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6 janvier 2010 - N° 02

Une lecture marxiste de la crise

Notre interprétation de la crise est la suivante :

• il y a excès mondial de capacité de production, dû essentiellement à la


globalisation et à l'investissement très important dans les pays émergents ;
• l'excès de capacité devrait normalement faire baisser la profitabilité des
entreprises ; en réaction à cette évolution, les entreprises ont essayé de
réduire les salaires, d'où, dans beaucoup de pays, le recul de la part des
salaires dans le PIB, qui amplifie l'insuffisance de la demande par rapport à la
capacité ; elles essaient aussi de devenir leader dans leur activité pour
bénéficier de marges d'oligopole ;
• l'excès de capacité de production pousse les Etats à mener des politiques
non coopératives visant à accroître le taux national d'utilisation des
capacités : stimulation du crédit par les politiques monétaires très
expansionnistes (d'où les bulles spéculatives sur les prix des actifs, l'excès
d'endettement et les crises) ; sous-évaluation du taux de change dans les
pays émergents.

Il s'agit bien d'une lecture marxiste (mais conforme aux faits) de la crise :
suraccumulation du capital (par "l'euphorie" des entrepreneurs) d'où baisse
tendancielle du taux de profit ; réaction des entreprises à cette baisse du taux de
profit par la compression des salaires, du capital, la concentration et l'obtention de
rentes, d'où sous-consommation ; réaction, qui ne peut pas être efficace à long terme,
RECHERCHE
ECONOMIQUE des Etats par le développement du crédit et des activités spéculatives, comme
Rédacteur : substituts (palliatifs) à l'insuffisance de la production ; par le recours au commerce
Patrick ARTUS extérieur.
Flash
Au départ de la crise : L'excès mondial de capacité de production apparaît avec la globalisation :
excès mondial de
capacité de production • les pays émergents ont des taux d'investissement très élevés et un
investissement en forte croissance (graphique1a) ; ceci est
particulièrement vrai en Chine (graphique 1b) ;

• dans le même temps, les taux d'investissement n'ont pas été réduits
jusqu'à la crise dans les pays de l'OCDE (graphique 2).

Graphique 1a Graphique 1b
Ensem ble des ém ergents y com pris Russie et Chine : investissem ent en valeur (GA en %)
OPEP : taux d'investissem ent total Investissement to tal
35 35
175 Investissements machines et equipements 175
30 30
150 150
25 En valeur (en % du PIB ) 25
125 125
En vo lume (en % par an)
20 20
100 100
15 15
75 75
10 10 50 50
5 5 25 25
Sources : Dat ast ream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, DRI, NATIXIS
0 0 0 0
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Graphique 2
Investissem ent productif (en % du PIB, volum e)
Etats-Unis
Zo ne euro
Ro yaume-Uni
16 16
Japo n
15 15
14 14
13 13
12 12
11 11
10 10
9 9
8 8
7 7
Sources : Dat ast ream, NATIXIS
6 6
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Le Monde est donc, depuis la fin des années 1990, en situation d'excès d'offre
de biens et de services, ce qui correspond à la hausse du taux d'investissement
mondial (graphique 3a) et explique l'absence d'inflation (graphique 3b).

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Graphique 3a Graphique 3b
Monde : taux d'investissem ent Monde : inflation (GA en %)
(en valeur,en % du PIB) 5 5
27 27
4 CP I 4
26 26 Co re CP I
3 3

25 25 2 2

1 1
24 24
0 0
23 23
-1 -1
Sources : Dat ast ream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, NATIXIS
22 22 -2 -2
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Réaction des L'excès de capacité devrait normalement faire baisser la profitabilité du


entreprises à l'excès de capital des entreprises, à la fois en raison de l'abondance du capital et de la
capacité : baisse des perte du pricing power.
salaires, concentration
Pour éviter cette évolution, les entreprises :

• compriment les salaires, ce qui explique la déformation assez


générale du partage des revenus au détriment des salariés
(graphiques 4a-4b-4c-4d-4e-4f) ;

• se concentrent, afin d'obtenir des rentes d'oligopole (monopole). Les


grands groupes se concentrent sur leurs métiers de base, de manière à
devenir des leaders mondiaux, et vendent les activités qui ne
correspondent pas à ce "cœur de métier".

