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LE SOUFFLE DES
ANGES
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LE SOUFFLE DES ANGES
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AUX BALCONS DU CIEL
Novembre 2010
Quatrième de couverture.
Synopsys.
Vis ta vie comme si c’était ton dernier jour, et rêve la comme si tu avais
l’éternité.
Que sont nos rêves ? De pures créations de l’esprit ? Les souvenirs d’un
ailleurs ou d’une autre réalité ? D’éphémères fragments de vies dont nous
sommes le héros ? Ceux d’un être secret et sans limite qui veille en nous ?
Qui rêve, et de quoi ? Qui a-t-il de réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?
J’aime rêver, c’est même mon plus grand talent. Quand parfois, en toute
Conscience, j’autorise librement mon esprit à se laisser chevaucher par la
lumière dorée, je pars à la recherche d’un possible nouvel absolu, j’insuffle
dans la permanence d’un présent sans frontières mon plaisir et mon
intention de participer à la création de la réalité. Je favorise ainsi une
sublime expérience de moi-même à travers un songe, celui de démontrer
de manière éblouissante ce que je suis. Pour celui dont le regard n’est porté
ni derrière ni devant, ni autre part que maintenant, celui-là sort du
sommeil, il comprend le rêve et sa raison d’être. À la lumière de la réalité,
la vérité lui apparaît enfin, il ne croit plus, il sait, il est en paix.
qui parle plus clairement et plus haut que tous les raisonnements
compliqués des hommes.
Vous sentez et vous savez que les « chers morts » sont là autour de vous.
Ils viennent en un songe trop peu souvent renouvelé embrasser la mère ou
l’épouse aimée…
Le petit enfant que les forces terrestres n’ont pas encore accaparé tout à
fait,
vit aussi « sur deux plans » et il aperçoit à l’état de veille le « papa
soldat »
que la mère pleure en cachette !
Hallucinations, troubles nerveux, folies, dit le savant…
Mais la femme sait bien que ce sont là des réalités plus hautes que les
réalités terrestres.
Dans le rêve, je suis mort le trente et un octobre deux mille neuf, à vingt
deux heures trente trois. Cette précision n’a aucun intérêt au demeurant, si
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Si vous aviez demandé l’avis de mes camarades, ils vous auraient sans
doute répondu qu’elle était jolie, alors qu’en réalité ils la trouvaient plutôt
quelconque. Cependant, pour moi dans le rêve, elle apparaissait tout à fait
adorable. Durant trois longs mois, j’avais évalué discrètement Félicity
avant de l’aborder et de finalement l’inviter. Peut-être voulais-je ainsi me
faire une idée avant de m’engager plus loin, mais il est plus vraisemblable
de parler d’un terrible manque de confiance, ou pour être gentil, de
timidité. Elle était athlétique, grande, blonde avec des yeux bleus et des
dents parfaitement blanches et alignées par des années et des milliers de
dollars de dentisterie. Elle en était sortie embellie d’un sourire impossible à
rendre naturel, et malgré ce détail qui m’agaçait, cette fille ne me laissait
pas indifférent, sans doute parce qu’elle était la seule à avoir accepté un
rendez-vous avec moi cette année-là. Alors, j’avais tout fait pour ne pas
avoir trop l’air d’être moi-même. S’il avait été là, Gus aurait certainement
dit un truc dans le genre : « C’est absurde ! autant tout faire pour être
soi-même. » Ou encore : « C’est déjà pas facile d’être soi-même, alors si
en plus il faut jouer la comédie ! » Il a bien évidemment raison, mais
maintenant cela n’a plus d’importance, Félicity et mon rendez-vous sont
bien loin.
Dans le rêve, je n’avais pas de père ou en tout cas je ne l’avais pas connu,
nous n’en parlerons donc pas. Par contre j’avais une mère pour qui le mot
dépression avait dû être inventé, car je ne l’ai jamais vue sans son sac de
médicaments à portée de main. Autant dire que je me tapais sur le ventre
quand, dans un de ses rares moments de lucidité, elle me faisait la morale
sur la drogue et ses dangers. Aucun risque, on ne pouvait avoir envie de ça
quand on voyait sa tête, son teint blême, ses yeux chavirés, son chignon de
travers et cet air triste qu’elle semblait cultiver uniquement pour faire pitié.
Toujours absente ou presque, tellement loin d’elle-même, j’avais parfois
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S’il y avait une chose dans laquelle ma mère excellait et faisait preuve
d’une réelle inspiration, c’était bien la couture. Elle exécutait tout un tas de
vêtements extraordinaires qu’elle ne mettait évidemment jamais, préférant
s’enlaidir d’une horrible robe de chambre en pilou. Pourtant, ses
réalisations étaient toutes plus magnifiques les unes que les autres ? Sur le
mannequin de couturière qui hantait notre salon, j’ai vu se bâtir de pures
merveilles, assez élégantes et chic pour combler n’importe quel homme ou
femme de goût. Si ma mère avait été un peu plus elle-même, je suis
persuadé que les meilleures maisons de couture se seraient arraché ses
créations, mais elle n’écoutait pas et restait égarée dans le vague,
n’espérant rien de la vie, à part sa livraison hebdomadaire de médicaments.
La seule dans ma famille à être vraiment bien dans sa peau est sans
conteste ma grand-mère, je vous parlerai d’elle en détail plus tard.
heure sur Terre, de toute façon cette apparence est restée quasiment la
même jusqu’au moment de mon total réveil.
Dans le rêve, je m’appelle Alex, Alex Church. J’ai dix-neuf ans, un mètre
quatre-vingt-cinq, quatre-vingt-trois kilos, on me trouve plutôt beau
garçon, mais en réalité je suis semblable à des millions de gars de mon âge.
Visage long, naturellement bronzé, de longs cils effilés comme ceux d’une
femme, et de grands yeux doux couleur bleu outremer pailleté d’or, ma
grand-mère appelle cette couleur lapis-lazuli. Je suis surtout un jeune
homme épargné par l’acné, sportif et plutôt bien dans sa peau, du moins
c’est ce que je disais ! Ah oui, j’ai tout de même une petite spécificité, mes
cheveux. Ils sont mi-longs, bruns aux reflets noirs agrémentés d’une large
mèche blanche, sorte de virgule immaculée au milieu du front. Quand j’ai
les cheveux courts, on dirait un peu la crête d’un Mohican. Autant vous le
dire tout de suite, le genre décoloré est sûrement très à la mode dans les
milieux citadins branchés, mais pour moi, humble résidant d’un patelin
retiré du Canada, cette marque de naissance fut parfois pénible à vivre.
À cause d’elle, mon enfance a été émaillée de quolibets de tout poil, mes
camarades s’en sont donné à cœur joie, mais ce n’était rien comparé à
l’attitude des adultes parfois pires que leur progéniture devant la
différence. Ce n’est pas dans les mots qu’une grande personne affiche son
dégoût, elle vous regarde avec un air pincé comme si vous étiez une
pomme en train de pourrir et de gâter le reste du panier, pathétique !
