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- Éditions OUSIA

LE PARADIGME PLATONICIEN DU TISSAGE COMME MODÈLE POLITIQUE D'UNE SOCIÉTÉ


COMPLEXE
Author(s): Lambros Couloubaritsis
Source: Revue de Philosophie Ancienne, Vol. 13, No. 2 (1995), pp. 107-162
Published by: EURORGAN s.p.r.l. - Éditions OUSIA
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24354589
Accessed: 09-11-2017 19:25 UTC

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LE PARADIGME PLATONICIEN DU TISSAGE COMME
MODÈLE POLITIQUE D'UNE SOCIÉTÉ COMPLEXE

1. Limites de la méthode de division dichotomique

Comme on le sait, une suite logique relie le Phèdre, le So


phiste et le Politique de Platon. Tandis que le premier de ces dia
logues introduit la dialectique à partir d'une sorte de jeu, où la
pratique du mythe esquisse les conditions d'une thématisation de
la méthode de division ', le deuxième l'articule à partir et au
moyen du paradigme de la pêche à la ligne pour établir la dé
finition du sophiste. Quant au troisième dialogue, qui nous in
téresse plus spécialement ici2, il reprend au Sophiste la méthode,
la prolonge dans un sens qui est opposé à la science apparente du
sophiste, puisqu'il cherche à justifier une science ou un art du
politique et à établir la spécificité (eidos) de la fonction du gou
vernant par rapport à d'autres fonctions dans la cité qui lui sont
subordonnées. Comparée aux données de la République où Pia

1. Voir mon étude "Statut mythique de l'affectivité et dialectique dans


le Phèdre", dans La voix des phénomènes (Mélanges offerts à G. Flori
val), éd. R. Brisart et R. Célis, Publications des Facultés universitaires
Saint-Louis, Bruxelles, 1995, pp. 33-65.
2. Ce dialogue a été très peu étudié jusqu'ici. Ce n'est que récemment
qu'il rencontre un certain intérêt de la part des chercheurs. Un Colloque
lui a été consacré récemment, dont les Actes viennent de paraître sous le
titre Reading the "Statesman" (Proceedigns of the Third Symposium Pla
tonicum, Bristol, 1992), éd. Ch. J. Rowe, Academia Verlag, Sankt Au
gustin, 1995. Mon étude étant antérieure à leur parution, je n'ai pu les uti
liser. Voir également S. Rosen, Plato's Statesman. The Web of Ρolitics,
Yale University Press, New Häven - Londres, 1995.
REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE, XIII, 2, 1995

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108 Lambros COULOUBARITSIS

ton allie politique et science, cette perspectiv


porter sa pensée à un point culminant, qu'il i
dans les Lois. Cette recherche de l'éminence
du rôle prééminent du gouvernant laisse voi
tait découvrir chez Platon une figure qui soi
tique, il faudrait se tourner du côté du "philosop
capable d'édifier une science suprême, supér
que, en s'identifiant avec le "sage" (σοφός).
blique, Platon associe philosophie et politique
le gouvernant doit de toute façon posséder u
que circonstancié concernant les principes ult
par le Bien 3. Cela ne l'empêche pas de faire
du Sophiste, à un autre dialogue possible, qu
les détails de l'activité philosophique, dialogu
s'intituler le Philosophe, mais sur lequel n
renseignement - à moins que ce dialogue soit
ton, achevant l'articulation de la dialectiqu
ment l'action philosophique à partir d'un s
plaisir et sagesse et au moyen de principes u
bable que le Philèbe, l'un de ses derniers dial
méthode dialectique à une forme d'achèvem
doctrines orales, dont une partie aurait été co

3. Sur le rapport entre philosophie et politique,


versement platonicien. Logos, épistèmé, polis, Vrin
mes études "Le paradoxe du philosophe dans la R
Revue de métaphysique et de morale, 87, 1982, p
σεις για την σύμπραξη φιλοσοφίας και πολιτικής
Politique, Kardamitsas, Athènes, 1982, pp. 49-57; e
gines de la philosophie européenne. De la pensée a
nisme, De Boeck, Bruxelles, 19942 (1992), pp. 274
4. Cf. mon livre Aux origines de la philosophie
pp. 298 ss. Sur la question de la dialectique dans l
gues de vieillesse, voir P. KUCHARSKI, Les chemi
derniers dialogues de Platon, P.U.F., Paris, 1949.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 109

Bien, peuvent prétendre surpasser5. Située ains


général de sa pensée, l'application de la méthod
chotomique dans le Politique paraît bien représ
décisive qui prépare ces ultimes applications.
En pratique, la dialectique du Politique, pro
Sophiste, aboutit à une impasse, non telleme
procédure défaillante - thèse qui peut être défe
vement si l'on cherche à repérer des erreurs d
l'on tient compte de la critique adressée par
thode platonicienne de la division dichotomiqu
que ses résultats s'avèrent peu compatibles ave
que de la société de son époque. Plus concrètem
de la méthode de division sur la science en g
orientation qui vise à la définition du politique
que la science du politique est l'art de faire paîtr
qui signifie que le politique est un pasteur des h
Ce "modèle" n'est pas nouveau, puisqu'on le r
le monde archaïque, chez Homère notamment,
qualifiés de "pâtres" et ses sujets de "troupeaux
montre Platon, cette perspective est incompatib
politique de son époque, car elle accorde plus d
ger qu'à l'homme politique, ne serait-ce que pa

5. Cf. G. REALE, Per una nuova interpretatione di


tolica del Sacro Cuore, Milan, 1987 5 (1984) et M.-D
gnement oral de Platon, éd. du Cerf, Paris, 1986.
6. Aristote, De part. anim. I. Cf. P. PELLEGRIN, La
animaux chez Aristote. Statut de la biologie et unité
Les Belles Lettres, Paris, 1982. Notons en passant que
que semble indiquer Aristote, Platon ne se limite p
mais reconnaît, dans le Philèbe, que si la division en
sible, il faut recourir à une division en trois ou à "quel
(16d). Voir à ce propos, M. Fattal, "De la division da
Platon", Revue de philosophie ancienne, 13 (1), 1995,
culier p. 9.

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110 Lambros COULOUBARITSIS

est capable de prendre soin de tout ce qui con


ce qui n'est pas le cas de l'homme politique q
plupart des activités à des intermédiaires et
division de travail existant dans la cité, ce qu
structure socio-politico-économique où le m
transgressé. C'est pourquoi Platon peut affir
qui nourrit le troupeau joue aussi le rôle de m
d'accoucheur, d'éleveur, etc., devenant par là
ble de l'homme politique (Pol. 268a-c).
Qu'un métier subalterne apparaisse ainsi com
que celui du politique, lequel prétend pourtan
la destinée des hommes dans la cité, suscite
fondamentale, non seulement pour ce qui est
litique, mais aussi pour ce qui concerne les
fonction humaine avec toutes les autres activ
la cité, et sans lesquelles la fonction politique
La nouvelle réalité politique, attribuée à l'é
son règne (où les différents dieux ont des fon
l'égide du dieu-souverain), révèle que le pol
qui revendiquent une partie du pouvoir. C'es
tion préalable à la saisie de l'essence du po
savoir comment libérer l'homme politique de
assurer une dignité pleinement royale (βασιλ
l'autorité qui lui revient. Cette dernière asse
conséquences, car, en situant le problème po
ge de la société archaïque soumise à l'autorité
davantage des guides que de véritables légi
compétents de la société civile, et en parlant
à une époque où la démocratie règne à Athène
qu'il ne souhaite pas bouleverser radicalemen
que; il préconise seulement sa réadaptation au
que de l'époque post-péricléenne, en utilisant
rait plus apte à rendre compte d'une société
celle du passé, et qu'à ses yeux, la démocratie
à maîtriser. Pour bien comprendre le sens de

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LE PARADIGME PLATONICIEN 111

faut discerner le dispositif que Platon élabore p


passe à laquelle conduit la méthode dialectique.
"Nous avions raison, dit-il, d'être inquiets tou
que nous soupçonnions avoir dévoilé une fig
sans pouvoir la travailler jusqu'à la rendre f
même, tant que nous n'aurions pas dégagé celu
qui se confondent avec lui et se donnent les m
l'activité pastorale, et tant que nous ne l'aurion
ses rivaux, pour le faire apparaître seul en
(268c). Face à pareille inquiétude, ne faillait-il p
la méthode de division qui a conduit à l'impass
que Platon ne pouvait accepter aussi facilement
l'avait pas admis dans le Parménide, lorsque
cessives de la "théorie" des Idées ébranlaient les fondements de

sa propre pensée, pour qui le reconnaisse ici, où il se tient encore


dans le champ de la recherche. Du reste, à l'instar de la pratique
des "Idées", la dialectique a suivi le développement de sa pensée
depuis sa jeunesse; elle s'est associée à son articulation et s'est
en quelque sorte identifiée à sa structuration, de sorte que tout
constat d'échec à son sujet risquait d'ébranler les fondements de
sa pensée. Amorcée dans la pratique même du dialogue (œuvres
de jeunesse) et complétée par sa conversion en méthode philo
sophique majeure indépendante de la structure dialogique du
langage, notamment sous le mode d'une approche ascensionnel
le à partir du sensible jusqu'à l'intelligible et le Beau (Banquet)
ou à partir non-être jusqu'à l'être intelligible et le Bien, et com
pensée par un retour méthodique vers la réalité sensible pour en
rendre compte (République), la première phase de la dialectique
avait éclairé les structures possibles du savoir. La nouvelle pha
se, issue du Phèdre, a su mettre en valeur la fécondité de ce
double mouvement méthodique, en l'approfondissant selon le
mode d'une division dichotomique que j'ai rappelé ci-dessus.
Or, dans le Politique, Platon porte la question de la méthode
dans un ordre vital, puisqu'il nous révèle lui-même que sans la
recherche pour former un art, la vie devient "invivable" (άβίω

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112 Lambros COULOUBARITSIS

τος) (299e). Mais sa méthode ne se limite pas


que, mais comme dans ses œuvres précédent
the et le paradigme. C'est dans ce cadre qu'il
mythe des cycles cosmiques, qui lui offre un
conduira à une nouvelle application de la mé
mais en faisant intervenir un paradigme, le p

2. Monde divin et monde humain

Dans le mythe des cycles cosmiques, Platon suppose, selon


une approche qui utilise des distorsions, que l'art du berger avait
été effectivement appliqué dans le passé, à l'époque où régnait
Cronos, lorsque l'homme était pris en charge par des êtres supé
rieurs, dieux et démons. Il s'agit bien sûr d'un mythe qui deman
de, comme tout mythe, à être redressé 7. Ce travail se situant en
dehors de cette perspective (qui demande une étude par elle
même), je préfère éviter le rôle ingrat d'interpréter en cet endroit
ce mythe grandiose mais difficile. Je me contenterai des résultats,
en me limitant au résultat principal qui concerne l'émergence de
la nouvelle réalité socio-politique à laquelle j'ai déjà fait allu
sion, symbolisée par le règne de Zeus, et qui manifeste une com
plexité problématique que l'action politique ne peut négliger.
Dans ce monde nouveau, ce sont les animaux qui conservent
encore les privilèges qui étaient ceux des hommes du passé,

7. Sur le rapport entre mythe et distorsion, voir mon livre Aux origi
nes de la philosophie européenne, op. cit., pp. 23 ss. et surtout mon arti
cle "Le statut transcendantal du mythe", dans Figures de la rationalité.
Études d'Anthropologie philosophique, éd. G. Florival, Institut Supérieur
de Philosophie, Vrin et Peeters, Louvain-la-Neuve - Paris, 1991, pp. 14
44. Pour une pratique du redressement, je me permets de renvoyer le lec
teur à mon étude "Genèse et structure dans le mythe hésiodique des ra
ces", dans Métier du mythe, éd. F. Biaise et P. Judet de la Combe, Lille,
1996.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 113

soignés par des êtres supérieurs, alors que les h


mentés par la différence sexuelle, la division d
impuissance à maîtriser leurs actions et celles
République avait déjà affronté quelques unes d
en proposant une cité-modèle fondée sur un
d'égalité (communauté des biens et des enfa
diens) et un système éducatif progressif pour p
voir fondé sur la vertu et le savoir, ces solutio
raître à l'époque du Politique, comme une tran
que d'un modèle politique qui conserve encore
d'une société pastorale, fondée sur le principe
mille soumise à l'autorité du guide. C'est pourq
chit ses anciennes positions en indiquant que, c
hommes du passé, "nos politiques d'aujourd'hui
blables à leurs sujets par la nature, leur sont ég
ches par l'éducation et le genre de vie" (275
publique, Platon préconisait une hiérarchisatio
delà d'un ordre généalogique ou social, et qu
d'un ordre des fonctions et des vertus correspon
réalisation reste tributaire d'un système éducati
éducation doit accomplir une sorte de triage en
aptes par nature à gouverner et ceux qui ne le so
destinés à obéir8. Par là Platon reproduit autrem
du monde pastoral. Dans le Politique, c'est la di
espèces qui rend possible l'usage du modèle p
plique qu'à l'époque de Cronos les hommes sont
par les démons et les dieux. Ce qui est nouv
Zeus, c'est que l'homme doit se prendre en cha
fonction d'un système politique approprié. C
entre les membres d'une même espèce (en l'occ
mes) qui requiert, dans le Politique, un modèle

8. Cf. mon étude "Προϋποθέσεις για την σύμπραξ


πολιτικής", op. cit., p. 52.

