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Les règles fiscales d’acquisition de

contrôle d’une société – guide du


gestionnaire

Par Nicole Prieur

Cahier de recherche no 06-04


Mars 2006

Copyright © 2006, HEC Montréal, Montréal.


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Les règles fiscales d’acquisition de contrôle d’une société – guide du gestionnaire

Introduction

Les actionnaires sont propriétaires d’un bien1 auquel se rattache le pouvoir


d’élire les administrateurs siégeant au conseil d’administration. Ils représentent
ainsi l’autorité suprême sur les affaires et sur la destinée de la société et par le fait
même, en détiennent le contrôle. Ce pouvoir peut s’exercer de façon individuelle ou en
groupe et peut également découler d’une entente particulière nommée « convention
unanime d’actionnaires »2. Dans les situations où ce pouvoir sur la société change de
camp, le caractère fiscal de ses transactions sera teinté différemment. Il est donc
impératif que le gestionnaire soit à même d’identifier et de reconnaître tout d’abord, qu’il
y a eu une réelle « acquisition » du contrôle de la société - par opposition à un simple
« changement »- puis, d’en connaître les nombreuses incidences fiscales. Il pourra
ainsi mettre en place les stratégies nécessaires afin d’utiliser à bon escient les attributs
fiscaux de la société dont il cherche à acquérir les actions ou à se départir. Le présent
texte ne prétend pas être exhaustif. Il se veut plutôt un guide pratique permettant au
gestionnaire d’identifier les conséquences de l’acquisition de contrôle d’une société et
lui fournir quelques éléments de planification à proposer en cette circonstance.

L’acquisition de contrôle

Les règles fiscales dont il sera fait état plus après, s’enclenchent lorsqu’il y a
« acquisition » et non uniquement « changement » au contrôle d’une société. Il faut
donc, avant de pouvoir conclure à ce sujet, connaître quel sens les tribunaux canadiens
accordent à la notion de « contrôle ».
Le contrôle de jure (contrôle de droit)

Tel qu’il a été mentionné précédemment, les tribunaux ont depuis longtemps
convenu que le contrôle d’une société est celui qui découle de la détention d’un nombre
suffisant d’actions votantes3, lequel permet d’élire la majorité des administrateurs au
conseil d’administration. Le contrôle appartient donc à ceux qui ont un pouvoir sur les
« affaires » de la société. Par exemple, un actionnaire détenant 60% des actions
votantes d’une société en a le contrôle, puisqu’il est en mesure d’orienter sa destinée.

Cependant, pour établir où se situe le contrôle effectif et réel sur une société, la
Cour suprême du Canada a précisé en 1998, qu’il était important de s’assurer que de
tels pouvoirs ne soient pas déplacés par une disposition des statuts constitutifs qui
gouvernent les affaires de la société. Conséquemment, les documents d’incorporation,
le registre des actionnaires ainsi que la convention unanime d’actionnaires devront
également être examinés afin de déterminer quelle personne ou groupe de personnes
détient le contrôle sur les affaires de la société visée. Reprenons l’exemple de
1
Les actions votantes.
2
Une telle convention retire des pouvoirs aux administrateurs afin de les octroyer aux actionnaires. Certaines
provinces conviennent qu’une telle convention a le statut de « document constitutif » et c’est pourquoi il faut la
considérer dans l’établissement du contrôle.
3
Plus de 50%.

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l’actionnaire qui, tout en détenant 60% des actions, est partie à une convention
unanime d’actionnaires, laquelle prévoit que son co-actionnaire (celui qui détient 40%
des actions votantes de la société) peut en tout temps et à sa guise, procéder à
l’élection de la majorité des administrateurs siégeant au conseil d’administration de la
société. Dans un tel cas, l’actionnaire minoritaire détiendrait à lui seul le contrôle de la
société, puisqu’un document constitutif lui accorderait un pouvoir équivalent à celui de
détenir la majorité des actions votantes de la société.

Ce type de contrôle s’appelle indifféremment le « contrôle de jure » ou le


« contrôle de droit » et ce n’est uniquement qu’à compter du moment où ce type de
contrôle sera acquis par une nouvelle personne ou un nouveau groupe de personnes
que les règles fiscales portant sur l’acquisition de contrôle s’enclencheront.

Acquisition ou changement de contrôle?