Oui, je sais, juger, c’est devenir ce que l’on juge. Gus me le répète souvent
lorsqu’il joue au rabat-joie. Pour ma part, je me suis mis à aimer cette
mèche blanche vers l’adolescence, elle m’a permis d’être dans le camp des
autres, les différents, un peu rebelle mais pas trop. Ça collait parfaitement
avec mon caractère désinvolte qui masquait sans y parvenir certainement
de nombreuses peurs. Cette mèche, c’était un peu ma différence, avec elle
je me sentais unique, je ne pouvais imaginer mon erreur.
« Se tromper, c’est faire triompher l’erreur », dit parfois Gus, qui a souvent
un curieux point de vue sur les choses.
Mon rêve était assez calme. Si je fais abstraction des quelques frasques qui
l’ont enjolivé, en réalité il était insipide. J’attendais quelque chose qui ne
venait pas, mais je ne savais pas quoi. Depuis mon réveil par contre, du
moins depuis ma mort, mon existence a pris une tout autre tournure. Ma
vie continue comme si elle ne s’était jamais interrompue et je dois
certainement être maintenant au Paradis. De dormeur, je suis devenu
acteur, et c’est tout bonnement stupéfiant. Difficile de préciser depuis
combien de temps, car où je suis, il n’y a pas de montres ni d’horloges, le
temps est relatif, il ne va pas à la même vitesse pour tous, et parfois même
il n’existe pas ! Cependant une chose est certaine, la vie est éternelle, et
quand on a l’éternité, inutile de se mettre à compter. Dixit Gus,
évidemment.
Vous devez sûrement vous demander qui est ce Gus dont je parle ? Eh bien
je vais immédiatement vous éclairer sur son compte. Gus est mon passeur,
une sorte de faucheur d’âmes venu me chercher à ma mort. Il est chargé de
m’aider à me réveiller complètement. C’est un Essentiel, l’équivalent d’un
Ange pour la plupart d’entre vous. Il m’a permis d’accéder à un nouveau
plan de Conscience, disons pour simplifier le Ciel, mais rassurez-vous, je
vais vous expliquer. Gus est devenu un ami, un de ceux avec qui je passe
le plus de temps. Vous allez très vite vous en apercevoir, si les
personnages qui peuplent nos rêves cachent bien leur jeu, une fois réveillé,
vous comprenez non seulement la raison du rêve mais aussi que nos
préoccupations terre à terre sont bien éloignées de la réalité céleste. Je vais
commencer par le début. Pour moi c’est l’instant de ma mort, le moment
où je me suis réveillé du rêve, alors puisque j’ai décidé de me rappeler,
autant débuter par là.
Je filais vite, j’avais rendez-vous avec une fille de rêve, du moins de mon
rêve, tout était donc permis. Je devais la retrouver à l’Escale, un pub où se
trouvaient les trois seuls flippers à des miles à la ronde. Des jeux vidéo
antédiluviens, un billard fatigué et un Wurlitzer sans âge composaient un
trésor dans ce repaire de la jeunesse locale. Le nom « l’Escale »,
anachronique dans ce lieu sans voies navigables notables ni pirates, venait
d’un cabaret de la côte du Labrador dont les éléments avaient été achetés
aux enchères. On l’avait démonté pour faire place à un énième centre
commercial, futur unique endroit de plaisir du monde moderne. Pour
beaucoup d’entre nous, au fin fond de rien, si loin de tout, c’était
effectivement devenu une escale. Je comptais bien arriver en avance afin
de chasser mes angoisses et la moiteur de mes mains avec quelques bonnes
parties de flipper. J’avais l’âme amoureuse, l’esprit en ébullition et la tête
pleine des mots, et sans m’en douter un instant, je roulais implacablement
vers mon destin.
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Après une seconde de soulagement, je fus pris d’un doute quant à l’état de
ma moto, et fis volte-face pour me trouver nez à nez avec le tronc d’un
énorme érable plusieurs fois centenaire. Il culminait à au moins trente
mètres de haut et sa circonférence bouchait totalement la vue. Pas de
bécane à l’horizon.
Quel grand prodige, l’air, l’air lui-même embaumait ! Il y avait une sorte
de brume diaphane parfumée autour des choses que je n’avais jamais
remarquée auparavant. Mes papilles étaient littéralement à la fête, elles
salivaient pour me réjouir des saveurs que j’aspirais à grands traits. Une
simple chute m’avait ouvert les sens car, depuis mon accident, j’entendais
aussi une profusion de sons avec la limpidité de l’oreille absolue. Mon
esprit était ouvert comme jamais, totalement réceptif, uni aux éléments. Je
me sentais bien, formidablement bien, aussi bien qu’après avoir
longuement pleuré. Je restai un instant admiratif à ce chamboulement
sensoriel, contemplant une réalité qui brusquement venait de prendre un
tout autre relief.
J’eus soudain une pensée pour Félicity et mon rendez-vous. Un coup d’œil
à ma montre me fit dire :
- Mince !
Aucun doute, en voyant les vilains éclats de verre et sa forme tordue, elle
était foutue. Je l’enlevai, stupéfait de ne pas être blessé à l’endroit de la
cassure, quand une voix s’éleva derrière moi :
- De toute façon, tu n’en auras plus besoin maintenant.
- Vous avez vu cette gamelle et pas une égratignure avec ça. Incroyable
non. Affirmai-je tout en guettant un signe de sa part. Je n’ai pas encore vu
ma moto, mais pour le reste, ça va, à part ma montre.
Le jeune homme me regardait avec un sourire à la limite de la
consternation, presque triste.
- Pourquoi me regardez-vous avec cet air bizarre, vous êtes du coin ?
Il n’en avait pas l’air, je connaissais pratiquement tout le monde sur vingt
miles à la ronde.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Gustave, mais tu peux dire Gus, tous le monde m’appelle
Gus.
Intérieurement, je me dis qu’avec un patronyme et un style pareil, je ne
risquais rien de ce type.
- C’est marrant ce nom, disons qu’il va bien avec votre apparence, dis-je
tout en me foutant de lui dans ma tête. Moi, je m’appelle . . .
Coupant la fin de ma phrase, il me sortit d’un trait :
- Alex Church né le trente un octobre mille neuf cent quatre-vingt dix à
trois heures trente trois du matin, dans la ville de L’Ange Gardien sur La
Côte de Beaupré, province de Québec, Canada.
Interloqué par l’exactitude des éléments, je répliquai vivement :
- Comment savez-vous tout ça ? J’ai perdu connaissance et vous m’avez
fait les poches ! En le disant, je réalisai que rien sur moi n’aurait pu lui
donner autant de détails si précis. Il laissa tomber abruptement :
- Non ! Ce n’est pas de cela dont il s’agit, je le sais car c’est toi que je
viens chercher, tu es mort et je t’emmène au Ciel. . .
J’entendis la pensée de Gus presque aussi nettement que s’il avait parlé à
haute voix :
- Ça y est, ça commence ! Le ton employé était agacé et teinté
d’inquiétude. Nous ne pouvons pas rester Alex, tu ne peux plus rien, du
monde va arriver, on s’occupera de ton corps et de ta moto.
Revenant à une réalité plus terre à terre, je clamai dans un sursaut de
responsabilité filiale :
- Et ma mère, qui va s’occuper d’elle ? Que va-t-elle devenir sans moi ?
Elle a déjà tant de mal à vivre, ça va l’achever.
J’étais hors de moi, près de mon corps, et la seconde d’après, d’une simple
injonction, forcé de réintégrer avec vigueur mon étui spirituel. J’étais de
nouveau plantée devant Gus qui avait l’air bien moins surpris que moi.
