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Les bras chargés d’étoiles – histoire d’une ouverture par Matthieu B.
18 et 19 septembre 2010
Il y avait longtemps que cette highline me trottait dans la tête...
Du Mas Barral
Le parc du Mas Barral de Chambéry voit régulièrement des sangles se tendre entre ses arbres
espacés.
De nombreuses configurations y sont possibles, de la babyline de 5m à la longline de 50m, en
passant par toutes les variantes classiques, 15m, 20m, 30m, 40m. C’est un lieu rêvé pour tout
slackliner avide de trouver l’équilibre.
Et c’est ce que je suis.
Arrivé à Chambéry au mois de mars 2009 pour une nouvelle vie, complètement dépaysé de ma
région Centre natale, je me retrouvais seul dans une ville inconnue, avec pour passion naissante un
sport peu connu, voire inconnu du grand public, la slackline.
Ce sport est pour moi, ancien pratiquant du Tai Chi Chuan, un excellent sport zen. Il mélange
parfaitement l’équilibre, la sérénité, la concentration, le tonus, le relâchement, le mental et le
physique. C’est pourquoi il a facilement remplacé le Tai Chi qui ne satisfaisait pas mes envies de
méditation active.
La solitude et le pays inconnu ne me firent pas peur. Solitaire dans l’âme, je n’eus aucun mal à
vivre seul à Chambéry pendant ces premiers mois. J’allais au parc tous les soirs pour m’entraîner et
progresser sur cette petite sangle Primitiv’ obtenue chez mon fournisseur préféré, Slack.fr.
La vallée était ma cellule et j’y imprimais mon univers. Ma sangle était ma compagne.
Chaque jour voyait un progrès.
En premier vint l’équilibre assis, puis debout, puis un pas, puis un autre, et après ce fût
quelques mètres. Ensuite vint le départ assis, marche en avant, en arrière, demi‐tour, puis le saut.
Après 3 mois de ce régime, j’avais acquis une petite technique.
À ce moment, je rêvais déjà de highline, mais sans l’oser car une terrible peur du vide me
hantait et aussi parce que je n’avais pas encore tenté de la combattre par l’escalade, un sport qui
m’attirait également mais que je ne pouvais commencer faute d’avoir un compagnon de cordée.
Un soir, alors que j’arrivais au parc, je vis, à ma grande surprise, et joie, d’autres slackliners qui
s’étaient installés sur mes compagnons végétaux, frêne, cèdre et les autres. Sans hésiter, je les
aborde et engage la conversation.
Au bout de quelques minutes, le visage de l’un d’eux m’interpellait. Ce garçon, Julien,
ressemblait à une connaissance du passé, de presque dix ans, à Orléans, alors que je trainais mes
DcMartens de gothique au lycée et que je fréquentais mon pote Freeddy. C’était bien lui, c’était
Julien Millot qui jouait à l’époque dans Spookeed, un excellent groupe de métal élethnique‐en‐apnée,
trio métal prog instrumental dont j’avais réalisé une pochette de démo.
Quelle rencontre ! Et lui aussi « slackait »…
Ainsi je trouvais un lien avec Freeddy qui m’avait initié à la slackline quelques mois plus tôt, à
Grenoble.
À partir de ce moment, après des mois de solitude presque mystique, j’entrais dans le monde.
Je pouvais partager ma passion avec d’autres qui, de plus, habitaient tout près de chez moi.
De la highline
Une poignée de semaines plus tard, Julien et Jelena m’invitèrent à participer à ma première
highline.
Elle se ferait dans les arbres. Julien avait repéré un site au col de l’Épine, au‐dessus de
Chambéry. C’était un lieu à l’écart, dans la forêt, parfait pour mettre en œuvre ce genre de folie, loin
du regard des curieux.
Lors de cette journée hors du temps, où Jelena
traversa la ligne d’une quinzaine de mètres de long pour
environ 8m de haut, je pus goutter à l’adrénaline en
essayant la ligne.
