( Ecoutez
voir) parJean-Claude
Guitlebaud
L'embarras
desPères
Noël
Lavraiegénérosité
n'estpassi facileà pratiquer.
Jt I os politiciens, déjà en campagne
| \ pour les régionalesde mars pro-
chain,ont commencédejouer les Pères
NoëI. En ce début décembre,radios et
télévisions commencent elles aussi à
mouliner les sempiternellesréférences
à NoëI.Mon beausapin et tutti quanti.. .
Signalonsquhu Québec,une polémique
se rallume rituellement à I'approchede
NoëI.Les défenseursradicaux de la lai'-
cité s'irritent de voir deSsapins illumi-
nés encombrer les rues de Montréal et
des PèresNoël déambuler sur les trot-
toirs, prospectus à la main. Cette sym-
bolique chrétienne,disent-
ils, serait incompatibleavec
la laïcité. La belle affaire !
En réalité, I'origine pre-
mière de Noël est bien an-
térieure au christianisme,
Iequels'estcoulé dansune
tradition très ancienne.
Cette fête - dont il existe
l'équivalentdanstoutesles
cultures -visait à célébrer
Ie solstice d'hiver, c'est-à-
dire Ia fin des < jours an-
goisseu,r période de I'an-
",
née qui voit la durée des
jours et de I'ensoleille-
ment diminuer. Quant au
Père NoëI, son origine est
paiermeet sa sigrification
procède d'une étonnante
sagacitéanthropologique.
[,aquestionsociétalequece
personnagebarbu permet
de résoudre est celle du don, du cadeau,
de I'échangegratuit entre les hommes.
Une question plus diffcile qu'on ne le
croit. C'est un sociologuequébécois,
justement, JacquesGodbout,qui déve-
loppe cette idée.
f aire cadeau,c'estaussiprendrebarre
I sur celui qui reçoit, c'estfaire de lui
un obligé qui se sentiratenu de rendre
un cadeau équivalent. Il sera piégé si
I'on peut dire par ce principe de réci-
procité qui, seul, lui évitera de se sen-
tir dominé par le généreuxdonateur.Il
existe doncdanslapratique du don une
forme très subtile de violence symbo-
Iique ou de domination. Certaines so-
ciétés comme le Japon sont tellement
conscientesde cela que les règlesde
politesse visent à y calculer minutieu-
sement léquivalence entre ce qui est
reçu et rendu, en tenant compte des
rapports hiérarchiques. En outre, la
politesse exige qubn ne fassejamais
un cadeaud'une valeur telle que celui
qui le reçoit, moins fortuné, se trouve-
rait dans I'impossibilité de rendre. La
waie générosité,en somme, n'est pas
si facile à pratiquer...
Toutes ces règles, toutes ces codifca-
tions ont pour but d'éviter ces humi-
liations relationnelles, torgours dan-
gereusespour la société puisqu'elles
peuvent faire resurgir la
violence. Or il faut bien
comprendre que cette sy-
métrie ambiguëdu don et
du contre-dons'appliqueà
I'intérieur desfamilles.En
comblant Ieurs enfants de
cadeaux, les parents ris-
quent d'enchaîner tacite-
ment leur progéniture à
ce qu'on pourrait appeler
I'obligation de gratitude.
Llombre$açanted'unetelle
contrainte psychologique,
même si elle n'estjamais
formulée,planesur les rela-
tions familiales et vient gâ-
ter quelquepeu I'absoludé-
sintéressementde I'amour.
f'est là qu'intervient Ie
tr- PèreNoëI. Sa fonction
consiste à détourner vers
un personnageévanescent,
inaccessible,mystérieux la nécessaire I
reconnaissance desenfants.Pour peu I
que ces derniers croient au Père NoëI,
Ies cadeauxreçus ne viennent pas des I
parents mais d'un ailleurs indéfinis- I
sable.Ils pourront ainsi ouvrir leurs
paquetsen toute innocence,si lbn peut
dire. Quant à la générositédes parents,
elle garderasa noblessepuisqu elle de-
meureraclandestine,ou du moins fera i
mine de l'être. De façon saisissante,le
problème de nos hommes politiques
en campagneest exactement inverse. r
Il s'agira pour eux, non point d'obéir
à la pudeur du don clandestin, mais à
I'impudeurincontinentedu don promis,
re-promis et jamais honoré.
Achacun sesPèresNoëI. rJrcLG-
Lesmots d'Alain
< j'ai particulièrement apprécié votre
chronique I Ecoutez wir" parlean-Claude
Cuillebaudl intitutéefort bien"Lapitié
assasine" dans[e"TétéObs"
Z0 novembre.
du '14au
r<Unedevosphnsespointealrecpertinence
unconstatquotidien: "Nouspleurons très
bruyamment, maisdemanièreimprécise,
alorsmêmequenousnesaluons plusnotre
roisindepalier."
< [...]Alainéoivaitit y a exactement cent
ans:'l[ y a unebontéquiassombrit [avie,
unebontéguiesttristesse, quet'onappette
communément pitié,et quiestun desfléaux
humainrll hut roircommentunefemme
sensible parteà un hommeamaigriet qui
pase pourtuberculeux Leægardmouillé,le
sonde la voilçlesôoses qu'onlui dit, tout
condamneclairementcepauvrehomme.
Maisit nes'initepoint;itsupportetepitié
d'autruicommeilsupportesamaladie. G fut
toujoursainsi.[...lJetuis ceneéloguence de
crogue-mort. ll fautprêcher surla vie,nonsur
la mort;répandre I'espoiç nonla crainteiet
cultiverencommunlajoie,rnaitrÉor humain.
C'est[e secretdesgandssaçs, et ceserala
tumièrededemain.Lespassions sonttnste5.
Lahaineesttriste.Lajoie tuen tespasionset
la haine.Maiscommençons pai nousdireque
la tristessen'estjamaisni noblgni belle,ni
utile.'Propos du 5 octobre1909.>
r lrédérkBamnr
Lscornmoesucnus
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