A
quelques
mois
du
référendum,
nous,
citoyens
calédoniens
qui
étions
enfants
pendant
les
événements
et
qui
constituons
aujourd’hui
la
population
active
du
pays,
avons
décidé
d’exprimer
publiquement
notre
sentiment
sur
la
question
de
la
délinquance
dans
notre
pays.
Nous
constatons
en
effet
que
certains
voudraient
l’utiliser
pour
attiser
les
tensions
à
l’aube
de
la
consultation
référendaire.
En
préambule,
nous
souhaitons
préciser
que
nous
représentons
toutes
les
sensibilités
politiques
du
pays
:
indépendantistes,
loyalistes
et
aussi,
des
personnes
sans
avis
arrêté.
Malgré
nos
divergences,
nous
sommes
tous
persuadés
que
derrière
la
mosaïque
de
communautés
du
territoire,
un
véritable
peuple
calédonien
s’est
forgé
peu
à
peu,
avec
son
système
de
valeurs,
ses
références,
ses
différences
et
surtout
ses
intérêts
propres.
Le
mot
«
peuple
»
n’a
ici
aucune
connotation
politique,
mais
traduit
la
réalité
sociale
d’une
communauté
humaine
unie,
comme
une
famille.
Aujourd’hui,
nous
constatons
dans
les
réflexions
de
beaucoup
de
responsables
politiques
une
grille
de
lecture
passéiste
sur
notre
société.
Ils
la
réduisent
à
une
juxtaposition
de
nos
différentes
communautés
ethniques.
Notre
pays
serait
avant
tout
clivé
entre
les
loyalistes
et
les
indépendantistes.
Nous,
qui
écrivons
aujourd’hui,
sommes
sortis
de
cette
grille
d’analyse.
Nous
n’y
adhérons
pas
car
nous
ne
sommes
plus
dans
les
années
80.
Il
y
a
bien
un
«
nous
»
qui
existe
en
Nouvelle-‐Calédonie
et
qui
dépasse
les
intérêts
de
telle
ou
telle
communauté,
ou
de
tel
ou
tel
parti.
Il
faut
valoriser
cette
réalité
en
la
cultivant
pour
renforcer
le
vivre-‐ensemble.
Or,
que
voyons-‐nous
aujourd’hui
?
Un
climat
social
et
politique
qui
se
détériore
à
quelques
mois
du
référendum.
Des
élus
qui
semblent
plus
préoccupés
par
leurs
résultats
aux
prochaines
élections
provinciales
ou
leurs
campagnes
de
communication
que
par
la
construction
d’une
société
équilibrée.
Des
institutions
qui
figent
les
divisions
(les
institutions
indépendantistes
d’un
côté,
les
loyalistes
de
l’autre)
sans
chercher
à
nous
faire
vraiment
travailler
ensemble.
C’est
là,
effectivement,
une
réelle
difficulté.
Nous
restons
trop
souvent
avec
cette
grille
de
lecture
passéiste
qui
empêche
de
traiter
les
questions
de
fond,
qui
entretient
les
discours
démagogiques
et
qui
a
créé
de
nombreux
effets
pervers,
notamment
sur
l’emploi
local.
Nous
y
reviendrons.
La
question
de
la
délinquance
enflamme
le
débat
public,
depuis
des
mois.
Examinons-‐la
dans
le
détail.
Chaque
jour,
des
faits
divers
alimentent
les
conversations
et
les
peurs,
en
ville
comme
en
brousse,
dans
les
tribus
comme
dans
les
villages.
Cambriolages,
dégradations,
rixes,
agressions,
nourrissent
un
climat
délétère
qui
ne
peut
qu’éxaspérer,
inquiéter,
voire
angoisser
les
Calédoniens
qui
pensaient,
jusque-‐là,
vivre
dans
une
société
où
ces
exactions
étaient
rares.
C’est
une
triste
réalité
que
nous
condamnons
tous.