Après être monté dans l’arbre (première remontée
sur corde de ma vie), je suis resté de longues minutes
assis, à préparer la transe à l’aide d’une série de chansons
en mp3 qui m’accompagnent depuis mes débuts sur une
slackline. Mais malgré ces notes de confort, je n’osais me
lever de peur de la chute. La chute me terrorisait. Comme
elle me terrorise encore.
Ce n’est qu’en faisant un effort surpuissant que
j’osais me lever, véritable combat mental contre moi‐
même. Et je tombais en rattrapant la ligne. Puis après
quelques essais, je réussis à enchaîner quelques pas avant
de tomber à nouveau, en bout de leash, cette fois‐ci.
Fatigué mais content de l’expérience, je décidais de Jelena au Col de l’Épine
renoncer pour continuer à travailler sur ma petite sangle au sol, avec encore plus d’acharnement. En
effet, jusqu’à ce moment, je me trouvais très à l’aise au milieu, sur le mou de la sangle, mais je fuyais
les bouts de la sangle, près des ancrages, là où la sangle est rude, rapide, intransigeante.
À partir de ce jour, je me remis à travailler dur, sans complaisance, pour pouvoir être à l’aise
partout sur la sangle, pour me donner les armes de vaincre ma prochaine highline.
Celle‐ci vint plus tôt que prévue avec les Natural Games de Millau 2009, seconde édition du
concept, où la slackline était mise à l’honneur avec la présence de Slack.fr.
J’y allais avec Freeddy et Sophie. Sur place, je rencontrais Charles, Damien – mentors de
nombreux slackliners francophones, Tancrède, Antoine (tiens, un Chambérien, colocataire de Jelena),
les mutants Michi Aschaber et Andy Lewis, et de nombreux autres, amicaux et talentueux. Au cours
de ce week end, je pus m’essayer à ma première vraie highline, la Princesse, ouverte par Jelena. Une
dizaine de mètres de long, pas beaucoup de gaz en dessous mais un panorama énorme sur toutes les
gorges de la Jonte.
Vue sur les Gorges de la Jonte – Princess Line
Cette Princesse m’impressionna tellement, car la highline dans les arbres n’était rien à côté, que je
fus vaincu, écrasé. Je ne trouvais pas le courage de me lever, ni de tenter de me lever. J’étais
terrorisé. Le vide me clouait. Je ne pouvais pas faire un seul mouvement, assis sur cette ligne. Je ne
pouvais même pas lâcher une main, horrifié par avance par la chute que je pourrais faire, horrifié par
ce fragile bout de corde dynamique qui me retenait à la vie.
Il me restait donc encore cette peur du vide à défaire et surtout ce manque de confiance dans le
matériel à évacuer.
Je rentrais donc la tête basse de cet échec, mais le cœur gonflé à bloc. La prochaine serait la
bonne. J’en fis le serment.
L’été passa. Je commençais
la pratique régulière de l’escalade.
J’appris doucement à faire
confiance au matériel et à évoluer
en hauteur.
De plus, au sol, je
commençais à tendre des lignes de
plus en plus longues, seul, et du
coup, de moins en moins tendues.
En septembre, je tendais
30m avec des ancrages perchés à
2m pour cause de simple mouflage
insuffisant – et de petits bras trop
seuls. Vaincre cette ligne me
demanda quelques heures assez
intenses. J’en tirais une petite
fierté. Je progressais doucement.
C’était grisant.
En octobre, Julien me
proposa une séance de longline
qui me donna confiance. Je fus
étonné de me voir assez à l’aise
sur 50m.
Dans les jours qui suivirent,
Julien réalisa mon rêve, ma
première réalisation de highline,
tout en gaz, lors d’une session aux
Tours Saint Jacques de toute Suspendu à l’air – Tours Saint‐Jacques (Bauges)
beauté dans les Bauges.
