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CONGRÈS

QUÉBEC
7, 8 ET 9 OCTOBRE 2015
8 octobre 2015
11 h 15 – 12 h

29. L’exercice de la profession avec des collègues en


vue de partager notamment les dépenses : quel type
de regroupement choisir? Les budgets du fédéral et
du Québec de 2015 modifient-ils la donne?

1100, BOUL. RENÉ-LÉVESQUE OUEST, BUREAU 660, MONTRÉAL (QUÉBEC) H3B 4N4 – COURRIEL : apff@apff.org
TÉLÉPHONE : (514) 866-2733 ou 1 877 866-2733 – TÉLÉCOPIEUR : (514) 866-0113 ou 1 877 866-0113
TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION............................................................................................................. 1
1. DIFFÉRENCES D’UN POINT DE VUE LÉGAL ET FISCAL
DES DIVERS TYPES DE REGROUPEMENT ................................................. 3

1.1. D’un point de vue légal, qu’est-ce qu’une société de personnes? .................. 3
1.1.1 Rappel des conditions d’existence d’une société de personnes ................ 4
1.1.2 Les types de sociétés de personnes ......................................................... 10
1.2 D’un point de vue légal, qu’est-ce qu’une « société nominale ou
de dépenses » ou « groupe de partage de dépenses » ? ............................... 13
1.2.1 Rappel des conditions d’existence d’un groupe de partage
de dépenses ............................................................................................. 13
1.2.2 Contrat de partage de dépenses ............................................................... 14
1.2.3 L’immatriculation au registre des entreprises
(ci-après désigné « REQ ») ..................................................................... 16
1.3 Du point de vue fiscal, qu’est-ce qu’une société de personnes? ................... 19
1.3.1 Imposition du revenu ............................................................................... 20
1.3.2 Obligation de produire une déclaration de renseignements .................... 20
1.3.3 TPS et TVQ ............................................................................................. 22

1.4 Du point de vue fiscal, qu’est-ce qu’un groupe de partage de dépenses?..... 22


1.4.1 Imposition du revenu ............................................................................... 23
1.4.2 Obligation de produire une déclaration de renseignements .................... 23
1.4.3 TPS et TVQ ............................................................................................. 23
2 CONSIDÉRATIONS PRATIQUES LIÉES AUX DIFFÉRENTS
REGROUPEMENTS DE PROFESSIONNELS .............................................. 25

2.1 Le partage des frais liés à un cabinet de professionnels ............................... 26


2.1.1 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 27
2.1.2 La société de personnes ........................................................................... 30
2.1.3 La société par actions – la facturation de frais de bureau ....................... 31
2.1.4 La société par actions gestionnaire et mandataire des professionnels .... 36
2.2 L’encaissement de revenus visant à réduire les dépenses ............................. 38
2.2.1 TPS TVQ ................................................................................................. 38
2.2.2 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 39
2.2.3 La société de personnes ........................................................................... 40
2.2.4 La société par actions .............................................................................. 41
2.3 L’arrivée de nouveaux professionnels au cabinet ......................................... 42
2.3.1 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 42
2.3.2 La société de personnes - le partage de profits grâce aux frais
de bureau ................................................................................................. 45
2.3.3 La société de personnes – l’admission de nouveaux associés? ............... 49
2.3.4 La société de personnes – le recours à des professionnels
à pourcentage .......................................................................................... 53
2.3.5 La société par actions .............................................................................. 57
2.4 L’embauche d’employés ............................................................................... 58
2.4.1 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 58
2.4.2 La société de personnes ........................................................................... 62
2.4.3 La société par actions .............................................................................. 63
2.5 Le versement d’une rémunération pour l’un des partenaires ........................ 64
2.5.1 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 65
2.5.2 La société de personnes ........................................................................... 65
2.5.3 La société par actions .............................................................................. 68
2.6 Se partager des dépenses admissibles aux programmes de RS&DE ............ 69
2.6.1 Le groupe de partage de dépenses ........................................................... 69
2.6.2 La société de personnes ........................................................................... 70
2.6.3 La société par actions .............................................................................. 71
2.7 L’acquisition d’un immeuble ........................................................................ 71
3 IMPACT DES DERNIERS BUDGETS SUR LES STRUCTURES
DES PROFESSIONNELS .................................................................................. 72
CONCLUSION ............................................................................................................... 80
L’exercice de la profession avec des collègues en vue de partager notamment les
dépenses : quel type de regroupement choisir? Les budgets du fédéral et du Québec
de 2015 modifient-ils la donne?

Guylaine Lafleur, notaire planificatrice financière


Bachand Lafleur, Groupe Conseil Inc.

Valérie Ménard, CPA, CA, LL.M. Fisc., associée service de la fiscalité


Hardy, Normand & Associés, s.e.n.c.r.l.

INTRODUCTION

Bien que les discussions concernant la constitution en société par actions des
professionnels remontent à des décennies 1, ce n’est qu’au tournant du présent siècle que
l’exercice d’une profession en société a été permis au Québec. En juin 2001, l’Assemblée
nationale du Québec a adopté le projet de loi 169 2 modifiant le Code des professions 3
afin de permettre aux ordres professionnels d’adopter des règlements et d’autoriser leurs
membres à exercer leurs activités professionnelles au sein d’une société en nom collectif
à responsabilité limitée (« SENCRL ») ou d’une société par actions. En 2003, les
comptables, suivis en 2004 par les avocats, se sont prévalus les premiers des nouvelles
dispositions du Code des professions et depuis, de nombreux autres professionnels leur
ont emboîté le pas, notamment les médecins lors de l’entrée en vigueur du Règlement sur
l’exercice de la profession médicale en société 4 en mars 2007.

Ces changements ont entraîné une véritable révolution dans l’organisation des
groupes de professionnels. Les structures plus sophistiquées utilisées pour exploiter
collégialement une entreprise professionnelle tout en permettant à chacun des associés

1
À ce sujet, voir le texte de Valérie MÉNARD, « L’exercice de la médecine en société par actions au
Québec – un tour d’horizon civil et fiscal » (2012), vol. 32, no 1 Revue de planification fiscale et
successorale 63-128.
2
Projet de loi 169, loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives concernant
l’exercice des activités professionnelles au sein d’une société, 2e session, 36e législature, 2001.
3
Code des professions, L.R.Q., c. C-26
4
R.R.Q., c. M-9, r. 21 (« Règlement sur l’exercice de la profession médicale »).

1
souhaitant incorporer ses activités professionnelles de bénéficier de la déduction pour
petite entreprise sans devoir partager son plafond des affaires avec ses associés ont été
analysées au fil des années et ne feront pas l’objet du présent texte 5. Toutefois, les
impacts sur l’incorporation des professionnels de l’augmentation du taux d’imposition du
Québec de 8 % à 11,8 %, pour les années d’imposition débutant après le 31 décembre
2016, des PME des secteurs des services et de la construction n’ayant pas plus de trois
employés ne pourront être passés sous silence. Nous en profiterons d’ailleurs pour
commenter l’impact du Budget provincial du 26 mars 2015 et du Budget fédéral du 21
avril 2015 sur le concept de l’intégration.

Nous analyserons d’abord les différences d’un point de vue juridique et fiscal des
divers types de regroupement généralement utilisés par les professionnels lorsqu’ils
choisissent d’exercer ensemble leur profession en vue de partager principalement leurs
dépenses.

Les considérations pratiques seront également abordées, par exemple les impacts
relatifs aux taxes à la consommation ou lors de l’embauche d’employés. Lorsque toutes
les parties impliquées n’effectuent pas des fournitures taxables 6 et ne sont, par
conséquent, pas en mesure de réclamer des CTI/RTI, la nécessité de facturer de la TPS et
de la TVQ lors du partage de frais devient un élément supplémentaire qui doit être pris en
compte dans l’équation. On rencontre cette situation notamment au sein des groupes de
médecins ou de dentistes souhaitant partager les frais liés à l’exploitation d’une clinique.
Le 1er janvier 2001, l’énoncé de politique sur la TPS/TVH P-238 « Application de la
TPS/TVH aux paiements effectués entre les parties au sein d’un organisme d’exercice de
la médecine » entrait en vigueur 7. Cette politique avait pour objectif de clarifier

5
À ce sujet, voir le texte de Valérie MÉNARD et Pierre-Philippe TACHÉ, « Structures des sociétés
utilisées par les professionnels et permettant la multiplication du plafond des affaires » dans Congrès
2012, Montréal, Association de planification fiscale et financière, 2013
6
Il pourrait s’agir, par exemple des services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres
services de santé à l’exclusion des services chirurgicaux ou dentaires exécutés à des fins esthétiques
plutôt que médicales ou restauratrices, rendus par un médecin à un particulier. Ces fournitures sont
exonérées selon l’article 5 de la partie II de l’annexe V de la LTA.
7
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-238 « Application de
la TPS/TVH aux paiements effectués entre les parties au sein d’un organisme d’exercice de la
médecine », 1er janvier 2001

2
l’application de la TPS/TVH aux paiements effectués au sein d’un organisme d’exercice
de la médecine en ce qui concerne les frais d’exploitation de cet organisme et demeure
une référence en la matière 8.

1. Différences d’un point de vue légal et fiscal des divers types de regroupement

Lorsque des professionnels désirent se regrouper dans le cadre de l’exercice de leur


profession, une réflexion doit être faite sur le type de regroupement ou d’entente qui
devrait prévaloir compte tenu de leur situation et de leurs objectifs. Il y a alors lieu de se
questionner à savoir si les conditions nécessaires à la formation d’une société de
personnes sont présentes, ou si nous nous trouvons plutôt dans un cas de partage de
dépenses entre professionnels communément appelé « société nominale » ou « société de
dépenses ».

1.1. D’un point de vue légal, qu’est-ce qu’une société de personnes?


Une société de personnes est formée au moyen d’« un contrat de société... par lequel
les parties conviennent, dans un esprit de collaboration, d’exercer une activité, incluant
celle d’exploiter une entreprise, d’y contribuer par la mise en commun de biens, de
connaissances ou d’activités et de partager entre elles les bénéfices pécuniaires qui en
résultent »9.

Ce contrat peut être écrit ou verbal, mais il est essentiel à la formation d’une société.
Les parties au contrat peuvent être des personnes physiques, des sociétés de personnes,
des sociétés par actions ou des patrimoines d’affectation. Dépendamment des objectifs
des différents associés d’une société de personnes et des objectifs de cette société, il est
possible que certains associés soient des personnes physiques pendant que d’autres
associés sont d’autres types de personnes telles des sociétés par actions. Nous verrons
d’ailleurs différentes structures présentant différentes possibilités dans la section portant
sur les considérations pratiques des différents regroupements.

8
Revenu Québec a également publié une nouvelle fiscale visant à rappeler le traitement des taxes
applicable aux paiements effectués entre des médecins ou des praticiens qui rendent des services de
santé exonérés au sein d’un organisme d’exercice de la médecine. Voir REVENU QUÉBEC, Nouvelle
fiscale « Services facturés entre médecins ou praticiens », 16 août 2011.
9
L.Q. 1991 c. 64 Code civil du Québec, ci-après désigné « Code civil » ou « C.c.Q. », article 2186.

3
L’objectif du présent texte étant de permettre d’évaluer quel type de regroupement
peut s’appliquer dans différentes situations, nous présenterons les exigences légales
propres à chacune des structures en nous concentrant sur celles d’entre elles qui nous
semblent représenter les pierres d’achoppement que nous rencontrons en pratique dans
les cas de regroupement de professionnels. Nous nous permettrons, en toute humilité,
certaines recommandations aux praticiens désirant exercer en ce domaine, lesquelles sont
issues de cas pratiques que nous avons rencontrés. Pour les personnes désirant consulter
des ouvrages plus exhaustifs sur les aspects légaux et exigences légales applicables aux
différents types de sociétés, il existe des textes intéressants publiés par d’excellents
auteurs 10.

1.1.1 Rappel des conditions d’existence d’une société de personnes


Trois éléments doivent coexister afin qu’une société soit constituée :

o un esprit de collaboration;
o un apport (une contribution par la mise en commun de biens, de
connaissances ou d’activités);
o Le partage des bénéfices pécuniaires.

Ces trois critères ont été analysés par la jurisprudence à plusieurs occasions,
notamment dans la décision Cimon c. Arès 11 rendue par la Cour d’appel en 2005. Cette
cause est d’autant plus intéressante qu’elle vise un regroupement de professionnels.
Ainsi, les parties sont ici trois dentistes qui exercent leur profession dans la même
clinique dentaire. Nous y référerons à plusieurs reprises dans notre analyse qui suit.

1.1.1.1 Esprit de collaboration


Les parties doivent s’associer dans un esprit de collaboration, avec une intention
commune de former une société. Il est utile de préciser que cette intention est souvent
désignée par l’expression latine affectio societatis. Cet élément demeure un élément

10
Michelle THÉRIAULT, L’exercice de la profession d’avocats avec d’autres, 8e édition 2012, Barreau
du Québec, 191 pages; Bernard LAROCHELLE, Mis à jour par Charlaine BOUCHARD, Contrat de
société et d’association, 3e éd., coll. Répertoire de droit / Nouvelle série, Montréal, Chambre des
notaires du Québec / Wilson Lafleur, 2012, 136 pages; Nabil N. ANTAKI et Charlaine BOUCHARD,
Droit et pratique de l’entreprise 3e édition, t.1 Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, 775 pages.
11
Cimon c. Arès, Cour d’appel, 2005 QCCA 9, J.E. 2005-201 (C.A.).

4
subjectif, et si aucun contrat écrit n’existe entre les parties, il faut rechercher cette
intention en analysant les faits. Dans l’arrêt Beaudoin-Daigneault 12, il est précisé de
quelle façon cet élément doit être apprécié. Ainsi, « Il faut rechercher, pour s’assurer
qu’il y ait affectio societatis, s’il résulte des faits qu’il y a un ensemble de présomptions
interdisant toute contestation sérieuse encore bien que chacun d’entre eux pris isolément
puisse laisser place au doute ».

Cet élément semble le plus important selon la jurisprudence, pour déterminer s’il
y a ou non une société qui a été formée. Ainsi, dans l’affaire Cimon c. Arès, il est
mentionné que « [...] les parties ont certes voulu exercer leur profession dans le même
centre dentaire et elles ont discuté de la possibilité de signer un contrat [...] ». Les juges
en concluent cependant que le fait d’avoir discuté et d’avoir négocié en vue de former
une société ne suffit pas pour démontrer l’existence d’un esprit de collaboration, non plus
que le fait que les parties se soient présentées publiquement comme des associés et aient
immatriculé leur centre dentaire au Registre des entreprises (ci-après désigné
« REQ ») 1314.

Un élément dans cette affaire vient appuyer la thèse à l’effet qu’aucune société
n’avait été formée, soit la preuve par témoignage non contredite que les dentistes qui
avaient procédé à l’ouverture de la clinique avaient toujours maintenu que pour former
une société, ils exigeraient de Dr Arès une somme de 10 000 $ pour compenser leurs frais
et efforts investis au moment de l’ouverture de la clinique.

On voit qu’il nous faut retrouver davantage qu’un esprit de collaboration


minimale qui peut être présent dans différents types de regroupement qui sont plutôt des
groupes de professionnels partageant des dépenses. Il est donc essentiel de retrouver
« [...] une collaboration active, consciente et égalitaire entre les partenaires [...] »15.

12
Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2, p.16.
13
Cimon c. Arès, précité, note 11, par. 54.
14
Ces derniers éléments risquent cependant d’engager la responsabilité des parties face aux tiers. Nous
abordons cette question lorsque nous traitons de l’immatriculation au REQ des sociétés nominales ou
des groupes de partage de dépenses.
15
Charlaine BOUCHARD, Alerte à la société tacite !, éd. 15 mai 2009, Journal L’Entracte, Volume 18,
no 4.

5
6
1.1.1.2 L’apport
L’apport peut se faire en argent, en biens, en connaissances ou en activités 16. Les
connaissances et compétences de chacun des associés et le temps que chacun consacrera
à son travail constituent généralement l’apport de chacun des associés pour une société
formée de professionnels 17. Cela rend la notion d’apport relativement flexible dans son
application pratique. Par contre, il y a un lien entre l’apport sur lequel les associés se sont
entendus et le partage pécuniaire à intervenir.

1.1.1.3 Le partage des bénéfices pécuniaires


Comme nous venons de le voir, l’apport que les associés se sont engagés à
contribuer constitue la base du partage des bénéfices pécuniaires. Ce que prévoit le Code
civil en cette matière est que les parties doivent convenir de se partager entre elles les
bénéfices pécuniaires qui résultent de l’activité de la société. Est-ce que les revenus tirés
de l’exercice de leur profession doivent absolument faire l’objet d’un partage afin que
l’on puisse qualifier un regroupement de professionnels de société de personnes? Aucune
condition en ce sens n’existe. Les exigences afin de considérer qu’un partage de
bénéfices pécuniaires existe ont cependant fait l’objet de certaines interprétations et
précisions de la part d’auteurs et de la jurisprudence. Des auteurs ont mentionné au sujet
des bénéfices pécuniaires: « Il est donc clair que les bénéfices pécuniaires à partager entre
les associés constituent des bénéfices positifs en contribuant à l’enrichissement positif du
patrimoine »18. Dans l’affaire Cimon c. Arès 19, il est mentionné qu’un bénéfice est « un
gain pécuniaire ou matériel qui augmente la fortune d’une personne ».

Nous vous présentons ci-après différentes situations qui peuvent se présenter en


pratique et nécessiter que l’on qualifie le regroupement. Pour certaines situations, la
conclusion est claire, tandis que pour d’autres, nous analyserons davantage le
fonctionnement et le but du regroupement pour en arriver à conclure.

16
Articles 2198 al. 2, 2199 et 2200 C.c.Q..
17
Michelle THÉRIAULT, Précité, note 10, p.21.
18
Nabil N. ANTAKI et Charlaine BOUCHARD, précité, note 10, p.420-421.
19
Cimon c. Arès, Cour d’appel, 2005 QCCA 9, J.E. 2005-201 (C.A.).

7
1.1.1.3.1 Économie, par opposition à bénéfice pécuniaire
Nous savons, depuis l’arrivée de l’article 2186 C.c.Q., qu’une simple économie
n’est pas un bénéfice pécuniaire 20. Les autorités fiscales ont également considéré que des
revenus de sous-location touchés par des médecins qui avaient signé une convention de
partage de dépenses communes n’avaient pas pour effet de créer une société de personnes
entre eux. Dans le cas analysé, les revenus de sous-location étaient inférieurs au montant
des dépenses d’exploitation du centre médical 21.

1.1.1.3.2 Partage de revenus de location


Qu’en serait-il si les revenus de sous-location d’un groupe de professionnels
excédaient le montant des dépenses du groupe, faisant en sorte que des surplus seraient
potentiellement distribués aux professionnels? Cette situation pourrait se produire, par
exemple, lorsque quelques médecins signent un bail pour l’établissement d’une clinique
médicale et facturent des revenus de location qui peuvent inclure les salaires d’employés,
à un certain nombre d’autres médecins, de sorte que les revenus de location en viennent à
excéder les dépenses d’exploitation de la clinique et permet une distribution de bénéfices
entre les membres du groupe.

Nous sommes d’avis que cette situation représente un partage pécuniaire de


bénéfices, et que par conséquent, ce regroupement forme une société de personnes.

1.1.1.3.3 Partage de revenus générés par des activités d’autres professionnels


Et si, sans pour autant que les revenus tirés de l’exercice de leur profession ne
soient partagés, un groupe de professionnels recevait des revenus actifs tirés d’activités
d’autres professionnels non membres du groupe? Cela pourrait se produire, par exemple,
lorsque des dentistes se partagent des revenus provenant des activités professionnelles
d’un dentiste à pourcentage (travailleur autonome) qui utilise les locaux et les
équipements d’un groupe de dentistes signataires du bail et propriétaires des
équipements. Dans ce type d’entente que nous retrouvons souvent dans des cliniques
dentaires, le dentiste « à pourcentage » recevra normalement environ 35 % des honoraires

20
Ibid; Commentaires du ministre de la Justice, art. 2186, Publications du Québec, 1993 pp 1376-1377.
21
REVENU QUÉBEC, lettre d’interprétation 98-0105035, 21 juillet 1998. Cette lettre d’interprétation fait
l’objet d’une analyse plus poussée à la Partie II A du présent texte.