La notion de contrôle de jure ayant été élaborée, il s’agit maintenant d’établir les
circonstances au cours desquelles une personne ou un groupe de personnes acquiert
le contrôle de jure d’une société. Pour ce faire, il faut donc simplement comparer les
situations « AVANT » et « APRÈS » l’événement, lequel est fréquemment une
transaction qui porte sur les actions de la société. Vous remarquerez qu’il n’est pas
pertinent d’identifier que le contrôle de jure de la société en question a été « perdu »,
puisque les règles fiscales ne s’appliqueront qu’au moment de l’acquisition de contrôle
et non de la perte de celui-ci.

Prenons tout d’abord l’exemple suivant : X dispose de la totalité des actions qu’il
possède dans la société A, en faveur de Y :

Avant Après

X Y
100% 100%
A A

Dans cette situation, le contrôle de droit de la société A a été acquis par Y :


APRÈS l’acquisition des actions, il contrôle de jure la société A tandis qu’il ne la
contrôlait pas ainsi AVANT. Dans cet exemple, une seule personne a acquis le contrôle
de jure de la société A, soit Y.

Qu’en serait-il si X disposait plutôt de la totalité des actions qu’il détient dans la
société A en faveur de trois différentes personnes : U, V et W?

Avant Après

X U V W
100% 1/3 chacun
A A

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Aucun de U, V ou W à lui seul, ne contrôlerait de jure la société A APRÈS


l’acquisition des actions. Ce pourrait donc être le cas ici d’un « changement » de
contrôle, sans qu’il n’y ait « acquisition » de contrôle. Ajoutons que, conformément au
jugement de la Cour suprême rendu en 1998, il faudrait également consulter les
documents constitutifs avant de conclure de façon définitive.

Par ailleurs, les tribunaux ont convenu qu’il était très possible qu’une société soit
contrôlée de jure par un « groupe » d’actionnaires. En revanche, ils ont précisé que
pour former un tel groupe de contrôle de jure, il faut obligatoirement que les détenteurs
d’actions votantes de la même société aient entre eux des liens, qu’ils agissent de
concert et que leurs agissements prouvent qu’ils forment réellement un groupe de
contrôle sur les affaires et la destinée de la société. Par exemple, vingt actionnaires
détenant chacun 5% des actions votantes d’une société ne forment pas
automatiquement un groupe de contrôle de jure. Cependant, si onze de ces vingt
personnes ont entre elles des liens familiaux ou financiers très étroits ou qu’ils agissent
de manière concertée afin d’exercer leur droit de vote, ce groupe d’onze actionnaires
pourrait exercer un contrôle de jure sur la société. Dans l’exemple ci haut, s’il pouvait
être établi que les actionnaires U et V1 ont de tels liens, ils formeraient un groupe qui
aurait acquis le contrôle de jure de la société A puisqu’ils en détiendraient ensemble 66
2/3 %. Auparavant, ce groupe ne contrôlait pas la société A.

Dans les situations où un actionnaire ou groupe d’actionnaires acquiert le


contrôle de jure d’une société particulière il acquiert « indirectement » le contrôle de jure
des sociétés, elles-mêmes sous le contrôle de jure de la société particulière. En voici
un exemple :

1
Ou toute autre combinaison dont le résultat excéderait 50% des votes.

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Contrôle direct Contrôle indirect

M.A M.A
100% 100%
A A

X 40% 60%

Monsieur A détient directement 100% de la société A Monsieur A contrôle indirectement 60% de la société B
Monsieur A en possède le contrôle de droit Monsieur A possède le contrôle de jure des deux sociétés

Dans le second cas, si M. A disposait de la totalité des actions qu’il détient dans
la société A, tant la société A que la société B seraient assujetties aux règles fiscales
portant sur l’acquisition de contrôle puisque le nouvel actionnaire aurait « acquis » à la
fois, le contrôle de jure des deux sociétés visées.

Les mesures d’exception

Des exceptions d’application sont généralement prévues lorsque la transmission


du contrôle de jure s’effectue entre personnes liées. De cette façon, les transmissions
« inter générationnelles » des actions d’une société seront habituellement permises
sans que ne soient déclenchées les règles fiscales. Reprenons l’exemple présenté ci
haut, pour conclure que si X était le père ou le frère de Y, les règles d’acquisition du
contrôle ne s’appliqueraient pas, puisque les deux parties seraient liées par les liens du
sang. De semblables mesures d’exception s’appliquent au transfert entre des sociétés
qui, par exemple, sont contrôlées par la même personne ou le même groupe de
personnes.