Ce fut une magnifique expérience. Il n’est décidément pas humain d’avoir aussi peur du vide et
de vouloir marcher sur ces quelques fibres tendues.
Grâce aux conseils de Julien, je me réfugiais dans la technique. Et lorsque je me levais, je tenais
la sangle. Il suffisait de rester concentré et la peur du vide restait à l’écart, malgré le cœur qui battait
à m’en rompre la poitrine. Et un pas après l’autre, j’étais de l’autre côté.
Je fis d’abord un aller. Puis après une longue pause tout l’après‐midi car la première traversée
m’avait épuisé, je me risquais à un aller‐retour.
Quelle libération ! Je naissais de nouveau, grâce à peu de choses, quelques mètres de tissu,
quelques amis et un paysage d’automne somptueux calé entre deux averses.
Durant tout ce temps, le parc du Mas Barral était resté à mes côtés, témoin de mes progrès et
de mes rencontres.
Un mois après les Tours Saint Jacques, je traversais une autre ligne, au lycée Bertholet à
Annecy, qu’Éric et Sébastien installèrent. Je fus heureux de pouvoir renouveler l’exploit des Tours
Saint Jacques, celui de traverser, même si le cadre n’était pas le même.
Cette répétition aurait du me mettre en confiance et être le début de traversée toujours plus
magiques. Pourtant, ce fut le départ de quelques déconvenues.
Fin décembre, lors d’une session hivernale très extrême à Saint‐Gervais‐les‐Bains, je fis une
douloureuse chute en bout de leash qui eut raison de mes forces et de mon mental. Dans le froid et
la neige, cette ligne était terrible, alors qu’elle pourrait être si avenante avec un beau soleil et 20°C.
Qu’importe, l’équipe des Bad Slackliners et quelques autres étaient là et l’ambiance était plus
chaleureuse que l’air.
Saint‐Gervais‐les‐Bains – Photos par Ingrid Laillaut De Wacquant
En avril 2010, le Ritson Gap au Parmelan me vit perdre mes moyens et refuser de me lever
devant trois charmantes demoiselles. Je ne saurais dire ce qui se passa dans ma tête, car j’étais
monté dans la neige pour passer cette ligne, rien d’autre, mais une fois assis dessus, je ne voulais plus
faire l’effort de me lever. Je n’étais pas en aussi bonne condition mental qu’Ingrid qui se mettait
« trash » sur « trash », comme elle disait. Je regardais donc, tout penaud, Jelena traverser
admirablement cette ligne et Ingrid se battre comme une guerrière.
Malgré ces défaites, je ne perdais pas l’envie d’y revenir et de réussir. Le mental se travaille,
comme la technique.
Durant tout le premier semestre 2010, je me consacrais plus à la longline qu’à la highline. La
simple raison est que je me trouve plus à l’aise sur une longline. Le combat est moins difficile. Je
préférais donc céder à la faciliter. Honte sur moi…
Mais quel plaisir !
En effet, ces longues distances, au‐delà des 50m, amènent à un voyage mental hors du
commun. Il est nécessaire de rester concentré car à la moindre erreur il est facile de se retrouver le
nez dans l’herbe sans trop comprendre pourquoi.
Ainsi, j’aiguisais mon esprit qui devenait dépendant de ces sensations, physiques et mentales,
où le corps tout entier est sollicité et où l’esprit vogue à loisir dans des pays imaginaires reliés par ce
chemin tracé de sangle.
Une nouvelle fois, grâce à Julien, je pus passer un cap. J’atteignis la barre des 100m dans le parc
du Buisson Rond de Chambéry. Je faisais ici une infidélité au Mas Barral qui ne permet pas de tendre
plus de 50m.
Par la suite, je slackais avec plus de parcimonie. Je favorisais l’escalade qui m’apportait
également beaucoup, et m’apporte encore beaucoup. J’avais plus de travail de ce côté‐là que sur la
sangle.
