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Commerce et géographie

La mondialisation selon Paul Krugman


Matthieu Crozet

Théoricien inventif et brillant, Paul Krugman est notamment le principal architecte


des nouvelles théories du commerce international. L’introduction de la concurrence
imparfaite dans ce corpus a permis de montrer que le commerce international
pouvait émerger sans avantages comparatifs, et de comprendre les motivations et les
implications des échanges intra-branches entre pays similaires. Surtout, les analyses
de Paul Krugman ont définitivement rapproché les théories du commerce des
analyses de l’économie géographique, ce qui a modifié en profondeur notre vision de
la mondialisation.
Au-delà des avantages comparatifs :
Pourquoi les pays commercent-ils ? La science économique n'a longtemps avancé qu'une
réponse unique : les pays trouvent un intérêt à échanger parce qu'ils sont différents. C'est
l'essence des avantages comparatifs esquissé par Robert Torrens dès 1815, et formulé de
façon explicite par David Ricardo. Les pays gagnent à l'échange car celui-ci, en autorisant une
division internationale du travail, conduit à une utilisation optimale des ressources de chacun.
En situation de libre-échange, chaque pays doit tendre naturellement à se spécialiser dans les
secteurs ou les coûts d'opportunité de la production sont faibles relativement aux pays

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partenaires, et donc exporter ces biens et importer les autres. Dans ces conditions, l'ouverture
aux échanges doit provoquer de puissantes mouvements de spécialisation industrielle, générer
d'importants coûts de restructuration et accroitre les inégalités entre les détenteurs de facteurs
utilisés dans les secteurs exportateurs et ceux possédant les facteurs employés dans les
secteurs concurrents des importations.

Le modèle Ohlin-Samuelson , qui fait reposer les avantages comparatifs sur des différences
internationales de dotations factorielles. Malheureusement, en dépit de la puissance de leur
argument, ces modèles peinent à décrire la réalité de la mondialisation engagée au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. En effet une large fraction des flux de commerce
international ne semble pas répondre à l'argument de l'avantage comparatif : i faut que les
structures économiques soient proches pour que cette théorie puisse s'appliquer, de même les
biens doivent être similaires à l'import comme à l'export. Ce modèle résulte aussi des clivages
Nord-Sud ou les PED exporteraient des matières premières ou des biens intensifs en main
d'œuvre peu qualifié, et les pays développés des biens manufacturé à plus fort contenu de
technologie.

L'intra-branche pur : le dumping


réciproque
Le principe des avantages comparatifs, par sa logique implacable, a vidé de sens le concept de
compétitivité : dans la mesure ou chaque nation participe a la demande et à l'offre mondiale
elles ne sont pas forcément en concurrence, et les gains n,e se font donc pas forcément aux
dépens des autres.

Un oligopole international

En collaboration avec James Brander, Paul Krugman propose en 1983 un modèle


particulièrement simple et épuré de commerce en situation d'oligopole. Celui-ci vient
généraliser le modèle de Brander [1981]. Encore une fois il s'agit de simplifier au maximum :
toutes les sources d'avantage comparatif sont donc évacuées de l'analyse, et l'accent est mis
sur le rôle des imperfections de marché pour faire apparaître du commerce intra-branche.

Ici, on considère le cas ou deux pays parfaitement identiques produisant le même bien. Si
ceux-ci s'ouvre au commerce, mais qu'il persiste un cout de transport ou un droit de douane
non nul, alors aucun échange international ne doit avoir lieu dans les secteurs en concurrence

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parfaite. Mais dans un secteur en autarcie, la production de chaque pays est assurée par une
firme unique, alors l'ouverture partielle au commerce va conduire chaque à venir contester le
monopole de sa voisine. Avec les coûts de transport, es firmes perçoivent les pays comme
autant de marchés segmentés : les quantités qu'elles choisissent de vendre dans un pays sont
indépendantes des ventes dans l'autre pays. Dans le cas d''une concurrence à la Cournot,
l'élasticité de la demande perçue par chaque firme diminue avec sa part de marché. Puisque
les coûts de transport affecte la compétitivité des firmes à l'exportation, chacune a une part de
marché minoritaire sur le marché étranger ; elle est donc prête à accepter un taux de marge
plus faible sur ses ventes à l'export. Elle absorbe ainsi le cout de transport et vend au même
prix sa concurrente en dépit de son handicap. Dans le cas où les pays sont identiques, les
firmes établissent un prix à l'exportation et une marge plus faibles que sur le marché
domestique : chacune pratique donc une forme de dumping pour conquérir des parts de

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marché à l'étranger.

Le « dumping réciproque  » à un impact non définit sur le bien-être. L'ouverture commerciale


permet de faire jouer la concurrence, et de diminuer les prix du fait de la contestation des
monopoles : les rentes de monopole sont réduites, et donc les prix aussi. Ceci a motivé
beaucoup de décisions publiques notamment en Europe où les pays sont très proches et les
avantages comparatifs peu marqués.

Mais ceci entraine des pertes sèches notamment les dépenses de transport qui paraissent
inutiles : tout dépend si les coûts de transport sont faibles ou non : l'effacement des mesures
protectionnistes peut dans ce cas permettre de générer de la concurrence et de supprimer les
pertes inutiles, permettant de ce fait une amélioration du bien-être même si celui est
difficilement mesurable..