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114 Lambros COULOUBARITSIS

faut rétablir une certaine hiérarchie qui évi


accentuée, tout en intégrant la complexité po
multiples intermédiaires qui soient davantag
réalité politique que ne l'était la cité-modèle
La République nous offre un bel exemple p
ximité et la hiérarchie, puisque c'est la com
politique issu de l'évolution de la société ar
Platon à y instituer cette cité-modèle 9. Une
archaïque lui avait appris qu'il était possible
concevoir des cités où la division du travail r
c'est-à-dire celles où chacun accomplit sa fonc
favorise l'instauration de l'harmonie. Une telle situation ne se
maintient qu'aussi longtemps que n'interviennent pas dans la
structure politique les éléments qui ne sont pas indispensables au
fonctionnement de la société. Or, une fois que les gens cherchent
à posséder des biens superflus, comme des objets artisanaux
(lits, tables, meubles de toute sorte), des épices, des parfums, des
friandises, des courtisanes, etc., la nouvelle situation politique en
traîne de nouvelles fonctions dans la Cité, en particulier les
fonctions de service qui gèrent les choses superflues, perturbant
l'harmonie 10. Cette observation, importante pour l'époque clas
sique, l'est également pour la nôtre, où la complexification de la
société a pris une ampleur autrement plus impressionnante que
celle, rudimentaire, sur laquelle pourtant Platon se débat. Il est
vrai que Platon discerne déjà, avec lucidité, que la formation
d'une société de service rompt l'équilibre qu'elle avait réalisé
auparavant dans une société où chacun contribue à la production.
Pour lui, cette rupture est à l'origine des guerres, car la produc
tion devenant insuffisante pour nourrir les habitants de la cité, se
manifeste aussitôt un désir d'empiéter sur le territoire des voi

9. Voir mon article "Le paradoxe du philosophe dans la République


de Platon", op. cit.
10. Rép. Π, 371b-373c.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 115

sins en vue de chercher les biens manquants, et


voisins se trouvant dans une situation comparab
façon semblable. Il reconnaît ainsi la nécessit
armée compétente pour défendre les possession
Cité et conquérir de nouveaux territoires. Cett
parce qu'elle devient redoutable pour le pouvoi
être organisée en fonction d'un métier qui est f
autres métiers dans la cité ".
C'est en partant de telles observations que Platon édifie une
cité-modèle qui cherche à reproduire, par la division des trois
classes (magistrats, gardiens, peuples), l'harmonie perdue. Dans
cette cité, la classe des gardiens forme un corps particulier, sou
mis à un système éducatif strict, afin que ses membres réalisent
leurs vertus propres (la tempérance et le courage), et acceptent
un statut économique et une vie affective particulières (commu
nauté des biens et communauté des femmes et des enfants). La
division du travail dans la cité, qui ébranle l'image d'une société
pastorale univoque, devient ainsi centrale. Mais les références
retenues par Platon, dans ce dialogue, sont trop rudimentaires
par rapport à celles que nous rencontrerons bientôt dans le Po
litique, qui nous révèle une société autrement plus complexe.
Dans le Politique, c'est l'image mythique du règne de Cronos
qui symbolise l'autarcie passée de la cité primitive et l'autarcie
recherchée de la cité-modèle de la République. Du reste, les
analyses de la République, tant celles qui concernent la société
archaïque que celles qui se rapportent à la cité modèle, sont éga
lement développées d'une façon mythique l2. Bien plus, la criti
que du système politique homérique (pastoral) s'accomplit à tra

11. Ibid. 373d ss.


12. Voir mon article "Le paradoxe du philosophe dans la République
de Platon", op. cit., ainsi que mon étude "Le statut du mythe de Gygès
chez Platon", dans Mythe et politique (Actes du Colloque de Liège 14-16
septembre 1989), éd. F. Jouan et A. Motte, Université de Liège - Les Bel
les Lettres, Liège - Paris, 1990, pp. 75-84.

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116 Lambros COULOUBARITSIS

vers la critique de textes mythiques, à savoir


tes, selon Platon, à fonder un système éducat
où la description donnée des dieux (qui se haï
entre eux) et des héros (faibles et soumis a
compatible avec l'harmonie recherchée.
Face à ces approches où les descriptions m
nent, le Politique nous révèle un tout autre p
n'est plus aussi bien intégré dans l'ensemble d
puisque c'est l'application de la méthode de
centre de l'exposé; le mythe sert principaleme
tion entre deux applications successives et dif
thode de division, qui départagent deux réalit
simple, l'autre complexe. Quant à la question
manifeste son importance, nous le verrons, au
comme faisant partie du métier du producteur
qu'il ressort de l'application de la méthode.
litique diffère radicalement de la République
accomplir le partage des "postes" dans le réel,
(de la cité-modèle) a réussi à départager sur le
contraste entre les règnes de Cronos et de
révèle, marque bien ce glissement entre les d
sont développées deux thématiques parallèle
cation de la société civile. La transposition my
cative, car, remise dans le contexte du déploi
de Platon, elle fait voir que le monde huma
soumis à des fonctions et à des rapports de p
xes, rompt avec un monde humain simplifié
quement à la proximité divine. La multiplicat
dans la société humaine dresse devant le mond
que les gouvernants se sentent obligés de fran

13. Pour l'importance du mythe dans la Républiq


"Le statut du mythe de Gygès chez Platon", dans M
cit.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 117

réalité humaine nouvelle, que Platon décèle avec p


mettait au défi. Platon discerne ainsi que la comp
ciété humaine requiert des structures particulière
plus réductibles à des ressemblances strictes, que c
rapportées au monde archaïque ou au monde divin
requiert de nouveaux modèles d'approche qui n
pure analogie. C'est en cela que réside tout le prob
dèles (παραδείγματα) qu'il situe dans l'arrière-fon
xions. Ce n'est donc pas, nous le verrons, une coïn
croit obligé d'engager, dans ce dialogue même, une
le statut du "paradigme" pour proposer, à l'encon
me du pasteur, une nouveau paradigme, le paradig
plus adéquat pour décrire une société complexe.
Sans entreprendre ici une analyse comparative et
la République et du Politique, il me semble néa
d'indiquer qu'il existe entre eux un point commun
d'un concept générique du politique, à savoir
soigner, c'est-à-dire de prendre soin, de se soucie
Dans la République, où ce point est implicite, c'
progressive, étalée sur plusieurs années, qui prend
turs citoyens, en vue de sélectionner ceux qui sont
par nature à gouverner; en revanche, dans le prem
Politique, qui concerne l'art pastoral (auquel est as
bouvier), prendre soin des sujets signifie s'occu
comme si l'éducation était inutile, tandis que dans
dèle, - qui retiendra bientôt notre attention -, le c
gner est appliqué sur les citoyens d'une société
fonction des données établies par le paradigme du
selon une activité productrice inspirée de celle
L'exposé de Platon, qui met en relief ce paradigm
dans une première étape qui explore le paradigm
comme si l'éducation ne jouait aucune rôle (alors q
concerne le tissage, y compris l'action de tisser, suppo
tissage), et dans une seconde étape qui spécifie l'art
intégrant l'éducation selon des données qui corrige

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118 Lambros COULOUBARITSIS

République en fonction des variables qui com


xité de la société civile. Pour accorder ses di
ves Platon propose, dans le Politique, une dé
de l'art politique qui affirme qu'il est un art
dispensés à toute communauté humaine (275
plus générique que celle qui met en évidence
clut bien sûr cette dernière, mais ouvre en m
champ d'action beaucoup plus étendu, où le c
peut être orienté autrement selon les cas, et
selon le but visé. Mais, en même temps, de cet
sort plus clairement qu'auparavant que ce n'e
de division qui est en cause, mais l'objet s
appliquée et qui appartenait à une autre réalit
maux ont conservé quelques traits. Une nouv
la méthode selon la perspective du "soigne
possibilités, celle qui fait la part entre des s
l'accord de celui qui est soigné (art royal), et
par la force (art tyrannique), devrait faire l'af
déjà qu'une fois qu'on envisage les régimes p
l'art qui leur est propre, ils peuvent être env
ples opposés, sans devoir recourir à leur deve
l'analyse de la République VII-IX semblait l
la méthode dichotomique (division), sur base d
appliqués par Platon (comme le savoir, le
nants, etc.) qui devient le procédé de classifi
politiques en vue d'établir le meilleur. C'est d
de division, non seulement réussit à sortir de
elle avait elle-même conduit, mais, une fois q
vé son travail salutaire, se manifeste avec pl
encore, car la structure dichotomique peut êtr
poser des choix. C'est du moins ce qui ressort
ré-appliquée, puisque l'opposition entre des s
l'accord de celui qui est soigné (art royal) et
par la force (art tyrannique) nous situe déjà
d'un art royal qui ne cesse d'accompagner l'a

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LE PARADIGME PLATONICIEN 119

L'enjeu, on s'en doute, est de taille. D'abord


vèle qu'une méthode n'a de sens que si elle s'acc
qu'elle cherche à expliquer. De ce point de vue,
thode de division n'est pas aussi idéale que P
nous la présenter, puisqu'elle doit, pour opérer
min des structures, de prime abord, artificiel
the, dichotomie...) 14, elle a au moins le mérit
nelle et de nous introduire dans un paysage pl
Ensuite, parce que l'application de cette mét
phiste et le Politique ouvre à la question du stat
Déjà dans le Sophiste, le paradigme de la pêc
appliqué d'une façon assez libre, les choix op
pour définir les "sophiste" ne s'adaptant pas tou
Mais dans le Politique, la distorsion s'accentue
le pastoral laissant la place au modèle du tissag
modèle n'est apparu nécessaire qu'à la suite d
mythe, c'est parce que Platon confère au my
fonctions, parmi lesquelles figure la fondation
d'essentiel '5. En l'occurrence, le mytheTait voir
tique dans une Cité instituée à l'intérieur d'un m
Zeus, résultat de la complexifïcation de la socié
l'époque où les sophistes troublent la société éd
démocratie multiplie les crises 16. Tenant com

14. Je dis ici "à première vue", car, en réalité, l'usag


du mythe est un problème philosophique important q
platonicien. Voir à ce propos, mon étude "Le statut tra
the", op. cit.
15. Comme je l'ai montré dans plusieurs de mes travaux, et plus parti
culièrement dans "Le paradoxe du philosophe dans la République de Pla
ton", op. cit., et dans "Statut mythique de l'affectivité et dialectique dans
le Phèdre", op. cit. Voir également L. Brisson, Platon, les mots et les my
thes, Maspero, Paris, 1982.
16. Cf. mon étude "Le paradoxe du philosophe dans la République de
Platon", op. cit.

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120 Lambros COULOUBARITSIS

tion, Platon cherche à édifier, sur base du parad


une nouvelle structure politique qu'il rapporte, d
royal" qui doit suppléer la pratique archaïque d
bolisée par le roi-berger à l'âge de Cronos) se
données politiques, et, ensuite, à Γ "art politique
terme d'un détour qui vise à le fonder. C'est
tion qui se dessine à l'horizon de sa démarch
possibilité d'un modèle pour rendre compte d'u
plexe et de la réalisation du passage méthodologi
royal imprécis à un art politique précis.

