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Collection Mémoires/Histoire
INTRODUCTION • 7
qui gomme déjà l’effet générationnel et le caractère composite et nébu-
leux des Lumières, est déformant. La galerie des grands noms, des astres
principaux, laisse dans l’ombre les cohortes des polygraphes obscurs et
des petits maîtres, qui sont pourtant les plus lus par leurs contempo-
rains. À l’échelle de l’Europe, les représentants de l’Aufklärung 1, défen-
seurs d’une conception chrétienne – même si elle est souvent
anticléricale – des Lumières sont beaucoup plus représentatifs que la
minorité athée et matérialiste qui suit Helvétius et d’Holbach. La fran-
cophonie n’est pas synonyme de francophilie. Hier comme aujourd’hui,
les prétentions françaises à faire la leçon au reste du monde sont dénon-
cées. La France agace autant qu’elle séduit. Pour un représentant émi-
nent de la république des sciences, Leonhard Euler, l’un des plus grands
mathématiciens de son temps, comme pour une figure du mouvement
académique européen et du Refuge huguenot en Prusse, Jean Henry
Samuel Formey, Diderot est un maître chanteur et Voltaire un despote
qui tyrannise l’Europe des lettres. Homme des Lumières moins connu,
le Russe Denis Ivanovitch Fonvizine est particulièrement critique dans
ses Lettres de France au comte Piotr Panine écrites en 1777-1778. Il insiste
lui sur les difficultés que rencontrent les voyageurs étrangers. Le cos-
mopolitisme affiché ne signifie pas que les foyers de sociabilité des
Lumières sont des lieux ouverts, où se rencontrent librement Français
et Européens. Les recherches les plus récentes confirment la justesse de
ces observations 2.
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mon séjour ici, je n’ai point besoin d’acheter si cher la possibilité
de faire connaissance ou, pour être plus juste, ma propre humi-
liation. J’ai trouvé une foule d’autres choses des plus intéressantes
pour exercer mon esprit ; je me suis contenté de voir les notabi-
lités d’ici et d’observer leur commerce dans les circonstances que
la chance a bien voulu m’offrir 4.
INTRODUCTION • 9
correspondants viennent de toute l’Europe, méritent tout autant l’atten-
tion. En un siècle où le genre épistolaire connaît un succès sans précé-
dent au point que les réseaux de correspondance débordent la
république des lettres – la bien nommée – pour innerver toute l’Europe 6,
il nous a semblé important de leur donner la parole, de les donner à
lire au lecteur. C’est ainsi que la richesse et l’intensité du dialogue qui
se noue entre la France et l’Europe, des « années Régence » à l’été 1789
où les « pèlerins de la liberté » sont les témoins d’un monde qui bascule,
peuvent être restituées. Le topos flatteur des Lumières françaises éclai-
rant et libérant l’Europe de l’obscurantisme d’Ancien Régime est mis à
mal, mais la réalité complexe d’un phénomène mouvant, riche et
ambigu en sort précisée. Dans un monde actuel en plein doute, où la
multiculturalité est un véritable enjeu, ce serait sans doute en ce
domaine que l’héritage des Lumières serait le plus sensible et le plus
instructif, si on tient vraiment à le revendiquer.
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I. LE PRINTEMPS DU SIÈCLE : LES ANNÉES 1715-1730
La fin de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) qui a déchiré
l’Europe et a éprouvé de manière dramatique la France – de 7 à 8 % des
Français ne survivent pas au grand hiver 1709-1710 –, puis la mort de
Louis XIV le 1er septembre 1715 inaugurent le printemps du XVIIIe siècle.
Dans son Histoire de France, Michelet insiste sur la richesse de ces pre-
mières années d’après-guerre et d’après-règne, « tout un siècle en huit
années », tandis que Joseph Addison (1629-1719) affiche le rôle nou-
veau de l’Angleterre dans le concert européen : « Le soin de l’Angleterre
est de veiller sur le destin de l’Europe. »
Mais pour l’heure, la France et l’Europe pansent leurs plaies après
une succession de guerres plus éprouvantes les unes que les autres. La
victoire française inespérée de Denain en 1712 remportée sur les alliés
coalisés a sauvé le royaume de la catastrophe et a attisé les divisions
entre Anglais, Hollandais et Autrichiens. En effet, si les Provinces-Unies
– les Pays-Bas actuels – notamment se montrent intraitables dans les
négociations entamées en vue de ramener la paix, l’Angleterre estime
quant à elle que si l’on n’avait pas poussé Louis XIV dans ses derniers
retranchements en exigeant qu’il chasse lui-même son petit-fils, Phi-
lippe d’Anjou, devenu Philippe V, du trône espagnol, les alliés auraient
pu accélérer les négociations et conclure la paix sur un avantage plus
net encore. Au contraire, l’acharnement des Hollandais à demander tou-
jours plus de concessions a favorisé le sursaut français, d’abord à Mal-
plaquet le 11 septembre 1709, bataille sanglante mais indécise où les
alliés supérieurs en nombre laissent sur le champ de bataille autant de
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morts que les Français, puis à Denain le 24 juillet 1712, où la victoire
du maréchal de Villars sur le Prince Eugène est incontestable. Certes,
elle ne peut faire oublier les victoires du même Prince Eugène pour
l’Autriche et du duc de Marlborough pour l’Angleterre, ainsi que les
coups de boutoir assenés au Pré carré et au système défensif mis en place
par Vauban. La France est au bord de la rupture, mais ses ennemis sont
également mal en point et épuisés. Pour en finir et recevoir les divi-
dendes d’une paix qui ne peut que lui être favorable compte tenu du
rapport des forces, l’Angleterre menace même ses alliés hollandais de
conclure une paix séparée avec la France. Elle voit également d’un mau-
vais œil le nouvel empereur Charles VI (1711-1740) caresser l’idée de
reconstituer l’Europe de Charles-Quint, cette fois au profit des Habs-
bourg d’Autriche : alors qu’il était archiduc, le second fils de l’empereur
Léopold Ier (1658-1705) il a été candidat à la succession d’Espagne et
s’est fait reconnaître au début du conflit par l’Angleterre sous le nom
de Charles III. Voltaire l’a très bien compris dans Le Siècle de Louis XIV :
1. VOLTAIRE, Le Siècle de Louis XIV (1751), chap. XXII, « Louis XIV continue à
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La paix entre l’Angleterre et les Provinces-Unies d’une part, la
France et l’Espagne de l’autre est finalement signée à Utrecht les 11 et
12 avril 1713, après que Philippe V a renoncé à ses droits sur la couronne
de France. De son côté, l’empereur Charles VI, qui n’accepte pas que le
trône de Madrid passe des Habsbourg d’Espagne à un Bourbon, refuse
de signer la paix. Il ne s’y résout qu’à contrecœur en 1714 aux traités
de Rastadt (6 mars) et de Bade (7 septembre), sans renoncer sur le fond
à ses prétentions espagnoles – aucun traité n’est d’ailleurs signé entre
l’Espagne de Philippe V et l’Autriche de Charles VI.
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L’Europe de la paix d’Utrech.
parties qu’il dessine intéressent également des domaines apparemment
éloignés de son objet initial. Le 19 janvier 2006, le Times de Londres
consacre ainsi un article au cours de « Diplomatie et art du manage-
ment » que Brian Legget, professeur à l’école de commerce IESE de Bar-
celone, donne à partir de La Manière de négocier de François de Callières :
« Cela permet aux étudiants d’aborder des thèmes comme la patience,
l’art de s’attirer le respect de ses interlocuteurs et de faire passer son ego
après la poursuite de ses objectifs 2. » De même, l’ouvrage est considéré
au Japon comme aux États-Unis comme un manuel de formation à la
négociation et il n’est pas rare de le trouver dans les bibliothèques
d’entreprise. En France, l’audience de son livre est malheureusement
réduite à la sphère des spécialistes et l’on ne peut que le regretter. Néan-
moins, le contexte géopolitique international semble favorable à une
redécouverte du traité de Callières, que traduit une actualité éditoriale
avec deux éditions commentées en 2002 et 2005, les premières en fran-
çais depuis le XVIIIe siècle 3.
Dans le « Dessein de l’ouvrage », Français de Callières affirme son
idée force : l’enjeu des négociations entre puissances européennes est
trop important pour que les souverains les confient à des diplomates
sans formation. Priorité a été donnée à l’art de la guerre, c’est à l’armée
que se font les carrières. Dans ces conditions, les meilleurs ont fui le
service du roi dans la diplomatie :
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soin à acquérir les connaissances qui peuvent les avancer dans la
guerre, et qu’ils négligent de s’instruire des divers intérêts qui
partagent l’Europe et qui sont les sources des guerres fréquentes
qui s’y font. [...] Il n’en est pas de même des bons négociateurs :
ils sont plus rares parmi nous, parce qu’on n’y a point encore
établi de discipline et de règles certaines, pour instruire de bons
sujets dans les connaissances nécessaires à ces sortes d’emploi, et
qu’au lieu d’y être élevés par degrés, et à proportion de leur capa-
cité et de leur expérience, comme dans les emplois de la guerre,
on voit souvent des hommes qui ne sont jamais sortis de leur
pays, qui n’ont aucune application à s’instruire des affaires publi-
ques, et d’un génie médiocre, devenir pour leur coup d’essai
ambassadeurs dans des pays dont ils ne connaissent ni les inté-
rêts, ni les lois, ni les mœurs, ni la langue, ni même la situation 4.
4. DE CALLIÈRES FRANÇOIS, L’Art de négocier sous Louis XIV, Paris, Nouveau Monde
éditions, 2006, p. 14.
5. DE CALLIÈRES FRANÇOIS, L’Art de négocier sous Louis XIV, op. cit., p. 15.
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Pour Callières, priorité doit désormais être donnée à la culture de
la négociation par rapport à la culture de guerre. Une paix se gagne ;
imposée ou bâclée, elle est au contraire la garantie d’une reprise rapide
des hostilités. De la manière de négocier n’est pas un écrit utopique. Cal-
lières est non seulement un penseur mais aussi un praticien de la négo-
ciation. Il ne renonce en aucun cas à l’usage de la force, mais la
diplomatie n’est pas un prélude obligé à une guerre inévitable, expédié
à coup d’ultimatums et de déclarations va-t-en-guerre ; c’est un temps
qu’il faut mettre à profit pour convaincre et persuader. Lorsqu’il devient
clair que toutes les voies de la négociation ont échoué, alors seulement
l’intervention armée doit avoir lieu :
6. DE CALLIÈRES FRANÇOIS, L’Art de négocier sous Louis XIV, op. cit., p. 13-14.
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1. LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE EUROPÉEN
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La réponse du Prétendant 1 est sans surprise. Elle n’est pas sans
rappeler en France, mutatis mutandis, le refus du comte de Chambord
le 5 juillet 1871 de renoncer au drapeau blanc au profit des trois cou-
leurs. « On sait, répond-il le 26 février, que ma religion est le principal
empêchement à mon rétablissement, et on veut que j’y renonce, et en
même temps aussi que je fasse dépendre mon rétablissement de la
volonté du peuple, en renonçant à mes droits plutôt que d’inquiéter
leur repos. Je vous laisse à deviner ce que je puis penser de tout ceci. »
À la différence du Prétendant Stuart, le nouveau roi est un parent
très éloigné de la reine Anne. De plus, George Ier est un prince étranger.
L’Électorat 2 de Hanovre et ses prétentions successorales et territoriales
en Allemagne comptent à ses yeux beaucoup plus que la couronne
anglaise. Une puissance continentale rivale voire ennemie peut donc
l’atteindre au cœur sans risquer une traversée de la Manche et un débar-
quement hasardeux sur les côtes britanniques. Le Hanovre est dès lors
pour l’Angleterre davantage un talon d’Achille qu’une tête de pont
continentale, d’autant plus que sa situation est enclavée. Chassé du pou-
voir par la succession hanovrienne et la nouvelle majorité whig 3 aux
Communes, Henry St-John premier vicomte Bolingbroke (1678-1751)
qualifie avec aigreur la nouvelle dynastie régnante de « voyageurs alle-
mands en terre étrangère » (« German travellers in a foreign country »). La
position de George Ier est donc fragile. Pour l’affermir, il peut d’abord
s’appuyer sur le Parlement et l’éviction des tories 4 par les whigs. Vio-
lemment hostiles aux traités d’Utrecht (1713), les whigs accusent les
négociateurs et les ministres de la reine Anne d’avoir abandonné les
alliés de l’Angleterre et négocié une mauvaise paix. Les ministres tories
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fort médiocre. Cependant depuis les Édouard III et les Henri V, il
n’y eut point de règne si glorieux [...]
Sa mort prévint tous ses desseins. La maison de Hanovre, qu’elle
regardait comme étrangère et qu’elle n’aimait pas, lui succéda ;
ses ministres furent persécutés.
Le vicomte de Bolingbroke, qui était venu donner la paix à
Louis XIV avec une grandeur égale à celle de ce monarque, fut
obligé de venir chercher un asile en France, et d’y reparaître en
suppliant. Le duc d’Ormond, l’âme du parti du prétendant,
choisit le même refuge. Harley, comte d’Oxford, eut plus de cou-
rage. C’était à lui qu’on en voulait : il resta fièrement dans sa
patrie ; il y brava la prison où il fut enfermé, et la mort dont on
le menaçait 5.
5. Cité par COTTRET BERNARD, Bolingbroke. Exil et écriture au siècle des Lumières.
Angleterre-France (vers 1715-vers 1750), Paris, Klincksieck, 1992, t. 1, p. 75.
6. Lettres de Paris à un diplomate hollandais 6 septembre 1715-23 juin 1719, présen-
tées et annotées par Françoise Weil, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 2004, Cor-
respondances littéraires érudites, philosophiques, privées ou secrètes VII, 2004, lettre
no 69, 11 septembre 1716, p. 170.
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qui stationnent dans le duché de Mecklembourg n’ont que l’Elbe à fran-
chir pour menacer le Hanovre. Un rapprochement avec la France de
Philippe d’Orléans permettrait au roi d’Angleterre de réduire le risque
d’une intervention française contre le Hanovre, particulièrement sen-
sible aux attaques terrestres, de limiter les capacités offensives des jaco-
bites, et d’éviter la réunion des couronnes d’Espagne et de France sur la
tête du petit-fils de Louis XIV, Philippe V roi d’Espagne, hantise anglaise
des années 1700 9. Or la position du Régent français est elle aussi déli-
cate, et susceptible de conduire d’abord à une convergence d’intérêts
personnels, ainsi qu’à la recherche de la paix et de la stabilité en Europe,
indispensables au redressement du royaume, puis à un rapprochement
entre les deux puissances. Lord Stair, ambassadeur à Paris, reçoit les ins-
tructions suivantes :
L’on a fait depuis peu une remise de 50 000 livres pour continuer
le travail de démolition de Mardyck jusqu’à l’exécution entière
et parfaite de ce qui a été stipulé à cet égard 11.
10. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 128, 2 juillet 1717,
p. 293.
11. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 133, 19 juillet 1717,
p. 300.
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franco-britanniques, comme a pu l’observer Léopold Mozart, le père de
Wolfgang :
16. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 75, 27 octobre 1716,
p. 181.
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Mais la tâche est rude car la francophobie de l’opinion anglaise est
manifeste. Elle est entretenue et régulièrement attisée par la presse
anglaise, dont Bolingbroke dénonce la vénalité, ainsi que par un flot de
pamphlets, parmi lesquels on peut citer The Art of Restoring de John
Toland, ou An Inquiry into the Miscarriages of the Four Last Years de
Charles Povey, archétype du discours de persécution tel que René Girard
l’a défini dans Le Bouc émissaire, dont le titre complet révèle l’ampleur
de la conspiration supposée : Où il apparaît qu’un plan fut conçu pour
relever la puissance de la France et de l’Espagne et ramener le Prétendant en
Angleterre 17. Cette atmosphère handicape à l’évidence les efforts de rap-
prochement. La duplicité française est stigmatisée, de même que la fai-
blesse coupable voire complice des interlocuteurs anglais. L’absolutisme
français est perçu comme un péril en soi en raison de l’arbitraire du
prince qui peut tout aussi bien respecter les traités ou incliner pour la
guerre, alors que le système anglais, tempéré, garantirait le respect des
engagements internationaux. En outre, l’affrontement entre whigs et
tories, et les violentes dissensions internes aux whigs, dont une fraction
est rejetée dans l’opposition au gouvernement, interfèrent constam-
ment avec les orientations de la politique étrangère. Pour les whigs,
Utrecht est un mauvais traité, car il a été négocié par un ministère tory,
que l’on a ainsi tout loisir d’éreinter. Sir Gilbert Heathcote donne le ton
des outrances en qualifiant Utrecht de « la paix la pire que l’on puisse
imaginer ». Les négociations sont donc ralenties et régulièrement entra-
vées, notamment par Horace Walpole, alors envoyé britannique à
La Haye, que l’on retrouvera à Paris dans le salon de Mme du Deffand. Il
faut également prendre en compte les revirements brutaux voire la ver-
satilité de certains dirigeants anglais, comme Philip Stanhope, futur qua-
trième comte de Chesterfield, célèbre pour ses Lettres à son fils. Auteur
d’un discours aux Communes en août 1715 particulièrement offensif à
l’encontre de l’ancien ministère tory, accusé d’avoir trahi l’Angleterre
lors de la signature de la paix, il avait pourtant écrit des vers pour célé-
brer Utrecht. Par la suite, ambassadeur à La Haye, il se meut en chaud
partisan du rapprochement avec la France, avant de pencher à compter
des années 1730 pour une politique de défiance à l’encontre du cardinal
de Fleury, ancien précepteur et principal ministre de Louis XV de 1726
à 1743, et des ambitions françaises. Malgré ces difficultés, mais sans
17. BLACK JEREMY, Natural and Necessary Enemies. Anglo-French Relations in the Eigh-
teenth Century, Athens (États-Unis), The University of Georgia Press, 1987, p. 5.
18. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 89, 8 janvier 1717,
p. 211.
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campagne prochaine une balance qui en amènera d’autres, ce qui
ne peut qu’accommoder les Puissances d’en deçà 19.
La Triple Alliance sera exécutée ici avec soin. Ce qui se passe dans
l’intérieur du royaume intrigue et excuse assez Son Altesse Royale
[le Régent Philippe d’Orléans] sans se mettre sur les bras le
moindre différend étranger ; j’ai eu l’honneur de vous le mander,
c’est l’esprit de tous nos conseils et l’on peut tabler là-dessus.
Notre Cour voulant entretenir la Triple Alliance, souhaite que le
roi George se maintienne tranquille sur son trône, c’est de quoi
il ne faut pas douter. Quant aux peuples, nous voyons des mau-
vais raisonneurs remplis de vieux préjugés, qui ne parlent du Pré-
tendant qu’avec plaisir, pour désirer qu’il passe et qu’il réussisse
en Angleterre. On a beau les pousser sur nos intérêts, ils en
conviennent, mais pourtant reviennent toujours à leur penchant,
et font souvent courir des bruits contre Sa Majesté Britannique 21.
19. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 90, 15 janvier 1717,
p. 212.
20. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 96, 8 février 1717,
p. 227.
21. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 125, 7 juin 1717,
p. 286.
22. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 135, 1er octobre
1717, p. 306.
23. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 138, 22 octobre
1717, p. 311.
24. La citation a donné son titre à l’ouvrage de Jeremy Black cité plus haut,
Natural and Necessary Enemies. Anglo-French Relations in the Eighteenth Century.
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qui se lassa bientôt de ses discours, dont il répandait l’impudence
aux promenades publiques, aux spectacles et chez lui, où il cher-
chait à s’attirer du monde par sa bonne chère. J’aurai lieu plus
d’une fois de parler de ce personnage, qui ne sut que trop bien
jouer le sien et faire peur, tandis qu’il en mourait intérieurement
lui-même et avec grande raison. C’était un homme d’esprit, de
toutes espèces d’entreprises, qui était dans les troupes, où il avait
servi sous le duc de Marlborough, et qui haïssait merveilleuse-
ment la France. Il parlait aisément, éloquemment et démesuré-
ment sur tous chapitres, avec la dernière liberté.
25. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 92, 27 janvier 1717,
p. 219.
Mais George Ier lui-même s’inquiète des propositions faites par les
émissaires de Pierre Ier de Russie au Régent : la garantie des traités
d’Utrecht (1713) entre la France et l’Angleterre et de Bade (1714) entre
la France et l’empereur, en échange du lâchage de l’allié suédois et de
la reconnaissance à la Russie des provinces baltiques qui seraient arra-
chées à la Suède. À juste titre, le roi d’Angleterre y voit une menace
directe sur son cher Électorat de Hanovre. Le voyage du tsar en France
à partir du 21 avril 1717 accroît l’inquiétude anglo-hanovrienne en
même temps qu’elle entretient le soupçon jamais éteint de duplicité de
la France et du Régent. Le comte Stair avait d’ailleurs été chargé de sur-
veiller les tractations éventuelles du souverain russe avec le Régent. Il
est donc indispensable d’asseoir ce nouvel équilibre européen, et pour
ce faire d’en élargir l’assiette. James Stanhope entreprend alors une tâche
difficile, rapprocher le Régent de l’empereur Charles VI, suzerain de
26. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 124, 4 juin 1717,
p. 284.
27. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 126, 11 juin 1717,
p. 289.
28. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 96, 8 février 1717,
p. 227.
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George Ier pour le Hanovre, qui a été son fidèle allié pendant la guerre
de Succession d’Espagne. Le Habsbourg d’Autriche doit renoncer à ses
prétentions sur l’Espagne, car la perspective d’une reconstitution de
l’héritage de Charles Quint menace tout autant l’équilibre européen que
l’union des couronnes de France et d’Espagne au profit des Bourbons.
Or Charles VI n’oublie pas qu’il s’est fait couronner roi d’Espagne à
Vienne en 1703 à la mort de Charles II, et qu’il a refusé de faire sa paix
avec la France en 1713. Il accueille à Vienne, où il a mis sur pied un
conseil d’Espagne, les opposants à Philippe V. La tâche est donc délicate,
d’autant qu’il faut parallèlement que la France et l’Angleterre neutrali-
sent la menace que les velléités expansionnistes de Philippe V font peser
sur l’ordre européen. Le roi d’Espagne est alors sous l’influence de sa
seconde épouse, Élisabeth Farnèse, et de l’abbé Alberoni. Officiellement,
c’est le cardinal del Giudice qui est Premier ministre, Alberoni n’est que
le représentant du duc de Parme, mais en réalité, comme le souligne
l’ambassadeur d’Angleterre, il « a un ascendant illimité sur la reine, et
par là sur le roi qui n’aime pas les affaires et se laisse mener par sa
femme ». Les Lettres de Paris à un diplomate hollandais se font l’écho des
manœuvres espagnoles et des risques de déstabilisation qu’elles
entraînent :
29. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 99, 2 juillet 1717,
p. 232.
30. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 125, 7 juin 1717,
p. 287-288.
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déstabilisation qu’entraîneraient en Angleterre et par ricochet en Europe
les entreprises jacobites :
Mais c’est au début de l’année 1718 que l’auteur des Lettres de Paris
à un diplomate hollandais insiste sur l’importance de l’enjeu. Il faut abso-
lument asseoir la paix en Europe, donc les bonnes relations franco-
britanniques, ce qui suppose de renforcer et d’élargir la Triple Alliance :
31. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 135, 1er octobre
1717, p. 307.
32. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 154, 8 février 1718,
p. 344.
33. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 155, 18 février 1718,
p. 344.
38 • EUROPE FRANÇAISE
On nous confirme d’Avignon que le Prétendant en était parti le
6 pour Orange, Grenoble et Chambéry, et qu’il devait conférer
avec Leurs Majestés Siciliennes. Les temps paraissent concertés ;
la conspiration découverte déconcerte leurs mesures 34.
Il est fort vrai que les jacobites et les mécontents n’oublient rien
pour engager le roi de Suède à faire une invasion en Angleterre
et en Écosse, lui représentant que le succès en sera facile et très
avantageux pour ses intérêts par le prétendu mécontentement de
la nation en général, qui se déclarera pour le Prétendant, disent-
ils, après que Sa Majesté Suédoise aura débarqué dans le pays avec
12 000 hommes de troupes réglées, et fait porter des armes et
munitions de guerre pour en armer, un beaucoup plus grand
nombre de ceux de la nation qu’ils assurent se viendront joindre
avec beaucoup d’empressement.
Bien que tout cela paraisse bien plus rempli d’illusions et de chi-
mères que d’apparence de solidité, je ne dois pas laisser de vous
en donner avis avec toutes les circonstances que j’ai pu apprendre
de ces chimériques desseins, qui naturellement ne doivent
aboutir, supposé qu’on en tente l’effet, qu’à achever l’entière
ruine du roi de Suède s’il débarque en Angleterre, ce que je crois
très difficile à exécuter, pourvu que les ministres de Sa Majesté
Britannique ainsi que ses généraux soient fort alertes dans les
mesures et les précautions nécessaires à prendre pour faire tomber
honteusement une semblable entreprise, où les gens éclairés ne
voient qu’une témérité inconsidérée et surprenante. Mais comme
la passion et une extrême prévention fait [fait OK ?] voir les
choses dans un tout autre jour au monarque suédois et à ses adhé-
rents, de même qu’aux jacobites et à tous les malintentionnés
contre le présent gouvernement, dont le nombre est supposé très
grand dans la Grande-Bretagne, il part fort de la prudence poli-
tique de se précautionner à l’égard de ces mauvais desseins et
projets, comme s’il y avait un fondement à les craindre 35.
34. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 97, 19 février 1717,
p. 228-229.
35. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 108, 12 avril 1717,
p. 254-255.
36. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 99, 12 mars 1717,
p. 233.
37. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 104, 2 avril 1717,
p. 245.
40 • EUROPE FRANÇAISE
pourra bien le priver des pensions ordinaires. Il est vrai que d’ail-
leurs l’on propose de lui faire accorder des articles les plus avan-
tageux qu’il se pourra par rapport à ses disgrâces, et que, si l’on
peut, on lui conservera quelques-uns de ses États d’Allemagne 38.
38. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 106, 9 avril 1717,
p. 249-250.
39. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 110, 23 avril 1717,
p. 257.
40. DE ROUVROY LOUIS, DUC DE SAINT-SIMON, Mémoires, édition établie par Yves Coi-
rault, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1986, t. VI, p. 9.
42 • EUROPE FRANÇAISE
Je ne t’ai jamais encore jamais écrit [...] avec plus de douleur. Le
roi de France dont j’ai reçu tant de bien mourut hier comme il a
vécu, c’est-à-dire que jamais mortel ne peut obtenir de Dieu une
si digne fin, [...] je défie le plus affectionné de ses sujets d’être
plus attendri que moi de cet événement fâcheux. Ma douleur
redouble quand je songe que le roi [Charles XII] perd en ce prince
le seul ami qui lui restait. Je traite cette matière les larmes aux
yeux et ne puis la quitter ; tu sais combien j’ai des raisons et que
j’ai Dieu merci un cœur reconnaissant et fidèle. Ainsi ma douleur
est juste et me fait faire des belles réflexions sur la vie 41.
Et pour ce qui regarde mon jugement et mon dire sur les affaires
de France en général, qui ne sait point que de tout temps je n’ai
été taxé pour être plus français que suédois. Je me le suis tenu à
honneur, puisque j’ai cru et continue de croire une maxime fon-
damentale de ces deux couronnes d’être unies de s’aimer et de
s’entre-secourir 42.
44 • EUROPE FRANÇAISE
Finalement, l’alliance franco-anglaise paraît fragile lorsque les deux par-
tenaires dialoguent seuls ; chacun a tendance alors à ne considérer que
ses intérêts propres et à se focaliser sur la faiblesse de l’engagement de
l’autre. Ainsi, les Anglais en veulent durablement à la France de ne pas
les avoir assez soutenus contre l’Espagne à propos de Gibraltar. Mais
lorsqu’une menace de déstabilisation de l’équilibre européen se fait jour,
Paris et Londres savent dépasser leurs divergences et réagir. C’est notam-
ment le cas en 1725, lorsqu’est scellée une alliance tout à fait inattendue
mais menaçante entre l’Autriche et l’Espagne, à laquelle se joignent
l’année suivante la Prusse et la Russie.
46 • EUROPE FRANÇAISE
d’importation de l’anglomanie, un « club anglois » introduit à Paris par
Bolingbroke, comme on l’a souvent écrit 1. Il s’inscrit plutôt dans le pro-
longement et le dépassement de l’Académie du Luxembourg créée par
l’abbé de Choisy, qui interrompt ses travaux en juillet 1692 après moins
d’un an d’existence. Connue par une source quasi unique, les Mémoires
de René Louis de Voyer, marquis d’Argenson, qui sera ministre des
Affaires étrangères de 1744 à 1747 2, son histoire reflète l’effervescence
intellectuelle et politique des années 1720, la rencontre entre politique
et utopie, diplomatie européenne et cosmopolitisme, sphère privée et
espace public, opinion cantonnée – on ne saurait la dire encore
publique – et recherche d’une information libre, recoupée et
commentée. Son succès, sa réputation dans l’espace public – le club est
à l’instar de certains salons une antichambre de l’Académie –, mais aussi
ses difficultés et sa fermeture sur ordre du cardinal de Fleury en 1731
témoignent à la fois de l’ouverture des possibles en ce printemps du
siècle et des limites imposées à la sociabilité non patentée, à la consti-
tution à partir de la sphère érudite d’un champ de discussion et d’infor-
mation politique autonome. À l’automne 1731, de retour de Versailles,
l’abbé Alary relaie la mise en garde que lui a adressée le cardinal de
Fleury : « Dîtes à vos Messieurs de l’Entresol qu’ils prennent garde à leurs
discours, que des étrangers même sont venus s’en plaindre à moi 3. »
L’abbé de Saint-Pierre ne réussit pas davantage à calmer les inquiétudes
du ministre, car il ne peut lever les contradictions d’un club dédié aux
relations internationales et à la réflexion politique sans mettre en évi-
dence son incompatibilité avec l’ordre d’Ancien Régime. Du coup, son
intervention en accélère la chute. Fleury répond dans un premier temps
en ces termes :
Je vois, Monsieur, par votre lettre d’hier, que vous vous proposiez,
dans vos assemblées, de traiter des ouvrages de politique. Comme
ces sortes de matières conduisent ordinairement plus loin que
1. Voir à ce sujet le livre suggestif, même s’il peine à renouveler notre connais-
sance du club par manque des sources inédites, de CLÉMENT NICOLAS, L’Abbé Alary
(1690-1770). Un homme d’influence au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, coll.
« Les dix-huitièmes siècles », no 69, 2002.
2. DE VOYER RENÉ LOUIS, marquis d’Argenson, Journal et Mémoires, Paris, 1859,
9 vol.
3. Cité par CLÉMENT NICOLAS, L’Abbé Alary (1690-1770). Un homme d’influence au
XVIIIe siècle, op. cit., p. 96, sans référence précise.
48 • EUROPE FRANÇAISE
d’assimilations et de rejets, mais intègre un « commerce de société »,
pour reprendre l’expression du temps, riche et complexe. Dans une
lettre à l’abbé Alary du 2 juillet 1723, Bolingbroke montre que le club
de l’Entresol est le théâtre d’échanges savants chaleureux et stimulants :
« Mes très humbles compliments à toute notre petite académie. Si je ne
comptais pas de les revoir dans le mois prochain, je serais inconsolable.
Ils ont confirmé mon goût pour la philosophie ; ils ont fait revivre celui
que j’avais autrefois pour les belles-lettres : que je leur suis obligé 6 ! » Le
6 octobre, Bolingbroke félicite Alary pour son élection à l’Académie fran-
çaise en ces termes : « Votre lettre du 30 septembre m’a fait un plaisir
infini. Je n’ai pas douté un instant que vous ne fussiez élu, comme vous
l’avez été [...] Mille tendres compliments à notre petite Société. Ne nous
méprisez pas ; nous valons bien votre Académie. » Lord Bolingbroke,
alors en exil après avoir été chassé du pouvoir par les whigs, réside au
château de La Source, au sud d’Orléans, où il s’est installé avec son
épouse française, Mme de Villette, en 1720. Il y accueille Lévêque de
Pouilly, qui édite L’Europe des Savants, ainsi que Voltaire, avec qui les
Bolingbroke se lient d’amitié.
50 • EUROPE FRANÇAISE
sortes de commodités, bons sièges, bon feu en hiver, et en été
des fenêtres ouvertes sur un joli jardin. On n’y dînait, ni on n’y
soupait, mais on y pouvait prendre du thé en hiver, et en été de
la limonade et des liqueurs fraîches ; en tout temps on y trouvait
les gazettes de France, de Hollande et même les papiers anglais.
En un mot, c’était un café d’honnêtes gens.
52 • EUROPE FRANÇAISE
regarder la Suède, la Laponie, la Pologne, la Lituanie et les diffé-
rents pays de la vaste domination des Russes. Ce sont autant
d’articles précieux par rapport au droit public en général et au
droit particulier des différents États, et je ne saurais penser sans
douleur à la négligence dont mes prédécesseurs ont regardé cette
partie, j’en pourrais dire autant par rapport à la théologie et aux
belles-lettres de ces peuples et surtout de la Pologne dont nous
n’avons presque que la Bibliothèque des frères Polonais quelque
multitude d’ouvrages qu’y aient publiés les antimilitaristes.
M. l’abbé Alary n’a pas manqué, Monsieur, de m’expliquer les
mesures que vous prenez pour nous enrichir de plus en plus. C’est
grand dommage que le Dictionnaire danois aille si lentement,
mais il ne nous siérait pas, membres de l’Académie française, de
critiquer pareille lenteur.