Une légère inquiétude dans la voix devant la puissance du phénomène, je
lui demandai prudemment :
- C’est toi qui as fait ça ?
Gus, radouci et satisfait, me dit :
- Les réponses sont là-haut, elles viendront quand ce sera le moment,
allons-y maintenant, tu es prêt ?
- Tu réponds toujours aux gens qui te posent une question par une
pirouette. Tu es quoi ? Un bonze tibétain ou un guru indien qui se serait
nippé à King Road ?
- Je te l’ai dit, ne te fis pas aux apparences, nous pouvons prendre
l’aspect de notre choix. J’ai simplement pensé que, vu ton âge, ce costume
d’étudiant te mettrait en confiance et faciliterait notre rencontre. Me
serais-je trompé ?
- Non, rien de grave, Gus. C’est juste qu’il y a des années que l’on ne
porte plus ce genre d’accoutrement. Les jeunes d’aujourd’hui mettent des
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jeans, des tee-shirts et des baskets, ou des trucs dans le genre. Ton look est
juste un poil décalé de . . . trente ans, ça craint !
- Ah ! Dit-il l’air satisfait, absolument pas gêné par ma remarque faisant
de lui un “has been”, trente ans déjà depuis ma dernière visite,
marmonna-t-il dans sa barbe. De toute façon, je lui avais dit que venir sur
terre n’était pas une mission pour moi, je ne sais pas ce qui lui a pris
d’insister, on ne manque pourtant pas de passeurs.
Faisant fi de ses considérations domestiques, je lui demandai, l’air
intéressé :
- Comment m’as-tu déplacé tout à l’heure ? Comment as-tu fait ? Vas-y,
explique.
- C’est moi sans être moi. Il va maintenant falloir que tu ouvres ton
esprit et jongles avec de nombreux paradoxes tels que celui-ci. Disons pour
simplifier que c’était juste une intention de ma part. Je voulais que tu
viennes pour que nous puissions partir, et tu es venu. Je sais, ce n’est pas
très poli, mais il est inutile de retarder l’inévitable, il nous reste de
nombreuses choses à faire, nous pourrions continuer cette conversation en
marchant ?
Je l’observai incrédule, Gus était déconcertant. Malgré ses préoccupations
du moment, il avait l’air serein et trouvait même le moyen d’esquiver la
réponse. En fait, je sentais bien au fond de moi que tout cela l’amusait.
J’éprouvais une sensation bizarre. Malgré nos différences, je me sentais
proche de lui, incroyablement proche, un peu comme d’un frère perdu que
j’aurais retrouvé.
- Nous nous connaissons, n’est-ce pas ? Lui demandai-je sans en avoir
réellement eu l’intention. Il sourit et répondit d’une voix douce.
- Non, mais d’une certaine manière oui !
- Encore un de ces paradoxes ?
- Exactement. Nous ne nous sommes jamais rencontrés au sens où tu
l’entends et en même temps nous avons toujours été très proches l’un de
l’autre, extrêmement proches. Nous sommes issus d’une même source et
un lien subtil nous relie. Maintenant que tu es mort, tu ressens cet
attachement, et c’est comme une divine appartenance.
Laissant mes doutes derrière moi, je l’escortai d’un pas plus assuré que le
sien. Il se déplaçait en effet en zigzaguant précieusement entre des pièces
de tracteur rongées de rouille et de vieux sacs plastique à moitié enterrés
jonchant les abords du champ. Il ponctuait ses sautillements de : « Ola,
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En disant cela, il jubilait comme s’il le voyait déjà, comme si ses mots
créaient une réalité bien à lui. Un foisonnement contenu se mit à briller en
lui, comme l’intérieur d’une opale ou d’un girasol.* (*Pierre précieuse,
variété d’opale dont la teinte change en fonction de la lumière) Pour les
yeux de mon esprit, une force invisible tentait de s’échapper, comme si
cette enveloppe temporaire d’homme ne pouvait contenir plus longtemps
son désir d’exprimer ce qu’il était. La seule manifestation physique de ce
bouillonnement intérieur fut une larme qui roula au coin de son œil droit.
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Les mains levées pour apprécier le poids de son verbe, rythmant ses
mots comme un chef d’orchestre, il continua :
- Les humains manquent heureusement de foi ! sinon la Terre serait
recouverte d’objets inutiles sur plusieurs kilomètres de haut. . . Vous seriez
en guerre permanente et détruiriez certainement la planète plusieurs fois
par semaine. . . C’est pour cela que votre pouvoir est amoindri, c’est aussi
pourquoi vous apprenez ici. . . Au moins, il vous est impossible d’y faire
du mal.
- Gus, t’as pas du bien suivre le match à la télé ! Le monde souffre et la
terre se meurt par la faute d’une minorité dont la folie de pouvoir et de
cupidité nous tuera tous.
- Vraiment ! Pourquoi les laisser vous faire ? C’est irrationnel. Bah,
rassure-toi, de toute façon ça n’a aucune importance. Je te l’affirme,
impossible de vous faire mal sur terre puisque vous êtes tous immortels, du
moins, quasiment.
- Comment ça quasiment ! Lâchai-je, soudain moins rassuré.
- Tous pareils. Il vient de passer du statut de mortel à celui de quasiment
immortel et le voilà déjà qui chipote. Je vous adore, vous me faites rire
avec vos peurs, vos certitudes et votre amnésie sélective.
venait de tous les cantons avoisinants pour l’écouter vous bercer de ses
longues ballades langoureuses.
Son portrait s’afficha dans mon esprit sous les traits d’une belle jeune
femme d’une vingtaine d’années en train de m’envoyer des baisers qui
s’envolaient comme des oiseaux blancs.
- Laisse-la partir Alex, libère-la, lâche. Dit Gus sur un ton tranchant.
Un fil invisible mais curieusement tangible qui me liait à elle se coupa
sèchement. Elle s’envola comme si j’avais laissé filer un ballon de
baudruche qui entraîna dans sa liberté retrouvée mon attachement pour
grand-mère. L’image finit par disparaître comme celle des anciennes télés
qui s’éteignaient en contractant la lumière pour finir par ne laisser qu’un
point brillant au centre de l’écran.
«Celui que l’esprit seul peut percevoir, qui échappe aux organes des sens,
qui est sans parties visibles, éternel, l’âme de tous les êtres,
que nul ne peut comprendre, déploya sa propre splendeur. »
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La loi de Manou
D’après la traduction de A. Loiseleur Deslonchamps,
Les Livres Sacrés de l’Orient, 1840
Petit moineau rentre au nid
« Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion ». Khalil Gibran
Ishtar était une fillette de douze ans aussi petite qu’un moineau et qui
gazouillait comme un pinson. Ses cheveux noirs parfaitement brossés
scintillaient sous le soleil comme les ailes d’un corbeau. Ses yeux noirs et
profonds, aussi insondables que des billes d’onyx, brillaient pareilles à des
larmes d’obsidienne. Elle n’était pas vraiment timide, mais son existence
ne lui avait jusqu’alors fait connaître que mort, violence et privation. Elle
s’était détachée d’elle-même, s’était placée en spectateur d’une vie qui
paraissait être la sienne. Ishtar ne souffrait jamais malgré les horreurs qui
se perpétraient autour d’elle. Observant la vie comme un mauvais film, elle
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n’y attachait que peu d’attention, car par-delà la réalité étriquée de ses
yeux, elle voyait des choses bien plus réjouissantes.