3. Le paradigme du tissage

Au moment où Platon cherche à introduire le


tissage qui lui semble plus adéquat pour expliqu
politique de son époque, il s'interroge, - sans do
mière fois aussi clairement dans son œuvre 17
qui le poussent à recourir à un paradigme. Il rév
de paradigmes rend impossible la connaissance,
me dans une sorte de rêve, ayant le sentiment d
au moment du réveil (277d). En ce sens, le para
confère un sens au rêve, il éveille l'homme d
l'impression qu'il a que son expérience des ch
prise sur le réel, ni aucune stabilité. Le paradig
un sens au rapport de l'homme au monde, il sta

17. Le moment décisif de l'usage du paradigme me s


dans le Phédon à propos de l'usage de l'éclipsé du soleil
nécessité d'une vue sur les raisons d'être des choses, p
tuent les Idées. Cf. mon étude, "L'institution de la thé
le Phédon", Revue Internationale de Philosophie, 156
pp. 75-84. Pour une approche globale du paradigme c
l'ouvrage classique de V. Goldschmidt, Le paradigme
que platonicienne, Paris, 1947.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 121

et leur assigne une certaine intelligibilité. Les p


Platon, avaient déjà accompli la moitié du chem
pratique des "schèmes", comme ceux de la pare
de l'amour, auxquels le maître de l'Académie en
comme l'artisan (le démiurge du Timéè) 1S. A
poursuivons ce même chemin, en produisant d
ne sont ni de schèmes empiriques de cette sort
paradigmes comme ceux que propose Platon sou
expérience plus ponctuelle (pêche à la ligne, tis
modèles sont de véritables dispositifs élaborés
utilisés en science et dans d'autres disciplines,
réel ou l'expérience, voire pour produire des ob
Le paradigme, tel qu'il est introduit dans le
ment le paradigme du tissage, est un dispositif
tre le schème empirique et le modèle sophistiqu
le rôle du modèle, tout en gardant une dimensio
Pour montrer la pertinence de la pratique de
Platon élabore un paradigme élémentaire, qui e
plus élémentaire possible, sorte de paradigme
partir duquel peuvent se former d'autres paradig
paradigme concernant l'apprentissage, par l'enfa
La perception de syllabes courtes et faciles, d
res, forment la base de formation de mots selo
d'adjonction d'éléments en fonction du princip
ce et d'association. C'est dire que face à un co
familier, on place un autre composé inconnu et
où cependant on peut discerner des éléments
auxquels un rapprochement devient possible. En
pe connu comme référence pour élucider celui
nous faisons du premier un paradigme capable
cond. Il y a, dit Platon, constitution d'un paradi
ment d'un groupe se retrouvant identique dans

18. Cf. mon article, "Le statut transcendantal du myt

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122 Lambros COULOUBARITSIS

distinct, est interprété correctement et est ra


des deux groupes comme si ceux-ci accom
une énonciation vraie" (278a-c). Tout se jou
phrase qui indique que les choses se pass
prochement rendait possible une énonciati
θη). Il y est supposé, par la référence à une
existe quelque possibilité d'une adéquatio
les choses dont il est paradigme, sans néan
cessairement) à son emprise.
C'est là une nouveauté dans la philosophie
met une intelligibilité plus poussée du dev
longtemps qu'on se contente d'une pratique
vrai que cette démarche trouve déjà un pré
que Parménide fait de la sphère pour comp
lable" (cf. fr. 8) ". Le penseur d'Élée avai
cessité de faire usage d'un dispositif familie
rendre compte de ce qui se dérobe, en l'o
grâce auquel on peut fonder la pensée, une
sans pétition de principe, prendre comme
dition (l'Être). Chez lui, l'Être peut être cir
seulement par d'autres voies, parmi lesquel
me" du cercle et le "modèle" de la mass
arrondie, comprise comme ce à quoi seulem
l'Être, sans jamais s'y réduire. Or, une fois
fondée par cette voie, Parménide la rend p
tionnelle, en indiquant, dans le fr. 4, qu'elle
sence les choses absentes (les choses en deve
sinon de non-être, du moins du nom, en t
mées). En fait, il y a dans cette démarche

19. Pour tous ces points, voir mon livre Myth


Parménide, Ousia, Bruxelles, 19902 (1994), pp. 2
sumé que je donne dans Aux origines de la philo
cit., pp. 76-89.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 123

"rêve" auquel Platon fait allusion et la nécessité


de, car la façon dont Parménide applique la pens
en devenir, les choses qui ne sont pas dans le pré
fait appel à un intermédiaire nécessaire pour ré
sur ce devenir, qui est constitué de deux "form
lumière et l'obscurité (le chaud et le froid, le f
grâce auxquelles on peut penser les choses (fr. 8,
Mais là où Platon parle plus directement de par
nant une fonction plus précise à la pensée, Parm
"formes" empiriques qui agissent en fait à la fa
mes. La différence entre ces deux procédés se réf
doxatique, car, par ce procédé, Parménide traite
devenir conformément à une opinion (δόξα) (fr
Platon, avec l'usage plus direct du paradigme, fa
et, tout en refusant de parler de science, parle d'éno
d'opinion vraie (δόξα άληθής) - thème longue
dans le Théétète 20. Le glissement est important
un nouveau rapport de l'homme au monde, une
d'intelligibilité des choses. Il est d'autant plus
Platon ne se limite plus aux questions du dev
technique, mais y intègre également l'action, ign
nide. Or, le domaine de l'action est encore moins
celui du devenir naturel ou technique, et les anal
et produire, utilisées sans cesse depuis Socrate e
platoniciens de jeunesse, suscitent des apories fo
parcourent son œuvre. Par conséquent, on compr
qui est attentif au statut du savoir, trouve une s
ries par l'usage de paradigmes, en façonnant ceu
sent les plus adéquats pour expliquer ce qu'il pre
comme objet de sa recherche, comme ici le phén
par l'usage du paradigme du tissage.

20. Cf. L'introduction importante de Michel Narcy


sa traduction du Théétète, GF-Flammarion, Paris, 1994,

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124 Lambros COULOUBARITSIS

Ce paradigme, qu'il considère comme é


assurer cette tâche, est certainement plus é
pêche à la ligne, qu'il utilise pour définir le
tient dans le fait qu'il supplée à l'insuffisan
ral pour expliquer l'activité politique en rel
entre l'activité politique comme telle, assum
litique qui a la responsabilité du pouvoir (e
le tissage, l'activité de tisser), et toutes les
techno-économiques d'une cité qui sont att
et aux autres membres de la société, et qui
façon, à la réalisation de l'activité "royale" d
gouvernants (en l'occurrence, l'ensemble de
rent au tissage depuis la culture de la laine
requis). C'est dans l'existence de ces autr
crit la différence entre l'activité pastorale
sont accordées au seul berger, et l'activité p
des tâches sont attribuées aux membres de
s'attachant surtout à une activité politique
ton cherche à délimiter. C'est cette limitation et délimitation de
l'activité politique qui fait en sorte que tout le corps social, parce
qu'il contribue au bien de la cité, apparaît comme un rival du
politique. Or, comme on se souvient, le but de l'analyse de Pla
ton à la fin de l'exposition du mythe cosmogonique, est claire
ment indiqué comme devant écarter les rivaux du politique.
C'est ce qu'il confirme en 279a, au moment où il introduit
son paradigme. "Reprenons donc le raisonnement que nous te
nions tout à l'heure, en rappelant que dans la mesure où des mil
liers de rivaux mettaient en cause la capacité du genre royal
d'assurer les soins dans la cité, il faut tous les écarter pour lais
ser seul le genre royal, ce qui n'est possible que si nous appli
quons, comme nous l'avons dit, un paradigme". Le paradigme
capable de s'accorder aux mêmes opérations que celles de la
politique est "faute de mieux", dit-il, le paradigme du tissage, le
quel, quoique petit, suffît à faire voir, par comparaison, ce qui
est recherché (τό ζητούμενον). Platon sait bien que par "tissage"

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LE PARADIGME PLATONICIEN 125

on entend plusieurs modes de tisser, ce qui l'obli


davantage son choix, en indiquant qu'il faudrait s
partie du tissage, celle qui concerne les tissu
utilise pour confectionner des vêtements (279b).
là dans l'application d'un paradigme qui suppose
plus étendu. Cette limitation s'appuie sur le
digme limité suffit à faire voir l'essentiel de ce q
Ce choix qui nous place dans un contexte culture
celui de l'élevage des moutons, doit donc être en
manifestant, selon le cadre épistémologique qui e
paradigme, un modèle susceptible de rendre com
mène politique, mais sans jamais prétendre s'y id
Une fois qu'on prend ces précautions, on com
cilement les nuances introduites par Platon. La
sion découvre ainsi, grâce à la question du parad
nante vitalité. D'où la question de Platon, par la b
ger: "après avoir distingué, dans les choses qui p
ties des parties pour les diviser ensuite, ne doit-o
tenant la même chose pour le tissage? Et ne doi
de l'explorer tout en entier dans un racourci rap
à ce qui est maintenant utile pour notre propos
politique>?" (279b-c). Par cette question, le p
clairement tracé, même si l'interlocuteur de l'É
le Jeune, fait semblant de ne pas comprendre, o
tionneur à le prévenir qu'il lui répondra au fil d
Nous apprenons qu'il suivra deux étapes différen
devra explorer en entier le paradigme, la second
che de le rapporter au politique. Or, dans la pre
ton engage aussi une double approche du paradig
à la fois le rapport entre les choses (le vêtemen
aux autres choses apparentées ou éloignées) et le
(le vêtement produit à partir du tissu de laine, lu
à partir des moutons et tous les processus techni
la laine apte au travail du tissage). Il distingue p
deux recherches, en commençant d'abord à appli

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126 Lambros COULOUBARITSIS

de division sur l'agir et le pâtir général, pour ar


divisions, à circonscrire le produit (le vêtem
s'engager dans la voie tortueuse de sa production
portant de suivre sa méthode et de séparer ces d
avant d'étudier l'application du paradigme en p

4. Première exploration du paradigme

Ce que nous fabriquons et nous acquérons, dit-


moyen pour agir, donc pour faire quelque chos
d'être affecté par quelque chose, donc aussi de s
quelque chose. Par cette double explicitation, no
domaine de la finalité, de ce qu'Aristote appeler
en vue de quoi" (οί ενεκα) ou "cause finale". Ma
Platon introduit cette problématique ici, - fort d
du Phédon (plus proche de la perspective des ca
de celle qu'il établit dans le Philèbe sur le plan
néraux à partir d'un Intellect divin -, envisage
finalité selon des multiples possibilités, alors
blématique des causes, on soumet ces possibilité
cipiel qui les rassemble dans une cause unique
au détriment de l'instrumentalité qui la réalise. C
donné longtemps l'impression que la seule théor
pertinente dans l'Antiquité était celle de la phy
(c'est-à-dire des quatre causes), qui se réfère à la
œuvre ou à l'épanouissement d'un étant naturel.
que dans l'une des études les plus originales d
entre "technè" ancienne et "technique" moderne
ger 22, la technè ancienne est envisagée uniquem

21. Voir à ce propos mon étude déjà citée, "L'institu


des Idées dans le Phédori'.
22. M. Heidegger, "Die Frage nach der Technik", dans Vorträge und
Aufsätze, Günther Neske, Pfullingen, 19673 (1954).

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LE PARADIGME PLATONICIEN 127

quatre causes 23, occultant les autres approches q


il, sont, au point de vue structurel, plus proche
technique moderne, et qui pourraient éclairer d
table statut de la technique moderne, et son lie
que, que Heidegger ignore.
Nous rencontrons donc, dans le Politique de Pl
autre structure de la finalité que celle des quatre
liciennes. Cette structure envisage un produit da
sa présence et de son usage relativement au mon
s'insère, et qui est, en dernière analyse, le mond
déploie également le phénomène politique. Ce
qui permet de penser une œuvre produite relativ
œuvres et en fonction de toutes les conditions instrumentales de
sa production, se trouve également chez Aristote, mais dans sa
philosophie pratique, où elle est développée en rapport avec la
question du Bien et en fonction de l'art politique comme archi
tectonique. La diversité de ces analyses de la finalité et leur im
portance pour le phénomène politique, doit nous interpeller.
Quelques références à cette autre analyse d'Aristote, moins utili
sée par les interprètes de la pensée ancienne, peut nous aider à
mieux comprendre le sens et la portée de l'approche de Platon
dans son Politique qu'Aristote, me semble-t-il, préssupose.
En effet, au début de Y Éthique à Nicomaque, après avoir in
diqué que "tout art et toute méthode, et d'une façon semblable
toute action et tout choix semblent se diriger vers quelque bien",
et donc que c'est avec raison qu'on (probablement Platon) a sou
tenu que "le Bien est ce vers quoi toutes les choses se dirigent"
(I, 1, 1094al-3)24, Aristote arrive à la conclusion que l'activité

23. Sur cette question, voir mon étude "Technè ancienne et technique
moderne chez Heidegger", Revue de philosophie ancienne, TV (2), 1986,
pp. 253-297.
24. Pour le rapprochement de toute cette problématique avec le Poli
tique de Platon, voir les remarques de R.-A. Gauthier et J.-Y. Jolif,

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128 Lambros COULOUBARITSIS

(discipline ou science) à laquelle il faut rapporter


être celle qui est "la plus souveraine et au plus
tectonique" (κυριωτάτης και μάλιστα αρχιτεκτο
lui paraît être l'activité (faculté ou science) polit

dans leur Commentaire de VÉhique à Nicomaque (T.