Je ne m’imagine pas aisément ce que peut être l’histoire islandaise
d’un de nos rois français. Je m’imagine en général qu’il se trou-
vera bien de la fable et des anachronismes.
Quoique l’armorial danois doive être curieux, on peut l’attendre
sans s’impatienter trop violemment. Rien ne presse, Monsieur,
pour savoir les prix auxquels reviennent vos acquisitions. Tout
ce que j’aurais à vous demander sur cela serait de nous avertir
d’avance quand les fonds seront prêts à vous manquer 10.
54 • EUROPE FRANÇAISE
institution ; il en parlait partout. D’Argenson enrageait voyant
que les membres cachaient si peu leur plaisir. « Contentons-nous
en pour nous-mêmes, faisons-nous oublier », disait-il. Mais, bien
au contraire, tous, dans le monde, savaient leur jour de réunion.
Et dans les bonnes maisons de Paris où la plupart des Entresolistes
allaient, après leurs rencontres hebdomadaires, dîner le samedi
soir, on se jetait sur eux avec gourmandise : « Quelle nouvelle ?
Car vous venez de l’Entresol » 12.
Quoi qu’il en soit, le club, et c’est tout son intérêt, est moins un
théâtre d’investissement et de reconnaissance académiques, indépen-
damment des réussites de ses membres en la matière, qu’un authentique
cercle de réflexion critique, de travail sur des sujets sensibles. Son tro-
pisme diplomatique, sa réputation témoignent de l’importance prise par
les enjeux européens. L’archivage des nouvelles et des dépêches, la
constitution de tables analytiques par les membres du club pour faciliter
leurs recherches témoignent de la rigueur du travail entrepris au sein
de l’Entresol et de la conscience de son importance. En outre, quelle
que soit l’attirance pour l’Angleterre – et chez certains une authentique
anglomanie –, il faut prendre en compte la faiblesse du rayonnement
de la langue et du livre anglais sur le continent. Ils rendent d’autant
plus précieux le rôle des médiateurs et des passeurs culturels. Comme
l’écrit Jonathan I. Israel,
13. ISRAEL JONATHAN I., Les Lumières radicales. La philosophie, Spinoza et la naissance
de la modernité (1650-1750), Paris, Éditions Amsterdam, 2005, trad. fr. de Radical
Enlightenment. Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford, Oxford
University Press, 2001, p. 186-187.
56 • EUROPE FRANÇAISE
Allemagne, la franc-maçonnerie pénètre également par un grand port,
Hambourg, en 1737. Elle est à Prague dès 1735, à Vienne en 1742. Mais
elle emprunte aussi les canaux aristocratiques de la société de cour en
constituant des loges de cour (Hoflogen) comme à Dresde en Saxe élec-
torale en 1738 ou à Berlin en 1740. En Russie, Saint-Pétersbourg s’anime
dès 1731, Stockholm en 1735, Christiana (Oslo) en 1749. Logiquement,
après un temps d’hésitation devant la nouveauté, les dénonciations et
les interdictions des « conventicules » maçonniques des années
1730-1740 reflètent les inquiétudes que suscite l’ordre des francs-
maçons par son expansion rapide et son enracinement. La franc-maçon-
nerie est condamnée à La Haye en 1735, à Florence, Genève, Mannheim
et Paris en 1737, à Madrid, Lisbonne et Rome en 1738 – la coordination
entre les royaumes ibériques et la papauté est manifeste –, à Varsovie en
1739, à Malte en 1740, à Bordeaux en 1742, à Vienne en 1743, à Hanovre
et Berne en 1745, à Istanbul en 1748, à Naples en 1750, pour se limiter
à la première moitié du siècle 14.
À Paris, on lit dans le procès-verbal de l’assemblée de police tenue
par le premier président du parlement, en date du 1er août 1737 – avec
en marge la mention : « Société sous le nom de francs massons [sic] qui
doivent être défendues en ne traitant cependant la chose trop
sérieusement » :
58 • EUROPE FRANÇAISE
lettre du 10 janvier 1736 adressée aux États de Hollande et de Frise occi-
dentale, qui ont interdit la franc-maçonnerie, les bourgmestres de Rot-
terdam mentionnent précisément l’existence d’une loge maçonnique
vers 1720-1721 :
Depuis le XVIIIe siècle, les francs-maçons, bientôt relayés par les his-
toriens de la franc-maçonnerie, ont beaucoup prêté aux Stuarts et à leurs
partisans jacobites, les créditant notamment de la fondation des loges
en France, en Espagne, en Italie et en Russie. Très tôt, les Stuarts ont été
identifiés aux Supérieurs inconnus de la franc-maçonnerie ou comme
les héritiers des Templiers et à ce titre leurs-ayant droit sur la Stricte
Observance Templière – maçonnerie chrétienne et mystique qui connaît
une expansion européenne à partir du début des années 1770. Il est clair
que parmi les jacobites qui échouent par vagues successives sur le
60 • EUROPE FRANÇAISE
continent européen, figurent des francs-maçons. Mais ces vagues s’éche-
lonnent sur plus de soixante ans – ce qu’on oublie souvent de préciser –
avec des pics d’intensité en 1689, 1716 et 1746 qui sanctionnent l’échec
des tentatives de reconquête. Par ailleurs, l’essentiel des effectifs est
constitué de jacobites pauvres, qui peinent à s’installer et à refaire leur
vie. L’intégration réussie dans le haut clergé, l’administration, l’armée
ou le négoce d’un certain nombre de familles ne doit pas faire oublier
les difficultés de la plupart d’entre elles. En outre, lorsque des jacobites
identifiés comme francs-maçons, preuves documentaires à l’appui, font
souche et s’intègrent sur le continent, ils ne fondent pas de loges « jaco-
bites » mais des ateliers ouverts aux autochtones. C’est le cas de la famille
irlandaise Barnewall qui n’a « d’autre désir que d’établir une maison en
France ». Richard comte de Barnewall, fils de lord Trimlestown, pair
d’Irlande, ancien Député Grand Maître de 1734 à 1737 de la Grande
Loge d’Irlande, fonde à Toulouse la Loge ancienne le 2 décembre 1741.
Barnewall participe activement à la diffusion de l’ordre dans l’ensemble
du Languedoc ; il est notamment très actif à Montpellier, à Béziers où
une loge recevra des constitutions irlandaises. On trouve même trace
dans les archives de la Grande Loge d’Irlande à Dublin de la fondation
d’une loge irlandaise à Toulouse en 1734, probablement au mois de
novembre, avec le matricule 37. Le fils de Richard comte de Barnewall,
Nicolas, poursuit l’œuvre paternelle en prenant la tête de la prestigieuse
loge toulousaine de Clermont, mais élargit son champ d’action à
l’ensemble du royaume et au-delà, puisqu’une lettre du 20 avril 1786,
conservée aux Archives départementales de Savoie, mentionne un projet
de voyage en Savoie, où l’on attend le comte de Barnewall pour « mettre
la dernière main à une nouvelle loge ».
Il faut donc distinguer les étapes de formation de la diaspora jaco-
bite et les options personnelles, largement influencées par la conjonc-
ture politique, diplomatique et militaire : après 1746, les derniers espoirs
de chasser les Hanovre du trône d’Angleterre se sont envolés, le temps
de l’intégration est donc venu. Or c’est précisément à ce moment que
l’ordre maçonnique allume ses feux à travers le continent européen,
au-delà des franges littorales ou d’une poignée de capitales. Il est donc
logique que l’on retrouve des sujets issus de l’aire de diffusion initiale
de la franc-maçonnerie spéculative impliqués dans cette diffusion, non
pas comme des comploteurs ou des agents clandestins mais comme des
médiateurs culturels, à l’instar des Britanniques et des Français qui dif-
fusent l’Art Royal au Portugal.
62 • EUROPE FRANÇAISE
les fixent géographiquement, indépendamment des missions qui peu-
vent leur être confiées. Ils occupent d’ailleurs des appartements voisins
dans le château. On peut donc légitimement supposer que l’habitude
s’est prise de tenues régulières, sans que les travaux prennent jusqu’aux
années 1730 le caractère réglé qu’ils auront le plus souvent par la suite.
Le degré de formalisation de la sociabilité maçonnique est à géométrie
et à intensité variables, selon les goûts, les circonstances et le contenu
que l’on veut donner à son engagement.
La création en 1725 ou 1726 de la loge parisienne Saint-Thomas I
[chap. II, Tessin : St-Thomas no 1] indique incontestablement l’affilia-
tion à l’ordre d’un nombre important d’anciens officiers de la cour Stuart
en exil et leur volonté de se doter d’une structure maçonnique stable.
Mais il faut être attentif à la chronologie, la création de Saint-Thomas I
survient trente ans après la Glorieuse Révolution ; elle n’est pas isolée,
mais appartient au groupe des fondations européennes des années 1720.
Du mythe fondateur de la franc-maçonnerie jacobite du premier exil en
1688-1689, on est passé à la création attestée, en milieu jacobite, d’une
loge structurée, ce qui est tout à fait différent. Les fondateurs de l’atelier
sont d’authentiques partisans des Stuarts qui placent leur atelier sous le
patronage de saint Thomas Becket qui dut en son temps fuir l’Angleterre
de Henri II et les persécutions pour trouver refuge en France. Il s’agit de
Dominique O’Heguerty, fait comte de Magnières en Lorraine par le duc
Stanislas – beau-père de Louis XV –, du chevalier James Hector Mc Lean,
qui succédera à la tête de la Grande Loge de France au duc de Wharton
en 1731, avant d’être remplacé le 27 décembre 1736 par l’autre cofon-
dateur de Saint-Thomas I, Charles Radcliffe, comte de Darwentwater.
La loge compte sur ses colonnes des représentants des principales
familles jacobites, les Talbot, Douglas, Fitz-James et Middleton, ainsi
que des officiers des régiments irlandais et écossais au service de France.
Le recrutement en milieu jacobite de la loge lui permet difficilement
d’élargir son assise en initiant des Français. C’est ce que comprend sa
concurrente, Saint-Thomas II dite encore Saint Thomas Le Breton-Le
Louis d’argent par référence au compagnon orfèvre Thomas Le Breton
son fondateur et à la taverne Au Louis d’argent, rue des Boucheries, fau-
bourg Saint-Germain. De sensibilité hanovrienne – elle initie le fils de
lord Waldegrave, ambassadeur d’Angleterre à Paris –, elle est constituée
par la Grande Loge d’Angleterre le 3 avril 1732. En 1735, une tenue est
présidée par le duc de Richmond et Jean-Théophile Désaguliers, anciens
Grands Maîtres de la Grande Loge d’Angleterre – et également de France
64 • EUROPE FRANÇAISE
paramaçonnique Philo Musicae et Architecturae Societas, qui réunit tout
ce que Londres compte alors comme musiciens et compositeurs francs-
maçons, français et italiens pour la plupart. Mais surtout, la loge du
Temple de Salomon accueille un frère qui illustre parfaitement la liaison
entre sociabilité maçonnique et sociabilité savante, Lumières maçonni-
ques et Lumières techniciennes, nébuleuse huguenote et diffusion de
l’Art Royal en Europe, présidant à l’essor de la Grande Loge de Londres
dans les décennies 1720-1730 et au-delà à l’expansion européenne de
l’ordre. Il s’agit de Charles de Labelye 16, Suisse d’origine française, élève
puis assistant de Jean-Théophile Désaguliers. Cet « antiquaire » et
numismate distingué sera également reconnu comme ingénieur,
puisqu’il supervise après 1738 la reconstruction du pont de West-
minster. Face à ses opposants qui contestent ses calculs, Labelye s’appuie
encore sur l’expertise de Désaguliers auprès des autorités londoniennes.
Comme son maître, Labelye s’investit sans compter dans la diffusion de
l’Art Royal. En 1727, alors qu’il séjourne à Madrid, il participe aux tra-
vaux d’un noyau maçonnique de cinq frères anglais. Ils profitent du
séjour madrilène du duc Philippe de Wharton (1698-1731), ancien
Grand Maître de la Grande Loge d’Angleterre (1723), très contesté pour
sa position pour le moins fluctuante voire son double jeu entre jacobites
et hanovriens – il est à la fois couvert d’honneurs par le Jacques III Stuart
et par George Ier de Hanovre –, pour solliciter la constitution régulière
de leur atelier sous le titre de loge de Madrid, alias Aux Trois Fleurs de
Lys, Aux Armes de France, du nom probable d’une auberge de la rue
Saint-Bernard à Madrid. Après l’envoi de plusieurs délégations lors des
assemblées trimestrielles de la Grande Loge, leur requête est accordée
par le Grand Maître James Lord Kingston le 27 mars 1729 pour prendre
rang le 15 février 1728. Quasi simultanément, Londres entérine deux
autres fondations hors des îles Britanniques, qui témoignent à la fois de
l’antériorité des réunions maçonniques sur leur reconnaissance – de
deux à quatre ans en moyenne –, et de l’expansion outre-mer : Gibraltar
et Fort William au Bengale.
Parmi les autres « loges françaises » de la Grande Loge d’Angleterre,
il convient de s’intéresser à la loge du coffee house Au Prince Eugène, dans
66 • EUROPE FRANÇAISE
recueil de chansons maçonniques. En août 1733, elle donne l’autorisa-
tion par l’intermédiaire de son secrétaire, le frère Friard, à Louis François
de La Tierce, un de ses membres les plus remarquables, de publier une
traduction française des Constitutions de 1723 dites d’Anderson sous le
titre d’Histoire, obligations et statuts de la très vénérable confraternité des
francs-maçons 17. L’objectif est clairement de répondre à l’expansion
européenne de l’ordre en offrant le texte fondateur de 1723 en une
langue de communication continentale, estimant après Pierre Bayle
(1685) que « la langue française est désormais le point de communica-
tion de tous les plans de l’Europe ». De fait, la traduction des Constitu-
tions augmentée du Discours de Ramsay (1736-1738), qui marque
l’inflexion chrétienne et chevaleresque prise par la franc-maçonnerie,
et de divers commentaires, est finalement publiée en 1742, à Francfort-
sur-le-Main. La Tierce est alors membre de l’Union, orient de Francfort,
dont la loge mère n’est autre que l’Union, orient de Londres. Le noyau
et le souffle de la loge londonienne se sont clairement déplacés à Franc-
fort, d’où ils rayonnent, profitant de la réunion de la diète d’élection
impériale – Charles VI est mort – et de la présence de nombreuses ambas-
sades étrangères, sur tout le continent 18.
Dans Histoire, obligations et statuts de la très vénérable confraternité
des francs-maçons, Louis François de La Tierce se fait le héraut d’une
franc-maçonnerie cosmopolite, humaniste, artisan du progrès moral et
scientifique de l’humanité, de la paix entre les nations et les confessions
chrétiennes. Héritier de Leibniz et de l’abbé de Saint-Pierre, auteur d’un
célèbre Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1713), La Tierce
annonce le philosophe allemand Gotthold Ephraïm Lessing, dont les
Dialogues pour des francs-maçons (1778-1780) insistent moins sur l’ordre
en tant qu’organisation que sur son essence, n’hésitant pas à recon-
naître comme franc-maçon un non-initié qui en a les vertus. Son par-
cours maçonnique et sa trajectoire profane au cours des années
68 • EUROPE FRANÇAISE
percement du canal de Suez ! d’évoquer l’union des Romains et des
Sabines comme un véritable métissage culturel, avant d’appeler les
francs-maçons occidentaux à redécouvrir leurs frères de Chine...
Il est alors affilié à la Loge française de l’Union, orient de Londres,
dont le caractère cosmopolite s’est affirmé en quelques mois. Travaillent
en effet à ses côtés Philipp Steinheil, que nous retrouverons longuement
en Allemagne où il anime l’expansion de l’ordre depuis Francfort,
Charles de Labelye, Vincent La Chapelle, John Coustos ou encore le
baron Kettler, qui protégera de 1741 à 1762 les réunions d’écrivains
francs-maçons russes. Nul doute que ces frères ont favorisé le projet de
La Tierce de publier son Histoire. La Loge française de Londres lui donne
donc son approbation en 1733, mais des « raisons particulières », dont
nous ignorons tout, empêchent sa parution. Finalement, l’Histoire sort
des presses du célèbre éditeur franc-maçon François Varentrapp en 1742.
Ce sont de tels pionniers qui assurent l’ancrage européen de l’ordre et
sa visée cosmopolite.
70 • EUROPE FRANÇAISE
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE
Le gouvernement est bon lorsque les lois sont telles qu’elles produi-
sent nécessairement la vertu et peuvent faire que même des hommes
mauvais deviennent de bons ministres (Craftsman, sans date).
Bien que le roi d’Angleterre soit le père de son peuple, il est seu-
lement le fils de son pays (Craftsman, 28 novembre 1730) 1.