Certains
face
à
cette
situation
restent
dans
le
déni.
D’autres
s’adonnent
à
une
surenchère
sécuritaire,
voire
raciste,
qui
s’appuie
sur
leur
vision
ethnique.
Nous
le
regrettons
sincèrement.
Pour
régler
un
problème,
il
faut
en
avoir
une
appréhension
juste
et
sortir
des
réflexes
communautaires.
Il
nous
faut
regarder
les
faits
avec
discernement,
sans
tabou,
ni
agressivité.
Oui,
il
y
a
plus
de
délinquance
aujourd’hui
que
par
le
passé.
Mais,
dans
quelle
proportion
?
D’après
les
chiffres
du
ministère
de
l’Intérieur,
en
2017,
quelque
18,1
%
des
personnes
mises
en
cause
dans
les
affaires
de
délinquance
au
niveau
national
(hors
infraction
routière)
sont
des
mineurs,
tandis
que
cette
part
est
de
23,4
%
en
Nouvelle-‐Calédonie.
Il
y
a
donc
davantage
de
délinquance
des
mineurs
ici
qu’en
France
métropolitaine.
Mais
dans
une
proportion
qui
reste
proche
de
la
moyenne
nationale.
Il
ne
s’agit
pas
ici
de
s’en
féliciter,
mais
de
mesurer
avec
justesse
la
réalité
de
la
délinquance,
pour
s’atteler
à
la
juguler.
Oui,
la
société
calédonienne
est
violente
!
Chaque
jour,
les
faits
divers
nous
le
rappellent.
Néanmoins,
ce
constat
n’est
pas
nouveau.
Rappelons-‐nous
la
dureté
du
bagne
et
les
outrances
de
la
colonisation.
Mais,
aujourd’hui,
les
violences
les
plus
importantes
dans
notre
pays
sont
aussi
les
plus
discrètes
:
elles
se
déroulent
dans
l’intimité
familiale.
Les
violences
conjugales
sont
vingt
fois
plus
importantes
en
Nouvelle-‐Calédonie
qu’en
métropole
!
19
%
des
Calédoniennes
ont
été
victimes
d'agressions
physiques
par
leur
(ex-‐)conjoint
durant
les
douze
derniers
mois,
contre
1
%
en
Métropole.
Dans
ce
contexte
de
violence,
dans
lequel
les
enfants
grandissent,
comment
pourraient-‐ils
se
construire
sereinement
?
Comment
ne
pas
devenir
violent
quand
on
voit
ses
parents
ivres
se
frapper
à
coups
de
poing,
voire
de
sabre
ou
de
marteau?
Ces
violences
sont
intolérables
!
Tout
autant
que
les
vols
et
les
cambriolages.
Nous
regrettons
que
nos
responsables
politiques
et
coutumiers
ne
les
dénoncent
pas
avec
la
même
vigueur
et
la
même
régularité
que
celles
qu’ils
mettent
à
vilipender
la
délinquance
des
jeunes.
Cette
violence
touche
en
majorité
la
communauté
kanak,
qui
est
également
la
première
affectée
par
la
consommation
excessive
d’alcool.
Cette
situation
nous
préoccupe
tous
:
quand
un
des
membres
d’une
famille
a
des
difficultés,
tous
ses
frères
et
sœurs
s’alarment.
Nous
sommes
comme
une
famille,
tous
préoccupés
par
les
maux
et
les
drames
qui
touchent
l’une
ou
l’autre
de
nos
communautés
car
nous
formons
une
seule
société.
Il
faut
donc
mettre
en
place
des
politiques
publiques
qui
ciblent
en
priorité
la
communauté
kanak
au
nom
de
la
société
calédonienne
dans
son
ensemble,
comme
on
met
en
place
des
politiques
qui
ciblent
les
jeunes,
les
femmes,
etc.
Mais,
nous
ne
sommes
pas
arrivés
à
cette
montée
de
la
délinquance
et
de
la
violence
soudainement.
