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Effets de rtroaction smantique
Benot DE CORNULIER
I. Quel est tell
Dans la fable XI : 3 de Jean de La Fontaine, un Renard,
entr dans un poulailler, "remplit de meurtres la cit" :
Tel, et d'un spectacle pareil,
Apollon irrit contre le fier Atride
Joncha son camp de morts : on vid presque dtruit
L'ost des Grecs, et ce fut l'ouvrage d'une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax, l'me impatiente,
De moutons et de boucs fit un vaste dbris,
Croyant tuer en eux son concurrent U lisse,
Et les autheurs de l'injustice
Par qui l'autre emporta le prix.
Le Renard autre Ajax aux volailles funeste
Emporte ce qu'il peut, laisse tendu le reste . . .
Qui est compar qui ? Le sujet de la comparaison est-il
le Renard, dont on dcrit le carnage en le comparant
celui d'Apollon et d'Ajax ? Ou bien est-ce Apollon et
Ajax, dont on exprime le caractre redoutable en les
comparant au Renard ? L'ensemble de la fable et son
titre, "Le Fermier, le Chien et le Renard" ne laissent
aucun doute : c'est du Renard qu'il s'agit, et il est comp
ar des personnages de l'Iliade qui sont des modles
traditionnels de la puissance. Mais si, au lieu de se fier
l'impression et T'intuition" on jugeait par le vocabul
aire,on pourrait pencher dans l'autre sens : il est vrai
que qualifier la fin le Renard d'"autre Ajax" (nouvel
Ajax), c'est comparer le Renard, en prenant Ajax pour
modle; mais, dans les phrases mmes qui forment la
comparaison, les deux occurrences du mot tel et le
mot pareil inversent le sens de la comparaison : Ajax et
Apollon, dits "tels" que le Renard, lui sont littralement
compars; de mme c'est le spectacle offert par Apollon
qui, dit "pareil" celui du Renard, est littralement rap
port ce dernier. Sans renier l'impression gnrale,
essayons de prendre ces mots au srieux. Le point de vue
littral peut avoir sa pertinence propre, localement; le
terme de rfrence, Apollon ou Ajax, promu par le mot
tel ou pareil littralement sujet de la comparaison,
devient, le temps d'une phrase ou deux, le centre de
l'attention : La Fontaine nous sert un petit morceau
d'Iliade; peut-tre qu'en retour le Renard y gagne (qui
sait ?) l'honneur de servir, un instant, de modle des
personnages homriques.
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