Cette contribution au projet d'« Europe Ecologie » est le fruit d'une réflexion amorcée par
les Jeunes Verts dans le cadre d'une motion thématique puis d'un atelier organisé lors des journées
d'été du rassemblement des écologistes de Nantes - tous deux intitulés : « une autre politique des
drogues est possible ! ».
Suite au débat ayant clôt l'atelier en question, il avait été décidé de mettre sur pied un groupe de
travail pour poursuivre la réflexion, et enrichir la motion thématique votée par les Jeunes Verts de
nouveaux éléments qui avaient émergé de la discussion avec les intervenants et la salle, et qui nous
semblaient pertinents.
Nous tenons dès à présent à remercier toutes les personnes qui se sont associés à la démarche. Car
précisons-le dès à présent: si les Jeunes Verts sont les initiateurs de ce travail, ils ont reçu le
précieux concours de contributeurs extérieurs à l'organisation, dont les noms figurent à la fin de ce
document.
Comme le montre le très officiel Observatoire français des drogues et des toxicomanies, les
consommations de drogues n'ont cessé d'augmenter durant les dix dernières années. Le Français, et
surtout les jeunes, consomment toujours plus d'alcool, de tabac, d'antidépresseurs, de cocaïne et
d'héroïne. Seule exception : le cannabis, dont la consommation a un peu baissé au profit des
drogues plus « dures », mais qui reste plus consommé en France que dans tout autre pays européen.
On dénombre aujourd'hui près de 4 millions d’usagers de cannabis, dont 550 000 usagers
quotidiens. Ces chiffres montrent l'échec total des politiques répressives en matière de drogues et
appellent à un renversement de tendance pour une autre politique des drogues.
Plusieurs constats :
• Même interdite, la drogue est facilement accessible et les drogues dures (cocaïne, héroïne,
LSD...) sont plus accessibles et plus populaires parmi les jeunes qu'auparavant;
• La dépense publique liée à la consommation des drogues illicites s'élève à plus de 1000
millions d'euros par an;
• Ce coût n'est pas compensé puisqu'aucun impôt n'est prélevé sur la production et la vente
des drogues illicites;
• La baisse de la qualité des drogues, la précarité des utilisations et l'absence de tout contrôle,
induits par la pénalisation, ont fait exploser la mortalité liée à leur consommation.
Le dispositif mis en place pour lutter contre la consommation et la vente des drogues illicites est
impressionnant et coûteux. Le résultat de son action est nul voire négatif puisque le but recherché –
la baisse globale des consommations et arrêt des trafics -, n'est pas atteint, bien au contraire. Enfin,
la répression s'abat souvent sur les petits consommateurs et revendeurs sans empêcher le maintien et
le développement des réseaux mafieux. Les gros s'en sortent, les petits paient et le trafic continue.
Pour toutes ces raisons, une nouvelle politique de la drogue nous semble incontournable. Les
enjeux en sont multiples:
Avec la prohibition, l’usager de cannabis court en effet de nombreux dangers et subit de nombreux
dommages :
• Il consomme à l’aveugle. Le manque d’informations sur les effets et la force des produits ne
favorisent pas la maîtrise de la consommation, cela augmente les mauvais usages et les
accidents.
• Il n’a pas d’informations suffisantes sur la réduction des risques liés à l’usage : fumer les
produits sans les mélanger au tabac, ingérer la substance, utiliser un vaporiser, ne pas garder
la fumée longtemps dans les poumons, faire des pauses significatives et régulières, consulter
en cas d’usage chronique et intensif, etc.
• Il doit maintenir un contact direct ou indirect avec l’économie parallèle, il est donc bien plus
tenté de l’utiliser pour d’autres produits ou services que le reste de la population.
• Il finance contre son gré des organisations criminelles de différents niveaux, du dealer de
quartier aux mafias internationales. Les nuisances sont immédiates et très visibles dans les
cités contrôlées par les gangs. Les usagers les subissent mais répugnent à se couper des
fournisseurs, en plus de la peur des représailles. A plus haut niveau l’argent du cannabis
gangrène l’économie officielle et multiplie le risque de corruption.
• Il subit cette scène du cannabis parfois violente, surtout quand elle s’approche de celle de la
cocaïne.
• Car la répression se trompe en effet de cible. On estime que les interpellations pour
stupéfiants concernent dans 90% des cas les usagers de cannabis, c'est-à-dire des personnes
a qui il est souvent uniquement reproché un usage en tant que tel, et sans autre acte
délinquant (vol, violence ou conduite automobile par exemple relèvent d’autres statistiques).