Beaucoup
de
facteurs
y
ont
contribué:
notre
histoire
et
la
colonisation
;
le
machisme
de
la
société
calédonienne
dans
son
ensemble
;
la
question
de
l’alcool
si
difficile
à
réguler
tant
les
intérêts
économiques
sont
défendus
ardemment
par
ceux
auxquels
ils
profitent
dans
la
communauté
européenne
;
les
inégalités
économiques
qui
restent
majeures,
malgré
des
avancées
incontestables,
et
qui
pèsent
majoritairement
sur
les
Kanak
;
la
déscolarisation
massive
de
nos
jeunes
avec
un
taux
d’illettrisme
important
;
les
lacunes
dans
la
transmission
de
notre
histoire,
que
l’on
veuille
minimiser
les
maux
de
la
colonisation,
ou
les
avancées
de
la
décolonisation,
etc.
La
liste
est
encore
longue
et
elle
amène
une
réflexion.
Contrairement
aux
discours
entretenus
par
certains,
cette
situation
n’est
pas
uniquement
la
faute
de
l’État.
La
justice
n’est
pas
laxiste
en
Nouvelle-‐Calédonie.
Les
magistrats
appliquent
le
code
pénal.
Ils
ne
jugent
pas
selon
leur
bon
vouloir
:
ils
appliquent
la
loi
édictée
au
nom
du
peuple
français
-‐
et
donc
de
nous
tous
-‐,
qui
prévoit
des
peines
précises
selon
des
infractions
déterminées.
Chaque
jour,
des
Calédoniens
sont
emprisonnés.
Le
taux
d’occupation
à
la
maison
d’arrêt
de
Nouméa
est
de
193
%
!
L’État
joue
son
rôle
:
les
forces
de
l’ordre
interpellent,
les
magistrats
jugent,
l’administration
pénitentiaire
emprisonne.
Mais,
en
face,
chaque
jour
de
nouveaux
jeunes
désœuvrés
se
mettent
à
traîner
et
certains
à
commettre
des
délits…
Le
vrai
défi
consiste
à
endiguer
la
montée
de
la
délinquance
chez
les
jeunes.
Qui
a
réellement
ce
pouvoir
?
Nous,
Calédoniens,
dans
notre
rôle
de
parents,
d’amis,
d’éducateurs,
d’électeurs,
de
citoyens
et
bien
sûr
d’élus.
Nous
sommes
les
seuls
à
disposer
des
leviers
pour
agir
sur
les
maux
qui
touchent
notre
société.
La
Nouvelle-‐Calédonie,
depuis
les
accords
de
Matignon-‐Oudinot,
est
dotée
des
compétences
nécessaires
pour
mettre
en
place
les
politiques
publiques
adéquates.
Ces
compétences
ont
été
renforcées
par
l’Accord
de
Nouméa.
Nous
exerçons
un
pouvoir
politique
croissant
depuis
trente
ans.
Mais,
il
faut
du
courage
et
un
esprit
de
responsabilité
pour
prendre
ces
mesures.
Certains
programmes
intéressants
ont
été
votés.
Les
politiques
publiques
doivent
être
mises
en
œuvre
sereinement
et
efficacement
sur
le
terrain.
Nous
devons
juguler
les
dérives
:
nous
savons
tous
par
exemple
que
l’emploi
local
a
parfois
conduit
à
des
nominations
de
personnels
insuffisamment
préparés
à
l’exercice
de
leurs
fonctions.
Ces
erreurs,
que
nous
regrettons,
font
partie
de
l’apprentissage
de
l’exercice
des
compétences.
Réparons-‐les.
Car
nous
sommes
tous
capables
d’atteindre
un
excellent
niveau.
Mais
encore
faut-‐il
bénéficier
de
formations
adaptées,
pendant
le
temps
nécessaire.
