1. Agricola déclara avec quelque émotion : « Mais, Seigneur et Maître, Tu es pourtant
infiniment sage et rempli d'une volonté toute-puissante : Tu as sous Tes ordres d'innombrables légions d'anges très puissants, à l'instar de Raphaël : nous-mêmes, Romains, nous sommes prêts, pour le triomphe de la bonne cause, à partir en guerre au sens de ce monde contre la puissance de tous les diables, et nous n'avons au cœur et à la bouche que cette devise : "Plutôt voir la terre réduite en cendres que de laisser détruire une seule parcelle de la vérité et de la justice que nous enseigne Ta doctrine." 2. Mais, à Toi seul, Ta toute-puissance est telle que Tu n'as pas besoin de l'aide de Tes anges innombrables, et encore bien moins de nos armées romaines : il T'est donc bien facile de mettre un terme définitif aux sinistres agissements du prince des ténèbres et du mensonge, qui œuvre en secret contre Toi ! Que faisons-nous, nous, les hommes, lorsqu'un criminel est inamendable ? Soit nous l'enfermons, comme on dit, à perpétuité, soit nous lui appliquons en toute justice la peine de mort ! Car lorsqu'un homme est devenu un diable accompli, il vaut mille fois mieux le faire quitter ce monde que de le laisser vivre pour le plus grand malheur des gens de bien. Fais de même, Seigneur et Maître, avec le prince du mensonge et des ténèbres de la vie, et la paix, l'ordre, la vérité, l'amour et la justice régneront sur terre parmi les hommes ! » 3. Je dis : « Il t'est facile de parler ainsi, parce que tu ne comprends pas encore ce que c'est vraiment que l'enfer et que le prince du mensonge et des ténèbres! 4. Tu as raison de dire que J'ai certainement assez de puissance pour détruire l'enfer avec son prince et tous ses diables : mais si Je le faisais, il n'y aurait plus de terre sous tes pieds, et il n'y aurait plus ni soleil, ni lune, ni étoiles ! Car toute la Création matérielle est un jugement permanent conforme à l'ordonnance immuable de Ma volonté et de Ma sagesse. Ce jugement est nécessaire pour que les âmes humaines puissent, sur sa base solide, conquérir la liberté et la parfaite autonomie de la vie éternelle indestructible. 5. Si, suivant ton conseil, Je dissolvais toute la Création matérielle, Je devrais en même temps détruire le corps de chaque homme, quand ce corps est l'outil indispensable de l'âme, car, selon Ma sagesse suprême, lui seul permet à l'âme de conquérir et de gagner la vie éternelle. 6. Mais, même si le corps est indispensable à l'âme pour atteindre la vie éternelle, il n'en est pas moins pour elle le plus grand des maux : car, lorsqu'elle se laisse ensorceler par les nécessaires attraits de sa chair, qu'elle leur cède et s'y plonge tout entière, elle se soumet ainsi au jugement de son propre prince du mensonge et des ténèbres, et il sera bien difficile de l'en délivrer. 7. Or, vois-tu, ce que ton corps est à ton âme, cette terre l'est pour tout le genre humain ! Qui se laisse éblouir et captiver par l'éclat de ses richesses se soumet délibérément à son jugement et à la mort de ce jugement par la matière, dont il lui sera encore plus difficile de se libérer. 8. Or, les hommes savent de mieux en mieux arracher à la terre de splendides richesses afin de procurer à leur chair autant de bien-être, de confort et de plaisir que possible, et c'est précisément en cela que l'activité du prince de l'enfer s'est grandement accrue, activité qui est elle-même le jugement éternel et donc la mort de la matière, et avec elle des âmes qui, pour les raisons que Je viens de dire, se sont laissé captiver par elle. 9. Quelle toute-puissance, quelle sagesse peuvent lutter contre ce jugement et le vaincre pour l'éternité ? Je vous le dis à tous : il n'y a que la vérité que Je vous ai enseignée, et la force du plus grand renoncement à soi-même et de la vraie humilité du cœur ! 