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ACADEMIE DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES DE LA REPUBLIQUE SOCIALISTE DE ROUMANIE | Revue ROUMAINE D'HISTOIRE TIRAGE A PART | TOME XV 1976 N° 4 EDITURA ACADEMIE! REPUBLICII! SOCIALISTE ROMANIA. ne \: CONSIDERATIONS SUR LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS AU XVII° SIECLE par TAHSIN GEMIL ¢ 3 existence ininterrompue des pays roumains comme Etats, Ja suzeraineté et ensuite la domination que la Porte a exereée sur ceux-ci ont représenté, avant tout, des modalités spéciales de manifestation de relations bilatérales. Bien que se trouvant sous Vincidence dune série de facteurs, ’établissement et l’évolution de ces rapports furent, en derniére analyse, déterminés, d’une part, par les mobiles et Ia force de la pression ottomane et par les lignes politiques directrices et lefficience de la _résis- tance des pays roumains, de Pautre. Un jugement réaliste sur le phéno- méne ottoman dans Vhistoire de la Roumanie suppose done, non seule- ment la mise en relief des effets et des réactions qu'il a engendrés — c’est ce qu’ont fait la majorité des ouvrages qui se sont penchés sur ce pro- bléme — mais en méme temps la recherche de ses ressorts intimes, par la prise en considération des éléments caractéristiques de Vhistoire ottomane, dans son ensemble et par étapes. Une série @ouvrages, parus surtout ces derniers temps, ont en effet: rgi aire dinvestigation des rapports roumano-ottomans dans ce sens eures a également, mais ils se sont occupés principalement des étapes antéri et postérieures au XVII sidele, Dans Vhistoire de la Roumanie, le XVII® siéele a représenté une période d’effervescence incessante, due 4 la recherche, souvent couronnée de suceds, des voies tendant 4 affirmation de ses propres intéré réts fonda- mentaux. Dans le contexte international de plus en plus compliqué de ce siécle, les pays roumains ont joué un réle important, mais qui ne saurait étre jugé A sa juste valeur sans la connaissance préalable de leur statat extérieur de cette époque. Dans les rapports roumano-ottomans du X VIF sigcle, des éléments se sont développés, lesquels, en association ou en dissociation complexe, ont préparé et ensuite ont produit Vimportante modification du contenu de ces rapports, qui a abouti A ce qui a été appelé «1’époque phanariote ». Les études — relativement peu nombreuses — entreprises dans ce sens ont @ juste titre fait ressortir Pimportance des changements inter- venus dans la situation intérieure des pays roumains, dans leur attitude extérieure et dans la situation internationale au cours du XVII* siécle +, 1 Voir plus récemment Florin Gonstantiniu, De la Mihai Vileazul la Fanariofi: obser- vafit asupra politicié exlerne romanesit [De Michel le Brave aux Phanariotes : observations sur Ja politique étrangére roumaine], dans +Studii si materiale de storie medie « [Etudes et maté- riaux d'histoire du Moyen Age}, VII (1975), p. 101—135. Rev. Roum. d'Hist., XV, 4, p. 653667, Bucarest, 1976 654 TAHSIN GEMIL 2 Mais on n’a pas prété Pattention qui simposait aux transformations sur- venues, dans la méme période, dans Vintimité du phénoméne ottoman. En partant de cette constatation , nous nous proposons demettre en évidence les éléments essentiels de la conception ottomane et les inté- réts pratiques de la politique de la Porte concernant le statut extérieur des pays roumains au XVIT® siéele, compte tenu en premier lieu de ’évo- Tution de la crise générale ottomane, commencée vers la fin du sidele précédent. Notre étude ne concerne qwun eété de ce _probléme si complexe. Sans doute, son élucidation complate est en fonction dela prise en_considé- ration, dans de justes proportions, de tous les facteurs qui ont concourua Ja formation des traits spécifiques de lévolution des rapports roumano- ottomans au XVII* siécle. * Les pays roumains n'ont accepté Ia suzeraineté étrangére — polo- naise, hongroise, turque ou autre —qu’en tant que modalité extréme de défense, dirigée non seulement contre une autre tendance expansionniste, mais avant tout contre la puissance méme a laquelle on rendait Vhommage de vassalité, ct Pacceptation concomitante de deux suzerainetés (y com- pris au XVIT° sivcle) était destinée a atténuer et méme a en annihiler le contenu, Pune par Vautre. Leur condition de petits Etats, entourés en permanence de grandes puissances expansionnistes, leur a imposé comme line nécessité vitale de veiller en premier lieu au maintien de l'équilibre des forces entre ces puissances, En associant ce principe fondamental de leur politique étrangére & utilisation de leurs propres forces de résistance, les pays roumains ont réussi A maintenir sans interruption leur existence @Etat, fait qui peut vraiment étre considéré comme un phénomene exceptionnel dans toute Phistoire de l'Est européen. Linstauration effective de la domination ottomane dans les pays roumains dans la premigre moitié du XVT° siécle, sous le régne de Soliman Je Magnifique, a constitué une composante de la politique mondiale menée par ce sultan et une conséquence de la détérioration temporaire de la balance de I'équilibre des forces entre 'Burope chrétienne et l’Empire ottoman, en faveur de ce dernier. Le principe du maintien du statut d’autonomie des pays rowmains — en tant que trait distinetif du régime de 1a domination ottomane sur ¢ pays — a représenté Pélément de convergence de toute P'évolution des rapports roumano-ottomans dans la seconde moitié du XVI* siécle tout on constituant une base pour Paffirmation des aspirations permanentes des pays roumains & la reconquéte de Vindépendance. Une partie des facteurs qui ont concouru a ’établissement et a la validité historique de ce principe, ont été mis en évidence dans notre historiographie ® sans que Celle-ci ait, pour autant, réalisé une hiérarchie entre eux, en fonction de Vévolution de la situation intérieure et extérieure des pays roumains et de T'Empire ottoman. 2 Voir P. P. Panaitescu, De ce n-au eucerit turcti farile romane, [Pourquoi les Tures mont pas conquis les pays roumains], dans « Interpretiri romanesti + [Interprétations rou maines], 1947, p. 149-159. 3 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVI8 5.) 