You are on page 1of 3
 
1
L’alternative au solidarisme
Alain Laurent
« De nos jours, le terme de « solidarité » est devenu à la mode ; il a remplacé celui de « fraterni», fort en usage en 1848, mais actuellement un peu démo. (…) Les politiciens qui l’emploient semblent avoir pour but dévoquer des ies plus ou moins nuageuses et qui sont semblables à celles qu’évoque le terme de socialisme. »
Vilfredo Pareto, Les Systèmes socialistes, 1903, pp. 124 et 341.A lire ce que constataient nombre d’esprits avisés de la fin du XIXe siècle (Léon Bourgeois, Célestin Bouglé, Pareto entre autres) jusqu’au premier tiers du XXe siècle (Charles Gide) au sujet du « solidarisme » devenu la philosophie officielle de la Ille République, il faut croire que l’Histoire décidément se répète. Car dans la Ve République, le solidarisme dans une version revue, corrigée et modernisée est à nouveau devenu une, sinon la doctrine d’Etat par excellence. Celle qui fondamentalement inspire, irrigue et guide une éthique sociale où s’enracine puis d’se ploie toute la thématique bien connue de la politique socialiste des anes 80 et du but des années 90 : la promotion des « droits sociaux » en droits de l’homme (et réciproquement) ; « la lutte contre la pauvre, l’exclusion et les inégalités » ; la volonté d’imposer un partage redistributif au nom de la « justice et de la cohésion sociales ». (…)
Le solidarisme : l’autre visage d’une exception française
Risquons donc maintenant l’hypothèse majeure que toute la suite de ce livre va s’efforcer de valider : et si, en deçà de ses effets pervers qui aboutissent souvent plus à accrtre les probmes sociaux qu’à les soudre, une perversion fondamentale était à l’œuvre au cœur même de la logique étatiste et socialisatrice du principe de solidarité nationale  — rendant celle-ci non seulement contraire à ses propres objectifs mais aussi intrinsèquement incompatible avec la pleine affirmation des valeurs de liberet de responsabilité inhérentes aux sociétés ouvertes d’Occident ? Et si, en plus et sous couvert d’un consensus facilement obtenu en jouant sur les connotations morales et sentimentales positives de l’idée de solidarité, se profilait un projet de reconstruction artificielle de la société et de relativisation violente du droit naturel des individus contraints de se plier à une interprétation abusive (non… contractuelle) du contrat social qui « fait » une nation ?
Alain Laurent - L’alternative au solidarismewww.institutcoppet.org
 
2
Comme on le verra, le rééclairage critique de la généalogie du solidarisme — cet autre visage d’une « exception française » qu’il explique tant  — sera d’une grande utilité pour accréditer le bien-fond’une telle hypothèse. Rien en l’occurrence n’est en effet aussi révélateur que l’histoire des idées pour établir le caractère trouble du terrain intellectuel dans lequel le néo-solidarisme plonge des racines qui vont plus loin dans le temps et plus en profondeur dans certains soubassements idéologiques qu’on ne le croit communément. Sur ce que recouvre vraiment la logique de la socialisation de la solidarité, les premiers solidaristes (de Leroux et Comte à Durkheim, Léon Bourgeois ou La Tour du Pin…) ont déjà presque tout dit, et fort explicitement. (…)Bien sûr, entre eux et nous le temps a passé et le contexte a considérablement changé. Mais précisément, grâce parfois à d’étonnantes et significatives récurrences, tout se passe comme si le même paradigme sociologique et éthique continuait à opérer, avec les mêmes implications et finalités. Pour être complexe et évolutive, une filiation étroite existe au sein d’une commune tradition doctrinale de fait entre les pères fondateurs et les actuels hérauts de la « solidarité nationale » et des « nouvelles solidarités ». (…)Ce n’est donc évidemment pas au niveau du sens spontade la solidariqui finit l’humanides individus qu’il y a matière à bat et examen critique, encore que son hypertrophie et sa sentimentalisation contemporaines ne soient pas sans faire problème. Mais à celui de la social-étatisation qui s’en est emparée et de sa transformation en principe d’organisation sociale globale de plus retu d’une mantique qui fait illusion. Comme tant dautres idéologies, le (néo)solidarisme consiste peut-être avant tout à baptiser autrement la réalité, en croyant que celle-ci en sera changée et que cela permettra de convertir les citoyens à ses bienfaits (ce qui semble d’ailleurs être le cas). Il se pourrait en conséquence qu’il suffise d’oser désigner les choses par leur véritable nom, c’est-à-dire le mot qu’appelle objectivement le réel en cause, pour que l’on commence vite à comprendre ce qui est vraiment en jeu dans ce domaine.
Lalternative au solidarisme : l’individualisme libéral
Tout au long de la montée en puissance de l’idéologie de la solidarité sociale au cours du XIXe siècle et au début du XXe un grand débat public a eu lieu, qui a vu sélever de vigoureuses critiques à l’encontre des solutions solidaristes aux problèmes de la paupérisation et de la protection qui ne s’appelait pas encore « sociale ». A cette résistance intellectuelle qui a souvent et remarquablement su prévoir les futures impasses et impostures de l’Etat-providence ont pris part les grands noms du libéralisme (Tocqueville, Bastiat, Thiers, Pareto) comme de moins connus (Gustave de Molinari, Henri Follin, Yves Guyot, Éugène d’Eichthal), renfors d’éminents repsentants de l’anarchisme anticollectiviste (Proudhon) et de l’individualisme libertaire (Georges Palante).On fera donc largement écho à leur contre-argumentation qui, sur le plan de la philosophie sociale et politique, ne se contente pas de conserver une pleine pertinence qui est en train de s’imposer maintenant à la lumière des faits. Mais on sollicitera encore plus volontiers ces esprits lucides parce que leur opposition au solidarisme se nourrit de valeurs et principes (le droit naturel de propriété, la liberté et la responsabilité individuelle) porteurs d’une autre éthique et d’une autre logique sociales. Lesquelles, au-delà du refus de la social-étatisation des rapports humains d’entraide et
Alain Laurent - L’alternative au solidarismewww.institutcoppet.org
 