8
nets (après paiement des frais de laboratoire, de fournitures de matériaux, etc.) que la
clinique perçoit pour des traitements qu’il exécute. Nous sommes d’avis que cette
situation représente un partage pécuniaire de bénéfices et que ce regroupement forme une
société de personnes.

Nous retrouvons une situation un peu différente dans l’affaire Cimon c. Arès 22 où
un dentiste qui n’était pas membre du groupe détenant les biens et le bail de la clinique, à
la suite d’une entente avec ces derniers, utilisait tout de même les locaux, de
l’équipement, du personnel et de certaines fournitures de la clinique au cours de plages
horaires pendant lesquelles aucun des trois autres dentistes n’en avait besoin. Ce dentiste
facturait personnellement ses patients et en contrepartie des services qu’il recevait du
groupe, ce dentiste versait le tiers de ses revenus mensuels provenant des patients qu’il
traitait à cette clinique à titre de « loyer ». Les juges concluent ainsi leur analyse de la
situation : « La preuve démontre que ces contributions mensuelles de Sweeney aux
dépenses sont déposées dans le compte conjoint. Il n’a jamais été convenu que ces
sommes seraient redistribuées aux parties; elles devaient constituer un fonds de réserve
pour les dépenses éventuelles [...] ». Si nous comparons les deux situations, nous pouvons
conclure qu’une entente où un tiers paie un loyer ou contribue aux dépenses du groupe en
contrepartie d’une utilisation des biens du groupe, dans la mesure où aucune distribution
de revenus n’est faite aux membres, constitue une économie et non pas un partage de
bénéfices pécuniaires. Par conséquent, et c’est ce que les juges ont conclu dans cette
dernière situation, ce regroupement n’était pas une société de personnes.

1.1.1.3.4 Partage de subventions et autres revenus- le cas particulier des GMF


La mise sur pied de Groupes de médecines familiales (ci-après désignés
« GMF »), a entraîné une réorganisation du fonctionnement dans plusieurs cliniques
médicales.

Dans les GMF, chacun des médecins membres du groupe conserve normalement
les honoraires professionnels générés par ses activités médicales. Par contre, le groupe
reçoit des subventions du gouvernement l’aidant à payer certaines dépenses, tel le salaire

22
Cimon c. Arès, Cour d’appel, 2005 QCCA 9, J.E. 2005-201 (C.A.).

9
d’employés, d’infirmières, d’équipement informatique, etc. 23. Les subventions versées
peuvent atteindre des sommes assez importantes. Dans certains cas, cela représente
plusieurs centaines de milliers de dollars. Les dépenses payées par ces subventions, par
exemple l’embauche d’une infirmière, ont pour effet de générer certains revenus pour la
clinique. En plus de ces revenus de subventions, des frais peuvent également être facturés
par la clinique pour certains services, de même que des revenus de sous-location qui
seront payés par des médecins non membres du groupe. Tous ces revenus se trouvent à
partager entre les membres du groupe qui s’attendent à ce que ces revenus augmentent au
fil des ans.

Bien que ces revenus puissent faire l’objet d’une réduction des frais mensuels
assumés par les médecins du groupe plutôt qu’une remise en argent, du moins pour les
quelques années suivant le démarrage d’un GMF, il ne s’agit pas de simples revenus de
location. Les médecins de ces groupes allient leurs efforts afin d’en faire des
organisations efficaces et rentables. Souvent, ils doivent emprunter au moment du
démarrage et font des apports en argent en plus de consacrer des efforts importants à
l’organisation du GMF et au recrutement d’autres professionnels qui offriront leurs
services au sein du GMF sans en être « associés ».

De plus, les agences du gouvernement, lorsqu’elles versent des subventions à des


GMF, demandent à ce que ces GMF soient des entités juridiques organisées. Ainsi, les
agences refuseraient de verser des subventions à des groupes de médecins qui ne font que
partager des dépenses.

Nous croyons qu’il s’agit d’un partage des bénéfices pécuniaires et que ce
regroupement forme une société de personnes. D’ailleurs, les médecins associés auraient
tout intérêt à faire les démarches requises afin que leur société bénéficie d’une
responsabilité, puisqu’il y a des risques que leur société soit poursuivie pour des actes
posés par des employés ou autres professionnels qui offriront leurs services au sein du
GMF. Nous verrons dans la prochaine section ce que cela implique.

1.1.2 Les types de sociétés de personnes

23
Dans certains cas, des subventions peuvent également être versées par certaines municipalités ou des
organisations locales soucieuses de voir s’implanter de nouvelles cliniques dans le quartier.

10
Nous serons concises dans notre présentation des types de sociétés puisque notre
objectif n’est pas de faire une comparaison entre les différentes sociétés.

Il existe trois types de sociétés de personnes: la société en nom collectif, la société


en commandite et la société en participation 24.

1.1.2.1 Société en nom collectif


Lorsque des professionnels se regroupent afin d’exercer en société de personnes,
ils le font normalement sous la forme d’une société en nom collectif (ci-après désignée
« SENC » ou en société en nom collectif à responsabilité limitée (ci-après désignée
« SENCRL »). Cette dernière étant une SENC, elle en comporte les mêmes
caractéristiques, sauf en ce qui a trait à la responsabilité des associés qui sera dans ce cas
limitée. Nous vous présentons ci-après les principales caractéristiques de la SENCRL.

1.1.2.2 Société en nom collectif à responsabilité limitée


Tout comme la SENC, la SENCRL est régie par les articles 2186 à 2235 du Code
civil. Par contre, la SENCRL est également soumise aux règles prévues au Code des
professions 25, plus précisément aux articles 94 p) et 187.11 à 187.20.

Ainsi, toute société de professionnels pourra être constituée en SENCRL, ou si


elle est déjà constituée en SENC, pourra continuer ses activités en SENCRL, dans la
mesure où le conseil d’administration de son ordre l’autorise et qu’elle répond aux
exigences prévues par le règlement applicable pour l’exercice en société des membres de
l’ordre visé. Il sera donc requis de prendre connaissance du règlement pertinent et de
s’assurer d’en respecter toutes les exigences et les démarches requises afin de garantir
qu’une SENCRL soit légalement constituée.

L’intérêt de la SENCRL réside dans le fait que l’associé d’une SENCRL « n’est
pas personnellement responsable des obligations de la société ou d’un autre
professionnel, découlant des fautes commises par ce dernier, son préposé ou son
mandataire dans l’exercice de leurs activités professionnelles au sein de la société »26.

24
Article 2188 C.c.Q.
25
L.R.Q., c. C-26, ci-après désigné « Code des professions »
26
Code des professions, art. 187.14.

11
Dans le contexte des GMF que nous vous avons présenté précédemment, cela revêt un
avantage certain.

Nous croyons que la mise en place d’une SENCRL devrait être envisagée chaque
fois que des professionnels forment une société en nom collectif.

1.1.2.3 Société en commandite


Ce type de société sert normalement à financer certaines opérations
commerciales. La société en commandite est formée de deux catégories d’associés, soit
un ou plusieurs commandités qui administrent la société et un ou plusieurs
commanditaires qui fournissent un apport à la société. La responsabilité du
commanditaire est limitée à son apport qui est normalement une somme d’argent, et cette
responsabilité limitée demeure tant que le commanditaire ne s’immisce pas dans
l’administration de la société. En général, il n’y a pas d’apport en connaissances ou en
activités de la part des commanditaires. Il est possible avec ce type de sociétés de faire
des appels publics à l’épargne. La société sera alors assujettie aux différentes exigences
de la Loi sur les valeurs mobilières 27 et devra obtenir les autorisations et fournir les
documents requis à l’Autorité des marchés financiers.

Ce type de société n’est normalement pas utilisé pour des groupes de


professionnels qui désirent exercer ensemble leur profession.

1.1.2.4 Société en participation


La société en participation constitue une société qui répond aux trois conditions
d’existence d’une société de personnes, mais qui, contrairement aux deux autres types de
sociétés, n’a pas l’obligation de s’immatriculer au registre des entreprises 28. Ce type de
sociétés se crée souvent par défaut à la suite du non-respect par une société en nom
collectif ou une société en commandite des exigences d’immatriculation ou de mention
de leur forme juridique dans le nom de ces sociétés, ou encore lorsque des parties se
conduisent comme des associés, mais ne considèrent pas qu’ils exercent en société 29. Une

27
Loi sur les valeurs mobilières, (1983) 16 G.O. II, 1511 [c. V-1.1, r.1]; (1985) 12 G.O. II, 1639.
28
Article 2189 C.c.Q.
29
La situation est alors normalement constatée par un tribunal dans le cadre d’un recours qui est exercé
contre eux ou entre eux.

12
société en participation peut aussi dans certains cas être formée volontairement lorsque
deux bureaux de professionnels, par exemple des architectes, s’associent afin de
soumissionner pour un mandat pour lequel il est utile d’allier l’expertise de l’un pour
l’élaboration des plans et le positionnement géographique de l’autre pour la supervision
du chantier.

Ce type de société n’est normalement pas utilisé pour des groupes de


professionnels qui désirent exercer ensemble leur profession. Me Michelle Thériault
mentionne à cet effet 30 : « [...] comme cette société n’a pas de nom ni de patrimoine
distinct et que son existence est fragile (la faillite ou le décès d’un associé, par exemple
entraîne sa dissolution) [...] ». On voit donc mal ce qui pourrait intéresser un groupe de
professionnels à exercer sous cette forme.

1.2 D’un point de vue légal, qu’est-ce qu’une « société nominale ou de dépenses »
ou « groupe de partage de dépenses » ?
Il en a été un peu question lorsque nous avons traité des sociétés de personnes,
mais nous regarderons de plus près maintenant la situation qui prévaut lorsque les
professionnels faisant partie d’un groupe ne respectent pas les trois éléments requis afin
de former une société. Ainsi, il arrive fréquemment que des professionnels se réunissent
pour regrouper leurs dépenses et utilisent collectivement le même emplacement, certains
équipements, services et employés tout en exploitant leur propre entreprise et en
conservant leurs revenus et clientèle. Ce regroupement est parfois qualifié de
coentreprise, de société de dépenses ou de société nominale. Notons qu’afin d’éviter que
ces regroupements ne soient considérés comme de vraies sociétés, ce qu’elles ne sont pas,
et de ce fait entraînent un risque de responsabilité pour les professionnels qui en sont
membres, l’utilisation des termes associés ou société est à proscrire.

1.2.1 Rappel des conditions d’existence d’un groupe de partage de dépenses


Un regroupement de partage de dépenses se forme au moyen d’un contrat qui,
comme pour une société de personnes, peut être écrit ou verbal.

1.2.1.1 L’apport

30
Michelle THÉRIAULT, précité, note 10, p.4.

13
Il arrive que les professionnels s’entendent pour fournir chacun un apport au
moment du démarrage du regroupement. Par contre, cela n’est pas nécessaire. Même la
question de l’apport en connaissance ou en travail n’est pas vraiment pertinente puisque
chacun des professionnels du groupe exerce ses activités professionnelles pour son propre
compte. Lorsqu’un apport est fourni, il sert normalement à l’acquisition de certains biens
que les parties détiendront en indivision ainsi qu’à constituer un fonds de roulement.

1.2.1.2 Absence de partage de bénéfices pécuniaires


Dans un regroupement de partage de dépenses, il n’existe aucune notion de profit.
Par contre, comme nous l’avons vu précédemment, il est possible pour un regroupement
semblable de toucher certains revenus, tels des revenus de sous-location, lesquels
permettent aux membres de réaliser des économies sans pour autant qu’il n’y ait de
distribution de ces revenus aux membres.

1.2.1.3 Collaboration minimale


L’intention de collaborer est minimale dans ce type de regroupement, car chacun
des professionnels du groupe a sa propre entreprise. Une forme de collaboration existe
tout de même puisque les parties doivent se consulter et discuter des services et biens mis
en communs ainsi que des coûts et des dépenses qu’ils se partagent.

1.2.2 Contrat de partage de dépenses


Nous avons mentionné que le contrat de partage de dépenses pouvait être verbal
ou écrit. Dans l’affaire Sirois c. Tanguay 31, le tribunal mentionne que « [...] l’absence
d’entente ou de contrat formel, écrit ou verbal, ne fait pas obstacle à l’existence d’une
telle société [nominale ou de dépenses]. Il serait trop facile de se soustraire à des
dépenses assumées par les autres partenaires, alors que le comportement de tous indique
clairement une volonté de s’associer nominalement ».

Il va sans dire qu’il est nettement préférable de mettre ce contrat par écrit,
d’autant plus que ce type de contrat ne fait l’objet d’aucune disposition dans le Code civil
puisqu’il s’agit d’un contrat innommé. Par conséquent, sans contrat écrit, les tribunaux

31
Sirois c. Tanguay, 2008 QCCS 3593.

14
pourraient être tentés de conclure qu’il s’agit d’une société de personnes alors que
l’intention des parties était tout autre.

1.2.2.1 Contenu du contrat de partage de dépenses


Notre objectif n’est pas d’énoncer de façon détaillée toutes les clauses que devrait
prévoir ce type de convention, mais de commenter certaines dispositions qui devraient ou
non s’y retrouver 32.

1.2.2.2 L’intention des parties


Le contrat de partage de dépenses devrait contenir des dispositions afin de refléter
l’intention véritable des parties voulant qu’elles s’unissent dans le but unique de partager
des dépenses, qu’elles n’ont pas l’intention de former une société et qu’elles ne désirent
pas mettre en commun les revenus gagnés dans l’exercice de leur profession. La façon de
partager les dépenses devrait être détaillée. Normalement, certaines dépenses sont
partagées en parts égales entre les participantes, tandis que d’autres dépenses sont
partagées selon l’utilisation de chaque partie. Ces dépenses devraient être détaillées. Les
autres dépenses seront normalement assumées personnellement par les parties.

1.2.2.3 La gestion des affaires du groupe


En ce qui a trait à la gestion des affaires du groupe, il est de mise de prévoir la
nomination d’un mandataire. Toutes les parties seront responsables des engagements pris
ou dépenses payées par le mandataire en leur nom. Le mandat devrait être à titre spécial 33
et la liste détaillée des actes que le mandataire est autorisé à poser devrait y être inscrite.
Il est à noter que : « Les pouvoirs du mandataire s’étendent non seulement à ce qui est
exprimé dans le mandat, mais encore à tout ce qui peut s’en déduire. Le mandataire peut
faire tous les actes qui découlent de ces pouvoirs et qui sont nécessaires à l’exécution du
mandat »34. On fera signer toutes les parties à la convention, et le mandataire signera
également afin d’accepter d’agir.

1.2.2.4 Le retrait d’une partie

32
Pour ceux qui désirent consulter un modèle plus complet à ce sujet, voir : Michelle THÉRIAULT,
précité, note 10, p.127 et suivantes.
33
Par opposition au mandat général. Voir article 2135 C.c.Q.
34
Article 2136 C.c.Q.

15
Les conditions de retrait d’une des parties du groupe devraient être énoncées.
Ainsi, pour un départ volontaire, on voudra prévoir pendant combien de temps la partie
qui quitte demeurera responsable de sa part des dépenses et de quelle façon une partie la
remplaçant pourra être intégrée au groupe. On prévoira également de quelle façon la part
des meubles détenus en indivision par les parties pourra être rachetée par les autres ou
encore vendue à une nouvelle partie au contrat.

1.2.2.5 Les clauses restrictives


Il est normal que l’on impose à une partie quittant une responsabilité quant aux
engagements pris par le groupe. Il pourrait également être approprié, dépendamment du
domaine d’exercice des professionnels visés, de prévoir une clause de non-sollicitation
par une partie des clients appartenant aux autres parties ainsi qu’une clause de non-
sollicitation des employés du groupe ou des autres parties pendant la durée de la
convention et pour une certaine période après le départ d’une partie du groupe.

Par contre, il nous apparaît inapproprié de retrouver dans des regroupements de


partage de dépenses des clauses de non-concurrence. Effectivement, dans la mesure où
les parties ne mettent pas en commun les revenus gagnés dans l’exercice de leur
profession et que chacune demeure propriétaire de sa clientèle, une clause de non-
concurrence risque de faire perdre à un professionnel la valeur d’une clientèle qu’il a
même, dans certains cas, payée. De plus, ce type de clause restrictive dans une
convention de partage de dépenses représente un élément qui milite en faveur d’un
contrat de société de personnes. Si quelques éléments d’une convention sont
questionnables dans un contexte de simple regroupement de partage de dépenses, il sera
possible à un Tribunal d’arriver à la conclusion que nous nous retrouvons en présence
d’une société tacite, donc d’une société en participation, avec les conséquences que cela
comporte, tant au niveau légal qu’au niveau fiscal.

1.2.3 L’immatriculation au registre des entreprises (ci-après désigné « REQ »)


Nous avons vu que les sociétés en nom collectif ainsi que les sociétés en
commandite ont l’obligation de produire une déclaration d’immatriculation 35. À défaut de

35
Article 2189, al.2 C.c.Q.

16
s’immatriculer, ces sociétés seront réputées être une société en participation 36, ce qui a
des conséquences, notamment le fait que la faillite ou le décès entraînera la dissolution de
la société 37. Les conséquences seront plus importantes encore dans le contexte d’une
société en commandite, car le défaut d’immatriculation aura pour effet de faire perdre aux
commanditaires leur responsabilité limitée à leur apport.

1.2.3.1 L’immatriculation au REQ d’un regroupement de partage de dépenses


Il n’y a aucune exigence pour un groupement de partage de dépenses de procéder
à une immatriculation au REQ. Par contre, il est possible de le faire sur une base
volontaire 38. Une fois qu’un groupement est immatriculé, il devient un assujetti aux
termes de la Loi sur la publicité légale des entreprises et le demeure jusqu’à la radiation
de son immatriculation. Par conséquent, à compter de son immatriculation, un
groupement devra déclarer les renseignements requis et mettre à jour ces renseignements.

Pour quelle raison voudrait-on immatriculer un groupement de partage de


dépenses? Le fait de l’immatriculer permet de rendre publique l’information voulant que
les membres du groupe fassent affaire sous une raison commune et qu’il ne s’agisse pas
d’une société de personnes, mais bien d’un groupement aux fins de partager des
dépenses. Comme le mentionne l’auteure Michelle Thériault: « [...] le dépôt de cette
déclaration permet de rendre la forme juridique du groupement opposable aux tiers (art.
98 Loi sur la publicité légale des entreprises), et le risque de poursuites en vertu d’un
mandat apparent (art. 2163 C.c.Q.) ou d’une « société apparente » (art. 2222 C.c.Q.)
pourrait être éliminé »39.

1.2.3.2 Comment immatriculer un groupe de partage de dépenses

36
Id.
37
Article 2258 al.2 C.c.Q.
38
Loi sur la publicité légale des entreprises, chapitre P-44.1, art. 22.
39
Michelle THÉRIAULT, précité, note 10, p.45. Autre mise en garde : Les membres du groupe devraient
également éviter de facturer et d’envoyer des états de compte sous une raison sociale commune ou, dans
le cas d’avocats, de rédiger leurs procédures judiciaires sous cette raison sociale. Dans des situations
semblables, la responsabilité de professionnels a été engagée comme s’ils étaient associés même s’ils
n’étaient qu’en partage de dépenses. Voir à cet effet : Bélisle-Heurtel c. Tardif, REJB 2000-20086
(C.S.).