655 Sans doute, le facteur principal qui a imposé a la Porte la reconnais- sance et le respect du principe de Pautonomie intérieure des pays roumains a été la capacité de résistance roumaine de produire de graves complica. tions a la politique et aux positions ottomanes en Europe. Nous devons également relever le fait que la considérable importance économique pour la Porte de la Valachie et de la Moldavie dans la seconde moitié du XVI* siecle, ainsi que la grande valeur politique-militaire de la 'Transylvanie pour les intéréts ottomans en Europe, ont déterminé la Porte A se montrer intéressée & Texistence de lautonomie intérieure des pays roumains 3, Toutefois, cette autonomie, canalisée dans le pouvoir princier, a &é relative, surtout en ce qui concerne la Valachie et la Moldavie. Le prince était considéré par la Porte comme un intermédiaire entre Pautorité supréme du sultan et la masse de ses sujets de la « province » (vilayet) respective. La population des pays roumains étant -considérée par les Tures comme kharadj giiedr ra’iyyet (sujette payant Pimpét) du sultan, celui-ci avait, de son cété, Vobligation de la protéger contre les attaques extérieures et oppression intérieure. Si la fonction extérieure était assumnée, en grande partie, par la Porte et les forces turques les plus proches, le fonction intérieure revenait au prince, en tant que devoir primordial en. vers Te sultan; son inobservation constituait le chet daccusation le plus important pour la déchéance et méme pour la punition du prince *, Cette regle dérivait du viewx principe asintique-musulman, en vertu duquel Vobligation essentielle de "Etat musulman consistait dans la protection du contribuable, fondement de l’éditice entier de son pouvoir ®. Autrement dit, les prérogatives du pouvoir central appartenaient de jure au sultan, conformément & la conception turque qui considérait que les terres et lee habitants des pays roumains se trouvaient sous la domination formelle de celui-ci ; les princes exergaient leur fonction au nom et sur la base de Vautorité supréme du sultan 8, Bien qu’avee le déclenchement de la crise générale ottomane, vers la fin du XVI¢ siéele, le principe de la «protection du contribuable » fat devenu purement formel, méme dans les territoires se trouvant sous Vad, ministration directe de la Porte, il n’en a pas moins continué a étre invo. Gué par les Tures, comme obligation essentielle, dans les diplomes d'inves. titure (berat) accordés aux princes de Valachie et de Moldavie ainsi que dans les lettres d’allégeance (ahd-name) délivrées aux princes de Transyl. vanie ? ateuliya Celebi Seyahaindmesi [Livre de voyages d’Evliya Celebi] 1, éd. Zuhurt Daniy- man, Istanbul, 1970, p. 187: les voivodes de Valachie et de Moldavie étaent subordonnés dy point de vue militaire au pacha de Silistrie, dont 1a mission principale était de veiller sur eu le prince de Transylvanie dépendait directement du beylerehey de Bude. 4 Dans la lettre adressée & Vempereur habsbourgeois, par laquelle le sultan demandait Yextradition de Bogdan Lapusneanu, ce dernier était aceusé de s'étre rendu coupable, durant son regne en Moldavie, de ‘oppression des sujets »(Ahmed Feridun, Munsa'at es-selattin [Letives des sultans}, 11, Istanbul, 1265/1849, p. 446—447. octal, Ialeik, Adaletnameter [Les codes législatifs], dans «TUrk Tarih Belgeleri Dergisi», {1 (1965), n° 3—4, 'p. 49-50. “Dans le protocole ture, le rang des volvodes roumains équivalait & celui du pacha de Morée (voir Eoliya Celebi Seyahatndmesi, éd. cit., XI, p. 162-103), * Archives de VEtat de Bucarest, Photo ‘doc. XIII/18; Ahmed Feridun, op. cil., 351-353, 356-361, 398-399, 461-462. 8 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVIE 5) 655 Sans doute, le facteur principal qui a imposé a la Porte la reconnais- sance et Ie respect du principe de 'autonomie intérieure des pays roumains a été la capacité de résistance roumaine de produire de graves complica. tions & la politique et aux positions ottomanes en Europe. Nous devons également relever le fait que la considérable importance économique pour la Porte de la Valachie et de la Moldavie dans la seconde moitié du XVI* si¢cle, ainsi que Ix grande valeur politique-militaire de la Transylvanie pour les intéréts ottomans en Europe, ont déterminé la Porte & se montrer intéressée A existence de Tautonomie intérieure des pays roumains®. Toutefois, cette autonomie, canalisée dans le pouvoir princier, a &t6 relative, surtout en ce qui concerne la Valachie et la Moldavie. Le prince était considéré par la Porte comme un intermédiaire entre Pautorité supréme du sultan et la masse de ses sujets de la «province » (vilayet) respective. La population des pays roumains étant considérée par’ les Tures comme kharadj gizdr raiyyet (sujette payant Vimpot) du sultan, celui-ei avait, de son edté, obligation de la protéger contre les attaques extérieures et oppression intérieure. Sila fonction extérieure était assumnée, en grande partie, par la Porte et les forces turques les plus proches, la fonction intérieure revenait au prince, en tant que devoir primordial en. vers le sultan ; son inobservation constituait le chef accusation le plus important pour la déchéance et méme pour la punition du prince 4, Cette reale dérivait du_vieux principe asiatique-musulman, en vertu duquel Vobligation essentielle de Etat musulman consistait dans la protection du contribuable, fondement de lédifice entier de son pouvoir 5, Autrement dit, les prérogatives du pouvoir central appartenaient de jure au sultan, conformément dla conception turque qui considérait que ies terres et leg habitants des pays roumains se trouvaient sous la domination formelle de celui-ci; les princes exercaient leur fonction au nom et sur la base de Pautorité supréme du sulian Bien qu’avee le déclenchement de la crise générale ottomane, vers la fin du XVIé sidele, le principe de la «protection du contribuable > fat devenu purement formel, méme dans les territoires se trouvant sous ad. ministration directe de la Porte, il n’en a pas moins continué aétre invo. qué par les Tures, comme obligation essentielle, dans les diplémes d'inves. titure (berat) accordés aux princes de Valachie et de Moldavie ainsi que dans les lettres d’allégeance (ahd-name) délivrées aux princes de Transyl. vanie 7. 2 Evliva Celebi Seyahaindmesi (Livre de voyages d’Evliya Celebi) I, éd. Zuhurt Danis man, Istanbul, 1970, p. 187: les volvodes de Valachie et de Moldavie étaient subordonnés da point de vue militaire au pacha de Silistrie, dont 1a mission prineipale était de veiller sur eux: le prince de Transylvanie dépendait directement du beylerebey de Bude. 4 Dans la lettre adressée & Vempereur habshourgeois, par laquelle Te sultan demandait Vextradition de Bogdan Lapusneanu, ce dernier était aecusé de s’étre rendu coupable, duseat son régne en Moldavie, de «’oppression des sujets «(Ahmed Feridun, Miinsa’at es-selailin [Lettres des sultans}, I, Istanbul, 1265/1849, p. 446—447. esttalll, Malelk, Adaletnameler [Les codes législatits], dans «Tark Tarih Belgeleri Dergisi +, 1 (1965), n° 3~4, 'p. 49—50. * Dans le protocole ture, le rang des voivodes roumains équivalait a celui du pacha de Morée (voir Boliya Celebi Seyahatndmesi, éd. cit., XI, p. 162-163), 7 Archives de VEtat de Buearest, Photo doc. XIIT/18; Ahmed Feridun, op. cit. p- 351-353, 356-361, 398-309, 461462. 