Orpheline depuis la mort de ses parents dix ans plus tôt, elle avait survécu
presque miraculeusement dans cet enfer. La vie n’était pas facile, surtout
maintenant. Les affrontements avaient ravagé la ville et les déjà faibles
ressources s’amenuisaient un peu plus chaque jour. Pour les petits comme
elle, il n’y avait guère de changement, si ce n’est davantage de rien.
Les aléas l’avaient poussée de chez les uns vers chez d’autres pouvant
mieux subvenir à ses maigres besoins. C’était toujours avec regret que ses
protecteurs la laissaient partir, conscients de perdre ainsi la joie et
l’illumination de sa présence. Chaque départ laissait une famille dans
l’affliction, dépossédée d’une si belle âme qui embellissait la vie et
réchauffait les cœurs de ses chansons. Cependant, peu d’entre eux
comprenaient l’exemple donné et encore moins l’appliquaient. Elle
s’accommodait de sa nouvelle famille aussi facilement qu’elle enfilait ses
minuscules mules dont les talons usés offraient une seconde vie à des
morceaux de bois patiemment taillés et assemblés le soir à la veillée. C’est
donc juchée sur des mules transformées en escarpins qu’elle arpentait la
vie. Munie d’échasses, son esprit surfait continuellement au-dessus des
nuages. . .
Tout cela était vrai. Sans bien comprendre comment, elle accomplissait des
choses aussi incroyables que d’effacer le sang de sa robe ou faire
apparaître la subsistance de sa famille provisoire. Le plus inexplicable était
qu’elle avait l’impression d’être uniquement là pour ça ? Ishtar restait
muette sur ses prodiges, refusant même de se l’expliquer à elle-même.
Pour les fleurs, elle ne faisait que les cueillir à l’occasion de ses longues
promenades dans le champ de bataille qu’était devenu son pays, où, malgré
les décombres et les terres dévastées, le miracle de la vie faisait renaître
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Pour le pain et la nourriture, c’était tout autre chose. Elle partait le matin
un panier vide au bras, et le soir il était plein sans qu’elle ait eu à se soucier
de le remplir. Elle ne cherchait pas d’explication à ce phénomène, elle ne
faisait qu’y croire et dire merci à CE qui donnait, entretenant la certitude
que le lendemain tout recommencerait. Comment dire, comment avouer
cela ? De toute manière, elle ne savait pas comment ça marchait, c’était
comme ça. Elle ne voyait rien de magique là-dedans et s’étonnait même
que les autres ne sachent en faire autant. Tout cela entretenait son air
timide et réservé, mais, à bien y regarder, ce n’était qu’une apparence. En
ce temps de fer et de feu, un petit moineau se préservait, une grande et
belle âme se faisait petite et donnait beaucoup, sachant qu’elle recevrait
bien plus dans les Cieux. . .
Au contact de Gus, un voile se souleva dans son esprit pour découvrir une
réalité qu’elle eut du mal à comprendre. Elle voyait un lieu paisible
couvert d’une végétation luxuriante. Celle-ci s’étendait à perte de vue et
des animaux de toutes sortes attendaient patiemment. Il y avait aussi une
lumière incandescente à l’intérieur d’une goutte d’eau transparente, un
minuscule soleil dans une bille de verre. La goutte lumineuse se mit à
briller si fort que son éclat inonda le paysage et la faune de ses rayons
transcendants. Une émanation diaphane se superposa à sa vision, animant
le panorama d’une vie propre, d’une Conscience. Elle reconnue
immédiatement cette sensation, et se dit que bientôt elle serait dans son
fabuleux jardin.
Le destin trace la route, il conduit celui qui consent et traîne celui qui
résiste.
Principe Stoïcien
- Je ne suis pas Dieu, simplement un de ses reflets. Je suis ton pur esprit
sur un plan plus élevé, un peu plus près de la source que tu ne l’es en ce
moment.
Pensant que c’était l’heure de mon jugement, je demandai :
- Je vais être jugé ?
- Non, personne ne te juge, car tu es seul à pouvoir le faire.
- Ah ! Dis-je, sans bien comprendre ce que cela impliquait.
- Il n’y a rien à comprendre pour l’instant, Alex, simplement faire.
Raconte-moi donc ta vie sur terre, a-t-elle été profitable ?
- Un peu courte à mon goût, dis-je timidement.
- Courte ! Allons bon, ce n’est pas le temps qui compte, l’important est
ce que tu en fais. Comment as-tu aimé dans cette vie si courte ?
- Aimer. Je n’en ai même pas eu le temps ! Pourtant, ce n’est pas l’envie
qui m’a manqué, mais personne n’est venu. . .
- Et toi, es-tu allé vers eux, as-tu été généreux, as-tu été aimant ?
- Non. . .
Il sourit tristement, et devant cet être merveilleux que je venais
d’assombrir, que je pensais avoir déçu pas mon manquement, il me fut
impossible de retenir mes larmes.
- Tu vois bien qu’il est inutile de te juger, tu le fais très bien. . .
Plein de remords, j’ajoutai comme une excuse :
- J’ai aidé ma mère. . .
- Aider. Que voilà un joli mot, c’est presque comme Aimer. Y as-tu pris
du plaisir au moins ?
- Ben heu, oui. . . Disons que j’aurais préféré qu’elle se débrouille seule.
- En effet, mais si tu n’avais pas été là, elle aurait sans doute connu les
flammes de l’enfer.
- L’enfer ! Dis-je en frissonnant, il y a un donc un enfer.
- Oui, bien sûr. Tu sais fort bien créer les tourments qui t’accablent et les
flammes qui te consument, n’est-ce pas ?
- Oui, je suis assez bon à ce jeu-là et ma mère doit en être la championne
du monde.
- Oui, Suzanne est très créative. En ce moment elle retourne, elle
retourne, mais rassure-toi, tôt ou tard elle usera de son pouvoir pour
retourner le Monde. . .
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LE SOUFFLE DES ANGES
De nouveau Gus fut près de moi et notre ascension reprit, quoique à bien y
regarder, malgré ma rencontre avec cet autre moi-même, elle ne semblait
pas réellement s’être interrompue. Reprenant doucement pied dans mon
esprit, je dis à Gus tout excité :
- Tu as vu ce truc, du moins, ce gars, enfin. . .
Comment nommer, comment verbaliser ce que je venais de vivre ?
Tout ce qui nous entourait était presque aussi lumineux que l’intérieur du
tunnel qui nous avait amenés, sans que l’on puisse voir un quelconque
éclairage ou soleil dans le ciel. Des dizaines de minuscules lucioles
brillaient comme des étoiles une nuit sans lune et traçaient comme des
comètes. Elles nous accompagnaient ou escortaient des couples tels que
celui que je formais avec Gus. Notre ascenseur vibratoire avait fini par
disparaître ou plutôt se désagréger pour retourner à une énergie
Indifférenciée presque palpable autour de nous. Cette substance invisible et
pourtant vibrante semblait pouvoir s’amalgamer pour devenir à la guise,
nourriture, vêtements, logements et bien d’autres choses encore. Nous
approchions maintenant rapidement de ce qui apparaissait comme notre
destination.