17
Rien n’empêche d’avoir un nom en lien avec les activités professionnelles qui
sont exercées par les membres du groupement, par exemple: « Clinique médicale
Terrebonne », « Centre dentaire Mirabel », etc.

Par contre, afin d’éviter qu’il y ait confusion pour ceux qui consultent le REQ, il
faut éviter d’utiliser les expressions « société », « associé ». Nous vous suggérons les
inscriptions suivantes en regard des différentes sections suivantes qui doivent être
complétées au REQ:

Section du formulaire Inscription suggérée

Forme juridique Autre groupement


Précisions sur la forme juridique Partage de dépenses
Code d’activité économique (CAE) 7799
Activité Autres services aux entreprises
Précisions (facultatives) Services administratifs et paiement de
dépenses communes des participants
Liste des administrateurs Inscrire chacun des participants du groupe
à titre d’administrateur

1.2.3.3 Risques d’une mauvaise immatriculation


Nous vous rappelons que l’article 2195 al. 1 C.c.Q. prévoit que : « Les
déclarations relatives à la société sont opposables aux tiers à compter du moment où les
informations qu’elles contiennent sont inscrites au registre des entreprises. Elles font
preuve de leur contenu en faveur des tiers de bonne foi. Les tiers peuvent contredire les
mentions d’une déclaration par tous moyens ».

Si un groupement est immatriculé d’une façon telle qu’il laisse entendre aux tiers
qu’il s’agit d’une société, les membres du groupe de partage de dépenses se verront
appliquer les responsabilités applicables à un associé. Par contre, si une société est
immatriculée comme un groupement de partage de dépenses, les tiers pourront contredire
les inscriptions et faire valoir leurs droits contre les associés.

18
1.3 Du point de vue fiscal, qu’est-ce qu’une société de personnes?
Aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu 40 sont comprises parmi les personnes
tant les sociétés que les entités exonérées de l’impôt prévu à la partie I sur tout ou partie
de leur revenu imposable par l’effet du paragraphe 149(1) ainsi que les héritiers,
liquidateurs de succession, exécuteurs testamentaires, administrateurs ou autres
représentants légaux d’une personne 41. Le paragraphe 248(1) L.I.R. précise également
qu’une société, sauf dans l’expression « société de personnes », s’entend d’une personne
morale, y compris une compagnie.

Le 5 mai 2015, le chapitre S4-F16-C1 42 des Folios de l’impôt sur le revenu est
entré en vigueur et a remplacé et annulé le bulletin d’interprétation IT-90 – Qu’est-ce
qu’une société 43? L’Agence du revenu du Canada (ci-après « l’ARC ») y rappelle que la
loi ne définit pas ce qu’est une société de personnes, mais reconnaît qu’il en existe, passe
en revue les principaux facteurs qui en établissent l’existence et expose les conséquences
fiscales qui découlent d’opérations mettant en cause une société de personnes et ses
associés. La Cour suprême du Canada a confirmé à plusieurs reprises qu’aux fins de
l’application de la L.I.R., l’existence d’une société de personnes doit être établie en
fonction de la législation qui s’applique dans la province ou le territoire 44. Au Québec, le
Code civil 45 définit ce qu’est un contrat de société.

Certaines entités sont présentées au Registraire des entreprises comme une société
de personnes. À ce sujet, l’ARC mentionne clairement que le fait qu’une société de

40
Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1 (5e suppl.) et mod. (« L.I.R. ») ou (« Loi »). Le présent
texte ne fera référence qu’aux dispositions de la Loi sur l’impôt sur le revenu lorsque des règles
similaires s’appliquent en vertu de la Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I-3 et mod. (L.I.).
41
Selon la définition de « personne » au paragraphe 248(1) L.I.R.
42
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Folio de l’impôt sur le revenu S4-F16-C1 « Qu’est-ce qu’une
société de personnes? », 5 mai 2015
43
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Bulletin d’interprétation IT-90 (archivé) « Qu’est-ce qu’une
société? », 9 février 1976
44
Continental Bank Leasing Corp. c. Canada , [1998] 2 RCS 298, 98 DTC 6505, et plus récemment dans
les arrêts Backman c. Canada , [2001] 1 RCS 367, 2001 DTC 5149, et Spire Freezers Ltd. c. Canada ,
[2001] 1 RCS 391, 2001 DTC 5158.
45
Précité note 9.

19
personnes soit officiellement enregistrée ne signifie pas nécessairement qu’elle existe
puisque l’enregistrement ne prévaut pas sur les faits véritables 46.

1.3.1 Imposition du revenu


Le paragraphe 96(1) L.I.R. prévoit la façon de calculer le revenu, le montant des
différentes pertes 47 pour une année d’imposition, ou le revenu imposable gagné au
Canada pour une année d’imposition, selon le cas, d’un contribuable qui est un associé
d’une société de personnes. Ce calcul doit se faire, notamment, comme si la société de
personnes était une personne distincte résidant au Canada et comme si l’année
d’imposition de la société de personnes correspondait à son exercice. Une société n’est
pas une personne ni n’est réputée l’être selon les termes de la L.I.R. Ainsi, chacun des
associés s’impose personnellement sur sa part du revenu ou de la perte de la SENC 48.

1.3.2 Obligation de produire une déclaration de renseignements


Une société de personnes n’étant pas une personne aux fins de la L.I.R. et n’étant
pas réputée l’être, elle ne doit pas produire de déclaration de revenus. Toutefois, le
paragraphe 229(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu 49 exige que l’associé d’une
société de personnes exploitant une entreprise au Canada ou se qualifiant de « société de
personnes canadienne » produise une déclaration de renseignements au moyen du
formulaire fédéral T5013 50. Selon la politique administrative de l’ARC, cette déclaration
est obligatoire si à la fin de l’exercice de la société de personnes, la valeur absolue 51
combinée de ses recettes et de ses dépenses est supérieure à 2 M$ ou si elle compte plus

46
Précité, note 42, par. 1.6.
47
Soit le montant de sa perte autre qu’une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole
restreinte et de sa perte agricole.
48
Par. 96(1) L.I.R. et art. 600 L.I.
49
Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., 1978, c. 945 et mod. («R.I.R.»)
50
Au Québec, la société doit produire la déclaration de renseignement des sociétés de personnes TP-600
ainsi que les relevés 15 – Montants attribués aux membres d’une société de personnes.
51
La valeur absolue d’un nombre correspond à sa valeur numérique, sans égard au signe positif ou négatif
qui le précède. Pour déterminer si une société de personnes dépasse le seuil des 2 M$, on doit ajouter le
total des dépenses au total des revenus plutôt que de soustraire les dépenses des revenus comme on le
ferait pour déterminer le revenu net.

20
de 5 M$ en actifs 52 ou si à un moment quelconque de l’exercice la société de personnes
est multiple (c’est-à-dire qu’elle compte parmi ses associés une autre société de
personnes ou est elle-même une associée d’une autre société de personnes), si elle compte
parmi ses associés une société ou une fiducie, si elle a acquis les actions accréditives
d’une société exploitant une entreprise principale qui a engagé des frais de ressources
canadiennes et a renoncé à ces frais en faveur de la société de personnes ou si le ministre
du Revenu national en fait la demande par écrit 53. Il est préférable de produire la
déclaration de renseignements même si la société de personnes n’est pas tenue de le faire
puisque cela aura pour effet de déclencher le délai prévu au paragraphe 152(1.4) L.I.R.
pour l’émission d’une nouvelle cotisation. Lorsqu’aucune déclaration n’est produite,
l’ARC considère que la société de personnes peut faire indéfiniment l’objet d’une
nouvelle cotisation.

En février 2012, une version révisée de la déclaration de renseignements des


sociétés de personnes (T5013) a été publiée par l’ARC. Depuis 2012, les sociétés de
personnes doivent fournir des renseignements sur le prix de base rajusté ainsi que les
calculs des fractions à risque pour les associés. Ces nouvelles exigences ont créé des défis
importants pour les sociétés de personnes et les préparateurs des déclarations T5013
puisque ces renseignements n’étaient pas toujours disponibles et peuvent parfois être
difficiles à déterminer.

Produire une déclaration de renseignements en retard 54 ou ne pas la produire


croyant que la relation entre les parties est en fait une coentreprise et non une société de

52
Le coût de tous les biens corporels et incorporels, sans tenir compte du coût amorti, devrait servir à
déterminer si une société de personnes compte plus de 5 M$ en actifs.
53
Voir AGENCE DU REVENU DU CANADA, Guide T4068, « Guide pour la déclarations de
renseignements des sociétés de personnes (T5013) », 2013, p. 9.
54
Lorsque tous les associés sont des particuliers (les fiducies sont considérées comme un particulier), y
compris les associés ultimes d’une société de personnes multiple, la date d’échéance est le 31 mars qui
suit l’année civile au cours de laquelle s’est terminé l’exercice de la société de personnes. Lorsque tous
les associés sont des sociétés, y compris les associés ultimes d’une société de personnes multiple, la
date d’échéance est cinq mois après la fin de l’exercice de la société de personnes. Si à un moment
quelconque au cours de l’exercice de la société de personnes on compte parmi ses associés des
particuliers et des sociétés, la date d’échéance sera la première des dates suivantes soit le 31 mars qui
suit l’année civile au cours de laquelle s’est terminé l’exercice de la société de personnes ou exactement
cinq mois après la fin de l’exercice de la société de personnes.

21
personnes 55 peut être très coûteux. Au fédéral, la société de personnes sera passible d’une
pénalité égale au plus élevé de 100 $ et du produit obtenu par la multiplication de 25 $
par le nombre de jours (maximum 100) où le défaut persiste 56.

1.3.3 TPS et TVQ


Toute personne qui effectue une fourniture taxable dans le cadre d’une activité
commerciale est tenue d’être inscrite aux fichiers de la TPS et de la TVQ à moins qu’une
exception ne s’applique. Ces exceptions visent les petits fournisseurs (seuil de 30 000 $),
les personnes non résidentes qui n’exploitent pas d’entreprise au Canada et les personnes
qui effectuent des fournitures d’immeubles en dehors du cadre d’une entreprise.

Une société de personnes est une personne aux fins de la LTA et de la LTVQ. Si
la société de personnes effectue des fournitures taxables, elle sera tenue de s’inscrire aux
fichiers de la TPS et de la TVQ. En vertu de l’article 272.1 LTA tout acte accompli par
l’associé est réputé accompli par la société de personnes. C’est donc la société de
personnes qui sera tenue de percevoir les taxes et de réclamer les CTI et les RTI selon le
cas. Notons que les associés de la société demeurent solidairement responsables avec la
société de toutes les obligations découlant de l’administration des taxes.

1.4 Du point de vue fiscal, qu’est-ce qu’un groupe de partage de dépenses?


Le chapitre S4-F16-C1 57 des Folios de l’impôt sur le revenu traite des facteurs qui
indiquent l’existence d’une coentreprise, laquelle présente des attributs semblables à ceux
d’une société de personnes. Comme dans le cas d’une société de personnes, la L.I.R. ne
définit pas la coentreprise et il est par conséquent nécessaire de s’en remettre aux lois de
la province donnée pour déterminer si une coentreprise existe 58. Distinguer une société de
personnes d’une coentreprise repose donc sur l’analyse de faits particuliers et n’est pas
toujours une tâche aisée à accomplir. Il est à noter qu’un contrat précisant que les
participants à l’entente exploitent l’entreprise à titre de coentrepreneurs n’est pas en soi

55
Selon l’article 2188 C.c.Q., il existe au Québec trois types de sociétés de personnes, la société en nom
collectif, la société en commandite et la société en participation. Toutes trois sont visées par les mêmes
exigences en ce qui a trait à la production du formulaire T5013.
56
Au Québec la pénalité est également de 25 $ par jour de retard jusqu’à concurrence de 2 500 $.
57
Précité, note 42.
58
Précité, note 42, par. 1.19

22
un élément permettant de conclure à l’existence d’une coentreprise et à l’absence d’une
société de personnes 59. Comme nous l’avons mentionné, un groupe de partage de
dépenses n’est pas une société au sens du Code civil. De plus, un tel regroupement n’est
pas considéré comme une personne selon la définition prévue au paragraphe 248(1)
L.I.R.

1.4.1 Imposition du revenu


Puisque la coentreprise n’est pas un contribuable selon la L.I.R. et qu’il n’existe
pas de dispositions équivalant à celles du paragraphe 96(1) L.I.R. qui poseraient certaines
hypothèses en vue du calcul du revenu du coentrepreneur, la coentreprise ne peut avoir
d’exercice ou demander de déduction pour amortissement.

1.4.2 Obligation de produire une déclaration de renseignements


Pour les mêmes raisons, la coentreprise n’est visée par aucune obligation de
produire une déclaration de renseignements. Un groupe de partage de dépenses ne devrait
pas produire de déclaration de renseignements T5013 puisqu’il s’agit d’un formulaire
visant spécifiquement les sociétés de personnes 60.

1.4.3 TPS et TVQ


Étant donné qu’un groupe de partage de dépenses ne constitue pas une société de
personnes au sens du Code civil, un tel regroupement telle société ne peut être considéré
comme une personne selon la définition de cette expression prévue par le paragraphe
123(1) LTA 61. Par conséquent, un groupe de partage de dépenses ne peut s’inscrire aux
fichiers de la TPS et de la TVQ. Ce sont les membres du groupe de partage de dépenses
qui doivent s’inscrire s’ils effectuent des fournitures taxables et ne se prévalent pas de
l’exception prévue pour les petits fournisseurs 62.

59
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2010-0388771E5, 10 mars 2011
60
Id.
61
REVENU QUÉBEC, lettre d’interprétation 93-0100367, 14 décembre 1994 et REVENU QUÉBEC
bulletin d’interprétation TVQ. 1-4/R2 « La société nominale », 29 décembre 2011
62
Une personne qui effectue une fourniture taxable dans le cadre d’une activité commerciale doit
généralement s’inscrire aux fichiers de la TPS et de la TVQ à moins de pouvoir bénéficier de
l’exemption permise pour les petits fournisseurs. Cette personne se qualifie généralement de petit
fournisseur si, au cours de l’année précédente ou de l’année courante, le total de ses fournitures taxables
et de celles de ses associés est inférieur à 30 000 $

23
Bien que chacun des membres du groupe de partage de dépenses exploite sa
propre entreprise et conserve ses revenus et sa clientèle, lorsqu’ils se réunissent pour
regrouper leurs dépenses et utiliser collectivement un local et certains actifs, les uns
deviennent souvent mandataires des autres 63. L’ARC considère que pour qu’il y ait
contrat de mandat, il est nécessaire que deux personnes distinctes soient au contrat, le
mandant et le mandataire, et que celles-ci conviennent de l’accomplissement d’un acte
juridique avec une troisième personne, et ce, par représentation du mandant par le
mandataire. Le mandataire est l’extension de la personnalité juridique du mandant, et par
conséquent, lorsque le mandataire agit avec un tiers dans le cadre de son mandat, il faut
considérer que c’est plutôt le mandant qui agit 64.

Lorsqu’une entente de partage de coûts valide est établie au sein d’un groupe de
professionnels et qu’un d’eux engage des dépenses en sa qualité de mandataire pour les
autres professionnels à l’entente, aucune fourniture taxable n’est réalisée par le
mandataire au profit des autres mandants. Ainsi, la TPS et la TVQ ne s’appliquent pas
aux remboursements des montants payés par les mandants au mandataire. Le montant du
remboursement des dépenses engagées par l’administrateur à titre de mandataire des
autres professionnels ne constitue pas la contrepartie d’une fourniture taxable effectuée
par le mandataire. Il en va ainsi même si les sommes sont déposées dans un compte de
banque conjoint avant l’acquisition de biens et de services 65.

La difficulté au niveau des groupes de partage de dépenses réside toujours au


niveau de l’incertitude quant à la qualité en vertu de laquelle le membre du groupe de
partage de dépenses acquiert le bien ou le service des tiers. Puisque cela détermine les
conséquences fiscales découlant du remboursement reçu des autres membres tant au
niveau de l’impôt sur le revenu que des taxes à la consommation, il est très important de
clarifier le tout et il est recommandé de le documenter au sein d’une entente écrite. Il
importe de déterminer qui sont les réels acquéreurs des biens et des services.

63
A ce sujet nous référons le lecteur à ASSOCIATION DE PLANIFICATION FISCALE ET
FINANCIÈRE, Série 5 – TPS et TVQ – Mandataires et non-résidents, 1er juillet 2014
64
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Énoncé de politique P-182R « Du mandat », 23 juin 1995,
révisé en juillet 2003 et REVENU QUÉBEC, lettre d’interprétation 94-010781, 7 octobre 1994
65
Précité, note 61.

24
Dans le cas contraire, si l’ARQ arrive à la conclusion que le membre qui négocie
avec le fournisseur a engagé la dépense relative à l’acquisition du bien ou du service dont
jouissent également les autres membres qui lui en remboursent une partie, le
remboursement de la dépense par les membres peut constituer la contrepartie d’une
fourniture taxable effectuée par le membre négociateur aux autres membres. Le fait que
la contrepartie ne soit constituée que des coûts encourus sans majoration ne modifie pas
la conclusion de l’ARQ à cet égard 66.

Précisons qu’une personne peut percevoir la TPS et la TVQ et en faire remise


pour une autre personne. Cependant, le mandataire ne peut réclamer les CTI et les RTI
pour une autre personne à moins qu’il existe réellement une coentreprise et que les
coentrepreneurs aient effectué un choix à cet égard. À ce jour, les activités admissibles à
ce choix de coentreprise sont très restreintes et ne visent pas la gestion générale des
pratiques professionnelles privées ni les groupes de partage de dépenses.

2 Considérations pratiques liées aux différents regroupements de professionnels

Les différentes considérations pratiques auxquelles font face les professionnels


qui souhaitent se regrouper afin de partager notamment les dépenses liées à l’exercice de
leur profession seront illustrées au moyen d’une étude de cas. La situation de base sera
établie puis, au fil des événements ou des modifications dans la situation, les impacts
légaux et fiscaux, de même que les opportunités de planification fiscale et financière,
ainsi que les avantages et inconvénients des différents scénarios seront discutés. Afin que
toutes les structures de société demeurent des scénarios pertinents, chacune des situations
sera considérée être une modification de la situation de base et non une suite
d’événements survenus au cours des années de pratique des professionnels.

Il convient également de rappeler qu’il n’est pas de notre intention de revoir en


détail les avantages et les inconvénients des structures de société les plus populaires pour
exploiter une entreprise professionnelle 67 ou les structures de société utilisées par les

66
REVENU QUÉBEC, précité, note 64.
67
Voir à ce sujet BUISSIÈRE, Martin « Les structures de sociétés les plus populaires pour exploiter une
entreprise professionnelle », dans Congrès 2011, Montréal, Association de planification fiscale et
financière, 2012.

25
professionnels pour partager leurs revenus et permettant parfois la multiplication du
plafond des affaires 68 puisque d’autres textes ont abordé ces questions. La planification
fiscale personnelle de chacun des professionnels ne sera pas abordée en détail, mais
lorsque les structures potentielles présenteront des opportunités particulières, celle-ci
seront identifiées.

2.1 Le partage des frais liés à un cabinet de professionnels

Professionnel B Inc.
M. Professionnel A
(Revenus et dépenses
(Revenus et dépenses professionnels)
professionnels)

Cabinet
(Frais liés au cabinet)

Ayant été des confrères sur les bancs universitaires, Professionnel A et


Professionnel B, décident, au moment de débuter leur pratique, de partager les frais liés à
l’ouverture d’un cabinet. Il est entendu que chacun d’entre eux sera un praticien
indépendant et que leurs revenus ne seront pas mis en commun; l’objectif étant
uniquement de partager les dépenses liées à l’emplacement physique où ils exerceront
leur profession.