Au Natural Games 2010, je pus de nouveau goutter à la terreur du vide sur un site foisonnant de
lignes.
Je passais sans trop de
difficulté la petite 10m en pente.
C’était une sorte de victoire. Je
reprenais confiance en mes
capacités. Il m’était possible de
le faire. Octobre 2009 n’était pas
le coup d’un jour.
La petite 10m dans la
poche, le moral gonflé à bloc,
j’allais me frotter à l’une des
25m qui me tendait les bras.
Je fus moins heureux, mais
le combat me permit de franchir
une étape. Après de nombreux
essais et chutes en rattrapant la
sangle, je voyais par moi‐même
que je pouvais me lever sans Sur la Bunny Line – Natural Games 2010
avoir peur. Il suffisait de ne penser à rien. Il fallait agir, laisser le corps trouver sa place et respirer.
Ce week‐end là, je ne fis que quelques pas sur la 25m mais j’avais le sentiment d’avoir réussi
quelque chose. J’avais à nouveau confiance en moi et je savais que je passerai d’autres lignes avant
de revenir.
D’un projet
Durant l’été, lors d’une session longline au parc du Mas Barral, je discutais avec Antoine. Je lui
dis que, dans ce parc, deux grands arbres, éloignés l’un de l’autre d’une quinzaine de mètres, seraient
propices à une highline. J’appris alors qu’il y avait également pensé et que quelques personnes de sa
connaissance seraient tout à fait partantes pour le réaliser.
Il n’en fallu pas plus pour me décider.
Après avoir fait la connaissance d’Adrien, au hasard d’une rencontre, puis de Henri, Arnaud,
François et quelques autres, je parlais de mon projet lors d’une session de longline au Mas Barral. Je
venais de trouver mes compagnons de folie pour accomplir ce projet.
Il ne fallu pas longtemps avant de décider de revenir le lendemain pour passer à l’acte.
D’une réalisation
Samedi 18 septembre 2010, vers 13h, j’arrivais le
premier au pied des arbres.
Ayant déjà pu observer comment une highline dans
les arbres se montait, j’avais prévu le matériel nécessaire :
deux cordes statiques dont une pour le backup, poignée
jumar et grigri, élingues, anneaux de sangle, mousquetons
symétriques en acier, une slack en très bon état, du ruban
adhésif. Les copains complèteraient avec des élingues
supplémentaires et une corde statique. Adrien prendrait
ses crampons pour faciliter l’ascension de l’énorme pin qui
n’a que 2 grosses branches sous le point où nous
souhaitions poser la ligne.
Je fus rapidement rejoint par Arnaud et Adrien.
Armés d’une gourde en métal que nous avons
attachée à une cordelette, nous avons passé des cordes
statiques dans les branches basses de chacun des arbres.
Malheureusement, les nombreux essais avant de Adrien qui galère le pin
réussir cette manipulation eurent raison de la santé de la gourde. Elle en gardera à jamais des
séquelles. Paix à son âme.
Puis Adrien chaussa ses crampons et commença à grimper dans le grand pin, assuré par Arnaud.
Pendant ce temps, je montais dans le gincko.
L’objectif était de poser un anneau de sangle dans chaque arbre, à environ 15m de haut. Ces
points serviraient fixer des cordes fixes pour monter et descendre.
En moins d’une heure, j’avais installé les élingues de la ligne et du backup dans mon gincko. En
revanche, Adrien combattait toujours pour prendre pied sur la première grosse branche du pin, qui
formait un angle très étroit avec le tronc principal. Fatigué, il descendit pour se désaltérer et
reprendre des forces.
Pendant ce temps, François et Henri nous
avaient rejoint et avaient commencé l’installation
d’une longline de 50m juste à côté.
Après quelques minutes de repos, Adrien
remonta dans le pin. Je l’assurais.
La difficulté avec ce pin, une fois la première
grosse branche passée, était la large circonférence de
son tronc et la rugosité de son écorce. Il était difficile
de faire coulisser un anneau de sangle sur lequel nous
serions vaché, tout en montant les pieds à l’aide des
crampons.