Graphique 4a Graphique 4b
Etats-Unis : productivité et salaire réel par tête Zone euro : productivité et salaire réel par tête
(100 en 1998:1) (100 en 1998:1)
135 135 110 110
Salaire réel par tête (yc bénéfits, prix du P IB) Salaire réel par tête (prix du P IB )
130 P ro ductivité par tête
130 108 Pro ductivité par tête 108
125 125
106 106
120 120
104 104
115 115
102 102
110 110

105 105 100 100


Sources : Dat ast ream, NATIXIS Sources : Datast ream, NATIXIS
100 100 98 98
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

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Graphique 4c Graphique 4d
Royaum e-Uni : productivité et salaire par tête Japon : salaire et productivité (100 en 2002:1)
(100 en 1998:1) 120 120
125 125
Salaire réel par tête (prix du P IB) P ro ductivité par tête
P ro ductivité par tête 116 Salaire réel par tête ( Prix P IB ) 116
120 120
112 112
115 115
108 108

110 110
104 104

105 105 100 100


Sources : Datast ream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, NATIXIS
100 100 96 96
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Graphique 4e Graphique 4f
Chine : part de la m asse salariale (en % du PIB) Monde : productivité et salaire par tête
(100 en 1998:1)
52 52
130 130
Salaire réel par tête (déflaté par le prix du P IB )
Pro ductivité par tête
125 125
51 51
120 120

50 50 115 115

110 110
49 49
105 105
Sources : Dat astream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, NATIXIS
48 48 100 100
02 03 04 05 06 07 08 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Il résulterait normalement de ce comportement des entreprises la faiblesse de


la demande des ménages, puisque les salaires sont faibles et les marges
bénéficiaires élevées. Avant la crise, la demande des ménages n'est faible qu'en
Chine, qu'au Japon et en Allemagne (graphiques 5a-5b), en raison de la réaction
des Etats que nous allons maintenant examiner et qui évite cette faiblesse dans les
autres pays.

Graphique 5a Graphique 5b
Dem ande des m énages* (volum e, 100 en 1998) Chine : consom m ation et investissem ent
Etats-unis (en volum e,en % du PIB)
A llemagne 50 50
Zo ne euro ho rs A llemagne Co nso mmatio n des ménages
140 140
Ro yaume-Uni 47 47
Investissement
Japo n
130 130
44 44

120 120 41 41
(*) consommation des ménages +
invest issements en logement
110 110 38 38

100 100 35 35
Sources : Datast ream, NATIXIS Sources : Global Insight , NATIXIS
90 90 32 32
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

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Depuis la crise, l'arrêt de l'endettement fait partout chuter la demande des
ménages.

Réaction des Etats : Les Etats sont confrontés :


stimulation du crédit,
sous-évaluation des • à la situation d'excès de capacité de production ;
taux de change • à la compression des salaires mise en place par les entreprises.

Il y a donc à la fois excès d'offre de biens et insuffisance de la demande de


biens. Confrontés à cette situation, les Etats mettent en place des politiques
non coopératives de soutien de la demande, afin d'essayer d'éviter la sous-
utilisation des capacités de production et le chômage.

Ces politiques prennent la forme :

• avant la crise, de politiques monétaires expansionnistes dans les pays


de l'OCDE visant à stimuler la demande intérieure par la stimulation
du crédit. Ceci a conduit à la très forte progression de l'endettement
aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, dans la zone euro hors Allemagne
(graphiques 6a-6b), avec des taux d'intérêt faibles par rapport aux taux de
croissance (graphiques 6c-6d-6e). Depuis la crise, dans les pays de
l'OCDE, la stimulation de la demande est réalisée à partir des déficits
publics (graphique 7) ;

• dans les pays émergents, les gouvernements essaient de corriger la


sous-utilisation des capacités en stimulant les exportations par la
sous-évaluation réelle de leurs devises. Il y a ainsi maintien de cette
sous-évaluation réelle (graphique 8a) grâce à l'accumulation de
réserves de change en dollars dans les pays émergents (graphique 8b),
ce qui permet bien à ces pays de gagner des parts de marché à
l'exportation (graphique 8c).

Graphique 6a Graphique 6b
Crédit bancaire au secteur privé* (GA en %) Dette des m énages + entreprises
Etats-Unis (en % du PIB)
Ro yaume-Uni Etats-Unis
18 18 225 225
Zo ne euro ho rs A llemagne Ro yaume-Uni
16 16
14 14 200 Zo ne euro ho rs Allemagne 200
12 12
175 175
10 10
8 8 150 150
6 6
4 4 125 125
2 2
100 100
0 0
(*) ménages+ent reprises
-2 -2 75 75
-4 Sources : Dat ast ream, NATIXIS
-4 Sources : Dat ast ream, NATIXIS
-6 -6 50 50
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

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Graphique 6c Graphique 6d
Etats-Unis : taux d'intérêt et PIB Royaum e-Uni : taux d'intérêt et PIB
Taux d'intérêt à 10 ans
Taux d'intérêt à 3 mo is 8 8
8 8
7 P IB (valeur, GA en %) 7 6 6
6 6
5 5 4 4
4 4
2 2
3 3
2 2 0 0
1 1 Taux d'intérêt à 10 ans