6536 (TAHSIN GEMIL a Porte eréa un veritable systéme de fn vertu du méme principe, } contriie ot de pression sur les pays roumains instaurés & Tint ieur méme du pays, par Pencouragement des réclamations réciproay des boyards et du prince ®. La connivence des grands boyards et de ta Porte dans Vaffai- oo rnet de Pautorité centrale du prince a conféré une grande efficience A ce systéme qui avait pour effet le yenforcement de la domination otto- du sultan dans des a ete Tintervention de cette maniére de Pautorité questions qui relevaient exclusivement de ta compétence intérieure des Grats rounains, dénote le caracttre relatit de leur autonomie dans la conception turque. Par ailleurs, le principe de Ja « protection du contribuable » a égale- ment wervi de moyen de défense de V'autonomie intérieure et de limita- Tien des tendances aggravation de la domination ottomane. Les princes tiles boyards, s'érigeant en représentants des ¢ sujets du sultan», ont téussi a imposer & la Porte — et pas rarement — leurs désirs, bien entendu si les conditions leur étaient favorables. qortitaintes de la Porte de voir des troubles éclater dans les pays roumaing, de nature & sérieusement porter atteinte aux intéréts économi- ques ct politiques qwils avaient dans ees pays, ont constitué le principal sie ie de Pinstitution du contrile ottoman par le systéme des réclamations®. Mais, at-deld de son double réle, Pétablissement de cette pratique aus dans les pays Toumains, courante, & Vintérieur des frontiéres de l’Etat sas am, a ignifié Pinstanration sur ecux-ci de Pautorité w me dit sultan, ot a représenté une intégration des pays roumains dans le systéme ottoman de gouvernement autocratique. Les actes (investiture des voivodes et des princes des pays route au XVITe sidele étaient congus—de méme que ceux de la période antéricure UX Vine des résnitats de la bienveillanee du sultan et étaient des- finde d constituer le fondement juridique de leur autorité, Maks @habitude ines ous nommé était préeédé ou accompagné dane lettre impériale (name-i hiimayiin) adressée aux féodaux du pays, dans laquelle étaient répétées les conditions de Vacte Winvestiture et on demandait la preuve Ye la fidélité au sultan, «en union » avee le nouveau. prince. L’émission ‘un pareil document, était imposée a la Porte par la prise om Cat dération fu réle joué par les féodaux autochtones dans le gouveriem t des pays an maine et par Ie fait que dans Vexercice de Pautorité du nouvel investi sou nveillance » du sultan n’était pas suffisante, mais qu'il fallait aussi {a « bictment de ceux qui ne tenaient nullement & renoncer 2 leur droit: fraditionnel délire eux-mémes le prince. En méme temps, par ©o8 © lettres impériales », attribuant aux grands féodaux des pays roumains le partage dela responsabilité officielle pour le comportement du princes la Porte leur sontérait le poids dun facteur de contre-balancement du pouvoir de celui-ci. Les berats, les ahd-name et les name-i hiimayiin ont en effet régle- menté le cadre juridique de fonetionnement des rapports entre les pays + Halt Inalety, Bogldan, dans «The Encyclopaedia of Islam », 1, Leiden 12% Ir 1258 Fall ea ie ee cignificait 1e fait qu’en 1672, done a un moment ol la Porte Sat, preuve dune grande vigueur, Gheorghe Duca a été destitue du trope o ‘Moldavie par le sultan, area aeige delamations intérieures (Voir Toan Neculee, Letopiseful Farit Moleavet [Chronique au Pays de Moldavie], 6d. Torgu lordan, Ed. Minerva, Bucuresti, 1975, P- 41-42), 5 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVII, 5) 657 roumains et la Porte ottomane , Une clause générale de ces documents n prévoyait obligation des pays roumains d’étre «ami des canis et Pennemi Prey Oya is» du sultan. Cette formule, propre aux traités de paix et Palli- ance des Etats du Moyen Age, établissait le caractére spécial des rapports ance des ‘attomans, Toutefois’ son sens était différent — dans l’acception Tnrque dans le cas des pays roumains, par rapport & celui quill avait tarde Cydations de la Porte avec d'autres Btats eb était également nuancé quant 4 la ‘Transylvanie. C’est ainsi que dans les ald-naine aves la Pologne di Autriche une parcille formule avait la signification de la neutralisation Se ces Kiats, tandis que pour le khanat de Crimée elle consacrait alliance politique et militaire. Pour ce qui est de la Valachie et de la Moldavie, cette Pause. (si elle a vraiment existé dans tont le courant du XVIT" sidcle), cee id iait quielle a représenté le maintien d’un élément essentiel, spé- Cifique de la période initiale des relations roumano-turques, elle a synthé- {icin somme des obligations politiques eb militaires des pays roumains, torionnées a la politique turque en Europe. Dans les actes concernant ja Tranaylvanie, contenant aussi un article spécinl qui interdisait Foctroi Gy deoit dasile’« aux voivodes rebelles de Valachie et de Moldavie », on ae gnnaissait implicitement Vexistence d'un rapport favorable 2 celle of tn comparaison des autres Etats roumains dans le eadre du régime de domination turque. Dans cette formule «Vami des amis et ’ennemi des ennemis », ré- sidait le fondement forme du maintien de certains éléments de la fonction SiMarieure des Etats roumains. Bien que cet aspect de leur régime d’auto- crime fat accepté par la Porte dans le but spécial de servir les intéréts politiques de Empire ottoman en Hurope, les pays roumains Put Pecnt comme un moyen particuligrement important pour la réalisation aeccurs intéréts majeurs. Au XVII° sidele lorsque — du fait de Vévolu- tion de la crise générale ottomane et des lignes directrices de la politique fetta porte le role des pays roumains sur le plan international a acquis une importance accrue pour la Porte, ils ont réussi & se eréer de véritables systémes propres de relations extérieures. Le principe de Pautonomie intérieure des pays roumains était toute- Yois garanti, en substance, par interdiction — formulée dans ees actes et tonfemée par des ordres spéciaux — de toute intervention et oppression Coens fonctionnaires ottomans et des sujets directs du sultan dans les pays roumains et concernant leurs habitants ;.il était anssi renforeé dans Te sens que les actions contraires & ces dispositions