1. COTTRET BERNARD, Bolingbroke. Exil et écriture au siècle des Lumières, op. cit., t. I,
p. 233.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 71
Montesquieu nourrit sa réflexion sur l’équilibre des pouvoirs et le
gouvernement mixte, où le roi incarne la forme monarchique, la
chambre des Lords le tropisme aristocratique, et les Communes l’incli-
nation « démocratique », de la lecture du Craftsman et de l’opposition
de Bolingbroke à Robert Walpole. Mais le philosophe français, comme
l’homme politique anglais d’ailleurs, tire avant tout ses références et ses
grilles d’interprétation des sources antiques. Tous deux sont familiers
des Histoires de Polybe, où l’historien grec démonte avec intelligence et
rigueur les ressorts des institutions de la République romaine. Tous deux
sont en outre lecteurs de ce remarquable historien de l’Angleterre d’alors
qu’est le réfugié huguenot Paul de Rapin-Thoyras, auteur d’une célèbre
Dissertation sur les Whigs et les Tories. Les influences sont donc multiples
et complexes, les apports sont appropriés et interprétés. Les penseurs
des Lumières sont davantage des interprètes, des passeurs que des « rap-
porteurs ». Il faut notamment insister sur l’intérêt que suscitent alors
les relations internationales auprès de ceux qui informent l’espace
public européen, tissent des réseaux de correspondance et de circulation
des idées et des hommes, et investissent le champ de la sociabilité nou-
velle. La figure du journaliste huguenot Jean Rousset de Missy
(1686-1762), auteur des Intérêts présents des puissances de l’Europe, publiés
en deux volumes à La Haye en 1733, est exemplaire.
72 • EUROPE FRANÇAISE
lettres : J.-B. Rousseau et P. Bayle dont il défend la mémoire, Vol-
taire, Crébillon fils, Mably, Raynal, Longuerue, Fréron, Fougeret de
Monbron [...] ; Formey, Prémontval, Racine fils, M. M. Rey,
Diderot, J.-J. Rousseau ; Prades, Yvon, La Mettrie, La Beaumelle,
Duclos, Stanislas Leszczynski, Neuhoff, l’éphémère roi Théodore
de Corse, Kruyningen, Charles de Lorraine – gouverneur général
des Pays-Bas autrichiens où il se réfugie lors de sa disgrâce –, Neny,
Cobenzl, la Pompadour, Louis XV, bref allant des souverains aux
plus petits des folliculaires de la république des lettres, l’Encyclo-
pédie, le Journal encyclopédique et tant d’autres publications 2.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 73
documentaires pour écrire des ouvrages appréciés sur les relations interna-
tionales contemporaines et des essais de réflexion stratégique. Les Intérêts
présents des puissances de l’Europe publiés en deux volumes in-4o à La Haye
en 1733 sont particulièrement goûtés par Jean Daniel Schoepflin et ses
élèves de l’école diplomatique de Strasbourg. Une édition augmentée en
quatorze tomes, in-12o, paraît en 1734-1736 à La Haye, et l’ouvrage
continue d’être édité jusqu’en 1741. Dès 1719, Rousset a donné une His-
toire publique et secrète de la cour de Madrid depuis l’avènement du roi Philippe V
jusqu’au commencement de la guerre avec la France. Avec un Discours sur l’état
présent de la monarchie d’Espagne. Suite à son séjour en Russie, où Rousset
de Missy a été particulièrement critique vis-à-vis des périodiques, il écrit
des ouvrages importants comme : Les Mémoires du Règne de Pierre Le Grand,
Empereur de Russie, publiés à Amsterdam (1729 5) chez J. Wetstein sous le
pseudonyme du baron Ivan P. Nestesuranol. On lui doit aussi, l’année pré-
cédente, les Mémoires du règne de Catherine, impératrice de toutes les Russies,
publiés chez Arkstée et Merkus à Amsterdam et à Leipzig – cette autre
plaque tournante du livre européen et du Refuge huguenot. Dans un autre
registre, Rousset de Missy participe à la diffusion des manuscrits philoso-
phiques clandestins à travers l’Europe, puisqu’il traduit en français A Dis-
course of Free-Thinking de Collins en 1713-1714 6, et travaille avec Charles
Levier à l’édition clandestine de L’Esprit de Spinoza de Jean Maximien Lucas
en 1719. Rousset traduit aussi les écrits politiques de Locke.
Comme tant d’autres huguenots – dont nous parlerons plus loin –,
Jean Rousset de Missy a été en outre un remarquable relayeur du flam-
beau maçonnique à travers l’Europe et notamment aux Provinces-Unies,
où il est l’un des fondateurs de l’ordre. Et lorsque les pasteurs du consis-
toire de Nimègue veulent chasser les francs-maçons des assemblées pro-
testantes, il réagit avec virulence, défendant le principe de la
non-intrusion du religieux dans les affaires publiques, où le Magistrat
est seul compétent, et fait l’apologie de l’ordre dans la Lettre d’un franc-
maçon de la loge S. Louis de Nimègue (1752) :
Au lecteur
74 • EUROPE FRANÇAISE
nous avons cru que les amateurs de la Vérité, nous sauraient gré
de la leur donner dans une langue plus universelle, car ceux qui
aiment la vérité, l’aiment en tout, et il n’y a guère de circons-
tances, d’où la calomnie s’efforce davantage de la bannir, que
dans tout ce qui concerne la Société des francs-maçons.
Cet amour de la vérité demande néanmoins de nous, que nous
avouions que depuis quelques années, elle a triomphé, à cet
égard, de cette cruelle ennemie, au moins dans l’esprit des per-
sonnes qui donnent tout à la raison et rien au préjugé, surtout
lorsqu’on a vu non seulement tant de lords dans la Grande-Bre-
tagne, tant de comtes dans l’Empire, tant de marquis, de comtes,
de gentilshommes, de ministres d’État, d’ecclésiastiques en
France, mais même des princes, des rois et le très auguste Empe-
reur régnant [François de Lorraine époux de Marie-Thérèse, reçu
franc-maçon à La Haye], enrôlés sous l’étendard de cet ordre
royal, après s’être, sans doute, convaincus qu’il ne s’y passait rien
qui répugnât à leur religion, leur honneur, à leur dignité 7.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 75
l’Église – ce que le consistoire de Nimègue rejette – suivant
l’ordre et le formulaire usités dans l’Église dominante de ces
provinces 8.
76 • EUROPE FRANÇAISE
des voyageurs : « Aucun homme n’est capable de comprendre César, Gui-
chardin et Montluc, comme celui qui s’est appliqué à faire the Grand Tour
of France, and the Giro of Italy 11. » La destination première du Grand Tour,
qui tient à la fois du voyage de formation, d’agrément et d’initiation au
royaume européen des mœurs, et vise à donner aux jeunes gens bien nés
les clés d’une entrée réussie dans le monde, est clairement l’Italie. Le
Dr Johnson l’expose sans détours : « Un homme qui ne s’est pas rendu en
Italie et [est ?] sans doute conscient de son infériorité, car il n’a pas vu
ce qu’un homme est supposé voir. » Joseph Addison fait chorus : « Il n’y
a pas de lieu dans le monde où l’on peut voyager avec plus de plaisir et
d’avantage qu’en Italie. On ressent quelque chose d’incomparable dans
ce pays, et l’on est plus fasciné par le travail de la nature que dans
n’importe quel autre pays européen. » En 1722, l’envoyé de France à
Vienne, Saint-Saphorin, constate cette attirance, mais déplore aussi le
coût d’une excursion européenne qui dure fréquemment de deux à trois
ans : « À quoi aboutissent pour les Anglais tous ces voyages en Italie, qu’à
y prendre le goût de la peinture, des statues, et de la musique, toutes
choses qui n’engagent qu’à des dépenses. » Florence ou Genève comptent
de solides colonies anglaises – au point que l’envoyé anglais dans la
métropole toscane, Francis Colman, se plaint en 1725 de ne plus avoir
une heure à lui, à force de guider les visiteurs anglais à travers la ville 12 –
composées d’amateurs, de diplomates, d’aristocrates, d’aventuriers qui
animent une vie de société intense. On leur doit la création de clubs et
de loges maçonniques qui s’ouvrent inégalement aux représentants de la
bonne société locale.
Les étapes se multiplient et s’allongent en France, aux Provinces-
Unies. Les envoyés britanniques sont débordés de demandes et de sollici-
tations de la part de leurs compatriotes, ainsi James premier comte de
Waldegrave, successeur d’Horace Walpole à Paris, qui ne cesse de tenir
table ouverte pour une à deux dizaines de nouveaux arrivants. En 1724,
Jean-Aymar Piganiol de la Force publie un ouvrage au sous-titre signifi-
catif : Nouveau Voyage de France. Avec un itinéraire, et des cartes faites exprès,
qui marquent exactement les routes qu’il faut suivre pour voyager dans toutes
11. LASSELS RICHARD, The Voyage of Italy, or A Compleat Journey through Italy, Paris,
V. du Moutier, 1670, 2 vol. ; traduction française, Voyage d’Italie, Paris, L. Billaine,
1671, 2 vol., « Avant-propos ».
12. Cité par BLACK JEREMY, The British abroad, The Grand Tour in the Eighteenth
Century, Stroud, Alan Sutton, 1992, p. 7.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 77
les Provinces de ce Royaume. Ouvrage également utile aux Français et aux Étran-
gers 13. Dijon notamment devient un lieu où se retrouvent de nombreux
touristes avant de poursuivre leur route, soit vers la vallée du Rhône et la
Provence, soit vers la Suisse et l’Italie, comme l’observe en 1739 Thomas
Gray (1716-1771) – qui accompagne Horace Walpole dans son Grand
Tour – dans une lettre à sa mère et la célèbre lady [ ?] Mary Wortley Mon-
tagu : « Il n’y a pas moins de seize familles anglaises du monde dans cette
ville. » En 1729, paraît l’édition anglaise de la Dissertation upon the High-
Roads of the Duchy of Lorraine – alors hors du royaume – d’Augustin Calmet.
L’ouvrage est dédié à Henri, troisième duc de Beaufort qui « a résidé en
Lorraine, l’a parcouru en tous sens pour étudier ses routes, ses ouvrages
d’art et ses bâtiments publics avec soin et attention ». Les cours allemandes
– les résidences – suscitent un intérêt croissant, notamment après l’acces-
sion au trône d’Angleterre des Hanovre. Certains voyageurs se risquent
même jusqu’en Russie, où les échanges commerciaux avec l’Angleterre
ont établi une première tête de pont. L’inflation du nombre de guides
pour voyageurs témoigne d’un phénomène en expansion, en cours de
codification voire d’institutionnalisation. Le Grand Tour participe de la
culture légitime des élites britanniques puis européennes, notamment
dans l’espace germanique, scandinave et russe. Mais ses bases sociales
s’élargissent par mimétisme aux représentants des strates sociales intermé-
diaires et en Angleterre à la gentry. Pour des raisons financières, puis dans
le dernier tiers du siècle par patriotisme et affirmation du sentiment
national, on y reviendra, certains optent pour le domestic tour ou le voyage
at home, moins onéreux. Mais c’est surtout la durée du voyage et le nombre
de domestiques qui constituent les variables d’ajustement.
78 • EUROPE FRANÇAISE
et scientifiques et sa curiosité universelle. Le tsar avait étudié la construc-
tion navale, il avait visité les universités, les cabinets de curiosités, les
jardins botaniques, procédant à de très nombreuses acquisitions de natu-
ralia. Conscient de l’importance de l’imprimerie et de la nécessité de
développer des presses, il avait répondu favorablement à la proposition
du Hollandais Joan Tessing : l’exclusivité de l’impression des livres
russes à Amsterdam et de leur importation en Russie pendant quinze
ans. Tessing, dont les affaires lucratives s’étendaient également aux
commandes d’armement, de bois, et aux transferts de fonds entre
l’Europe occidentale et la Russie, fut l’un de ceux qui contribuèrent à
l’ouverture de la Russie. Vingt ans plus tard, le deuxième voyage du tsar
est plus ambitieux. Il est destiné à la fois à montrer [et... ?] que la Mos-
covie est devenue une authentique puissance européenne. Certains
observateurs perçoivent d’ailleurs les premiers signes des ambitions nou-
velles de la Russie, ainsi l’auteur des Lettres de Paris à un diplomate
hollandais :
14. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 97, 19 février 1717,
p. 230.
15. BELY LUCIEN, La Société des princes, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1999.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 79
européennes de second rang étaient offertes aux souverains russes. C’est
dans cette perspective que s’inscrit le séjour de Pierre Ier à Paris en mai-
juin 1717. Jean Buvat, modeste copiste à la bibliothèque royale, note
alors dans son journal, édité en 1865 sous le titre Journal de la Régence :
Le czar est le plus libéral prince qui fût jamais, à donner des
preuves partout de sa lésine outrée, ne faisant pas une démarche
quelle qu’elle soit qui n’en convainque tout le monde. Il y a six
jours qu’il est à Versailles et à Marly, où lui et ses gens se livrent
à la débauche de table qu’ils poussent à l’excès. Ceux de sa suite
ont été au cabaret y faire de grosses dépenses sans rien payer,
disant que c’était au Roi à les acquitter de tout. Le maréchal de
Tessé est sur ses dents, le duc d’Antin a déserté de sa cour où il
n’a pu vivre à Fontainebleau ni à Versailles ; en un mot il fatigue
tous ceux qui s’approchent, il rebute par ses manières plus que
bourgeoises et il semble qu’on lui est fort redevable de l’honneur
qu’il fait à la France de venir la gruger. Il part, dit-il, le 15 ou le
16 ; c’est ce que nous espérons 17.
16. BUVAT JEAN, Journal de la Régence (1715-1723), E. Campardon éd., Paris, 1865,
t. I, p. 266.
17. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 126, 11 juin 1717,
p. 288-289.
80 • EUROPE FRANÇAISE
pour célébrer la sienne qui était ce jour-là, mais vous ne sauriez
croire jusqu’où ce prince et ses gens rebutent tous ceux qui
l’approchent. Il prend tout le monde pour ses esclaves, ne regar-
dant pas les personnes de la première qualité, qu’il méprise évi-
demment, quelque soin qu’ils prennent pour le recevoir et le bien
régaler. Ses principaux officiers ont fait des débauches à Versailles
qui passent les bornes ; ils ont été dans les hôtelleries sans rien
payer, partout il s’égare du linge que ses gens s’approprient. Le
czar ne donne rien à personne, et il semble que le Roi soit très
honoré de le régaler partout à ses dépens. Le meilleur de tout est
qu’il part incessamment au grand contentement de ceux qui le
servent ou l’accompagnent 18.
C’était un fort grand homme, très bien fait, assez maigre, le visage
assez de forme ronde, un grand front, de beaux sourcils ; le nez
assez court sans rien de trop, gros par le bout [...] ; de beaux yeux
noirs, grands, vifs, perçants, bien fendus ; le regard majestueux
et gracieux quand il y prenait garde, sinon sévère et farouche qui
donnait de la frayeur... Tout son air marquait son esprit, sa
réflexion et sa grandeur et ne manquait pas d’une certaine
grâce 19.
18. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 127, 14 juin 1717,
p. 291.
19. Saint-Simon ou « l’observateur véridique », catalogue d’exposition, Paris, Biblio-
thèque nationale, 1976, p. 140.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 81
n’avait paru rempli que de son esprit de curiosité, qui va et vient
de tous côtés chercher à voir, à apprendre et à comprendre tout
ce qu’on lui montre. Il dit plus, il dit qu’il semble qu’il n’ait
aucune affaire étrangère, faisant peu souvent des dépêches, et
n’expédiant point des courriers extraordinaires, d’où nous
concluons qu’il ne se négocie aucun traité avec lui, du moins
jusqu’à cette heure. Il est à présent encore à Versailles qu’il veut
voir exactement pendant quelques jours ; peut-être que, quand
il aura satisfait sa curiosité, se donnera-t-il à ses affaires particu-
lières et songera-t-il à quelque traité avec le Régent ; c’est ce dont
je serai informé dans le temps s’il se passe quelque chose 20.
20. Lettres de Paris à un diplomate hollandais, op. cit., lettre no 125, 7 juin 1717,
p. 286.
82 • EUROPE FRANÇAISE
Pierre Ier, accompagné de son ambassadeur en France, le prince Kou-
rakine, qui lui sert d’interprète, est accueilli avec faste par le président,
l’abbé Bignon, et par le secrétaire de l’Académie, qui n’est autre que
Fontenelle. On leur présente diverses machines, comme la machine à
élever les eaux de La Faye, l’arbre de Mars du chimiste Nicolas Lémery,
le cric du physicien André Dalesme et le carrosse de Le Camus. L’atti-
rance du souverain pour la mécanique est donc bien réelle, tout
comme sa passion pour la cartographie et la géographie. Réaumur note
qu’il discute avec Delisle des cartes de Russie que ce dernier est en train
de dresser, échange qui est sans doute pour beaucoup dans l’invitation
dont bénéficiera par la suite Delisle pour poursuivre en Russie ses
recherches géographiques ainsi que ses relevés cartographiques et
astronomiques. Mais au-delà de la visite d’un souverain à un grand
établissement de recherche scientifique, qui aurait très bien pu rester
sans lendemain, l’essentiel réside bien davantage dans la promesse
d’échanges scientifiques mutuels et d’une authentique collaboration
savante, la Russie offrant un terrain d’expérimentation incomparable,
les Français et au-delà les Occidentaux apportant savoir-faire, expertise
et transfert de technologie. Dès son retour en Russie, Pierre Ier entame
en effet par l’intermédiaire de son médecin personnel, Areskine, une
correspondance avec l’Académie des sciences, et sollicite sa réception
dans la compagnie.