0 0 -2 Taux d'intérêt à 3 mo is -2
PIB (valeur, GA en %)
-1 -1
-4 -4
-2 -2
Sources : Dat ast ream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, NATIXIS
-3 -3 -6 -6
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Graphique 6e Graphique 7
Zone euro : taux d'intérêt et PIB Déficit public (en % du PIB)
Et at s-Unis (hors opérat ion en capit al, 1/ 3 du TARP)
6 6 Et at s-Unis*
Zone euro
5 5 Royaume-Uni
4 Japon 4
4 4
2 2
3 3
0 0
2 2
-2 -2
1 1
-4 -4
0 0 -6 (*) Besoin de f inancement de l'Et at Fédéral -6
Taux d'intérêt à 10 ans (inclus les opérations de capit al)
-1 -1 -8 -8
Taux d'intérêt à 3 mo is
-2 PIB valeur (GA en %) -2 -10 -10
-3 -3 -12 -12
Sources : Dat ast ream, NATIXIS Sources : Dat ast ream, Prévisions NATIXIS
-4 -4 -14 -14
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11

Graphique 8a Graphique 8b
Coût salarial unitaire* Réserves de change m ondiales (en Mds $)
100 100 8000 300
En M ds $ (G)
90 90 7000 Variatio ns sur 1mo is (D) 200
US + UE à 15 + JP
80 80 6000 100
Chine
70 Ensemble des émergents ho rs Chine 70 5000 0

60 60 4000 -100
(*) Calculé par PIB$ / PIB$PPA
50 50 3000 -200

40 40 2000 -300
Sources : Dat astream, FM I, NATIXIS Sources : Datast ream, FM I, NATIXIS
30 30 1000 -400
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

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Graphique 8c
Exportations en valeur
(en % des exportations m ondiales)
Ensemble des émergents y co mpris Russie et OP EP
Ensemble des émergents ho rs Russie et OP EP
50 50

45 45

40 40

35 35

30 30

25 25
Sources : Dat astream, NATIXIS
20 20
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Nous interprétons donc les politiques de soutien du crédit dans les politiques
de l'OCDE et de sous-évaluation des taux de change dans les pays émergents
comme des politiques non coopératives de réponse à l'excès de capacité
mondial de production et de baisse des salaires par les entreprises, visant à
redresser le taux d'utilisation des capacités du pays au détriment des autres pays.

Ces politiques interagissent pour générer une énorme croissance de la


liquidité mondiale (graphique 9), qui est à l'origine des crises puisqu'elle a fait
apparaître :

• des bulles (actions, graphique 10a, immobilier, graphique 10b) qui ont
ensuite explosé ;
• l'excès d'endettement (graphique 6b) qui a déclenché en 2007-2008 la
dernière crise en commençant à se corriger.

Graphique 9
Base m onétaire m ondiale (*)
Base mo nétaire (en M ds de $ )
GA en % (en $ )
12000 40
GA en % (en mo nnaie natio nale)

10000 (*) Et ats-Unis, Canada, UE à 15, Japon, Chine,


30
Inde, aut res pays d'Asie, PECO, Amérique lat ine
y compris M exique
8000 20

6000 10

4000 0
Sources : Banques cent rales, calcul NATIXIS
2000 -10
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

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Graphique 10a Graphique 10b
Indices boursiers (100 en 1998:1) Prix de l'im m obilier (100 en 1998:1)
220 220 Etats-Unis
Ro yaume-Uni
S&P
300 Zo ne euro ho rs A llemagne
300
200 200
Euro sto xx
180 180
FTSE 250 250
160 160

140 140
200 200
120 120

100 100 150 150


80 80
Sources : Dat astream, NATIXIS Sources : Dat astream, NATIXIS
60 60 100 100
98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10

Synthèse : la lecture On peut donc bien faire de la crise récente une lecture marxiste convaincante,
marxiste de la crise est selon le schéma ci-dessous.
bien la bonne
Schéma
Lecture marxiste de la crise

"Euphorie" des Suraccumulation


entreprises de capital

Risque de baisse
tendancielle du taux
de profit

Crédit et
développement des
activités spéculatives
Compression Tentatives pour
des salaires exporter
Concentration
du capital

Crises Sous-consommation
financières Rentes

"L'euphorie" des entrepreneurs (surtout des pays émergents) conduit à la


suraccumulation de capital ; celle-ci entraînerait la baisse tendancielle du taux
de profit si les entreprises ne réagissent pas en comprimant les salaires et en
essayant d'obtenir des rentes, d'où la situation de sous-consommation. Par
ailleurs, les agents économiques s'engagent dans des activités spéculatives
poussées par le crédit, qui sont des palliatifs à l'insuffisance de la production et
qui débouchent sur des crises.

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