10. Si tu ne veux rien d'autre que ce que tu as reconnu comme vrai, si tu t'y conformes en toute vérité au lieu de feindre, comme font les gens du Temple et aussi beaucoup de païens, pour des raisons mondaines, alors, tu as vaincu en toi l'enfer tout entier et son prince. Les mauvais esprits présents dans toute matière ne pourront plus rien contre toi, et, quand bien même ils viendraient en nombre infini de tout le grand homme de la Création pour t'affronter, ils devraient fuir devant toi comme la balle de blé et le sable du désert devant une violente tempête. 11. Mais si les richesses terrestres te captivent au point que, pour mieux les posséder, tu sois capable de nier la vérité même que tu as reconnue, tu es déjà vaincu dans ton âme par la puissance de l'enfer et de son prince, qui a nom mensonge, ténèbres, jugement, perdition et mort. 12. Vois nos sept Égyptiens : ils connaissent toutes les grandes richesses cachées de la terre et pourraient les exploiter en masse : mais ils les méprisent et préfèrent une vie parfaitement simple, ne recherchant que les richesses spirituelles, et c'est pourquoi ils ont gardé intactes les qualités authentiques des premiers hommes, qui font d'eux des maîtres qui commandent à toute la nature, ce qui ne serait certes pas le cas s'ils s'étaient jamais laissé captiver par les attraits de la nature. 13. Si un maître de maison veut garder sa maison en bon ordre, il ne doit pas devenir familier avec sa domesticité ni s'accommoder de toutes ses faiblesses. Car, s'il le faisait, il serait bientôt prisonnier d'une domesticité impertinente, et lorsqu'il voudrait dire à l'un ou à l'autre : "Fais ceci ou cela", ces serviteurs sur qui il n'aurait plus d'autorité lui obéiraient-ils ? Oh, que non, ils se moqueraient de lui ! 14. Il en irait de même pour un général qui se mettrait aux ordres de soldats qui lui doivent leur force et leur courage. Que l'ennemi menace et qu'il commande alors à ses soldats d'attaquer et de vaincre, les soldats obéiraient-ils à ce général affaibli ? Oh non, ils regimberaient et diraient : "Comment peux-tu nous commander, si tu es faible ? Tu n'as pas eu le courage ni la volonté de nous entraîner sérieusement au maniement des armes et t'es contenté de folâtrer avec nous comme un compagnon de jeux ! Comment nous mènerais-tu à l'ennemi ? Tu ne nous as jamais commandés ! Comment deviendrais-tu tout à coup notre maître, quand nous avons été les tiens si longtemps ? 15. Et il en va ainsi de tout homme que ses parents et ses maîtres n'ont pas exhorté depuis son plus jeune âge à faire abnégation de lui-même dans toutes les passions charnelles, de peur qu'elles ne deviennent maîtresses de son âme ! Car une fois que les passions auront pris l'avantage sur l'âme, il sera bien difficile à celle-ci, devenue faible et sans volonté, de maîtriser tous les désirs et les convoitises de sa chair. 16. Mais lorsqu'une âme est, dès sa jeunesse, guidée par les vérités d'une raison lucide et exercée à maîtriser toujours mieux sa chair et à ne lui autoriser que ce qui lui est naturellement dû selon Mon ordonnance, de toute évidence, cette âme sera indifférente au monde avec ses richesses et ses attraits charnels, et cette âme spirituelle et forte sera maîtresse non seulement des passions de son corps, mais aussi de toute la nature terrestre, donc de l'enfer et de son prince du mensonge et des ténèbres. 17. Vous savez à présent ce qu'est réellement l'enfer, ce qu'est le prince du mensonge et des ténèbres et comment il faut le combattre pour en triompher à coup sûr. Faites-le, et vous aurez bientôt détruit son empire sur terre et serez, vous, les hommes, maîtres de toute la terre, de sa nature et de la vôtre. »