• En plus de se tromper de cible, cette répression coûte extrêmement cher à l'Etat en termes de
moyens policiers, judiciaires et douaniers. Elle mobilise en effet des milliers de policiers et
de gendarmes, gèle des moyens très importants, coûte un temps précieux, encombre souvent
inutilement les Douanes, la Justice et la Pénitentiaire. On estime le coût moyen d’une
interpellation liée aux stupéfiants à 3300 euros, établissant le coût des seules interpellations
des 800 000 usagers de cannabis verbalisés pour la période 2002-2009, entre 2,7 et 6,2
milliards d'euros. Bien que ces chiffres soient à manier avec précaution, il n'empêche qu'une
politique de la drogue pacifiée permettrait de libérer de précieux moyens de sécurité, qui
pourraient être ré-affectés à d'autres types de missions de sécurité ou à d'autres types de
prévention en matière de politique de la drogue.
C'est par ces argument qu'il faut contrer les détracteurs des politiques de la drogue alternative, qui
font la plupart du temps à la dépénalisation, à la légalisation ou encore à la décriminalisation un
procès en irresponsabilité.
Nous savons que de telles positions (dépénalisation) font souvent peur et sont encore massivement
rejetées par l'opinion publique. Mais cela est surtout dû à un manque d'information et à une
mauvaise compréhension des débats. Dans leur recherche quasi-maladive de sécurité, beaucoup
oublient les vrais questions. Il semble donc que présenter la nécessaire majeure réorientation des
politiques de la drogue du point de vue de la sécurité, et non de la consommation récréative, soit
davantage porteur, car moins effrayant pour l'opinion publique. Il faut faire comprendre aux
français que sortir de la prohibition, c'est renforcer la sécurité sanitaire, sociale et
économique. Que maintenir la prohibition c’est plus de désordre. Et qu'adopter la régulation
c’est plus de sécurité.
DES PROPOSITIONS AMBITIEUSES ET PRAGMATIQUES
Europe Ecologie représente un espoir majeur pour l'écologie politique. Celui, à partir 2012,
de pouvoir mettre en oeuvre (vraisemblablement en partenariat avec les socialistes) son projet au
niveau national.
Dans cette optique, les Jeunes Verts estiment que le projet que nous préparons se doit d'être à la fois
ambitieux et pragmatique. Pragmatique car les solutions et les propositions que nous faisons
doivent être susceptibles d'être mises en oeuvre à relativement court terme (en l'espace d'un mandat,
et si possible amorcée rapidement au cours de ce mandat). Ambitieux car il serait dommage de
renoncer trop facilement par manque d'audace ou d'imagination aux idéaux que les Verts portent
depuis longtemps.
Ainsi par exemple, si les Jeunes Verts se prononcent à terme pour une légalisation du cannabis
– que nous considérons comme une question de principe – nous sommes également conscients
que cette légalisation, bien que réalisable, ne le serait pas facilement ni immédiatement, ce pourquoi
nous nous proposons plutôt dans cette contribution en faveur de la dépénalisation de l'usage,
avec tolérance de la détention et de l'auto-production, ou encore du cannabis thérapeutique.
Une des difficultés inhérentes à la réforme de la politique de la drogue est en effet l'existence
de conventions internationales assez contraignantes sur le sujet. Mais il ne faut pas perdre de vue
que l'argument des conventions internationales signées par la France est souvent brandi en dernier
recours par les conservateurs, mais qu'il n'est certainement pas incontournable.
• A plus court terme, des marges de manoeuvre nationales existent en effet par rapport à
ces conventions internationales, qui permettraient, en attendant l'évolution de la
législation internationale, d'amorcer la métamorphose tant attendue de la politique
française de la drogue. Ainsi, il est possible de choisir entre plusieurs stratégie, et la
politique consistant à concentrer les moyens humains et budgétaires sur la répression n'est
par exemple qu'une option qu'il s'agit d'écarter à l'avenir. De surcroit, il est possible
d'interpréter politiquement les conventions internationales en question, en choisissant par
exemple de décriminaliser l'usage des stupéfiants ou de tolérer une économie sociale du
cannabis qui serait réservée aux majeurs).
Dans le système que nous préconisons, la pénalisation serait en fait seulement maintenue – de
manière graduée et assortie de TIG concrets et formateurs pour les mineurs -, pour la culture
et l’importation à but commercial, la vente illicite surtout aux mineurs, et les comportements
à risques comme la conduite automobile. Concernant la conduite automobile, nous sommes de
surcroît favorables à un dispositif plus réaliste que la tolérance zéro. Le système actuel est trop
imprécis et pénalise longtemps après l’effet. Par exemple pourrait-on simplement interdire
l'utilisation d’automobile ou d’engin dangereux sous l’effet de substances stupéfiantes, avec
un seuil réaliste et un contrôle affiné, comme cela existe déjà pour l'alcool. Des tests de
réactivité de l'Iris pourraient par exemple être recourus lors des contrôles routiers.
