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nPOURQllOI
O N iA IIIE
a crépite de partout ! On est en train de € ^ e quelque
^chose contre Sankara !» Et la communication a été in­
terrompue. Une amie a à peine eu le temps de nous aler-
■ter depuis Ouagadougou. C était le jeudi 15 octobre
|l987, en fin d’après-midi. Dans la ^irée, ayant eu
'confîmation par des amis béninois, maliens et burkinabé
_ du coup d’Etat contre Thomas Sankara, nous avons tenté
de joindre le Burkina par téléphone, par télex. En vain. Certains
d’entre nous ont alors envahi la résidence de l’am ba^deur bur­
kinabé à Paris. Lequel n’avait pas —du moins à ses dires —plus .-i
d’informations que nous.
Comment et pourquoi Sankara et Compaoré, ces deux « plus-
que-firères » ont-ils pu s’aimer ju ^ u ’à la trahison ? Qui a trahi
qui ? Nous avons cherché à savoir, à comprendre, à travers la
personpttlité des différents protagonistes.
Dam les pages qui suivent, nous livrons les premiers résultats
de nos enquêtes. Premiers résultats en effet, puisque nous ne
nous arrêterons pas à ce seul numéro. H nous feudra rechercher
et trouver les raisons réelles de cette tragédie. Nous avons com­
pris le pourquoi. Mais les versions officielles que nous cuadllent
les nouveaux dirigeants de Ouagadougou ne nous eiq>liquent pas
encore le comment. Seule certitude : Sankara avait su faire ger­
mer l’espoir. Ses tombeurs sauront-ils l’entretenir ? SV :-

28 JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTO BRE 1987


é l « lïS §
SANKARA
QUI A IN S P IR t
LE COUP D'ÉTAT
ET LE MEURTRE ?
« Le jour où Biaise
voudra me renverser,
ce sera imparable », disait Sankara.
Il ne croyait pas si bien dire.
Maurice Yameogo, victime d'une
PAR Sennen A ndriamirado révolte qui a amené l'armé* au pouvoir.

epuis plusieurs mois. Biaise Com* dont raffolent les militaires burkinabé).
D paoré numéro deux du Budcina,
ne logeait plus chez lui. Quand son
Tous les lundis et les jeudis à 17 h, les
Burkinabé pratiquent en effet, le
épouse ivoirienne Chantai n’est pas à «sport de masses» et le président
Ouagadougou, il se réfugie au « Pavil­ donne lui-même l’exemple. Mais ce
lon de la Côte d’ivoire », une des villas jour-là, tout va basculer en une demi-
du « Cbnseil de l’Entente » qui jouxte heure. Des hommes armés, n’apparte­
le Palais d’Etat, siège de la présidence nant pas à la garde présidentielle, ont
du Faso. investi le Conseil de l’Entente. Un offi­
Depuis quelques jours, le président cier — lequel? - les dirige qui
Thomas Sankara ne travaillait plus au s’adresse à Thomas Sankara : « P la ­
Palais d’Etat. n s’était isolé, pour être que tu veux nous faire exécuter, nous
tranquille, dans une autre villa du venons te destituer et t’arrêter. »
« Conseil de l’Entente ». La veille et le Selon certaines sources, Sankara au­
miitiii de ce jeudi 15 octobre 1987, il a rait été abattu à bout portant dans le Saye Zerbo. le premier à avoir pris
téléphoné à des amis à l’étranger, pour bureau où il travaillait et les combats le pouvoir à la suite d'un vrai coup d'Etat.
s’offiisquer d’un article sur le Burkina ne se seraient déroulés qu’après son
paru dans un journal ( ? ) publié à Da­ meurtre. Selon d’autres témoignages,
kar. « On m’y traite de despote leur le président se serait immédiatement
dit-il. On me co m p te à Sékou Touré. esquivé, suivi et protégé par ses gardes
On m’accuse d’avoir assas^ é des co­ du corps. E t il aurait explosé sous l’ef­
lonels qui n’ont jamais existé. Com­ fet d’une grenade à fra^ en tatio n que
ment faire pour répondre ? » Ses amis l’un des assaillants lui a lancée.
lui conseillent de ne surtout pas répon­ Une seule certitude : c’est le car­
dre aux imbéciles et de s’occuper de nage. Une centaine de morts selon des
dioses plus sérieuses. En tout cas, il ne diplomates français dont l’ambassade
drame pas du tout l’impression de pré­ est située près de la présidence et du
parer ou d’attendre un coup d’Etat. Ce « Conseil de l’Entente ». Le chiffi-e est
jour-là, le PF (président du Faso) tra­ sans doute exagéré. Bien qu’un diplo­
vaille en effet s ^ un code de conduite mate burkinabé nous ait affirmé : « Si
révolutionnaire qu’il veut propOKr aux dix gardes du corps de Sankara sont
organisations qui font partie du morts, ils ont dû, auparavant, en tuer
C(Miseil national de la révolution diacun cinq ou huit dans les rangs ad­
(CNR) qu’ü préside : l’ULC-R (Union verses. » Les morts —treize officielle­
des luttes communistes-restructurée), ment dont le président —sont enterrés
l’UCB (Union communiste burkina­ dans la nuit au cimetière de Dagnoen,
bé), l’UGC (Union des groupes com­ à l’est de Ouagadougou.
munistes) et l’OMR (Organisation des
militaires révolutionnaires). Justement, ntre-temps, la radio burkinabé a
ce s(nr à 20 heures une réunion du
CNR, restreinte aux seuls militures,
E commencé à diffuser des commu­
niqués émanant d’un « Front popu­
doit se tenir pour discuter du projet. laire » qui a pris le pouvoir après le
Un peu après 16 h, le p ru d e n t se renversement et la mort de Thomas
prépare pour son match de « ballon Sankara. Président du Front et nou­
militaire » (un sport très brutal, à mi- veau chef de l’Etat : le capitaine Biaise
chemin entre le rugby et le football, Compaoré, jusqu’alors numéro deux
30
s ix p ié M m m H t
M M a l « wM é < é < i» p w l« 1 M Q

e 3 janvier 1966, Maurice Yameogo, Sankara. Le capitaine Biaise Compaoré


L premier président de la République, entre en rébellion ouverte et se re­
démissionne à la suite de manifestationstranche au camp des para-commandos
réclamant son départ. L’armée prend le de Pô, 147 km au sud de Ouagadou­
pouvoir, avec à sa tête le lieutenant-co­ gou. n réclame la râiabiliution de l’an­
lonel Sangoulé Lamizana. cien premier ministre.
La première Rfoublique est morte. Le 4 août 1983 il descend sur Ouagft-
Elle aura vécu moms de six San­ dougou avec ses hommes et renverse
goulé Lamizana est à son tour renversé Jean-Baptiste Ouedraogo. Un Consdl
le 25 novembre 1980 par le colonel national de la révohitioit (CNR) est çrtf
'SMIQOMMLMnUàM. Saye Zeibo, chef d’état-migor. Ce der* et présidé par le ttjt>itaine Thomas Stâtf
la M M a » la Hm im -V oIu . nier met en place le Comité militaire de kara. Son second à la tête de l’Etat n’ètt
redressement national, régime qui sera autre que Biaise Compaoré. Lequel fera
renversé le 7 novembre 1982 par un un autre coup d’Etat, cette ftris pour ton
coup d’Etat dirigé par le colonel Some propre comiÂe. W.
Yorian, qui confie la préâdence au mé-
dedn-commandant Jean-Baptiste Oue-
draogo. dont le gouvernement est dirigé
par un premier ministre du nom de
Thomas Sankara.
Les divergences entre Içs deux
hommes entraînent la destitution et l’ar­
restation le 17 mai 1983 du capitaine

Avant BlaiM CompaofÉ, F h'.


Thomas Sanhan M a n ia phn IMHM
, chaf d a rE ta t
VérItaMa hafanguatir da iMIoa.
v:Jain OuadraoBO, Il M nélIc M t tfima popiilarU* /
eoinmaiwMM. chaf cTEtat malgré liai.
I du Burkina.

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'■.1 i ■i.-v

JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTOBRE 1987


SANKARA
d u ré g im e , m in is tr e d ’E t a t d é lé g u é à la fe m m e . L e c o m m a n d a n t J e a n - B a p tis tc b a s s a d e u r s a c c r é d ité s à O u a g a d o u g o u
p r é s id e n c e e t m in is tr e d e la J u s tic e e t L in g a n i e t le c a p ita in e H e n ri Z o n g o , e t e x p liq u e n t p o u r q u o i ils o n t r e n v e r s é
s u r to u t a m i p lu s q u ’in tim e , a lt e r é g o e u x a u s s i c o m p a g n o n s d e to u jo u r s d e le P F : c e d e r n i e r a u r a it e u l’in te n tio n
d e p u is d ix a n s d u p r é s id e n t a b a ttu . T h o m a s S a n k a r a , f o n t p a r tie d u F r o n t d e fa ire a r r ê t e r e t a s s a s s in e r le s tr o is
M a is C o m p a o r é a d is p a r u . L e s p r e ­ p o p u la ir e . L e v e n d r e d i 16 o c to b r e a u tr e s d ir ig e a n ts d u F a s o : L in g a n i,
m ie r s c o m m u n iq u é s n ’o n t c e r t a in e ­ d a n s l’a p r è s - m id i, ils ré u n is s e n t le s a m - Z o n g o e t C o m p a o r é . C e d e r n i e r n e se
m e n t p a s é t é ré d ig é s p a r lu i. Ils s o n t m a n if e s te r a p u b liq u e m e n t q u e le lu n d i
d ’u n e b a s s e s s e r a r e . S a n k a r a y e s t t r a i­ 19 o c to b r e . Il s’a v o u e a c c a b lé p a r la
t é d e « r e n é g a t » , « d ’a u t o c r a t e m y s ti­ 18s éimm-eti « m is m o r t d e S a n k a r a , n e re n ie p a s le u r
q u e » , e t m ê m e d e « p a r a n o ï a q u e m i­ à d IrS g a r Ci»4SiS«li a m itié , c o n f ir m e c e q u e Z o n g o e t L in ­
s o g y n e ». C e q u i e s t la p i r e in s u lte à g a n i o n t d it, m a is, n o n s a n s u n e c e r ­
r e n c o n t r e d ’u n h o m m e n o to ir e m e n t iî» w s®«# sq|w« » r « i s ta in e é lé g a n c e , d é s a v o u e le s in s u lte s e t
o b n u b ile p a r le r e s p e c t d e s d r o i ts d e la à 8m tef® é u ?mînS ïswp«l«85re m e n s o n g e s p r o f é r é s d e p u is q u a tr e