Les règles fiscales applicables lors de l’acquisition du contrôle de jure

Les règles fiscales portant sur l’acquisition de contrôle visent à restreindre le


droit pour l’acquéreur, à l’utilisation des attributs fiscaux1 de la société acquise. Par
exemple, présumons qu’un acquéreur paie un dollar pour toutes les actions d’une
société qui a récemment cessé d’exploiter son entreprise. Elle présente un solde de
pertes d’entreprises à reporter qui s’élève au montant de 500 000 $. Si les règles dont
il est question ici n’existaient pas, l’acquéreur pourrait par la suite y débuter
l’exploitation d’une nouvelle entreprise lucrative en y transférant les actifs nécessaires2.
Le revenu net qui en découlerait jusqu’à concurrence de 500 000 $, serait épongé par

1
Par exemple, les pertes ou crédits d’impôts non utilisés, les pertes latentes sur les biens de la société, etc.
2
Plusieurs autres avenues, telles la fusion, la liquidation, le transfert de revenus etc. s’offrent à un contribuable qui
désire bénéficier des pertes réalisées par un autre contribuable. À des fins de simplification, nous utiliserons ici le
transfert d’actifs par roulement fiscal.

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les pertes réalisées antérieurement à l’acquisition du contrôle et réduirait en


conséquence la facture fiscale de l’acquéreur. Les règles portant sur l’acquisition de
contrôle feront en sorte de limiter ce droit aux pertes. Nous analyserons ces mesures
de restrictions prévues par la Loi et élaborerons des éléments de planification, en
utilisant la situation fictive suivante :

Madame Dispose, résidente du Canada, détient présentement 100 % des actions de la


société Akiz dont la fin d’exercice financier est le 31 août. Elle se propose de les
vendre le 15 septembre 2005, en faveur d’une société canadienne qui a pour unique
mission la fabrication de lavabos de porcelaine, ultérieurement vendus à des grossistes.
Vous êtes le gestionnaire de l’acquéreur potentiel et à ce titre, elle vous demande de lui
faire connaître la meilleure stratégie d’acquisition, le cas échéant. Au 31 août 2005, la
société Akiz détenait les actifs suivants (coût fiscal et juste valeur marchande (JVM)) :

LISTE DES ACTIFS


Société Akiz
31 août 2005
COÛT JVM

Débiteurs clients 1 800 000 $ 1 800 000 $


Moins: Provision pour mauvaises créances (40 000) (40 000)
1 760 000 1 760 000
Stocks 445 000 415 000
Placement - Participation de 7,8% 3 000 5 000
Immobilisations corporelles (Note 1) 1 150 000 967 000
Actifs incorporels
Brevets et liste de clients 50 000 10 000

3 408 000 $ 3 157 000 $

(Note 1) Immobilisations corporelles

COÛT JVM FNACC

Terrain de l'usine 25 000 $ 52 000 $ - $


Usine 600 000 610 000 430 000 $
Moules et gabarits 100 000 30 000 -$
Équipement de fabrication 300 000 200 000 -$
Équipement informatique 50 000 50 000 50 000 $
Véhicules 75 000 25 000 30 000 $

1 150 000 $ 967 000 $

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Pertes à reporter au 31 août 2005

Perte en capital nette 175 000 $ réalisée en 2003

Pertes autres qu'en capital 330 000 $ réalisées en 2004


(entreprise seulement) 122 000 $ réalisées en 2005

Domaine d’activités et nature des opérations

La société Akiz œuvre dans le domaine de la plomberie. Elle offre des


services de réparations, lesquels consistent quelquefois à fournir du matériel tels de la
tuyauterie, des lavabos etc...

Élaboration d’un plan d’acquisition basé sur les faits

Vous savez très bien qu’un travail fiscal de fonds devra être opéré par un spécialiste.
Néanmoins, vous avez à élaborer la stratégie d’acquisition, laquelle comprend une
planification fiscale adéquate. Vous avez été informé à l’effet que la raison pour
laquelle la société canadienne désire se porter acquéreur des actions de cette société
consiste en la possibilité d’utiliser les « pertes en capital nettes » ainsi que les « pertes
autres qu’en capital » de la société Akiz qui restent là, dormantes. L’objectif sera-t-il
atteint par cette acquisition?

Étape numéro 1 :

Vous déterminez qu’il y aura effectivement acquisition du contrôle de jure


de la société Akiz par la société canadienne au moment de l’acquisition des
actions :la société canadienne ne détenait pas le contrôle de jure de la
société Akiz immédiatement avant et le détiendra immédiatement après.

Étape numéro 2 :

Puisqu’il y a acquisition du contrôle de jure, il y aura donc application, pour la


société Akiz, des règles fiscales y afférent.