On a conservé une lettre d’Areskine du 7 novembre 1717 qui
revient sur cette demande et sur l’importance qu’elle revêt aux yeux de
son souverain :
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 83
souhaite des occasions de vous témoigner son amitié qu’elle a
pour vous 21.
84 • EUROPE FRANÇAISE
Si l’exécution de ce grand dessein conçu par votre Majesté, s’attire
les applaudissements de toute la terre, avec quel transport de joie
l’Académie doit-elle y mêler les siens, et par l’intérêt des sciences
qui l’occupent, et par celui de votre gloire, dont elle peut se flatter
désormais qu’il rejaillira sur elle 23.
Pierre Ier. Par la grâce de Dieu Nous Pierre Ier, Czar de toute la
Russie etc., à l’Académie royale des sciences salut.
Le choix que vous avez fait de notre personne pour membre de
votre illustre société, n’a pu nous être que très agréable. Aussi
n’avons-nous pas voulu différer à vous témoigner par ces pré-
sentes avec combien de joie et de reconnaissance nous acceptons
la place que vous nous offrez, n’ayant rien plus à cœur que de
faire tous nos efforts pour contribuer dans nos États à l’avance-
ment des sciences et des beaux-arts, pour nous rendre par là
d’autant plus dignes d’être membre de votre société. Dans cette
vue, nous avons chargé le sieur Blumentrost, notre premier
médecin, de vous rendre compte de ce qu’il pourrait y avoir de
nouveau dans notre Empire qui méritât votre attention ; vous
assurant que de notre côté nous serons bien aises que vous entre-
teniez commerce de lettres avec lui et que vous lui communiquiez
les nouvelles découvertes que l’Académie pourra faire dans les
sciences.
Comme il n’y a encore eu jusqu’ici aucune carte fort exacte de la
Mer Caspienne, nous avons ordonné à des personnes habiles de
s’y transporter, pour en dresser une sur les lieux avec le plus de
soin qu’il se pourrait, et nous l’envoyons à l’Académie, persuadés
qu’elle la recevra agréablement en mémoire de Nous.
Du reste, nous nous remettons à ce que vous dira plus au long
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 85
par lettre notre premier médecin (Blumentrost), et de bouche
notre bibliothécaire (Schumacher).
86 • EUROPE FRANÇAISE
académiques françaises, pas plus qu’il ne duplique l’Académie des
sciences. La compagnie russe sera d’emblée marquée par la forte pré-
sence des savants allemands et suisses alémaniques, notamment les Ber-
noulli et les Euler père et fils. Il y a donc intérêt savant, prise en compte
de l’offre scientifique européenne et de ses fluctuations, appropriation
culturelle et institutionnelle, et adaptation. De son côté, l’abbé Bignon
profite des liens noués. Il saisit l’envoi des manuscrits en langue
inconnue par Pierre Ier comme une opportunité pour recruter des inter-
prètes et des traducteurs pour la bibliothèque royale, qu’il dirige depuis
1719. En octobre 1720, apparaissent sur l’état du personnel de la biblio-
thèque royale deux interprètes « en langue esclavonne, russe et polo-
naise ». Recruté en 1721, Jean Sohier donne une Grammaire et méthode
russes et françaises composées et écrites à la main par Jean Sohier, interprète
en langue esclavonne, russe et polonaise dans la Bibliothèque du roi, divisées
en deux parties, l’année 1724, que Bignon dépose à la bibliothèque royale
en 1725. L’abbé Girard forme quant à lui des « jeunes de langue » en
russe comme ceux qui étaient destinés à servir d’intermédiaires avec la
Porte ottomane.
Progressivement, l’échange des imprimés prend une importance
prépondérante dans ce commerce savant. Le bibliothécaire de Pierre Ier,
Schumacher, est envoyé à l’étranger. Il établit des relations étroites avec
les libraires-éditeurs d’Amsterdam, de la ville universitaire de Leyde, de
La Haye qui le fournissent en titres français. La librairie de l’Académie
vend l’essentiel des ouvrages français importés en Russie, tandis que,
malgré le tarif douanier de 1724 qui prévoyait que les livres imprimés
puissent être importés hors taxes pour favoriser leur diffusion, s’établit
un véritable monopole hollandais sur son approvisionnement. Au cours
du siècle, cette librairie est d’ailleurs une importante source de revenus
pour l’Académie. Le seul libraire-éditeur français a avoir pu échapper à
l’emprise hollandaise est le Parisien Antoine-Claude Briasson 24, en
affaires avec l’Académie de 1737 à sa mort en 1775. Les librairies-édi-
teurs hollandais profitent logiquement de l’écrasante domination des
Provinces-Unies dans les échanges commerciaux avec la Russie – avec
en moyenne vingt navires hollandais pour un français –, et plus
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 87
largement dans le transport maritime européen. Routes commerciales
bien établies, coût du transport réduit, force de l’industrie néerlandaise
et huguenote du livre de langue française leur donnent un avantage
certain. Homologue de Schumacher en France, l’abbé Bignon presse son
collègue russe en liaison avec Joseph Nicolas Delisle déjà évoqué, alors
membre de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, de
lui faire parvenir les ouvrages russes destinés à combler les lacunes de
la bibliothèque royale :
Deux ans plus tard, Bignon montre toujours autant d’intérêt pour
les écrits en langues slaves dans une lettre à Delisle : « Les monastères
pourraient vous en fournir, parce qu’il est difficile qu’il ne s’y en trouve
pas, et que les moines moscovites, étant aussi ignorants qu’ils le sont
[sic] ont tout l’air de ne s’en pas fournir beaucoup. À l’égard des
imprimés, j’écris à M. Schumacher la lettre que je joins ici et que je vous
prie de lui faire rendre, après que vous en aurez pris lecture pour vous
88 • EUROPE FRANÇAISE
mettre au fait de ce que je lui mande. » Et le 3 janvier 1730, Delisle
annonce au bibliothécaire du roi que Schumacher lui fait passer « un
exemplaire de tous les ouvrages imprimés jusqu’à présent par l’Aca-
démie de Pétersbourg, tant en français qu’en allemand, en latin et en
russe. Ils sont de la meilleure condition, savoir en grand papier et la
plupart bien reliés ». Font ainsi leur entrée dans les fonds de la biblio-
thèque royale les tomes I et II des Mémoires de l’Académie de Pétersbourg,
en latin, le tome premier en russe ; les Centuries de plantes rares en trois
volumes, avec illustrations ; les Discours prononcés dans trois assemblées
publiques de l’Académie ; les Éléments de mathématiques en français et en
russe ; l’Abrégé de l’histoire en allemand ; les Gazettes de Pétersbourg en
allemand pour les années 1728 et 1729 avec supplément en russe ; le
Règlement des changes en allemand et en russe ; plusieurs poésies en latin
et en allemand sur le couronnement de Pierre II ; le dernier traité de
limites entre le sultan Eschref et la Russie en russe et en allemand ;
l’Almanach de Pétersbourg pour l’année 1730 en russe. Par la suite, ce
commerce de livres s’intensifiera grâce à l’enthousiasme du comte de
Plélo – rencontré dans l’étude du club de l’Entresol – (sept cents volumes
en 1732-1733), tandis qu’on doit au fondateur de l’Entresol, l’abbé
Alary, acquéreur de livres à la bibliothèque royale, l’envoi à l’impératrice
du premier catalogue imprimé de la bibliothèque par l’intermédiaire du
prince Antioche Kantemir, ambassadeur de Russie à Paris.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 89
des études à l’Académie ecclésiastique slavo-gréco-latine de Moscou, un
passage par La Haye en 1726, arrive l’année suivante dans la capitale
française, où il entre au service du prince Kourakine, envoyé de Russie 26.
Poète, futur professeur d’éloquence, Trediakovski tombe sous le charme
de la ville à laquelle il consacre son Éloge de Paris. L’influence linguis-
tique de Girard sur le jeune étudiant russe est déterminante et nourrit
son traité Le Dialogue sur l’orthographe (1748). Par la suite, Trediakovski
créera l’Assemblée russe sur le modèle de l’Académie française afin de
préserver la « pureté de la langue russe ». Pendant ses années parisiennes,
il suit également les cours de la Sorbonne, s’enthousiasme pour l’ensei-
gnement de Charles Rollin, mis à l’écart de l’Université en raison de ses
sympathies jansénistes, mais qui occupe toujours sa chaire au Collège
royal – l’actuel Collège de France. Trediakovski entreprendra par la suite
en hommage au maître la traduction des monumentales Histoire
ancienne et Histoire romaine, ainsi que de l’Histoire des empereurs de Jean-
Baptiste Crevier, soit plusieurs dizaines de volumes, dont l’influence en
Russie sera considérable tout au long du XVIIIe siècle. De retour en Russie,
il s’empresse également de traduire le roman de Paul Tallemant, Voyage
de l’Isle d’amour, qui connaîtra un succès formidable et durable. Inter-
médiaires et passeurs culturels sont actifs. Il en est de même sur le plan
artistique.
Sous l’impulsion de Pierre Ier, la construction de Saint-Pétersbourg
et les différents chantiers de modernisation de la Russie destinés à faire
de l’ancienne Moscovie une puissance européenne drainent en effet une
main-d’œuvre étrangère qualifiée, qui nourrit à son tour des flux « natio-
naux » complémentaires : artistes et ingénieurs recrutant dans leur
communauté d’origine leurs collaborateurs. Parmi ces Européens qui
font le voyage de Russie dès 1716, figurent des Français, notamment
l’architecte Le Blond (1675-1719) et le sculpteur d’origine italienne B.
Carlo Rastrelli (1695-1744), qu’accompagne son fils Bartolomeo.
Nommé architecte général, Le Blond dirige l’aménagement de Saint-
Pétersbourg et organise la Chancellerie des affaires urbaines sur le
modèle de la Surintendance des bâtiments française. Mais la plupart des
Français rencontrent des déboires, surtout ceux qui sont venus tenter
l’aventure sans contrat préalable bien établi, ni préparation. Les retours
90 • EUROPE FRANÇAISE
précipités sont nombreux et dissuadent de nombreuses tentatives. Ces
hésitations concernent d’ailleurs les plus grands protagonistes des
échanges culturels franco-russes tout au long du siècle, puisque Diderot
retardera son voyage de Russie, malgré les sollicitations pressantes de
Catherine II, pendant douze ans avant de se décider, pour un résultat
d’ailleurs décevant. Il faut donc se méfier de la notion vague et fourre-
tout d’influence.
3. À LA RENCONTRE DE L’AUTRE • 91
4. UNE MÉSENTENTE CORDIALE ?
92 • EUROPE FRANÇAISE
Français établissent leur supériorité à partir des années
1728-1730. Les draps français destinés aux marchés levantins
sont fabriqués exclusivement dans la province du Languedoc [...].
Ces draps sont appelés « londrins », dénomination qui témoigne
de la supériorité des produits britanniques sur les marchés otto-
mans, dans lesquels les négociants marseillais tentent de pénétrer
avec leurs produits nationaux, et ils y réussirent efficacement. La
quantité de draps français exportés au Levant passe d’une dizaine
de milliers de demi-pièces au début du XVIIIe siècle à plus de
soixante mille demi-pièces dans la seconde moitié du siècle, alors
que dans le même laps de temps l’exportation des draps anglais
connaît un véritable effondrement, passant de trente-sept mille
demi-pièces à six ou sept mille demi-pièces 1.
3. Références ? ? ?
4. Cité par COTTRET BERNARD, Bolingbroke. Exil et écriture au siècle des Lumières, op.
cit., p. 255.
94 • EUROPE FRANÇAISE
Il aura soin de se mettre dès le commencement dans l’usage de
voir librement les gens de toutes sortes de partis sur le fondement
que n’ayant autre chose à faire que d’être en société avec tout le
monde, ses démarches sont et doivent être sans conséquence. Il
ne faut pourtant pas qu’il se mette en situation par son commerce
trop régulier et trop déclaré avec les personnes opposées à la Cour
d’Angleterre que l’on le croie entré dans les cabales et que l’on
puisse ici porter des plaintes 5.
5. Références ???
6. Journal de la Cour et de Paris depuis le 28 novembre 1732 jusques au 30 novembre
1733 (Bibliothèque nationale, fonds fr. 25 000), édité et annoté par Henri
96 • EUROPE FRANÇAISE
qui nous intéresse ici, de la manière dont un conflit européen qui se
dessine est présenté à l’opinion – fût-elle cantonnée aux abonnés de
cette feuille et à leur entourage. Les considérations stratégiques appa-
raissent somme toute limitées ; en revanche, les manœuvres diploma-
tiques sont omniprésentes dans la chronique de la crise, quitte à la
brouiller en raison d’une succession d’informations partielles voire
contradictoires. Le nouvelliste met aussi l’accent sur la nomination des
officiers généraux, sur le départ éventuel du roi de France pour les
armées. Voici quelques extraits caractéristiques de la narration d’une
crise européenne par le Journal de la Cour et de Paris.
Le bruit de guerre s’est dissipé tout à coup. On dit qu’il est arrivé
un courrier de l’Empereur qui assure le Roi que son intention n’a
jamais été de troubler les suffrages de Pologne. Que les alarmes
que l’on a prises sur les troupes qui défilent du côté de la Silésie
sont mal fondées, qu’elles étaient destinées à y passer avant la
mort du roi Auguste et cela pour contenir quelques vagabonds
98 • EUROPE FRANÇAISE
Arrivé à Varsovie le 8 septembre 1733, Stanislas est élu par une
diète 14 divisée quatre jours plus tard. Mais ses opposants sont renforcés
dans leur détermination par les régiments que l’impératrice russe a mis
en mouvement : ils élisent par acclamations le 5 octobre Frédéric-
Auguste de Saxe, roi de Pologne sous le nom d’Auguste III. Isolé, Sta-
nislas se replie à Dantzig, assiégée par les Russes, dans l’espoir de secours
français. De fait, le 10 octobre, Louis XV déclare la guerre à l’empereur
et non à la Russie. Fleury, qui n’aime pas Stanislas, a longtemps été
réticent à intervenir, tandis que le parti anti-autrichien s’est efforcé de
mettre en évidence les dangers d’un bloc austro-russe trop puissant et
a joué de l’hostilité traditionnelle de l’opinion vis-à-vis des Habsbourg.
Ce n’est que lorsqu’il a senti que cette guerre ne risquait pas de débou-
cher sur un conflit européen généralisé que Fleury s’est résolu aux hos-
tilités. Mais pour ne pas inquiéter l’Angleterre et les Provinces-Unies, il
n’envisage que des opérations limitées, sans intervention massive en
Baltique, zone stratégique pour les puissances maritimes, qui ne pour-
raient pas l’accepter. Fleury promet également de ne pas intervenir dans
les Pays-Bas autrichiens – actuelle Belgique –, où les Provinces-Unies
tiennent les places fortes dites de la Barrière. En échange, le
24 novembre 1733, par la Convention de La Haye, l’Angleterre et les
Provinces-Unies s’engagent à rester neutres tant que la France respecte
ses propres engagements.
Le cardinal de Fleury engage des effectifs très limités pour secourir
Stanislas Leszczynski, encerclé dans Dantzig par 40 000 Russes. Le
commandant de l’opération renonce même à débarquer, tant les forces
sont inégales. C’est alors que l’ambassadeur de France au Danemark, le
comte de Plélo, dont nous avons vu quel intermédiaire culturel enthou-
siaste il était entre la France et le « Nord », décide de reprendre à son
compte le projet de débarquement. Héroïque, Plélo arrive avec
1 600 hommes de troupes le 23 mai 1734. Il entend faire honneur au
drapeau et respecter les engagements pris vis-à-vis du beau-père de
Louis XV. C’est un massacre, Plélo est tué au combat, de même que
plusieurs centaines d’hommes. Les survivants capitulent, tandis que Sta-
nislas s’échappe à Königsberg. Sur le Rhin, le sort des armes est davan-
tage favorable aux Français face aux impériaux de Charles VI. Deux
vétérans des guerres de Louis XIV, le maréchal de Berwick dans le camp
français, le Prince Eugène du côté Habsbourg, se font face. L’essentiel
1. BAYLE PIERRE, Les Nouvelles de la République des Lettres (1685), cité dans SOBOUL
ALBERT, LEMARCHAND GUY et FOGEL MICHÈLE, Le Siècle des Lumières, Paris, PUF, 1977,
t. 1, p. 597.
