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Hannah Arendt
CONTRIBUTEURS : LETTRES DE HANNAH TEXTES INÉDITS DE
ARENDT À : HANNAH ARENDT :
Arendt
Miguel Abensour Salomon Adler-Rudel
Seyla Benhabib Hermann Broch Histoire juive – la mort de l’histoire
Michal Ben-Naftali Hilde Fränkel allemande
Gérard Bensussan Helen Wolff Protocoles du Jungjüdische Gruppe
Roger Berkowitz Kurt Wolff Plan pour une confédération
Luc Boltanski palestinienne
Catherine Chalier LETTRES DE : Appel pour la paix au Proche-
Sylvie Courtine-Denamy Raymond Aron Orient
Katia Genel Hermann Broch La révision de la tradition par
Antonia Grunenberg Alexandre Koyré Montesquieu
Barbara Hahn Thomas Mann La cybernétique
Arthur Hertzberg Le délitement de l’autorité
Claudia Hilb Les intellectuels et la responsabilité
Jerome Kohn La quête spirituelle de l’homme
CORRESPONDANCES
Vincent Lefebve moderne : la réponse des
AVEC :
Robert Legros existentialistes
Judah Leon Magnes
Martine Leibovici De Hegel à Marx
Annette Nolting
Marc Le Ny La philosophie politique de Kant
David Riesman
Adresse au Conseil consultatif de
Vivian Liska
Princeton
Danièle Lochak
Introduction à la politique
Aurore Mréjen
La pensée et l’action
Géraldine Muhlmann
Pierre Pachet
Anne-Marie Roviello
Matías Sirczuk
Étienne Tassin
Margarethe von Trotta
L’Herne
33 € – www.lherne.com
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Hannah Arendt
La Fondation du Judaïsme français reconnue d’utilité publique, qui abrite à ce jour quelques 80
fondations œuvrant dans les domaines de la culture, de l’éducation, du social et de l’humanitaire
a vocation également à mener ses propres actions. L’édition du Cahier de L’Herne Hannah Arendt
en fait partie intégrante car la mise en valeur du patrimoine culturel juif est au cœur de notre vo-
cation, ainsi que la possibilité offerte au plus grand nombre de pouvoir s’en saisir.
Ariel Goldmann
Président de la Fondation du Judaïsme Français
I – Ouverture
15 Sylvie Courtine-Denamy
La jeune fille venue d’ailleurs
20 Margarethe von Trotta
Faire un film sur Hannah Arendt
25 Hannah Arendt
Lettres à Hilde Fränkel (3 et 14 décembre 1949, 8 janvier 1950) – Inédit en français
30 Barbara Hahn
« Le plus important, c’est la fidélité à l’ami »
35 Idith Zertal
Le personnel est-il politique ? Sur l’amour et l’amitié en de sombres temps
41 Hannah Arendt
Lettre à Helen Wolff (21 mai 1974) – Inédit en français
II – Le totalitarisme
45 Roger Berkowitz
La désolation totale : Hannah Arendt et les fondements du totalitarisme
51 Hannah Arendt et David Riesman
Correspondance – Inédit
63 Claudia Hilb et Matías Sirczuk
Deux plus deux = ? Arendt, Lefort et l’absence du penser dans le totalitarisme
69 Hannah Arendt
Lettre à Helen Wolff (25 janvier 1971) – Inédit en français
70 Annette Nolting et Hannah Arendt
Correspondance – Inédit
74 Vincent Lefebve
Les droits de l’homme à l’épreuve des totalitarismes
III – Le droit d’avoir des droits
83 Hannah Arendt et Salomon Adler-Rudel
Correspondance – Inédit en français
88 Seyla Benhabib
Actualité du « droit d’avoir des droits »
94 Danièle Lochak
Migrants et réfugiés, hier et aujourd’hui
100 Hermann Broch
Lettres à Hannah Arendt (19 septembre 1946, 28 juin 1949) – Inédit en français
IV – Politique juive
105 Hannah Arendt
Histoire juive – la mort de l’histoire allemande – Inédit
108 Alexandre Koyré
Lettre (13 août 1951) – Inédit
110 Raymond Aron
Lettre (6 novembre 1971) – Inédit
112 Miguel Abensour
Hannah Arendt et le sionisme en question
116 Hannah Arendt
Protocoles du Jungjüdische Gruppe – Inédit
121 Martine Leibovici
La « question judéo-arabe » ou les intrications d’une relation conflictuelle
127 Judah Leon Magnes et Hannah Arendt
Correspondance – Inédit
136 Hannah Arendt
Plan pour une confédération palestinienne – Inédit
139 Hannah Arendt et un collectif de signataires
Appel pour la paix au Proche-Orient
VI – Liberté et modernité
177 Hannah Arendt
La cybernétique – Inédit
180 Anne-Marie Roviello
L’homme moderne entre le solipsisme et le point d’Archimède
187 Hannah Arendt
Le délitement de l’autorité – Inédit
190 Antonia Grunenberg
La perte du commencement : les États-Unis vus par Hannah Arendt
195 Hannah Arendt
Lettre à Hermann Broch (16 octobre 1947) – Inédit en français
196 Luc Boltanski
Tout est-il politique ?
