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Economies, sociétés,
civilisations
Francastel Pierre. Baroque et classique : une civilisation. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 12ᵉ année, N. 2,
1957. pp. 207-222;
doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1957.2624
https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1957_num_12_2_2624
* L'article que les Annales offrent ici à leurs lecteurs est le texte d'une conférence
prononcée en septembre dernier à Royaumont par M. P. Francastel.
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humaine aux xvne et xvine siècles, en Europe et dans les pays soumis à
son influence. En revanche, il ne semble pas possible d'identifier purement
et simplement au Baroque toutes les formes contemporaines de l'art, de la
culture et de la pensée.
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1. L. Goldmann, Le Dieu caché, Etude sur la vision tragique dans les Pensées de Pascal
et dans le théâtre de Racine, Pans, N.R.F., 1955 ; — P. Bektichou, Morales du Grand
Sièele, Paris, N.R.F., 1948.
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sont rares. L'histoire ne se fait pas en isolant les seuls génies, même s'il est
vrai qu'ils informent finalement leur époque et l'avenir. Notre but n'est donc
pas seulement de décrire quelques modes de comportement caractéristiques
des formes les plus hautes de la civilisation, mais de montrer comment ces
quelques types ont pu se manifester dans des faits complexes de culture,
qui constituent, en dernière analyse, l'histoire d'une époque quelle qu'elle
soit. Car le but de l'historien des civilisations est double : dégager des types
génériques en très petit nombre et montrer comment ils s'incarnent en
interférant dans des groupes humains plus ou moins homogènes.
Une rigueur logique est légitime dans toute tentative de définir l'un de
ces types d'hommes représentatifs d'une des formes de vie majeures de
l'histoire ; les nuances sont tout autant nécessaires dans la description des
milieux humains qui ont constitué la matière vivante du passé. Non
seulement il n'y a pas, dans les Temps Modernes, deux âges, baroque et classique,
qui se succèdent, mais dans chaque nation, dans chaque classe sociale à
l'intérieur de ces nations, dans chaque corporation, dans chaque demeure,
des sortes de vie ont existé où les grandes formes de la civilisation se sont
interpénétrées. Plutôt que d'âges successifs, — baroque, classique,
académique, — parlons de niveaux de vie et de culture qui coexistent dans le temps :
ainsi, lors de la Fête des Plaisirs de Г Isle enchantée de Versailles, en 1664,
où des formes de spectacle médiévales, renaissantes et classiques ont alterné
à chaque instant. Une société qui, brusquement, se ferait toute baroque
ou toute classique est impensable ; elle serait en rupture, à la fois, avec le
passé et l'avenir, avec son entourage et sa genèse. La réalisation des types
idéologiques dans l'histoire implique le compromis, car toute recherche
d'absolutisme aboutit à l'échec. La civilisation de Versailles est, à la fois, palla-
dienne et académique, baroque et classique *. Molière y pénètre, imposé
par le Roi avant sa « conversion », mais il ne l'informe pas entièrement, même
dans sa conception du spectacle. Les types absolus de civilisation s'incarnent
plus aisément dans des hommes et dans des œuvres que dans des sociétés.
La Rome du Bernin, elle-même, oscille entre le baroque et l'académisme, à
l'exclusion du seul classique.
D'autre part, dans ce xvne siècle, Baroque et Classique, ces deux
conceptions du monde ne se trouvent pas saisies au même moment de leur
développement. Les manifestations du Baroque correspondent au déploiement d'un
style dans des milieux unitaires, celles du Classique apparaissent dans des
groupes humains troublés par des transformations économiques et politiques
(Angleterre, Hollande, France), tandis que l'Académisme se développe là
où le durcissement général de la société limite l'esprit d'indépendance.
Enfin les différentes formes majeures de la civilisation des Temps
Modernes se manifestent à travers des modes d'activité distincts. Le Baroque
est une civilisation d'ateliers, de métiers non pas seulement artisanaux, mais
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1. B. Croce, La Spagna nélla vita italiana durante la Rinascenza, Bari, Laterza, 1917 ; et
Storia dell'età barocca in Italia, Bari, 1929, a touché ce problème mais la question est à
reprendre d'ensemble et à partir des faits artistiques d'abord.
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qui sortent de cercles aussi différents que Galilée, Descartes, Louis XIV,
Colbert et Bayle.
Sans préjuger de tous les résultats possibles d'une enquête à ses débuts,
suggérons ceci : tandis que le Baroque donne vie à des schemes formels
immuables, le Classique crée des systèmes inédits de signification; art de
développement en série et de propagande d'une part, art fonctionnel issu
d'une société qui révise ses valeurs et ses modes d'action collective sur
l'univers, d'autre part ; suggérons aussi que le Classicisme, forme révolutionnaire
de la pensée moderne au xvne siècle, se développe dans tous les pays où
existe un état de mobilité sociale, que le Baroque au contraire se développe
dans les pays et dans les milieux sociaux où règne un état de stabilité et
surtout d'unité sociale. Quant à l'Académisme, il fleurit partout où, après un
bouleversement superficiel qui a rendu possible le maintien de la piété
traditionnelle, une société revient à l'immobilité. Ce qui est encore
reconnaître la force explosive du courant classique qui, après deux longs siècles
de résistances et de conflits, a entraîné finalement la révolution industrielle
et la crise de l'esprit que nous vivons actuellement ; et qui marque, avec le
terme d'une période, le point de départ de nouveaux systèmes d'action et
d'expression pour les sociétés humaines 1.
Pierre Francastel.
Le XVIIe 1. Organisée
siècle européen
à Rome asous
prétendu,
l'égideaudumois
Conseil
de mars
de l'Europe,
dernier, identifier
une Exposition
avec l'art
intitulée
baroque:
la culture internationale de ce temps. Mal conçue et plus mal encore réalisée, cette
manifestation a fait, au contraire, ressortir les limites étroites du courant baroque dans le domaine
des arts figuratifs. La tentative vaut ce que vaudrait une présentation de l'art du xxe siècle
limitée aux Salons traditionnels. Elle fait ressortir l'urgence d'une étude sérieuse du
problème. Il n'y a pas d'unité rigide dans la pensée du xvne siècle, on ne peut en faire le siècle
de l'angoisse, du déclin, du doute, de l'aspiration mystique à l'inconnaissable qu'en le
mutilant grossièrement. Le découpage de l'histoire en compartiments déduits de la
reconnaissance de soi-disant moments stylistiques est un des dangers de notre temps.
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