Rien n’est plus extraordinaire que cet assemblage de toutes les grâces
françaises dans le pays qui n’était que celui des ours il y a cinquante
ans [...] On parle français à la cour de l’impératrice [Catherine II]
plus purement qu’à Versailles, parce que nos belles dames ne se
piquent pas de savoir la grammaire. Diderot est tout étonné de ce
qu’il a vu et entendu. C’est sans doute le style de nos arrêts de
conseil et de nos édits de finance qui a porté le bon goût devers la
mer glaciale, et qui fait qu’on joue Zaïre en Russie et à Stockholm.
2. Cité par REAU LOUIS, L’Europe française au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel,
1938, éd. 1971, coll. « L’évolution de l’humanité », p. 26.
• 105
Provinces-Unies 3. Nombre de périodiques francophones sont ainsi
édités en Hollande.
Le théâtre, qui s’inspire largement des modes sociales et cultu-
relles, s’empare, tout comme le roman, du rayonnement de la langue
et de la culture françaises, popularisant l’adage : « Femme de chambre
à Paris, gouvernante en Russie. » Artistes et artisans d’art ne sont pas en
reste, qui convoitent les juteuses commandes émanées de la société des
princes : petites principautés du Saint-Empire, comme le duché de Saxe-
Gotha, qui se livrent à une féroce concurrence pour exister dans l’Europe
des Lumières ; ou puissances en plein essor comme la Russie. Dans toute
l’Europe, on attend avec impatience les poupées-mannequins de Rose
Bertin, la modiste de Marie-Antoinette, qui donnent le ton des dernières
nouveautés vestimentaires. Enfin, alors que le Grand Tour associe for-
mation, initiation au monde, à la vie de société et voyage d’agrément,
il importe pour les futurs administrateurs de l’Europe du XVIIIe siècle
d’étudier la France, d’entrer dans ses bureaux – ses administrations
qu’on lui envie partout. Se développe alors ce que les Allemands nom-
ment le « voyage statistique » – celui des frères Zinzendorf étudié par
Christine Lebeau 4 est exemplaire –, la statistique étant alors au cœur
des sciences politiques et de la science camérale – qui forme les servi-
teurs de l’État. Paris et Strasbourg avec sa célèbre école diplomatique
accueillent les élites européennes en formation. Les guerres de Succes-
sion de Pologne (1733-1738) et d’Autriche (1740-1748) ne semblent pas
dissuader les voyageurs, à la différence de ce qui se passera pendant la
guerre de Sept Ans (1756-1763). John Douglas rapporte que lorsqu’il
était à Paris dans les années 1740, il était entouré de compatriotes et
entendait parler anglais dans tous les lieux à la mode. Paris, centre ner-
veux du continent avec ses bureaux d’une monarchie qui impressionne
ses rivaux et ses voisins, en même temps que le centre toujours animé,
toujours innovant de la vie de société et de la création ?
Le monde du livre et ses acteurs, les animateurs de la nébuleuse
huguenote et de la république des lettres et des sciences, les formateurs
à la renommée européenne, les traducteurs et les journalistes, voyageurs,
5. Cité par REAU LOUIS, L’Europe française au siècle des Lumières, op. cit., p. 12.
6. Si un récent colloque international a repris la référence à L’Influence française
en Russie au XVIIIe siècle, une des intervenantes, Madeleine Pinault-Sørensen,
conclut sa communication ainsi : « Peut-on parler d’expansion de l’art français ?
À cause de la notoriété de la statue de Falconet (le Cavalier de bronze, à Péters-
bourg, que nous évoquons au chapitre suivant), on a beaucoup parlé du rôle de
l’art français, de son expansion à Saint-Pétersbourg, comme d’ailleurs dans
d’autres pays. Cette notion d’expansion de l’art français, de sa prééminence dans
la Russie de Catherine II doit aujourd’hui être remise en question, au moins en
ce qui concerne Falconet tant son séjour a été catastrophique. Les études récentes
d’histoire de l’art, en Italie comme au Royaume-Uni, montrent très clairement
• 107
Caraccioli selon laquelle « on reconnaît toujours, une nation dominante
qu’on s’efforça d’imiter. Jadis tout était romain, aujourd’hui tout est
français », doit être nuancée, d’autant qu’elle est formulée en 1776.
L’auteur lui-même, polygraphe français, est beaucoup plus mesuré dans
son propos que ce que pourrait laisser croire le titre de l’ouvrage : Paris,
le modèle des nations étrangères, ou l’Europe française. Surtout, il n’a rien
à voir avec Dominique Domenico Caraccioli, envoyé de Naples en
France et familier des salons parisiens, avec lequel Louis Réau le confond
dans son ouvrage classique, L’Europe française, publié en 1938. En sui-
vant le modèle français, les Européens n’ont pas pour autant renoncé à
faire valoir leurs différences, à jouer leur propre partition. Cosmopoli-
tisme et nationalisme sont autant complémentaires qu’antagonistes en
un siècle où les Lumières sont multiples, complexes, contradictoires
– largement anticléricales en France quand elles sont majoritairement
chrétiennes en Allemagne –, et bon nombre de ces intermédiaires cultu-
rels européens sont aussi des véhicules d’une conscience et d’une affir-
mation nationales. En outre, comme Stéphane Van Damme l’a bien
montré dans Paris, capitale philosophique de la Fronde à la Révolution :
le rôle de premier plan qu’ont joué les artistes de ces deux pays venus travailler
en Russie, autant dans le domaine impérial que privé, et démontrent que
l’influence française n’était sans doute pas aussi importante qu’on l’a affirmée »
(Madeleine Pinault-Sørensen, « L’expansion de l’art français en Russie au
XVIIIe siècle. Étienne Maurice Falconet et la statue de Pierre le Grand », in POUSSOU
JEAN-PIERRE, MEZIN ANNE et PERRET-GENTIL YVES (dir.), L’Influence française en Russie
au XVIIIe siècle, actes du colloque international de Paris des 14-15 mars 2003, Paris,
Institut d’études slaves/Presses de l’université de Paris-Sorbonne, 2004, p. 130.
7. VAN DAMME STEPHANE, Paris, capitale philosophique de la Fronde à la Révolution,
Paris, Odile Jacob, Histoire, 2005, p. 219.
6. Cité par SCHLOBACH JÜRGEN, « Grandeur et misère d’un médiateur culturel : Frie-
drich Melchior Grimm, russe, français et allemand », op. cit., p. 42.
7. DARNTON ROBERT, Bohème littéraire et Révolution : le monde des livres au XVIIe siècle,
Paris, Gallimard/Le Seuil, 1983.
Le livre de langue française, même s’il est souvent imprimé aux Pro-
vinces-Unies, est un vecteur important. Les catalogues de la librairie de
l’Académie de Saint-Pétersbourg, conservés pour les années 1731-1761,
ne contiennent pas moins de sept mille annonces publicitaires pour des
livres français proposés à l’achat. Significativement, les ouvrages d’édu-
cation comme Les Aventures de Télémaque de Fénelon – ou sa continua-
tion par Ramsay déjà évoquée – et les Fables d’Ésope sont parmi les plus
demandés, de même que les grammaires et les dictionnaires de français.
Et le grammairien Prémontval d’observer alors que « la langue française
est depuis plus d’un demi-siècle moins la langue de la France que celle
de l’Europe entière ; elle est devenue la langue universelle de l’Europe ».
Coéditeur de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des
arts et des métiers avec André-François Le Breton et David l’Aîné, le
libraire-éditeur Antoine Claude Briasson, à qui l’on doit également les
quarante volumes des Mémoires des hommes illustres de la République des
Lettres (1727-1745), le Journal de Trévoux en collaboration avec Chau-
bert, illustre en trois décennies de participation active au commerce du
livre avec la Russie l’importance du livre français en Europe au mitan
du siècle 1. Cet engagement durable est d’autant plus significatif qu’il
J’ai reçu mes caisses en bon état Mon cher ami, je ne puis que
vous remercier de toutes les peines que vous avez bien voulu
prendre. Il se trouve deux exemplaires de l’abbé Millot [historien]
incomplet ce n’est pas votre faute, mais bien celle des messieurs
de la douane qui feraient beaucoup mieux de demander quelque
chose de complet que de prendre dans une caisse les premiers
livres qui se présentent, quant à l’exemple que vous avez gardé
pour vous permettez que je vous dise que vous êtes un homme
étrange de ne l’avoir pris que sous la condition que je ne pourrais
pas en disposer ailleurs. Ce qui m’appartient n’est-il pas vôtre, et
ne pouvez-vous pas en disposer et vous l’approprier quand et
comme il vous plaira ; ne me parlez plus de cet exemplaire
j’ignore qu’il fut parmi le nombre de ceux que j’avais demandé
et je ne le reconnais point m’appartenant. [...]
J’ai déjà vendu une partie de mes livres, mais j’en rapporterai à
Pétersbourg un tiers environ, afin de m’en défaire promptement,
ils sont arrivés un peu tard ici, c’est la faute des circonstances je
ne m’en plains pas, vous devez avoir reçu une seconde facture de
Durand [libraire parisien] que vous ne m’avez pas envoyée, ce qui
m’a un peu embarrassée pour fixer les prix mais avec l’aide de
mes anciennes factures je me suis tirée d’affaire à merveille.
Agréez mon cher ami les vœux sincères que je fais, sur tout ce
qui peut coopérer à votre bonheur dans le renouvellement
d’année. Conservez-moi votre amitié, et ne dédaignez point les
sentiments d’un cœur qui vous est dévoué pour la vie.
Rozet
De leur côté, les lettres que Johann Albrecht Euler expédie à son oncle par
alliance Jean Henri Samuel Formey, pilier de l’Académie de Berlin et figure
centrale de la république européenne des sciences et des lettres, confirment la
richesse et la densité de cet espace relationnel 10. Dans toutes ces activités
d’échange, de commerce des livres comme de commerce de société, la langue
française est omniprésente – c’est en français que Johann Albrecht Euler écrit à
son oncle Formey –, mais en tant qu’elle est une koinè 11 des élites euro-
péennes, la langue des échanges aristocratiques et mondains, savants dans une
moindre mesure – Euler père recourt encore largement au latin. Elle relaie
certes les créations françaises et entretient une attirance forte pour la France, et
principalement pour Paris, mais il s’agit clairement d’une langue en partage.
Supposons donc, écrit-il à son oncle, que j’ai fait ma demande par
écrit un lundi, je commence donc par ordonner moi même qu’on
la traduise en russe, puisque ce n’est que dans la langue du pays que
les affaires sont traitées. La séance prochaine, c’est-à-dire mercredi
suivant, le secrétaire de la commission propose et lit ma demande.
Nous délibérerons ensuite si nous pouvons l’accorder, et nous
l’accordons. Le secrétaire la met dans le protocole. Ce protocole
nous est lu le vendredi, et nous le confirmons en le signant. Ensuite
en cas que le chef ou quelque membre de la commission ait été
absent, on lui envoie le protocole dans la maison pour le signer. Le
lundi suivant un des écrivains en extrait un ordre pour le libraire,
dans lequel est dit qu’il me doit donner sans paiement tels et tels
livres pour les envoyer à tel ou tel endroit. Cet ordre est présenté au
secrétaire qui le signe mercredi qui vient et le présente à son tour à
quelque membre de la Commission et le confirmer. Enfin on
l’envoie (cet ordre) au librairie et ce n’est donc que dix à douze
jours après ma demande faite que je puisse retirer les livres par
exemple que je voudrais vous envoyer de la part de l’Académie. Ce
train est une fois approuvé et ne souffre aucune exception quelque
pressente que soit l’affaire 1.
19. RABY JOSEPH, Bréviaire philosophique. Journal pour son voyage de Provence et
Vous m’avez appris bien des choses que j’ignorais ; à mesure que je
relirai votre ouvrage et que je me le rendrai plus familier, j’aurai de
nouveaux motifs pour vous accorder les justes éloges qui vous sont
dus [...] Les savantes remarques que vous avez faites sur le lac de
Genève, sur les collines qui s’y retrouvent dans le voisinage, sur la
différente nature des pierres et des cailloux qui sont répandus sur le
sol ; le caractère distinctif et tranchant pour les rapporter à leur
véritable dénomination, et mille autres choses que vous observez
sont très utiles. Tout ce que vous dîtes sur les différentes espèces de
roches feuilletées et sur les montagnes adjacentes sont des preuves
manifestes que vous n’avez rien négligé ; tous ceux qui aiment
l’histoire naturelle et ceux qui y ont fait des progrès vous sauront
un gré infini de vos observations [...] les amas immenses de glaces
éternelles, les rochers les plus escarpés, ceux mêmes qui mena-
çaient de s’ébouler ne vous ont pas arrêté ; vous les avez gravis pour
les examiner de près et vous avez vaincu tous les obstacles pour
parvenir à connaître leur nature et à constater exactement leur
Mais l’on peut déjà souligner que Séguier est un passeur et qu’il sait
s’approprier au bon sens du terme les acquis des recherches européennes,
comme il a su dans ses deux premières entreprises mobiliser les autorités
d’Antoine de Jussieu et d’Herman Boerhaave pour les légitimer. Ainsi, il
30. Lettre de Baux à Séguier, 11 mars 1747, citée par CORDIER STÉPHANE, « Jean-
François Séguier, un botaniste dans son temps », in AUDISIO GABRIEL et PUGNIÈRE
FRANÇOIS (dir.), Jean-François Séguier, op. cit, p. 69.
Et d’enfoncer le clou deux ans plus tard, en 1748 : « Il doit sentir par
le peu de débit de son Botanicum veronense, combien il s’en faut que sa
méthode ne soit autant goûtée que celle de Linnaeus, tandis que tous les
livres et mémoires modernes, de MM. de Jussieu, Guettard, Lemonier,
sans compter les savants du Nord, sont selon les principes de ce brave
Suédois » (Sauvages à Baux, 18 juillet 1748). Comme le précise de Ratte
dans l’éloge de Séguier, associé libre à la Société royale des sciences de
Montpellier, prononcé en 1786 :
La méthode qu’il a suivie dans ses deux ouvrages lui était particu-
lière ; elle tient beaucoup cependant de celle de Tournefort. On
voit par là qu’il n’avait point adopté la méthode sexuelle ; les
observations multipliées, l’analogie la plus séduisante n’avaient
pu même lui faire admettre les deux sexes dans les Plantes [réfé-
rence à son Plantae veronenses]. On assure que sur la fin de ses jours,
il était un peu sur ce point. Ce changement mériterait sans doute
d’être bien constaté. La conversion de M. Séguier, après une longue
résistance, serait pour M. Linnaeus une victoire, et pour son sys-
tème une nouvelle démonstration 33.
Il est vrai qu’à l’époque le rapport des forces est devenu très favo-
rable aux linnéens :
À la fin du XVIIIe siècle se multiplient chez nous les flores basées sur
le système de classification élaboré par Linné, et des sociétés
linéennes commencent à se constituer. Celle de Paris, avec Lacé-
pède comme premier président, date de 1788. D’autres voient le
jour en province, dont celles d’Amiens, d’Angers, de Bordeaux, de
Caen, de Lyon, de Saint-Jean d’Angély, qui sont toujours en
39. Cité par MARCHI GIAN-PAOLO, « Jean-François Séguier et Scipion Maffei », op.
cit., p. 94.
40. DEZALLIER D’ARGENVILLE ANTOINE JOSEPH, L’Histoire naturelle éclairée dans deux
de ses parties principales, la lithologie et la conchyologie, Paris, 1780, p. 294-295.
9h Répétiteur d’histoire
11 h Messe
14 h 30 Maître de musique
16 h Collège d’histoire
18 h Assemblée
9h Répétiteur d’histoire
11 h Messe
14 h 30 Maître à danser
17 h 30 Comédie
8h Maître d’armes
9h Répétiteur d’histoire
11 h Messe
14 h 30 Maître de musique
16 h Collège d’histoire
18 h Assemblée
Quelques années plus tard, lors d’un séjour à Vienne, des aristo-
crates autrichiens demandent conseil à Schoepflin en vue de l’édu-
cation de leurs fils qu’ils souhaiteraient conforme à leur rang.
Lorsque les tentatives que fait la Cour de Vienne pour garder
Schoepflin à son service échouent, beaucoup de jeunes nobles
autrichiens vont venir à Strasbourg pour y faire leurs études. Dans
un rapport réalisé en 1739 sur Schoepflin par le ministère des
Affaires étrangères, Versailles relève que ce dernier connaît parfai-
tement l’histoire, le droit public et l’histoire des différents États ; ce
même rapport précise que c’est la raison pour laquelle beaucoup de
jeunes étrangers poursuivent leurs études à Strasbourg : à la fin de
la guerre de Succession d’Autriche, le nombre des étudiants aug-
mente considérablement 4.
10. VOSS JÜRGEN, Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771). Un Alsacien dans l’Europe des
Lumières, op. cit., p. 157.
11. VOSS JÜRGEN, Jean-Daniel Schoepflin (1694-1771). Un Alsacien dans l’Europe des
Lumières, op. cit., p. 157-158.
