquétes et de pil-
lage. La caste dirigeante stalinienne est
en train de se tailler un nouveau grand
domaine dans les étendues illimitées de
YExtréme-Orient,
Depuis que la chance militaire tourna
en leur faveur, les dirigeants du Kremlin
commencérent & avoir des vues sordides
sur la Mandchourie et 1a Corée, Us sa-
vaient que lorsque Vimpérialisme japo-
nais serait vaincu, de nouveaux maitres
viendraient pour réclamer leur butin. Le
Kremlin était décidé a percevoir sa part
de « droit », et préparait en conséquence
ses plans militaires et diplomatiques.
Churchill nous informa dans son der-
nier discours devant le Parlement bri-
tannique que Staline avait fermement
promis A ‘Téhéran que ses armées
@Extréme-Orient attaqueraient les po-
sitions japonaises en Mandchourie trois
mois apres la fin des hostilités en Eu-
rope, Et, ajouta Churchill, Staline est
toujours prompt a tenir ses engagements
militaires (vis-A-vis des impérialistes).
Et, en effet, Staline était plus que
Prompt dans Cette affaire. Lorsque le