du sultan fussent por- Hee a a tonnaissance par les voivodes ou les princes, les eoupables devant tecevoir leur punition, Autrement dit, les pays roumains n’avaient pas la v-yois Ton Mately, Quelgass 7probtaines concernant 16 réptzie daize, daniliey ibs GHeuee dans ter Page Roumains, dans sRevue des Etudes Sud-Est européennes *, (1972), n° 1, p. 73. Pays Rowe riginaux des votvodes de Moldavie et de Valachie du XVII" sitste ne sues pas encore connus. En revanche, certains des eahdnamels »£* des sberats » concernant les princes Pas errr conte ont. te conserves (Volr Archives de \"Btat de Bucarest, Phot, doc. XIU {18 ace; Franz Babinger, Zivei Schulzbriefe fr Georg 11 Rakécry oot Siebenbilrgen aus dem Jahre Beene cLe Monde Oriental s, Upsala, 1920, p. 115— 151) et whe bone partie nous: ont été transmis en copies (Ahmed Feridun, op. cit.» P. 8, 378-379), parmi lesquels se trouve: Ste traneirat v a'Alexandra Tiiag, votvode de Motdavie en 1620 (10idem, 398-399). OE eoooOoerl,loeeeeeoooeeeeee 658 TAHSIN GEMIL 6 liberté formelle de riposter par leurs propres moyens & de telles violations de leur statut politico-juridique. En tait, cet engagement du sultan repré- sentait la contrepartie de Pobligation des voivodes ou princes d’assurer la sécurité des marchands et d’autres sujets ottomans se trouvant temporai- rement dans les pays roumains; ils devaient aussi prendre sous leur pro- fection persounelle les biens des sujets ottomans qui mouraient dans les territoires roumains De méme que la formule «lami des amis et Pennemi des ennemis », cette demiére stipulation était presque identique aux stipulations figurant, das le XVI° sidcle, dans les traités de paix turco-polonais ?*, Mais, dans le cas des pays roumains, dans les conditions de la domination ottomane du XVIT* sidele, ces obligations étaient congues par la Porte comme une re- inise aux voivodes ct aux princes de Pexercice de Vautorité d’Btat de la Porte. Bien qu’en théorie, dans la conception de la Porte, le statut juridique des pays roumains au XVII* siécle fat, en substance, assimilé a celui des provinces ottomanes privilégiées, en fait, les pays roumains n’avaient pas perdu leur entité étatique, méme si leurs fonetions dans ce sens avaient bte Himitées (particuliérement sur le plan extérieur), sans avoir été pour autant, annibilées. En méme temps, on constate le fait qu’au XVIT* sidele, ia base juridique du régime de la domination ottomane n’a pas subi de modifications essentielles et demeurait dans le cadre formel établi au milion du XVIE sidcle. C'est pourquoi le principe des «relations contrac- tuelles », sur la base duquel les pays roumains avaient accepté ln dépen- dance envers la Porte ottomane, a conservé toute sa validité dans la con- ception rovmaine du XVII* sigele. C’est sur ce fondement formel que furent hasées, dans cette période, les réactions catégoriques des pays roumsins aux phénomenes de violation des limites établies, an miliew du XVI* sidele, a leur statut extérieur, La réalité historique du XVIT* siéele a cependant imprimé au régime de domination ottomane dans les pays roumains des caractéres spécifiques, souvent méme contraires A sa base théorique. ‘Les traits marquants, de P’évolution des relations roumano turques au XVIIé sivele ont regu le sceau, d’tme part, du développement de la crise générale ottomane et des lignes directrices de la politique de la Porte, et Wautre part, de la puissante force de résistance des pays roumains au temps de Michel le Brave. La lutte des pays roumains sous le régne de Michel le Brave et la manifestation pressante des tendances expansionnistes vers le Danube et les Carpates de la Pologne et del’Autriche, dans les conditions eréées par Vaggravation de la crise ottomane et les difficultés auxquelles avait & 12 fan ce qui concerne le probléme du régime juridique des sujets ottomans dans les pays roumains, voir Stefan Steldneseu, Tara Romdneascd de ta Basarad I .,Inlemeietorul” pind ta Wuhat Vilewsul [La Valachie de Basarab le Fondateur » jusqu’A Michel le Brave], Editura raetnich, 1970, p. 117-1243 Mustafa A. Mehmed, Despre dreplul de proprietate al supusilor a eesenr in Moldova gi Fara Romdneasea [Sur le droit de propriété des sujets ottomans en ean cet en Vatachie], dans « Cereetiri istorice + [Recherches historiques], nouvelle série, Sassy, 1972, p. 05—81 18 Voie Tahsin Gemil, La Moldavie dans les iraités de patx olfomano-potonais du XVII° sidele (1621-1672), dans «Revue Roumaine d'Histoire +, X11 (1973), n° 4, p. 687—7H4. 1 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVLE 5.) 659 faire face la Porte du fait de la guerre avec Iran, ont obligé les gouver- nants ottomans de réconsidérer leur attitude envers les pays roumains. La Transylvanie, la Valachie et la Moldavie acquirent: maintenant pour la Porte la valeur primordiale a? « Etats tampon », exigée par la sécurité de ses frontigres danubiennes. En fait, au début du XVIT* sidcle, la Porte a été pratiquement inca- pable de maintenir son contréle total sur Vinstitution du pouvoir princier dans les pays roumains, en tant qu’élément essentiel de Pexercice de son autorité; elle s’est vue maintenant foreée de tolérer ou de reconnaitre les voivodes et les princes imposés par les forces intérieures ou extérieures, au mépris de la volonté ottomane. Inquidte de la perspective de son éli- mination du nord du Danube, la Porte a di faire quelques concessions importantes, contraires aux principes mémes établis pour sa domination dans les pays roumains. C’est ainsi que s’explique le hatt-ichérif accordé 4 Michel le Brave ¥, et Ja stipulation expresse du traité tureo-polonais du 4 aoiit 1598, attribuant a Teremia Movil le trone héréditaire de la Moldavie, 4 la seule condition du paiement du tribut ®, Les circonstances continuant A s’aggraver pour Empire ottoman, a la mort de Teremia Movili, son fils recut, en effet, le trone de Moldavie, tandis que Simion Movili fut lui aussi, un peu plus tard, nommé sur le tréne, en vertu de la clause susmen- tionnée et dla demande des boyards ™. Dans le méme sens s‘inscrit Paccep- tation par la Porte du fait accompli de instauration sur le tréne de Jassy d’Alexandru Movil par les armées polonaises en 1615. Dans les deux premieres décennies du XVILIé sidcle la dépendance des pays roumains envers la Porte fut plutot formelle ; les voivodes de cette période jouirent effectivement d’une grande liberté d'action sur le plan extérieut, dans le sens de Vaifirmation d'une politique propre, quasi-indé- pendante et souvent contraire aux intéréts ottomans. Méme les voivodes investis par lautorité du sultan, comme