NOTRE EPOQUE

folklore fait partie de la soirée. Dans la

Le samedi soir, au quartier Latin, nef de l'église Saint-Séverin « Vous savez,
les cars de police font maintenant partie du décor. la paroisse tenue par des curés de gauche»—,
on donne un concert. Entrée libre. Devant
A-t-on peur des jeunes, des chevelus, des « basanés » ? Maspero, des militants, journaux sur la poi-
Qui a donné l'ordre de leur faire trine, vendent « Rouge ». A l'intérieur de
« la Joie de lire », bousculades et fauche.
la chasse ? René Backmann, Hervé Chabalier, Cheveux longs et noirs, en battle-dress, un
Bernard Guetta et Claude-François Jullien ont observé garçon de dix-huit ans traîne sa maigreur
d'un trottoir à l'autre. Il rencontre des co-
le quartier toute la nuit du 9 mars pains, leur lance : « Venez, on va manger,
on reviendra quand ça chauffera. »
e De véritables bandes de pillards trouvent enfin une table débarrassée. Trois Un Sénégalais, qui a étalé devant une
ont mis à sac deux quartiers de ou quatre rues étroites, étouffantes, de- boutique de lingerie fine trois colliers et
Paris » (« l'Aurore »). « Saccages viennent pour un soir les nouveaux Grands quatre masques sénoufos, fait l'article,
gauchistes dans Paris » (e le Journal du Boulevards de la jeunesse. Quatre Sud- s'accroche à un couple de Britanniques. Il
dimanche »), « Raid de commandos — or- Américains s'installent, flûtes, guitares et est 21 heures. Pas de policiers à l'horizon,
ganisés et encadrés — dans Paris » le Pa- tambourins. Un cercle se forme, des di- pas d'incidents non plus. La guéguerre du
risien libéré »). « Les commandos du dé- zaines de curieux accourent, ils chantent, samedi soir commence plus tard, vers
sordre » (« Minute »). crient, se déhanchent timidement pour 22 heures. Ce soir, les habitués sentent que
Samedi 9 mars, 20 h 30 : par paquets, épouser leur rythme. ça « pétera ». Ailleurs, dans Paris, des in-
en couples ou solitaires, blue-jean et fan- Un géant passe, encapuchonné dans sa cidents se sont produits dans l'après-midi
taisie, ils arrivent. Des jeunes, uniquement djellaba. Il psalmodie : « Tous des fous, entre des policiers et des groupes de jeunes.
des jeunes. Pour leur sortie du samedi soir, tous des fous. » Les passants sourient, le Mauvais signe.
ils viennent flâner, draguer, « se faire une
toile » ou une petite bouffe au quartier La-
tin. Ambiance de fête garantie. 5%).3zE.Çe2ui U.D o2rJ eclospo
Ils s'attendent, s'interpellent, se ren-
contrent aux pieds de la fontaine Saint- Cinq à six mille personnes avaient ré- deux nouvelles banques et disparaissent.
Michel, assis sur les rebords du bassin, en pondu à l'appel des organisations d'ex- La p olice ne paraîtra pas avant
contemplation devant le troupeau rutilant trême gauche françaises et espagnoles à 22 heures. Un millier d'hommes, gardiens
des Kawa, Suzuki, Honda, Yam et autres une manifestation contre l'exécution de de la préfecture de police, C.R.S. et gen-
machines garées sur le trottoir, à deux pas Puig Antich. Une trentaine « d'éléments darmes mobiles, participent à l'opération de
de la bouche de métro. incontrôlés », à l'avant du cortège, avaient quadrillage commandée par le commissaire
Ils boudent le Boul'Mich', ou Saint- brisé les devantures d'une armurerie, cassé Bonnet, du 6 arrondissement, qui prend
0

contrent au pied de la fontaine Saint-
Séverin » (comme dit la police), rue de la
Huchette ou de la Harpe, grossissent les
queues des cinémas, reniflent les odeurs de
cuisine italienne, orientale ou chinoise,
sautent d'un restaurant bondé à un autre,
les vitrines d'une pharmacie et de plusieurs
banques, le tout sous l'oeil bienveillant
d'une compagnie de district qui les suivait
depuis le début, sans intervenir. Les
trente de l'armurerie se retrouvent au
quartier Latin vers 18 h 30, attaquent
position à bord de sa voiture-radio près
de la fontaine Saint-Michel.
Le gros des « troupes », environ quatre
cents hommes, est fourni par les compa-
gnies de district de la préfecture de police.
Leurs cars gris et leurs voitures de liaison

42 Lundi 18 mars 1974