Nous avions amorcé un large virage pour venir nous placer à quelques
mètres au dessus de ce qu’il convenait d’appeler une piste d’atterrissage,
dont la taille avoisinait plusieurs terrains de football mis bout à bout. Sa
teinte et sa consistance ressemblaient à une flaque de mercure où se
reflétaient les curieux bâtiments qui la flanquaient. L’ensemble faisait
penser à une gigantesque gare de verre et de légèreté, d’où s’échappait une
grande agitation. Celle-ci me submergea au moment même où nous
retrouvions une surface solide sous nos pieds.
S’il est vrai que Dieu ait uni en l’homme, sa créature et son image.
Toutes les natures, l’intellectuelle, la Céleste et l’élémentaire, comme il
n’en faut pas douter.
Ne doit-on pas avouer que l’homme est la plus parfaite de toutes les
créatures,
et que si les anges, les cieux, les luminaires et toutes les créatures
élémentaires ont des perfections, qu’elles sont toutes réunies dans
l’homme essentiel, même durant cette vie ;
puisqu’il est un petit monde et l’abrégé de toutes les créatures.
La philosophie Céleste.
Louis GRASSOT.
Angéla est une jeune Anglaise de dix-neuf ans qui a toujours vécu seule
avec son père dans la banlieue de Londres, sa mère étant morte en couches.
Ce jour tragique de sa naissance était une croix, un fardeau qui avait
anéanti son père. Pensez donc, perdre l’être qu’il chérissait le plus au
monde. Il était resté prostré, refusant d’accepter et d’aimer celle qu’il tenait
pour responsable de son malheur. Pourtant, la petite était mignonne avec
ses cheveux blonds blancs et ce toupet noir qui lui ornait le front. Lors de
l’accouchement, les sages-femmes avaient murmuré, que c’était la mort de
sa mère qui l’avait ainsi marquée d’un sceau indélébile.
Vers l’âge de douze ans, un Éveilleur s’était penché sur elle et soudain tout
avait changé. La vision qu’elle portait sur sa vie s’était mystérieusement
transformée, bien que celle-ci soit restée dans l’ensemble strictement
identique. Son père l’ignorait toujours, tel qu’à l’accoutumé, et sa chambre
dont une petite fenêtre donnait sur un minuscule jardin encombré par un
arbre noirci et calciné par la foudre, restait abandonnée par l’Amour.
Cependant, tout avait changé puisque maintenant c’était terminé, plus rien
ne l’atteignait, elle avait appris à accepter et à pardonner, se libérant ainsi
de fardeaux qu’aucun enfant ne devrait jamais porter. Depuis cette
révélation, sa vie n’était plus une fatalité. Allégée et délivrée, elle avait
pris de l’ampleur et de la hauteur, maintenant, c’était elle qui l’écrivait. . .
Son Éveilleur lui avait enseigné une forme d’autohypnose très simple et
rapide, et l’avait invitée à une pratique régulière pour en savoir plus sur
elle-même.
Rapidement Angéla était devenue une adepte de l’hypnose sous toutes ses
formes, dévorant tous les ouvrages qu’elle pouvait dénicher sur le sujet
chez les libraires et les bouquinistes. Elle avait même fait l’effort de se
perfectionner en français afin d’accéder aux écrits et aux enseignements
des fondateurs de cette école d’évolution personnelle. En France, dans ce
pays berceau d’une pratique ancestrale, elle avait découvert une forme
supra consciente d’évolution : L’Hypnose Humaniste.* (*Note de bas de
page : Olivier Lockert : Hypnose Humaniste, IFHE éditions). Cette
discipline épurée, absente de tout décorum, permettait à son utilisateur
d’ouvrir rapidement sa Conscience et d’entrer en contact avec sa source
intérieure. La pratique l’avait amenée à découvrir toujours plus de
puissance et de hauteur à sa Conscience, et cela semblait sans limite. Le
plus heureux dans cette recherche, dans cette fusion avec l’invisible, fut
AUX BALCONS DU CIEL 41
LE SOUFFLE DES ANGES
Malgré son jeune âge, Angéla était rapidement devenue une experte,
démontrant ainsi l’absence de limite pour commencer à se connaître. Pour
elle, le plus tôt semblait le mieux. Peu importait la personne ou le degré
d’instruction, l’auto hypnose était un acte totalement naturel et chacun
l’utilisait déjà sans trop s’en rendre compte. Grâce à son expérience, elle
savait que les hypnotiseurs n’avaient pas réellement de pouvoir, ils
utilisaient simplement des mécanismes physiologiques permettant de
réaliser ce que chacun pouvait maîtriser pour lui-même en quelques jours.
Maintenant guérie des blessures de son enfance, elle utilisait cet outil
privilégié pour son développement spirituel et devenait en grandissant
l’artisan d’une vie où le doute et la peur n’existaient pas.
les bouchers du virtuose qui vous ouvrira l’âme et les portes de votre
paradis en quelques mots. Le plus simple pour elle était évidemment
d’apprendre à le faire soi-même.
Son Éveilleur lui avait expliqué que la peur de l’hypnose n’était souvent
qu’une excuse évitant d’avoir à se plonger en soi-même, peur de se
regarder dans le miroir de l’âme. « Ils y voient ce qu’ils croient être »,
avait-il dit énigmatiquement, jusqu’à ce que bien plus tard elle comprenne
enfin ce qu’il voulait dire. Il avait ajouté : « En allant à la rencontre de
toi-même la peur au ventre, qu’espères-tu obtenir ? Avec joie et confiance
tu parviendras à une bien meilleure récolte. Et si ton intention est d’être en
meilleure santé ou même de guérir, sache qu’en toi se trouve le plus
merveilleux des savants, ton grand TOI ! »
Ce grand savant dont il parlait, ce grand être intérieur invisible qui donnait
sans relâche ce qu’elle demandait, santé, joie, énergie, confiance et mille
autres choses encore, Angéla en faisait souvent l’expérience, et conclu que
l’on obtenait toujours très exactement ce que l’on semait en mots ou en
pensées dans son esprit.
Un jour elle décida même de tenter une expérience, espérant semer en elle
une journée durant des pensées de peur et de colère, juste pour vérifier.
Elle n’avait tenu qu’un petit quart d’heure avant de cesser, effarée de l’état
dans lequel elle s’était mise aussi rapidement. Elle tremblait, muscles
tétanisés, ses jambes flageolaient, un vertige et un mal de tête affolaient
son cœur et son sang lui battait les tempes. Elle ne mit que quelques
instants à redevenir celle qu’elle aimait être, calme, ouverte, paisible à
l’esprit joyeux. Pour cela, il lui avait simplement suffi de mettre quelques
mots de joie et de paix dans son esprit, pour se relâcher et se détendre, son
corps se mettant au diapason de son esprit. C’était vraiment trop facile. . .
