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DÉCEMBRE 2010 – LE MONDE diplomatique


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UN RÉSEAU SOCIAL INSATIABLE

Facebook,
miroir magique

JAMES COHAN GALLERY, NEW YORK / SHANGHAÏ


PAR PHILIPPE RIVIÈRE

I L Y A quelques jours Facebook m’a demandé de


changer de nom. Non pas que je m’étais choisi un
d’un clic les messages nuisibles, et le site suspend
alors le compte des utilisateurs incriminés. Une
pseudonyme ordurier, incitant à la haine raciale ou brèche dans laquelle se sont engouffrés des activistes FRED TOMASELLI.
usurpant celui du tout-puissant Mark Zuckerberg (le de toute sorte, organisant par cette méthode la décon- – « Desert Bloom »,
patron, fondateur et principal actionnaire de ce site nexion de leurs adversaires politiques (2). Facebook (Floraison de désert),
Internet), voire similaire à une marque déposée. Mais 2000
cède aussi parfois à la tentation de la censure, et
je m’étais inventé un patronyme composé de carac- bloque des liens vers des sites de partage de fichiers
tères braille. Les ingénieurs du site californien avaient ou vers des performances artistiques et politiques tisan local, l’auteur modeste et la petite entreprise la société a décrété en novembre 2010 une « tolé-
soudain décidé que cela n’était plus typographique- – comme Seppukoo.com, qui permet aux inter- profitent de ce même système pour se mettre en rance zéro » pour les courtiers en données, et assure
ment correct. nautes… d’effacer leurs données de Facebook. valeur. Le Monde diplomatique n’y échappe pas : sa qu’elle « n’a jamais vendu et ne vendra jamais les
page Facebook, ouverte fin 2009 à l’initiative d’une informations des utilisateurs ».
A l’inscription, Facebook avait validé mon exis- Ce savant mélange de vie privée et de voyeurisme, lectrice, rassemble déjà 45 861 membres.

E
tence en vérifiant un code secret envoyé sur mon télé- ce régime doucereux de transgression modérée et de
phone. Il avait aussi insisté pour que je lui donne le liberté surveillée a constitué la recette gagnante de En permettant à chacun de polir sa marque person-
mot de passe de mon courrier électronique, afin de M. Zuckerberg. Grâce à cela, il a réussi le tour de nelle, Facebook est le miroir magique de notre époque N 1993, un dessin publié dans le New York Times
récupérer mon carnet d’adresses et ainsi faciliter le force de rassembler cinq cents millions d’inscrits, égotiste et publicitaire. L’expérience Facebook procure expliquait que, « sur Internet, personne ne sait que
repérage de mes contacts – mes « amis », dans la dont 50 % se connectent chaque jour, pour un total à l’utilisateur la sensation d’être en permanence en vous êtes un chien ». En 2010, l’anonymat est en
terminologie maison. de sept cents milliards de minutes chaque mois. Et représentation devant cent trente personnes (nombre passe d’être aboli. « Avec quatorze photos de vous,
deux cents millions de personnes consultent le moyen d’amis) applaudissant chaque geste et chaque nous avons la capacité de vous identifier, rappelait
Policée en permanence par des algorithmes, en « réseau social » par téléphone mobile. Parti de rien bon mot. Plus la projection électronique de notre être le président-directeur général de Google, Eric
vertu de conditions d’utilisation que personne ne lit, – ou presque, le prestige de l’université Harvard reflète la vérité de notre personnalité – ou de notre Schmidt, à la conférence Techonomy, le 4 août 2010.
la page bleue de Facebook offre un cocon douillet à n’étant pas négligeable dans son démarrage fulgu- désir –, plus on se laisse griser par son reflet (3). Ce Vous croyez qu’il n’y a pas quatorze photos de vous
ses membres, qui peuvent s’y connecter pour discuter rant en février 2004 –, Facebook est désormais, avec sentiment conduit chacun à alimenter sa page, de façon sur la Toile ? Il y a les photos Facebook. » Un état
sans se voir envahis de messages parasites. Les publi- seulement mille sept cents employés, le plus gros site parfois compulsive, en publiant ses goûts, son adresse, de fait non seulement irrévocable, mais à ses yeux
cités sont relativement discrètes, et l’on peut à loisir Internet de la planète. sa position en temps réel grâce à diverses techniques nécessaire : « Dans un monde de menaces asymé-
regarder les photos de ses amis, s’amuser ou s’indi- de géolocalisation, ou la chronique de ses triques, le véritable anonymat est trop dangereux. (…)