Sur cette photo ne manque Oe gauche à droite : le Comités de défense commandant Abdoul Salam
que le capitaine Henri commandant Jean-Baptiste de la Révolution, le Kaboré (avec la kalachnikov).
Zongo parmi les hommes Boukary Lingani, capitaine Biaise Compaoré, Parmi eux certains se sont
forts de Ouagadougou, le capiuine Pierre le président Thomas inquiétés d'étre un jour
au lendemain du 4 aoOt 1983. Ouedraogo, patron des Sankara et le pharmacien- marginalisés. Thomas

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jours contre l’ancien président. quatre hommes. « C’est faux, a sou­ lement approuvé le flirt qu’entretenait
A s’en tenir aux premiers conununi- vent dit Sankara. Mes meilleurs infor­ Sankara avec Tripoli. II se méfiait des
s et aux premières déclarations de mateurs, ce sont précisément Biaise, Libyens : « Parfois nous découvrons,
apaoré, Lingani et 2U>ngo, les rai­ Lingani et Zongo. Mais il y a des gens me disait-il, voici quelques mois, dans
sons de leur putsch se résumeraient à qui rêvent de cela: comment faire une dépêche de la Jana (agence de
ceci : Sankara a voulu nous éliminer, pour nous opposer ? » Eux-mêmes presse libyenne), un communiqué
nous avons pris les devants. Un règle­ commentaient souvent ensemble ces conjoint ubyo-burkinabè à l’issue
ment de comptes entre frères devenus rumeurs et en riaient tout en cherchant d’une réunion qui n’a jamais eu lieu.
ennemis mortels, en somme. Comment très sérieusement la meilleure manière Que voulez-vous qu’on fasse avec des
en sont-ils arrivé là ? de rassurer la population. Car Us ne gens pareils ? On ne peut même pas les
Depuis leur prise du pouvoir, le 4 partageaient pas toujours le même démentir. On les laisse feire. » Il sem­
août 1983, des rumeurs ont toujours avis. En politique étrangère par exem­ blerait également que l’installation à
circulé sur des dissensions entre les ple. Biaise Compaoré n’a jamais tota­ Ouagadougou du Tchadien Acheikh
Ibn Oumar et de son néo-Gunt était
une initiative personnelle de Sankara,
à la demande de Kaddafi. Là encore,
Compaoré, Lingani ét Zongo auraient
désapprouvé. Mais ce n’était pas une
raison pour faire un coup d’Etat.
En i^litique intérieure, bien qu’au­
jourd’hui le président Biaise Compao­
ré accuse son ancien ami d’avoir « mé­
prisé les droits du peuple », il n’y avait
guère de véritables dissensions. D’au­
tant moins que quand Sankara était en
minorité, il s’inclinait devant ses trois
compagnons. C’est ainsi qu’il a retiré
l’année dernière son projet, assez lou­
foque il est vrai, de réforme scofoire
qui prévoyait entre autres la formation
d’un millier de inénuisiers dans un
pays sans forêt !
, , f'i'} .
es vraies difficultés sont apparues
L en juin 1987, Les quatre compo­
santes du Conseil national de la révo­
lution - trois organisations dwles
(ULC-R, UCB et l ^ ) et ime miÜh
taire (OMR) - se l i i i ^ t comme d’ha-
Utude à leurs querelles de ch ap ^e.
Les quatre patrons du Burkina, San]|;|i-
ra, Compaoré, Lingani et Zongo, œ -
saient d’arbitrer autant qu’ils, peuvent,
mais les débats prennent l’allure dç
meetings d’étudismts. C’est en juilleit
que Sankara évoque l’idée d’une unifi­
cation des tendances, dont le principe
était acquis depuis mai 1986. Il n’a ^
encore l’intention de créer un p ^
unique, mais une « orgim ^tion plu­
rielle d’avant-garde » qui respecterait
toutes les tendances. Cependant, par­
mi les militaires, certains sont favora­
bles au parti unique, façon soviétique.
Sankara s’y oppose, estimant qu’une
« unité ne se décrète pas. Au contraire
elle s’assume c(nnme une d é i^ ç h e
volontaire ». Mais les yolontaireis ne ,se
manifestent guère.
Thomas Sankara p erd re dans sa
Sankara est mort. Pierre
tentative dé persuasion. Le 4 août, loirs
OiMdraoflo, démia du quatrième anniversaire de la révo­
da SM foncttons... lution, il proclame, toujours aussi lyri­
que : « L’unité des révolutionnaires est
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JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTOBRE 1987
SANKARA
asnirément une étape par laquelle il mencer par Compaoré. La réponse L’opposition à la révolution prendra
nous feut passer pour aJler plus avant permettra de découvrir le ou les vrais toutes sortes de formes et bénéficiera
dans l’exécution de la tâche d’organi­ assassins de Sankara qui a toujours de toutes sortes de soutien. »
sation de l’avant-garde. Mais gardons- dit : « 11 y a des personnes très intelli­ Thomas Sankara est mort, tué et
nous de feire de l’unité une univocité gentes qui peuvent nous aiguillonner non par accident. De toute façon il de­
asséchante, paralysante et stérilisante. vers les directions qu’elles choisissent. vait moiuir. Sa popularité était —est —
Au contraire préférons-lui l’expression telle que ses tombeurs ne pouvaient
plurielle, diversifiée et enrichissante de sérieusement se contenter de le renver­
F usées et d’actions. Pensées et actions B iais» C om paoré ser et de l’emprisoimer. On n’empri­
riches de mille nuances, toutes tendues n o ro n io p a s so n a m itié sonne pas un Sankara. Il fallait le tuer.
courageusement et sincèrement vers p o u r T hom as S a n k a ra , Mais en le tuant on en a fait im mythe.
l’acceptation de la différence, le res­ d o n t la m o rt Désormais inaccessible et immortel, o
pect de la critique et de l’autocriti­ l 'a a c c a b lé
que. » De ce galimatias, on comprend
surtout deux choses : le PF s’oppose
publiquement à la création d’un parti
unique monolithique ; mais il souhaite
toujours un peu plus de cohérence en­
tre les composantes du CNR. Pis, il en­
visage des élections et parle même
d’une nouvelle Constitution. Des offi­
ciers membres du CNR s’inquiètent :
la nouvelle lubie du PF risque de les
banaliser, de les noyer dans la masse
des militants anonymes. Sankara les
accuse de n’être que des ambitions.
Les tracts habituels enveniment en­
core la situation. Sankara, Compaoré,
Lingani, Zongo sont accusés qui de
m ^dom anie, qui de corruption, qui
de nardssisme, qui de népotisme, etc.
E t ils finissent par se suspecter mutuel­
lement, encouragés par des confidents
et am fidentes fort eCPtacfs. Le 8 octo-
l»e, une réunion du Conseil national
de la révolution tourne à l’orage, n y
était d ^ à question de nouvelle Cbnsti-
tu tita. Sdon Biaise Cbmpaoré, Tho-
tOas Sankara a i^Bfs quitté la salle de
réunion en daquant la porte. Etait-ce,
pour autant, une raison de faire un
c ^ p d’Etat une semaine plus tard ?

a vérité est que des intérêts oc­


L cultes ont fini par liguer en quel­
ques semaines Compaoré, Lin^uii et
Zongo contre Sankara. Ce dernier est
aujourd’hui accusé d’avoir mis des
troupes a i état d’alerte autour de la ca­
pitale en vue de leur élimination. Mais
quelles troupes ? Biaise Compaoré a
conservé le commandement des para-
OHumandos de Pô. Lingani est le com­
mandant en chef des Forces armées et
commande directement le régiment de
Uindés. Henri Zongo, lui, a la haute
main sur les troupes d’élite basées à
K a m b i^ . Sankara, lui, ne com­
mande que sa garde d’ailleurs compo­
sée de commandos « p ê té s » par
Biaise Compaoré et Henri Zongo.
Qui a convaincu ses trois compa­
La « bM u Biaisa » «outanaK en 1983 que rien ne pourrait jamais divisar
gnons que Sankara voulait les faire as- fbndanMiitalainant SaniMra, Unflani, Zongo et lut-même.
sa s ^ o - ? Là est la seule question qui •s événamants du 15 octolm l'auront dAmanti. Oramatiquament I
doit hanter tous les Burkinabé à com­
34 JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 0 C T 0B R E 1987
ILS NE SONT PAS
RESTÉS
INDIFFÉRENTS
F r a n f o i s M i t t e r r a n c l , président de
la République française (en 1986) :
■ L e présid en t S an k ara est un hom m e
déran g ean t, il v ous titille, vous po se des
questions, vous em p êc h e d e d o rm ir en B o b G e l d o f , musicien britannique,
paix. Il fa u t q u ’il sache q u e je suis initiateur de l ’action btunanitaire B and
com m e lui, avec tren te -cin q a n s d e plus. A id pour les pays d ’Afrique frappés par
Il a le tra n c h a n t d ’u n e belle jeunesse, d é ­ la famine en 1985 :
voué à son peu p le, m ais il tran ch e trop.
S’il n ’était p as com m e à tren te-sep t ■ J ’ai u n seu l b u t q u e je n e veux su rto u t
ans, d a n s q u e l é ta t serait-il à soixante-dix pas n o y er d a n s d es considérations idéo­
ans ? Je l’en co u rag e, m ais p as trop... logiques : d o n n e r à m anger à ceux qui
D m i I s S o t « o u N g iM S S O , président o n t faim . E t T h o m as S an k ara est un
de la République populaire du Congo : hom m e sim ple e t p rag m atiq u e com m e
moi.
■ Je suis profondém en t bouleversé, cho­
q u é e t indigné p a r la d isparition brutale D E S JO U R N A U X
e t inacceptable d u cam arad e T hom as
S ankara, grand am i d u p eu p le congolais,
avec qui j ’avais tissé d es liens très étroits Ï Ê . T h * G u a r d i a n , 17 octobre.
d ’am itié e t d e lutte. L ’A friq u e v ient d e ■ O n p leu re le p résid en t d é f m t à travers
perd re u n grand révolutionnaire. L e p ré ­ le co n tin en t africain e t p as seulem ent les
sident Sankara était u n dirigeant intègre, chefr d ’E ta t q u i étaien t ses am is, m ais
dynam ique, entièrem ent dévoué à la aussi to u s ceux q u i voyaient e n lui u n
cause d e son peuple. Il est to m b é les p o rte-p aro le d an s le d éfi afiicain à la
arm es à la m ain. N ous espérons q u e le pauvreté, à la c o rru p tio n e t à la dom ina­
com bat p o u r lequel il a sacrifié sa vie tion occidentale. O n p e u t éta b lir u n p a ­
n’au ra p as été vain. rallèle e n tre le m eu rtre d u je u n e cap i­
taine e t celui d e M aurice B ishop, p re ­
m ier m inistre d e G re n a d e q u i tro u v a la
m o rt il y a q u a tre ans. L e u r én o rm e p o ­
p u larité personnelle Üe leaders, ajoutée à
l’ex trêm e sôus-d év elo p p em en t d es pays
re s p e c tif, créait u n ferm en t p r o p i ^ a u
changem ent e t d ev en ait u n sym bole a es­
J c K k L o n g , ancien ministre français poir.
de la Culture, lors du Fespaco, en février
1987, à O ua^dougou :
L a L i b r e B a l g i q u a , 17-18 octobre.
■ T hom as S an k a ra a le sens d e la cul­ ■ C o m p ao ré avait d écid é avec S a n k a r a
tu re, ce q u e j ’ap p réc ie particulièrem ent. d u renvoi d es enseignants ^ v i s t e s ,
D e plus, il est vivant, gai e t spirituel. com m e d es incarcérations politiques. Il
D ’habitu d e, les récep tio n s officielles renverse au jo u rd ’h u i la v ^ u r . E st-ce
peu v en t ê tre d ’u n en n u i... A v ec lui, je p o u r essayer d e se faire « b ien v o ir » |
n ’ai p a s senti le te m p s passer. la p o p u latio n q u i n e p e u t m an q u er d ’ê
ch o q u ée p a r la m o rt d e S an k ara ?
l d i A m i n D a d a , au Bahrein le 17 oc­
H a rto m D é s i r , président de SOS -
tobre, après avoir réclamé un enterre­
Radsm e.- ment décent pour le capitaine Sankara : U b é r a f l e n , 19 octobre.
■ S ankara était u n personnage d ’une
■ C e tte fo rm e d ’assassinat n ’ap p o rte ra ■ R este à savoir ce q u e lav tro ik a.
g ran d e finesse, d ’u n e g ran d e intelli­
pas la paix à l’A friq u e e t cela m e cause cond u ite p a r C o m p ao ré, v a p o u v o ir faire
gence, b eau co u p p lus prag m atiq u e q u e
b eau co u p d e soucis. L es tu eu rs d o n n en t d e cette révolution en tac h ée d e sang, qm
n e le laissait entrev o ir la langue d e bois
u n e m auvaise im age d e l’A friq u e. C elui a p e rd u e n q u elq u es co u p s d e feu le cap i­
d e ses conférences d e presse. Il essayait
qui tu e so n p ro ch ain finira inévitable­ tal d e sym pathie d o n t elle bénéficiait e n ­
d e tro u v er u n e solution originale aux
prob lèm es d e son pays. m en t p a r ê tre tué. core.