Stefan Tomga et Radu Mihnea, ont procédé de cette maniére; la politique de Pépoque de la Porte consis- tant A éviter un nouveau conflit en Europe et son impuissance d’exécuter son obligation de protéger les pays roumains sur le plan extérieur, ont foreé ces voivodes A organiser & eux seuls la défense des frontires et de leurs trnes, aussi bien par des préparatifs armés que par la mise sur pied @un propre systéme de relations extérieures. Cependant, la complication de la situation en Hurope, a la suite du Aéclenchement de la guerre de 30 ans et Vaffaiblissement de offensive polonaise vers le Danube, aprés 1620—1621, ont eréé des conditions favo- rables ala Porte pour rétablir son autorité politique dans les pays roumains {excepté la Transylvanie). Cela ne signifie toutefois pas — selon nous — 14 Voir Mustafa A. Mehmed, Din raporturile Moldovet eu Imperiul oloman in a doua jumé- fate a veacului al XV-lea [Pages des rapports de 1a Moldavie avec V'Empire ottoman dans 1a seconde moitié du XV€ sidcle}, dans +Studii », 5/1960, p. 176, n® 1 18 Original ture dans ’Archiwum Glowne Akt Dawnich-Warszawa, Archiwum Keronne Warszawskie, Dzial Tureckie, k. 71, t. 280, n° 518. 38 Voir Tahsin Gemil, O coleefie de dacumente olomane importante pentru istoria Romaniet (1591— 1607) [Une collection de documents ottomans importants pour Vhistoire dela Roumanie (1591—1607)], dans +Anuaral Institutului de istorie gi arheologie 4,A.D. Xenopol”” » [Annuaire de l'Institut @histoire et d’archéologie ,,A.D. Xenopol” +], Jassy, XI (1974), p. 242—243. 660 TAHSIN GEMIL 8 que les voivodes de Valachie et de Moldavie des années vingt du XVII¢ siécle n’anraient été que de simples «esclaves impériaux », exécutants fidéles des cordres de Constantinople», tels que les a caractérisés N. Iorga?’. Sans doute, si la hataille de Hotin (1621), présumée caté- gorique, ne s'était pas terminée par un résultat indéeis (ou les voivodes roumains eurent une contribution de premiére importance) et sila crise turque n’avait pas pris des proportions trés graves, le statut extérieur de la Moldavie et de la Valachie (peut-étre aussi de la Transylvanie) aurait subi des modifications bien plus considérables qu’elles ne furent en réalité 1. Les voivodes de l’époque ont, il est vrai, agi conformément aux exi- gences de la Porte, mais la politique turque d’alors était de nouveau déter- minée par la nécessité d’éviter un conflit de la Porte en Europe, ce qui concordait certainement avec les intéréts majeurs de la Valachie et, sur- tout, de la Moldavie, consistant dans le maintien des relations pacifiques et done, de l’équilibre tant entre les grandes puissances de leurs fron- tidres. Les voivodes roumains sont ainsi devenus de véritables garants je Vobservation des traités de paix dela Porte avec l’Autriche et, surtout, vee la Pologne ; ils ont ménie recu dans ce sens, des attributions expresses de la part du gouvernement ture ®, En méme temps, la crise ottomane s’étant aggravée dans cette période, lorsque la Porte —se trouvant a la diserétion des janissaires et des insurgés d’Asie — se montrait réellement incapable d’accomplir Vobligation assumée, par le régime de la domination, @assurer la sécurité extérieure et la paix intérieure des pays roumains, Vautorité étatique des voivodes s'est accrue, soit tacitement, soit conformément a la volonté expresse de la Porte *. En conférant de pareilles attributions aux pays roumains, la Porte a nécessairement di non seulement admettre, mais encore garantir formellement et en fait le maintien d’importantes forces militaires appartenant & ces pays C’est ainsi que les voivodes de Moldavie et de Valachie acquirent @importantes possibilités d’action A Vextérieur, lesquelles, naturellement, allérent jusqu’a Paffirmation ouverte des aspirations lindépendance, telles Palliance de Miron Barnovschi (1626—1629) avec les fréres Mehmed. et Chahin Giray, insurgés contre la Porte *. 1 N, orga, Studit si documentc..., [Etudes et documents], Bucarest, 1902, p. CXLIV. 38 Voir Talisin Gemil, La Moldavie..., p. 694—695. 38 [bidem, p. 695—703. Nous ajoutons Vinformation inédite qii'au milieu du mois de sep- tembre 1627 les deux voivodes roumains furent reconfirmés par la Porte sur leurs trénes, en récompense, surtout, pour les services rendus dans V'aplanissement de Ia tension tureo-polo- naise de cette année (Basbakanlik Arsivi-Istanbul, Mihimme Def. 83, doc. 77). 30 Au commencement de l’été de année 1627, Ia Porte demandait au voivode de Valachie ir c toute la fermeté pour la défense des ,,pauyres sujets” (re'aya) et de leurs biens... » contre «des bandits rassemblés de Briila... et d'autres localités du bord du Danube », lesquels, profitant du fait que le voivode +se trouvait avee son armée en expédition et service... ¢, cont attaqué et pillé les villages de Valachie... ». «Notre volonté impériale — disait- on Ala fin de Pordre — ne permet aucune sorte d’oppression et d'inimitié a l’égard des pauvies sujets » (Basbakanlik Arsivi — Istanbul, Mdhimme Def. 83, doc. 4). 2 En 1631, la Porte a accordéau voivode de Moldavie Ie plein pouvoir de ne pas permet tre a certains hommes venus de Bude de recruter des soldats de Moldavie, ¢ ear Ia défense du vilayiet de Moldavie est aussi une question importante » (Basbakanlik Arsivi — Istanbul, Md- himme Def. 85, doc. 284). 8 Hurmuzaki, Documente [Documents], Suppl. 1—1, p. 229280; Torga, op. eit, TV, p. 187; Andrei Veress, Documente, IX, p. 283—284. 9 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVIE8 #) 661 Nous devons toutefois constater qu’a l'exception du cas de Miron Barnovschi, les facteurs responsables de Moldavie et de Valachie de la jroisi¢me décennie du XVIT° sigcle n’ont pas suffisamment tiré profit de ces conditions favorables pour affirmer leurs intéréts majeurs, tendant finalement & la reconquéte de l’indépendance. Au contraire, ’évolution du régime de la domination turque a pris des formes accentuées, aussi bien sous aspect politique que sous Paspect économique. I nous suffit de relever le fait que maintenant la Porte exerga un contréle effectit sur Je pouvoir princier, et_que les Tures puisdrent une quantité supérieure de produits du potentiel économique de la Valachie et de la Moldavie par rapport aux premidres décennies de ce siécle. Nous pensons que l’explication de ce phénoméne, presque para- doxal en apparence, réside aussi bien dans les modifications susmention- hées survenues dans V’évolution des rapports internationaux dans la fone de contact des pays roumains, que dans le processus d’aggravation de ln crise ottomane, lequel a engendré et a développé un nouvel