Alors avec deux anneaux de sangles…
En effet, nous sommes des inconditionnels de la
sécurité et nous avions décidés d’utiliser deux
anneaux de sangles. Le but était d’en monter un,
vaché sur l’autre, puis de se vacher sur celui qui était
monté pour remonter l’autre. Un travail de fourmi.
À ce rythme, nous avions monté les anneaux de
sangle à 11m en 3h. Il était donc 16h et nous étions
Les bras levés au ciel, l’intention dans les doigts encore assez loin du point visé. Gagner des mètres
demandait beaucoup d’énergie et de temps.
Lorsqu’Adrien redescendit une deuxième fois, nous prîmes tous les deux la décision de nous
arrêter à cet endroit, 11m environ, et d’y fixer un rappel d’où une corde statique pendrait pour
faciliter le passage de la grosse branche, le passage dur de l’ascension en libre, lorsque nous
reviendrions une prochaine fois pour poser la ligne. Il était trop tard pour installer la highline et en
profiter.
Adrien monta donc dans le pin pour faire cela pendant que je montais dans le gincko pour fixer
une ligne de rappel et récupérer le matériel.
La journée avait été gâchée par un manque de préparation sur l’art de grimper dans les arbres
comme de vrais bûcherons.
Et nous finîmes l’après‐midi sur la longline, qui ne fut pas posée que pour décorer.
C’était pour moi un semi‐échec. Le projet n’avait pas abouti.
Mais je savais que nous reviendrions très vite pour réaliser le projet, grâce à ce que nous avions
fait ce samedi. Dans ma tête, ce serait la semaine suivante car, le lendemain, j’avais prévu d’aller
grimper. Il devait faire beau et c’était le dernier jour de mes vacances de grimpe. Je ne voulais pas
manquer d’aller visiter une falaise.
Mais cette highline était tellement proche qu’il aurait été dommage de ne pas s’acharner. Le
hasard me donna d’ailleurs une raison pour ne pas grimper et de retourner au Mas Barral.
Ma chère compagne, Blandine, avec qui je devais grimper, se leva aussi malade que la veille,
prise d’une sinusite assez carabinée. Je soupçonne François et Henri d’avoir lancé de mauvais sorts
vaudou durant la nuit. Ils avaient tant envie de faire cette highline que la veille, ils cherchaient toutes
les raisons pour me détourner de la falaise.
Alors, dimanche matin, j’envoyais un sms aux copains pour leur proposer d’aller au bout de
notre folie et de poser la ligne. Évidemment, ils étaient tous partants.
Ainsi, dimanche 19 septembre 2010, à 10h30, Arnaud et moi nous retrouvions sous les arbres,
un peu avant les autres qui étaient partis à la chasse aux poules, avec tout le matériel de la veille,
pour poser la ligne.
Tout alla plus vite, surtout dans le pin, grâce aux efforts d’Adrien. Je montais dans l’arbre,
assuré par Arnaud. En 30 minutes, les élingues étaient posées, la sangle et le backup fixés.
Puis je m’attaquais au gincko
qui lui aussi alla vite. Je posais les
élingues et nous remontâmes la
sangle et le backup lorsqu’Henri et
François arrivèrent. Puis Arnaud
monta avec moi pour finir de
tendre la sangle.
En 3h, la ligne était posée.
Magnifique, elle brillait au soleil et
nous appelait.
Nous mangeâmes un peu
avant de passer à la casserole.
Personne n’osait regarder laligne
en face de peur d’être le premier à
passer. Parc du Mas Barral – Les bras chargés d’étoiles
Pour ma part, ma folie me sauta aux yeux. J’étais terrorisé par la highline et je venais d’installer
ma toute première. J’étais fou.