Étape numéro 3 :

Rappel de certaines notions fiscales essentielles à la résolution d’un problème


de ce genre :

Année d’imposition d’une société : La période (qui a généralement douze mois) où


s’arrêtent les comptes d’une société en vue de l’établissement d’une cotisation fiscale.
Une fois établie, l’année d’imposition d’une société ne peut plus être modifiée, sous
réserve de l’obtention de l’assentiment du ministre. L’année d’imposition de la société
Akiz qui se termine au 31 août 2005, couvre la période du 1er septembre 2004 au 31
août 2005 : il s’agit de son année d’imposition 2005 parce qu’elle se termine dans

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l’année civile 2005. Par ailleurs, lorsque des évènements fiscaux particuliers se
produisent (par exemple, lors d’une acquisition de contrôle de droit), il est possible
qu’une société ait plus d’une année d’imposition qui se termine dans la même année
civile.

Pertes en capital nettes : La notion de gain et de perte en capital est en général, assez
connue : sommairement, il s’agit de la différence entre le prix de vente d’un bien de
capital1 et son coût fiscal. Lorsque le prix de vente est supérieur au coût fiscal, il en
découle un gain en capital et vice-versa. Dans les cas où un contribuable a, au cours
d’une année d’imposition, réalisé plus de perte en capital que de gain en capital à la
disposition de tels biens, il en découlera une perte nette dont 50% (la « perte en capital
nette »), pourra être reportée à l’encontre du revenu d’autres années d’imposition2, à la
condition que cette société ait réalisé un gain en capital imposable suffisant au cours de
cette année de report. Lorsqu’une société fait état d’un solde de « pertes en capital
nettes » non utilisé, il peut être présumé qu’elle n’a pas antérieurement réalisé
suffisamment de gain en capital imposable pour les éponger. Pour les utiliser, il faudrait
donc qu’elle réalise un tel gain dans le futur. Par exemple, la société Akiz devra, pour
pouvoir utiliser ses pertes en capital nettes, disposer de biens de capital qui lui feront
réaliser un gain en capital imposable de 175 000 $.

Pertes autres qu’en capital : Comme son nom l’indique, ce sont les pertes…autres que
celles réalisées sur des biens de capital. Ainsi, les pertes subies en conséquence de
l’exploitation de l’entreprise et les pertes de biens3 en sont les composantes principales.

Gains latents ou pertes latentes : Représentent les pertes ou les gains, selon le cas,
existants mais non encore réalisés, sur les biens de la société à acquérir. Par
exemple, les véhicules détenus par la société Akiz ont une valeur fiscale de 30 000 $
(FNACC) mais une valeur marchande de 25 000 $ (JVM). La perte n’est pas encore
réalisée parce que les biens eux-mêmes n’ont pas encore été disposés. Mais si la
société disposait effectivement de ces biens à la JVM, une perte surviendrait et
s’ajouterait aux autres pertes qui elles, sont réalisées. La même situation est
applicable aux actifs incorporels de la société Akiz..

Disposition : Vente réelle ou transaction présumée portant sur un bien. Dans le cas qui
nous concerne, elle permettrait à la société Akiz de réaliser aux fins fiscales à l’égard
de ses biens, un gain ou une perte qui, jusqu’à ce jour, était latent.

Hypothèse fiscale liée aux règles d’acquisition du contrôle d’une société : Les lois
fiscales reconnaissent et encouragent même la prise en charge d’une entreprise
déficitaire, lorsque le but de l’acquéreur est de continuer cette entreprise avec une

1
Un bien de capital exclut les stocks, lesquels produisent plutôt du revenu d’entreprise au moment de leur vente.
Un bien de capital est celui que l’on possède au titre d’investissement, mais duquel peut découler un revenu : un
immeuble locatif, une action de société etc.
2
À l’encontre de gain de même nature seulement, trois ans rétrospectivement et à l’infini prospectivement.
3
Ce résultat est atteint lorsque, par exemple, les revenus de location générés par un immeuble pour l’année sont
inférieurs au frais engagés et aux déductions autorisées à son égard pour cette même période.

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expectative raisonnable de profit, d’en assurer sa pérennité, de conserver les emplois,


etc. Les lois ne donnent cependant plus aucune caution lorsque la continuité de
l’entreprise n’est pas au programme de l’acquéreur et que seule l’utilisation des pertes
fiscales ou des autres attributs fiscaux est envisagée. Voilà pourquoi les règles fiscales
d’acquisition du contrôle ont été instaurées.