L
gner des mêmes informations qu’eux, jouer aux démêlés amoureux. Il nous faut un service fiable de vérification d’iden-
mêmes jeux, suivre les événements de leur existence tité – et le meilleur exemple aujourd’hui d’un tel
les plus triviaux comme les plus heureux. Les IBREMENT fournies par les internautes, les Mais Facebook ne compte pas s’arrêter là : de site service est Facebook. (…) Les gouvernements fini-
messages échangés couvrent tout le spectre de la données personnelles attirent les convoitises. Elles clos, il cherche désormais à s’étendre à l’ensemble de ront par l’exiger. » S’il reste possible de tricher, cela
pensée humaine, de l’indispensable « je prends ma permettent aux agents du marketing de s’offrir un la Toile. Introduit en avril 2010, le bouton « J’aime » sera à l’avenir plus difficile. Les architectes du monde
douche » à la réflexion pointue sur l’art contempo- ciblage – par sexe, âge, date d’anniversaire, langue, est une fonctionnalité d’apparence anodine que chaque en ligne et les dirigeants politiques entendent « civi-
rain, en passant par les faire-part de naissance (1). pays, ville, niveau d’éducation, centres d’intérêt, webmestre peut intégrer sur son site pour faciliter le liser » un Internet libre perçu comme une zone de
etc. – bien plus précis que les sondages des médias buzz ; grâce à cet ingénieux système déjà installé sur non-droit. S’ils parviennent à le domestiquer, donner
Sur Facebook, les interactions sont toujours posi- traditionnels. Avec une audience qui approche celle un million de sites, l’entreprise se vante de pouvoir son identité réelle sera le prix à payer pour y parti-
tives : on peut, en cliquant sur le bouton ad hoc, de la télévision. Le 22 novembre, la marque de luxe pister nominativement les visites sur la Toile de cent ciper de plein droit. La Toile servait jusqu’ici d’image
« aimer » quelque chose, pas le détester ; on est averti Louis Vuitton s’adressait ainsi sans intermédiaire à cinquante millions de personnes chaque mois, affi- pour désigner un système décentralisé de réseaux
quand on gagne un nouvel ami, pas quand il nous 1 664 789 internautes. Autant de personnes qui, en nant ainsi leur profilage. Pour mieux servir (et cerner) informatiques interconnectés. Nul n’imaginait qu’une
quitte. Divers contrôles protègent l’utilisateur : ainsi, cliquant sur un bouton « J’aime », avaient incité l’internaute, Facebook vient par ailleurs de lancer une araignée frétillante viendrait s’installer en son centre
le voyageur qui se connecte depuis un endroit inha- leurs amis à en faire autant. Sur la page du maro- messagerie électronique regroupant courriels, SMS pour épier tous les internautes.
bituel se voit soumis à un interrogatoire (ludique) à quinier, les contenus proposés vont des défilés de et discussion instantanée. En concurrence frontale
base de photos, afin de prouver son identité. Tout cela mode au journal de voyage « au cœur de l’Afrique » avec Google, l’autre point de contrôle géant du Net.
ne va pas sans arbitraire. Des pages sensibles du chanteur Bono. (1) Miyase Christensen, « Facebook is watching you », Manière
– comme celle d’un groupe de soutien au soldat Facebook assure que seuls nos amis ont accès à de voir, no 109, « Internet, révolution culturelle », février-mars 2010.
Bradley Manning, accusé d’avoir transmis des infor- Parmi les pages populaires, celles des marques cette masse de textes et d’images qui se déverse conti- (2) Cf. Fabrice Epelboin, « Guerre civile sur Facebook », Read-
WriteWeb France, 14 mai 2010.
mations secrètes sur la guerre d’Irak au site Wiki- comme Starbucks, Coca-Cola ou les biscuits Oreo nûment dans ses bases de données. Après une enquête
Leaks – sont parfois suspendues sans explication, drainent une audience de dix à vingt-cinq millions du Wall Street Journal révélant que certains des plus (3) Plus que The Social Network (David Fincher, 2010) – qui reste
un excellent film sur Harvard, l’informatique et le pouvoir –, c’est
puis rétablies quelques jours plus tard… Pour limiter de personnes. Mais les grandes marques ne sont pas gros opérateurs de jeux sur Facebook recelaient les Catfish, un documentaire de Henry Joost et Ariel Schulman, qui
certains abus, les membres sont invités à dénoncer les seules à exploiter ce filon. A leur échelle, l’ar- identifiants personnels des joueurs et de leurs amis, capte l’essence de Facebook (DVD à paraître en janvier 2011).