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JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTOBRE 1987
porte quel prix, la liberté et la dignité
qu’on lui avait volées. Dans sa bouche,
au-delà de simples dogans, cela avait
plus de sens que de valeur. Il en était si 1H 0M A S S A M K M *
profondément convaincu qu’il pouvait
passer des heures à tenter d’en
convaincre ses interlocuteurs. Et
■N TM
l’h(Hnme qui, en 1984, allait débaptiser
la Haute-Volta pour l’appeler Burkina
Faso, la « patrie des hommes intè­
US u e m s
gres », avait aussi cherché à « convain- Uanalyse graphologique
are le peuple au lieu dé le vaincre ».
Les Burkinabé ont certes mis quel­ du défunt président
ques mois à s’adapter au langage et au révèle un être d’une haute
style du capitaine. Sans doute à cause
des oripeaux qui accômpagnent toute élégance morale.
jeune révolution et dont certains, à
Ouagadougou même, se gaussaient
d’un air entendu. Mais il leur a bien
fidlu s’y plier car, révolution ou pas, I criture d’un homme à l’esprit vif, cimeux, souple, indépen-
I pragmatique, intuitif, qui avait de l’élégance morale,
Sankara a toujours surpris.
Au Centre national d’entraînement
E de l’idéal, de l’ambition, l^ u c o u p de mobilité, qui savait
souvent faire preuve d’h a ^ é té dans l’exerdce du pouvrar, de gé*
des commandos de Pô où, au milieu de nérosité Hans ses rapports humains et socMux, qui était capable de
ses hommes, il n’h ^ ta it pas à gratter séduire et de con vam ^ de nombreux mtériocuteurs e t qui né
sa guitare. manquait pas de seiiobilité ; mais qui dev;ût avoir des change­
En avril 1982, quand il avait démis­ ments d’humeur, d’idées>.et de comportement très déroutants pour
sionné de son poste de secrétaire son entourage. ..
d’Etat à l’Information, s’exdamant Le scripteur avait Une nature hardie, aventureusie et assez ambi*
« MaUieur à ceux qui bâillonnent le ---------------------- -^--------------------------- Ivalente. A la fcâs ex­
peuple. » pansif et distant, ma­
gnanime ^ révolté il
En octobre 1984, à New York, ne trouvait tou­
quand il a parié, à l’Assemblée géné­ jours la v<ne juste au
rale des Nations imies, « au nom des mSieu de ses am tra-
femmes; de nos pays démunis qui dictions.
vdent leur enfant mourir de paludisme n donnait proba-
et de diarriiée... au nom des malades t i ^ ^ t parfois l’im-
qui scrutait avec anxiété les horiràns presâion de s’évader,
d’une m ence acaq[>arée par les mar- d’être indifférent à ce
diands de canons ». . ■- .__________ _^qui ‘ Fentourait.^ Et
En 1984, quand il a lancé la bataille puis, Imisquemoit, il se révdllait et fl s u r p r ^ it par la q u ^ té de
du rail par. laquelle il invitait les Burki- ses propos et par sa façmi intelligente de poserltes problèmes. ^^
nabè à construire les 300 kilomètres de n avait de nombreuses i i ^ ^ d é s ; mats il é tu t trop fcmcière-
rhgmin de fer entre Oua^ulougou et ment optimiste p(Hu: en to iir compte longtemps.
Dori et, deux ans plus tard, quand il les Ses jugements pouvaient être o]qecti6 et fiii^*'mais ses critiques
a indtfe à boycotter le textile importé souvent ironiques et caustiques, m ^ é s’il ne voulait pas
pour ne s’h a ^ e r que burkinabé. êtrem édiant.
O éüât un homme honnête et loyal qui détestait le médibcntét^;
mnig il pouvait se tromper dans ses duMX et accordec sa confimce
avec une sorte de naïveté, malgré sa ruse apparente.
e capitainepeu acadânique deve­
C nu d iéf d’^ t austère et p ^ du
tout protocdaire, ils avaient mû par
C<mdusion:
Le scripteur était un h(Hnme habile, ambitieux, orguaHoix sans
vanité et il vivait au jour le jour dans une in q u i^ d e |dus ou iiuwis
l’a< k0er pour avoir su qu’il n’était pas qu’il refiisait la plupart du temps, mai^ qui â a it g é n i ­
un ilmminé. La lecture de Marx, Lé­ trice de troubles et de omtramcticMi dans son comportement îv
nine, Mao ou celle de la BiUe et du n se voulait ccmstnictif ; cependant, il était surtout babité par.
CbnÀ n’r a avait pas fait un doctrinaire des idées et un idéal qu^il ncl parvenait pas à réaliser malgré seS
borné. Tout a u ^ u s qudqu’un qui a su dfMS, s(m influoice et sa v<donté de b risn les obstades.
gfoder, malgré les tentatkHis du pou­ Généreux, fragile et violent, fl faisait partie des êtres de qualité
voir, im peu de la tradresse dé ren­ qui savent mal se défendre parce qu’ils nient s<Nivatt l’évidence.^
once. C dle-là même qui le faisait sor­
tir de son palais ptésidentid pour diri- • ^ ■ ■