Elle devait beaucoup dans cet apprentissage à celui qui l’avait initiée et fait
naître une seconde fois, son Éveilleur. Sa mère avait mis au monde un
corps, lui avait accouché une Âme. Il était passé dans sa vie, libre comme
un courant d’air. Sans doute un Ange qui avait illuminé sa conscience et
sonné l’heure du réveil. Ils s’étaient croisés plusieurs fois avant de se
mettre un jour à discuter dans un parc qui semblait être son cabinet de
consultation favoris. Il lui avait enseigné une simple technique de yoga et
l’avait guidée jusqu’à la porte d’elle-même. Il lui en avait confié les clés,
affirmant avec une tendresse que peu savent manifester, qu’il ne pouvait
entrer avec elle et que personne ne le pourrait jamais. C’était à elle de
choisir de pousser la porte, à elle de chercher ce qu’elle choisirait de
trouver. Angéla s’était alors assidûment mise à prendre l’ascenseur pour le
centre d’elle-même et avait fini par trouver bien plus que tout ce qu’elle
aurait pu imaginer.
Il lui avait surtout appris qu’entre le fantasme sur l’hypnose, propagé par
l’esprit malade des humains, et la réalité, il y avait tout un monde. Pour
celui qui maîtrise, contrôler son état de transe est tout à fait naturel.
Personne n’aurait réussi à abuser d’elle, pas même les médias et leurs
mensonges insidieux cachés dans de belles images trompeuses, dont le seul
but est de donner peur ou envie. Elle savait que la meilleure protection
était justement d’apprendre et d’utiliser afin d’être rapidement capable de
s’entendre, de s’observer, d’expérimenter et finalement de se contrôler.
AUX BALCONS DU CIEL 44
LE SOUFFLE DES ANGES
Au début, elle avait naïvement appliqué les techniques expliquées dans les
livres sans bien tout comprendre et, surtout, sans se poser toutes les
questions qu’un adulte ou même un adolescent aurait inévitablement
soulevées. Elle était restée centrée sur sa propre expérience plutôt que sur
celle des autres. Les pourquoi ci ou pourquoi ça justifiant de remettre le
passage à l’action aux calendes grecques, n’était pour elle que bavardages
improductifs, une affection à laquelle elle remédiait en faisant taire son
esprit par un « Tais-toi » vigoureux.
Cet Amour n’était pas juste un mot ou une étiquette si souvent galvaudée
par les humains qui en usaient à tout propos avec des « J’aime pas ci…,
j’aimerais que… », ou plus sournois encore, en faisant de lui une
récompense, corrompant ainsi l’esprit de l’Amour par un odieux esclavage.
Des mots vidés de leur sens profond et symbolique. Une absence
d’attention qui éloigne inexorablement les humains de leur humanité.
Pour être juste, elle reconnaissait que certaines choses de la vie procuraient
des envolées similaires à son âme. Les promenades dans le silence de la
campagne anglaise, certains paysages, certains ciels, certaines lectures et,
bien entendu, la musique. Tout cela provoquait parfois des sensations
analogues à ce qu’elle nommait l’Amour pour simplifier.
Elle passait des heures à s’enivrer de sons, laissant son âme libre de
danser, rêver, pleurer ou rire avec la musique. Elle écoutait avec autant de
bonheur du classique, que de l’opéra, des musiques de films, du jazz et
parfois même du hard rock, chacune devenant tour à tour la bande
originale du film de sa vie. Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était le
silence, un silence dont elle avait fait son plus magnifique outil. Tout
d’abord parce qu’il lui permettait d’être à l’écoute d’elle-même. En effet,
difficile d’entendre une chose aussi subtile que sa voix intérieure dans le
vacarme de la vie. L’autre raison était que, grâce au silence, elle entrait
dans une autre dimension de l’esprit, une dimension qu’elle ne se lassait
pas d’explorer lors de ses longues méditations. Angéla en revenait à
chaque fois remplie d’une paix intérieure et d’un éclat que les autres lui
enviaient. Avec beaucoup de constance, elle avait su garder en grandissant
cette proximité avec elle-même malgré les nombreuses tentations de
l’existence, et plus encore celles du sexe opposé.
Les garçons voyaient en elle une fille énigmatique et ravissante. Cela lui
procurait une abondante cour de prétendants dans laquelle elle picorait, des
baisers, des caresses ou de la tendresse, selon ses envies, sans jamais
chercher plus qu’un contact humain auquel son père n’avait rien fait pour
l’habituer. C’était en quelque sorte sa victoire sur une éducation qu’elle
avait intégrée et dépassée avec élégance. Pour elle, ce n’était pas de
l’Amour, ce n’était qu’un amusement, une sorte d’entraînement ou de
répétition avant la grande première. Car elle attendait encore le partenaire
AUX BALCONS DU CIEL 46
LE SOUFFLE DES ANGES
Au fond de son cœur brillait l’archétype d’un prince charmant qui lui
servait de mètre étalon, mais pour l’instant aucun de ses courtisans n’avait
su se hisser au niveau de ses attentes inconscientes. Le moment voulu, elle
saurait le reconnaître, il suffisait d’être patiente et continuer d’y croire, elle
se compléterait, il ne pouvait en être autrement. Cette conviction
d’inévitablement rencontrer un jour l’Amour, un complément à son Âme,
était inattendue. En effet, avec l’exemple d’un père changé en toundra
stérile où aucun sourire, aucune attention, aucune graine ne germait jamais,
où trouvait-elle donc la foi nécessaire pour brandir une telle croyance ?
Sa mort fut rapide et indolore, comme toutes les morts. Une bousculade
devant son université la mit face à un de ces fameux bus impériaux rouge
qui passa sur elle, glaçant d’effroi ses camarades qui chahutaient sur le
trottoir. Elle se retrouva debout sur la passerelle arrière, à se demander si
elle avait pris un ticket avant de monter ? Elle avait un curieux blanc dans
son esprit, comme s’il manquait quelques images au film de sa vie. Un
étudiant replet, à la stature d’ours vêtu un uniforme scolaire inapproprié la
regardait. Il était assis sur le strapontin du receveur qui gémissait sous son
poids considérable. Ses jambes croisées mettaient en évidence des cuisses
épaisses et velues qui tendaient le tissu d’un bermuda visiblement trop
étroit pour contenir le séant d’un tel personnage. Sa casquette de cricket et
ses lunettes lui donnaient l’air d’un des jumeaux Tweedledee et
AUX BALCONS DU CIEL 47
LE SOUFFLE DES ANGES
- Salut Angéla. Dit-il en la fixant droit dans les yeux avec une intensité
déplacée.
Elle vit à l’intérieur de ce regard une âme d’une telle bonté, d’une telle
pureté qu’elle en tressaillit de surprise. Elle crut un instant que ce drôle de
type affublé d’un déguisement douteux, malgré un je-ne-sais-quoi de
sympathique, était l’élu, celui avec qui elle compléterait son cœur. Sa
largeur d’esprit était immense et lui permettait d’accepter ce que beaucoup
aurait simplement renoncé à envisager, cependant, les cheveux gras ou
peut-être l’épi qui avait jailli quand il avait soulevé sa casquette, ce ne
pouvait être lui. Du moins, elle l’espérait !
- Je m’appelle Gus. Mon vrai nom c’est Gustave, mais tout le monde
m’appelle Gus.
- C’est qui ? Tout le monde ! Lui répondit-elle en soulignant le « tout ».
Elle aimait savoir ce que les autres mettaient derrière ces généralisations
ou raccourcis qui leur servaient souvent à camoufler bourreaux ou
victimes. Surpris par cette question inhabituelle, Gus répondit en montrant
le plafond du bus de l’index :
- Mes amis et les personnes qui vivent avec moi au Ciel.