Il convient également de sortir du débat stérile drogues douces ou dures. Il existe en effet
des usages durs de produits dits doux et inversement. Et il est difficile de classer des produits licites
mais dangereux comme l'alcool, le tabac ou certains médicaments. Focaliser le débat sur les
produits est une erreur. Le produit n'est pas le principal responsable de l'addiction, il peut
principalement augmenter le facteur risque et la morbidité en cas de mésusage ou d'abus, pas
entièrement déterminer un comportement dépendant. Sauf dans les cas d'automédications
comme le cannabis thérapeutique qui ne devraient pas relever de la loi mais d’une réglementation
sanitaire. C'est sur le comportement de l'usager face au risque aigu et chronique de mésusage et
d'abus qu'un travail efficace doit porter. Nous devons former les générations futures à vivre le
mieux possibles avec les drogues disponibles, comme c'était le cas dans de nombreuses cultures
anciennes : Amérindiens, Perses, Sibériens, tribus africaines.
Voilà pourquoi l'information scientifique et aussi par les pairs sur la composition ainsi que les effets
positifs et négatifs des produits narcotiques, psychostimulants et psychédéliques est indispensable.
L'interdit global et souvent sévère n'a pas endigué la propagation de l'expérimentation, l'usage, le
mésusage et l'abus de drogues illicites. Nous devons donc rétablir les usagers dans leur
citoyenneté et non plus les traiter sous le régime d'exception des terroristes. Ainsi nous
pourrons faciliter l'accès aux traitements de substitution, de sevrage ou d'accompagnement de
l'usage et faire mieux intégrer les messages de prévention et de Réduction des risques (RDR). Le
Portugal a choisi cette voie depuis presque dix ans, la consommation a baissé sous la moyenne
européenne, le nombre de traitement a progressé, les overdoses ont baissé, les infections virales
aussi.
La plupart des études concluant à une moindre dangerosité du cannabis par rapport à
l'alcool, il ne paraîtrait pas incongru de rapprocher la législation sur le cannabis de celle déjà
en vigueur concernant l'alcool et le tabac. Comme nous l'avons déjà évoqué précédemment, cela
supposerait certaines restrictions à la consommation; une interdiction de la vente aux mineurs (qui
constituerait un délit); une interdiction de la consommation sur la voie publique, dans les espaces
commerciaux, touristiques, accessibles aux enfants ou proche des bâtiments éducatifs; une
réglementation de l'utilisation d'engins automobiles ou dangereux immédiatement après la
consommation, etc.
Surtout, un tel rapprochement permettrait la mise en oeuvre d'une taxe pigovienne, qui selon le
fameux principe pollueur-payeur permettrait de financer en partie les effets pervers de la
consommation de cannabis sur les finances publiques par une rentrée d'argent, tout en dissuadant
une consommation trop importante et en incitant fortement à la modération par les prix. Ainsi, la
réglementation de la vente de stupéfiants assortie du prélèvement d'un impôt sur la production et la
vente du cannabis permettrait d'enrichir l'Etat plutôt que les narco-trafiquants et les intermédiaires
mafieux, comme c'est le cas aujourd'hui (les petits producteurs comme les petits revendeurs en fin
de circuits profitent en réalité bien peu de leur commerce).
Lors de l'atelier à Nantes, certains membres du public s'étaient prononcés en faveur de création de
circuits courts (type AMAP) ou même de filières de commerce équitable de marijuana avec le
Maroc. Ces propositions, bien qu'originales et intéressantes, ne nous paraissent cependant pas les
plus faciles à mettre en oeuvre – notamment en l'état actuel de la législation internationale.
L'enjeu est également de ne pas reproduire l'erreur de la Hollande, qui en refusant de règlementer la
production de cannabis, a intégré durablement les organisations criminelles dans la production,
l’import/export et même la distribution d’un gigantesque marché aux règles floues.
L'AUTOPRODUCTION
Le plus urgent nous paraît être, pour une production de cannabis respectueuse de
l'environnement, de dépénaliser et de réglementer l'autoproduction (on estime déjà à environ
200 000 le nombre d'autoproducteurs de cannabis en France, la production domestique à petite
échelle étant souvent retenue par les usagers contre les méfaits de la prohibition).
• Cela permet de réduite le « kilométrage alimentaire » des stupéfiants, qui parcourent moins
de kilomètres entre leur lieu de production et leur lieu de consommation.