Les ambassadeurs suédois Carl Gustaf Tessin, Carl Fredrik Scheffer, Creutz
et Erik Magnus Staël-Hostein sont régulièrement célébrés au nom de
l’amitié et en souvenir de l’alliance franco-suédoise comme médiateurs
culturels et artistiques entre les deux royaumes au XVIIIe siècle, quand ils
n’apparaissent pas encore à une historiographie nostalgique comme les
agents du rayonnement de l’Europe française. La remarquable exposition
organisée au Grand Palais en 1994 sur « Le soleil et l’étoile du Nord » leur
a légitimement accordé une large place. En revanche, on insiste peu sur
leur rôle décisif dans l’introduction de la franc-maçonnerie en Suède et
son organisation sur des bases nationales, alors que l’ordre a rencontré un
succès considérable et participe de la géopolitique suédoise en Baltique.
L’exemple suédois permet donc d’éclairer de manière originale les rela-
tions franco-européennes au siècle des Lumières et de souligner la
richesse des appropriations culturelles à l’œuvre à travers l’espace euro-
péen. Tout un pan de l’activité des diplomates européens au XVIIIe siècle
reste à étudier dans cette perspective.
Le comte de Darwentwater
Par ordre du très Vénérable Grand Maître
J. Moore, Grand Secrétaire et Garde des sceaux.
8. NORDMANN CLAUDE, Gustave III, un démocrate couronné, Lille, PUL, 1986, p. 12.
9. BEAUREPAIRE PIERRE-YVES, Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, Rennes,
PUR, coll. « Histoire », 2003, p. 107.
11. Grand Lodge Library, Freemasons’ Hall, Londres, Archives de la Grande Loge
Unie d’Angleterre, 27/A/17.
12. BATTAIL JEAN-FRANÇOIS, BOYER RÉGIS et FOURNIER VINCENT, Les Sociétés scandinaves
de la Réforme à nos jours, Paris, PUF, 1992, p. 229.
Bien que flatteuse pour l’ego national, la thèse classique et à nos yeux
passablement obsolète de L’Europe française doit être remise en cause au
profit d’une attention plus fine aux phénomènes d’appropriation cultu-
relle. Les contributions françaises aux circulations culturelles à l’œuvre
dans l’espace européen des Lumières sont reçues, lues, étudiées, amal-
gamées, appropriées, rejetées plus souvent qu’on ne croit, notamment
dans le cas de thèses matérialistes et athées, applaudies parfois. Si la
réputation du goût français est réelle, elle n’est pas égale tout au long
du siècle. Il convient également de distinguer les écrits français qui
magnifient l’art de vivre et la vie de société à la française des avis étran-
gers, d’étudier leurs motivations et leur représentativité. Alors apparaît
un bilan plus nuancé. Le rayonnement de la France des Lumières est
puissant, durable, malgré les revers militaires et diplomatiques, mais il
ne doit pas masquer les nécessaires adaptations aux goûts et aux prati-
ques européens. Rousseau lui-même écrit dans Émile ou de l’éducation
(1762) que « le goût a des règles locales qui le rendent en mille choses
dépendant des climats, des mœurs, du gouvernement, des choses d’ins-
titution ; qu’il en a d’autres qui tiennent à l’âge, au sexe, au caractère,
et que c’est en ce sens qu’il ne faut pas disputer des goûts ». Quant à La
Mettrie, il affirmait déjà dans son manifeste matérialiste, L’Histoire natu-
relle de l’âme (1745), qu’« il est prouvé qu’il n’y a rien de vrai et d’évident
à dire en général du goût ; et qu’au contraire tout est en quelque sorte
relatif aux différents organes des hommes, au siècle et même au pays
où l’on vit comme on le voit en Angleterre, en Italie, en Espagne etc...
6. Lettre à Voltaire du 9 mai 1767, citée par JEAN BREUILLARD, « Catherine II tra-
ductrice : le Bélisaire de Marmontel », in DAVIDENKOFF ANITA, Catherine II et l’Europe,
Paris, Presses de l’université de Paris-Sorbonne/Institut d’études slaves, 1997,
p. 72.
7. Références ???
2. Noailles à Louis XV, mémoire de juillet 1749, Correspondance, lettre II, p. 290,
cité par DZIEMBOWSKI EDMOND, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770, op. cit.,
p. 72.
3. EMMANUEL, DUC DE CRO,̂ Journal inédit du duc de Croÿ (1718-1784), Paris, 1906,
t. I, p. 305.
Dans ces conditions, les premiers succès français des armes fran-
çaises au début de la guerre de Sept Ans – pourtant très limités comparés
aux défaites lourdes de conséquences de Rossbach en novembre 1757
et Krefeld en juin 1758, sur le théâtre d’opérations continental et de
Louisbourg en Nouvelle-France en juillet 1758 – revêtent une impor-
tance toute particulière. Après la prise de Port Mahon à Minorque en
juin 1756, le maréchal duc de Richelieu devient un véritable héros
national. Célèbre auteur de divertissements littéraires pour la société
aristocratique, Charles Collé (1709-1783) commet une chanson, Aux
railleurs d’Angleterre, dont voici un extrait : « Ils [les Anglais] en sont tout
surpris/ Il est pris [le fort Saint-Philippe à Port Mahon], il est pris/ Ces
forbans d’Angleterre/ Ces fous, ces fous, ces foudres de guerre/ Sur mer
comme sur terre/ Dès qu’ils ont combattu, sont battus, battus. » Alors
que l’opinion avait été désarçonnée par les coups de force anglais, elle
se ressaisit, se rassure, et se prend même à douter des capacités militaires
anglaises. De là à prendre ses désirs pour des réalités, il n’y a qu’un pas
que franchit avec beaucoup d’autres l’avocat parisien Barbier, célèbre
pour son journal, remarquable source d’informations sur le siècle de
Louis XV :
Michel Espagne und Michael Werner, Tübingen, Max Niemeyer, Frühe Neuzeit,
1999, lettre no 127, p. 290-291.
Pour nous former une marche systématique dans tout ce que nous
avons à voir à Paris, M. Bertrand veut bien coucher par écrit ce
qui doit nous intéresser le plus. M. de Voltaire a prévenu
Le 9 décembre 1766
Ma chère Mère,
Ainsi le principal but qu’on doit se proposer dans ses voyages, est
sans contredit d’examiner les mœurs, les coutumes, le génie des
autres nations, leur goût dominant, leurs arts, leurs sciences, leurs
manufactures et leur commerce. Ces sortes d’observations faites
avec intelligence, et exactement recueillies de père en fils, four-
nissent les plus grandes lumières sur le fort et le faible des peu-
ples, les changements en bien et en mal qui sont arrivés dans le
même pays au bout d’une génération, par le commerce, par les
lois, par la guerre, par la paix, par les richesses, par la pauvreté,
ou par de nouveaux gouverneurs.
28. VON MOSER FRIEDRICH CARL, Von dem deutschen Nationalgeist, 1766, p. 5-6.
29. VON MOSER FRIEDRICH CARL, Von dem deutschen Nationalgeist, op. cit., p. 40-41.
30. VON MOSER FRIEDRICH CARL, Von dem deutschen Nationalgeist, op. cit., p. 40.
5. Le mouvement tire son nom d’une pièce de Klinger, Sturm und Drang. À l’exal-
tation de la raison par les Lumières, il préfère la passion et les émotions.
16. Collectif, Les Russes découvrent la France au XVIIIe et au XIXe siècle, Paris-Moscou,
Éditions du Progrès, 1990, p. 37.
18. Cité par VAN DAMME STEPHANE, Paris, capitale philosophique de la Fronde à la
Révolution, Paris, Odile Jacob, Histoire, 2005, « Introduction », p. 12, sans plus de
précision.
1. Une amitié millénaire. Les relations entre la France et la Suède à travers les âges.
5. DIDEROT DENIS, Correspondance, Georges Roth, Jean Varloot éd., Paris, Éditions
de Minuit, 1955-1970, t. XIV, p. 224-227.
6. Il s’agit d’une lettre interceptée et recopiée par les autorités russes, alors que
Nolcken est en Russie. Moscou, AVPRI, F. 6, opis 6/2, Suède, no 17-18, fos 38-40.
7. Cité par KARP SERGUEÏ d’après le manuscrit autographe conservé à Moscou aux
Archives d’État de la Fédération de Russie (GARF, F. 728, opus 1, no 217, p. 45-46),
dans « Diderot et la cour de Suède », op. cit., p. 193, note 66.
Il est venu cet instant, il s’est montré cet homme ; et tous ces
lâches de la création des puissances étrangères se sont prosternés
devant lui. Il a dit à ces hommes qui se croyaient tout : Vous
n’êtes rien ; et ils ont répondu : Nous ne sommes rien. Il leur a
dit : Voilà les conditions sous lesquelles je veux vous soumettre ;
et ils ont répondu : Nous les acceptons. À peine s’est-il élevé une
voix qui ait réclamé.
Quelles seront les suites de cette révolution ? Je l’ignore. Si le
maître veut profiter de la circonstance, jamais la Suède n’aura été
gouvernée par un despote plus absolu. S’il est sage, s’il conçoit
que la souveraineté illimitée ne peut avoir de sujets, parce qu’elle
ne peut avoir de propriétaires ; qu’on ne commande qu’à ceux
qui ont quelque chose, et que l’autorité n’a point de prise sur
ceux qui ne possèdent rien, la nation reprendra peut-être son
premier esprit 9.
losophique et politique des Deux Indes de l’abbé Raynal. DENIS DIDEROT, Mélanges et
morceaux divers. Contributions à l’Histoire des Deux Indes, Gianluigi Goggi, Sienne,
Rettorato dell’Università di Siena, 1977, p. 340.
10. DIDEROT DENIS, Correspondance, op. cit., t. XIV, lettre du 14 septembre 1774,
p. 72-73.
11. VON PROSCHWITZ GUNNAR éd., Gustave III par ses lettres, Stockholm-Paris, Nors-
tedts-Jean Touzot, 1986, p. 215 ; p. 257.
12. REAU LOUIS, Correspondance de Falconet avec Catherine II, Paris, Librairie
ancienne Honoré Champion, Bibliothèque de l’Institut français de Pétrograd VII,
1921, prologue, p. XIV.
13. Correspondance littéraire, VII, septembre 1766, p. 106-107.
À dix-huit ans, Marie Anne Collot est déjà une artiste de grand
talent. Grimm écrit dans sa Correspondance littéraire du 1er septembre
1766 : « C’est un phénomène assez rare et peut-être unique. Elle a fait
plusieurs bustes d’hommes et de femmes très ressemblants, et surtout
plein de vie et de caractère. Celui de notre célèbre acteur Préville, en
Sganarelle, dans Le Médecin malgré lui, est étonnant. Je conserverai celui
de Diderot, qu’elle a fait pour moi. Celui de M. le prince de Galitzin,
ministre plénipotentiaire de Russie, est parlant comme les autres. » Il
poursuit : « Je ne doute pas que, si ses différents bustes avaient été pré-
sentés à l’Académie [royale de peinture et de sculpture], Mlle Collot n’eût
été agréée d’une voix unanime ; et c’est un honneur que son maître
aurait dû lui procurer avant son départ à Saint-Pétersbourg. » Au même
moment, un autre proche de Diderot, le prince Dimitri Alekseïevitch
Golitsyne, vante aux dirigeants russes, ici le comte Nikita Panine, les
qualités de la jeune sculpteuse : « Il amène avec lui une jeune élève de
dix-huit ans qui a un talent décidé pour les portraits. Mlle Collot est son
nom. Elle est aussi sage qu’habile, et vos bontés seraient très bien placées
mon Prince, si vous vouliez en avoir pour elle. » Quant à Diderot lui-
même, il est séduit par le talent de Marie Collot : « Il n’a tenu qu’à elle
de porter en Russie le titre d’académicienne de Paris. Les premiers artistes
de ce pays, qui l’ont vue travailler sous leurs yeux, l’avaient invitée de
prendre deux de ses bustes entre ses bras et de se présenter à la première
de leur assemblée, bien sûrs qu’on la recevrait par acclamation. C’est
Falconet, son maître, qui l’en a empêchée. » Pour cette jeune fille de
dix-huit ans, le départ pour la Russie rime avec inconnu ; c’est un déchi-
rement, comme le constate Diderot. Cependant, à peine arrivée à Péters-
bourg, Catherine II lui passe commande pour jauger des talents de celle
qu’on présente comme un authentique prodige. L’impératrice est
enthousiaste ; deux mois après son installation Marie Anne Collot pré-
sente ses travaux à l’Académie des beaux-arts. Les commandes pleuvent
et la liste de ses réalisations pour la seule année 1766 puis pour
l’ensemble de son séjour en Russie est considérable. La correspondance
des Euler et d’autres témoignages réunis par Marie-Louise Becker
Cette tentative n’a pas plus abouti que la précédente, mais elle
témoigne des mobilités artistiques, culturelles et politiques, envisagées,
effectuées ou abandonnées. Elles activent des liens d’amitié, ici entre
quatre sujets, Diderot, Nolcken, Falconet et Collot, des relations de
recommandation de recommandant (Diderot) à recommandé (Falconet
et Collot), des rôles d’intermédiaire (Nolcken, Falconet par rapport à
Collot), et nourrissent une abondante correspondance. Elles débou-
chent aussi sur des stratégies d’annonce de la venue d’artistes de renom
qui doivent faire impression dans l’Europe des Lumières, mais aussi
auprès des cours rivales.
Pendant son séjour en Russie, Marie Anne Collot est restée très atta-
chée à Falconet, au point que les déboires du sculpteur en Russie – il est
d’un caractère impossible qui affecte même Diderot, son ami – ont fini
par l’atteindre par ricochet, Falconet voulant toujours s’imposer – dans
un but louable de protéger son élève, mais avec maladresse – comme
intermédiaire entre Catherine II et son élève. À titre d’exemple, voici un
extrait de la lettre que Diderot écrit à Falconet le 6 septembre 1768 :
1. Littéralement « bornes ».
J’ai vu notre F[rère] Heseltine avec lequel j’ai conféré pendant les
deux jours qu’il a été en ville. Il désire que l’Alliance entre nos
deux O[rients] réussisse ; mais selon son avis particulier les
art[icles] 1, 2, 4 sont inadmissibles...
L’égalité base du 1er article ne peut avoir lieu dit-il surtout après
que l’Allemagne, la Suède, la Hollande et [et qui ?] ont unanime-
ment reconnu leur Mère dans la G[rande] L[oge] de Londres qui
a les preuves d’avoir établi le premier G[rand] M[aître] N[ational]
en France [...]
Il ne conçoit pas comment le 2e article veut resserrer la G[rande]
L[oge] établie à Londres dans l’étendue du gouvernement Britan-
nique, lorsque ses branches ou ses rameaux sont déjà dans toutes
les parties de l’Europe. À cela j’ai proposé de copier le traité avec
la Hollande, où il est stipulé à ce sujet que l’Angleterre reconnais-
sant une G[rande] L[oge] N[ationale] indépendante pour les Pro-
vinces-Unies, Généralité et colonies dépendantes, s’engageait à
ne plus constituer de loges dans ce district 13. La clause qui énonce
la liberté mutuelle d’étendre la lumière où il n’y a point de
G[rand] O[rient] me paraît à moi même une source de difficulté
puisqu’il peut être des parties où nous n’ayons point de G[rand]
O[rient] mais que je n’en connaisse point où nous n’ayons des
tabernacles [au sens de temples, de loges isolés] ; et d’ailleurs j’ose
vous assurer que selon mon opinion, une G[rande] L[oge] N[atio-
nale] qui a toute l’étendue de son gouvernement politique, en a
bien assez [...]
L’article 4 soumet l’Angleterre à forcer les Loges qu’elle a consti-
tuées en France, à se joindre au G[rand] O[rient] territorial ; mais
22. BEGUILLET EDMÉ, Discours sur l’origine, les progrès, et les révolutions de la Franc-
maçonnerie philosophique, op. cit., p. 22-23.
23. BEGUILLET EDMÉ, Discours sur l’origine, les progrès, et les révolutions de la franc-
maçonnerie philosophique, op. cit., p. 25.
24. BEGUILLET EDMÉ, Discours sur l’origine, les progrès, et les révolutions de la franc-
maçonnerie philosophique, op. cit., p. 22.
26. RAMSAY ANDREW, Discours préliminaire pour servir d’introduction aux Obligations,
aux statuts et aux règlements des francs-maçons, in DE LA TIERCE LOUIS FRANÇOIS éd.,
Histoire obligations et statuts de la très Vénérable confraternité des francs-maçons tirés
de leurs archives..., Francfort-sur-le-Main, François Varentrapp, 1742, réimpres-
sion de l’édition originale, Paris, Romillat, 1993, p. 149.
27. À propos de Descartes, on peut lire le stimulant essai de VAN DAMME STEPHANE,
Descartes. Essai d’histoire culturelle d’une grandeur philosophique (XVIIe-XXe siècle),
Paris, Presses de Science Po, coll. « Facettes », 2002.