Par ailleurs, chacun d’entre eux s’est assuré de consulter son fiscaliste et
d’évaluer la pertinence d’exercer sa profession au sein d’une société par actions. Cette
possibilité s’est avérée intéressante pour l’un d’eux, Professionnel B, qui a procédé à
l’incorporation de sa pratique et a obtenu de son ordre professionnel l’autorisation

68
Voir à ce sujet Valérie MÉNARD et Pierre-Philippe TACHÉ, précité, note 5.

26
d’exercer au sein de la société Professionnel B Inc. alors que Professionnel A a choisi
d’exercer personnellement sa profession 69.

Les deux amis envisagent de conclure un bail à l’égard d’un bureau dans un
immeuble à vocation professionnelle et de l’aménager selon leurs besoins. Ils partageront
les dépenses liées à cet emplacement comme que le loyer, les services publics, l’entretien,
les frais liés aux immobilisations, les assurances, etc. Ils prévoient investir un montant de
10 000 $ chacun pour les améliorations locatives et le mobilier de la salle d’attente. Les
dépenses spécifiques à leur pratique telles que les cotisations professionnelles,
l’assurance responsabilité, la formation, etc., ne seront pas partagées.

2.1.1 Le groupe de partage de dépenses

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet A et B
(Frais liés au cabinet)

2.1.1.1 Structure légale


Il s’agit ici essentiellement d’un regroupement à des fins de partage de dépenses.

Bien qu’une convention écrite ne soit pas obligatoire et que chacun des
professionnels sera, même en son absence, responsable des dépenses que les parties
avaient convenu qu’elles assumeraient respectivement, tel que l’a reconnu le tribunal
dans l’affaire Sirois c. Tanguay, où il a mentionné « […] l’absence de contrat formel,
écrit ou verbal, ne fait pas obstacle à l’existence d’une telle société [de dépenses] »70,
nous recommandons que ces deux professionnels signent une convention afin que la

69
À ce sujet, voir le texte de Valérie MÉNARD, précité, note 1.
70
Sirois c. Tanguay, précité, note 31.

27
façon de partager les dépenses soit claire pour les deux parties. Ce type de convention
n’est généralement pas très coûteux à faire rédiger par des juristes compétents puisqu’il
ne s’agit pas d’un regroupement aussi organisé qu’une société de personnes.

Nous vous référons à la section « Contenu du contrat de partage de dépenses » de


la partie I du présent texte afin de passer en revue certaines dispositions qui devraient se
retrouver à leur contrat 71. Comme Professionnel B Inc. est la société par actions de
Monsieur B, nous demanderons alors à Monsieur B d’intervenir à la convention afin qu’il
s’engage personnellement à respecter toutes les dispositions du contrat. Une disposition
dans la convention devrait également prévoir la possibilité que Professionnel A décide
d’incorporer ses activités professionnelles et que sa société par actions puisse alors
devenir une partie à la convention. Si Professionnel A décidait éventuellement
d’incorporer ses activités professionnelles, il sera alors requis que sa société devienne
signataire de la convention et s’engage à en respecter toutes les dispositions.

De plus, s’il est prévu qu’un des deux professionnels agira comme mandataire
pour l’autre à certains actes reliés aux affaires du regroupement, nous recommandons
qu’un mandat à cet effet soit rédigé. Nous vous référons ici à la section « La gestion des
affaires du groupe » dans la première partie du texte.

Cette structure ne crée aucune entité légale distincte. Chacun des deux
professionnels facturera sous son propre nom. Comme une raison sociale commune sera
utilisée, nous recommandons qu’une inscription au REQ soit faite de façon à rendre
publique l’information démontrant qu’il ne s’agit pas d’une société de personnes 72 et
ainsi limiter la responsabilité de chacun des professionnels.

2.1.1.2 Administration courante et conformité fiscale


Le statut fiscal des paiements effectués par Professionnel A et Professionnel B
Inc. dépend de l’existence d’une entente de mandant-mandataire, ce qui est ici le cas.
Pour faciliter la gestion du cabinet, un compte de banque commun sera ouvert au nom du
cabinet et Professionnel A ainsi que Professionnel B Inc. y déposeront à l’occasion les

71
Pour ceux qui désirent des commentaires plus exhaustifs et un modèle de convention, voir : Michelle
THÉRIAULT, précité, note 10, p.127 et suivantes.
72
Voir la section « L’immatriculation au REQ d’un regroupement de partage de dépenses. »

28
sommes permettant de régler les factures, selon la répartition des dépenses dont ils auront
convenu.

En pratique, l’erreur communément effectuée par le comptable mal informé de la


structure consiste à déduire les montants déboursés par son client au cours de l’année
sans avoir été avisé de l’existence de ce compte de banque où des sommes s’accumulent.
Il en résultera alors d’importantes cotisations si les sommes déboursées diffèrent de façon
significative des dépenses réellement encourues et déductibles. Bien qu’aucune reddition
de compte ne soit nécessaire au niveau de la société de dépense, la préparation d’un état
financier est recommandée. Il est alors plus aisé pour chacun des partenaires non
seulement de comptabiliser sa quote-part réelle des dépenses pour l’exercice, mais
également d’identifier la nature de celles-ci afin d’appliquer le traitement fiscal
approprié. Chacun comptabilisera également sa quote-part des actifs et passifs et pourra à
sa guise réclamer ou non la déduction pour amortissement liée aux immobilisations.

2.1.1.3 TPS et TVQ


Puisqu’une convention de partage de dépenses et un mandat valide sont établis
entre Professionnel A et Professionnel B Inc., lorsqu’un d’eux engage des dépenses en sa
qualité de mandataire pour l’autre professionnel à l’entente, aucune fourniture taxable
n’est réalisée par le mandataire au profit du mandant. Ainsi, la TPS et la TVQ ne
s’appliquent pas aux remboursements des montants payés par le mandant au mandataire.
Le montant du remboursement des dépenses engagées à titre de mandataire ne constitue
pas la contrepartie d’une fourniture taxable effectuée par le mandataire. Le fait que les
sommes soient déposées dans un compte de banque conjoint avant l’acquisition de biens
et de services ne change en rien cette conclusion 73. Si des CTI et RTI peuvent être
réclamés par les professionnels, chacun d’eux devra produire une déclaration et réclamer
les CTI et RTI dans la proportion visée par le mandat.

73
Précité, note 61.

29
2.1.2 La société de personnes

Professionnel B Inc.
M. Professionnel A (Revenus et dépenses
(Revenus et dépenses professionnels)
professionnels)

Cabinet, senc(rl)
(Frais liés au cabinet)

2.1.2.1 Structure légale


La situation qui prévaut entre Professionnel A et Professionnel B ne répond pas
aux trois critères exigés afin qu’ils constituent une société de personnes.

Bien qu’ils aient tous deux effectué un apport de 10 000 $ afin de payer pour des
améliorations locatives et acheter du mobilier pour la salle d’attente, ils ont une intention
de collaboration minimale, c’est-à-dire limitée à ce qui est nécessaire afin de s’entendre
sur les biens et services qui seront utilisés de façon commune et sur les dépenses qui y
sont reliées. Ce degré de collaboration n’est pas suffisant pour répondre aux exigences
d’une société de personnes 74. De plus, aucun partage de bénéfices pécuniaires n’est
prévu, ce qui est un élément essentiel à la formation d’une société de personnes. Nous
vous rappelons que l’économie de frais qu’ils visent en se regroupant n’est pas
considérée comme un bénéfice pécuniaire.

74
Supra 1.1.1.1 Esprit de collaboration.

30
2.1.3 La société par actions – la facturation de frais de bureau

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
frais de bureau) frais de bureau)

?
?

Cabinet Inc.
(Frais de bureau facturés – coûts liés au cabinet)

2.1.3.1 Structure légale


Les deux professionnels pourraient également décider de constituer une société
par actions, ici « Cabinet Inc. », qui sera signataire du bail et qui assumera les frais liés à
l’emplacement. Cette façon de faire peut permettre dans certains cas de limiter la
responsabilité des professionnels lorsque le bail est signé entre le locateur et la société par
actions sans aucun cautionnement personnel de la part des professionnels impliqués.

La société par actions étant une personne distincte aux fins légales et fiscales, elle
devra facturer des frais de bureau (loyer et autres services rendus par Cabinet Inc. aux
professionnels afin que ces derniers puissent les déduire de leurs revenus professionnels.

Professionnel A et Professionnel B Inc. devront donc signer un bail en sous-


location avec Cabinet Inc. 75.

75
Le bail principal signé entre le locateur et Cabinet Inc. devrait comprendre une clause reconnaissant que
Cabinet Inc. pourra sous-louer les bureaux à Professionnel A et Professionnel B Inc. ou encore une
clause plus générale (si les lieux loués contiennent des bureaux vides) permettant à Cabinet Inc. de
sous-louer des bureaux à des professionnels. Certaines exigences pourraient être insérées ici à la
demande du locateur afin de s’assurer de la vocation des lieux.

31
Professionnel A et Professionnel B Inc. seront normalement actionnaires et
détiendront possiblement chacun cinquante pour cent (50 %) des actions 76 de Cabinet
Inc. Il sera de mise qu’une convention entre actionnaires soit signée.

Cette convention entre actionnaires devra prévoir que chacun des actionnaires ou
son représentant, si l’actionnaire est une corporation, sera administrateur. Elle devra
également prévoir de quelle façon les décisions se prendront et ce qui se passera en cas de
décès, d’invalidité, de départ volontaire ou involontaire. Dans ces cas, on prévoira
normalement que les actions de cet actionnaire seront rachetées afin d’éviter que le
professionnel demeurant sur les lieux puisse avoir le contrôle et ne pas avoir à partager
l’actionnariat ou à négocier avec la succession ou le curateur aux biens du professionnel
qui a quitté. Par contre, le bail en sous-location qui aura été signé par chacun des
professionnels, de même que les clauses de protection qui auront été inscrites dans la
convention de partage de dépenses obligera le professionnel qui quitte (ou sa succession)
à continuer de payer les dépenses qu’il s’était engagé à payer, notamment celles reliées
au bail. Il pourra être pertinent que les professionnels souscrivent à de l’assurance vie et à
de l’assurance frais de bureau afin de couvrir ces risques.

Le fait de mettre en place une entité légale de plus, soit la société par actions, de
même que la rédaction d’une convention entre actionnaires et d’un bail en sous-location
augmentera sensiblement les honoraires reliés à la mise en place de cette structure par
rapport aux honoraires qui seraient requis pour la structure présentée à la section A qui ne
nécessite qu’une simple convention de partage de dépenses, cette dernière étant toujours
requise pour la structure présentée à cette section C.

2.1.3.2 Administration courante et conformité fiscale


Cabinet Inc. aura deux clients, Professionnel A et Professionnel B Inc. à qui elle
facturera des frais de bureau. Puisque la société par actions n’effectuera aucun acte
professionnel, mais agira plutôt à titre de gestionnaire d’un emplacement physique il
n’existe aucune restriction au niveau de la détention des actions de Cabinet Inc. qui
pourrait être dictée par un ordre professionnel. Dans la mesure où les loyers demeurent

76
La répartition des actions pourrait ne pas être égale dépendamment des situations.

32
raisonnables 77, la société Cabinet Inc. pourrait générer annuellement un profit. Cela lui
permettrait de déclarer des dividendes à ses actionnaires qui pourraient être les
professionnels eux-mêmes, mais également d’autres membres de la famille ou une autre
entité (société de gestion, fiducie familiale discrétionnaire) déterminée par le
professionnel. De cette façon, une partie des profits qui auraient autrement été réalisés
par Professionnel A ou Professionnel B Inc. pourraient être reportés et/ou être fractionnés
avec certains des membres de la famille du professionnel. Le tout devra évidemment faire
l’objet d’une planification fiscale intégrée.

Avant que l’incorporation des professionnels ne soit possible, il était commun de


retrouver des sociétés dont la mission était de rendre des services connexes aux services
offerts par les professionnels sans être des actes leur étant réservés. Pensons aux services
de tenue des livres offerts par les comptables ou à des activités de perception ou de
compilation d’informations offertes par des cabinets juridiques, par exemple. De telles
sociétés étaient souvent désignées comme des sociétés de services techniques et
facturaient aux sociétés de professionnels des honoraires de gestion qui prenaient souvent
la forme qu’un pourcentage des frais engagés par la société. Il est depuis longtemps
reconnu qu’il n’y a aucune raison de prétendre que cet arrangement vise à réduire
artificiellement le revenu des professionnels 78. Évidemment, on doit être en l’absence de
trompe-l’œil et il doit exister des transactions commerciales réelles entre la société de
gestion et les professionnels, un contrat de gestion réel entre les parties, et ce contrat doit
être suivi et les honoraires doivent être réellement payés.

Nos deux professionnels ont choisi de conserver tous les honoraires liés
directement ou indirectement à leur pratique professionnelle, ce qui diffère donc de la
mission de ces sociétés. Toutefois, la logique utilisée afin de fixer le montant des
honoraires de gestion exigés des professionnels demeure intéressante lorsqu’il s’agit de
déterminer si les honoraires facturés par Cabinet Inc. aux professionnels sont

77
En vertu de l’article 67 L.I.R., dans le calcul du revenu, aucune déduction ne peut être faite relativement
à une dépense à l’égard de laquelle une somme est déductible, par ailleurs en vertu de la présente loi,
sauf dans la mesure où cette dépense était raisonnable dans les circonstances.
78
David Grotell c. M.R.N., 72 DTC 6409, Cour fédérale, 13 septembre 1972 et Ministère du revenu
national c. James A. Cameron, 72 DTC 6325, Cour suprême du Canada, 29 juin 1972.

33
raisonnables puisqu’on peut penser qu’un honoraire de gestion est raisonnable s’il
représente la juste valeur marchande des services rendus 79. Il est généralement admis
qu’un taux de 15 % est un taux raisonnable. Ce taux n’est pas fixé par la législation, mais
a été adopté en pratique à la suite de la cause Jack K. Holmes c. La. Reine dans laquelle
un juge de la Cour fédérale a statué qu’un taux de 15 % de profit sur les frais encourus
par une société qui opère un contrat de gestion avec une société de professionnels
représente un taux raisonnable 80. L’ARC avait confirmé sa ligne directrice dans de telles
situations dans le cadre de la Table ronde de 1985 de l’Association canadienne d’études
fiscales 81 et plus récemment à celle du Congrès de 2010 de l’Association de planification
financière et fiscale 82. Dans le cadre de la Table ronde de 2010, les praticiens souhaitent
attirer l’attention de l’ARC sur le fait que dans le contexte économique actuel, les tiers
non liés prêts à offrir de tels services de gestion aux professionnels exigent des frais
mensuels fixes qui excèdent 15 % des dépenses encourues. On demandait donc à l’ARC
de faire le point sur sa position concernant la majoration des frais entre entités liées
compte tenu de ces données sur la juste valeur des services sur le marché. Sans surprise,
la réponse de l’ARC voulant que la question de savoir si une dépense est raisonnable
dans une situation particulière donnée est une question qui ne peut être résolue qu’après
un examen complet de tous les faits et circonstances. L’ARC réitère toutefois être
généralement d’avis qu’une dépense pour des services de gestion serait raisonnable
lorsque le montant n’excède pas la juste valeur marchande des services qui ont été
rendus. Il se pourrait donc que cette juste valeur marchande soit supérieure à 115 % des
frais engagés par la société de gestion liée pour rendre ces services 83. De telles situations
ont d’ailleurs déjà été portées devant les tribunaux qui ont jugé dans certains cas qu’une
majoration supérieure à 15% était raisonnable 84.

79
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2009-0343971E5, 13 mai 2010
80
Jack K. Holmes, Douglas L. Crowe, Peter C. G. Power and John M. Johnston c. La Reine, 74 DTC
6143, Cour fédérale, 24 janvier 1974
81
« Revenue Canada Round Table » dans 1985 Conference Report, Toronto, Association canadienne
d’études fiscales, 1986, p. 49 :1-32, question 18 à la page 49 :10,
82
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2010-0373441C6, 8 octobre 2010
83
Id.
84
Voir notamment : Smith c. La Reine, 87 DTC 132 et Bertomeu c. La Reine, 2006 DTC 3441

34
2.1.3.3 TPS TVQ
Cabinet Inc. est considérée comme une personne selon la définition de cette
expression prévue par le paragraphe 123(1) LTA 85. Cabinet Inc. sera responsable du bail
du cabinet et sera l’acquéreur de toutes les fournitures nécessaires à sa prestation de
services. Cabinet Inc. aura deux clients, Professionnel A et Professionnel B Inc. à qui elle
facturera des frais de bureau qui couvriront tous ces frais et permettra de dégager une
marge de profit raisonnable. Par conséquent, Cabinet Inc. devra vraisemblablement
s’inscrire aux fichiers de la TPS et de la TVQ, car elle effectue des fournitures taxables
dans le cadre d’une activité commerciale et ne pourra pas, vu les montants en cause,
bénéficier de l’exemption permise pour les petits fournisseurs 86. Une personne se qualifie
généralement de petit fournisseur si, au cours de l’année précédente ou de l’année
courante, le total de ses fournitures taxables et de celles de ses associés est inférieur à
30 000 $ 87. Cabinet Inc. pourra d’ailleurs réclamer des CTI et RTI puisque le service
qu’elle rend constitue une activité commerciale.

Si Professionnel A et Professionnel B Inc. n’effectuent que des fournitures


taxables et sont inscrits aux fichiers de la TPS et de la TVQ, le fait de devoir payer la
TPS et la TVQ sur les frais de bureau facturés par Cabinet Inc. n’aura pas d’incidence
importante pour eux. Toutefois, si Professionnel A et Professionnel B Inc. ne sont pas en
mesure de récupérer la totalité des CTI et des RTI liés aux frais de bureau facturés par
Cabinet Inc., cette façon de faire pourrait créer un coût de taxe supplémentaire en
comparaison aux deux autres véhicules juridiques. Cela pourrait être le cas si, par
exemple, Cabinet Inc. doit acquérir des fournitures auprès d’un petit fournisseur alors que
Cabinet Inc. ne peut elle-même se prévaloir de cette exemption ou encore que des salaires
doivent être supportés par Cabinet Inc.

85
Précité, note 61.
86
Article 240 LTA et 407 LTVQ
87
Article 148 LTA et 294 LTVQ

35
2.1.4 La société par actions gestionnaire et mandataire des professionnels

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
frais de bureau) frais de bureau)

? ?

Cabinet Inc.
(Frais de bureau facturés – coûts liés au
cabinet)

L’objectif visé ici est d’éviter que des professionnels se retrouvent dans une
situation où ils paient de la TPS et de la TVQ et ne peuvent la récupérer. Nous retrouvons
cette situation dans les cas de professionnels du domaine de la santé qui offrent des
services exonérés.

Ainsi, si Professionnel A et Professionnel B Inc. ne sont pas en mesure de


récupérer la totalité des CTI et des RTI liés aux frais de bureau facturés par Cabinet Inc.,
un mandat de gestion pourrait être signé entre Professionnel A et Professionnel B Inc. et
Cabinet Inc.

2.1.4.1 Structure légale


Selon cette structure, Professionnel A et Professionnel B Inc. mandatent Cabinet
Inc. pour qu’il achète à titre de mandataire tous les meubles, accessoires, fournitures et
effectue toutes les autres dépenses requises pour l’exploitation du cabinet, de même que
pour la signature du bail.

Dans cette structure, comme Cabinet Inc. agit à titre de mandataire, le bail sera
réputé avoir été signé par les mandants. Par conséquent, la responsabilité en rapport avec
le bail leur sera imputée. Comme ils seront légalement les signataires du bail, aucun bail

36
en sous-location ne devra être signé entre Professionnel A et Professionnel B Inc. et
Cabinet Inc.

Cette structure, tout comme celle présentée en C, nécessite la signature d’une


convention de partage de dépenses, de même que la mise en place d’une société par
actions et la signature d’une convention entre actionnaires au niveau de Cabinet Inc.

De plus, le mandat de gestion requis entre Professionnel A et Professionnel B Inc.