Étape numéro 4 : Application des règles

Ce texte ne fera état que des règles d’acquisition de contrôle qui sont les plus
susceptibles d’être nécessaires au bon travail stratégique d’un gestionnaire, soit : la fin
d’exercice financier présumée de la société acquise, l’utilisation des pertes en capital
nettes après le moment de l’acquisition de contrôle et finalement, l’utilisation des pertes
autres qu’en capital à la suite de ce même moment. Il s’agit donc de connaître ces
mesures fiscales, leurs effets et les éléments de planification qui sont offerts dans les
circonstances. Nous allons les appliquer à la situation de la société Akiz.

Fin d’exercice financier

Mesure : Afin de créer un moment « précis » où s’arrêtent les comptes de la société


acquise et d’y appliquer les règles fiscales pertinentes, la société dont le contrôle a été
acquis aura une année d’imposition qui se terminera à 0 :00 heure de la journée de
l’acquisition du contrôle1. Il est important de préciser que cette mesure s’appliquera
même si la société acquise n’a aucun attribut fiscal. L’acquisition du contrôle de la
société Akiz ayant lieu le 15 septembre, sa fin d’exercice s’établira au 14 septembre
2005 à minuit.

Effets :

♦ Production d’états financiers et de déclaration de revenus pour une période inférieure


à l’exercice habituel de douze mois2. Une année d’imposition écourtée peut avoir une
incidence sur le nombre d’années d’imposition au cours desquelles les pertes
accumulées peuvent être reportées.3 La société Akiz devra donc produire des états
financiers et une déclaration de revenus pour l’année d’imposition couvrant la période du
1er au 14 septembre 2005, en plus de celle habituelle établie au 31 août 2005.

♦ Possibilité de choisir la fin de sa prochaine année d’imposition, en autant qu’elle se


termine dans les 53 semaines suivant ce moment. La société Akiz pourra ainsi choisir
à son gré, que la fin de sa prochaine année d’imposition s’établisse à n’importe quelle
date, en autant qu’elle se situe entre le 15 septembre 2005 et le 21 septembre 2006.
Par la suite, cette date ne pourra généralement plus être modifiée.

1
Il existe un choix qui permettrait de réaliser l’acquisition de contrôle à un autre moment de cette journée.
2
Une exception est toutefois prévue pour le cas où l’acquisition de contrôle a lieu dans les sept jours suivant la fin
d’exercice habituelle.
3
Une perte autre qu’en capital peut normalement être reportée sur sept années d’imposition futures (la période est de
dix années d’imposition pour les pertes autres qu’en capital subies après le 22 mars 2004)

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Planification :

♦ Choisir le moment idéal pour procéder à l’acquisition des actions de manière à éviter
qu’une telle année d’imposition écourtée ne se produise. Afin de réduire les contraintes
administratives de la société Akiz, la société canadienne aurait donc intérêt à acquérir
les actions le 1er septembre ou dans la période de sept jours qui suit cette date. Ainsi,
une seule série d’états financiers et de déclaration de revenus ne seraient à produire
pour l’année d’imposition 2005. De plus, le nombre d’années d’imposition pour reporter
les pertes accumulées ne sera pas réduit, ce qui est avantageux pour l’acquéreur, le
cas échéant.

♦ Choisir que la société Akiz ait une fin d’année d’imposition future qui coïnciderait avec
celle de l’acquéreur ou d’autres membres du groupe corporatif dont l’acquéreur fait
partie, afin de réduire les coûts administratifs généraux et permettre une meilleure
planification fiscale des membres du groupe.

Utilisation des pertes en capital nettes (PCN)

Puisque la société Akiz a réalisé, au cours de l’année d’imposition 2003, une


PCN au montant de 175 000 $ et qu’elle n’a pas pu la reporter aux années antérieures,
il lui faudrait, pour l’utiliser, réaliser un gain en capital imposable d’au moins 175 000 $.
Selon les données du cas on constate qu’il est de l’intention de l’acquéreur de réaliser
un tel gain dans la société Akiz1 afin d’utiliser les PCN dormantes.

Mesure : Afin d’empêcher que des sociétés soient acquises en vue de faire bénéficier
l’acquéreur des PCN non utilisées ainsi que des pertes latentes sur ses biens en
capital, la règle fiscale indique simplement que ces pertes seront entièrement perdues
par suite de l’acquisition de contrôle.

Effet: Les PCN et les pertes latentes potentielles sur les biens de la société Akiz sont
entièrement perdues et ne pourront pas être utilisées par l’acquéreur après l’acquisition
de contrôle.