élément, fAyant le role de facteur aggravant dans Pexercice du mécanisme de domi- tation ottomane dans les pays roumains, & savoir la pénétration massive des dléments levantins dans la structure intérieure de la Valachie et de la Moldavie. Le caractere chronique de la crise financiére ottomane et, comme résultats directs de celle-ci, la manifestation massive de la loi de Ja thésau- risation particulidre des devises et le développement de la corruption Gans tout l'appareil de Etat ottoman, ont produit une véritable course 4 Taccaparement de certaines sources de bénéfices sfires et rapides : les fonctions officielles, Les éléments non musulmans (principalement les Grecs), disposant dimportantes accumulations de capitaux, se sont diriges de préférence vers la Valachie et la Moldavie, en profitant en parti- culier du phénoméne de Vinstabilité de leurs trones. Les boyards autoch- tones des deux pays se sont ainsi réellement crus menacés dans lew positions politiques et économiques, Comme on V'a récemment fait rema Quer, i juste titre, les boyards roumains ont été foreés de dépenser leur dnergie politique pour faire obstacle & Ia dangereuse concurrence des intrus; «la politique étrangere qui avait été liée Vattitude des boyards 4} Pégard des changements intervenus dans le régime de la domination turque, cédait maintenant la place A la politique intérieure. L’ennemi Ie plug redoutable n’était plus en dehors des irontiéres du pays, mais 4 leur intérieur » 2*. Cette forte pénétration des éléments gréco-levantins, due A la crise économique ottomane et garantie par le régime de subordi- nation des pays roumains, a également contribué A Vaccentuation des deux phénoménes. On peut affirmer que ces éléments gréco-levantins ont rempli le rdle d'une veritable courroie de transmission des effets négatits de la crise ottomane dans l’évolution structurale du régime de domination ottomane dans les pays roumains. ‘in 1632, Varistocratie autochtone de Valachie et de Moldavie a toutefois violemment réagi, en rénssissant & évincer, pour quelque temps, ces intrus et les voivodes amenés par eux. Mais au-deld du carac- tore de la lutte intérieure, cette action des boyards de Valachie et de Mol- davie, appuyée par Varistocratie de Transylvanie et jouissant de Vadhé- 2 Florin Constantiniu, op. cif., p. 122 662 TAHSIN GEMIL 10 sion de larges couches sociales, a eu la signification d’une opposition coalisée des trois pays roumains contre le phénoméne de dépassement du cadre convenu du régime de la domination ottomane. D'abord en ‘Transylvanie et ensuite en Valachie et en Moldavie, les forces intérieures ont ouvertement contesté et avee succés l’élément essentiel de la dépen- dance des trois pays roumains envers la Porte — savoir l'exercice de Vautorité arbitraire du sultan quant A la suecession sur leurs trones. Le régne de Georges Rikoczy 1° (1630—1648) en Transylvanie et. celui de Matei Basarab (1632—1654) en Valachie se sont imposés et maintenus par la réalisation de Punité d’action des deux pays, et la Porte, minée par la crise et redoutant de graves complications, ne put pas les écarter par la force; finalement, elle a trouvé opportun de s’entendre avec les féodaux autochtones des deux pays, du moment que leurs actions ne tendaient pas 4 toucher au principe méme de la domination ottomane dans les pays roumains, mais seulement A défendre leurs propres positions prépondérantes sur le plan intéricur. Bien qu’en Moldavie aussi, ’action ferme des boyards autochtones tendant & imposer A la Porte la reconnaissance de leurs droits politiques ett obtenu le résultat poursuivi, Miron Barnovschi, leur élu initial, nen fut pas moins exéeuté A Istanbul (1633). Ce fait doit étre tiré au ‘clair, car il a une importante signification quant au droit supréme de décision du sultan sur la condition personnelle elle-méme du voivode roumain. Les cas d’emprisonnement, par la décision arbitraire du sultan, des voivodes ou des anciens voivodes furent iréquents. Dans la concep. tion turque, outre le sens de punition, ces actions étaient destinées représenter un instrument de répression sur les voivodes en exercice et, en méme temps, un moyen de prévenir d’éventuels troubles dans les pays roumains. Les exécutions de Voivodes ou d’anciens voivodes ne furent toutefois qu’exceptionnelles. Le droit islamique prévoyait la peine capi- tale pour trahison ou opposition aux ordres du sultan, pour oppression de la population ou pour des négligences graves dans l'exercice des fone- tions “. Le chroniqueur ture Mustafa Naima affirme que Miron Barnovschi aurait été condamné et exécuté parce qu’il avait réoccupé le tréne de Moldavie en s'insurgeant et avec l'appui de forces de lextérieur, en Pespace de Pologne, oi il s*était réfugié apres avoir été destitué, en n’obéissant pas 4 Pordre du sultan qui avait appelé & la Porte ®. Par suite, confor- mément aux préceptes de la justice islamique, la faute de Miron Barnovschi wétait pas plus grave que celle de Matei Basarab, lequel, bien que s’étant installé sur le trdne de la Valachie en usant de procédés semblables, avait quand méme été confirmé par le sultan, Les conditions extérieures étaient toutefois différentes. Nous pensons que Miron Barnovschi a été vietime de Vattitude énergique, adoptée & cette époque par la Porte, pour mettre définitivement fin aux ingérences polonaises en Moldavie, mais aussi de la concession que le sultan s'est vu alors foreé de faire aux boyards % Muammer Sencer, Osmandtlarda Din ve Devlet (La religion et VEtat ehez les ottomans), Istanbul, 1974, p. 86. %5 Naima Tarihi, éd. Z. Danlsman, Istanbul, 1968, p. 1197~1198, rr LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVII® S.) 663 de Moldavie 2, La fin tragique de Miron Barnovschi s'inscrit dans la meme ligne que la mise A mort de Kantemir Mirza (chef du Buceag) et Pexécution du khan de Crimée Tnayet Ghiray (les deux en 1637), ‘ictimes également des mémes intéréts de In politique ottomane & P’égard de la Pologne, et correspond, en méme temps, i la procédure qui caracté- rise Je sultan Murad TV, qui avait inauguré en mai 1632 son régne auto- ritaire, par adoption de mesures particuligrement drastiques *. ‘Autrement dit, 'exécution de Miron Barnovschi n’eut pas d’autre signification que celle de Vaffirmation du pouvoir supréme du sultan sur les voivodes, assimilés au statut de simples gouverneurs de province. Le régne de Matei Basarab et celui de Vasile Lupu (1634— 1653), tant par leur durée que par leur activité, ont été contraires aux éléments essenticls mémes de ce régime, Les deux voivodes et les princes de Transylvanie, G. Rakoczi