Les
accélérer
ou
les
raccourcir
pour
améliorer
des
statistiques
ne
nous
mènera
qu’à
plus
de
frustration,
au
détriment
de
la
construction
de
notre
pays.
Nous,
citoyens
calédoniens,
ne
voulons
pas
être
utilisés
pour
faire
de
l’affichage.
Nous
voulons
servir
notre
pays.
Pas
l’intérêt
d’un
parti,
d’un
syndicat,
d’un
clan,
ou
d’une
famille.
Un
célèbre
adage
dit
que
nous
avons
les
élus
que
nous
méritons.
Nous
avons
aussi
le
pays
et
la
délinquance
que
nous
méritons.
Tant
que
nous
ne
nous
attaquons
pas
aux
vrais
problèmes
de
notre
société,
nous
continuerons
à
subir
les
inégalités,
la
vie
chère,
la
violence
et
surtout
à
voir
une
partie
de
notre
jeunesse
se
perdre.
Car
la
jeunesse
kanak
et
océanienne,
qui
est
la
plus
concernée
par
ces
questions,
est
bien
notre
jeunesse
à
tous.
C’est
tout
le
sens
de
cette
tribune.
Certains
essaient
de
nous
détourner
de
cette
réalité
pour
des
raisons
électoralistes
ou
économiques.
Mais,
nous
sommes
bien
décidés
à
vivre
sur
notre
île
ensemble,
en
nous
souciant
les
uns
des
autres,
car
nous
sommes
tous
des
citoyens
calédoniens.
Quand
un
enfant
de
notre
pays
est
en
déshérence,
nous
avons
tous
échoué.
Qu’il
soit
Kanak,
Caldoche,
Wallisien,
Métisse,
Polynésien,
Vietnamien,
Japonais
ou
Antillais…
C’est
un
enfant
de
notre
pays.
C’est
notre
avenir.
Personne
ne
pourra
nous
empêcher
de
nous
considérer
comme
un
seul
peuple.
«
Nous
»
existons.
Nous,
citoyens
calédoniens,
appelons
l’ensemble
de
nos
responsables
politiques,
religieux,
coutumiers,
syndicaux
et
économiques,
de
tous
bords,
à
utiliser
tous
les
leviers
à
leurs
dispositions
pour
construire
un
pays
plus
juste
et
améliorer
le
soutien
à
la
jeunesse
de
notre
pays.
Nous
appelons
nos
responsables
à
s’exprimer
avec
plus
de
mesure
et
de
justesse,
sans
chercher
à
épargner
les
uns
ou
les
autres,
ou
à
nous
enflammer.
Nous
appelons
nos
concitoyens,
dont
nous
partageons
sincèrement
l’exaspération
et
l’inquiétude,
à
ne
pas
sombrer
dans
des
jugements
trop
simplistes
et
à
consolider
chaque
jour
le
«
Vivre
ensemble
».
Certes
la
Nouvelle-‐Calédonie
de
2018
n’est
pas
celle
d’il
y
a
trente
ans.
Nous
notons
des
reculs
sur
cette
période,
mais
aussi
des
avancées
considérables.
Il
n’existe
pas
de
solution
miracle
pour
résoudre
les
problèmes
de
violence
inhérentes
à
notre
pays.
Il
faudra
du
temps,
des
politiques
publiques
courageuses
et
sûrement
peu
populaires.
Nous
devons
tous,
suivre
l’exemple
de
nos
anciens,
qui
ont
su
il
y
a
30
ans
penser
contre
eux-‐mêmes
et
contre
leurs
communautés
pour
le
bien
du
pays.
Nous
devons
continuer
à
penser
contre
nous-‐mêmes,
contre
les
évidences,
contre
les
solutions
toutes
faites,
pour
imaginer
le
meilleur
pour
notre
société
avec
ambition
et
pragmatisme.
Unissons-‐nous
pour
parcourir
ce
chemin
difficile.
Comme
un
seul
peuple.