go- une dKMrale d’enfants. H is tc ^ de
Iai«ae«»r ce molide qudques ondes,
q u i^ u es harmiuiies de plus. •
37
JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTOBRE 1987
SANKARA
militaires, il les donnait d’une voix
cahne. Le commandant vivait comme
BUUSE COMPAORÉ ses hommes. Le menu type d’une jour­
née : briefing tôt le matin, sports et
entrdnem ent. Repas pris en commun.
O U l'^ IG M E R ^ tititm avec l’orchestre du camp, le
M i^ e International Band, dont fit
autrefois le guitariste Thomas
KRINIANIIIIf C est avec ces hommes, l’élite de
l’armée burkinabé, qui lui vouent un
Là discrétion et le silence culte sans bornes, que ce M osâ de
lui ont toujours servi d’arme 36 ans (né à Ouagadougou le 3 février
autant que d’armure. 1951), marié à u rc Ivoirienne de 33
ans et père d’un jeune garçon, avait of­
fert le pouvoir, en août 1983, à Sanka­
PAR E umane F all ra, son ancien c o m p ^ o n d’armes, n
l’avait connu en 1978, lors d’un stage
de près de six m ds au centre des p |^ -
Jean-Baptiste diutistes de Rabat. « De là, a ^ liq u é
L esments événe­
qtti, le
15 octobre,
B o u k ^ Lingani,
Henri Zongo et
un jour Biaise, date notre amitié. On
ne se quittait plus. Nous avons m to e
ont secoué le Bur­ lui-m&ne), il est, si pris l’halntude de manger tous les jours
kina et au cours l’on peut dire, ce­ ensemble.» Sankara avait ci^nfirmé à
d esq u d sled iefd e lui qui fait le moins Jem eA ù iq u e : « Ce que je sais. Biaise
l*Etat, nioinas homme puU ia le sait ; et ce qu’il sait, je le sais.» Il de­
Sankara, à été Pendant que ses vait aussi confier à un joiiriudiste de la
tué, n’ont trcm compagnons Tâévision suisse tcMnande : « Le jour
lenunent menaient cam­ oîk vous iq>prendrez que Biaise p r é p ^
gé au peu de pagne pour un coup d’Etat om tre mm, ce ne sn a
condamner, à des pas la peine de dberdier à vous y op­
C onçaoté pour les d ^ ré s divas, l’im- poser ou même de me prévenir. Cela
feux de la rampe. périadisme, gl(Mri- voudra dire qu’il est tr<^ tard et que ce
Le nouvd honune fier« les masses la­ sera imparaUe. n connaît tant de
fnrt du pays a, en borieuses » et stig­ dioses sur moi que perscmne ne pour­
effet, attendu plus matiser les féo­ rait me protéger çcmtre lui, s’il voulait
de trois jours avant daux, lui, numéro m’iBttaquer. D a om tre moi des armes
de imcrffier à la li- deux du régime, que vous ignorez...»
des coups bien que convain­
cu par cette dé- es parents de l’a n d e n d i^ de l’Etirt
en Afrique
ou aOleuts: une
i^yparition
m ardie, se tenait
en retrait. Non par
L burkinabé ne voulaient peut-être
pas dire autre diosè quoQd.üs affit^
que pour une igntMrance des maient que « Biaise est le p ^ t et
fession de foi à la rouages du pou- le protecteur fidèle du président».
tà d io e tà la tâ é v i- v d r et des néoes»- N’avait-il pas, en mai 1982, démisision*
sion.A petneavait- B M m I« sphinx était l« pMit frère
tés qu’il com­ né du Cbnseil nati(mal des fMoés ar­
oo entendu avant • tlé p r mande, mais plutôt mées quand Sankara, alcMs secrétaire
le 16 octobre; ses par tempârainent. d’Etat diargé de l’InforniÉtion, avait
i du Fnm t pqinilaire qui a pris La disoétifHi et le âlenoe lui (Mit ser­ quitté le gouvernement Saye Z o b o ?
.pouvoir à Ouagadougon pour m ^- vi jusqu’ici d’arme autant que d’ar­ Ne s’était-il pas offiddlem ent rd )d lé
tre un terme au processus « d’écnnile- mure. « Parler lui est presque pém- contre le pouvoir coitral de ^Ijean-Bi^
ment continu du système productif et à ble», confie l’une de ses ciMnais- tiste Ouedraogo, quaind cd in -d o i m|d
la décadence sodide, qui menait inexo- sances, qui sÿoute : « Quand <m sort de 1983, avait destitué fait-arrêter le
raUement au diaos », signor de son chez lui, on se donande toujours si on premier ministre Sankara et le secré­
nom les ccHnmuniqués lus à la radio. a appris qudque chose.» taire porm ànoit du O m si^ de sahit (to
C est que le a^itain e Biaise ücmi- (CSP), le «Mnmandimt Jean-
paoré, le beau Biaise ccHume disait les u CM tre national d’e n tn ^ o n e n t B o u i^ LingEmi ? N’nvait-il
Ouagalaises,passe, sinon pour un m o­ A des commandos de Pô (CNEC), à
déré, du moins pour un modeste, presr 147 km au sud de Ouagadougou, qu’il
pa^ par la suite, n a t] ^ les jno nb ies
du CSP et o rg an i^ dqpuis Pôÿ la résis­
que timide qui, l’omlne, freinait p r é f i^ t à sa résidence de la capitale tance et le coup d’Etat d’août 1983 qui
les ardeurs réwdution- buridnabë où vivaient ses trd s sœurs, et devait r e m e ^ Sankara en sdle ?
inaires de son ami Saidrata. d (» t fl était conmiandant dq;>uis n n’en fallait pas plus pour^que ce
Des quatre hommes fnrts du Cmiseil vrier 1981 a p è s y avoir été l’a^<Mnt de bachdior f<»mé au mc^er dr*: armes à
natiofuu de la ^ d u tic m dissous le jour Sankara trois ans durant, il ne huriait l’Frole des ofBders de Yaoundé, au
même du putsdi (Thomas Sankara, pas ses ordres comme la plupart des Maroc et en France —il a suivi dans
JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTO BRE 1967
ces deux derniers pays des stages d’ins­
tructeur parachutiste - assoie sa répu­
tation de « pur et dur », au nationa­
lisme sans foiUe. C est lui qui a notam­ « IL » EST EliTRt
ment dirigé les opérations sur le front
occidental et arrêté la progression des
blindés maliens. Pour cela, pour d’au­
DANS LA lÉGENDE
tres choses,il avait l’oreille de Sankara
et de la hiérarchie militaire. DU CO N im EN r
Que ce soit à £>édougou, au nord-
ouest du pays, où, de 1967 à 1981, il La mort de Sankara a bouleversé
fiit chef de section puis commandant
de compagnie au régiment des para- le petit peuple en Afrique de l’Ouest.
commandos (RFC), à Pô ou encore au Les dirigeants, eux, respirent.
troisième régiment d’infenterie com­
mando (RIC) de Bobo-Dioulasso, au
sud-est du Burkina, il est resté un fer­ DENOTREENVOYÉSPÉCIALAABIDJAN SiRADIOU DiALLO
vent défenseur de la révolution. Il le
restera, alors que, devenu ministre dé­
légué à la Présidence dès août 1983,
un poste de confiance qu’il cumulait
avec le portefeuille de la Justice, on
pouvait penser qu’il mettrait cela en
veUleuse pour atténuer la méfiance des
pays voisms comme la Côte d’ivoire, le
Mali ou le Togo, n n’en fut rien.
l ne pouvait souffrir aucune atteinte
Il’exécution
à la révolution. En juin 1984, après
de sept civils et militaires
arrêtés le 27 mai pour tentative de
coup d’Etat, il avait, dans Jeune A M -
qm (voir J.A. n" 1225), justifié la sévé­
rité des condamnations en afiGrmant :
« Dès lors qu’il s’agit d’une atteinte à
la réviriution, nous ne faisons pas de
différences entre civils et militaires. »
Un an plus tôt, en août 1983, par in­
transigeance et obsession de la justice
sociale, il avait prodamé la « Républi­
que de Pô », au grand dam du pouvoir
central de O uf^dougou.
La m ône obsession et la même in­
transigeance prévaudront-elles dans
les jours et les mois qui viennent ? Il
&udra pour répondre à cette interro- Jerry Rawlings est lesM il ch«f «TEtat africain
gaticMi pouvoir ju g ^ des orientations à avoir d4cr*t* un deuil national.
du nouveau régime, de son impact sur
la p<^ulation, de la place qui y sera ré­
servée à Lingani, Zongo et même lors que le règne de Thomas qu’ils ont appris la mort de Sankara.
Pierre Ouedraogo, l’anden patron des
Granités de défense de la révolution
A Sankara vient de s’adiever
dans un véritable bain de sang,
Le fait est qu’après seulement q u i ^
ans d’exerdce du pouvoir s u p r^ e , ce
(CDR), qui furent les prindpaux colla- sa légende, elle, commence par des jeune capitaine inspiré, toujours ausa
borateurs de Thomas Sankara. torrents de larmes. Partout sur le conti­ frâ e dans son treillis vert-olive ou léo­
Pour l’instant, hormis le credo selon nent, et plus particulièrement en Afri­ pard, flanqué de deux pistolets sur les
lequel « le processus révolutionnaire » que de l’Ouest, la tragique disparition côtés, était devenu, plus qu’un justi-
amorcé en 1983 n’était pas « remis en du jeune leader révolutionnaire a sus­ d er, le symbole vivant du héros. O r les
cause », on ignore tout ou presque des cité une très vive émotion dans l’opi­ héros, du moins dans l’imaginaire po­
nion. pulaire, ne meurent jamais...
Volution burkinabé, dont on dit qu’elle Ce sentiment se manifeste d’abord C’est pourquoi dans les villes
sera désormais revue et corrigée par un et avant tout parmi les jeunes, les étu­ comme dans les cam pa^es d’Afrique,
homme tantôt dépeint comme un pon­ diants et les gens de condition mo­ nombre de gens accueillirent d’abOTd
déré réaliste, tantôt comme un doctri­ deste. Que ce soit à Dakar, Bamako, la nouvdie de l’assassinat du jeune
naire pur et dur. Si ce n’est comme un Niamey, Lomé ou Cotonou, les chef de l’E tat burkinabé comme une
baroudeur froid et calculateur. • n’en croyaient pas leurs oreilles farce, sinon une grossière m;inceuvre
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JEUNE AFRIQUE N“ 1399 - 28 OCTOBRE 1987
SANKARA
montée par ses ennemis, qui ne peu­ son peuple », « H aidait les vieux », « cerveaux » du complot. Le chef de
vent être que les ennemis du peuple. « il secourait les paysans », « Il l’Etat burkinabé avait juré ses grands
construisait », « il a rendu leur dignité dieux qu’il ignorait tout du passage des
A Abidjan, capitale d’un pays qui putschistes. Sans en être convaincu,
ac<^ie-i>le quelque deux miluons de aux Burkinabé »...
Ce qui est sûr, c’est qu’en raison des son homologue nigérien avait passé
Burkinabé, l’événement prit une tour­
nure partiôilière. Pans la nuit du 15 au tragiques circonstances de sa dispari­ l’éponge. Depuis, les deux hom m ^ en­
16 octobre, nombre de compatriotes tion comme des mythes qui entou­ tretenaient des relations de ^ n voisi­
de Sankara avalèrent ^ é sur café, tout raient sa personne, Sankara rejoint dé­ nage, empreintes de cordialité. Ils se
en croquant des noix de cola pour res­ jà au i^anthéon où les héros africains téléphonaient fréquemment quand ils
ter éveillés. Les médias ivoiriens ayant dorment de leur dernier sommeil, les ne s’envoyaient pas des messages. Ce
ànnoncé à 20 heures la nouvelle du Patrice Lumumba, Kwame Nkru- qui n’empêchàit pas Seyni Kountiché,
coup d’Etat et l’arrestation du chef de mah ou Amilcar Cabrai. Qu’on l’aime en bon officier d’etat-major, de de­
la révolution burkinabé, les veilleurs ou qu’on le déteste, le cinquième chef meurer plus que jamais vigilant à
s’attendaient, comme en août 1983, à d’Etat burkinabé aura, plus que ^ l’égard de son remuant cadet dont il
un contre-coup d’Etat destiné à libérer prédécesseurs au pouvoir depuis l’in­ connaissait les liens avec Kaddafi, sa
l’illustre prisonnier. Ce fol espoir était dépendance, marqué les mentalités de bête n(»«. Etant pris en tenaiUes entre
si grand dans les ésprits que, dans la son peuple. Kaddafi et Sankara, nous a-t-il confié
matinée du 16, une rumeur aUant dans un jour, « vous comprendrez que je
ce sens se propagea au marché du Pla­ sois sur mes gardes. »
teau. Ainsi, on affirma que Sankara
avait repris le pouvoir. C’est alors fvuesout cela, ce sont évidemment les
réactions côté jardin, c’est-à-dire
du côté des gens simples. Côté
Avec la Côte d’Ivdre, les relations
devaient se tendre dés le départ. L’ar­
restation de Sankarà, en jimlet 1983,
qu’une immense clameur s’éleva de la cour, autrement dit, en ce qui concerne
foule. On applaudit à tout rompre. On par le c6mmandant Jeaüi-Baptistè
les pouvoirs étab li dans la sous-r^ Ouedraogo fut considérée à tort ou à
se congratula. On rit aux édats, en gion, c’est une tout autre histoire. S’ils
louant les vertus de l’immortel héros. raison par les partisans du pt'emier
s’enferment dans un mutisme prudent, comme d’in^üration ivoiifo-fiÂn^diB.
Des banques et des magasins des envi­ les responsables politiques, quant à
rons, des employés accoururent, criant Sa libération et sa prise du pouvoir, le
eux, ne cadient pas, en privé, leurs 4 août, furent intem r^ées comme une
et g u e u la n t de bonheur. préoccupations, devant « la manière victoire oAitre Pans et AWdJan. Dès
dont les choses se sont passées, le 15 Irars, les attaques plus ou m dns y^éeS
t d s ^ e joie ne devaitkpas durer, octobre, à Ouagadougou ». Le recours des nouveaux dirigeants buridnabè
M puis4u(^ peu i^rès, on apprCTait
que nûn seulement Sankara n’a i^ t pas
à la violence pour réMudre les conflits
politiques, et, à plus forte raison,
contre la Côte d’Ivraré et S(m d ief se
multiplièrent. Le « Vieiix » fut quoti-
rqpris le p0 |w(w, mais qu’il était mort comme moyen d’i^coéder au pouvoir, diom em rat pris à partie dans lés mé­
ét d ^ à e n t ^ . Aussitôt, l’atmosphère dit-on ici ou doit être condanmé. dias de Ouagadougou qui l’acêusaient
rhangt» du tout au toj^t Les déborde­ En tout cas, iÿoute-t-on, la m ^ è re de comploter en vue de déstabiliser le
ments de joie firent place à de pro- dont le jeune dief de l’Etat burkinabé régime « révôlutioimaire».
|o n ÿ {Mnoements de cœur; Des jeunes a été éliminé ne fait pas honneur à
' g e n s , ( j r i é m e que de toives mar- l’Afrique.
e plus virulent, dans cd te guerre
^aàdii»» nie purent réprimer leurs san­
glots. Beàucôup de géns pleurèrent,
Mais, derrière ce voie de réproba­
tion, percent des sentiments de soula­
gement difficiles à r^rim er. En
L des ondes, fut le secrétaire è ^ é ra l
des Comités de défense de la révolu­
des diàuffieun de taxis s’arrêtèrent de
circuler dès eiûployés buriqnabè dé- Hafis la sous-régicm, Sankara inquiétait tion, le capitaine Pierre Ouedraogo
seitèieM leui& liçuk de travail, en guise plus qu’il ne fiasdiuât les dirigeants po­ qui, Hans un violent discours prononcé
litiques. De ses dnq v o t ^ immédiate, en décembre 1984 à Banf<»a, non l<»i
ded^. de la frontière ivoiro-buridnat^ n’hé-
Craignant des débordements incon­ seul Jerry Rawlings entretenait avec lui
trôlés de la part de ces orphelins en co­ de bons rapp els de voisinage, dief â ta pas à quaUfier le {xésident' F âix
lère, les aut(mtés ivoiriennes s’onpres- de l’E tat ^ an éen n’a jamais fait mys­ Houfritouêt-Boi^y de « vieux gardè-
tère de l’aide matérielle et logistique dûourme de l’impérialisme, tout en
rilé. les points stratégiques de la qu’il acorarda à son f r ^ d’armes en menaçant de porter la rév<duti<» dans
,éo(Miomique furent-Ûs d is c ^ vue de lui permettre de s’e m p a ^ du tous les pays membres du Conseil de
fiwmftht gardés par des renforts de po­ pouvoir, le 4 août 1983,.à Ou^S^Bdou- l’oitente, à commoioer par la Côte
lice et de g e n d ^ e rie . Mais rien ne se gou. E t ce, sous l’impulsion décisive du d’Iv < ^ . Inutile de dire que cette Cùn-
produisit. capitaine Biaise Compa(»é, al(xs com­ pagne, menée tambour battant, n’était
y.a plupart de ces gens de condition mandant de la base des para-comman- plus seulemoit pour agacer les diri­
modeste n’ont certes jamais approdié dos de Pô. geants ivdriens. Elle ^ t par les in-
e ti à plus fmrte raison, oramu Sankara. Certes, il n’y a pas eu de relatioiK quiâer véritaUement D’autant pliK
Mais, pour e*», il n’y a pas de doute, conffictuelles entre le Buridna et le Ni­ que des jeunes Ivoiriens partis pour
ce dam ier â a it tout à la f<MSleur père, ger. A u lendemain du putsdi manqué Ouagadougou faire des études revin­
l(Mir protecteur, leur d^snseur et leur de B<Hikano (novemlve 1983), ccmtre rent à ^ id ^ a n en affirmant qu’ik
idcrie. .L(Msqu’on les interroge sur les son r^jm ej le {«résident Sqmi Kount- avaim t été enrMés ^ u r allar suivre uq
raisons de leur amour profond pokur ce d ié avait éprouvé qudque ressenti- entraînement militaire m lib y e i Kadr
^ lin n n t capitaine, ncmibre de ses m oit à r^ u rd de Sankara à qui il re- dafi étant, aux yeux du présidait
concitoyens se ccmtentent de tnredouil- prodiait d’avoir laissé iBler à travers Félix H oi^ouët-B oigny, pire qu«»;le
1er des formules vagues : « n aimait son territoire certains des principaux diable en posiMme, on oom praid la
40 JEUNE AFRIQUE W>1399 - 28 OCTOBRE 1987
gravité de pareilles révélations. assister, en mars dernier à Y ^ o u ^ u - gadougou ne tardèrent pas à se disten­
Pourtant, à partir de 1986, les kro, aux funérailles de Mamie Adjoua, dre. Au lendemain de son accession au
nuages se dissipèrent pro^essivement une des sœurs aînées du chef de l’Etat pouvoir, Sankara bénéficia des conseils
sous le ciel des relations ivoiro-burki- ivoirien. bienveillants de son aîné Eyadéma. Le
nabè. Les deux pays ont fini, le temps Entamées sous les meilleurs aus­ chef de l’Etat togolais téléphonait ré­
feisant son œuvre, par établir des rap­ pices, les relations entre Lomé et Oua- gulièrement à son homologue burkina­
ports de bon voisinage. Malgré le bé pour lui foire part de ses avis et sug­
contentieux autour du chemin de fer gestions, quitte à le mettre en garde
A A b M Iaii, contre tel propos ou telle initiative.
Abidjan-Ouagadougou, les deux capi-
taies échangeaient, ces derniers temps, Mais, très vite, il s’avéra que les diver­
firéquemment des délégations ministé­ gences idéologiques étaient plus fortes
rielles. Si bien que personne ne fut que la fintemité (t’armes, et qu’entre
étonné de voir Sankara en personne les deux le courant ne passait pas.
Pourtant, il follut attendre septembre
1986 pour voir se déchirer le voile de
« fraternité » couvrant les relations en­
tre Lomé et Ouagadougou. Lors d’une
violente attaque de commandos d’op­
posants contre la capitale togolaise,
des prisonniers affirmèrent avoir été
entraînés au Ghana et au Burkina. Ce
qui eut pour conséquence de susciter
une vive tension entre Lomé et Ouaga­
dougou. Le président en exercice de
l’OUA, à l’époque le Congolais Denis
Sassou Nguesso, tentera de réunir, en
décembre à Yamoussoukro, Sankara
et Eyadéma. En vain, car la plaie était
encore loin de se cicatriser.
Ce qui n’empêcha pas le chef de
l’Etat burkinabé de dépêcher à Lomé
une importante délégation jmur les cé-
rânonies marquant le vin^èm e anni­
versaire de l’accession au pouvoir de
son homologue togolas (13 janvier
1987). Mais ces rapports n’étaient que
de feçade, le cœur n’y était plus.