I” et G. Rékoczy II (1648—1658) ont profit, presque dans une égale mesure, de l'évolution de la crise ottomane pour la réduction, allant presque jusqu’a l'annulation effective, de Vexercice du contréle ottoman dans les pays roumains. Toutefois, & la différence des autres, le voivode de Moldavie, Vasile Lupu (1634 — 1653) a cru de son intérét — jusqu’ un certain point — de ménager les éléments formels de la domination ottomane. Etant donnée la différence entre origine de son pou- voir (émané de 'autorité ottomane) et celle du pouvoir de G. Rakoezy Ie" et Matei Basarab (imposés par la contestation de l'autorité ottomane), Vasile Lupu a cherché a utiliser le statut politique de la Moldavie comme instrument pour la réalisation de ses propres objectifs sur le plan exté- rieur, lesquels Visaient A institution de son régne monarchique sur les trois’ pays roumains, et ensuite, au déclenchement de Ja lutte pour la reconquéte de indépendance, avec Vappui d'une large coalition anti- ottomane. Cependant, quels que fussent les mobiles qui ont provoqué le long conflit entre la Moldavie et les deux autres pays roumains, au temps de Vasile Lupu, il est certain qu'une pareille situation était en flagrante contradiction avec les intéréts de la Porte, avec essence de sa domination qui avait un caractére spécial au nord du Danube. En derniére analyse, nous estimons que Vétat d’hostilité entre les trois pays roumains a consti- tué la manifestation sur un plan particulier de la crise générale ottomane et un signe évident de l'aggravation de la crise dans laquelle était entré 28 Miron Costin, Opere, [GEuvres], éd. P.P. Panaitescu, Bucuresti, 1958, p. 102: des dé- lations des ennemis ne manquaient pas... par des lettres, affirmant que si on laisse vivant le voivode Barnovschi, le pays de Moldavie sera & la Pologne et qu'il est un espion des Polonais +; Thidem, p. 104: Le Grand vizir aurait déclaré & 1a délégation des boyards moldaves «voll que empereur vous pardonne et vous serez. dorénavant libres d’élire les volvodes que vous désirerez 2 Jnayet Ghiray a été le premier khan de Crimée condamné et exéeuté par la décision unilatérale du sultan ottoman, contrairement aux dispositions traditionnelles qui interdisaient ‘un pareil acte, et contre Kantemir Mirza, aucune accusation officielle n'a été émise. 664 TAHSIN GEM. 2 le phénoméne méme de la domination ottomane dans les pays roumains, depuis la lutte menée par Michel le Brave *. La coalition des trois pays roumains du milieu du XVII* siécle cn tant que résultat du développement des liens organiques entre elles et conerétisation du grand idéal légué par Michel le Brave — a catégo- riquement outrepassé les limites admises par la Porte quant aux rappor entre la Transylvanie, la Valachie et la Moldavie. Ignorant lautorité suzeraine et les dispositions expresses de la Porte, le prince G. Rakoczy IL a orienté la force réunie des trois pays roumains vers la réalisation d’ob- jectifs particuliers sur le plan extérieur (la couronne polonaise), lesquels Staient catégoriquement opposés aux lignes directrices de la politique ottomane de P’époque. Ensuite, encouragée aussi par Jes intéréts expan- sionnistes de I’Autriche, Pennemie principale de la Porte, la coalition des trois pays roumains s'est ouvertement dirigée vers la lutte antiotto- mane. La Porte s'est ainsi trouvée devant la perspective alarmante non seulement de ’ébranlement de sa politique européenne, mais encore de la mise en danger de ses positions nord-danubiennes et par 1a, de sa fron- tigre du Danube. Le retour des pays roumains sous la dépendance otto- mane effective a ainsi pris une importance de premier ordre pour la Porte et a eu, en méme temps, la valeur d’une démonstration sur le plan conti- nental de la viabilité de la force ottomane, alors en plein redressement. La Porte a réussi, par la foree des armes, & réimposer son autorité effective dans les pays roumains, Sur le tréne de la Moldavie et sur celui de la Valachie, la volonté arbitraire du sultan a mis des créatures otto- manes, marquant ainsi le retour au statut antérieur & I'époque de Matei Basarab et de Vasile Lupu. La ‘Transylvanie a été obligée d’accepter des conditions dures, qui mettaient pratiquement fin aux priviléges qu'elle avait par rapport aux deux autres pays roumains dans le cadre du régime de domination turque. La Porte a réassumé la fonction extérieure des Btats roumains; leur capacité combative a commencé A étre systéma- tiquement réduite, tandis que la ceinture de streté ottomane qui les en- tourait a été progressivement renforeée, par le détachement de nouvelles gions de leur territoire, surtout de celui de la Transylvanie. Mais bientét, les changements intervenus dans la politique euro- péenne de la Porte, & la suite de la régénération temporaire de Ia force ottomane (au temps du gouvernement autoritaire des grands vizirs Képriilii), ont également apporté des modifications dans V’exercice de sa domination dans les pays roumains. Alors que la Porte souhaitait regagner le role quelle avait eu un siécle auparavant dans l’est de l'Europe, et s'apprétait A reprendre sa ligne directrice dans le conflit avec ‘les Habsbourg, les pays roumains acquirent un réle important dans le systéme politique ottoman. 28 L’octroi officiel par la Porte par hatf-{ hiimayiin du trdne de Valachie & Vasile Lupu et de celui de Moldavie & son fils et d’un appui imilitaire effectif dans ce sens (voir Topkapt Sarayi Mizesi — Istanbul, E — 1755) a été contraire aux principes consacrés de la domination ottomane ; cette mesure a été due aussi bien a Vimpuissance de la Porte A rétablir son autorité Violée en Transylvanie et en Valachie, qu’a la corruption chronique de l'appareil d’Etat ottoman, ainsi qu’A des manceuvres tenant a 14 lutte acerbe pour le pouvoir qui avait lieu entre les _pro- ches du sultan (voir Tarth-é Vegihi, manuserit & la Bibl. Topkap! Saray! Mizesi — Istanbul, R— 1153, f. 18-19; Naima Tarihi, éd. eit., p. 1463 et suiv.). | | 18 LES RAPPORTS POLITIQUES ROUMANO-OTTOMANS (XVIT® 5.) 