Abréviations:
OTEJ = Les Origines du totalitarisme, Eichmann à Jérusalem, édition, préface et introductions P. Bouretz,
Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2002.
EJ = Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, in OTEJ, trad. A. Guérin, révision M.-I.
Brudny, revue M. Leibovici.
LOT = Les Origines du totalitarisme, in OTEJ. « L’antisémitisme », trad. M. Prouteau, « L’impérialisme »,
trad. M. Leiris, « Le totalitarisme », trad. J.-L. Bourget, R. Davon, P. Lévy. Révision H. Frappat.
HC = L’humaine condition, édition, préface, introductions et glossaire P. Raynaud, Paris, Gallimard, coll.
« Quarto », 2012. Condition de l’homme moderne, trad. G. Fradier ; De la révolution, trad. M. Berrane et
J.-F. Hel-Guedj, La Crise de la culture. Huit exercices de pensée politique, trad. J. Bontemps et alii ; Du
mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine, trad. G. Durand.
VE1 = La Vie de l’esprit, 1. La Pensée, trad. L. Lotringer, Paris, PUF, 1981.
VE2 = La Vie de l’esprit, 2. Le Vouloir, trad. L. Lotringer, Paris, PUF, 1983.
JP1, JP2 = Journal de pensée, volume 1 (juin 1950-février 1954) et volume 2 (mars 1954-1973), trad.
S. Courtine-Denamy, postfaces U. Lutz, I. Nordmann et S. Courtine-Denamy, Paris, Seuil, 2005.
NT = « La nature du totalitarisme », trad. et préface M.-I. B. de Launay, in La nature du totalitarisme, Paris,
Payot, 1990.
HT = Humanité et terreur, trad. F. Bouillot, Paris, Payot, 2017.
EcJ = Écrits juifs, trad. et annotations S. Courtine-Denamy, Présentations Jerome Kohn, Ron H. Feldman,
S. Courtine-Denamy, Paris, Fayard, 2011.
QP = Qu’est-ce que la politique ?, édité et commenté par U. Ludz, trad. et préface de S. Courtine-Denamy,
Paris, Seuil, coll. « Points », 1995, p. 2001.
RJ = Responsabilité et jugement, trad. J.-L. Fidel, Paris, Payot, 2005.
HA/KJ = Hannah Arendt/Karl Jaspers, Correspondance (1926-1969), trad. E. Kaufholz-Messmer, Paris,
Payot/Rivages, 1995.
VP = Vies politiques, trad. E. Adda, J. Bontemps, B. Cassin, D. Don, A. Kohn, P. Lévy, A. Oppenheimer-
Faure, Paris, Gallimard, 1974, coll. « Tel ».
TC = La tradition cachée. Le Juif comme paria, trad. S. Courtine-Denamy, Paris, Bourgois, 1987.
Avant-propos
Martine Leibovici et Aurore Mréjen
Longtemps tenue à l’écart du monde acadé- avons choisi d’écarter les lectures absurdes (celle,
mique, l’œuvre de Hannah Arendt – désormais par exemple, selon laquelle Arendt accuserait
largement publiée et traduite – suscite l’intérêt les Juifs et déresponsabiliserait Eichmann) en
d’un nombre considérable de travaux, et l’on ne proposant que des analyses qui abordent
ne compte plus les colloques et les publications, en les questionnant les problèmes posés par ce
spécialisées ou pas, qui lui sont consacrés dans le livre. À l’inverse des condamnations rapides qui
monde entier. Pour autant, sa pensée a toujours simplifient et réduisent une analyse à une expres-
été difficile à faire entrer dans des cadres. Selon sion provocatrice, il nous semble que l’écriture
les cas, on juge Arendt trop conservatrice ou d’Arendt dénote une forme de confiance intel-
trop radicale, on la respecte comme une « grande lectuelle en la capacité du lecteur à affronter la
philosophe » ou l’on se méfie de son « intelli- complexité d’une situation sans se voir imposer
gence perverse ». De son vivant déjà, ses prises une perception binaire. Arendt ne veut pas
de position ont donné lieu à des polémiques, endoctriner. Pour elle, les activités de penser et
dont la plus célèbre est celle qui se déchaîna au de juger appartiennent à chaque être humain et
moment de la publication d’Eichmann à Jéru- leur exercice relève de la responsabilité indivi-
salem en 1963. Depuis, la « banalité du mal » est duelle.