^ ^ uS9t aux relations avec le


se présentèrent d’onblée sous
l’allure d’une profonde incompatflnlité
d’humeur entre Sankara et Moussa
Traoré. L’exp^ence, les idées, le tem­
pérament, tout séparait en effet ces
deux honm es. Mais leurs différences
n’am idrat pas conduit à un coup
d’édat si, dans la zone fro n ta u x
contestée de l’Agacher, il n’y avait pas
eu A4ianges de coups de main oitre
gendarmes maliens et éléments des
CDR burkinabé. Craignant de voir les
dioses s’envenimer, le dief dé l’Etat
malien avait sollicité, dés le mois de
septembre, les bons offices d’ip is
communs, dont les dirigeants nigé­
riens, nigérians, algériens, libyens et
m ^ e soviétiques. M alheureusonent,
l’arrestation et la déportation de pay­
sans maliens au Burkina, par des CDR,
devaient mettre le feu aux poudres. Si
Apf*s I* coup d-Etirt du 4 août 1983, t— bien qu’à Noël 1985, la guerre froide
muitipUèmit I r a n attM|UM p h » ou moin» wollé«* contr» la C « * d'IvoJr». qui couvait entre les deux pays se
L* « V iM K » fut ainsi quotidtoniMmaiit pris à parti*. M ris cala n'Mnpêcha transforma soudain en guerre drâude.
p u Félix Houphouit-Boigny d « déployer toute ton habileté
pour mattra fin à la guanra antra ia Buridna at ia Mail. Les deux armées s’affi'ontèrent durant
41
JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTO BRE 1987
SANKARA
six jours, n feUut toute l’habileté ma- jours eu maille à partir avec ce dernier. l’adresse des pouvoirs établis et des
nœuvriiare de Houphouët-Boigny, Si bien qu’aujourd’hui te « tristesse » forces de l’argent. Les seconds haïs­
puissamment soutenu par Eyadéma et qu’ils éprouvent constitue davantage saient ses excès et ses fontasmes.
Kountché, pour mettre fin aux hostili­ une m i^estatio n d’exorcisme, pour Pourvu que les Africains sadient
tés. D i^uis, les deux pays ont fini par ne pas dire de crainte pour eux- méditer ce sanglant épisode de notre
signer une paix définitive, en se ran­ mêmes, qu’une sincère compassion. histoire. Pour tirer les leçons çui s’im­
geant courageusement à l’arbitrage de U n’empêche que le rantôme de posent, notamment en vue d’imaginer
te Cour internationale de justice de La Sankara hantera longtemps les nuits des mécanismes efficaces et acceptés
Haye. sans sommeil de ses fi-ères afiicains, par tous tant en matière d’accession
Au total, des cinq voisins immédiats qu’il s’agisse des gens simples ou des que de cession du pouvoir. Tant que
du Burkina, seul le Ghana, qui a dé­ hommes d’Etat car, au cours de son cette clef essentielle de la vie publique
crété une semaine 4c deuil national à fiügurant passage au pouvoir, U n’a n’aura pas été forgée, aucun Etat afri­
te mémoire de Sankara, entretenait des laissé ni les uns ni les autres indiffé­ cain ne sera à l’abri d’actes déplora­
retetions confiantes avec le bouillant rents. Les premiers adoraient ses coups bles, tel celui qui vient d’ensanÿanter
capitaine. Les quatre autres ont tou­ de gueule et ses défis permanents à Ouagadougou. •

aaxul ». L ittéralem ent, ce m o t signifie, e n ouo lo f, « c’est m auvais ».