tions Béatrice-Nauwelaerts - Publications Universita
vain, 1970, pp. 3 ss.
25. Dans sa traduction de l'Éthique à Nicomaque (V
n. 6, p. 34), J. Tricot note qu'Aristote parle de scienc
également pour la "sagesse" en Métaph. A, 2, 982b4, e
ficulté qui a beaucoup embarrassé les interprètes de l
Faut-il rapprocher ici Aristote de Platon en considéra
hé) que le vrai politique est le philosophe, ou distingu
niques, l'une liée à la sagesse théorique et l'autre à la
comme semblent le soutenir Tricot et d'autres encore
ouverte, et je ne crois pas que l'endroit soit ici favor
dans une digression à ce sujet. le tiens néanmoins à o
rer un peu le débat, qu'en Métaph. Aristote ne parle p
théorique (σοφία), de science architectonique, mais il e
ce qui "connaît en vue de quelle fin chaque chose doit êt
principielle (άρχικωτάτη) parmi les sciences, et elle
mander (άρχική) la science subordonnée; et cette fin,
que chose, et d'une manière générale le bien suprême
la nature" (982b4-6). La différence entre science archi
ce principielle me semble résider dans cette dernière p
la recherche principielle jusqu'à la nature entière, tan
architectonique est seulement en rapport avec l'action
cité et avec l'ensemble des arts. Du reste, pour la polit
se l'expression de souveraineté (κύριος), tandis que po
rique il insiste sur son caractère orginaire et principie
confère en même temps une autorité (άρχή) sur toute
nes et sciences, y compris donc sur la politique. En
l'indique dans la suite, en passant, la science politique
ne dans le domaine de la cité, se laisse déborder par l'a
là, il me semble que le fait de situer la primauté de la
ne serait-ce que parce que celui-ci ne peut vivre isolém
compatible avec l'émergence du sage à partir de la cit

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LE PARADIGME PLATONICIEN 129

elle qui répartit, parmi les sciences, celles qui s


bles à la cité, et décide quelles sortes de science
classes de citoyens doivent apprendre, et ju
l'étude en sera poussée. Cela explique que les
plus appréciées par les citoyens, comme la strat
et la rhétorique, sont subordonnées à la Polit
mesure où la Politique se sert également des
d'ordre pratique, dont la plupart sont de l'ordre
qu'en plus elle légifère sur ce qu'il faut faire
éviter, "la fin de la Politique devrait contenir le
sciences (de ce type), de sorte que c'est cette
bien proprement humain" (I, 2, 1094a26-b7). Le
analyse illustrent bien l'ampleur de la question
l'association permanente, dans la cité, des doma
et de la production - association que nous verro
également chez Platon. "Dans la mesure où, dit
te de nombreuses actions, de nombreux arts et
méthodes, il existe également de nombreuses fin
a en effet pour fin la santé, l'art de construire
navire, l'art stratégique la victoire, l'art de gér
chesse. Or, comme certains de ces arts se soumett
cipline unique, tout comme se soumettent à l'ar
de fabriquer des freins et tous les autres arts qu
pièces fonctionnelles des chevaux, et l'art hippi
toutes les activités se rapportant à la guerre à l'ar
de la même façon d'autres arts se soumettent à
suit que dans tous les cas, les fins des arts archit
préférables à celles des arts qui leur sont subord
en vue des fins des arts architectoniques qu'on

choses qui ne sont pas nécessairement d'ordre politiqu


ment, du fait qu'elles ne sont plus de l'ordre du politiqu
porter à l'ensemble de la nature, y compris à la cause du
nature, Dieu.

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130 Lambros COULOUBARITSIS

très fins" (1094a6-16). Le texte est instructi


existe plusieurs arts architectoniques, et perm
le terme "architecte" signifie celui qui dirig
sans pratiquant de métiers différents dans to
activités pratiques de la société. C'est en ce
tique doit coordonner, à propos du monde p
l'ensemble des activités en utilisant, d'une p
bre d'arts architectoniques particuliers, comm
nomie, etc., et, d'autre part, des activités non
ajoute à ce domaine des activités de produ
celui des actions auxquelles ne cesse de se réfé
peut circonscrire le caractère complexe de la
Partant de là, Aristote peut soutenir que m
dère que le bien de l'individu est identique à
n'est pas moins clair que le bien de la cité es
parfait, car s'il est vrai qu'il convient d'aimer
propre à chaque individu isolé (ένί μόνω),
apprécier davantage encore celui, plus beau e
λιον και θειότερον), des nations et des cités
ce constexte, où la sagesse pratique (φρόνησι
ficité (ce qui ne veut pas nécessairement dire
différencie de la sagesse théorique (σοφία)
plexification de la notion même de sagesse p
ne aussi bien l'activité législatrice que l'activ
ment dite. Au livre VI, 7-8, consacrée à l'étu
où il rappelle que celle-ci est toujours tribut
tion, et plus particulièrement de la bonne dél
des règles universelles à des situations partic
que derrière le terme "politique", il convient
ble d'activités, comme les activités législatri
rative, économique (c'est-à-dire administrati
aux), et la pratique politique (qui a reçu par t
"politique"). La présence de différentes espèces

26. Voir sur cette question E. Berti, "Phronèsis

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LE PARADIGME PLATONICIEN 131

complexifie la question de l'architectonique d


politique, puisqu'elle se réalise principalement
bons régimes politiques (république, aristocrat
riant d'une cité à l'autre. De ce point de vue, la
tive a toutes les chances d'être qualifiée de scie
nique" dans le régime républicain, à conditio
qu'elle peut être qualifiée ainsi parce qu'elle
universel que la politique doit nécessairement c
axe concret, qui concerne les actions particuliè
έκαστα) (1141b25-26). Or, pour Aristote la v
n'apparaît que par sa réalisation concrète et
ralités Envisagée par ce biais, la sagesse prat
semble des activités propres à la cité, y compr
ressources (χορηγείαι) et des arts qui les rend
Elle circonscrit donc un domaine fort étendu où la cité atteste sa
primauté.
Autrement dit, le but de la science politique comme art archi
tectonique est bien, d'une part, de mettre en valeur le régime po
litique qui est le meilleur pour l'homme (c'est-à-dire la "répu
blique") et, d'autre part, de le réaliser en tenant compte de toutes
les activités dans la cité qui contribuent à la réalisation du bien
commun et du bonheur des citoyens 28. Toutefois, cette sorte
d'excellence de la science politique, fondée sur la primauté de la
cité sur l'individu qui est au cœur de la Politique aristotélicien
ne, ne serait-ce que parce que le bonheur individuel n'a aucune
chance de se réaliser en dehors de l'altérité (famille, amis et

dans Aristote politique. Études sur la Politique d'Aristote, éd. P. Auben


que et A. Tordesillas, P.U.F., Paris, 1993, pp. 435-459.
27. Sur cette question, voir mon étude "La fondation aristotélicienne
de la notion de justice", dans Mélanges offerts à Robert Legros, Éd. de
l'Université de Bruxelles, 1985, pp. 79-101.
28. Cf. mon étude "Le monde commun chez les philosophes grecs",
dans Phénoménologie et Politique (Mélanges offerts à J. Taminiaux), éd.
D. Lories et B. Stevens, Ousia, Bruxelles, 1989, pp. 159-207.

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132 Lambros COULOUBARITSIS

concitoyens), ne doit pas dissimuler le fait qu


qui excelle dans l'étude (le sage) peut transcen
théorique le domaine de l'action politique,
sciences autonomes, comme les mathématique
philosophie première, ouvrant ainsi la voie à
borde l'architectonique politique. Cette activ
dement dans l'intellect (νοΰς) qui constitue a
l'homme, et qui exprime ce qui est divin en l
la plus puissante (κρατίστη άρετή). Cette ver
rétique grâce à laquelle le sage trouve une su
le, fort différente de l'autarcie propre à la v
tique (Éth. Nie., X, 7-8). Comme l'explicite A
bien que ce qu'on appelle la pleine suffisance
tient au plus haut degré à la vie théorétiqu
qu'un sage, un juste et les autres hommes on
nécessaires à la vie, cependant, une fois suffi
telles ressources, il n'est pas moins vrai que
soin des hommes envers lesquels il peut réal
en est de même pour le tempérant, le courag
tres, tandis que le sage (ό σοφός), fût-il lai
encore capable d'étudier (θεωρεΐν), et il le se
qu'il est plus sage encore. Certes, précise-t-il,
férable pour lui qu'il ait dans cette activité d
mais cela ne l'empêche pas d'être l'homme qu
pleinement à lui-même (αύταρκέστατος)" (
tant de là, Aristote peut intégrer la fin ultim
tivité conforme à la vertu qu'il considère com
bonheur de l'homme, et qui déborde manifes
tive politique. C'est pourquoi le sage est celu
haut degré de bonheur parce qu'il exerce et c
se donnant en même temps les conditions
pour être aimé des dieux. Étant eux-mêmes
les dieux y trouvent en cette activité une pa
sage qui l'exerce le statut de l'être le plus aim
λέστατος) (1179a22-32). À ce titre, l'affirm

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LE PARADIGME PLATONICIEN 133

pelée ci-dessus) selon laquelle il faut d'abord a


des nations et des cités et ensuite seulement aim
bien propre à chaque individu isolé (ένί μόνφ) (1
être nuancée. En effet, lorsqu'on aborde l'essenti
dans l'ordre de l'intellect et que l'on considère q
l'intellect est aimée pour elle-même (δι' αύτή
(1177bl), cet amour soumis à la grandeur de la c
que parce que l'individu s'enracine dans la cité
naît et grandit, mais pour s'en libérer, en se div
que sage.
Ce détour par la philosophie de l'action d'Aristote, me sem
ble bien éclairer cet autre type de finalité que celui qui est rap
porté aux quatre causes, et, par conséquent, est susceptible de
verser un peut plus de lumière sur la problématique platonicien
ne du Politique. Aristote qui s'inspire manifestement de l'ana
lyse de Platon la transgresse au moins sur deux points: d'une
part, il remplace le paradigme du tissage par le concept d'archi
tectonique et, d'autre part, il sépare l'activité pratique de l'acti
vité théorétique (confondues chez Platon), en refusant à cette
dernière un statut politique. Tandis que Platon ne cessera de si
tuer le sage dans l'ordre de la politique, comme législateur ou
même comme personnalité apte à régler l'action politique, Aris
tote le situe au-delà de l'activité politique et lui destine le domai
ne des sciences théorétiques, préférant assigner l'action politique
au phronimos. Pourtant, la parenté structurelle entre les deux
pensées est indéniable, puisque l'architectonique aristotélicienne
trouve sa source, sinon dans la lettre du texte platonicien 79, du
moins dans la structure politique qui ressort de l'application du

29. Encore que l'usage fait par Platon, dans le Politique 259e, du ter
me άρχιτέκτων, comme représentant celui qui dirige les ouvriers, et dont
la connaissance est directive et non pas de l'ordre du travail manuel, ren
tre bien dans le cadre de l'analyse aristotélicienne qui généralise ce qui
n'était chez lui que partiel dans l'ordre politique.