à titre de mandants, d’une part, et de Cabinet Inc. à titre de mandataire, d’autre part,
devra être beaucoup plus détaillé que celui requis lorsqu’un des signataires d’une
convention de partage de dépenses agit à titre de mandataire pour les autres pour certains
actes.

Compte tenu des honoraires que cette structure implique au niveau de sa mise en
place et de son maintien, et du fait qu’elle ne permet pas de limiter la responsabilité des
professionnels impliqués, nous ne croyons pas que cette structure soit intéressante.

2.1.4.2 Administration courante et conformité fiscale


La société agirait à titre de mandataire à l’égard du prix d’achat, de la location, de
l’acquisition et de la réparation de tous les meubles, accessoires, locaux, fournitures,
assurances ainsi que de toutes les autres dépenses requises pour l’exploitation du cabinet.
En contrepartie des services de gestion, les professionnels paieraient à la société par
actions, sur facturation, un pourcentage raisonnable, tel qu’il a été discuté précédemment,
de toutes les dépenses encourues dans le cadre du mandat ou un montant forfaitaire
mensuel raisonnable.

2.1.4.3 TPS et TVQ


En juillet 2000, Revenu Québec confirmait que dans le cas où une personne
engage une dépense en effectuant la fourniture d’un service et que l’acquéreur lui
rembourse le montant de cette dépense, le montant du remboursement est réputé faire
partie de la contrepartie de la fourniture, sauf dans la mesure où la dépense est engagée à
titre de mandataire de l’acquéreur 88, comme il serait ici le cas. Ainsi, le coût de taxes non

88
REVENU QUÉBEC, lettre d’interprétation 00-0104414 – Clinique privée et mandat de gestion, 5 juillet
2000.

37
récupérable pourrait être réduit et ne s’appliquer que sur le montant de la contrepartie
exigée pour les services de gestion rendus par la société par actions et non sur la totalité
des sommes versées par les professionnels.

2.2 L’encaissement de revenus visant à réduire les dépenses


Dans le cadre d’un programme de revitalisation du quartier, la ville où nos
professionnels ont établi leur cabinet, octroie des subventions aux signataires de baux à
long terme. Les deux professionnels encaisseront donc annuellement un montant
équivalant à un mois de loyer. Dans la même veine, la Caisse populaire locale, heureuse
de bénéficier de leur présence sur son territoire, s’est engagée à verser, aux
regroupements de professionnels comme le leur, une subvention de 250 $ par mois. Nos
deux confrères se regroupent donc non seulement pour partager leurs dépenses, mais
également ces subventions.

2.2.1 TPS TVQ


En matière de TPS et de TVQ le statut taxable ou non des subventions ne
dépendra pas du véhicule retenu, mais bien du fait qu’il existe ou non un lien assez direct
entre le montant versé par le payeur et la fourniture qui lui est faite. Cette analyse doit
être effectuée en profondeur et certains critères ont été élaborés par l’ARC à cet égard 89.

Dans les cas présentés ci-dessus, il ne semble pas y avoir de lien direct entre le
montant versé par la ville ou la Caisse populaire et une quelconque prestation de services.
Les versements semblent davantage orientés vers un but public que d’un but d’achat de
services. Ils ne constitueraient donc pas des contreparties de fournitures et, par le fait
même, aucune TPS ou TVQ ne serait à remettre. Notons que, dans la mesure où des
subventions taxables seraient reçues par les professionnels, celles-ci pourraient avoir un
impact sur les seuils de petits fournisseurs discutés précédemment.

89
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Bulletin d’information technique B-067 – Traitement des
subventions et des contributions sous le régime de la taxe sur les produits et services, 24 août 1992

38
2.2.2 Le groupe de partage de dépenses

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet A et B
(Frais liés au cabinet–
contribution aux dépenses)

2.2.2.1 Structure légale


Nous constatons que cette situation implique la réception par le regroupement de
certains revenus de subvention. Par contre, les montants de la subvention reçue serviront
essentiellement à réduire les dépenses qui seront autrement assumées par les
professionnels du regroupement. Il s’agit selon nous d’une situation d’économie telle que
présentée en partie I de notre texte et que cette situation ne constitue en rien un partage de
bénéfices pécuniaires. Par conséquent, les conditions requises afin que l’on puisse
qualifier ce regroupement de société de personnes ne sont pas présentes. Ce
regroupement en est essentiellement un de partage de dépenses.

Nos recommandations afin que la structure soit correctement mise en place sont
donc ici identiques à celles présentées à la section 2.1. A à laquelle nous vous référons.

2.2.2.2 Administration courante et conformité fiscale


Aux fins fiscales, il est nécessaire de se questionner au sujet de la nature du
regroupement afin de déterminer si l’encaissement de certains revenus tels que des
subventions fait en sorte que l’ARC cesse de considérer le regroupement comme un
groupe de partage de dépenses et le considère dorénavant comme une société de
personnes. Faire la distinction entre un groupe de partage de dépenses et une société de
personnes n’est pas aisé puisqu’elle repose essentiellement sur des faits. La possibilité
pour les membres de réduire leur contribution aux dépenses par la génération de revenus

39
accessoires ne semble toutefois pas suffisante selon l’ARC pour créer une société de
personnes.

Une situation prévoyant que des revenus étaient encaissés par un groupe de
partage de dépenses a été soumise à l’ARC en 1994 dans le cadre d’une lettre
d’interprétation visant clarifier l’application de la LTA à l’égard de transactions
effectuées entre des médecins exploitant une clinique médicale. 90 Les faits décrits
faisaient état d’un contrat de partage de dépenses conclu entre des médecins généralistes
et de la présence occasionnelle de médecins spécialistes qui, pour compenser la clinique
pour les services du personnel et l’occupation du local déboursaient mensuellement une
certaine somme qui permettait simplement de réduire le total des mises de fonds que
devaient faire les médecins généralistes qui eux devaient régler le total des dépenses en
fin de mois. Les commentaires de l’ARC furent à l’effet que selon leur compréhension
des faits, les frais de location exigés des médecins spécialistes ne peuvent à eux seuls
modifier la nature du contrat conclu par les médecins généralistes.

Les subventions reçues par Professionnel A et Professionnel B Inc. pour


l’opération du Cabinet ne devraient pas à elles seules modifier la nature de leurs ententes.
Par conséquent, aucun changement sur le plan de l’administration courante et de la
conformité fiscale ne devrait en découler.

2.2.3 La société de personnes

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet, senc(rl)
(Revenus – frais liés au
cabinet)

90
Précité, note 61.

40
2.2.3.1.Structure légale
La situation qui prévaut entre Professionnel A et Professionnel B Inc. ne répond
pas aux trois critères exigés afin qu’ils constituent une société de personnes. Ainsi, ils ont
une intention de collaboration minimale, c’est-à-dire limitée à ce qui est nécessaire afin
de s’entendre sur les biens et services qui seront utilisés de façon commune et sur les
dépenses qui y sont reliées. Ce degré de collaboration n’est pas suffisant pour répondre
aux exigences d’une société de personnes 91. De plus, aucun partage de bénéfices
pécuniaires n’est prévu, ce qui est un élément essentiel à la formation d’une société de
personnes. L’économie de frais qu’ils visent en se regroupant, non plus que les revenus
de subventions qu’ils reçoivent ne soient considérés comme un partage de bénéfice
pécuniaire.

2.2.4 La société par actions

M. Professionnel A
Professionnel B Inc.
(Revenus nets professionnels –
frais de bureau) (Revenus nets professionnels –
frais de bureau)

? ?

Cabinet Inc.
(Frais de bureau facturés + subventions –
coûts liés au cabinet)

2.2.4.1 Administration courante et conformité fiscale


Le fait pour Cabinet Inc. d’encaisser certaines subventions permettra de réduire le
montant des frais de bureaux facturés à Professionnel A et à Professionnel B Inc.

91
Supra 1.1.1.1 Esprit de collaboration.

41
2.3 L’arrivée de nouveaux professionnels au cabinet
Quelques mois après l’ouverture du cabinet, le local adjacent se libère. Les deux
confrères décident de se prévaloir de la clause de premier refus qu’ils avaient négociée
lors de la signature de leur bail. Le cabinet occupe donc désormais tout l’étage et les deux
confrères réussissent à attirer des professionnels ayant une pratique complémentaire à la
leur qui, sans leur faire de compétition, favorise l’achalandage et l’obtention de cas de
plus en plus stimulants.

2.3.1 Le groupe de partage de dépenses


Présumons d’abord que nos deux fondateurs souhaitent demeurer maîtres à bord
et qu’il est entendu que ces nouveaux venus défraieront des frais de bureau sans avoir
voix au chapitre. Les deux confrères partagent donc les dépenses entre eux, mais
également les revenus tirés des frais de bureau facturés aux autres professionnels.
Toutefois, la contribution des autres professionnels est marginale par rapport aux frais
d’exploitation totaux du cabinet et ne fera pas en sorte que Professionnel A et
Professionnel B Inc. engrangeront un profit.

Professionnel B Inc.
M. Professionnel A (Revenus et dépenses
(Revenus et dépenses professionnels)
professionnels)

Autres
Cabinet A et B professionnels
Frais de bureau
(Revenus - frais liés au cabinet) (Revenus et dépenses
professionnels)

42
2.3.1.1 Structure légale
Nous devons encore une fois vérifier si les conditions d’existence d’une société de
personnes sont présentes dans cette situation.

Est-ce que l’esprit de collaboration de nos deux professionnels a évolué de façon


à ce que nous retrouvions maintenant une collaboration active, consciente et également
entre les partenaires 92? Est-ce qu’ils ont des intentions de développer une entreprise qui
offre des locaux en sous-location et le service de certains employés communs (réception,
secrétariat, etc.)? Leurs intentions initiales ont-elles changé? Dans la situation présente, la
réponse à ces questions est négative puisqu’on voit que la contribution des autres
professionnels sera marginale par rapport aux frais d’exploitation totaux du cabinet et
n’auront pas pour effet de permettre à Professionnel A et Professionnel B Inc.
d’engranger des profits et que ce n’est pas ce que visent nos deux professionnels.

Nous demeurons donc dans une situation de regroupement à des fins de partage
de dépenses.

2.3.1.2 Administration courante et conformité fiscale


Aux fins fiscales, il est nécessaire de se questionner à nouveau au sujet de la
nature du regroupement afin de déterminer si l’encaissement de nouveaux frais de bureau
fait en sorte que l’ARC cesse de considérer ce regroupement comme un groupe de
partage de dépenses et le considère dorénavant comme une société de personnes.
Présumant que la contribution reçue des autres professionnels pour l’exploitation du
Cabinet sera marginale, elle ne devrait pas à elle seule modifier la nature de leurs
ententes. Par conséquent, aucun changement sur le plan de l’administration courante et de
la conformité fiscale ne devrait en découler 93.

92
Charlaine BOUCHARD, précité, note 15.
93
Voir à ce sujet 2.2 L’encaissement de revenus visant à réduire les dépenses

43
2.3.1.3 TPS TVQ
Dans une lettre d’interprétation datée du 21 juillet 1998 et traitant de
l’assujettissement aux taxes à la consommation des contributions aux dépenses, l’ARQ
commentait une situation semblable 94.

« Sept médecins se réunissent ensemble afin de partager les dépenses (local, équipements,
personnel) reliées à l’exploitation commune d’un centre de consultation sans rendez-vous
(« le Centre »). À cette fin, une convention de partage des dépenses communes liées au
fonctionnement du Centre est signée par ces médecins. Selon cette convention, les parties
conviennent de désigner périodiquement l’une d’entre elles à titre de mandataire agissant en
leur nom en ce qui concerne l’administration courante des dépenses communes. Les parties
à l’entente sont conjointement responsables vis-à-vis les tiers des dépenses communes
encourues par l’administrateur et elles s’engagent à indemniser ce dernier de toutes les
réclamations inhérentes à ses fonctions. Ainsi, chaque partie doit payer mensuellement, à
titre de contribution aux dépenses communes, un montant déterminé par l’administrateur.
Toutefois, chaque médecin signataire de l’entente conserve à titre individuel sa clientèle et
les revenus de son propre cabinet de consultation et en assume tous les frais. Par ailleurs,
les locaux, les équipements et le service de secrétariat du Centre sont généralement utilisés
moyennant des frais de location par des professionnels de la santé qui ne sont pas
signataires de l’entente. Ces revenus sont répartis en parts égales entre les médecins
signataires de l’entente. Le montant total des revenus est inférieur au montant des dépenses
d’opération du Centre ».
À la lumière des faits soumis, l’ARQ s’est dite d’avis que les médecins signataires
de la convention de partage des dépenses formaient une société de dépenses qui ne
constituait pas une société au sens du Code civil et n’était par conséquent, pas une
personne selon la définition prévue au paragraphe 123(1) L.I.R. Il est intéressant de noter
que la lettre datée du 21 juillet 1998 est une deuxième lettre d’interprétation apportant des
modifications à une première lettre datée du 15 juin 1998 qui a été annulée. Selon les
faits décrits dans la première lettre, un service de prélèvements sanguins à des fins
d’analyse en laboratoire était offert aux clients du Centre moyennant des frais de service.
Ces revenus aidaient également à réduire la contribution des médecins aux dépenses et le
total des revenus de toutes sources demeurait inférieur au montant des dépenses
d’exploitation du Centre. Les faits liés au service de prélèvements sanguins n’avaient pas
fait l’objet de commentaires particuliers dans la première lettre et n’ont pas été repris
dans la seconde. Les modifications apportées aux conclusions de l’ARQ qui ont mené à
la publication de la seconde lettre concernaient l’application de la LTA à l’égard des

94
REVENU QUÉBEC, précité, note 21.

44
dépenses attribuées aux professionnels non membres qui paient un loyer à la société
nominale.

La première lettre stipulait que le versement du loyer par les professionnels non
membres de la société nominale à l’administrateur devait être considéré comme un
remboursement d’une partie des dépenses de la société et donc que le montant de ce loyer
ne constituait pas la contrepartie d’une fourniture taxable. Sans surprise, la seconde
version de la lettre mentionne plutôt que l’ARQ est d’avis que l’administrateur n’est pas
le mandataire des professionnels qui ne sont pas membres de la société de dépenses et
donc que les montants versés ne sont pas des remboursements, mais la contrepartie de la
fourniture de services administratifs effectuée dans le cadre d’une activité commerciale,
laquelle est une fourniture taxable.

Étant donné que l’entente entre Professionnel A et Professionnel B Inc. ne crée


pas une société de personnes au sens du Code civil, le Cabinet ne peut être considéré
comme une personne selon la définition de cette expression prévue par le paragraphe
123(1) LTA. Par conséquent, ce sont Professionnel A et Professionnel B Inc. qui devront
remettre la TPS et la TVQ sur la proportion des frais de bureau facturée aux autres
professionnels et leur étant attribuée s’ils ne peuvent se qualifier à l’exemption à titre de
petit fournisseur.

2.3.2 La société de personnes - le partage de profits grâce aux frais de bureau

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Autres
Cabinet, senc(rl) professionnels
(Revenus - frais liés au Frais de bureau (Revenus et dépenses
cabinet) professionnels)

45
Présumons toujours que nos deux fondateurs souhaitent demeurer maîtres à bord
et qu’il est entendu que ces nouveaux venus défraieront des frais de bureau sans avoir
voix au chapitre. Toutefois, nos deux professionnels ont l’intention de développer et de
rentabiliser leur nouveau concept, et la grandeur du local ajouté leur permet de penser
que des profits pourraient être générés par la contribution des autres professionnels. Ils
pensent que d’ici quelques années, ces revenus leur permettront d’engranger des profits
qu’ils pourront se partager.

2.3.2.1 Structure légale


Nous sommes d’avis que cette nouvelle situation contient tous les éléments requis
afin qu’une société de personnes soit formée. Ainsi, nous y retrouvons assurément un
apport qui se fera probablement en partie en argent afin d’aménager les nouveaux locaux,
de même que l’esprit de collaboration et le partage de bénéfices pécuniaires.

Évidemment, chacun des deux professionnels continuera d’exercer ses propres


activités professionnelles sans partager les revenus qui découleront de ces activités.

Le but de la société de personnes qu’ils créeront sera donc de partager certains


revenus et certaines dépenses. Nous nous retrouvons en quelque sorte en présence d’une
entreprise distincte de celle par laquelle ils exercent leurs activités professionnelles
propres.

Voici de quelle façon le but de leur société pourrait être énoncé dans leur contrat
de société :

« Le but de la présente convention est notamment de partager certains revenus et


des dépenses, de préciser les droits, obligations et responsabilités des parties en ce
qui a trait à l’acquisition, la possession, la jouissance, l’entretien, l’administration,
incluant la sous-location d’espaces à des (médecins ou dentistes ou autres
professionnels) visiteurs, et la gestion de _______________________ (nom de la
société), le cas échéant.

Pour plus de précision, il est entendu que les activités professionnelles (médicales
ou médicales dentaires ou autres) de chacun des associés seront exercées de façon

46
individuelle et indépendante par chacun d’eux, par l’entremise, ou non, d’une
société par actions, et que ces activités (médicales ou médicales dentaires ou
autres) ne seront pas considérées comme des activités exercées par la présente
société. »

Puisque Professionnel A et Professionnel B Inc. se qualifient au niveau légal afin


d’exercer leurs activités en SENCRL, nous croyons qu’il est préférable pour eux
d’envisager signer un contrat de SENCRL plutôt que de simple SENC.

L’intérêt de la SENCRL réside dans le fait que l’associé d’une SENCRL « n’est
pas personnellement responsable des obligations de la société ou d’un autre
professionnel, découlant des fautes commises par ce dernier, son préposé ou son
mandataire dans l’exercice de leurs activités professionnelles au sein de la société ». 95
Compte tenu du fait qu’il y a un risque que leur société ainsi que Professionnel A et
Professionnel B Inc., à titre d’associés, soient poursuivis si jamais un des professionnels
qui exerceront dans leurs locaux se fait poursuivre et que le public est sous l’impression
que tous les professionnels exerçant dans ces locaux font partie de la société, nous
croyons que la mise en place d’une SENCRL devrait être envisagée par Professionnel A
et Professionnel B Inc. Cela nécessitera donc qu’ils entreprennent les démarches requises
auprès de leur ordre professionnel 96.

2.3.2.2 Administration courante et conformité fiscale


Cabinet SENCRL doit produire des états financiers et une déclaration de
renseignements T5013 sur la base de l’année civile. L’exercice d’une entreprise est « la
période pour laquelle les comptes correspondant […] sont arrêtés pour l’établissement
d’une cotisation », en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu 97. L’exercice d’une
entreprise ou d’un bien d’une société de personnes dont notamment un particulier ou une
société professionnelle serait un associé au cours de l’exercice, si celui-ci se terminait à la
fin de l’année civile dans laquelle il a commencé, doit être le 31 décembre 98.

95
Code des professions, art. 187.14.
96
Supra 1.1.2.2 Société en nom collectif à responsabilité limitée
97
Al. 249.1(1)a) L.I.R.
98
S.-al. 249.1(1)b)(ii) L.I.R.

47
Quant à l’exercice financier de la société Professionnel B Inc., en règle générale,
la société par actions constituée pour l’exercice de la profession médicale peut choisir
comme fin d’exercice une date autre que le 31 décembre. Une exception existe toutefois
si la société professionnelle est associée d’une SENC puisque l’exercice d’une société
professionnelle qui est associée d’une société de personnes dans laquelle un particulier ou
une autre société professionnelle est associé doit être le 31 décembre 99. Lorsque
Professionnel B Inc. devient un associé de la SENC, le sous-alinéa 249.1(1)b)(iii) L.I.R.
s’applique et la société aura dorénavant le 31 décembre comme fin d’exercice.

Rappelons d’abord qu’aux fins fiscales, Cabinet SENCRL doit calculer son
revenu ou sa perte de l’année comme s’il s’agissait d’une personne aux fins de la L.I.R.
Toutefois, n’en étant pas une, chacun de Professionnel A et de Professionnel B Inc.
s’imposera personnellement sur sa part du revenu ou de la perte de la SENCRL100.