Les politiques commerciales stratégiques

La théorie du dumping réciproque contient les arguments des thèses libérales (il faut favoriser
le libre-échange) et l'alter mondialisme (du fait du gaspillage).

Rendements croissants et commerce


international
Les modèles de commerce en concurrence oligopolistique ont un intérêt théorique indéniable
mais ils ne peuvent s'appliquer qu’à certains secteurs spécifiques. L'intégration de ces
modèles à l'équilibre général a pour conséquence d'augmenter la complexité mathématique et
de les rendre difficilement utilisables.

Krugman a dans 3 articles tentés de concilier l'importance du commerce intra-branche et la


théorie des avantages comparatifs. Ses modèles mettent en avant le rôle des économies
d'échelle dans la détermination des spécialisations industrielles et du commerce international.
Cette idée n'est pas novatrice puisqu'on la retrouve chez Ohlin [1933], Balassa [1967], et
Kravis [1971].

Il y a deux façon d'introduire des rendements croissants avec :

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 des rendements externes : c'est la taille du secteur qui détermine le cout marginal des
firmes (les pays de grande taille ou ayant commencé la production avant les autres
bénéficient d'un avantage compétitif qui les conduit à se spécialiser des les secterus à
rendement croissant ;

Il y a deux limites :

o les phénomènes micro-économiques sont difficiles à identifier et calibrer ;


o ces rendements croissants poussent toujours à une spécialisation des économies, et
donc l'émergence de commerce intra-branche. Il y a une endogénéïsation des
avantages comparatifs, ce qui n'est pas en rupture avec la théorie traditionnelle du
commerce international.

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 Des rendements internes aux firmes : ici on quitte le cadre de la concurrence parfaite,
Krugman va s'appuyer sur le modèle de concurrence monopolistique de Dixit et Stiglitz
[1977].

Différenciation des produits et commerce

Dans le cadre à la Chamberlin [1962], ou un très grand nombre de firmes produisent chacune
une variété d’un bien de consommation. En plus d’un cout variable, la production nécessite un
investissement initial. Ce cout fixe génère des rendements d’échelle croissants internes qui
sont supposés être suffisamment puissants pour garantir que chaque producteur est en
monopole sur sa variété.

Le commerce sera entièrement motivé par les préférences des consommateurs, il ne repose
pas sur des avantages comparatif et peut prendre place entre pays parfaitement identiques. Ce
commerce n’est pas pour autant dénué d’intérêt : la concurrence va avoir pour fait d’obliger
les entreprises à produire plus et exploiter les économies d’échelles, et ainsi baisser ses couts
et ses prix.

Commerce et espace : équations de gravité et «   Home Market Effect  »

Les modèles de commerce en concurrence monopolistique offrent une explication simple et


crédible à l’essor du commerce intra branche, et mettent en avant de nouveaux gains à
l’échange.

Dans les modèles traditionnels du commerce, les pays ne sont qu’un ensemble de facteurs de
producteur ; les couts de transport n’impactent guère la structure des échanges n et
l’hypothèse de rendements constants font que la taille des pays n’influence en rien les
spécialisations. Les modèles de dumping réciproque, même s’ils incluent des couts de
transport, ont aussi une dimension spatiale très limitée : ce sont les institutions et non la
géographie qui définissent les pays.

Les nouvelles théories consacrent le fait que le commerce international est,


fondamentalement, une histoire qui implique une dimension spatiale.

Il y a deux 2 conditions nécessaires à l’émergence du «  Home Market Effect », comme


Krugman le décrit :

 il faut des couts de transports ;

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 Il faut un mouvement de spécialisation possible : il faut un autre acteur dans lequel le
grand pays va pouvoir puiser des facteurs pour développer sa production de bien
différencié, et dans lequel le petit pays va trouver à se spécialiser de sorte que la
structure des échanges soit équilibrée (les soldes commerciaux soient nuls).

Le Home Effect Market a un effet prix et un effet quantité.

La nouvelle économie géographique


En 1990, Krugman et Venables signent un document de travail du CEPR discutant des

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implications à attendre de la mise en place du marché Unique européen. Paul Krugman va très
rapidement proposer un modèle extrêmement simple qui servira de base aux nombreux
développements théoriques constituant la Nouvelle Economie Géographique.

En introduisant un moteur de croissance endogène dans un modèle de la Nouvelle Economie


géographique, il ressort que le développement économique et l’agglomération spatiale sont
deux processus qui se soutiennent mutuellement. Ces modèles mettent en évidence un
arbitrage fondamental entre la croissance et la cohésion spatiale.

Conclusion :
Le nom de Paul Krugman reste emblématique des « nouvelles théories du commerce
international », développées au début des années 1980. Celle-ci analysent les implications des
imperfections de marché sur la structure des échanges, et donnent ainsi des clés de lecture
indispensables pour comprendre les enjeux de la mondialisation.

Les travaux récents s’inscrivent en droite ligne des travaux de Paul Krugman : Melitz [2003].

Paul Krugman a donné du relief à l’économie internationale en rappelant avec force rôle
fondamental de la géographie.

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