Béguillet poursuit :
Manifestement, Béguillet n’a pas été séduit par les Lettres philoso-
phiques de Voltaire (1734) qui déclenchent en France la lutte des new-
toniens contre les cartésiens, ni par les Éléments de la Philosophie de
Newton qui, quatre ans plus tard, poursuivent cette querelle et prennent
position pour Newton et Clarke contre Leibniz 30. Surtout, il reste sourd
28. BEGUILLET EDME, Discours sur l’origine, les progrès, et les révolutions de la franc-
maçonnerie philosophique, op. cit., p. 37.
29. BEGUILLET EDME, Discours sur l’origine, les progrès, et les révolutions de la franc-
maçonnerie philosophique, op. cit., p. 39.
30. Robert Locqueneux souligne que « Voltaire montre Descartes libérant la
raison humaine du jargon des péripatéticiens et levant un coin du voile qui cou-
vrait la nature, mais égaré par l’esprit systématique : “Il (Descartes) n’avait fait
aucune expérience, il imaginait, il n’examinait point ce monde, il en créait un”
(Éléments de la philosophie de Newton, 1741, éd. R.-L. Walters and W.-H. Barber,
Oeuvres complètes de Voltaire, vol. 15, Oxford, The Voltaire Foundation, 1992,
p. 269). En contraste, Voltaire veut montrer que Newton bâtit une physique “qui
n’est fondée que sur les faits et le calcul, qui rejette toute hypothèse, et qui par
conséquent est la seule physique véritable” [Ibid., Réponses à toutes les objections
contre la philosophie de Newton, p. 729] » [LOCQUENEUX ROBERT, « Les Institutions de
physique de Madame du Châtelet ou d’un traité de paix entre Descartes, Leibniz
et Newton », Revue du Nord, t. LXXVII, no 312, « La communication entre savants
dans l’Europe du Nord-Ouest de 1660 à 1740 », octobre-décembre 1995, p. 863].
33. RAMSAY, Discours préliminaire pour servir d’introduction aux obligations, aux sta-
tuts & aux règlements des francs-maçons, op. cit., p. 149. Les mots soulignés le sont
dans l’original. Ran Halévi commente ainsi ce passage : Ramsay « aborde [...] un
point fondamental : la maçonnerie ne pouvait devenir universelle qu’en deve-
nant française. Certes la France n’est pas le premier pays à avoir enfanté ce type
de sociabilité, mais elle seule fut capable de doter l’établissement maçonnique
de son caractère moral universel » (Ran Halévi, La Sociabilité maçonnique et les
origines de la pratique démocratique, ville ?, éditeur ?, année ?, p. 114).
34. RAMSAY, Discours préliminaire, op. cit., p. 142.
40. GABANON L., dit TRAVENOL L., La Désolation des entrepreneurs modernes du temple
de Jérusalem ou le nouveau catéchisme des francs-maçons, Jérusalem, P. Mortier,
1440 depuis le déluge (1744), p. 16-17.
42. GOUILLARD PIERRE LOUIS, Lettres critiques sur la Franc-Maçonnerie d’Angleterre, op.
cit., p. 5-6.
43. Arrêtés sur ordre du ministre Tanucci.
44. Bibliothèque nationale de France, Département des manuscrits, fonds
maçonnique, FM2 58 bis, dossier « la Candeur », orient de Paris, chemise 2, cor-
respondances avec les loges françaises, fo 120.
45. NORDMANN CLAUDE, « Anglomanie et anglophobie en France au XVIIIe siècle »,
Revue du Nord, t. LXVI, no 261-262, avril-septembre 1984, p. 798-799.
CONCLUSION • 275
précepteur au service de la famille von Humboldt, il s’affirme comme
un pédagogue hors pair. Il dirige un établissement d’éducation pion-
nier : le Philanthropinum de Dessau fondé par Basedow, et fonde celui
de Hambourg. Il se voit chargé par le prince de la réforme de l’ensei-
gnement dans le duché de Brunswick. Franc-maçon actif, il est initié en
1777 à Leipzig et s’affilie à une loge historique, Absalom aux Trois Orties,
à Hambourg. Il rejoint, comme tant de figures majeures des Lumières
germaniques, les Illuminaten, société secrète qui vise à la réforme en
profondeur de l’État et de la société ainsi qu’à la promotion d’un ensei-
gnement dégagé de l’influence cléricale 3. Campe est également un jour-
naliste de premier plan et à ce titre participe à l’animation de l’espace
public allemand par-delà les frontières territoriales. Arrivé à Paris en
juillet 1789, il accompagne comme précepteur gouverneur Wilhelm von
Humboldt (1767-1835), alors âgé de vingt-deux ans, dans son tour de
formation. Frère de l’explorateur et naturaliste Alexander von Hum-
boldt, Wilhelm se rendra par la suite célèbre comme fondateur de l’uni-
versité éponyme de Berlin, linguiste, philologue et philosophe du
langage. Il revient à Paris comme diplomate sous le Directoire, période
où il tient son Journal parisien, récemment traduit en français et édité 4.
Le voyage de Campe et de Humboldt témoigne de ce que le modèle
éducatif des élites aristocratiques européennes et des noblesses de ser-
vice, le Kavalierstour, se maintient au moment même où la France de
Louis XVI bascule dans une nouvelle ère. Campe le perçoit, qui semble
assister en direct à ce qu’on nomme alors « régénération nationale ».
C’est plus d’une fois, avant notre arrivée à Paris, que j’ai été
amené, à la faveur de ce que nous pouvions remarquer ou des
rencontres que nous pouvions faire, à me demander : est-ce là
réellement les gens que nous avions l’habitude, en Allemagne,
de désigner sous le nom de Français ? Ces dandys chantants, sif-
flotants, sautillants, ces godelureaux vaniteux, légers, hâbleurs
que nous voyions autrefois traverser le Rhin et venir jusqu’au
beau milieu de l’Allemagne se gausser de tout ce qui est alle-
mand ; toutes ces caricatures détestables, ridicules n’étaient-elles
que la lie et le rebut d’une nation où nous n’avions pu jusque-là
5. CAMPE JOHAN HEINRICH, Été 89. Lettres d’un Allemand à Paris, op. cit., p. 28-29.
6. Cité par JEAN RUFFER, « Préface », in CAMPE CAMPE JOHAN HEINRICH, Été 89. Lettres
d’un Allemand à Paris, op. cit., p. 13.
7. MORTIER ROLAND, Anacharsis ou l’Utopie foudroyée, Paris, 1995. LABBE FRANÇOIS,
CONCLUSION • 277
contrario, Sénac de Meilhan, ancien intendant de justice, de police et de
finances du Hainaut émigré en Russie, peint avec nostalgie dans son
roman L’Émigré le portrait d’un baron allemand figure cosmopolite du
royaume européen des mœurs et du goût : « J’ai été charmé de la figure,
des manières et de l’esprit du baron ; on ne peut pas dire qu’il a l’air
français, et il n’a pas l’air allemand ; la fréquentation de diverses nations,
celle des cours et des camps lui ont donné une manière d’être à lui, qui
n’est d’aucun pays, et il semble avoir pris ce que chacun a de bien. »
Baron en Allemagne, et citoyen du monde en France, Anacharsis
Cloots, l’« Orateur du genre humain », répond avec d’autres aux appels
que lance Nicolas de Bonneville à la tribune du Cercle social et dans les
colonnes de La Bouche de Fer pour jeter les bases de la Confédération
universelle du genre humain.
Nous invitons [...] tous les clubs, toutes les loges, toutes les
sociétés nationales et étrangères à s’unir à nous pour délibérer
[...] Nous déclarons reconnaître pour membres de la Confédéra-
tion Universelle, les Électeurs de 1789 dans tout l’Empire, les
Amis de la Liberté de la Presse, tous les Francs-Maçons de l’Uni-
vers, quel que soit leur système particulier, les Amis de la Consti-
tution, Gardes Nationales, et tous ceux qui ont été élus par le
Peuple à quelque charge publique 8.
De son côté, l’autre chef de file du Cercle social, Fauchet, fixe pour
objectif dans son discours inaugural « de commencer la confédération
des hommes, de rapprocher les vérités utiles, de les lier en système uni-
versel, de les faire entrer dans le gouvernement des nations, et de tra-
vailler dans un concert général de l’esprit humain à composer le
bonheur du monde ». Traducteur, intermédiaire culturel important
entre l’Angleterre, l’Allemagne et la France – notamment dans le
domaine du théâtre –, Bonneville devient journaliste et homme de
presse 9. Il appelle les Français à se montrer à la hauteur des espérances
que la Révolution a suscitées entre Rhin et Danube. Il jette les bases
10. Cité par LABBÉ FRANÇOIS, Anacharsis Cloots, le Prussien francophile, op. cit.,
p. 312
11. Archives parlementaires, t. 83, p. 303.
CONCLUSION • 279
expulsion du corps civique 12. Or c’est comme Prussien que Cloots
devient suspect, témoignant ainsi que l’étranger dans le contexte obsi-
dional qui règne sous la Terreur est devenu un « impossible citoyen 13 »
et le cosmopolite un apatride. Le discours réquisitoire de Robespierre
est implacable :
CONCLUSION • 281
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BIBLIOGRAPHIE • 287
INDEX DES PRINCIPAUX NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
1712
5 novembre : Renonciation de Philippe V à ses droits sur la couronne
de France.
1714
6 mars-7 décembre : Traités de Rastadt et de Bade entre la France et l’Empire.
1715
1er septembre : Mort de Louis XIV.
1716
• François de Callières, De la manière de négocier avec les souverains.
• Saint-Pétersbourg, capitale de Pierre Ier.
•21 juillet : Début des conversations secrètes aux Provinces-Unies entre
Dubois et Stanhope.
•10 octobre : Convention franco-britannique de Hanovre.
1717
• 4 janvier : Formation de la Triple Alliance au traité de La Haye.
• 7 mai : Pierre Ier de Russie à Paris.
1719
• Daniel Defoe, Robinson Crusoé.
• 9 janvier : Louis XV déclare la guerre à Philippe V d’Espagne.
• 5 décembre : Philippe V renvoie le cardinal Alberoni.
1720
16 février : L’Espagne adhère à la Quadruple Alliance et fait la paix avec
la France.
1721
• Montesquieu, Lettres persanes.
•30 août : Paix de Nystadt entre la Suède et la Russie.
1722
23 août : Le cardinal [lequel ?] prête le serment de principal ministre.
1724
Création du club de l’Entresol.
1725
• Fondation de l’Académie de Saint-Pétersbourg.
• 8 février : Mort de Pierre Ier.
•25 avril : Mariage de Louis XV et de Marie Leszczynska.
• 3 septembre : Création de la Ligue de Hanovre entre la France, la
Grande-Bretagne et la Prusse.
• 5 novembre : Alliance entre l’Espagne et l’Autriche contre la Grande-
Bretagne, la France et les Provinces-Unies.
1726
Le cardinal de Fleury principal ministre de Louis XV.
1731
Voltaire, Histoire de Charles XII.
1733
•12 septembre : Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV, élu roi de
Pologne.
• 5 octobre : Fuite de Stanislas à Danzig.
•10 octobre : Louis XV déclare la guerre à l’Autriche et à la Russie.
1734
• Voltaire, Lettres anglaises.
•20 février-22 juin : Siège de Danzig par les Russes.
• Mai : L’Angleterre ne participera pas à la guerre de Succession de
Pologne.
1737
12 février : Mariage de François de Lorraine et Marie-Thérèse d’Autriche.
13 février : Renonciation solennelle de François de Lorraine au duché
de Lorraine au profit de Stanislas Leszczynski.
1738
• 2 mai : Troisième traité de Vienne. Don Carlos est roi de Naples, Fran-
çois de Lorraine devient grand-duc de Toscane, la France adhère à la
Pragmatique Sanction.
•18 novembre : Ratification du traité de Vienne qui met fin à la guerre
de Succession de Pologne.
1741
• 5 juin : Alliance entre la France, la Prusse et la Bavière.
•25 juin : Alliance entre la Grande-Bretagne et l’Autriche.
1743
28 octobre : Traité de Fontainebleau (premier Pacte de famille) entre la
France et l’Espagne.
1744
•15 mars : La France déclare la guerre à la Grande-Bretagne.
•26 avril : La France déclare la guerre à l’Autriche.
• 5 juin : Alliance entre la France et la Prusse.
•19 novembre : Le marquis d’Argenson devient secrétaire d’État aux
Affaires étrangères.
1745
•11 mai : Bataille de Fontenoy.
•15 septembre : François de Lorraine est élu empereur d’Allemagne.
1746
• Diderot, Pensées philosophiques.
•16 avril : Bataille de Culloden.
1748
• Montesquieu, De l’esprit des lois.
• Mably, Le Droit public de l’Europe, fondé sur les traités conclus jusqu’en
l’année .
•30 avril : Préliminaires de paix franco-anglais à Aix-la-Chapelle.
•18 octobre-20 novembre : La paix d’Aix-la-Chapelle met fin à la guerre
de Succession d’Autriche.
1749
Diderot, Lettre sur les aveugles.
1750
Voltaire à Berlin.
1751
• Premier volume de l’Encyclopédie.
• Voltaire, Le Siècle de Louis XIV.
1753
Fondation de l’Académie des sciences de Stockholm.
1755
•10 juin : L’Alcyde et le Lys sont attaqués et capturés par la flotte anglaise
de l’amiral Boscawen au large de la Nouvelle-France.
• Novembre : La flotte anglaise attaque par surprise les navires de
commerce français.
•21 décembre : Ultimatum de Louis XV à la Grande-Bretagne.
1756
• Janvier : Traité de Westminster entre la Grande-Bretagne et la Prusse.
• 1er mai : Premier traité de Versailles entre la France et l’Autriche.
• 6 mai : Prise de Port Mahon par le duc de Richelieu.
1757
• Mably, Ces principes de négociation pour servir à l’introduction au droit
public de l’Europe fondé sur les traités.
• Janvier-février : La France, l’Autriche, la Russie, la Suède et les Cercles
de l’Empire germanique forment une coalition anti-prussienne.
•11 août : L’armée française entre à Hanovre.
• 5 novembre : Bataille de Rossbach.
1758
• Vattel, Droit des gens ou principes de la loi naturelle appliquée à la conduite
des nations et des souverains.
• Helvétius, De l’esprit.
• 3 décembre : Le duc de Choiseul devient secrétaire d’État aux Affaires
étrangères.
1759
• 8 mars : Le Conseil d’État révoque le permis d’imprimer de
l’Encyclopédie.
1762
• Rousseau, Le Contrat social ; Émile.
•10 juillet : Catherine II s’empare du pouvoir en Russie.
1763
•10 février : Traité de Paris entre la France et la Grande-Bretagne.
• 9 mars : Le parlement de Paris bannit les jésuites du royaume.
1764
• Voltaire, Dictionnaire philosophique.
• 7 septembre : Stanislas Poniatowski roi de Pologne.
1766
• Janvier : Livraison des dix derniers tomes de l’Encyclopédie.
•23 février : Mort de Stanislas Leszczynski ; la Lorraine devient province
française.
1767
• Expulsion des jésuites de France et d’Espagne.
1770
• D’Holbach, Le Système de la nature.
• Raynal, Histoire philosophique... des Deux-Indes.
1771
• Le prince Gustave de Suède, futur Gustave III, à Paris.
1772
•19 août : Coup d’État de Gustave III en Suède.
1773
Diderot en Russie.
1776
4 juillet : Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique.
1777
• Voyage incognito de l’empereur de Joseph II en France sous le nom
de comte Falkenstein.
•17 décembre : La France de Louis XVI reconnaît l’indépendance des
États-Unis d’Amérique.
1778
6 février : Traité d’alliance entre la France et les États-Unis d’Amérique.
1780
24 octobre : Mort de Marie-Thérèse, impératrice-reine.
1781
• Kant, Critique de la raison pure.
•19 octobre : Capitulation de lord Cornwallis à Yorktown.
1783
3 septembre : Paix de Versailles entre la France et la Grande-Bretagne.
1784
avril : Première représentation publique du Mariage de Figaro de
Beaumarchais.
1786
•17 août : Mort de Frédéric II de Prusse
•26 septembre : Traité de commerce franco-anglais.
1788
8 août : Annonce de la convocation des États énéraux en France.
1789
5 mai : Séance d’ouverture des États généraux.
Du même auteur
Les Francs-Maçons à l’orient de Clermont-Ferrand au XVIIIe siècle, Clermont-
Ferrand, Université Blaise-Pascal, Institut d’Études du Massif Cen-
tral, 1991, volume XLI, 355 p.
Franc-maçonnerie et cosmopolitisme au siècle des Lumières, Paris, EDIMAF,
1998, 128 p.
L’Autre et le Frère. L’Étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle,
Paris, Honoré Champion, coll. « Les dix-huitièmes siècles 23 »,
1998, 872 p.
La Terre et les Paysans en France et en Grande-Bretagne XVIIe- XVIIIe siècles
(avec Charles Giry-Deloison,), Neuilly, Atlande, 1999, 351 p.
La République universelle des francs-maçons. De Newton à Metternich,
???
Introduction ..........................................................................................................
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