Planification : Choix par la société Akiz de réaliser, avant le moment de l’acquisition de


son contrôle, le gain latent sur ses biens de capital. Pour le réaliser, il lui suffit de
procéder à une disposition présumée de biens spécifiques. L’avantage consiste en
l’utilisation des PCN qui, de toute manière seront perdues après l’acquisition de
contrôle, et en l’augmentation de la base fiscale de ces biens jusqu’à concurrence de la
JVM. Par exemple, nous constatons que la société Akiz détient un placement ainsi
qu’un terrain et une usine dont la JVM est supérieure au coût. Elle pourrait donc choisir
de réaliser un gain en capital tel que l’indique le tableau ci après :

1
En y transférant par roulement fiscal par exemple, un bien sur lequel il y existe un gain latent, puis de
procéder ultérieurement à sa disposition afin de le réaliser.

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(A) (B) (C) (D)


Bien JVM Coût fiscal Gain en Coût fiscal
actuel capital postérieur
(A-B) (B+C)
Placement 5 000 $ 3 000 $ 2 000 $ 5 000 $
Terrain 52 000 $ 25 000 $ 27 000 $ 52 000 $
Usine 610 000 $ 600 000 $ 10 000 $ 610 000 $

Conséquemment, la société acquéreuse bénéficiera de la hausse du coût fiscal


des biens de la société Akiz qui se trouveront dorénavant sous son contrôle. Si
quelques mois après l’acquisition de son contrôle, la société Akiz devait vendre son
placement pour une somme de 6 000 $, elle ne réaliserait qu’un gain de capital de
1 000 $ puisque son coût fiscal aurait maintenant été haussé à un montant de 5 000 $.

Utilisation des pertes autres qu’en capital (PAC)

En cette matière, le gestionnaire a un rôle prépondérant à jouer dans le choix


des sociétés à acquérir. C’est à ce niveau que l’analyse fiscale deviendra plus
appréciable, puisque les conditions d’admissibilité se multiplient. Comme il a été dit
précédemment, les lois fiscales encouragent volontiers la remise sur pied d’une
entreprise déficitaire, mais condamnent la simple utilisation des pertes, laquelle serait
suivie par l’abandon de l’entreprise ayant donné lieu à ces dites pertes.

Mesure : Afin d’empêcher que le contrôle d’une société soit acquis dans le but de faire
bénéficier le nouvel acquéreur des PAC non utilisées ou des pertes latentes sur ses
biens amortissables et ses biens d’entreprise, la règle fiscale indique qu’elles seront
entièrement perdues par suite de l’acquisition de son contrôle, sauf dans les
circonstances suivantes :

1. Les PAC ne pourront être utilisées après le moment de l’acquisition du


contrôle, que si elles résultent de l’exploitation d’une entreprise. Cela signifie
que la partie des PAC qui est constituée des pertes de biens ou d’autres
types de pertes, demeurera à jamais perdue. Cependant, celle résultant de
l’exploitation d’une entreprise pourra survivre.

2. Tout au long de l’année où l’on voudra utiliser les PAC admissibles (celles
résultant de l’exploitation d’une entreprise), cette entreprise devra continuer à
être exploitée en vue d’en tirer un profit ou avec une attente raisonnable de
profit. Pour rencontrer cette condition et pour pouvoir déduire les PAC dans
une année d’imposition ultérieure à l’acquisition du contrôle, il ne sera pas
permis d’abandonner ou de rendre négligeable l’exploitation de l’entreprise
qui est à l’origine de ces PAC.

3. Les PAC admissibles ne pourront être déduites dans le futur, que jusqu’à
concurrence des revenus générés par cette même entreprise; sinon, il sera

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permis d’utiliser les PAC à l’encontre du revenu généré par une autre
entreprise, en autant que, à l’égard de cette autre entreprise, 90% et plus1
des revenus soient dérivés de la vente, de la location ou de la mise en valeur
de biens semblables ou de la prestation de services semblables.

Effets : Selon les données fournies, les PAC de la société Akiz proviennent uniquement
de pertes d’entreprise; elles devraient donc, relativement à la première condition
énoncée ci-haut, pouvoir être utilisées par la société Akiz même lorsqu’elle sera sous le
contrôle de jure de la société canadienne. L’objectif de l’acquéreur serait atteint à ce
niveau.