DAKAR: B C e s t le term e qu i revient le plus so u v en t d an s la b o u ch e d e s S énéga­
lais. n suffit am p lem en t à résu m er le m alaise c ré é d an s l’o p in io n pu b liq u e
p a r ce q u ’elle app elte « les év énem ents d u B u rk in a F aso ».
«O N A TUÉ L e « jeu d i n o ir » est en c o re rfans to u tes les conversations. B ea u co u p d e
Sénégalais so n t en co re so u s le choc. C a s d e M ichel e t O u sm an e, d e u x é tu ­

M O Z A R T !» d ia n ts e n économ ie q u e j ’a i ren co n trés, place d e l’In d ép en d an ce. « Q u ’est-


ce q u i a b ien p u se p a sse r ? S an k ara est m o rt ? O n a d u m al à y croire.
C e s t u n e sale affaire q u i p ro u v e, e n co re u n e fois, q u ’il e st im possible en
A friq u e d e g o u v ern er au tre m e n t. » C o m m e p o u r b ie^ m o n tre r l’u tilité d e
ses étu d es littéraires à l’u niversité d e D a k a r, la je u n e e t jo lie C a m e r o u n a ^
q u i les accom pagne lance, sû re d e so n effet : « C e s t u n M o zart afn c ain ,
enfrm t, q u ’o n vien t d ’assassiner. A p rè s L u m u m b a e t N k ru m ah , S an k ara.
A q u i le to u r m ain ten an t ? L ’A friq u e, u n e nouvelle fois, e st p e r ^ t e . . . »
P lus q u e la d iu te e n elle-m êm e, c’e st le so rt réserv é à celu i q u i p r é s i ^
p en d a n t q u a tre ans, au x d estin ées d u B u d d n a F a so q u i ch o q u e le p h is id .
« S’il s’agissait d ’u n c o m m an d o v en u d e l’étran g er, o n c o n ti e n d r a i t e n ­
co re. D e la p a rt d e B iaise C O m paoré, c e c o u p d e force e st d o u b lem en t d é ­
cevant », confie B ab a c a rK h a lifo q u i dirige, d a n s la cap itale, u n e so ciété d e
fou rn itu res d e bureaux. « E m p o rté p a r sa jeu n esse e t sa fougue, S a n k a ra a
sacrifié l’arm ée, à qu i il d ev ait d ’ê tre a u pouv o ir, a u p ro fit d u p e u p le . Ç a
lui a co û té ch er », ajo u te u n a u tre ch e f d ’en trep rise, G u e d e l M bodj.
C e tte stu p eu r d e v a n t les év én em en ts est p ercep tib le d a n s les ra n g s d es
in tellectu ek sénégalais. « J e désirais, p o u r m a p a rt, le d ia n g e m e n t, m ais
p as d e cette friçon », av o u e av ec q u elq u e p u d e u r u n c a d re b u ik in a b ë tra ­
vaillant a u siège d e la B C E A O à D ak ar. M e A m a d o u Sali, av o c at à la
C o u r, p arie, lui, d ’« e sp o ir d é çu » e t d ’« esp éran ce brisée ». S an k a ra était,
selon c e jeu n e avocat, u n « zeste d e rêv e » m élangé à « u n p e u d e fo lie ».
« n éta it im pensable q u e sa ch u te v ien d rait d e ce c d té-là, m êm e m a m è re a
reg retté sa m o rt... »
In terro g é p a r télé{rfione, l’histo rien b u rk in a b é Jo seid i K i-Z e ib o , q u i ré-
â d e d a n s la o q n ta le sénégalaise e t dcmt l’o p p o sitio n a u r ^ i m e d e S an kara
é ta it c«mnue, {néfère réserv er ses a p p r é d a tk » s « p o u r u n p ro d ia in o u tre-
tie n p lu s aiq[>rofondi » . Q u a n t a u N ig é ik n C h eik h O u sm a n e D iallo, d irec­
te u r g â ié r a l d e l’ag en ce A ltervisiim , « ce q u i arriv e a u B u d d n a n o u s
p ro u v e q u e la seu le altern ativ e positive a u d ia n g o n e n t résid e d a n s la d é ­
m ocratie : c d le - d d o it s’In stau rer ta n t su r le p d itiq u e q u ’économ i­
q u e. Q u ’à la f(» ce d es a rm e s c è d e le pouviMr d e rin tellig en ce p o u r q u e nos
e n fan ts s ( ^ t fiers d e l’h érita g e ».
L a classe p d itiq u e , elle, e st p lu s p ru d en te. C&té p o u v o ir, cm r t q p p ^
q u e le S é n ^ n e recm m aît p a s les g o u v e m ^ o i t s , m ais les E ta ts. Q u ’im ­
p o rte d o n c q u e ce soit h ie r & m k ara e t au jo u rd ’h u i C o m p ao ré.
M êm e aiq[i(éciati(m fe u tré e d u c â té d e l’oiqKMition. P o u r M e A b d o u -
Thomas Sankara « t BlaiM laye W a ^ dbef d u P D S (P a rti d â n o c ra tiq u e s â i ^ ii la i s ) , « S an k ara é ta it
Ha M aontahnés jusqu’à u n g ra n d A fricain, m êm e si je co n n ais aussi CouQM oré. L ’e x - c h ^ d e l’E ta t
é ta it je u n e , p e u t-ê tre im p u tâ t il e st r ^ i e t t a b l e q u e c e tte n q itu re , d u e sans
d o u te à u n O d ie u x m a le n to id u , in terv ien n e e n tre d eu x hom m es q u i
â ^ l m t fait p o u r s’e n te n d re » • de Nonte envoyé spécial A dakar,
F rancis KpATiNDe

42 JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTO BRE 1987


significatif ; en quatre ans, le sujet Bur-
kuna a tour à tour séduit, indisposé, dé­
E N niE PA M S rangé, passionné en somme.
Les rapports tumultueux entretenus
par le jeune capitaine avec la France et
ET T M PO U , les relations de « fraternité » aléatoire
qui l’unissaient à la Libye ont s ^ nul
LA VOIE ÉTROI1E doute contribué de façon dédsive à
cette révélation. Thomas Sai^ara qui
possédait des relations publiques un
Sankara est mort au moment art consommé mis au service d’une sin­
où il situait enfin avec précision cérité certaine, n’a jamais cessé de se­
couer le cocotier du pré carré franco­
le système d*alliances nécessaires phone. Et cette attitude, si elle s’adres­
à l’application de son programme. sait aux capitales voisines, était avant
tout destinée à l’anden maître colonial,
PAR François Soudan lequel la jugea avec un é ti^ g e mé­
lange de philosophie, d’ironie et d’in­
quiétude. Du tête à tête entre Sankara
’un des mérites — et non des nemment cosmétique. Le simple fait et la France on peut ne retenir que les
L moindres —de Thomas Sankara,
aura sans doute été d’inscrire le
que l’américain Tim e et le britannique
The Observer, pour ne d ter que ces
aspects anecdotiques, presque folklori­
ques. Les visites spectacles du capi­
Burkina sur la carte du monde. deux magazines, aient consacré articles taine à Paris ou à \^ttel, les déclara­
Comme Mouammar Kaddafi le fit en et photos à la mort de Sankara — eux tions fracassantes et jusqu’à cet
d’autres temps pour la Libye. Trop pour qui l’Afrique se limite souvent à
pauvre, trop tranquille, trop peu stra­ Lagos, Nairobi et Pretoria —est en soi qui ponctua en novembre 1986 le sé­
tégique, trop enclavée, bref trop jour de François M itterrand à Ouaga­
« loin », la Haute-Volta d’avant le 4 dougou —exemple trop rare de respect
août 1983 n’intéressait ^ è re , hors mutuel et de confrontation d’idées en­
d’Afrique, que les organisations carita- Ku Jd u W mm r a s p a c t* tre chefs d’Etat.
tives et quelques politologues en quête m M q u i k ii ré s is t*
d’une démocratie modèle —mais émi­ P é c o u l* à la f o b
e serait une erreur, polürtant, d’ou­
C blier le reste qui est fcnndamental.
Les questions que posait « le déran­
geant président Sankara » (pour re­
prendre l’expresâon de M itterrand)
étaient et demeurent essentidles : quel
doit être le r ^ e de la France en AM r
que, un quart (te siède iq^nrès les indé­
pendances ? Quelle ré p d l^ jqpfpro-
priée doivent y apporter les Etats du
continent ? Jusqu’oii s’étend l’impéria­
lisme culturel de la fran a^ cm ie ?
Ccmiment définir la v<ne étroite:^ très
étroite — qui serpente entre l’« inter­
nationalisme progtesâste » d’un côté,
le réalisme éoon<miique de l’autre, le
mariage de taiscn avec Paris, la dâMHi-
daticm du néo-cdonialisme mais, pttr
rallM onait, d’excdlentes rdatioos
c o m m o d e s avec les Etats-Unis, te
Canada, l’AUemagne fédérale ? S o « ^
nues par une attitude, un mariceting
pors(»nd parfois ostoitatoire jusque
dans l’a u st^ té , ces questions frirent
tépétées par leur auteur pendant plus
de quatre ans.
Comment y r^praidit la Fiance ? Le
premier pas, à n’en pas douter et en
dépit des efforts du ministère de la
Sankara M KMhteli à TripoH, l* I opératirai, fut hostile. A raison phis
kwsdaa faatiwitéa du quiniiènM qu’à tOTt, Sankara soupçonna en effet
da la «évolution I
Guy Penne, le conseiller de l’Elysée
pour les Affaires africaines, d’avoir
43
JEUNE AFRIQUE N» 1399 - 28 OCTOBRE 1967
joué un rôle ambigu dans les événe­ que) du pouvoir. Il soutint Kaddafi, solides et profondes que les amitiés en­
ments qui précédèrent le coup d’Etat notamment à propos du dossier tcha- combrantes du colonel libyen. Qu’ad-
du 4 août 1983 — et notamment dans dien, un peu par conviction, beau­ viendra-t-il désormais de cette révolu­
sa propre éviction. La brouille qui coup par défiance vis-à-vis du confor­ tion qualifiée de « sœur » par Tripoli ?
s’ensuivit, que Jacques Huntzinger et misme moutonnier dont faisait preuve Thomas Sankara était persuadé d’une
C ^ tia n Nucd parvinrent à grand à ses yeux le club fi^cophone. il fiit chose : Kaddafi profite du mur de peur
peine à circonscrire, dura près de deux enfin l’i^n des télégraphistes et des télé­ auquel il se heurte, parce qu’Ü ne res­
ans pendant lesquels Sankara ne cessa phonistes les plus assidus du colonel : pecte en fait que ce qui lui résiste.
d’exiger du gouvernement français, en il ne se passait guère de mois en effet Que ce dialogue soit parfois allé un
matière de coopération, une ligne plus sans que l’agence de presse libyenne peu trop loin aux yeux de certains est
conforme à un code de conduite socia­ rapporte une «conversation frater­ une chose, qu’il soit désormais mainte­
liste. A cet égard, la France socialiste nelle » entre les deux hommes ou nu en est une autre. On dit Biaise
- si ce n’est François et Danielle Mit­ l’échange d’un quelconque message. Compaoré plus que réservé à l’égard
terrand, Jack Lang, Jean-Pierre Cot et de Kaddafi, mais qui peut réeUement
l y eut pourtant bien des brouilles, l’affinner ? On dit aussi que le nou­
quelques autres —a incontestablement
déçu Thomas Sankara.
Très paradoxalement, il appartien­
Iméthodiquement,
bien des éloignements dont profita
avec le sérieux
veau régime, inévitablement, évoluera
vers une harmonisation de ses relations
dra, après les élections du 16 mars qu’on lui connaît, la diplomatie algé­ avec le clan des firancophones « modé­
1986 dont le résultat fut analysé à Oua- rienne. Est-il permis à ce sujet de par­ rés » qui telle une famille abusive ou
^ o u g o u avec l’attention que l’on de­ ler d’axe ? Moins spectaculaires, moins un enzyme glouton finit par digérer les
vine, à un certain Jacques Foccart de médiatisées — certainement parce enfants prodigues et les bactéries soli­
dénouer les fils de la défiance. Arché­ qu’elles rassuraient beaucoup plus taires. Et le jour viendra oiï en ce do­
type aux yeux de certains néo-mar­ qu’elles n’inquiétaient Paris et Abid­ maine on ne retiendra de Sankara que
xistes radicaux de Ouaga, de la France jan — les relations algéro-burkinabè cette image choc : celle d’un homme
fouettarde et interventionniste, le étaient et demeurent sans doute plus intègre qui mit ses godillots dans le plat
consc^er de Matignon pour les Af­ d’un diner officiel dont l’hôte d’hon­
faires africaines, fort habile à jouer des A w Jtow phM < |« 'à to r t, neur était le président de la Républi­
subtilités de la cohabitation (ce t — fcaro ■ewpfo— que fitmçaise, un soir de novembre
— -■»— fc
« concubinage » disait Sankara), saura
trouver les mots qu’il feut pour apaiser
h 1986. Version bumikabè d’un autre
« non », celui de Sékou Touré à de
le bouillant officier. Ne furent-ils ! • €om p ém 1 9 8 3 Gaulle, trois décennies auparavant. •
tous deux, parachutistes ? Cette
son, pas aussi contre-nature pour qui
connaît l’un et l’autre au-delà des di-
d i ^ déboudiera en juin 0 8 7 sur la
réouverture de la commission mixte de
coopération, gelée depuis six ans.
Sankara est mort, en somme, au
mcwaent précis oi^ ime double évolu­
tion, peut-être féconde, .se manifestait.
La siom e |ô u t d’abord, il situait avec
plus de prédsion et d’équilibre le sys­
tème d’aUiances dans lequel pouvait
s’appliquer son programme. Celle de
Paris ensuite, où l’on commençait à
s’apercevoir quel compagnonnage de
toute était p o ^ b le avec lui.