devenue une espèce de lieu commun, alors même Les analyses de la désolation totalitaire
que l’expression est le plus souvent employée à proposées par Arendt font écho à nos inquiétudes
contresens. Aujourd’hui, la figure d’Arendt n’est contemporaines. La catégorie de totalitarisme
pas seulement celle d’une « théoricienne de la correspond à l’apparition au xxe siècle de régimes
politique », comme elle aimait à se désigner. Des sans précédent visant une domination totale, où
livres, des films, des pièces de théâtre s’intéressent l’idéologie et la terreur se combinent pour tenter
à la femme qu’elle était, à l’exemplarité de son de fabriquer une humanité uniformisée faite
histoire de Juive chassée d’Allemagne en 1933 d’individus esseulés et contrôlés jusque dans
et exilée en France puis aux États-Unis, mais leurs relations les plus privées. Embarquant la
aussi à ce qu’on connaît maintenant de sa vie société entière dans un mouvement censé réaliser
amoureuse. Sa relation avec Heidegger, parfois une loi inexorable et supérieure qui exige l’exter-
présentée comme celle, scandaleuse, d’une Juive mination d’ennemis « objectifs », le totalitarisme
avec un nazi, se prolonge en une nouvelle polé- fait plus que s’en prendre aux libertés fonda-
mique qui dénonce l’influence supposée délétère mentales : il touche à la spontanéité comme
de son ancien professeur sur l’ensemble de son source d’imprévisibilité et de liberté, et prétend
élaboration philosophique. abolir la pluralité humaine. En d’autres termes,
Sans ignorer l’existence de ces polémiques, il rend la politique elle-même impossible. Tout
nous n’avons pas souhaité nous laisser imposer en insistant sur la nouveauté du régime totali-
leur grille de lecture. Un Cahier de L’Herne taire, Arendt examine la déréliction du monde
consacré à Arendt ne peut certes pas négliger l’ayant rendu possible : un tel régime ne peut
l’importance que Heidegger a eue pour elle, voir le jour que parce qu’il prend en charge les
mais nous avons pris le parti de privilégier les problèmes sociaux et politiques non résolus de
approches qui insistent sur l’autonomie de sa l’époque. Pour nous aujourd’hui, il s’agit d’éviter
pensée par rapport à son ancien professeur et les analogies hâtives et d’être attentives à l’irréduc-
amant. Quant à Eichmann à Jérusalem, nous tibilité de notre présent, tout en nous inquiétant
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de l’incapacité persistante des États-nations et du totalitarisme, Arendt se tourne vers « les
du droit international à garantir le « droit d’avoir ressources de résistance et de renaissance conte-
des droits » aux masses de migrants et de réfugiés nues dans la condition humaine comme telle »
modernes. D’un point de vue époqual, l’atomi- (Paul Ricœur), pour y découvrir les capacités
sation des individus dans les sociétés de masse fondamentales actualisées par la politique.