2.3.2.3 TPS TVQ


Étant donné l’existence d’un contrat de société entre Professionnel A et
Professionnel B Inc. qui constitue une société de personnes au sens du Code civil du
Québec, une telle société est considérée comme une personne selon la définition de cette
expression prévue par le paragraphe 123(1) LTA 101. Par conséquent, Cabinet SENCRL
devra s’inscrire aux fichiers de la TPS et de la TVQ puisqu’elle effectue des fournitures
taxables si elle ne se prévaut pas de l’exception prévue pour les petits fournisseurs.
L’expression fourniture est définie à l’article 123(1) L.T.A. et inclut la vente, le transfert,
le troc, l’échange, le louage, la licence et la donation.

Dans la mesure où les deux professionnels exercent des activités commerciales


taxables, Cabinet SENCRL pourra réclamer 100 % des CTI et RTI. Cependant, dans le
cas où Professionnel A et Professionnel B Inc. n’effectuent pas d’activités taxables,
Cabinet SENCRL ne pourra réclamer les CTI et RTI qu’à l’égard des fournitures taxables
effectuées auprès des autres professionnels. Différentes méthodes de mesures peuvent
être appliquées, mais la plus réaliste serait probablement celle de l’espace physique

99
S.-al. 249.1(1)b)(ii) et 249.1(1)b)(iii) L.I.R.
100
Par. 96(1) L.I.R. et art. 600 L.I.
101
REVENU QUÉBEC, précité, note 61.

48
utilisé par les Professionnel A et Professionnel B Inc. en comparaison avec l’espace
utilisé par les autres professionnels au cabinet. Dans la plupart des cas, la méthode du
revenu n’est pas utilisée, car elle est rarement appropriée.

2.3.3 La société de personnes – l’admission de nouveaux associés?


Présumons maintenant que nos deux fondateurs souhaitent conserver les
privilèges découlant de leurs efforts et ne sont pas prêts à partager de façon égale avec les
autres professionnels. Ils souhaitent conserver le contrôle, mais sont prêts à faire preuve
d’ouverture et à analyser d’autres scénarios. Certains des professionnels sollicités ne sont
pas inscrits aux fichiers de la TPS et de la TVQ et les ont sensibilisés au sujet du fait que
de payer des frais de loyer est coûteux et que de devenir l’un des associés de la société de
personnes représenterait une économie de près de quinze pour cent.

M. Professionnel A
Professionnel B Inc.
(Revenus et dépenses
professionnels) (Revenus et dépenses
professionnels)

Autres
Cabinet, senc(rl) ?
professionnels
(Frais liés au cabinet) (Revenus et dépenses
professionnels)

2.3.3.1 Structure légale


Évidemment, envisager admettre de nouveaux associés signifie que ces nouveaux
associés devront également le faire dans un esprit de collaboration et pas seulement dans
un but de faire des économies. Ils devraient normalement le faire en faisant un apport
financier de façon à reconnaître les efforts financiers et en temps que les fondateurs ont
investis afin de mettre en place la structure.

49
Des parts plus importantes pourraient être détenues par les fondateurs c’est-à-dire
des parts qui confèrent à leur titulaire le droit à plus de votes. De cette façon, nos deux
fondateurs pourraient conserver le contrôle.

Il s’agit évidemment d’une approche commercialement bien différente compte


tenu du fait que les deux fondateurs souhaitaient demeurer seuls maîtres à bord.
Toutefois, si le recrutement de professionnels de qualité se fait difficile dans leur milieu,
cette avenue pourrait leur être salutaire.

2.3.3.2 Administration courante, conformité fiscale, TPS et TVQ


Lorsque les professionnels n’effectuent pas de fournitures taxables et ne peuvent
par conséquent réclamer des CTI et des RTI, le fait d’être un locataire et non un associé
crée un coût de taxes qui n’est pas récupérable. Afin d’en illustrer l’impact posons
l’hypothèse que trois nouveaux professionnels (« locataires ») paient des frais de bureau
mensuels de 1 000 $ chacun qui contribuent à réduire la perte attribuée aux deux associés
fondateurs qui résulte du fait que les déboursés réels du cabinet (incluant les taxes) sont
de 50 000 $. Le premier tableau illustre l’état des résultats et le capital des associés selon
cette hypothèse. Les trois nouveaux professionnels assumeront chacun 12 000 $ plus TPS
et TVQ soit 13 797 $ annuellement pour couvrir leur part des frais de bureau. Présumant
que tous les professionnels utilisent une proportion équivalente des locaux, Cabinet
SENCRL aura quant à elle droit de réclamer 60 % 102 des CTI et RTI sur les frais liés au
cabinet 103.

102
Représentant 3/5 de l’espace pour lequel une fourniture taxable de location est effectuée.
103
Soit des dépenses de 43 487,71 $ plus taxes. Cabinet SENC pourra réclamer 3/5 des CTI et RTI soit
3 907,37 $ et les 2/5 restants s’ajouteront aux dépenses soit 2 604,92 $ pour des dépenses totales de
46 092,63 $

50
Tableau 1

Posons maintenant l’hypothèse que des parts plus importantes (« parts


privilégiées ») sont détenues par les associés fondateurs et que tous les professionnels du
cabinet sont des associés. Le contrat de société prévoit une répartition des profits et pertes
entre les associés de sorte que les deux associés fondateurs ont une part privilégiée par
rapport autres associés qui détiendrait une « part ordinaire » de sorte que la perte nette qui
leur est attribuée est inférieure à celle des trois autres associés.

Avec l’adhésion des nouveaux associés, toute chose étant égale par ailleurs, le
montant à débourser par ces derniers sera de 12 000 $ seulement puisque le montant n’est
pas assujetti à la TPS et à la TVQ. Cette économie de 15 % n’est pas négligeable et
pourrait être un avantage concurrentiel très appréciable au moment de recruter de
nouveaux collaborateurs si ces derniers ne sont pas en mesure de récupérer leur CTI et
leurs RTI. Cabinet SENCRL n’a alors droit à aucun CTI et RTI puisqu’aucune fourniture
taxable n’est effectuée.

51
Tableau 2

Aux fins fiscales, l’ARC s’est déjà prononcée à savoir si une part privilégiée
devait être traitée différemment d’une part « ordinaire » aux fins de la L.I.R 104. En fait, la
caractérisation des parts d’un contribuable en parts privilégiées et en parts ordinaires
n’entraîne pas la création de biens distincts, mais ne représente qu’un moyen de partage
des bénéfices et des pertes de la société de personnes. Le total des parts détenues par un
associé constitue un seul bien qui est une participation dans une société de personnes. Par
conséquent, il n’existe pas de restrictions particulières quant à la distribution des revenus
attribuables à une part privilégiée aux fins du calcul du revenu imposable. L’ARC est
d’avis que rien n’empêche la création de parts assorties de droits différents en ce qui
concerne le partage des revenus, des pertes ou des autres attributs de la société de
personnes. Elle souligne toutefois qu’une convention qui a pour objet principal de réduire
les impôts ou de différer le paiement des impôts qui auraient pu être ou devenir payables
autrement en vertu de la loi serait visée par l’article 103 L.I.R. 105. De même, dans le cas
où plusieurs associés ont entre eux un lien de dépendance, le montant du revenu ou de la

104
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2007-0227191E5, 10 janvier 2008.
105
AGENCE DU REVENU DU CANADA, nouvelle technique no 30, 21 mai 2004, question 6

52
perte attribué à chacun d’eux devra être raisonnable dans les circonstances compte tenu
du capital investi et du travail effectué 106.

Toutefois, si la présence des autres professionnels au sein de la structure fait en


sorte que nos deux fondateurs réussissent réellement non seulement à éliminer leurs frais
de bureau, mais également à dégager un profit, l’attribution inégale des profits de la
société de personnes aux différents associés sera problématique. Avant le 31 décembre
2000, le bulletin d’interprétation IT-138 107 permettait le versement d’un traitement
préférentiel à un associé qui avait pour effet de réduire le profit ou d’augmenter la perte
attribuée à chacun si le tout était prévu au contrat de société. Depuis le 31 décembre
2000, l’attribution peut être différente d’un associé à l’autre si tel le prévoit le contrat de
société, mais l’attribution est limitée au revenu net ou à la perte nette de la société de
personnes 108. Il serait donc possible d’intégrer de nouveaux associés et d’attribuer à
chacun une quote-part de la perte résultant de l’exploitation de la société de personnes,
mais la situation deviendra problématique si les contributions des nouveaux associés
excèdent la totalité du coût d’exploitation du cabinet et permettent de générer un profit
pour certains associés.

2.3.4 La société de personnes – le recours à des professionnels à pourcentage


Présumons maintenant que Professionnel A et Professionnel B Inc. décident de
s’adjoindre d’autres professionnels afin de s’occuper de clients qu’ils n’arrivent pas à
servir soit par manque de temps, pendant leur absence ou tout simplement pour pouvoir
répondre aux autres besoins de leur clientèle. Ils souhaitent toujours demeurer les seuls
maîtres à bord et n’envisagent pas intégrer dans leur regroupement ces professionnels qui
seront rémunérés selon un pourcentage des revenus que le Cabinet facturera pour les
services professionnels que ces professionnels rendront à leurs clients. Professionnel A et
Professionnel B Inc. anticipent que les activités de ces professionnels à pourcentage leur
permettra de dégager des profits. Aux yeux de tous, il est clair que les propriétaires de

106
Par. 103(1.1) L.I.R.
107
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Bulletin d’interprétation IT-138 (annulé) « Calcul et
transmission du revenu d’une société », 29 janvier 1979.
108
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2002-0176917, 12 février 2003;
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2011-0431171E5, 12 mars 2012.

53
l’entreprise sont en fait les professionnels fondateurs du cabinet et que la clientèle est la
leur. Les autres professionnels pourraient être rémunérés soit au moyen d’un salaire ou
d’une indemnité journalière pour leurs services 109, mais on envisage plutôt une formule
dite « à pourcentage » afin de leur remettre une partie des honoraires qu’ils génèrent
lorsqu’ils rendent leurs services aux clients.

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Autres
Cabinet, senc(rl) professionnels
(Revenus - % remis aux autres (Revenus (%) et autres
professionnels - frais liés au cabinet dépenses professionnels)

2.3.4.1 Structure légale


Nous avons présenté un peu cette structure dans la partie traitant du partage de
bénéfices pécuniaires à la section I du présent texte.

En fait, comme il s’agit d’un partage de bénéfices pécuniaires, dans la mesure où


professionnels A et B agissent en regard de l’embauche des professionnels visés dans un
esprit de collaboration et contribueront tous deux à développer la clientèle que ces
professionnels serviront, de même qu’à la gestion de leurs activités, nous sommes d’avis
que Professionnel A et Professionnel B Inc. forment alors une société de personnes.

Le but de la société de personnes qu’ils créent est donc de partager certains


revenus et certaines dépenses. Nous nous retrouvons, ici également, en présence d’une
entreprise distincte de celle par laquelle ils exercent leurs activités professionnelles
propres.

109
La prudence serait de mise quant à la détermination du statut du travailleur. Afin de déterminer s’il
s’agit d’un salarié ou d’un travailleur autonome. Voir à ce sujet AGENCE DU REVENU DU
CANADA, RC4110 Employé ou travailleur indépendant?, 21 août 2014

54
Il sera également requis qu’une convention de partage d’honoraires soit signée
entre la SENCRL et le professionnel dont les services auront été retenus. Cette
convention devra contenir, entres autres, des dispositions établissant :

o les tarifs qui seront facturés ou la façon d’établir les tarifs;


o la façon de comptabiliser les honoraires nets sur lesquels le pourcentage
entendu sera appliqué;
o la fréquence et les modalités de paiement des honoraires;
o de quelle façon se fera la tenue des dossiers des clients et des travaux
effectués;
o les différents engagements des parties;
o des clauses restrictives ayant pour but de protéger la clientèle de
Professionnel A et Professionnel B Inc.;
o la durée du contrat;
o les causes mettant fin au contrat (faute grave, radiation, décès, etc.).

2.3.4.2 Administration courante et conformité fiscale


Dans une telle entente, le cabinet facture au client les services fournis par le
professionnel et verse à ce dernier un pourcentage établi des honoraires compte tenu du
coût d’utilisation des installations et du fait que la clientèle ne lui appartient pas. Au
niveau de l’information financière, lors du versement du pourcentage des honoraires en
faveur du professionnel, on devrait enregistrer une réduction des honoraires de Cabinet
SENCRL. Dans certaines circonstances, pour des raisons principalement administratives,
les honoraires pourraient être facturés au nom du professionnel à pourcentage même si
les sommes sont encaissées par Cabinet SENCRL ou même encaissées par le
professionnel qui devrait ensuite remettre à Cabinet SENCRL le pourcentage établi. Ce
sont les termes de l’entente et non ces contraintes administratives qui importent.

55
Cabinet SENCRL aura l’obligation d’émettre un feuillet T4A aux professionnels à
pourcentage puisque le paragraphe 200(1) R.I.R. prévoit que toute personne qui effectue
un paiement visé à 153(1) L.I.R. notamment des honoraires, commissions ou autres
sommes pour des services à un bénéficiaire, soit un particulier, une société ou autre doit
remplir une déclaration de renseignements selon le formulaire prescrit. Par position
administrative, l’ARC limite actuellement cette exigence aux versements qui excèdent
500 $ pour un même bénéficiaire pendant l’année 110.

2.3.4.3 TPS TVQ


Lorsqu’une telle entente est conclue, si les professionnels effectuent auprès des
clients des services exonérés 111, le versement d’une indemnité journalière ou d’un
pourcentage des honoraires ne sera pas assujetti à la TPS et à la TVQ, même si les
services dispensés par le cabinet pour les installations peuvent être taxables. Il faut
toutefois être en mesure de démontrer que les modalités du contrat entre le cabinet et le
professionnel à pourcentage sont telles que le cabinet demeure propriétaire de
l’entreprise.

Lorsque le professionnel à pourcentage exploite une entreprise distincte, facture


ses services à des clients qui lui appartiennent et verse au cabinet un pourcentage établi
des honoraires facturés en guise de paiement pour l’utilisation des installations du
cabinet, pour l’utilisation de l’emplacement, le chauffage, le matériel, les fournitures, les
paiements sont alors assujettis à la TPS et à la TVQ 112. Tel qu’il a été discuté
précédemment, cela pourrait créer pour eux un coût de taxes non récupérable.

110
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2013-0507171I7, 7 mars 2014
111
Il pourrait s’agir, par exemple des services de consultation, de diagnostic ou de traitement ou d’autres
services de santé à l’exclusion des services chirurgicaux ou dentaires exécutés à des fins esthétiques
plutôt que médicales ou restauratrices, rendus par un médecin à un particulier. Ces fournitures sont
exonérées selon l’article 5 de la partie II de l’annexe V de la LTA.
112
Mémorandum sur la TPS, art. 30 à 33

56
2.3.5 La société par actions

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
dépense de loyer) dépense de loyer)

?
?

Autres
Cabinet Inc. professionnels
(Loyers - frais liés au cabinet - salaires) Frais de bureau (Revenus et dépenses
professionnels)

2.3.5.1 Structure légale


Le fait que Cabinet Inc. soit incorporé ne changera pas la situation dans les
rapports de Cabinet Inc. avec les autres professionnels engagés selon un mode de
rémunération à pourcentage par rapport à une structure où Cabinet Inc. serait une
SENCRL.

La convention de partage d’honoraires qui devra être signée entre les parties sera
la même.

2.3.5.2 Administration courante, conformité fiscale, TPS et TVQ


Pour Cabinet Inc., le fait de facturer des frais de bureaux aux nouveaux
professionnels constitue seulement l’arrivée de nouveaux clients puisque ceux-ci auront à
l’égard des frais le même statut que les deux professionnels fondateurs. Seuls les
montants facturés pourraient varier, bien évidemment.

Si Cabinet Inc. choisit plutôt de retenir les services de professionnels à


pourcentage, les discussions présentées pour Cabinet SENCRL demeurent pertinentes. La
logique qui soutient les conclusions précédentes tient du fait que le Cabinet, peu importe
sa forme juridique, verse en fait des honoraires au professionnel à pourcentage en
contrepartie de services rendus qui sont des fournitures exonérées.

57
2.4 L’embauche d’employés
La nouvelle de l’ouverture du cabinet s’étant propagée comme une trainée de
poudre, la clientèle des deux professionnels croît rapidement. Bien vite, ils sont débordés
et réalisent que les services d’une adjointe les rendraient plus efficaces. Chacun d’entre
eux n’a toutefois pas encore suffisamment de travail à lui confier pour combler une tâche
à temps complet. Professionnel B Inc. arriverait à l’occuper à 75 % et Professionnel A
pourrait lui fournir du travail pour combler les 25 % restants. Bien heureux d’avoir choisi
de se regrouper pour partager leurs dépenses, ils décident tout naturellement de se
partager également les services de cette perle qu’ils ont vite fait de dénicher. Et, afin de
pouvoir déléguer certains travaux plus techniques, chacun des deux professionnels
s’adjoint également les services d’un candidat à l’exercice de la profession qu’il pourra
former à sa manière.

2.4.1 Le groupe de partage de dépenses

M. Professionnel A
Professionnel B Inc.
(Revenus et dépenses
professionnels) (Revenus et dépenses
professionnels)

Cabinet A et B
(Frais liés au cabinet et
salaires)

58
2.4.1.1 Structure légale
Dans le cadre d’un regroupement de partage de dépenses, il est possible d’engager
des employés qui seront partagés. Lorsqu’un mandat a été signé autorisant un des
membres du groupe à s’occuper de l’administration des salaires à verser aux employés du
groupe, les professionnels mandants demeurent les véritables employeurs et sont, par
conséquent, responsables des salaires qui sont payés par le mandataire en leur nom.
Professionnel A et Professionnel B Inc. seront entre eux responsables d’assumer les
salaires partagés selon la répartition sur laquelle ils se seront entendus.

Pour les employés qui ne seront pas partagés, chacun des professionnels du
regroupement devrait en être l’employeur direct.

Un contrat d’emploi devrait idéalement être signé par Professionnel A et


Professionnel B Inc. avec chacun des employés. Cette convention devra contenir, entre
autres, des dispositions établissant :

o le titre du poste;
o la description du poste et des tâches qu’il comporte;
o la rémunération;
o les modalités de versement de la rémunération;
o le nombre d’heures de travail, l’horaire de travail, les pauses, etc.;
o les vacances et les congés;
o la durée du contrat;
o les clauses particulières, s’il y a lieu (formation, assurance maladie, etc.).

Le contrat d’emploi devrait, lorsqu’il s’agit d’employés qui s’occuperont


directement des clients, contenir des clauses restrictives afin de protéger la clientèle des
professionnels.

2.4.1.2 Administration courante, conformité fiscale, TPS et TVQ


Un compte de retenues sur la paie devrait être ouvert aussitôt que l’on sait que
l’on aura des employés. Un employeur est une personne qui verse un traitement, un
salaire (y compris des avances), des primes, des rémunérations de congés annuels ou des
pourboires à des employés ou qui fournit des avantages à des employés comme des repas
ou le logement. Le compte de retenues sur la paie doit être ouvert avant la date du

59
premier versement qui tombe le 15 du mois suivant le mois au cours duquel la personne
est devenue employeur 113.

Le livret RC2 « Le numéro d’entreprise et vos comptes de programme de


l’Agence du revenu du Canada 114 » a pour objectif d’aider les personnes intéressées à
obtenir un numéro d’entreprise (NE) lorsqu’elles ont besoin d’un compte de programme
de l’ARC, soit un compte de TPS, de retenues sur la paie, d’importations-exportations ou
d’impôt sur les sociétés. On y apprend qu’une très large clientèle peut obtenir un numéro
d’entreprise, soit chaque propriétaire unique, société de personne, société, fiducie ou
autre mode d’exploitation. Chaque entreprise qui ouvre a droit à un numéro. D’ailleurs, il
n’est pas nécessaire d’exploiter une entreprise dans le but de gagner des revenus.