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134 Lambros COULOUBARITSIS

paradigme du tissage sur la cité, même si, nou


vergences sont sérieuses et aboutissent à deux
différentes, l'une (celle de Platon), fondée su
(monarchique ou aristocratique) du savoir, c'e
par un savoir théorique qualifié aussi de "p
(celle d'Aristote), se référant principalement
(πολιτεία) proche d'une forme de démocratie
"phronèsis", non plus théorique mais pratique
gesse pratique. Ces explicitations données, no
à Platon, en suivant son développement relati
tissage, axé sur la production d'un produit pa
vêtement.
Comme on l'a vu, Platon considère que ce qu
ce qu'on acquiert sert soit de moyen pour agi
quelque chose, soit de moyen d'être affecté p
donc aussi de se préserver de quelque chose.
générale, rapportée à ce qui est cherché, en l'
ment, suppose qu'on doit choisir cette second
sion, puisque tout vêtement protège celui qui
moyens de protection concernent un nombre
qu'on peut cependant scinder en deux parti
part, à l'ensemble des antidotes divins ou h
part, à tous les moyens de défenses. Comme l
tient à cette dernière catégorie d'objets, Platon
mais en la scindant également en deux partie
cerne les armures guerrières, la seconde l'ense
parmi lesquelles on peut inclure le vêtement en
des intempéries. C'est pourquoi ces "clôtures"
deux: en tentures et en abris. Les abris sont aus
toitures et en étoffes, lesquelles sont produite
soient étendues comme on le fait avec les tente
pour envelopper quelque chose. Avec cette
nous arrivons dans la proximité de ce que cons
puisque sa fonction est d'envelopper l'homme
téger des intempéries. Mais comme la visée d

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LE PARADIGME PLATONICIEN 135

conscrire un type de vêtement formé à partir


laine, c'est-à-dire le vêtement fait de laine, la d
s'arrêter à l'attribut "ce qui enveloppe", mais re
tinction supplémentaire dans l'ordre même de ce
fe qui enveloppe. Or, parmi ces matériaux, le
d'une pièce, les autres de plusieurs pièces, et ceu
de plusieurs pièces sont ou bien perforés ou ass
forations; ces derniers sont faits soit de fibres tiré
la terre, soit de crins qui sont eux-mêmes collé
de la terre, ou entremêlés brin à brin, comme
tirés de la laine des moutons. Ce sont, conclut P
yens de protection constitués d'étoffes faites de
qualifier de vêtements.
Le processus est remarquable, car il permet d
jet, en l'occurrence le vêtement, relativement à
ou à des classes d'objets. Se forme ainsi un résea
régi par les principes de ressemblance et de diff
nisent le réel, tout en permettant d'assigner à un
buts significatifs. Ce procédé qui concerne plus
un objet fabriqué (le vêtement), mais qui aurait p
à n'importe quelle chose, naturelle ou autre, est
ticulation artistotélicienne de l'attribution, mai
ports entre genres et espèces, ce qui suppose un
parentés et des différences entre les choses. Pou
pe de recherche appartient aux instruments de l
Topiques I) et peut aboutir à une organisation thé
de. Nous découvrons donc bien ici, dans ce texte
lieu de naissance de questions majeures de la réf
phique dont la destinée nous interpelle encore.

5. Seconde exploration du paradigme

Une fois l'élucidation des relations impliqué


duits du tissage accomplie, Platon reconnaît qu'e

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136 Lambros COULOUBARITSIS

le problème de l'art vestimentaire, car c'est la


qui reste en suspens x. Effectivement, si l'on p
les matériaux mis en œuvre dans le processus
cerne qu'entre les arts utilisés pour traiter les
des arts concernant l'agriculture et les planta
concernent les animaux (élevage, et même, ic
s'inscrivent des différences considérables. Platon voit la difficul
té et s'engage dans une nouvelle voie de recherche qui, selon une
première étape, parcourt à rebours l'ensemble des parties qu'il
avait écartée, mais en insistant cette fois-ci sur la dimension pro
ductrice, sur l'art qui leur correspond chaque fois.
Pour situer cette nouvelle direction de recherche dans le ca
dre plus directement politique, il commence par indiquer que,
parmi les arts, il existe ceux qui sont apparentés entre eux dans
l'ordre de la production, et ceux qui sont seulement auxiliaires.
Enchaînant immédiatement, il revient à l'étape où il traitait des
étoffes, et les distingue en fonction, d'une part, des arts propres
aux objets qui servent à étendre (tentes, draps...) et, d'autre part,
des arts qui concernent les objets servant à envelopper (voiles,
vêtements...), mais en rappelant qu'il avait écarté tout les arts
correspondant aux plantes (lin, sparte...), ainsi que l'art du feu
trage et de l'assemblage (dont la partie la plus importante est la
cordonnerie). Dans sa lancée, il nous rappelle qu'avant cela, il
avait écarté la pelleterie, qui apprête les étoffes faites d'une seule
pièce, et les arts de fabrication, notamment ceux qui concernent
la construction et les autres choses semblables. Remontant en
core le courant, il met en valeur les arts de fabrication des clôtu
res qui nous protègent des vols et des actes de violence. Ces arts
qui produisent les couvercles et les portes appartiennent à l'art
du menuisier, art qui,- faut-il le rappeler? -, produit également
la navette pour tisser.
Cette première note politique, dans son raisonnement, qui
porte sur le vol et la violence, est prolongée, dans la suite, vers la

30. Voir tout le passage du Pol. 280a-e.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 137

structure de l'artisanat de l'armement. Revenan


mières divisions, Platon rappelle qu'il avait éc
fabrication des armes qui ne sont qu'une partie
complexe industrie des moyens de défense", apr
également l'art propre à la magie qui a pour obj
Ces incursions dans le domaine du politique, sur
l'a vu, Aristote portera un regard attentif pour
sources qui accompagnent l'action politique, fon
une apparition fugitive, aussi fugitive que sont
des instruments du tissage dans le cadre de son
litique. Nous verrons en effet que la dimension p
lyse de Platon écarte ce genre de préoccupation
thématique éthico-politique en rapport avec la
cative de la politique. C'est pourquoi, au point d
argumentation, ces données ne doivent pas nous
reur, car le problème n'est pas posé selon une q
pective politique, elle est seulement esquissée
pective paradigmatique, dans la mesure où il vis
raître, au terme de retraits successifs, l'art vesti
duit les moyens de protection à partir de la lain
signé par le nom "art du tissage".
Cette orientation purement technicienne de s
paradigme me permet d'observer que Platon esq
Poétique autonome, qu'il introduit néanmoins
tique. Il est curieux qu'Aristote, qui a assuré à la
la technè un domaine autonome, associé à une
jamais, non plus, engagé une étude dans cette d
qu'il aborde le problème dans les livres I, 1 et V
que à Nicomaque, mais il est vrai dans un cadre
co-politique. Il semble donc bien manquer, ch
véritable réflexion sur la complexité du monde d
et de la technè, alors même qu'il s'engage dans c
la physique et toutes les sciences qui s'y rappo
précieusement l'autonomie de la philosophie de
de Platon est différent, puisqu'il ne se préoccupe

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138 Lambros COULOUBARITSIS

savoir comment il convient de préserver l'aut


rentes activités de l'homme, dans la mesure o
néral ses analyses à une visée ultime qui est l
pour elle, le savoir et l'action. Cela explique
thématique des paradigmes qui contribue plus
type de démarche, en adaptant les paradigm
cherché.

En l'occurrence, l'explicitation paradigmatique du processus


de division en fonction de la notion d'art, rappelle que nous
cherchons à établir l'art du politique, tout comme dans le So
phiste, on cherchait à définir l'art sophistique moyennant le pa
radigme de l'art de la pêche à la ligne. Cette explicitation con
duit au cœur de la question de la production et, par elle, à l'ac
tion politique. Car, lorsqu'on met, pour ainsi dire, "la main à la
pâte" pour fabriquer des vêtements, nous nous engageons dans
une activité de production selon des modes qui, tout en différant
du véritable art du tissage, peuvent néanmoins lui être apparen
tés, tant par la fabrication du vêtement que par les soins qu'ils y
apportent. C'est ainsi que lorsqu'on tisse, la production s'accom
plit par une sorte d'entrelacement (συμπλοκή), et non par une
action de démêler des choses qui étaient constituées et pressées
ensemble, - action qui appartient à un autre type d'art (art du
cardeur) -, ni par une fabrication d'une chaîne et d'une trame, et
moins encore par des activités de foulage, de ravaudage, etc.
(280e-281b). L'action de tisser est bien une action de production
et peut être circonscrite essentiellement. Il n'empêche que cer
tains des arts auxquels je viens de faire allusion (lavage, ravau
sage, etc.), prennent l'allure de véritables rivaux du tissage. Bien
plus, ces arts appartiennent au champ de l'art du tissage, dans la
mesure où celui-ci combine, grâce à la navette ou aux mains qui
tissent, deux activités différentes, comme celle d'assembler et
celle de séparer. C'est pourquoi Platon se voit contraint de réunir
ces arts en un art unique, considéré généralement comme l'art de
travailler la laine (ταλασιουργική).
Or, cet art particulier peut être soumis, à cause de la multi

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LE PARADIGME PLATONICIEN 139

plicité qu'il implique, à un processus de divisio


circonscrire le mode selon lequel se-manifeste
comme production, et d'associer dans l'art de ti
activités opposées, comme celle qui assemble et
Ces deux activités opposées peuvent d'ailleurs ê
deux arts génériques opposés: l'art d'assembler
χνη) et l'art de séparer (διακριτική τέχνη). C'e
deux arts qu'appartiennent le cardage et tous l
tandis qu'au premier appartiennent l'art de tord
ment des chaînes mais également des trames
lacer qui forme l'action même de tisser (282a-2
conclusion: "l'art d'assemblage rentre comme p
de travailler la laine lorsque la fabrication de l
filage de la trame de façon à former un tissu, c
de qualifier l'ensemble du tissu de vêtement d
le produit de tissage". Par suite, "le tissage est
la chaîne et la trame" (283a-b).
Nous voilà donc fixés. Mais avec cette cons
quée par la complexité de l'art du tissage dans l
ducteur, s'impose également une intégration de
ge, composant un tout dont l'efficacité est dét
tant, cette intégration que nous avons rencont
l'architectonique d'Aristote, est refusée par Pl
met de mettre le doigt sur une divergence maje
philosophes, et de discerner aussi pourquoi on
préter le système platonicien selon le mode ar
fait, à ses yeux, les "rivales" de l'art de tisser, -
l'essentialité de la production du tisserand qui
produit (le vêtement) -, ne peuvent d'aucune f
part essentielle dans la genèse de la chose mêm
ou, comme le dira le Philèbe d'une façon gén
nèse de l'essence (γένεσις είς ουσίαν) (64e). Par
te activité concernant une chose déterminée qu
pas essentiellement à cette chose, n'a d'autre
d'un auxiliaire.

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140 Lambros COULOUBARITSIS

Il s'ensuit que les rivaux du tissage qui form


arts à écarter, ne contribuent pas directemen
directement, en produisant les outils avec les
Tels sont les arts qui fournissent les fuseaux,
les autres instruments qui concourent à la p
ments. Ils ne sont pas des causes directes (δι
causes auxiliaires (συναίτιον) (280e-281e).
Platon, qui ne fabriquent pas la chose même
mais fournissent aux arts qui la fabriquent
lesquels aucun d'eux ne saurait accomplir l
assigné, sont des causes auxiliaires, alors q
duisent la chose même sont des causes <pr
Nous aurons l'occasion de voir de plus pr
cette distinction, non seulement pour éclair
digmatique l'art politique à partir de l'art du
lement comme obstacle pour établir la coe
politique, de l'action (éthique) et de la produ
me semble cependant utile, pour garder à
cette problématique qui peut éclairer égalem
tre éthique et technique à notre époque, d'ouv
En effet, la façon dont Platon amorce le
tique par cette mise en scène de la complexit
cessaires pour produire un vêtement à parti
laine, me paraît plus importante que son text
car il révèle qu'un objet fabriqué ne s'éclaire
ses rapports avec les autres objets, mais égal
ble des processus qui contribuent à le produi
comme tel étant fabriqué servant à quelque
vrons en fait ici les données essentielles que
mier, a mises en évidence pour expliquer l'ob
exemple un avion) à partir de l'extraction de
droit de la planète et au terme de l'enchaîne
de fabrication et des dispositifs mis en œuvr
moderne, qui nécessite le rassemblement des
duiront à la fabrication de l'objet technique. C

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LE PARADIGME PLATONICIEN 141

l'objet, qui défie la simplicité des quatre causes aris


parce qu'elle met en jeu une ensemble de proces
qui arraisonnent le monde qui nous entoure en le m
qualité par Heidegger de Gestell, qui forme l'e
technique moderne, tout comme les causes le se
technè ancienne 31. L'analyse que je viens de décri
mais aussi l'étude de l'architectonique élaborée par
vèlent que cette dernière analogie est insuffisan
Grecs avaient proposé un modèle qui anticipe et a
de Heidegger. Si l'on met ici entre parenthèses la
gerienne qui concerne à la fois le défi que nous adr
de la technique et l'occultation de l'être au bénéfic
technique, il faut reconnaître que son approche ci
venablement le champ d'analyse de la technique en
tout comme celle de Platon éclaire d'une façon rem
complexité de la production à partir d'une multiplic
et comme celle d'Aristote circonscrit le cadre d'une structuration
globale du monde de la technique dans son rapport à la politique.
Toutefois, s'il est vrai que la visée heideggerienne, qui se rappor
te à la problématique du dépassement de la métaphysique dont la
technique serait l'achèvement, va aussi au-delà de la technique
pour ouvrir à une activité humaine authentique (une poétique de
l'être fondamental), elle n'oblitère pas moins la portée politique
du problème, que nos deux penseurs grecs ont discerné avec une
suprenante perspicacité. L'absence de la dimension politique mais
aussi économique, dans l'analyse de Heidegger, soulève une apo
rie fondamentale qui concerne le statut même de la technique et
de son lien à la métaphysique dans le monde contemporain. Il
me semble audacieux de penser la question de la technique mo
derne et surtout contemporaine en dehors de toute référence à
ses dimensions économiques, d'abord, et politiques, ensuite, qui