contemporaines, la réduction de la vie au cycle Une telle quête ne peut s’adosser à la tradi-
travail-consommation, la perte d’autorité des tion de la philosophie politique, convaincue
repères communs, le sentiment d’être livrés à depuis Platon de la supériorité du bios théôrè-
des processus nécessaires et incompréhensibles, tikos sur le bios politikos : saisissant l’essence de
tous ces phénomènes favorisent la disponibilité l’homme uniquement au singulier, la philoso-
des individus à adhérer à des logiques explica- phie a été aveugle à la pluralité constitutive de
tives rendant le monde intégralement cohé- l’action politique et a négligé la différenciation
rent et prévisible, les dispensant ainsi d’avoir le des activités. Pour véritablement penser la vita
penser. Dès les années 1960, Arendt s’inquiétait activa, c’est-à-dire « ce que nous faisons », Arendt
de la mise au point de machines capables d’au- construit un jeu de catégories ontologiques grâce
tomatiser des pans entiers de l’intelligence et de auxquelles elle opère des distinctions entre les
la mémoire humaines. Dans « Du mensonge activités (travail/œuvre/action) ou les domaines
en politique. Réflexions sur les documents du (privé/public ou social/politique). La complexité
Pentagone » (HC, p. 869), elle dénonçait aussi du réel a souvent été objectée à ces distinctions,
la place prise par les algorithmes inventés par ainsi que leur caractère normatif qui accorde
les « spécialistes de la résolution des problèmes » une dignité éminente à l’action en tant qu’ac-
dans les décisions du gouvernement des États- tivité politique par excellence. À y regarder de
Unis au moment de la guerre du Vietnam. plus près, on aperçoit que les analyses d’Arendt
L’œuvre d’Arendt est traversée par la question travaillent aux articulations des domaines qu’elle
des conditions politiques qui encouragent ou distingue : la capacité d’agir est aussi une capacité
font obstacle, voire anesthésient l’exercice de de sentir, d’être affecté ; les positions proprement
la faculté humaine de penser. Et l’« absence de politiques sont irriguées par des attitudes pré-po-
pensée » d’Eichmann, liée à l’injonction nazie de litiques comme la gratitude ou le ressentiment ;
tuer considérée comme un devoir moral, est au quant au social et au politique, ils ne sont pas
cœur de ce qu’elle appelle la « banalité du mal ». séparés par une cloison étanche dans la mesure
Pourtant, au lieu de considérer l’obéissance où l’activité politique relève aussi de processus de
d’un Eichmann comme inévitable dans son politisation, c’est-à-dire de mises en récit public
contexte historique, Arendt s’appuie sur les cas de situations auparavant considérées comme
minoritaires de celles et ceux qui ont refusé de purement privées et qui finissent par devenir
participer au crime pour clarifier la question de politiques. Inversement, la parole adressée à
la responsabilité individuelle ainsi que celles de l’autre dans l’entre-deux de l’amitié instaure une
la conscience morale et de la faculté de juger. Il relation faite de distance et de lien, c’est-à-dire
y a là un geste réflexif que l’on reconnaît à diffé- un monde commun au sein même de l’espace
rents endroits de son œuvre. Ainsi, alors qu’elle privé.
décrit le totalitarisme comme une entreprise L’importance du langage, cette trame
de destruction systématique du lien humain, du monde, traverse l’œuvre d’Arendt et les
l’appel lancé jadis au sultan par Nathan le sage rubriques de notre volume : l’action est toujours
dans la pièce de Lessing : « Sois mon ami ! », « agir et parler », la pensée est « dialogue avec
prend le sens d’une résistance à la désolation. soi-même », le « donné » – pour Arendt celui de
Ou encore : à l’époque de son engagement poli- la féminité ou de la judéité – appelle sa réarticu-
tique aux côtés des sionistes, elle garde, à l’instar lation en récits. Mais, ayant éprouvé la doulou-
de Benjamin, les yeux rivés sur la possibilité reuse nécessité de ne plus pouvoir s’exprimer
d’« une chance plus grande que la catastrophe », dans leur langue maternelle, les exilés comme
chance qu’une action politique ne renonçant Arendt savent aussi l’importance de la langue en
pas au principe de justice devait être à même de tant que telle. Tout en conservant une distance
saisir. Même démarche, lorsqu’après Les Origines avec l’anglais, elle a écrit une grande partie de son
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œuvre dans cette langue, alors que l’allemand, Imperii. C’est l’expérience de ce que pouvait être
la langue de son Denktagebuch, est ancré au plus l’emprise totalitaire sur une langue qui lui est
profond de sa mémoire, sous forme de poèmes entrée dans les oreilles à l’écoute de l’allemand
présents, comme elle l’indique à Günther Gauss, d’Eichmann. C’est pourquoi, aux antipodes de
« in the back of my mind » (in « Seule demeure cette emprise, nous avons besoin de l’intensité
la langue maternelle », TC). Arendt a quitté et de la plénitude de sens que seules procurent
l’Allemagne en emportant l’allemand avec elle, les histoires bien racontées, comme nous avons
avant qu’il n’ait été investi comme Lingua Tertii besoin des poètes pour veiller sur la langue.
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