La problématique rencontrée en pratique est en fait la détermination du réel


employeur des personnes qui rendent les services. En pratique, le groupe de partage de
dépenses réussit souvent à obtenir un numéro d’entreprise et à ouvrir un compte de
retenues sur la paie sans que la situation soit analysée adéquatement et que la ou les
personnes devant effectuer les déductions à la source relativement aux salaires soient
adéquatement identifiées.

Dans une demande d’interprétation technique concernant l’application du


paragraphe 153(1) L.I.R., l’ARC est venue commenter une situation où deux particuliers
exploitant chacun leur propre entreprise et ayant convenu de se réunir pour regrouper
certaines dépenses embauchent et utilisent tous les deux les services de certains employés
dans le cadre de leurs entreprises respectives 115. Le regroupement de partage de dépenses
n’est pas une société de personnes. La question adressée à l’ARC était à savoir qui
devrait effectuer les déductions à la source relativement aux salaires versés aux employés
étant donné qu’un regroupement de partage de dépenses n’est pas une personne aux fins
de la L.I.R. Selon l’ARC, l’application de 153(1) L.I.R. dépend de l’existence ou non
d’une relation de mandat entre les parties à la convention de partage de dépenses. Si

113
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Livret RC2(F) Rev. 14 « Le numéro d’entreprise et vos
comptes de programme de l’Agence du revenu du Canada », 2014, page 20-21
114
AGENCE DU REVENU DU CANADA, précité, note 113, page 6.
115
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2002-0163135, 5 décembre 2002.

60
chacune des parties verse les salaires aux employés sans que l’un d’eux n’agisse à titre de
mandataire pour les autres chacun d’eux a l’obligation de déduire ou retenir à même sa
quote-part des salaires versés la somme fixée selon les modalités réglementaires 116.
Chacun a donc également l’obligation de produire les déclarations de renseignements
selon les formulaires prescrits (T4, relevés 1) à l’égard du paiement de sa quote-part des
salaires 117. Selon l’ARC, la situation serait différente dans le cas où l’une des parties
verserait la totalité des salaires aux employés en partie en son nom et en partie à titre de
mandataire de ses collègues. Dans un tel cas, l’ARC est d’avis que le payeur aurait
l’obligation de déduire ou retenir à même la totalité des salaires qu’il verserait la somme
fixée par les modalités réglementaires, de remettre cette somme aux autorités
compétentes et de produire les déclarations de renseignements selon les formulaires
prescrits 118. Les autres parties quant à elles seront responsables à titre de mandant pour
les actes que le payeur aura accompli… ou omis d’accomplir… à titre de mandataire.
Cette responsabilité sera limitée à la partie des salaires versés pour eux à titre de
mandant. Dans ces circonstances, une seule déclaration de renseignements à l’égard de la
totalité des salaires sera nécessaire.

En pratique, le calcul des charges sociales est souvent effectué à tort comme si un
seul employeur existait ce qui peut avoir un impact significatif sur le total des charges
sociales payées considérant les exemptions annuelles de base, mais surtout les maximums
annuels assurables. De ces inexactitudes pourraient découler de nouvelles cotisations
quant aux charges sociales ainsi que des pénalités et intérêts qui auraient pu être évités.

En ce qui concerne nos deux professionnels, puisque chacun d’eux utilise


principalement l’un des candidats à l’exercice de la profession, il sera plus simple et
potentiellement moins coûteux que chacun d’eux embauche distinctement son
collaborateur 119. L’adjointe est principalement sous la subordination de Professionnel B

116
En vertu du paragraphe 153(1) L.I.R. et des articles 100 et suivants du R.I.R.
117
En vertu du paragraphe 200(1) R.I.R.
118
Selon l’ARC cette obligation découle des termes mêmes du paragraphe 153(1) L.I.R., des articles 100 et
suivants du R.I.R. et de la jurisprudence à cet égard.
119
Voir à ce sujet AGENCE DU REVENU DU CANADA, T4001 – Guide de l’employeur – les retenues
sur la paies et les versements, 31 décembre 2014 et REVENU QUÉBEC, TP-1015.G – Guide de
l’employeur et cotisations, version 2015-01

61
Inc. Elle pourrait donc être employée par Professionnel B Inc., mais effectuer également
certaines tâches pour Professionnel A. Pour compenser le fait que Professionnel B Inc.
verserait la totalité du salaire et des charges sociales, une facture pourrait être émise à
Professionnel A pour les services rendus. Toutefois, puisque ces services seront assujettis
à la TPS et à la TVQ, si Professionnel A n’est pas en mesure de réclamer la totalité des
CTI et RTI y afférent, un ajustement au sujet de la répartition des autres dépenses
attribuées à chacun pour l’exploitation du cabinet permettrait d’arriver au même résultat
sans créer de coût de taxe non récupérable pour l’un d’eux.

2.4.2 La société de personnes

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet, senc(rl)
(Frais liés au cabinet et salaires)

2.4.2.1 Structure légale


Le seul fait d’embaucher des employés qui seront partagés ne constitue pas un
élément changeant la qualification du regroupement afin d’en faire une société de
personnes.

Si Cabinet est une SENC, la SENC sera l’employeur de tous les employés. Les
associés seront solidairement responsables des salaires des employés. Cette situation
serait la même si la société de personnes est une SENCRL, car dans ce dernier cas, la
responsabilité n’est limitée qu’à l’égard « […] des obligations de la société ou d’un autre
professionnel, découlant des fautes ou négligences commises par ce dernier, son

62
mandataire dans l’exercice de leurs activités professionnelles au sein de la société ». 120
Les associés seront solidairement responsables de ces dépenses.

2.4.2.2 Administration courante et conformité fiscale


Présumant que l’entente entre Professionnel A et Professionnel B Inc. ait évolué
et constitue une société de personnes au sens du Code civil, Cabinet SENCRL serait alors
le réel employeur de l’adjointe ainsi que des deux candidats à l’exercice de la profession.
Les obligations de l’employeur seront les mêmes, peu importe le véhicule juridique
retenu 121.

2.4.3 La société par actions

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
frais de bureau) frais de bureau)

? ?

Cabinet Inc.
(Frais de bureau facturés – coûts liés au cabinet -
salaires)

2.4.3.1 Structure légale


Si Cabinet est une société par actions, Cabinet Inc. sera l’employeur de tous les
employés. Au niveau de la responsabilité en matière de salaires impayés, les
administrateurs de la société sont solidairement responsables envers les employés, mais
jusqu’à concurrence de six mois de salaire 122, contrairement à la responsabilité des

120
Code des professions, L.R.Q., c. C-26, art. 187.14.
121
Voir à ce sujet AGENCE DU REVENU DU CANADA, précité, note 119 et REVENU QUÉBEC,
précité, note 119.
122
Loi sur les sociétés par actions, chapitre S-31.1, article 154

63
associés d’une société de personnes qui n’est pas limitée. Il est à noter que la Loi sur la
faillite et l’insolvabilité 123, en ses articles 136 (1) d), 81.3 (1) et 81.4 (1), octroie une
priorité pour les gages, salaires, commissions ou autre rémunération pour services rendus
au cours des six mois précédant la faillite (ou la mise sous séquestre), jusqu’à
concurrence de deux mille dollars.

2.4.3.2 Administration courante et conformité fiscale


Cabinet Inc. est une personne aux fins de la L.I.R. et sera donc le réel employeur
de l’adjointe ainsi que des deux candidats à l’exercice de la profession. Les obligations de
l’employeur seront les mêmes, peu importe le véhicule juridique retenu 124.

2.4.3.3 TPS TVQ


Les frais totaux d’exploitation de Cabinet Inc. augmenteront lors de l’embauche
de ces trois employés. Les frais de bureau facturés seront donc ajustés en conséquence.
Si Professionnel A et Professionnel B Inc. n’effectuent que des fournitures taxables et
sont inscrits aux fichiers de la TPS et de la TVQ, le fait de devoir payer la TPS et la TVQ
sur davantage de frais de bureau n’aura pas d’incidence pour eux. Toutefois, si
Professionnel A et Professionnel B Inc. ne sont pas en mesure de récupérer la totalité des
CTI et des RTI, l’utilisation d’une société par actions créera un coût de taxe
supplémentaire en comparaison avec les deux autres véhicules juridiques puisque le
paiement de salaires n’est pas une fourniture taxable alors que la refacturation de ces
charges sera taxable.

2.5 Le versement d’une rémunération pour l’un des partenaires


Bien qu’ils aient convenu initialement de partager les coûts et les responsabilités
liés au cabinet de façon équitable, il s’avère que l’un de nos deux comparses,
Professionnel B, devient heureux papa de triplés. Il manque donc dramatiquement de
temps et est bien conscient que son confrère abat seul toutes les tâches administratives.
Elles ne sont pas nombreuses, mais quand même prenantes et souvent peu stimulantes! Ils
s’entendent donc sur le fait qu’en échange de ces bons services, un dédommagement

123
Loi sur la faillite et l’insolvabilité (L.R.C. (1985), ch. B-3)
124
Voir à ce sujet AGENCE DU REVENU DU CANADA, précité, note 119 et REVENU QUÉBEC,
précité, note 119.

64
devrait être donné à Professionnel A. Professionnel B propose donc d’assumer seul les
premiers 5 000 $ de coûts liés au cabinet, puis que tous les coûts supplémentaires soient
partagés en parts égales entre eux.

2.5.1 Le groupe de partage de dépenses

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet A et B
(Revenus - frais liés au
cabinet)

2.5.1.1 Structure légale


La convention de partage de dépenses sera écrite en fonction des modalités
déterminées entre les professionnels. Le fait de ne pas avoir un partage en parts égales
entre les membres n’entraîne aucune considération particulière.

2.5.2 La société de personnes

Professionnel B Inc.
M. Professionnel A (Revenus et dépenses
(Revenus et dépenses professionnels)
professionnels)

Cabinet, senc(rl)
(Revenus - frais liés au cabinet)

65
2.5.2.1 Structure légale
Supposons par ailleurs que l’entente entre Professionnel A et Professionnel B Inc.
a évolué de sorte que le contrat conclu entre eux crée une société de personnes selon le
Code civil.

Les diverses lois provinciales sur les sociétés de personnes n’interdisent pas le
versement d’une rémunération à un associé. Par contre, le statut de salarié est
incompatible avec le statut d’associé. 125 Il faudrait donc que les associés procèdent par la
voie d’une répartition différente des profits.

2.5.2.2 Administration courante et structure fiscale


Le partage des pertes entre les associés peut être effectué de la façon souhaitée
sous réserve du fait que tous les associés doivent participer au profit ou à la perte. L’ARC
n’accepterait pas que Professionnel A reçoive une rémunération alors que le second
assume une perte. Par exemple, si le revenu de la SENC était de 3 000 $ et que les
premiers 5 000 $ devaient être assumés par Professionnel B Inc. alors les deux associés se
partageraient une perte de 2 000 $. Professionnel B Inc. se verrait attribuer une perte de
1 000 $ et Professionnel A toucherait un revenu de 4 000 $. Bien que les revenus totaux
attribués totalisent 3 000 $ cette attribution n’est plus permise par l’ARC 126.

Le versement d’un salaire à Professionnel A en guise de rémunération pour les


tâches administratives ne sera toutefois n’est pas une avenue recommandée. Notons
qu’un salaire versé par une société à un associé n’est généralement pas déductible de son
revenu d’entreprise. L’ARC est d’avis que le fait pour un associé de recevoir un revenu
d’emploi d’une société de personnes serait incompatible avec les rapports juridiques qui
définissent une société de personnes 127. Les professionnels participent tous deux à
différents niveaux à l’exploitation de l’entreprise de la société de personnes et aucun
d’eux n’est son employé. Les montants versés seraient plutôt une distribution de revenus
à moins qu’il soit possible d’affirmer que les services rendus par l’associé sont relatifs à

125
Drolet c. Charron, [2005] R.J.D.T. 667, 2005 QCCA 430
126
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Nouvelles techniques no 30 – Calcul et attribution des
revenus et des pertes d’une société de personnes, 21 mai 2004
127
Id.

66
une entreprise distincte de celle exploitée par la société de personnes 128. Dans ce cas bien
précis, le salaire de l’associé sera déductible, car la rémunération ne lui est pas versée en
sa qualité d’associé.

En fait, l’ARC considère que :

« Chacun des associés d’une société de personnes exploite une entreprise tant à titre de
mandant que de mandataire des autres associés constituant la société de personnes. En
conséquence, un contrat de travail conclu entre tous les associés de la société de personnes
et l’un de ses associés en particulier rendrait pour cet associé à signer un contrat en vue de
129
travailler pour soi-même. Une telle entente serait nulle en droit ».
La position de l’ARC repose sur une décision de la Cour canadienne de l’impôt
soit l’affaire Crestglen Investments Limited c. M.R.N. 130 qui avait établi que le traitement
fiscal du revenu tiré par un associé d’une société en nom collectif est le même qu’il
s’agisse de sommes distribuées par la société ou d’argent affecté aux services de gestion
de la société. Quant à la décision de la Cour canadienne de l’impôt selon la procédure
informelle dans l’affaire Archbold c. La Reine 131, il ne s’agit pas d’un précédent selon
l’ARC. Dans cette affaire, la cour avait permis la déduction dans le calcul du revenu
d’une société de personnes. Toutefois, le fait que la loi n’interdise pas le versement d’une
rémunération n’est pas suffisant pour rendre la somme déductible dans le calcul du
revenu de la société de personnes 132.

Des honoraires versés à un associé et payés en contrepartie de services fournis à la


société de personnes par l’associé à d’autres titres qu’en sa qualité d’associé seraient
déductibles pour la SENC. Advenant que Professionnel A transfère également sa part
dans la SENC à une société par actions et cesse d’être personnellement un associé de la
SENC, il pourrait être plus facile de démontrer que Professionnel A offre ses services
administratifs dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise distincte de celle de la
société de personnes, soit l’offre de services administratifs et de gestion. La SENC quant

128
Id.
129
Id.
130
Crestglen Investments Limited c. M.R.N. 93 DTC 462
131
Archbold c. La Reine, 1995 1 C.T.C. 2872
132
Voir également les affaires Paajanen c. La Reine 2011 TCC 310, Jean François Blais, Christine Auray-
Blais et Innovations et Intégrations Brassicoles Inc. c. La Reine 2015 CCI 417 et James Mazurkewich c.
La Reine 2007 TCC 517

67
à elle serait formée de Professionnel A Inc. et Professionnel B Inc. qui exploitent
ensemble un cabinet professionnel. Des services distincts pourraient d’ailleurs être rendus
par Professionnel A autrement qu’en sa qualité d’associé et sans que celui-ci ne procède
au transfert de sa part. Toutefois, l’ARC recommande de conclure un tel contrat par
l’intermédiaire d’une entité distincte pour éviter l’application du principe qui empêche de
conclure un contrat avec soi-même et éviter l’incertitude au sujet de la déductibilité des
paiements 133. Ces services seraient par ailleurs assujettis à la TPS et à la TVQ ce qui
créerait potentiellement un coût de taxe non récupérable pour la société de personnes.

2.5.3 La société par actions

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
dépense de loyer) dépense de loyer)

?
?

Cabinet Inc.
(Loyers - frais liés au cabinet - salaires)

2.5.3.1 Administration courante, conformité fiscale, TPS et TVQ


Puisque la société par actions est une personne distincte, rien n’empêche le
paiement d’un salaire à Professionnel A. Le versement d’un salaire entraînera toutefois
un coût supplémentaire pour Cabinet Inc. en ce qui a trait aux charges sociales ainsi que
la nécessité de mettre en place un service de la paie s’il s’agit du seul employé. Une
réduction des frais de bureau payés par Professionnel A pourrait être plus simple.

133
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Nouvelles techniques no 30, 21 mai 2004, Question 4.

68
2.6 Se partager des dépenses admissibles aux programmes de RS&DE
Parmi les avantages liés au fait de se réunir pour partager des dépenses, il y a la
possibilité de créer un milieu propre à l’échange d’idées et à l’innovation. Certaines des
dépenses partagées par les deux professionnels pourraient être admissibles aux crédits
d’impôt à l’investissement (« C.I.I. ») prévus aux programmes de recherche scientifique
et de développement expérimental (« RS&DE »). Aux considérations relatives à la
structure juridique déjà discutées dans le scénario de base s’ajoutent les différences au
niveau des taux de crédit d’impôt 134.

2.6.1 Le groupe de partage de dépenses

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus et dépenses (Revenus et dépenses
professionnels) professionnels)

Cabinet A et B
(Frais liés au cabinet et
dépenses de RS&DE)

Une coentreprise n’étant pas une personne ni une société de personnes, le cabinet
ne pourrait se prévaloir lui-même des mesures fiscales proposées 135. Chacun des
membres du groupe de partage de dépenses pourra réclamer sa portion du C.I.I à un taux
qui différera pour chacun d’eux en fonction du véhicule juridique retenu pour exercer
leur profession. Professionnel A, à titre de particulier pourra réclamer un C.I.I sur la
portion des dépenses qui lui sont attribuées au taux de 15 % et ne sera éligible à aucun
crédit d’impôt au niveau des salaires de recherche et développement au Québec. Quant à
Professionnel B Inc., il pourra réclamer un C.I.I. sur sa portion des dépenses à un taux

134
Voir à ce sujet HUGUES LACHANCE, Réorganisation corporative : pour mieux anticiper les
incidences fiscales sur la RS&DE, APFF Colloque 228 – Symposium RS&DE, 27 février 2014
135
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2008-0269721I7, 15 octobre 2008

69
variant entre 15 % et 35 % au fédéral 136 et sa portion du crédit d’impôt au titre des
salaires de recherche et de développement à un taux variant entre 17,5 % et 37,5 % au
Québec.

2.6.2 La société de personnes

Professionnel B Inc.
M. Professionnel A
(Revenus et dépenses
(Revenus et dépenses professionnels)
professionnels)

Cabinet senc(rl)
(Revenus - frais liés au cabinet et
dépenses de RS&DE

Présumons que l’entente entre Professionnel A et Professionnel B Inc. a évolué et


qu’ils rencontrent maintenant toutes les conditions nécessaires à la formation d’une
société de personnes. Les dispositions liées au C.I.I. pour les sociétés de personnes sont
prévues au paragraphe 127(8) L.I.R. Puisque le calcul du revenu s’effectue au niveau de
la société de personnes, il en va de même pour la détermination des crédits liés à la
RS&DE. Les crédits seront demandés par les associés à un taux de 15 % au fédéral 137 et
de 17,5 % au Québec. Au Québec, les salaires versés à des employés pourraient être
admissibles. Il ne faut pas oublier que le temps investi par les associés ne pourra être
considéré puisqu’il ne peut faire l’objet d’une rémunération sous forme de salaire.

136
La société étant une société privée sous contrôle canadien, elle sera admissible à un crédit d’impôt à
l’investissement majoré de 20 % pour un total de 35 % en vertu du paragraphe 127(10.1) L.I.R.
Toutefois, l’admissibilité au CII est diminuée de façon graduelle lorsque le capital imposable de l’année
précédente utilisé au Canada (ainsi que celui de ses sociétés associées) se situe entre 10 M$ et 50 M$.
L’accès au taux majoré est complètement éliminé lorsque le capital imposable de l’année précédente
excède 50 M$ ou que le revenu imposable de la société pour l’année d’imposition précédente (et de ses
sociétés associées) excède 800 000 $ (par. 127(10.2) L.I.R.).
137
Puisque le crédit est calculé au niveau de la société de personnes, aucun taux majoré n’est disponible.

70
2.6.3 La société par actions

M. Professionnel A Professionnel B Inc.


(Revenus nets professionnels – (Revenus nets professionnels –
dépense de loyer) dépense de loyer)

? ?