31. Cf. mon étude, "Technè ancienne et technique moderne selon Hei
degger", op. cit., pp. 268 ss.

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142 Lambros COULOUBARITSIS

ouvrent à un rapport plus global de l'homme


occultation indique que même si l'on admet un
tielle, comme le fait Heidegger, entre "technè" an
que" moderne, celle-ci est toujours envisag
d'une technè artisanale qui peut effectivement
du contexte politico-économique. Pourtant, P
nous apprennent que la technè elle-même int
technai, et que ce réseau est indissociable de l
et c'est pourquoi ils situent leur analyse relat
mais que chacun comprend autrement. En r
négligent, c'est la dimension économique, com
leurs beaucoup de philosophes contemporai
technique à partir d'une perspective éthique,
ple, Hans Jonas ou, en partie, Gilbert Simondo
plus exact de dire que Platon la néglige d'u
pour les raisons que nous verrons, tandis qu
qu'il l'intègre dans un système architectonique
vraiment (puisqu'elle appartient à l'ordre des "
la situe à un niveau inférieur par rapport aux
cernent l'âme, et qui forment la praxis propreme
La parenthèse donc que je me suis permis d'o
discerner en quoi le modèle du tissage devient
montrant en effet la complexité technique, i
chnique n'est pas indépendante de la compl
c'est pourquoi un tel paradigme peut aussi serv
pour éclairer le phénomène politique. D'autr
tissage comme paradigme pour éclairer le phé
n'implique pas nécessairement que Platon intè
phénomène technique dans la politique, mais s
est associé comme un auxiliaire. Or, c'est, à
qu'il s'autorise à faire jouer à cet "auxiliaire",
taire, qui me paraît poser un problème sérieu
cherche à corriger jusqu'à un certain point, m
toujours fidèle aux visées de son maître. Rapp
que, où le phénomène technico-économique s'e

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LE PARADIGME PLATONICIEN 143

transmuté en une puissance en soi d'une complexité


dent, cette proposition indique que notre monde po
également d'une complexité sans précédent, source
difficultés que le monde contemporain ne cesse d'af
Bien plus, elle nous autorise à observer que si les
ressaient peu, dans leurs réflexions, aux questions d
ces", préférant spéculer sur les aspirations de l'âme
bonheur), nos contemporains font exactement l'inv
dire ne cessent de traiter des problèmes technico-éc
dissimulant les aspirations humaines. Bref, il apparaî
que la double exploration du paradigme du tissage p
l'architectonique aristotélicienne conduisent à des int
qui débordent largement le contexte philosophique
de l'Antiquité. Il est donc temps de voir comment P
conduit de la clarification du paradigme à son ap
politique.

6. La mesure comme condition de l'art de production

Une fois la question de la double exploration du tissage


achevée, et bien avant d'en faire un paradigme du politique, Pla
ton met en œuvre une élucidation de l'art à partir de la notion de
juste mesure. À première vue, cette explicitation paraît bizarre,
car elle est introduite comme une sorte de digression pour justi
fier la longueur que prend le propos, produisant même le senti
ment d'un certain malaise (δυσχερεία) (286b ss.). Que faut-il di
re des divisions fastidieuses à propos du tissage, ou encore de la
longueur prise par le récit mythique, voire encore, - en sortant

32. Cf. mes études "L'enjeu de la démocratie contemporaine", dans


Mélanges offerts à Constantin Despotopoulos, Athènes, éd. Papazisis,
1991, pp. 83-99 et "De l'iségorie à l'isopraxie", dans Variations sur l'éthi
que (Mélanges offerts à J. Dabin), éd. H. Ackermans, 1994, Publications
des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, pp. 127-146.

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144 Lambros COULOUBARITSIS

ici avec Platon du Politique - de ces intermin


le non-être dans le Sophiste, alors qu'on avai
fois dévoilé ce qu'est un sophiste, qu'il fallait
vement la page? Vain bavardage dirons certa
faut se méfier de telles conclusions pérempto
ton n'est plus sérieux que lorsqu'il s'interrog
marche. Une lecture attentive du texte montr
ce qui y est dit s'intègre, d'une façon métho
trame du discours, comme élément narratif d
d'une pensée. Je crois l'avoir montré ailleu
deux cas précis: à propos de la façon dont il
dèle dans la République 33 et au sujet de l'org
du Phèdre 34. Qui niera, d'autre part, la port
non-être dans le Sophiste, et son lien avec l'a
gumentation qui conduit à manifester la néces
l'autre dans l'organisation du langage?
Or, Platon rappelle lui-même, en cet endroi
non-être analysé dans le Sophiste (286b), et r
couverte avec la mise en valeur qu'il entrepr
mesure, se permettant même d'indiquer qu
condition du politique ou du savant qui s'o
"n'allons-nous pas agir comme dans le Sophis
obligé le non-être à être parce que c'est par ce
notre raison a pu sortir de l'impasse et faire
et le moins soient maintenant contraints de devenir commensu
rables, non seulement l'un relativement à l'autre, mais aussi re
lativement à la genèse de la juste mesure? Car il n'est pas possi
ble de traiter d'une façon indubitable du politique ni de tout au
tre savant s'occupant des actions si l'on ne s'accorde pas sur ce

33. Cf. "Le paradoxe du philosophe dans la République de Platon",


op. cit.
34. Cf. "Statut mythique de l'affectivité et dialectique dans le Phè
dre", op. cit.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 145

point" (284b-c). La comparaison avec le Sop


éclairante, si l'on se souvient que l'existence du
possible la fondation du savoir sophistique com
apparente qui vise à établir uniquement la pert
lacres au détriment d'une réalité authentique, v
fondée sur la mesure. Or, c'est bien cette mesu
mandée dans le Politique, en vue de fonder cett
politique, une science véritable de l'action. En
critère doit être la juste mesure. Si la juste mes
me la pierre angulaire de l'argumentation pour é
l'art politique, comme l'a été le non-être pour
c'est parce que dans le domaine de l'action el
en jeu l'excès et le manque, comme l'implique t
humaine, y compris celle de la composition d'u
phique. Platon montre que tout comme dans le
distinguer entre un art pertinent, Y eikastikè tech
simulacre, la phantastikè technè, de même ici i
entre une activité pertinente qui réfléchit l'ex
relativement à la juste mesure et une activité
qui cherche à élucider l'excès relativement a
verse. C'est la première de ces options qui condu
et fonde la possibilité d'un art, car "si le rappor
la juste mesure existe, les arts existent aussi, e
tent, ce rapport existe également" (284d). Or,
ductions de la technè participent d'une certain
sure et si l'art de la mesure s'applique à tout ce
peut dire que la technè assure une "essentialité
283d: κατά την της γενέσεως άναγκαίαν ούσία
par là pourquoi Platon se permet de faire état,
d'une technè divine, dans le Timée, d'un dém
d'achever son propos, dans les Lois, par la thès

35. Sur cette question de Inexactitude", voir M


p. 12.
10

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146 Lambros COULOUBARITS1S

mesure de toutes choses, qu'il oppose à ce


l'homme-mesure de toutes choses. L'essen
produit (ex. le vêtement par le tissage) réal
semble de productions et donc de contribut
auxiliaires, a nécessité, en définitive, une s
qui rassemble toutes les productions possible
peuvent être expliqués les innombrables pro
divers arts existants. Le propos n'est pas sa
non seulement pour le Moyen Âge, où Dieu
le principe ultime de tout rassemblement,
notre époque, où la "technique moderne" se
remplacer, dans le discours contemporain,
que antico-médiévale, dans la mesure où elle
me puissance qui transcende les multiples pr
par ce qu'elle renferme d'irrémédiablement
problématique, située comme horizon de so
se trouve la mesure ou les mesures de la tec
leurs rapports à l'activité politique? Perso
d'hui réponde à ce genre de questions.
En revanche, pour l'Antiquité platonicienn
pour la première fois, de la complexité du
politique elle-même, en tant qu'elle se réf
science, ne peut faire abstraction de cette s
liée à la mesure. Cependant, il ne s'agit p
porte quelle mesure, ni même de considérer
être uniquement d'ordre mathématique. Pla
peut diviser la métrique selon deux parties
coup entre elles: dans l'une, constituée d
gueurs, des profondeurs, des largeurs et des
s'accomplit en fonction de rapports contrai
l'autre, l'on rencontre les choses qui se rappo
sure" (τό μέτριον), à "ce qui convient" o
séant" (το πρέπον), au "moment propice"
qu'il faut" ou à "ce qui est requis" (τό δέον
qui tiennent le milieu (τό μέσον) entre

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LE PARADIGME PLATONICIEN 147

L'application de la méthode de division sur


donne l'occasion d'observer que la méconnaissan
thode pousse souvent les gens à la confusion en
choses similaires ou, à l'inverse, en ne discern
semblances possibles entre des choses éloigné
manque, c'est une réflexion sur "ce qu'il faut
dans de tels cas pour rendre compte d'une réalité
Or, ce qu'il faut faire, c'est, après avoir établi e
ce qui les rapproche, ne pas les lâcher avant d
dans cette proximité, toutes les différences spé
l'inverse, après avoir constaté les dissemblances
ses multiples, ne pas abondonner la recherche d
proche pour les situer relativement à une similit
englober dans un genre essentiel. C'est dire q
concernant le division de la mesure selon des sy
triques différents, en lesquels d'autres divisions
sont considérables. Aristote s'en souviendra, no
propos de sa problématique de la plurivocité (tô π
μενον), grâce à laquelle il peut faire état de plu
mesure et de plusieurs modes de l'étant et mêm
également pour la mise en forme des différents
d'unification, comme la chose numériquement u
spécificité, le genre et l'analogie. Bien plus, c'est
redistribution des données de la dialectique qu'il
se centrale, selon laquelle l'Un est la mesure de
l'Un étant la référence de toutes formes d'unité et d
De ce point de vue, la notion de "temps propice
exemple, allie ce qui doit être ou ce qu'il faut fa
du temps, c'est-à-dire une temporalité propre a

36. Voir mes études, "L'Être et l'Un chez Aristote",


sophie ancienne, I, 1983 (1 et 2), pp. 49-98 et 143-195,
l'Un dans la 'Métaphysique', Revue philosophique de Lo
pp. 497-521.

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148 Lambros COULOUBARITSIS

sure n'est pas réductible à celle du temps physiq


le temps propice comporte quelque chose d'inso
qui correspond à une temporalité appartenant d
action ponctuelle, comme celle d'un stratège qu
taille au moment propice et comme il le faut, c
les préceptes de l'art de la stratégie, ou encor
decin qui agit sur son patient pour le guérir, en
l'art médical qui se rapporte toujours à une p
phénomène contingent37. Quoique Aristote ne f
sément référence à cette notion de "kairos" pour
(πράξις), alors qu'il ne cesse de faire allusion
quis" (par l'usage des expressions δει et δέον
qu'il inclut ce type de temporalité kairique dans
de "prudence" ou de "sagesse pratique" (φρόνησι
En effet, la phronèsis est envisagée comme
tion en fonction de ce qu'il faut faire 38, dans
émotions qu'on ressent sont liées à la vertu (éth
concerne une personne déterminée en fonction
minées et, en plus, s'insère dans un contexte dét
moment propice (δτε δει) et s'accomplit comme i
Or, comme la vertu (éthique) est définie à parti
sure, de la médiété (μεσάτης) entre deux position
sidérée comme constituant, au point de vue du
mité ou un sommet et à partir de cette cont
l'action, selon une règle universelle (la recherch
et en fonction de son meilleur accomplissement
des circonstances particulières, on peut rapproc
core son analyse de celle de Platon qui cherch
maine de l'action en dehors de la métrétique

37. Cf. Aristote, Eth. Nie., I, 4.


38. Ibid., VI, 10, 1143a8-9.
39. Ibid., II, 6, 1106a22 ss.
40. Ibid., II, 6,1107a6-8.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 149

mieux lui assurer son autonomie et sa spécificit


cette nouvelle métrétique qui s'accorde avec le
trétique traditionnelle, on peut la qualifier de "
gique". L'accord entre Platon et Aristote sur ce
indéniable, même si l'usage qu'ils en font diffè
breux points.
En effet, Aristote insiste beaucoup sur le caractère pratique
de l'activité éthico-politique régie par la phronèsis, qui est un
analogue (non scientifique et technique) dans le domaine de
l'action de ce qu'est l'art (médecine, stratégie, etc.) dans le do
maine de la production. Le fait que certains arts, comme la mé
decine, la stratégie, la navigation et d'autres encore requièrent
également une délibération et des choix, facilite cette analogie41.
En revanche, Platon, qui comprend la notion de phronèsis au
sens fort de "science", à laquelle il oppose les arts et toutes les
facultés pratiques, rapporte d'entrée de jeu la politique au do
maine de la science théorique et situe son questionnement dans
l'ordre même du savoir, en y intégrant ses considérations sur ce
qu'il faut faire et sur le temps propice et favorable. "Après avoir
examiné, dit-il, toutes les sciences, il faut discerner qu'aucune
n'est apparue comme étant la science politique, car la véritable
science royale ne requiert pas une activité pratique, mais com
mande (δρχειν) aux puissances qui doivent agir, dans la mesure
où elle connaît quelles sont les moments favorables (έγκαιρία)
ou défavorables (άκαιρίαι) aux cités pour commencer et s'élan
cer dans de grands projets, alors que les autres puissances exécu
tent les ordres reçus" (305c-d).
En d'autres termes, en posant la caractère directif, voire auto
directif de la l'art royal42, Platon l'associe à sa capacité d'ac

41. Voir à ce propos mon étude "Le problème de la proairésis chez


Aristote", Annales de l'Institut de philosophie de l'LJ.L.B., 1972.
42. Cf. Pol. 259c ss. et 305c SS.