665. Etant donnée aussi la capacité de résistance montrée par les trois pays roumains durant le fonctionnement de leur unité d'action, la Porte a cherché % exercer son controle sur eux, en associant les éléments de pression & des concessions, En 1661, les boyards de Moldavie et en 1664 ceux de Valachie regagnérent en fait le droit d’élire seuls leur voivode, la Porte ne conservant que les prérogatives de investiture. La renonciation — d’ailleurs temporaire — par la Porte i son contréle total des trénes n’a nullement signifié un affaiblissement de l’au- torité politique ottomane sur les pays roumains. Les concessions faites aux grands hoyards représentérent la reconnaissance par la Porte du réle qwils avaient en Moldavie et en Valachie, mesure qui tenait compte des transformations intervenues dans la structure intérieure des deux pays; ces concessions étaient destinées A attribuer aux féodauxlepartage de la responsabilité pour la politique étrangere du pays. Sans doute, Yexpérience faite avee Mihnea TIL ne fut pas sans importance pour la Porte dans ladoption d'une telle attitude ®. Au fond, de cette maniere, Jes ‘Dures revinrent & leur ancien systéme d’assurer leurs intéréts dans les pays roumains par la coopération des féodaux de ces pays. Seulement, les conditions étant maintenant changées, la collaboration entre les grands. boyards ct la Porte ne tendait plus, en'premier lieu, & l'affaiblissement de Vautorité centrale du voivode, car celui-ci avait déji été réalisé ; cette convergence était dictée, d'une part, par les intéréts des féodaux Adéfendre leurs positions de classe, et d’autre part, par le désir de la Porte d’aligner dans une plus grande mesure qu’auparavant, les pays roumains & la poli- tique ottomane de cette époque en Europe. Autrement dit, répondant au vou principal des féodaux de respecter autonomic intérieure des pays roumains, la Porte a voulu conférer & ceux-ci un réle accru dans laffir- mation de sa politique européenne. Vers la fin du XVII° siécle, alors que l’échee de la politique offen- sive mondiale de la Porte était total (1683), et A mesure qu’était devenu de plus en plus évident le recul irréversible de la puissance ottomane, et que la lutte pour la liberté des pays roumains était entrée dans une phase active, les efforts de la Porte de maintenir son controle dans les pays roumains furent subordonnés 4 son objectif principal consistant dans la défense de la fronti¢re ottomane du Danube, de plus en plus menacée par les tendances expansionnistes de I’Autriche, et ensuite de la Russie. Bn conséquence, au début du XVII: sitele, le statut réel des pays roumains devait subir une altération sérieuse,’par Vinstauration des «régnes phanariotes ». Si la mutation intervenue dans le contenu des rapports roumano- tures au milion du XVIE sidcle était en liaison directe avec le développe- ment considérable de la force offensive ottomane, le changement qui aeuliew au début du XVIII¢ siecle dans les mémes rapports a été engendré par les intéréts défensifs de la Porte et par ’évolution de certains processus complexes dans lesquels ont aussi été entrainés les pays roumains. Voild 2 Nous rappelons que Miknea IIT (1658-1659) avait 6t¢ nommé en Valachie contre la ‘volonté des boyards du pays ; son passage dans le camp anti-ottoman a été une véritable surprise pour la Porte, ear il avait é1é considéré comme plus musulman que chrétien (Voir Cronict tur~ eesti privind farile romane [Chroniques turques concernant. les pays roumains], II, volume rédigé par Mihail Guboglu, Editura Academie! Republicii Socialiste Romania, Bucuresti, 1974, p. 195). 666 ‘TAHSIN. GEMIL uu pourquoi la modification intervenue au milieu du XVI* siécle a eu surtout un caractére économique, tandis que celle du commencement du XVIII* sidcle eut en premier lieu un caractére politique. La Porte n'a jamais congu «les régnes phanariotes » comme un systéme dexercice de son controle dans les pays roumains. En fait, l’ins- uuration de ce quia été appelé «le régime phanariote » a représenté — 2 notre sens — la transposition rigoureuse dans la pratique de l'acception formelle que la Porte avait donnée au statut @autonomie des pays rou- mains, dés le milieu du XVIé sidele. On sait qu’ partir de cette période, les cas furent nombreux oil la Porte imposa arbitrairement sur les trones de Valachie et de Moldavie, au mépris de la volonté des boyards autoch- tones, des éléments totalement étrangers par leur formation aux deux pays.’ Mais Vopposition efficiente des boyards, par Putilisation conjuguée de tous les facteurs de résistance (y compris les intéréts ottomans concer- nant les pays roumains), fit que ces actions demeurassent des cas isolés. L'individualité de Varistocratie autochtone n’avait pas encore été altérée & la suite de Pentrainement des pays roumains dans le sillage de la poli- tique ottomane et elle avait done la possibilité de repousser conjointement toute tentative de saper du dehors ses priviléges héréditaires. Cette situation de la classe dirigeante de Valachie et de Moldavie a cependant été affectée au cours du XVITF siécle, surtout dans sa seconde moitié, aussi bien par Pévolution des processus intérieurs particuliers, que par certains changements survenus 4 V'extérieur, Parmi ces derniers, nous devons placer en premiere ligne l’évolution de la crise ottomane. En effet, la conjonction des éléments politiques caractéristiques des rap- ports roumano-ottomans aprés le milieu du XVIF siéele avec les nouveaux phénoménes économiques et sociaux engendrés par la crise ottomane ont entrainé les pays roumains aussi dans le processus général de pertur- bations qui avait gagné l’Empire ottoman. Un effet de cette crise ottomane a été constitué par le commence- ment du phénoméne de pénétration, insistante et massive, des éléments étrangers dans la structure intérieure de la Valachie et de la Moldavi Crest ainsi que se produit non seulement la détérioration de Vindividualité de la classe dominante des pays roumains, mais encore une aggravation du processus, d’ailleurs complexe, d’ébranlement de sa capacité de r tance, Les intéréts communs et les multiples liens de ces intrus avec le monde ottoman mont pas manqué d’étendre Vaire de manifestation de la crise ottomane dans les pays roumains. En méme temps ont été favo- és — mais jusqu’a un certain point — les efforts de la Porte de main. tenir son contréle dans les pays roumains, d’autant plus que, & la fin du XVil® sivcle, les tendances annexionnistes de ceux qui agitaient le drapeau chrétien «libérateur» étaient devenues évidentes. Linstauration des «régnes phanariotes » a done représenté un effet du long et complexe processus du XVIT¢ siécle, de maturation conver- gente d'une multitude de facteurs, intérieurs et extérieurs, sur la toile de fond du déroulement général de la crise ottomane. On a généralement considéré que «le systéme phanariote » aurait constitué «une formule intermédiaire », adoptée intentionnellement par la Porte, ayant & opter entre le régime du « pachalik » et celui des « regnes autochtones » pour l'exercice de sa domination dans les pays roumains.

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