- Au Ciel, répondit-elle calmement.
En un éclair, elle pensa : « Soit c’est un dingue, soit c’est moi qui suis
dingue. » Elle fit un effort pour trouver d’autres possibilités qui lui
permettraient d’échapper aux limites étriquées de cette pensée booléenne.
En quelques instants, son esprit habitué à cette gymnastique identifia au
milieu d’une dizaine de nouvelles options celle qui semblait la plus
probable : « Tu es morte, Angéla ! »
Sa curiosité fut la plus forte, face à une telle nature, il s’autorisa à sonder
plus profondément le cœur et l’âme d’Angéla. . .
N’étant pas attirée par la religion, elle avait néanmoins patiemment fait
l’inventaire des croyances de chacune, passant de longs mois dans les
bibliothèques à naïvement répertorier, analyser et synthétiser les
principales doctrines religieuses et leurs enseignements. Comme pour la
vie après la mort, Angéla en avait conclu que personne n’avait la preuve de
l’existence de Dieu et que, contrairement à ce que la plupart prétendaient,
aucune ne possédait le secret de la Source de Vie. Les messagers étaient
nombreux et aussi hétéroclites que la pensée humaine. Cependant le
message était très clair et variait peu, ça parlait de l’Amour de soi-même,
de son prochain et de toute forme de vie. Elle observait simplement que si
l’on faisait fi des dogmes et du décorum, la majorité d’entre elles
tournaient leurs yeux et leurs prières vers un même lieu, le Ciel. Pour
Angéla, le Ciel ou le centre d’elle-même, c’était pareil, elle y faisait les
mêmes rencontres. Quant à savoir ce que les autres y trouvaient, elle était
certaine que chacun en avait pour son compte. Son esprit n’essayait même
pas de l’imaginer, elle préférait sa propre vision si rassurante.
bonheur d’aimer. Le principal était de cultiver une Foi qui donnait des
ailes lorsqu’on se sentait un peu trop chenille. Sa merveille aurait ajouté :
« Commence déjà par croire en toi, c’est assurément un bon début. . . »
Elle croyait donc en elle et dans ses capacités grandissantes. Sans doute
auraient-elles semblé très moyennes sur une échelle humaine. Cependant,
au vu de la Conscience, elles étaient incomparables. Angéla était attentive
aux sensations que lui renvoyait son corps, sa tête mais aussi son âme. Ce
talent lui permettait de ressentir finement ses véritables besoins
physiologiques et spirituels, des besoins auxquelles elle attachait une
importance vitale. Des choses évidentes comme la faim, la fatigue, mais
aussi le besoin de prendre du plaisir, de se recentrer, de se rassembler, de
prier sa merveille, de pardonner aux autres leurs imperfections, et aussi de
se pardonner de ne pas être elle-même parfaite. Cet éveil, cette attention
continue, lui permettait d’identifier immédiatement les moindres tensions.
Elle réagissait alors avant qu’elles ne s’installent, sachant pertinemment ce
que chaque irritation voulait dire, dans tous les cas un urgent besoin de
changer quelque chose dans sa tête. Souvent ce n’était presque rien, il
s’agissait simplement d’accepter une situation qui paraissait contraignante.
D’autres fois, ce pouvait être de pardonner le jugement à l’emporte-pièce
ou la méchanceté d’un condisciple pour instantanément s’alléger du
fardeau de la rancœur. Pour les troubles légers, il lui suffisait d’installer en
elle des pensées contraires ou apaisantes, et pour les choses plus lourdes,
elle méditait jusqu’à comprendre la raison de son mal-être, parlait de son
trouble avec sa « Merveille » jusqu’à trouver le positif dans la cause de son
déséquilibre.
Elle était bien obligée aussi de croire en cette autre voix si dissipée qui se
faisait souvent entendre, sorte de voisin bruyant et agaçant dont chacun
s’irrite de la présence dans l’immeuble. Elle était maintenant capable de la
reconnaître au premier tour de clé, au premier mot commençant
invariablement par « Moi » ou « Je ». Des paroles souvent gémissantes,
manquant cruellement de sagesse ou d’objectivité, dont les tentatives pour
faire passer de petites préoccupations pour vitales étaient teintées
d’orgueil, de vanité ou de préjugé. Cette voix exprimait la peur de manquer
ou de ne pas en avoir assez, et lui laissait imaginer des
scénarios-catastrophes dont finalement elle s’amusait, tant ils étaient
risibles. . .
Gus entendit tout cela, comme s’il s’agissait de sa propre pensée. Stupéfait,
il émit un sifflement admiratif et lui dit mentalement :
- Eh bien, vous avez raison, mademoiselle, vous êtes morte !
Angéla afficha une moue pincée en recevant clairement les mots de Gus :
- Cela paraît évident. Lui répondit-elle avec un affront qui le fit sourire.
Cette fille est vraiment une exception, pensa-t-il, c’était d’ailleurs l’objet
de sa mission : extraire l’Exception immédiatement, et la libérer du champ
magnétique terrestre, ne pas attendre son départ naturel convenu bien plus
tard.
Tout était là et bien là. Elle se mit à ausculter, à écouter, à ressentir chaque
partie d’elle-même avec une lucidité qu’elle n’aurait jamais espéré
atteindre de son vivant, même après une vie de travail acharné, et elle se
sentait merveilleusement bien. En faisant ce tour du propriétaire, Angéla
décela une limitation dont elle s’occupa comme à son habitude, séance
tenante. Gus était en admiration devant l’acuité sensorielle de la jeune
femme. Il resta muet, et laissa Angéla se délivrer seule de ses entraves
terrestres.
net, avec un bruit sec, les liens qui se désagrégèrent en pluie de poussière
d’argent. Au même instant, elle sentit son ventre se libérer, tandis que les
formes brusquement relâchées s’envolaient en lui faisant des adieux de la
main tout en murmurant des mercis sortis de bouches vides. Ils
s’exclamèrent soudain en cœur :
- Pardonne-nous Angéla, pardonne-nous. . .
Figée par le réalisme empreint de tension et d’émotion, les larmes aux
yeux, elle répondit d’une voix émue :
- Je vous pardonne et je vous libère. Je vous demande de me pardonner
ce que j’ai pu vous faire ou ne pas faire, je vous souhaite à tous de trouver
dans vos vies l’abondance, la paix, la sagesse, l’unité et l’Amour. . .
L’air redevint translucide, comme si un soleil radieux s’était enfin levé sur
la capitale anglaise. Angéla irradiait intérieurement une puissante lumière
blanche semblable à celle d’une lampe incandescente. Sa luminescence
rayonnait et inondait la place, d’une onde invisible pour les badauds,
inconscients de marcher au milieu d’un flot d’amour. Certains, sans doute
plus sensibles, poussaient néanmoins de grands soupirs d’aise alors que
d’autres s’extasiaient d’émotion sans raison. Tous eurent cependant
l’espace d’un instant, l’image d’une femme céleste et radieuse qui
s’imposa dans leur esprit.
Les yeux d’Angéla laissèrent perler quelques gouttes de cristal virtuel sur
ses joues rose et brillantes de vie. Ses poumons se remplirent largement et
elle dit à Gus dans un souffle :
- Si j’avais su, je serais morte avant.