La pause terminée, nous nous demandions qui passerait en premier. Tous me regardaient avec
insistance. Gloups ! Décidément, parce que j’avais eu la folie de l’initiative du projet et de sa
réalisation, il me fallait l’ouvrir.
Je rassemblais alors mon courage et me lançait. Je montais lentement, la musique du groupe
Archael dans les oreilles pour calmer mes sens affolés et entrer sans à‐coup dans le bain. Mes gestes
étaient assurés. Mon esprit était affuté, attentif au moindre détail.
Arrivé sur le départ de la ligne, je me défis de mes chaussures puis je m’avançais d’un mètre et
quelques sur la sangle pour réaliser mon départ assis sans danger en cas de chute.
Je fus agréablement surpris d’être à l’aise. La sangle ne bougeait pas beaucoup. Et surtout, je ne
tremblais pas. Je trouvais immédiatement mon équilibre, assis sur mon pied, une jambe dans le vide,
un bras en l’air.
Contrairement à Millau, 2 mois plus tôt, il ne me fallu qu’une poignée de minutes pour me
lever. Je tenais la sangle. Alors je mis la machine en marche. Je calais le rythme de ma respiration, un
peu bruyante, pour m’apaiser et me donner un repère sonore par‐dessus la musique qui baignait
tranquillement mon univers, loin des regards appuyés du public qui s’était amassé en bas. J’étais seul
et serein.
Rapidement, avec maîtrise et effort, je fus de l’autre côté. Les copains m’applaudirent. Je
souriais. C’était bon. Je venais de vaincre définitivement la peur de la highline, même si je n’avais pas
encore vaincu celle de la chute.
Puis je me mis en place et je fis le retour sans plus de cérémonie. Là encore, applaudissements.
Et Arnaud cria : « Elle est à toi celle‐là. Tu l’as fait. »
Oui, je l’avais fait et j’étais tout à fait heureux de l’exploit, perché dans un gincko.
Ce gincko, dans mon esprit, s’appelait Sérénité. Il était baigné dans le soleil, plein d’or et de
verdure, plein des vers d’un poème que j’ai écrit en 2008, inspiré d’une photographie de feuilles de
gincko : « Effleurement ». Puis d’autres vers me revinrent, notamment celui‐ci : « Les bras chargés
d’étoiles ». Des vers qui appellent à la sérénité et à l’amour de l’instant présent. Des vers qui
s’appliquent ce que je viens de vivre et les copains avec moi.
Cette ligne se nommerait « Les bras chargés d’étoiles ».
Puis je descendis de mon arbre pour laisser la place à Arnaud qui m’a aidé à monter la ligne.
Ce dernier était prêt à en découdre. Pourtant arrivé en haut, il perdit ses moyens, malgré son
expérience de Millau et son succès sur la petite Bunny Line. Il n’osait plus y aller. Il restait vaché sur le
départ, incapable de lâcher les bras et de trouver son équilibre. Il était paralysé.
Après de nombreuses minutes, il décida de revenir à terre pour laisser place au suivant.
Henri était lui surmotivé. Ce frère
spirituel d’Antoine, par le look, le
métier et l’attitude sur la slack, se
donna à fond. Il monta tel un fier
guerrier et inaugura rapidement le
premier leash‐fall. Puis la dizaine qui
suivit.
Il se donna à fond, ajoutant un
pas ou deux à chaque essai. Et c’est
épuisé qu’il décida de renoncer pour
laisser la place à François et récupérer
en attendant le prochain essai.
François, qui testait sa première Henri le guerrier une seconde avant la chute
highline ce jour‐là, n’en menait pas large. Et tout comme Arnaud, il perdit ses moyens une fois le pied
sur la ligne. Paralysé, il n’osa pas faire le moindre geste. Il ne trouvait pas l’équilibre. Et malgré nos
encouragements à essayer, à aller jusqu’à la chute, il ne bougea pas.
Alors pour ne pas monopoliser la ligne, il redescendit et se réfugia sur la sangle que 15m que
nous avions tendue à côté pour nous entraîner au sol.