Néanmoins, pour pouvoir éventuellement appliquer les PAC admissibles à


l’encontre de son revenu conformément à la deuxième condition exposée, la société
Akiz devra continuer l’exploitation de la même entreprise, celle relative aux services de
plomberie. Nous savons que l’entreprise rentable exploitée par l’acquéreur était la
fabrication de lavabos. Prenons pour hypothèse qu’à la suite de l’acquisition de
contrôle, l’acquéreur transfert en faveur de la société Akiz, les biens utilisés
antérieurement dans son entreprise de fabrication de lavabos. Akiz y commence dès
lors l’exploitation rentable de l’entreprise. Pour connaître si le mixte de ces nouvelles
activités au sein de la société Akiz constituera l’exploitation de la « même entreprise »,
l’Agence du Revenu du Canada (ARC) propose2 de s’attarder généralement aux
facteurs comparatifs suivants : l’emplacement de l’entreprise, sa nature, son nom, la
nature des biens générateurs de revenus, ses périodes d’inactivité, et l’affectation des
ressources financières. Dans le cas qui nous concerne et malgré le fait que des lavabos
puissent en quelques rares occasions être fournis dans le cadre d’un service de
plomberie, la nature des entreprises exploitées (fabrication versus services), les biens
générateurs de revenus (machinerie de fabrication versus outillage léger) et l’affectation
des ressources financières (équipement lourd versus formation de personnel
compétent) nous portent à conclure à l’exploitation de deux entreprises distinctes.
Ainsi, pour bénéficier de la déduction des PAC réalisées avant l’acquisition du contrôle,
la société Akiz devra continuer à exploiter concurremment et avec une attente
raisonnable de profit, l’entreprise de services de plomberie.

En présumant que l’acquéreur se propose effectivement de continuer à exploiter


l’entreprise de services de plomberie avec une attente raisonnable de profit, les PAC ne
pourront, conformément à la troisième condition citée, être utilisées que jusqu’à
concurrence des profits générés par l’exploitation de cette entreprise. Prenons
l’exemple suivant : dans l’année d’imposition suivant celle de l’acquisition de contrôle, la
société Akiz a exploitée avec une attente raisonnable de profit toutes ses entreprises.
Elle fait état des résultats suivants :

1
La loi utilise le terme « la totalité ou presque ». Cette expression signifie généralement 90% et plus.
2
AGENCE DU REVENU DU CANADA, Bulletin d’interprétation IT302R3 « Pertes d'une corporation — Effet
des prises de contrôle, des fusions et des liquidations sur leur déductibilité — Après le 15 janvier 1987 », le 28
février 1994, par. 14. Les bulletins d’interprétation de l’ARC sont disponibles gratuitement à l’adresse suivante :
http://www.cra-arc.gc.ca/F/pub/tp/it302r3/LISEZ-MOI.html

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Les règles fiscales d’acquisition de contrôle d’une société – guide du gestionnaire

Situation 1 Situation 2
Revenus nets découlant 100 000 $ 45 000 $
de l’entreprise de
fabrication de lavabos
Revenus nets (pertes (30 000 $) 25 000 $
nettes) découlant de
l’entreprise de services
de plomberie
Total du revenu 70 000 $ 70 000 $
d’entreprise réalisé par la
la société Akiz

Dans les deux situations exposées, la société Akiz réalisera un revenu


d’entreprise de 70 000 $. Cependant, dans la situation 1, il lui sera impossible d’utiliser
les PAC réalisées avant l’acquisition du contrôle, puisque aucun profit n’est généré par
l’entreprise de services de plomberie. Contrairement, dans la situation 2, des PAC d’un
maximum de 25 000 $ pourront être appliquées afin de réduire le revenu imposable de
la société Akiz à la condition que cette entreprise de service de plomberie ait été
exploitée « tout au long de l’année d’imposition » en cause.

Ayant convenu que les services de plomberie et la fabrication de lavabos ne


constituent pas l’exploitation de la même entreprise, pourrions-nous alléguer que la
presque totalité des revenus en provenance de l’entreprise de fabrication de lavabos
découlent de la vente ou de la prestation de services semblables à celle qui a donné
lieu aux pertes? Cette allégation ne pourra évidemment pas être soutenue puisqu’un
service (de plomberie) ne peut en aucun cas être comparé à un bien (fabrication de
lavabos pour fins de revente). Dans les situations présentées, il sera donc impossible
d’utiliser jusqu’à concurrence du revenu total de 70 000 $, les PAC cumulées avant
l’acquisition du contrôle.

Planification :
Pour que la société Akiz puisse utiliser les PAC et les pertes latentes générées
par l’entreprise de service de plomberie au-delà du moment de l’acquisition du contrôle,
il faudrait pouvoir affirmer que l’ensemble des activités « services de plomberie et
fabrication de lavabos » constitue une seule et même entreprise. Cela pourrait être
argumenté dans les cas où, par exemple, la fabrication de lavabos est entièrement
destinée à l’accomplissement des services de plomberie. Les lavabos perdraient ainsi
leur identité au moment où ils seraient incorporés dans l’entreprise de service de
plomberie. Seule l’entreprise de service de plomberie continuerait d’exister.
Évidemment, cela demeurera toujours une question de faits.