Cabinet Inc.
(Loyers - frais liés au cabinet - salaires –
dépenses de RS&DE)

Cabinet Inc. pourra réclamer un C.I.I. à un taux variant entre 15 % et 35 % au


fédéral et un crédit d’impôt au titre des salaires de recherche et de développement à un
taux variant entre 17,5 % et 37,5 % au Québec. Dans la mesure où Professionnel A et
Professionnel B sont tous les deux impliqués activement dans les activités admissibles de
recherche et de développement, cette structure a l’avantage de permettre le versement de
salaires qui pourront mener à des crédits.

2.7 L’acquisition d’un immeuble


Après quelques années de pratique, une opportunité se présente à nos deux
professionnels. Leur locateur décide de se départir de certains éléments de son parc
immobilier. Ils ont donc la possibilité d’acquérir l’immeuble où le cabinet est situé. Nos
deux confrères y voient une occasion de diversifier leurs investissements personnels et de
toucher un revenu récurrent qui pourrait même les mener plus rapidement à la retraite.

De nombreux scénarios pourraient être retenus par Professionnel A et


Professionnel B Inc. en vue de l’acquisition de l’immeuble, mais leurs impacts,
particulièrement au niveau de la TPS et de la TVQ ou de la possibilité d’utiliser
l’exemption de gain en capital dans certaines situations, s’écartent de l’objet du présent
texte.

71
3 Impact des derniers budgets sur les structures des professionnels

Le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, lors du discours sur le


Budget 2015-2016 qu’il a prononcé le 26 mars 2015, annonçait une série de mesures
fiscales, dont certaines allaient avoir un impact direct sur les professionnels qui exercent
une profession au sein d’une société par actions. La hausse du taux d’imposition du
Québec pour ces sociétés entraînera-t-elle une vague de « désincorporations » au niveau
des professionnels? Quel impact auront ces mesures sur les structures utilisées par les
professionnels pour partager leurs dépenses? Est-ce que les mesures proposées par le
gouvernement conservateur dans son budget fédéral du 21 avril 2015 pour favoriser
l’essor de l’économie canadienne et notamment réduire le taux d’imposition des petites
entreprises agiront comme un baume sur la plaie? En réaction aux changements
annoncés, les professionnels devraient consulter leur fiscaliste et revoir les raisons ayant
motivé leur incorporation afin de s’assurer qu’elles sont toujours valables.

Les avantages liés à l’incorporation de la pratique professionnelle peuvent être


très importants, mais varient en fonction de la situation financière et fiscale de chacun des
professionnels 138. L’un des avantages liés à l’incorporation de la pratique professionnelle
est l’accès au bas taux d’imposition des sociétés par actions et la possibilité de différer le
moment où les sommes gagnées par la société professionnelle seront extraites de la
structure corporative et donc la possibilité de reporter le moment du paiement de l’impôt
des particuliers.

En 2015, le taux d’imposition combiné du fédéral et du provincial sur le revenu


admissible à la déduction accordée aux petites entreprises est de 19 % (soit 11 % au
fédéral et 8 % au provincial), alors que le taux d’imposition combiné du fédéral et du
provincial sur le revenu général non admissible est de 26,9 % (soit 15 % au fédéral et
11,9 % au provincial). Lorsque toutes les conditions sont respectées, une société peut
actuellement obtenir annuellement une réduction d’impôt sur ses revenus provenant
d’une entreprise exploitée activement au Canada de 7,9 % (soit 4 % au fédéral et 3,9 %
au provincial). Cette déduction est assujettie à une limite annuelle appelée « plafond des
affaires » et doit être partagée avec les sociétés associées à la société professionnelle.

138
À ce sujet, voir le texte de Valérie MÉNARD, précité, note 1.

72
Cette limite est établie à 500 000 $ depuis 2009. Cette mesure représente donc une
réduction potentielle de l’impôt de la société de 39 500 $, un montant somme toute
substantiel 139.

Le gouvernement du Québec entend toutefois ajouter de nouveaux critères de


qualification afin d’accéder à cette réduction d’impôt :

1. Soit employer pendant toute l’année plus de trois personnes à temps plein;
2. Soit exploiter des activités du secteur primaire, manufacturier ou de la fabrication
et de la transformation, ce qui exclut notamment une entreprise de services.

Au provincial, le taux d’imposition applicable sur les premiers 500 000 $ de


revenus provenant de l’exercice d’une profession au Québec passerait donc
théoriquement à 11,9 %, ce qui représente une hausse de 3,9 %. Mince consolation, le
budget provincial 2015-2016 prévoit toutefois une réduction graduelle de son taux
d’imposition général entre 2017 et 2020, comme indiqué ci-dessous.

Tableau 1
Taux
d’imposition
général (%) Actuel 2017 2018 2019 2020

Provincial 11,9 11,8 11,7 11,6 11,5

Ces nouvelles mesures ne devraient entrer en vigueur qu’aux années d’imposition


des sociétés commençant après le 31 décembre 2016.

Le budget fédéral déposé le 21 avril 2015 par le ministre Oliver, s’inscrivant


quant à lui dans un contexte électoral, contient plutôt de bonnes nouvelles pour les petites
entreprises canadiennes. Leurs revenus admissibles à la déduction pour les petites
entreprises sont présentement imposés à un taux de 11 %, qui sera réduit graduellement
de 0,5 % par année à compter du 1er janvier 2016 pour atteindre 9 % en 2019.

139
Voir à ce sujet Valérie MÉNARD et Pierre-Philippe TACHÉ, précité, note 5.

73
Tableau 2
Taux
d’imposition –
après DPE Actuel 2016 2017 2018 2019

Fédéral 11 10,5 10 9,5 9

Pour un grand nombre de professionnels qui exercent seuls au sein d’une société
par actions, l’effet combiné de ces deux annonces se résume comme suit puisqu’ils ne
seront plus admissibles à la DPE au provincial pour les années d’imposition qui
commenceront après le 31 décembre 2016.

Tableau 3

Taux 2015 2016 2017 2018 2019 2020


impôt Avec Sans Avec Sans Avec Sans Avec Sans
DPE-Qc DPE-Qc DPE-
(%) DPE-Qc DPE- DPE- DPE- Qc DPE-
Qc Qc Qc Qc

Fédéral 11 10,5 10 10 9,5 9,5 9 9 9 9

Provincial 8 8 8 11,8 8 11,7 8 11,6 8 11,5

Combinés 19 18,5 18 21,8 17,5 21,2 17 20,6 17 20,5

+3,8 % +3,7% +3,6% +3,5%

Selon l’ARC, « le système d’imposition canadien est largement fondé sur le


principe d’intégration. En effet, le législateur s’efforce de structurer la loi de façon à ce
que le fardeau fiscal supporté par une personne soit le même pour tous. Ainsi, que le
revenu soit gagné directement par un particulier ou qu’il le soit par une société et ensuite
redistribué sous forme de dividende aux actionnaires, il ne devrait en résulter aucun
avantage ou inconvénient relativement au taux d’impôt payé 140 ».

Par ailleurs, la première colonne du tableau suivant présente les liquidités


disponibles pour le médecin s’il exerce sa pratique professionnelle à titre personnel selon

140
AGENCE DU REVENU DU CANADA, interprétation technique 2011-0395121E5, 9 mars 2011

74
les taux d’imposition des particuliers prévus pour 2015. Lorsqu’il est assujetti au taux
d’imposition marginal maximum, le revenu de profession gagné personnellement par le
médecin serait imposé à un taux combiné fédéral et provincial de 49,97 %. Gagner cent
dollars de revenus de profession, libres de dépenses, laisse donc au professionnel 50,03 $
dans ses poches après impôts. Dans la seconde colonne, on illustre le principe de
l’intégration selon la situation actuelle, c’est-à-dire dans le cas où le revenu d’entreprise
exploité activement est d’abord imposé dans la société professionnelle et que ces revenus
sont admissibles à la DPE puis entièrement versés à l’actionnaire par la voie d’un
dividende (qualifié de « dividende non déterminé ») dont le taux d’imposition marginal
maximum est actuellement de 39,78 %. À la troisième colonne, on pose l’hypothèse que
le revenu n’est pas admissible à la DPE, ni au fédéral ni au provincial au cours de
l’année 2015. Il s’agirait notamment du traitement réservé aux revenus de la société
excédant le plafond des affaires, notamment. Le dividende reçu par l’actionnaire (qualifié
de « dividende déterminé ») est imposé à un taux moindre soit 35,2 % puisque la société
est frappée d’un taux d’imposition supérieur. L’intégration n’est pas parfaite, mais
l’équilibre est relativement maintenu.

Tableau 4
2015 – Revenu 2015 – Entreprise de 2015 – Entreprise de
personnel de services admissible à la services non admissible à
profession DPE la DPE
Fédéral et provincial Fédéral et provincial
(QC) (QC)
REEA 100,00 100,00
Impôt des sociétés (19,00) (26,90)
$ à distribuer 81,00 73,10

Revenu professionnel
100,00
Dividendes 81,00 73,10
Impôt personnel 49,97 (32,22) (25,73)
$ disponibles 50,03 48,78 47,37
Écart défavorable -1,25 -2,66

75
Logiquement, afin de maintenir l’équilibre lorsque le taux d’imposition de la
société est augmenté, le taux d’imposition du dividende doit être réduit et vice versa. Cela
explique les changements corollaires annoncés dans le Budget fédéral de 2015 en matière
de l’imposition des dividendes non déterminés et permettant de maintenir le principe de
l’intégration.

Tableau 5

Dividendes non
déterminés
Actuel 2016 2017 2018 2019

Majoration du 18 % 17 % 17 % 16 % 15 %
dividende

Taux de crédit 11 % 10,5 % 10 % 9,5 % 9%


d’impôt

Les changements annoncés au Québec ne font toutefois pas état d’un ajustement
du taux d’imposition du dividende des entreprises non admissibles à la DPE. Puisque le
concept permettant de qualifier un dividende à titre de dividende déterminé ou non
déterminé est un concept fiscal fédéral, la réduction du taux d’imposition du dividende
qui aurait été souhaitable et logique à la suite de l’augmentation du taux d’imposition des
sociétés pourrait bien ne pas être obtenue. En 2017, si les liquidités devaient être
imposées au taux du dividende non déterminé, il en résulterait un taux combiné personnel
et des sociétés de 53,6 %, soit 3,6 % de plus que lorsque le revenu est gagné
personnellement par le professionnel. Lorsque l’intégration fonctionne, ne pas avoir accès
à la DPE signifie simplement une diminution de l’avantage conféré par le report d’impôt.
Toutefois, il pourrait maintenant s’agir d’une dépense d’impôt supplémentaire et
irrécupérable. Les tableaux qui suivent présentent l’impact au niveau de l’intégration
selon ces hypothèses.

76
2017 2017
2015 2016
Avec DPE-Qc Sans DPE-Qc
Revenu de la société 100,0 100,0 100,0 100,0
Impôt corporatif 19,0% (19,0) 18,5% (18,5) 18,0% (18,0) 21,8% (21,8)
$ disponibles = dividendes 81,0 81,5 82,0 78,2
Impôt personnel 39,8% (32,2) 40,1% (32,7) 40,6% (33,3) 40,6% (31,8)
$ reçus par l'actionnaire 48,8 48,8 48,7 46,4

Revenu du particulier 100,0 100,0 100,0 100,0


$ nets sans incorporation 50% (50,0) 50% (50,0) 50% (50,0) 50% (50,0)
Avantage (désavantage) 50,0 50,0 50,0 50,0

Avantage (Désavantage) (1,2) (1,2) (1,3) (3,6)

2018 2018 2019 2019


Avec DPE-Qc Sans DPE-Qc Avec DPE-Qc Sans DPE-Qc
Revenu de la société 100,0 100,0 100,0 100,0
Impôt corporatif 17,5% (17,5) 21,2% (21,2) 17,0% (17,0) 20,6% (20,6)
$ disponibles = dividendes 82,5 78,8 83,0 79,4
Impôt personnel 41,0% (33,8) 41,0% (32,3) 41,3% (34,3) 41,3% (32,8)
$ reçus par l'actionnaire 48,7 46,5 48,7 46,6

Revenu du particulier 100,0 100,0 100,0 100,0


$ nets sans incorporation 50% (50,0) 50% (50,0) 50% (50,0) 50% (50,0)
Avantage (désavantage) 50,0 50,0 50,0 50,0

Avantage (Désavantage) (1,3) (3,5) (1,3) (3,4)

2020 2020
Avec DPE-Qc Sans DPE-Qc
Revenu de la société 100,0 100,0
Impôt corporatif 17,0% (17,0) 20,5% (20,5)
$ disponibles = dividendes 83,0 79,5
Impôt personnel 41,3% (34,3) 41,3% (32,8)
$ reçus par l'actionnaire 48,7 46,7

Revenu du particulier 100,0 100,0


$ nets sans incorporation 50% (50,0) 50% (50,0)
Avantage (désavantage) 50,0 50,0

Avantage (Désavantage) (1,3) (3,3)

77
À partir de 2017, les professionnels qui exercent leur profession au sein d’une
société par actions qui emploie pendant toute l’année moins de trois personnes à temps
plein seront plus lourdement imposés sur les premiers 500 000 $ de profit. Puisque cela
peut représenter jusqu’à 18 000 $ d’impôt de société de plus par année, les professionnels
devront revoir certaines de leurs décisions d’affaires afin d’être à nouveau admissible à la
déduction pour les petites entreprises sur la totalité ou une partie de leurs revenus ou du
moins réduire l’impact des nouvelles mesures.

Très souvent, la rémunération de l’actionnaire dirigeant fera l’objet des premiers


ajustements. Le versement de salaires plutôt que de dividendes gagnera en popularité.
Dans le meilleur des mondes, l’actionnaire-dirigeant pourra être l’un des employés
considérés afin de démontrer que la société emploie pendant toute l’année plus de trois
personnes à temps plein. Si tel n’est pas le cas, le salaire aura l’avantage de réduire le
revenu imposable de la société sur lequel sera appliqué le taux d’imposition
désavantageux. Pour certains professionnels, cela pourrait aussi signifier d’embaucher à
temps plein un ou plusieurs nouveaux employés qui pourraient leur permettre
d’augmenter leurs revenus ou d’améliorer leur qualité de vie alors qu’une portion de
l’augmentation de la masse salariale serait compensée par la réduction du taux
d’imposition corporatif.

Ces nouvelles mesures pourraient également avoir un impact sur les structures
utilisées par les professionnels lorsqu’ils se regroupent pour partager des dépenses. Si une
société par actions telle que Professionnel B Inc. devait devenir associée d’une SENC,
l’un des éléments qui serait à considérer lors du calcul de la DPE est le « revenu de
société de personnes déterminé », selon la définition prévue au paragraphe 125(7)
L.I.R 141. Il en résulte le partage, entre les associés, corporatifs ou non, d’un seul plafond
des affaires relativement au revenu admissible à la DPE provenant d’une société de
personnes. Est-ce que le fait que la SENC emploie plus de trois personnes à temps plein
permettra aux associés de réclamer la DPE à la fois au fédéral et au Québec sur sa quote-
part du plafond des affaires? Les notes explicatives accompagnant le budget du Québec

141
Voir à ce sujet : AGENCE DU REVENU DU CANADA, Bulletin d’interprétation IT-73R6,
« Déduction accordée aux petites entreprises », 25 mars 2002, par. 20.

78
étaient muettes à ce sujet. Chose certaine, les professionnels qui ne partageaient que des
dépenses pourraient dorénavant souhaiter partager également une portion de leurs
honoraires si ceux-ci peuvent être assujettis à un taux d’imposition plus faible. Chaque
situation devra faire l’objet d’une analyse particulière en gardant à l’esprit que le jeu doit
en valoir la chandelle et que le fait d’associer les sociétés de divers professionnels et de
devoir se partager un seul plafond des affaires pourrait être désavantageux considérant
que ces nouvelles mesures ne s’appliquent qu’au niveau de l’impôt du Québec.

Bien que l’écart soit aggravé par les nouvelles mesures provinciales, rappelons
également que dans tous les cas, l’intégration n’est pas parfaite et que le professionnel
qui choisit de gagner son revenu par l’entremise d’une société et de retirer
immédiatement toutes les liquidités de la société sans effectuer de fractionnement de ses
revenus est défavorisé. De quoi engendrer une vague de « désincorporations »? Cela ne
devrait pas être le cas puisque cette inégalité, bien que moindre en 2015, était tout de
même présente et bien connue des praticiens. Considérant les honoraires professionnels à
encourir lors de la mise en place de la structure et les frais annuels à débourser pour son
maintien, la voie de l’incorporation devait déjà mathématiquement être évitée en 2015. Il
est donc probable que les professionnels ayant choisi d’incorporer leur pratique l’aient
fait pour obtenir d’autres avantages, notamment profiter de possibilités de report d’impôt
ou de fractionnement de leurs revenus.

Le report d’impôt survient lorsque les profits de la société ne sont pas tous
redistribués, car alors le taux d’imposition plus faible de la société fait en sorte que des
liquidités plus importantes peuvent être conservées au sein de la structure de la société.
Ces liquidités pourront permettre de rembourser des dettes plus rapidement, d’effectuer
davantage de placements ou de payer des dépenses non déductibles pour la société telles
que des primes d’assurance vie ou d’assurances maladies graves. Évidemment,
l’augmentation du taux d’imposition des sociétés réduit autant l’avantage lié au report de
l’impôt, mais l’écart entre le taux marginal maximum des particuliers de 49,97 % et le
taux qui serait applicable en 2017 aux revenus professionnels non admissibles à la DPE
au Québec de 21,8 % demeure 28,17 % inférieur et est donc toujours attrayant.

79
En outre, bien que visé par les recommandations du rapport Godbout de la
Commission d’examen de la fiscalité québécoise, le fractionnement de revenus, c’est-à-
dire la possibilité de partager le revenu entre les membres d’une même famille afin de
réduire le montant d’impôt à payer, demeure un avantage incontestable. Puisque les
systèmes d’imposition canadien et québécois sont basés sur le revenu personnel, lorsque
le conjoint et les enfants majeurs ne sont pas imposés au taux marginal maximal, il est
toujours intéressant d’utiliser les avantages que procurent les taux d’imposition
progressifs des particuliers afin de réduire l’impôt total payable par la famille. Pour ce
faire, le professionnel pourrait souscrire aux actions avec droit de vote de la société afin
de conserver le contrôle de la société, mais fera en sorte que les membres de sa famille
détiendront des actions donnant droit à des dividendes – directement en utilisant des
actions à dividendes discrétionnaires, ou indirectement grâce à la présence d’une fiducie
familiale discrétionnaire au sein de la structure. Il devra toutefois s’assurer de respecter
les conditions exigées quant à l’exercice de ses activités professionnelles au sein de la
société.

Alors que le report de l’impôt ne fait que retarder le moment de l’imposition, le


fractionnement des revenus permet de réelles économies d’impôt. Les entrepreneurs
québécois peuvent toujours en profiter, puisque la recommandation de la commission
d’élargir l’impôt sur le revenu fractionné pour les enfants mineurs aux enfants majeurs et
au conjoint, à l’exception de ceux d’entre eux prenant une part active dans l’entreprise,
n’est pas en vigueur. Cette recommandation exigerait d’ailleurs des discussions avec le
gouvernement fédéral afin qu’il modifie les règles concernant le fractionnement des
revenus et le concept de revenu fractionné.

CONCLUSION
Il n’est jamais trop tard pour corriger une structure déficiente, mais il est moins
coûteux de mettre en place dès le départ une structure adéquate. Pour ce faire, l’analyse
des besoins actuels et anticipés des professionnels est une étape primordiale. Le
fonctionnement et la situation d’un regroupement évoluent dans le temps, il est donc
essentiel d’en suivre l’évolution et d’adapter ou modifier la structure du groupe afin

80
qu’elle demeure adéquate et n’augmente pas indûment les risques et la responsabilité des
membres du groupe tant au niveau civil que fiscal.

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