3
de coopération, proposent des ponses positives et cohérentes aux problèmes posés par l’entrée accélérée dans le monde ouvert et complexe de l’économie de libre marché dans la modernité.L’alternative à la solidarisociale qui se dessine ainsi à partir de l’individualisme libéral exige d’autant plus d’être explorée, repensée et illuste qu’en France, cette tradition s’est éteinte sur le plan théorique (1) et politique en même temps que les solutions assistancielles, redistributives et obligatoires du solidarisme l’ont emporté sur les aspirations à l’autogestion assurancielle avant et juste après la Seconde Guerre mondiale. Depuis règne le plus indigent des mythes : hors de l’État-providence, il n’est point de salut, il n’y a place que pour la loi « sauvage » du marché où les plus forts exploitent et excluent les plus faibles. Une fable que l’on va mentir en fuyant l’étouffoir intellectuel du social-chauvinisme français et de son obsession de surprotection et en nous inspirant de la réflexion radicale qu’à l’étranger, des libéraux, libertariens et anarcho-capitalistes la plupart du temps américains, n’ont pas eu peur d’engager sur les vices fondamentaux du « Welfare State » et… les vertus roboratives du laissez-faire soumis aux règles du Droit.Le lecteur sera donc invité à partir aussi en quête de solutions de liberté aux problèmes de la pauvreté, des inégalités et de la sécurité dite « sociale » en la bonne compagnie d’auteurs connus et traduits en France comme Mises, Hayek, Gilder, Murray Rothbard et Nozick et dautres qui, bien que mondialement appréciés, y demeurent hélas et étrangement (mais est-ce si étrange ?) ignorés : Ayn Rand, David Friedman, James Buchanan, Charles Murray, etc. A condition de corriger certaines aspérités ou naïvetés de leur propos (qui ne sont pas toujours aisément transposables dans le contexte culturel français), il en ressort une éthique de la responsabilité individuelle dont il se pourrait que la logique contractuelle garantie par un État minimum permette de (ré)concilier liberté et entraide. Comment et jusqu’où désétatiser et socialiser celle-ci pour la rendre à son authentique vocation d’élan et obligation personnels et l’ouvrir à tous les possibles de l’association volontaire ? Une subtile combinaison des impératifs du Droit naturel revisité, du marché et de solutions autogestionnaires (2) pourrait bien se révéler concrètement plus viable et équitable que la religion de l’État-providence n’a conditionné nos concitoyens à le croire.(1) A quelques notables exceptions : Bertrand de Jouvenel qui, en 1952, avait publen langue anglaiseThe Ethics of redistribution (mais n’était jamais revenu sur ce sujet ensuite); de Raymond Polin et, bien sûr, des « nouveaux économistes ».(2) Ne revient-il pas à l’individualisme libéral de faire valoir la fécondité de l’idée d’autogestion s lors qu’elle est lie de sa gangue collectiviste et alors que les socialistes l’ont répudiée au profit d’un étatisme forcené ?
Alain Laurent - L’alternative au solidarismewww.institutcoppet.org

Reward Your Curiosity

Everything you want to read.
Anytime. Anywhere. Any device.
No Commitment. Cancel anytime.
576648e32a3d8b82ca71961b7a986505