Adrien choisit ce moment pour arriver, sur son étrange vélo couché. Le troisième fou, ouvrier
de cette ligne, nous rejoignait.
Nous prîmes un petit temps de pause.
Damien, arrivé peu après mon passage, voulait me voir y retourner et passer de nouveau, pour
pouvoir filmer et prendre quelques photos.
J’étais moins chaud. Mes mains étaient moites alors que je n’étais pas encore monté sur la
ligne. Passer une fois, c’est bien, mais y revenir, avec le sentiment de pouvoir échouer, voici qui me
donnait des sueurs froides.
Pourtant, j’y allais. Je devais, dans ma tête, valider ce que je venais de faire quelques minutes
plus tôt.
La remontée sur corde fût douloureuse. La fatigue de la veille et du jour se faisait sentir. J’allais
donc plus lentement, essayant de calmer mon cœur qui s’était emballé. Allais‐je y arriver à nouveau ?
Ce fût moins facile. Mon cœur battait fort et vite. Mes mains étaient moites et des fourmis
envahirent mes bras lors de l’aller. Mais j’y arrivais. Et lorsque je me suis tourné vers mon petit
public, je vis que Julien et Jelena étaient là également.
Julien, que j’admire pour sa maîtrise de la highline, témoin de mes débuts en hauteur, était de
nouveau présent pour me voir marcher de mes propres pas, sur ma première ligne. Cela faisait
quelque chose.
Une fois en bas, Arnaud décida de prendre ma suite et sa revanche. Bien lui en prit car non
seulement il se leva, mais il traversa, sans grande difficulté apparente. Victorieux, sous nos
applaudissements, il toucha le pin. Un sourire illuminait sa figure. Je comprenais tout à fait ce qu’il
vivait.
Et sans attendre, il traversa dans le sens inverse et accomplissait ainsi la répétition de la ligne.
J’étais heureux pour lui car il avait beaucoup participé à l’installation de la ligne. C’était là un
beau cadeau qu’il se faisait.
Henri y retourna également, ajoutant aux nombres de leash‐fall de la journée. Pourtant malgré
les plombs, il gagnait en assurance. Il tenait mieux la ligne, il faisait de plus en plus de pas jusqu’à
arriver à la moitié. Mais il épuisa ses forces avant de réussir.
C’était sûr, il la passerait lors de la prochaine session.
Puis Adrien se lança, armé d’une gourde et de ses gants (qu’il faillit oublier en bas).
Tout comme François, c’était sa première highline.
L’appréhension fît également son effet. Il ne trouvait pas son équilibre. Il n’osait pas y aller.
Sous les conseils de Julien, il goutta à la chute en se laissant tomber de la ligne à bouts de bras.
Puis il redescendit.
L’après‐midi tirait sur sa fin lorsque François, qui serait le dernier à tenter la ligne, monta dans
le gincko. Et comme la première fois, il restait paralysé. Toutefois, il fît comme Adrien et se lâcha de
la ligne pour goutter à la chute. Puis il jeta l’éponge.
Il ne fallu pas beaucoup de temps pour démonter. En une petite demi‐heure, tout au plus, nous
avions ramené tout le matériel au sol.
Et c’est dans la nuit que nous nous séparions, chacun de notre côté, heureux de la journée,
heureux du week end, heureux de l’expérience et de tout ce qui s’était vécu durant ces heures.
Avec le recul, loin d’être un aboutissement, cette highline est pour moi un départ. Désormais,
nous avons une highline à domicile, à deux pas de nos maisons. Celle‐ci sera remontée, pour nous
permettre de progresser, pour nous permettre de grandir dans notre pratique, pour le plaisir. Et
demain, nous irons répéter les lignes ouvertes par nos prédécesseurs.
Et peut‐être un jour, nous en ouvrirons une – qui sait ? – J’ai même une petite idée qui trotte
dans un coin…
☺
M.03X2010