L’hiesstto ire le SOMMAIRE Décembre 2010


ce que
etenir
PAGE 2 : PAGES 16 ET 17 :

présent u passé
veu t r La ville, boule de cristal de la modernité, par S ASKIA S ASSEN .
– Courrier des lecteurs. – Coupures de presse.
Et l’Iran découvre l’Amérique latine, par N IKOLAS KOZLOFF. –
L’obstacle des libertés (N. K.).
PAGE 3 : PAGES 18 ET 19 :
d Anti-Lumières de tous les pays..., par ZEEV STERNHELL. Un « consensus de Berlin » imposé à l’Europe, par BERNARD CASSEN.
– Mythes et réalité de la guerre des monnaies, suite de l’article de
PAGES 4 ET 5 : LAURENT L. JACQUE.
En Grèce, la révolte inaboutie de la jeunesse, par P IERRE DAUM
PAGES 20 ET 21 :
ET AUREL .
Où vont les syndicats français ?, suite de l’article d’ERIC DUPIN.
PAGES 6 ET 7 :
PAGE 22 :
Ces deux gauches américaines qui s’ignorent, par RICK FANTASIA.
Dans la fabrique du mouvement social, par FRANÇOIS RUFFIN.
– L’occasion gâchée du président Obama, par ERIC KLINENBERG ET
JEFF MANZA. PAGE 23 :
PAGES 8 ET 9 : Les apprentis sorciers de la retraite à points, par HENRI STERDYNIAK.
Au Rwanda comme au Burundi, l’argument ethnique ne fait plus PAGES 24 ET 25 :
recette, par C OLETTE B RAECKMAN . – L’Union européenne, juge LES LIVRES DU MOIS : « Le Sang et la Mer », de Gary Victor, par
électoral, par VINCENT MUNIÉ. CHRISTOPHE WARGNY. – « La Géométrie des variables », de
PAGES 10 ET 11 : Mamadou Mahmoud N’Dongo, par MARIE-JOËLLE RUPP. – Une guerre
civile oubliée, par ALAIN GRESH. – Conséquences de Tchernobyl, par
Urbanisme, une autre bataille d’Alger, par A LLAN POPELARD ET ALISON KATZ. – « Logicomix », par OLIVIER PIRONET.
PAUL VANNIER. – La bibliothèque et la mosquée (A. P. ET P. V.).
PAGE 26 :
PAGE 12 :
Rossellini éducateur, par BERNARD EISENSCHITZ. – Etre femme en
Junte birmane cherche habits civils, par RENAUD EGRETEAU. Chine…, par LAURENT BALLOUHEY.
PAGE 13 : PAGE 27
Qui expertisera les scientifiques ?, par JACQUES TESTART. – Le faux Les élites sacrifient la langue française, par GASTON PELLET.
nez de la biodiversité, par AGNÈS SINAÏ.
PAGES 14 ET 15 :
Supplément Wallonie, pages I à IV.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX Fascination pour les pôles, par GILLES LAPOUGE.
www.monde-diplomatique.fr/boutique/atlashistoire Le Monde diplomatique du mois de novembre 2010 a été tiré à 218 956 exemplaires.
A ce numéro sont joints trois encarts, destinés aux abonnés :
www.monde-diplomatique.fr « Dons : Presse et pluralisme », « Hors-série bande dessinée » et « Britannica ».

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