La solution la plus simple serait, bien entendu, de recommander à la société


canadienne de procéder plutôt à l’acquisition d’une société à pertes dans laquelle il sera
possible d’exploiter, avec une attente raisonnable de profit, la « même entreprise » que
la leur.

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Les règles fiscales d’acquisition de contrôle d’une société – guide du gestionnaire

Les attributs fiscaux visés par la mesure

Bien que le tableau suivant ne soit pas exhaustif, il présente sous forme
synoptique, les situations de restrictions fiscales les plus courantes ayant lieu lors de
l’acquisition du contrôle d’une société. Le gestionnaire pourra donc s’y référer
avantageusement s’il désire connaître d’autres incidences fiscales liées à l’acquisition
du contrôle de jure d’une société. Le côté gauche du tableau représente les
évènements qui sont réputés se produire avant le moment de l’acquisition du contrôle,
tandis que le côté droit arbore les événements qui lui succèdent dans le temps.

Moment de l’acquisition de contrôle

Perte de bien1 réalisée mais non Aucun report possible


déduite antérieurement
®
Perte latente sur la valeur de tels
biens amortissables détenus
Aucun report possible Perte de bien réalisée
Perte d’entreprise réalisée mais non Report si exploitation de la même
déduite antérieurement ainsi que entreprise avec expectative de profit
certains crédits d’impôt et jusqu’à concurrence du revenu de
® cette entreprise ou de la vente de
Perte latente sur la valeur des biens biens semblables
d’entreprise1 détenus immédiatement
avant
Report si exploitation de la même Perte d’entreprise réalisée et
entreprise avec expectative de profit exploitée avec expectative de profit
et jusqu’à concurrence du revenu de ainsi que certains crédits d’impôt
cette entreprise ou de la vente de
biens semblables
Perte déductible au titre de Aucun report possible
placement d’entreprise réalisée mais
non déduite antérieurement
Perte en capital déductible réalisée Aucun report possible
mais non déduite antérieurement
®
Perte en capital déductible latente2
sur les biens autres qu’amortissables
détenus par la société3
Aucun report possible Perte en capital déductible
Dons de charité non déduits Aucun report possible

1
Une perte de bien est réalisée lorsque le dans une année d’imposition, les dépenses encourues pour détenir le bien
sont supérieures au revenu provenant du bien. Il pourrait s’agir d’une perte locative par exemple.

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Les règles fiscales d’acquisition de contrôle d’une société – guide du gestionnaire

À la lumière de ce tableau, il est assez clair que les règles fiscales cherchent
ouvertement à décourager l’acquisition du contrôle d’une société, à moins que la
continuité de l’entreprise ne soit envisagée.

Conclusion

Il est reconnu en matière fiscale et légale, que le conseil d’administration d’une


société constitue son instance ultime. Les actionnaires qui nomment les membres
siégeant au conseil d’administration d’une société en possèdent ainsi le contrôle de
jure.

Lorsque le contrôle de jure d’une société change de mains, il est normal que la
loi fiscale veille à ce que les attributs fiscaux ne soient pas indûment commercialisés ou
transférés au bénéfice de personnes qui n’y ont nullement contribué. Afin de prévoir
efficacement l’acquisition d’une société à pertes, il est primordial pour le gestionnaire
d’en connaître les incidences fiscales. Elles ont été décrites dans ce texte de manière à
ce que soient acquises les actions de cette société parfaite, celle qui permettra
d’atteindre les objectifs visés.

Ainsi, le gestionnaire qui saura reconnaître une acquisition de contrôle et qui


sera également informé de la possibilité que les pertes ou tout autre attribut fiscal de la
société acquise que l’on croyait disponibles ne puissent parfois être utilisées, agira avec
circonspection pour éviter les surprises qui se traduisent souvent en lourdes pertes
financières.

1
Pourrait comprendre les comptes débiteurs, les stocks, les immobilisations amortissables et ¾ de la perte sur des
biens intangibles.
2
Généralement lorsque la juste valeur marchande du bien est inférieure à son coût et que le bien n’a pas encore été
disposé.
3
Il est cependant possible de produire un choix permettant la disposition présumée et donc, la réalisation d’un gain
en capital si la société détient un tel bien immédiatement l’acquisition du contrôle. Il pourrait en découler de la
récupération d’amortissement.

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