insi un Jacques Foccart par exem­


A ple, à la différence d’un Guy
Penne, n’a-t-il jamais réellonent cru
que les Buriünabè étaient prêts à bra­
der leur souveraineté au profit du colo­
nel Kaddafi. Passés quelques mois ini­
tiaux d’une fesdnaticMi qui ne fut ja­
mais réciproque —mais in tâ’essée, de
la part du Libyen —le capitaine Sanka­
ra évolua en effet entre la « solidarité
rév(duti(»naire » et une c^taine mé­
fiance vis-à-vis du « frère » de Tripoli,
n onprunta certes beaucoup aux struc­ La brouilte « « « c l'Elysé* dura près d* deux ans pendant
lesquels Sankara ne cessa d'exifler de Paris
tures de la Jamahiriya : la notion de une coopération plus conforme au sodaNsme. Enfin,
peuple en arme, les comités de défense c'est la réconciliation : Sankara accueflle Mitterrand
de la révolution, la collégialité (théori­ * Ouaflailougou (17-18 novembre 1986).

44 JEUNE AFRIQUE N« 1399 - 28 OCTOBRE 1987


Quoi qu’il en soit, l’anden comman­
dant du Centre national d’entraîne­
CINO ment des commandos de Pô ne pouvait
ignorer que « le peuple en armes »
qu’il voidait forger ne peut arrêter une
COUPS D'ÉTAT EN unité décidée, dotée de quelques auto­
mitrailleuses. Les exemples en la ma­
VINGT ET UN A N S tière sont nombreux dans l’histoire ré­
cente. Celui du putsch du colonel Kad-
dafi, en 1969, n’en est pas des moin­
Le Burkina est un pays aux ressources dres. Pour avoir oublié cette vérité pre­
mière, le capitaine Sankara a paye de
modestes, mais ses militaires sa vie, rejoignant ainsi le lot des chefe
ont des tentations aussi putschistes d’Etat assassinés au cours d’un putsch.
Le premier coup d’Etat en Afrique
que ceux du Nigeria... sud-saharienne s’est soldé par l’assassi­
nat du chef de l’Etat. Cela s’est passé
au Togo, le 13 janvier 1963. Le prési­
PAR H a M Z A K a IDI dent Sylvanus O l^ p io est assassiné
par des sous-offiders qui remettent le
'était le cas du Nigeria qui peut Mais une unité de para-commandos de pouvoir à Nicolas Grunitzky. Trois an­
J être considéré comme l’excep-
tion qui confinne la règle, on
Pô, dirigée par le capitaine Biaise
Compaoré, se rebelle. Le capitaine
nées plus tard presque jour pour jour,
des putsdiistes tuent le premier minis­
pourrait dire que les coups d’Etat sont Sankara est alors libéré. Le 4 août tre nigérian. Sir Abubakar Tafawa Ba-
devenus l’apanage des ^ tite s armées 1983, les para-commandos de Pô in­ lewa et installent le général Ironsi.
africaines. Avec le putsch qui vient vestissent Ouagadougou. Sankara ac- C’était le 16 janvier 1966.
d’emporter le capitaine Saiàcara, le cM e à la magistrature suprême. Ironie
e 23 novembre 1974, le général
Burkina se classe désormais parmi les
recordmen en la matière, avec cinq
du sort, il se fera éliminer le 15 octobre
1987 par son sauveur.
Est-ce pour se prémunir contre
L Amane Andom, chef du Derg, est
exécuté avec un certain nombre d’offi-
coups d’Etat réussis depuis son acces­
sion à l’indépendance. Il partage, en cette éventualité que le capitaine San­ ders qui composaient le directoire
rffet, ce record peu enviable avec le kara avait tenté de réduire le rôle de ^hiôpien. Le 13 avril 1975, des mili*
Bénin et le Nigeria. ses compagnons d’armes, en créant les tairés se soulèvent au Tdiad. Ils assas­
Apparemment, ce pays pauvre en CDR (Comités de défense de la Révo­ sinent te président Tombalbaye et re­
ressources et « riche » en problèmes, lution) et en confiant à ces milices la mettent le pouvoir au général Félix
n’était pas plus prédisposé qu’un autre défense de son régime ? C’est certain. Malloum. Le 13 février 1976, une ten­
pour ce genre d’exploits. L’armée y tative de coup d’Etat échoue au Nige-
ace aux 60 000 hommes et femmes ria,t mais le général Murtala Mcdiamed,
avait pris le pouvoir une première fois
le 3 janvier 1966, presque malgré elle.
Son chef, le lieutenant-colonel San-
F de cette force paramilitaire, l’ar­
mée régulière n’aligne que 8 000
d ief de l’Etat, est tué. Un an plus tard,
le général Teferi Banté est taé avec
goulé I Jimizana, avait été sollicité par hommes, déployés en six régiments neuf membres du Derg éthiopioi.
la foule, pour mettre fin à la confusion d’infenterie, deux régiments de com­ Le 13 mai 1978, aux Commes, le
qui régnait, suite aux errements du pré­ mandos, un escadron blindé, six com­ président Ali Soilih est assasâné par
sident Yameogo. Après avtnr assumé pagnies de parachutistes-commandos, des mercenaires commaiidés par Bob
le pouvoir sans partage durant une di­ une batterie d’ætiUerie, un escadron Denard, qui réinstallent s(m prédéces­
zaine d’années, le p ru d e n t Lamizana de reconnaissance et un bataillon du seur, Ahmed Abdallah. Le 12 avril
inaugure une ère de démocratie qui génie. Ses équipements sont modestes. 1980, le président William R. Trfbert
semblait éloigner à jamais le spectre Outre l’armement léger, l’armée burki­ est tué par un caporal de Tannée au
des coups d’Etat. Le 25 novembre nabé ne dispose que d’une trentaine de cours d’un putsdi dirigé par le sergent-
1980, le odonel Saye Zerbo met fin à véhicules blindés, une quinzaine dief, Samud Doe.
cette expérience qui semblait si pro­ d’automitrailleuses légères AM60 et Durant sept ans, il y aura une rela­
metteuse, en prenant le pouvoir à la 90, quelques Cascavel fournis par la tive accabmie. Les coups d’Etat se fe-
tête d’un Comité militaire du redresse­ Libye et quelques obusiers de 105 mm. rcmt plus rares et m dns sangjants. Si-
ment pour le progrès naticmal qui ne Quoique plus nombreux, les CDR
redressera rien et qui, en guise de pro­ n’ont qu’un armement individuel, président Marien Ngouabi au Craigo,
grès, n’apportera que plus de difficul­ constitué surtout de kalachnikovs. le 18 mars 1977, au cours d’un atto i-
tés et de confusion. L’aventure durera Comme bien des chefs d’Etat avant lui, tat, et l’exécution au Ghana, «i&re le
un peu m dns de deux ans. Le 7 no­ Sankara avait misé sur des milices mal 16 et le 26 juin 1979, de trd s anciens
vembre 1982^ le cdonel Saye Zerbo se diefe d’Etat, les g é n ^ u x A dieap-
fait renverser par le colcmel Somé Yo- ser le nomtoe des uns à la discipline, à pong, Akuoffo et Afrifa et odle du die*
rian, d ief d’^ - m q o r qui remet le l’esprit de corps et à l’entraînement des tateur M adas Nguema de Guinée
pouvoir à Jean-Baptiste O uedrat^o. autres. En fait, ce n’est probaU m oit équatoriale le 29 septembre 1979,
La situation ne sera assainie pas l’armée H«ns son ensemble qui a eu après son rravorsement le 3 août 1979
pour fliitant. Le premier ministre Tho­ raison de lui, mais vraisemblablement par le colonel Obiang Nguema Mbasor
mas Sankara est arrêté le 17 mai 1983. une partie de cdle-d. go.
4S
JEUNE AFRIQUE Nf> 1399 - 28 OCTOBRE 1987
SANKARA