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150 Lambros COULOUBARITSIS

complir des actions comme il le faut et au mo


le but de réaliser des entreprises ambitieuses q
parmi les sciences, à maîtriser. C'est que cett
politique peut se donner les conditions d'u
pielle, c'est-à-dire capable de rapporter l'ensem
à la métrétique axiologique, en vue de prod
d'essentiel (γένεσιν είς ουσίαν) en se confor
l'action requise (κατά την της γενέσεως άναγ
but donc est clair, et nous verrons quel est son
de l'action politique. Il n'empêche que le car
cette problématique aboutit à soumettre ce qu
l'essentiel présumé le plus essentiel pour l'a
qui dans l'ordre de l'art du tissage correspond
serand, c'est-à-dire à sa capacité de tisser (sel
trelacement) un vêtement. Or, face à cette pr
qui se pose est de savoir comment Platon tran
que ce modèle qui fait déjà voir que le tissera
roi-philosophe et l'art de tisser à l'art royal.

7. Éléments auxiliaires et rivaux du politique

La complexité de la cité qui guide l'analy


pousse à agir de la même façon qu'il l'a fait po
en distinguant ce qui est essentiel ou product
qu'accessoire ou auxiliaire. Mais on s'en dou
sage comme un paradigme pour le traitement
beaucoup plus loin et cherche à approfondir l
tielle de la production en éliminant tour à to
xiliaires pour arriver à circonscrire cet essen
l'analyse que Platon propose, dans le même co
régimes politiques tient à dévaloriser les six r
(monarchie, tyrannie, aristocratie, oligarchie,
et mauvaise démocratie) comme étant des "
tions" régies par le principe d'imitation, pour

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LE PARADIGME PLATONICIEN 151

uniquement le régime royal qui met en œuvre


tution" 43.
Au moment d'éliminer les arts auxiliaires, Platon prend ses
précautions et reconnaît que cette tâche n'est pas facile, car on
ne peut réduire tous les arts auxiliaires à des arts qui fabriquent
dans la cité des instruments, puisque certains servent à conserver
des objets secs ou liquides, à préparer des produits par le feu ou
sans le feu, etc., comme sont les différents types de "vases".
Ainsi il faut commencer par distinguer l'ensemble des instru
ments qui servent à la production et l'ensemble des produits qui
servent à conserver. Une troisième espèce d'objets, fabriqués par
le potier, le charpentier ou le forgeron, est celle qui concerne le
transport sur terre ou sur mer, c'est-à-dire l'ensemble de "véhi
cules". Une quatrième espèce est celle qui a retenu notre atten
tion au début, lorsque nous avons traité du vetêment et de tous
les objets qui peuvent être mis en relation selon le mode de pro
tection: armes, murs, voiles, abris de terre, etc., que l'on peut ras
sembler sous le terme d'"abris". À ces objets d'utilité courante
on peut ajouter d'autres plus spéciaux, comme les dessins, les
produits de décoration et toutes les imitations, y compris la mu
sique, qui forment une cinquième espèce, que résume le terme
de "loisir" ou "divertissement". À ces cinq espèces, Platon ajou
te deux autres: la sixième rassemble les matériaux constitutifs de

tous ces objets, comme l'or, l'argent, le bois, etc., sorte de matiè
re première, ainsi que les arts qui servent à les cueillir (extraire,
couper, écorcher...) et à les travailler pour les rendre aptes à
l'usage, tandis que la septième espèce est l'espèce nourricière,
car elle rassemble tous les aliments qui servent à la subsistance,
et qui requièrent des arts appropriés, comme l'agriculture, la
chasse, la cuisine, la médecine, etc. (287c-289c).

43. Pour l'ensemble de cette question, voir l'étude de M. Broze, "Le


politique et ses falsifications", Revue de philosophie ancienne, 13 (1),
1995, pp. 31-53.

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152 Lambros COULOUBARITSIS

Cette énumération qui rassemble en gros l'in


cité est surprenante, même si Platon ne fait
recte ici au facteur économique qui s'y ass
l'organisation du système de production. Cert
de la cité apparaît latéralement, à travers ce
comme celle des hommes d'affaire, ou à trav
politiques, comme l'oligarchie; et les référ
domestiques ou aux esclaves appartiennent au
Mais c'est tout, et rien n'autorise à déduire d
considérations technico-économiques. D'ailleu
ce qu'ils appartiennent au genre humain, son
subalternes du politique, voire comme ses riv
à leur statut économique, comme le fera Aris
la mesure où la démarche de Platon vise à l'élimination de tous
les auxiliaires du politique, qui sont ses "rivaux", son intérêt ne
peut porter sur le statut de ces auxiliaires, mais seulement sur
leur caractère d'auxiliaire. La nuance est importante, car elle
nous permet déjà d'entrevoir qu'en refusant une analyse essen
tielle des auxiliaires, jamais son étude ne pourrait associer l'ac
tion du gouvernant avec ces auxiliaires, mais devrait se contenter
de la circonscrire à partir de ce qui la différencie et la spécifie u.
À ce titre, les esclaves, les serviteurs et de nombreux artisans
peuvent être qualifiés de rivaux de l'homme politique, car ils
s'occupent de choses que le gouvernant ignore. Du reste, Platon
reconnaît que certains de ces artisans exercent des métiers qu'il a
déjà incorporés dans l'infrastructure, puisque les objets qu'il re

44. Cela ne signifie pas que la démarche de Platon, en vue d'établir


cette primauté axiologique, n'a pas tenté d'appliquer la notion de "diffé
rence" comme catégorie essentielle du monde humain, mais indique seu
lement que la différenciation sert un projet d'identification et de valorisa
tion de l'activité politique au détriment des autres activités. Sur cette ques
tion, voir D. N. Lambrelis, "H Έννοια της διαφοράς και η πολιτική τέ
χνη στον Πολιτικό του Πλάτωνα", dans La politique et le politique, Athè
nes, 1990, pp. 109-153.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 153

tient pour son argumentation sont le plus souvent


technai. C'est pourquoi il passe directement de
l'hommes libres, qui forment la plaque tournante
d'échange économique à l'intérieur comme à l'ex
cité, "changeant monnaie contre denrées et monna
naie, qu'ils s'appellent agents de change, comm
teurs, revendeurs" (289c-290a). Il est certain que c
si importantes qu'elles soient dans l'ordre de la gé
vent être confondues avec celles du gouvernant. N
loin ici de la fonction royale telle qu'elle resso
qu'on se donne généralement de l'activité polit
est celle de la purification, et c'est pourquoi le che
l'élimination également des autres rivaux du polit
ses rivaux.
D'abord, il faut éliminer les hommes qui compo
héraldique", à qui la maîtrise dans l'art de l'écritur
ce dans les magistratures confèrent une stature d'u
compétence; mais, comme l'observe Platon, cett
appartient à l'activité de servir et non à celle de di
il faut écarter tous ceux qui s'adonnent à la divin
généralement, à l'activité sacerdotale qui, dans
comme l'Egypte, s'identifie à l'activité politique (p
ou, comme en Grèce, s'enchevêtre, dans certaines
avec les fonctions politiques; mais ici encore on n
que les sacrifices offerts aux dieux relèvent de l'ar
leur prise en charge par le gouvernant n'aménuise
férence de cette activité avec l'activité propremen
si l'activité politique implique plus de fonctions, i
mander si l'on ne doit pas attribuer l'activité p
vaux les plus proches du politique, à savoir les sop
te tenu de ses écrits antérieurs, comme la Républ
phistes sont identifiés à des hommes ambitieux (φ
ne s'intéressent qu'à l'opinion (δόξα) au détriment
comme le Sophiste, où les sophistes ont la prétent
der toute forme du savoir, ce qui ne peut leur ass

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154 Lambros COULOUBARITSIS

sagesse apparente, la proximité s'estompe au


écarte ces rivaux d'un geste rapide, mais signific
l'a mis en évidence, avec perspicacité Michèl
des rivaux qui précède les sophistes (esclaves, o
çants, fonctionnaires, prêtres et devins) retient
de "serviteurs", tandis que les sophistes, ces ma
l'imitation, sont qualifiés d'"inclassables" (άτ
qui n'empêche pas Platon de leur associer, au fi
"fausses constitutions", qui ne sont que des imit
politiques" qui les défendent 4S. L'élimination d
politiques et des faux politiques éclaire d'un
qui conduit à l'art royal, tout en indiquant, par
reste tout de même à mettre en évidence, les él
raient fonder sa légitimité, afin qu'il puisse enfi
dre le nom qui lui revient: "art politique".
En effet, Platon évite, tout le long de son arg
parler d'"art politique" aussi longtemps qu'il n'e
sa légitimité. Quant à la notion de "loi", il la co
le sens d'une codification de décisions collect
vées au rang de préceptes universels et stables
que l'on consolide en les conservant par écrit et
sur des stèles ou autres supports légaux. C'est d
dées par convention qu'il se réfère, mais en mo
prétention à l'universalité confirme leur rigidi
tion, ne leur permettant pas de rendre compte
possibles, ni de résister au devenir humain qui s
monde du changement. De telles lois, qu'elles soi
pour les intérêts des uns ou des autres, riche
qu'elles soient établies par consentement ou t

45. M. Broze, op. cit., pp. 3 et 48 ss. L'analyse de Br


d'étudier ici en détail les différents régimes politiqu
porter davantage mon attention sur le septième, le ré
sur le savoir.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 155

seront jamais capables de "circonscrire à la fois


et plus juste pour tous, de façon à édicter les m
car les dissemblances qu'on rencontre chez les
les actions, et le fait qu'aucune chose humaine
dire, jamais sereine, ne laissent place, dans auc
cune matière, pour une référence simple (ούδέν
énoncée pour tous les cas et pour tous les temp
Platon illustre son propos par des exemples tiré
de la médecine ou de la navigation, pour montr
tion de règles simples sans référence à l'art mé
navigation et sans le souci de leur application
constance appropriée, conduit à la déchéance (2
L'analogie avec le pouvoir royal recherché
qu'on ne saurait se contenter de lois sans une r
Mais la façon dont Platon envisage la notion d'a
pas une sorte de science absolue, mais un savoi
différentes situations en fonction de ce qu'il f
δει) et qui est digne du sage et de l'homme bon
point il existe sûrement quelque parenté entre s
celui d'Aristote, lorsqu'il situe la phronèsis au
politique. Toutefois, il existe bien une différen
l'on peut résumer par leur orientation opposée
politique, la "phronèsis" d'Aristote étant liée à
cratie (enrichie par des éléments aristocratiq
que", tandis que celle de Platon, plus proche d'u
attachée à une monarchie du savoir. Cette façon
gérer la complexité se laisse percevoir à trav
qu'il accorde à l'élimination des rivaux du po
entre parenthèses des causes auxiliaires sans le
la cité ne saurait fonctionner. C'est à ce titre q
tique qui s'appuie sur un savoir "technique", c'e
art royal souhaité, et préconise la rigidité des
quelque sorte au-delà des lois, car il cherche "à d
te occasion entre les citoyens une justice parfa
d'intelligence et d'art, et à réussir ainsi à les pré

