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Il n’y a pas de message dans le tableau.

Recel- don . Rétention -expansion.


Telle est la première impression éprouvée face aux montagnes d’ Olivier Legrand.
Mais « montagnes » est déjà trop dire.
Car cette peinture ne nous offre ni objet ni panorama. Aucune vue extérieure distanciée ou
surplombante. Immédiatement, mobilisation de la dimension tactile . Avant toute séparation et
tout recul que suppose la vision..
Images donc qui convoquent le toucher plus que le voir.
Lignes de forces. Tensions. Polarités. Intensités. Rythmes.
On ne se poste pas devant ces toiles pour les regarder : on y entre.
Un jeu serré s’engage entre le corps propre de celui qui éprouve ces forces et leur intensité
elle-même mobilisée par le corps du peintre.
Corps à corps.

Musique aussi. Orchestration à partir d’une colonne vertébrale qui paraît soutenir toutes ces
masses.
Cette peinture a un sens irréductible à une signification discursive. Comme le dit Olivier
Legrand lui même au cours d’une conversation : « il n’y a pas de message ». Il y a là un sentir
qui fait en lui-même sens avant toute parole.
C’est à partir d’eux mêmes qu’il convient de regarder ces blocs de roches.
Comme l’écrit Henri Maldiney des formes de Cézanne : « Leur apparaître est un évènement-
avènement dont elles sont le lieu : l’expansion de chacune est une avec l’ouverture de sa
présence »1.

Présence imposante. Choc frontal indéniable. Coup de poing. Densité. Masses compactes
qu’on pourrait un instant croire fermées. Et pourtant : ouvertures. Ecartements. Fissures.
Brèches en lesquelles on aurait tort de voir des symboles. A moins de définir le symbole
comme le faisait Merleau Ponty dans Le visible et l’invisible : « La fixation d’un
« caractère » par investissement dans un étant de l’ouverture à l’ être qui désormais se fait à
travers cet étant »2: Legrand entre dans le monde par la montagne-roche. Il le dit lui même
dans une lettre adressée à Francis Parent : « Mon isolement dans les montagnes a totalement
changé ma façon(façonner, construire)) ; de peindre... »
Pas de connaissance préalablement acquise. Pas d’anecdote : « Aucune documentation, aucun
croquis préparatoire, j’ai mis 30 ans de matériel photos au placard. »

Resserrements. Déploiements. Contractions. Expansions.

Entre ciel et terre. Même les toiles où le ciel n’apparaît pas sont aérées. Elles respirent. Ces
blocs sont aussi des poumons.

Marques d’une lutte aussi. On se cogne. On se bat avec la roche comme elle se bat avec elle-
même. On se dégage. On retient son souffle ou l’air vous manque. On se fraye un chemin et
on respire à nouveau.

1 Maldiney(H) ; « Cézanne et Sainte –Victoire. Peinture et vérité », in L’art, l’éclair de


l’être, p 40.
2 Merleau-Ponty(M) ; Le visible et l’invisible, Gallimard-TEL, p323.
Convulsions.
Toutes ces toiles portent la trace d’un combat à la fois tectonique et pulsionnel.
Mais les pulsions sont comme l’inhumain en l’homme. Anonymes. On est dans l’élémentaire.
Ou dans l’élémental.

Peinture extrêmement singulière et pourtant non dénuée de réminiscences.


On peut penser à une Sainte victoire que Cézanne a peinte « de face », celle du Musée de
Bâle qu’ Henri Maldiney a analysée en des termes qui pourraient à un point étonnant
s’appliquer aux « montagnes » de Legrand.
Maldiney, le philosophe qui s’est tellement opposé à l’interprétation des formes picturales en
terme de signes et de message écrit aussi : « présentation de profil et de face sont
antinomiques. Elles induisent deux façons opposées d’être au monde. De l’une à l’autre et
quel qu’en soit l’objet : montagne, homme ou dieu, la dimension existentielle du contact
diffère du tout au tout. (...)Toute apparition de face est une extension de la présentation du
visage, du visage fascinant. »

Masses silencieuses qui en effet fascinent, menacent et...protègent.

Si l’être-au-monde est irréductible à un contenu de signification ou à une représentation


thématisée, c’est bien un séjour que nous offre Olivier Legrand ; aussi difficile soit-il.
Et en ces temps exsangues, une présence incarnée.

Joëlle Mesnil

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