u es donc mort ! Abattu comme un chien, assassi­ J’ai eu d’autres appels. Président. De Kinshasa, de
T né comme seuls doivent l’être les héros. Bamako, de Brazzaville, de Bujumbura, de Bangui, de
Libreville, de Douala, mais aussi de Bruxelles, de G e­
Nous ne nous taquinerons plus pour savoir qui nève, de Londres, de Bonn, de New York, etc. et thème
devait appeler l’autre pour nous répartir les factures de de la France profonde. Sans parler de ces jeunes Afri­
téléphone. Tu ne m’appelleras plus le soir à la maison, cains de Paris qui, non seulement téléphonent, mais font
surprenant ma femme ou mes enfents en t’annonçant di­ le siège de mon bureau. Une jeune Marocaine qui tra­
rectement : « C est Thomas Sankara. » Nous ne passe­ vaille avec moi et qui a tapé, dans sa migeure partie, le
rons plus des nuits à discuter à la terrasse de la prési- manuscrit de mon hvre Sàakara le R ^yd le, m’a écrit m
dence ou sur la véranda de ta résidence. Je ne ferai plus très joli mot : « Je n’ai qu’une chose à dire. Je suis attris­
de si^our quasi-dandestin à Ouagadougou pour vous tée. Car, en ce qui concerne la politique, je ne peux p u
voir. Biaise et toi, rien qu’une nuit. Nous ne préférerons dire que j’y comprenne grand-<Aose. Mais Saükara, je
plus une simple omelette au poisson savamment préparé m’y suis attadhée à travers le livre que vous avez écrit et
par Mariam. Nous ne mangerons plus des dattes séchées que j’ai tapé avec plaisir. Le livre prend maintenant une
ou des àkA os refix>idis à 2 heures du matin. autre valeur. Y aura-t-il quand m âne cent autres Sanka­
Nous ne nous verrons plus, Thomas. Mais nous conti­ ra après Sankara ? »
nuerais à nous parier. En bon M algadie, je sais com­ Je ne le crois pas. O n ne te refera pas. n n’y aura pas
muniquer avec les ancêtres. Et, mort, tu es devenu ancê­ d’autres Thomas Sankara. Il y aura d’autres hommes qui
tre, tu as accédé à une autre forme de vie, supérieure, se lèveront encore, quelque part en Afrique, parce qu’ils
suUimée. Tu sais que je suis exigeant et un proverbe de n’auront pas renoncé à la justice sociale, à la dignité, à la
diez nous dit CTÛment : « Si un ancêtre n’est pas capable responsabilité de bâtir un pays, un continent où les
d’aider les vivants, qu’il se réveille et vienne jouer aux pluies d’espoir peuvent transformer les déserts, où le
d(nninos. » travail a un sens.
Tu as mieux à faire maintenant que de jouer aux do­ Je ne crois pas, Thomas, t’avoir jamais félidté de quoi
minos ou de la guitare,.|l.este où tu es et surveille-nous, que ce soit. Peut-être une seule fois, quand, en octobre
survdlle le Buâàna, surveille les Burkinabé, tous les 1986, tu as fait libérer les syndicalistes de la CSB. Pour
. eunes qui, à travers l’Afrique, ont vu en toi l’espoir, le reste, dans nos conversations nocturnes ou au télé­
’â m que nous, à peine plus anciens, nous n’étions plus phone, je te disais surtout de faire attention à ta can­
capables de leiir iq>porter. deur. Je te racontais les échecs que d’autres avaient
Un ami m’a appelé hier soir d’Abidjan. Tu le connais, connus avant toi. Oh ! je n’étais ni un gourou, ni un ma­
fl t’a ocMmu. D pleurait au téléphone, n a ton âge. Je n’ai rabout, ni un féticheur, ni même im conseiller occulte.
pu que hii dire : « Ce n’est plus la peine de pleurer la J’essayais de mériter ton amitié, sachant l’amlngulté de
mort de Th(Hnas. Pleure plutôt l’e ^ i r . » D m’a répon­ relations de ce genre entre un chef d’E tat et un journa­
du : « Notre g^ératio n est foutue. » De la part d’un liste. Mais nous n’avions pas à craindre un dérapage de
haut fcmcdcMmaire international, cela m’a fait frcMd dans notre amitié. La dernière fois que nous nous sommes
le dos. n m’a même dit qu’il n’avait plus oivie de re- parlé, je t’ai redit : « n y a des gens qui croient que tu
inendre son poste. « Ce serait irre ^ n sa b le de ta m’achètes. Mais tu ne peux pas m’acheter puisque tu
part », lui ai-je répondu. Un autre ami. Sénégalais, m’a gagnes six fois moins que moi... » Nous avons édaté de
aussi iqqpxdé de Dakar. Vous vous êtes vus une seule rire.
fds. Ce n’est pas ce qu’cm appelle un camarade ou un e jour-1^ après t’avoir expliqué que je ne pour­
militant de la RDP. Il n’a pas fdeuré, mais il m’a lâdié de
terriUes i^uases : « N < ^ les Nègres, nous devons être
C rais venir à Ouaga que fin octobre, j’ai ouW é de
te dire que, selon des renseignements te coocex-
maudits I II sufGt que quelqu’un de bien se lève quelque nant transmis à l’Elysée par les services français au Bur­
part pour qu’cm l’abatte. Ne méritcMis-nous que les ma- kina et classés « Secret défense », il était emx»e dit que
goiu&uis, les dictateurs, les incompétents et les rmtelets tu fumais (de la drogue, bien sûr) et que j’â a is b » oom-
fantasques ? Sankara d & ^ e a it tout ce monde-là, il ne pagnon de fumerie au cours de nos lo n g ^ nuits ! Déci­
pMivait pas survivre ! J’ai envie de tout laisser tomber. dément, les informations transmises à M itterrand étaioit
Que ceux que Sankara a dérangés continuent de gou- aussi débiles que celles que tu recevais !
vàner. T en ai m arre d’espérer pour l’Afrique. »

46 JEUN E AFRIQUE N° 1399 - 28 O CTO BRE 1967


L'une des reres fois où Sennen a rencontré Thomas, hors de Ouagadougou, dans un hôtel parisien. « Je fa i toujours dit qu'un héros mort
ne sert i rien. Je m'étais trompé. Un héros mort sert de référence. » ____________________

aintenant, tes amis d’hier te traitent de « rené­ me parle pas de cohabitation compromettante avec ce
gat », « traître à la révolution », « autocrate dernier ! Ces hommes, on a oublié maintenant leurs bê­
______ i mystique » et même « paranoïaque miso­ tises.
gyne » ! Je sais bien que, quand on vient de prenne le Tu m’appelais ta « mauvaise conscience », Thomas.
pouvoir, on délire pour faire croire n’importe quoi aux Nous allons maintenant inverser les rôles. Ancêtre tu es,
peuples, mais je trouve lamentable et très médiocre en ancêtre tu dois te comporter. Celui qui conseille, ce^
qu’on en arrive là. Ton Nyamân s’en chargera. Tu as fait lui qui protège, celui qui menace, celui qui taquine, celui
des erreurs, Thomas : les dérapages des CDR ; tes em­ qui se fôche, celui qui aide, celui qui maudit, celui qui
portements oratoires que tu regrettais par la suite ; la sanctionne, maintenant c’est toi. Sois la mauvaise
démocratie directe mais brouillonne dont tu rêvais ; la conscience de ceux qui se réclament de toi, comme de
bataille du rail ; ta sincérité qui ressemblait à la naïveté ; ceux qui vont t’invectiver. Nous parlerons souvent en­
ta crédulité face à ceux qui t’apportaient dœ informa­ semble. Il me suffira de prononcer les bonnes incanta­
tions qui n’étaient que des ragots. Mais tu avais une qua­ tions.
lité cardinale : le courage de reconnaître et de corriger Certains vont m’accuser de magie noire ou de je ne
tes erreurs. Je ne vais pas réciter tes autres qualités. Je sais quel mysticisme rétrograde et réactionnave. Tant
ne t’ai pas applaudi vivant, je ne vais pas te déifier après pis ; au fond d’eux-mêmes, ceux-là aussi croient à la
ta mort. puissance des esprits. Te rappelles-tu ce taureau noir
Comme il faut bien se consoler, je te dirai que dans découvert mort, sans une goutte de sang, en plein centre
un sens ta mort est venue au bon moment. Plus il reste de Ouaga ?
au pouvoir, plus un chef d’Etat feiit de bêtises. Tu n’as J’irai planter un arbre près de ta tombe, Thomas.
pas eu le temps d’en faire trop. Tu ne m’as pas donné D’autres viendront aussi. Ce sera un jour le bois de res-
l’occasion d’écrire : « Sankara le fou », comme je t’en sourcement.
avais menacé si jamais tu devenais fou. Repose en paix. Tu l’as si bien mérité ! Veille sur Ma-
Je t’ai toujours dit qu’un héros mort ne sert plus à riam, Auguste et Philippe.
rien. Je m’étais trompé. Un héros mort sert de référence. Au revoir, pas adiep.
C’est maintenant que tu vas devenir un mythe. Comme Salut, Président. ^ (L w
Lumumba, comme Guevara, comme Kennedy — et ne

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JEUNE AFRIQUE N“ 1399 - 28 OCTOBRE 1987

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