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156 Lambros COULOUBARITSIS

que possible, à les rendre aussi meilleurs" (297


Platon, l'art royal ainsi compris est égalemen
dans la mesure où l'homme politique est aussi
promulgue des lois conformes au savoir. Ce
confirme par le travail qu'il accomplit lui-mê
où il illustre sans cesse cette pratique.
Or, pour justifier cette position, il s'appuie
pour ainsi dire scientifique de tous les arts
énumérés ci-dessus comme étant des art auxiliaires inférieurs à
l'art royal, en indiquant que même ces arts risqueraient de dis
paraître si l'on accordait aux règles décidées à leur propos par
les hommes le seul moyen de juger des choses. En portant en
dérision cette situation, il envisage l'éventualité d'une mise entre
parenthèses de ces règles mêmes, de ces codes écrits, pour mon
trer que c'est l'activité même qui risque de s'anéantir (299c
300c). Certes, en l'absence de l'art royal, mieux valent les lois
traditionnelles qui sont des imitations de la vérité, tout comme
dans les imitations du seul régime véritable (de la royauté fondée
sur le savoir), on préférera ceux qui respectent les lois, selon
l'ordre suivant: monarchie, aristocratie et bonne démocratie 46.
Mais jamais rien n'atteindra la valeur du septième régime, le ré
gime royal fondé sur le savoir, qui les supplante tous. Faut-il
plus pour considérer que le véritable politique doit s'inspirer
uniquement de l'art royal assumé par le roi-philosophe?
C'est bien à cette conclusion qu'arrive Platon, après avoir éli
miné, au moment d'un dernier sursaut, les arts les plus proches
de la politique, comme l'art militaire, l'art judiciaire et l'art ora
toire, "qui ne sont ni théoriques ni auto-directifs (305c-d), mais
sont soumis à l'art politique, qui seul décide de la pertinence de
leur utilisation"47. S'il les associe aux arts auxiliaires, c'est parce
qu'ils comportent des tâches pratiques, ce qui n'est pas le cas de

46. Id., ibid., p. 48-49.


47. Ibid., p. 49-50.

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LE PARADIGME PLATONICIEN 157

l'art politique qui est théorique et auto-directif, e


comme une sorte d'art principiel, aux autres arts q
tâches pratiques, et il le fait en sachant ce qu'il fa
moments propices pour le faire (303d-305d). A
viendra de ce texte lorsqu'il explique, on l'a vu
Y Éthique à Nicomaque (I, 2), que les disciplines
ciées par les citoyens, comme la stratégie, l'écono
l'art juridique) et la rhétorique, sont subordonnées
Mais à la différence de Platon, il ne circonscrit pa
partir d'une élimination des sciences rivales, y co
qui lui sont les plus proches, bien que subordonnée
vu, les intègre dans un système architectoniqu
d'une finalité. En ce sens, s'il y a quelque modèle
résume dans le modèle de l'architecte qui construit
qui doit servir à un ensemble d'êtres humains, do
multiplicité d'activités en vue d'une vie commune
commun, une vie en laquelle les ressources (χορηγ
nistration des biens (οίκονομία) et les actions (πρ
buent au bonheur de tous. Le modèle platonicien
d'un autre ordre, puisqu'il produit une œuvre en
principes mêmes qui régissent le tissage et qui su
trelacement de fils. Il ne reste donc plus qu'à tirer
les conséquences de l'élimination des activités r
du politique, en établissant l'art recherché, c'est-à
litique, et de discerner le rôle du paradigme du tiss

8. Conclusion: l'art politique comme art d'un mon

Une fois ces précisions établies concernant un a


que l'on peut qualifier d'art métrétique appliqué à
que et régissant tous les autres arts auxiliaires, au
qui s'occupent des biens matériels que ceux qui se
la vie dans la cité, Platon se permet désormais de p
ment d'art "politique" en faisant intervenir d'une

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158 Lambros COULOUBARITSIS

le modèle du tissage. "L'art, dit-il, qui comm


et qui a également le souci des lois et de tout
cité et qui unit avec justesse toutes choses
rendrait justice si on le désigne par un nom q
tère commun de sa fonction, en l'appelan
enchaînant, il ajoute: "ne souhaitons-nous pa
me du tissage pour expliquer maintenant égal
dans la mesure où tous les genres concernan
désormais manifestes?" (305e). Or, si l'on s
ton avait défini le tissage comme l'art d'entr
trame (283b), on peut supposer qu'il souhaite
pective dans la politique. Et effectivement, e
mantique de "l'entrelacement", il nous in
royale fonction de l'entrelacement (συμπλοκ
de circonscrire en cherchant quelle est l'est,
elle entrelace et quelle est le tissu (produit, r
livre (306a).
La façon dont il pose le problème montre q
mais loin des arts auxiliaires (donc aussi d'un
nique), et qu'il s'engage directement dans le
duction du produit concerné (tissage), à savo
que comme un tissu, analogue au vêtement t
que tout ce qui constitue le domaine des ress
mie et des techniques est définitivement éca
oriente son analyse uniquement sur l'activité
de de la technique il ne reste plus, pour lui,
utilisé selon un langage de la technique ma
loir, par analogie, des actions qui concerne
pour nous, il reste beaucoup plus que cela, ca
pectivement à partir de notre époque, nous d
de la tentative de Platon, la première dans l'h
balement une société complexe, même s'il a p
véritable destination de la politique. En cela
qui accorde, dans son système architectoniqu
primordiale à tous les éléments de la société,

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LE PARADIGME PLATONICIEN 159

nous. En tout cas, elle constitue bien une mise


dicale du platonisme, en utilisant les moyens mê
celui-ci avait traité de la question politique. Pour
différence, il convient de pousser la position pla
ses derniers retranchements.
Pour réaliser son projet d'un art politique, Platon retient du
modèle du tissage la présence d'éléments opposés et contraires
qui régissent le processus de l'entrelacement. Aussi cherche-t-il
à établir que dans les activités humaines, - et ceci contrairement
à ce que ses œuvres précédentes pourraient faire croire par une
lecture rapide -, les vertus ne forment pas entre elles une sorte
d'harmonie et d'amitié, mais peuvent être opposées lorsqu'on
les assume chacune séparément, car alors elles dévoilent des ca
ractères qui leur sont propres et qui diffèrent radicalement de
ceux qui définissent les autres vertus (306a ss.). C'est ainsi que
si le courage peut former des personnes énergiques à l'excès, la
tempérance peut au contraire promouvoir la nonchalence et la
faiblesse. Si dans les circonstances habituelles ces conflits de ca
ractère peuvent paraître une sorte de jeu, ils deviennent néan
moins, dans des situations graves, une maladie, "la pire que l'on
peut trouver dans les cités" (308d).
Dès lors, il ne faut pas beaucoup d'effort pour comprendre
qu'on doit appliquer aux citoyens une sorte de traitement pour
réaliser un bon dosage entre les différents tempéraments, grâce à
une éducation bien conduite sous l'égide d'une sorte de "métré
tique" circonstanciée, telle que nous l'avons décrite ci-dessus en
fonction de ce qu'"il faut faire" et ce qu'"il convient". Une
science de "synthèse" qui réussirait à éliminer les mauvaises ten
dances pour conserver uniquement celles qui sont fécondes, se
rait donc la bienvenue, car elle pourrait, en se servant d'éléments
semblables et dissemblables, comme le ferait le tisserand pour
un tissu, "les fondre tous ensemble dans une œuvre qui soit une
par la capacité et par l'idée". Cela signifie que "la politique qui
est vraiment conforme à la nature, ne prendra jamais pour con
stituer une cité des gens au hasard parmi les bons et les mauvais,

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160 Lambros COULOUBARITSIS

mais elle commencera évidemment par s


l'épreuve du jeu, puis cette épreuve achevé
éducateurs capables et aptes à servir un tel
néanmoins et en surveillant attentivement
fait la science du tisserand à l'égard des ca
autres aides qui lui préparent les matériaux
nant toujours auprès d'eux pour les diriger
leur indiquant quelles œuvres ils doivent ac
seraient aptes à réaliser son propre travail
C'est ainsi qu'agira l'art royal à l'égard d
formément à la loi sont des éducateurs et des instructeurs..."
(308c-e). Et retrouvant certains thèmes de sa visée éducative de
la République où il cherche à faire ressortir, par l'éducation,
ceux qui sont aptes à gouverner et ceux qui ne sont aptes qu'à
obéir, Platon affirme que "c'est seulement en des caractères ori
ginaires en qui une noblesse est advenue par l'éducation que les
hommes s'épanouissent conformément à la nature au moyen des
lois, et c'est par eux que l'art (politique) a produit ce remède,
c'est-à-dire... que le lien vraiment divin est celui qui unit entre
elles les parties de la vertu, si dissemblables qu'elles soient par
nature et si contraires que puissent être leurs tendances" (310a).
C'est pourquoi cet art royal du tissage qu'est l'art politique doit
veiller à ne jamais laisser s'établir une distorsion entre le carac
tère tempéré et le caractère énergique, mais doit les ourdir en
semble, en se servant d'"une communauté d'opinions, d'hon
neurs, de gloires et par échanges mutuels de gages, afin de pro
duire un tissu souple et, comme on dit, bien serré, et leur confier
toujours en commun les magistratures dans les cités" (310e).
D'où cette conclusion troublante: "Disons donc que voici ache
vée en droit tissage l'étoffe qu'ourdit l'action politique, et pre
nant les caractères humains d'énergie et de tempérance, la scien
ce royale assemble et unit leurs deux vies par la concorde et
l'amitié, et, réalisant ainsi le plus magnifique et le plus excellent
de tous les tissus, en enveloppe, dans chaque cité, tout le peuple,
esclaves ou hommes libres, les serre ensemble dans sa trame et,

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LE PARADIGME PLATONICIEN 161

assurant à la cité, sans manque ni défaillance, t


dont elle peut jouir, commande et dirige"
Ces textes successifs, on peut s'en rendre com
culté, sont redoutables, et requièrent par eux-m
Ils nous traînent sans recours possible au seuil
totalitaire ou du moins despotique, en dépit de
que son auteur fait, ici et ailleurs (notamment à
la liberté49. Certes, ce régime, fondé sur le savo
cipalement la vertu et une sorte de dosage (une
fonction des vertus. Au demeurant, ce dosage est f
apparaît proportionnellement inverse à la co
ciété à laquelle Platon nous avait habitué à nous
exposé. L'inconséquence étonne peu lorsqu'on
l'essentiel de ce que j'ai retenu dans ce travail:
nation de tous les rivaux du politique que celui
son essence et manifeste son activité produc
Celle-ci se résume, à la fin du parcours, comm
des caractères humains d'énergie et de tempéran
Par ce biais le caractère despotique de l'analys
sion dans toutes les couches de la population (y
claves), selon une intention foncièrement éduca
proche de pousser vers la technocratie. Du rest
des rivaux du politique écarte ce danger, lequel
toujours émerger en chemin au nom du savoir
auxiliaires. Et, pour ma part, je crois bien que ce
platonisme, car une extension de l'action politi
se à travers tout le tissu de la société signifie qu
à des personnes qui couvrent tous les métiers p
nables dans la société, métiers régis par des règl

48. Pol. 311b-c (tr. A. Diès).


49. Sur cette limitation de la liberté, voir J. B. Skem
man, New Häven, 1952, p. 16 ss., ainsi que D. N. Lam
p. 123.
11

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162 Lambros COULOUBARITSIS

variables. C'est en cela que réside la véritable co


société, illustrée in vivo par l'évolution de l'his
et occidentale. Si le roi-philosophe de Platon se
pareille situation, il ne saurait plus se contente
action à l'entrelacement des caractères opposés
des passions, mais devrait tenir compte d'une m
riables qui risquent d'ébranler ses compétences.
ses de sa pensée, en rapport avec un art "royal"
"royal", je soupçonne que Platon aurait opté p
cratie alliée à la vertu, comme tentent de le faire
totalitaires de notre époque. Or, le modèle qu
des multiples rivaux du politique et des arts aux
conduire à une tout autre option, une fois que
vaux" se trouverait modifié en faveur d'une reconnaissance de
leur responsabilité dans l'activité politique, au nom d'un régime
plus démocratique. C'est en partie l'option d'Aristote et de son
système architectonique où le "phronimos", dont le modèle est
Périclès, opère pour le bien commun. En soumettant la technique
au politique selon un procédé qui l'intègre, Aristote assure au
politique une autonomie qui puisse maîtriser sa puissance intrin
sèque. La leçon est à retenir.
Pour conclure, je dirai que face à la complexification de la
société de leur époque, Platon et Aristote nous ont proposé, par
des analyses fort proches, deux modèles politiques pourtant oppo
sés, dont notre époque a conservé des traces. Mais ce que leurs
réflexions me semblent nous avoir appris de plus intéressant,
c'est le fait que le choix d'un paradigme pour édifier un système
politique n'est pas une mince affaire, et que plus la société est
complexe, plus difficile est ce choix. Elles nous ont aussi appris,
grâce à l'architectonique aristotélicienne, qu'une société com
plexe n'est pas nécessairement incompatible avec un régime dé
mocratique, ni nécessairement condamnée à subir un traitement
technocratique.

Lambros Couloubaritsis

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