• Il s'agit toutefois de dissuader dans le même temps la vente au noir et la cession aux
mineurs: on peut par exemple limiter à 5 plantes en floraison, comme en Hollande et en
Tchéquie, le quota toléré. Quelle que soit la méthode de culture, cela suffit à produire sa
consommation sans trop d’excédent donc de mauvaises tentations.
• La pénalisation de la production pour usage personnel n’est pas imposée par les conventions
internationales.
La fin du processus est la création de clubs privés d’usagers de cannabis réservés aux
adultes résidents en France. Les adhérents délèguent leur droit individuel à l’autoproduction
à une association à but non lucratif. Celle-ci gèrerait la production, la distribution du cannabis et
une salle de consommation à moindre risque, tout en étant soumis à un strict cahier des charges
sanitaire et sécuritaire.
Ce modèle de Cannabis Social Club existe déjà sous des formes proches en Espagne et en Belgique.
Les conventions internationales interdisant le commerce classique et les échanges
internationaux, un modèle non marchand ne devrait pas déclencher de sanctions prévues par
les conventions, ni une pression des pays prohibitionnistes ou de nos voisins.
Le cercle privé – association à but non lucratif - aurait pour objet la prévention de l’abus de
cannabis, la protection de la jeunesse et la lutte contre les addictions. Comme tous les cercles
privés, elle devrait verser 10% de son excédent d’exploitation à des œuvres caritatives. Une
taxe finance le traitement des maladies liées à l’usage. Une taxe dissuasive pourra amener le
prix final à un équilibre raisonnable1.
1 Quelques idées sur la réglementation qui pourrait encadrer les cercles privés d'usagers de cannabis :
Des adhérents d’ASUD, Act Up, SOS Hépatites, AIDES, la CECT, Cannabis sans frontières, le
CIRC… vivent avec des pathologies lourdes : cancers, VIH, Hep C, sclérose, lombalgie chronique,
dépression, trouble de l’attention, addiction très problématique à l’alcool et au tabac… Beaucoup
attestent de l’utilité thérapeutique du cannabis. Le corps médical connaît cette médecine clandestine
et parfois même la suggère sous couvert du secret. Mais officiellement le cannabis n’est pas
utilisable sauf cas rarissimes, sous réserves multiples et chicaneries administratives. Les malades
subissent parfois la répression et presque toujours la nocivité du marché noir.
Seuls les malades autoproducteurs de cannabis contrôlent mieux leur traitement mais ils risquent
davantage au yeux de la loi. Et ce n’est pas une solution adaptée à de nombreux malades impotents,
déstructurés ou sans espace disponible. Un producteur pour ces malades prend autant de risque
qu’un dealer/producteur, lourde peine. Cette situation est absurde et inhumaine. Elle doit être sortie
du débat général sur le cannabis et traité en priorité. Des solutions simples existent :
• Autoriser la production limitée de cannabis par les malades ou un producteur mandatée par
les malades (système de nombreux Etats américains et canadiens). Cette solution est la
moins coûteuse pour le patient, même s’il doit couvrir les frais d’un producteur. Elle
règlemente des pratiques existantes. Elle vient compléter la filière pharmaceutique. En effet,
de nombreux patients ne font pas confiance à la forme naturelle. La diversité des formes
disponibles permet de couvrir le large spectre des besoins.
Ce dossier doit pouvoir avancer quelque soit l’option choisie, même en cas de maintien de la
prohibition en l’état. La santé et la qualité de vie des malades ne doivent pas souffrir de
considérations morales, politiques et financières.
CONCLUSION
C'est donc bien la fin de la prohibition, la dépénalisation et la re-règlementation que
réclament les Jeunes Verts. Et nous considérons que cette position est à la fois recevable,
pragmatique, et susceptible d'être mise en oeuvre dans les premiers temps d'un éventuel
mandat ministériel dès 2012.
Marine Tondelier,
Pour le groupe de travail « une autre politique des drogues est possible » des jeunes verts,
D'après la motion thématique sur les drogues votée par les Jeunes Verts (« une autre
politique des drogues est possible »), les réflexions initiées à l'occasion de l'atelier « une autre
politique des drogues est possible » à Nantes et les contributions de:
BIBLIOGRAPHIE
• « Cannabis: les effets ballon de la politique française », Note pour Terra Nova d'Olivier
Poulain, Anne Coppel, Mario Lap et Victor Ippécourt.
• « Faut-il légaliser les drogues dures? » , dossier proposé par la revue Books dans son
numéro de septembre 2010.
• Laurent Appel