Gus perdit instantanément son air joyeux et c’est la mine sombre qu’il
répondit :
- Pour le suicide, c’est bien plus compliqué, Angéla. Tout ce qui n’est
pas accompli devra l’être d’une manière ou d’une autre. Quitter la partie
avant la fin, c’est s’assurer de revenir jouer dans une autre vie parfois
encore plus difficile. Vous avez libre choix de vos vies et de vos actes et
personne ne vous jugera si ce n’est le plus intransigeant des juges, votre
âme. Cependant, pour qu’il y ait un jeu, il faut des joueurs. En jouant, vous
apprenez, et pour faire l’expérience, il faut nécessairement jouer, c’est un
AUX BALCONS DU CIEL 55
LE SOUFFLE DES ANGES
longtemps de pêcher dans les mêmes mares putrides et n’en remonter que
colère et amertume.
- Gus, es-tu un ange ?
- Oui, dans un sens, tout comme toi Angéla, mais là où nous allons, nous
sommes les Essentiels.
Ayant entendu « Essence Ciel », elle répliqua :
- L’Essence du Ciel, c’est très clair, les autres Anges sont-ils tous
comme toi, ou bien es-tu aussi une exception ?
- Oh non, nous sommes tous uniques et exceptionnels, mais toi, tu l’es
encore plus, tu es « l’Exception ».
- Qu’est ce que ça veut dire ?
- Il ne m’est pas demandé de t’instruire de cela Angéla, il te faudra le
découvrir par toi-même, et tu sais très bien pourquoi.
- Hum, parce que si je n’en fais pas l’expérience, cela ne restera qu’un
mot vide de sens.
- Exact, nous avons en nous d’infinies possibilités, elles attendent de
prendre vie à l’usage, à l’usage uniquement, c’est notre apprentissage.
- Apprentis Sage, dit-elle rêveusement avant de prendre une moue
d’enfant. C’est rageant de savoir que l’on est exceptionnel, et que. . .
- Tut, tut, tut, dit-il en levant ses gros sourcils.
- Je te demande de m’excuser Gus, je vais être patience car c’est ma
couleur préférée, ajouta-t-elle, juste pour elle.
- Ah, si tous les nouveaux arrivants étaient comme toi, le royaume des
cieux serait sur Terre Angéla, nous n’aurions rien à faire.
- Une éternité où il ne se passe jamais rien, où il n’y a rien à faire, rien à
apprendre. Mon Dieu quelle tristesse, ça finirait par nous tuer !
- Je suis bien d’accord avec toi, c’est pour cela qu’il faut jouer et ensuite
oublier que c’est un jeu, descendre régulièrement sur Terre pour se
dégourdir les sens. Et si maintenant nous allions au ciel essayer toutes tes
nouvelles capacités. Ici c’est un peu trop épais.
- Oh oui, je te suis. Fit-elle avec enthousiasme en montrant le ciel d’un
index vainqueur.
Il est vrai, certain et sans mensonge, que tout ce qui est en bas est comme
ce qui
est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour
accomplir les
miracles de l’œuvre unique.
De même, toute chose tire son origine de l’Unique, par la volonté et le
verbe de l’Un qui l’a créée dans Son Esprit. Ainsi toute chose naît de l’Un,
par adaptation et œuvre de la Nature, et peut être améliorée par
l’Harmonie avec cet Esprit.
Table d’émeraude
VERBA SECRETORUM HERMETIS
Une simple question d’équilibre
La séduction représente la maîtrise de l’univers symbolique, alors que le
pouvoir ne représente que la maîtrise de l’univers réel. Jean Baudrillard.
moyen, quel qu’il soit, d’être à égalité avec son attaquant, parfois même en
affaiblissant celui-ci. Son rôle n’était pas d’offrir la victoire, simplement
d’assurer un juste équilibre et de laisser ensuite parler le cœur des
hommes. Il faisait en sorte de souffler des solutions acceptables pour les
deux camps, s’accommodant du libre arbitre de chacun, ou plutôt de
l’absence de choix dû aux cultures et aux croyances des uns et des autres.
Pour lui les conflits n’étaient qu’étroitesse d’esprit et manque de points de
vue. Lui qui pouvait les adopter tous en même temps souriait et
compatissait inlassablement aux ego qui se déchaînaient sur Terre. En lieu
et place d’une quelconque colère ou frustration, il était admiratif devant
l’énergie déployée à maintenir des pensées aussi égoïstes, affreusement
archaïques et manquant cruellement de nouveauté et de bon sens. Tout cela
n’avait aucune importance, l’homme apprenait l’Amour, qu’il le veuille ou
non, inévitablement il changerait.
Il avait été sur tous les fronts, usant de sang-froid et d’audace dans toutes
les situations justifiant un bon rétablissement de l’équilibre. Ces
nombreuses vies l’avaient fait tour à tour chef de guerre ou d’état, avocat,
médecin, religieux, diplomate et bien d’autres encore, s’incarnant sans
préférence ni état d’âme. Pour l’instant, il était un sénateur influant à la
Maison Blanche. Son physique était celui d’un homme gras, arborant une
grosse moustache qui sentait affreusement le cigare. Il collectait des fonds
pour une énième crise, entouré par un staff composé de jeunes diplômés.
Son aide prenait des formes très variées, parfois combattante, négociatrice,
juridique ou même économique, favorisant la mobilisation des médias ou
de l’opinion publique, bousculant les cœurs et les âmes vers plus
AUX BALCONS DU CIEL 59
LE SOUFFLE DES ANGES
Il fut pris d’une violente douleur dans le bras gauche qui le fit hurler. Il
bascula en avant, entraînant dans sa chute un paper board qui s’écroula
dans un fracas assourdissant qui fit sursauter et se figer les membres de son
équipe. L’instant de surprise passé, un vent de panique les ranima et les
mit en action, les faisant courir dans tous les sens en s’invectivant sur ce
qu’il convenait de faire. Une secrétaire zélée, attiré par l’agitation et les
appels, ouvrit précipitamment la porte du bureau et, voyant son patron, cet
homme si droit et si juste, elle sut immédiatement qu’il était mort et se mit
à hurler comme une perdue. . .
« Didacti-Ciel »
Sybèle est dans le hall d’un petit hôtel céleste. Elle attend patiemment,
immobile, elle sait précisément quand ils seront là. Se laissant porter par
les rafales d’extase que cela lui procure, elle contemple la vie de la
multitude d’esprits en recherche de nouvelles manières de devenir. Pour
elle, le temps comme l’espace n’est pas divisé en futur, passé et présent, il
est contracté en un unique instant ou tout existe, ou tout est là autour d’elle
sans distance et frissonne de vie véritable.
Pour éviter cela, les Essentiels ne sont pas seuls, ils travaillent en équipe
ou en famille. Famille d’âmes, il va de soi. Ils s’incarnent pour jouer les
scénarios les plus pertinents pour grandir. C’est quoi grandir ? C’est
trouver l’harmonie, l’équilibre, la perfection, la justesse pour vivre la
colère, la tristesse, la déception, mais aussi, l’exercice du pouvoir, la
domination, la joie, et tout un tas d’autres concepts propres à la vie, qui
finalement n’auront valeur de point d’orgue* qu’en usant de l’Amour.
(Note de bas de page : En musique, le point d'orgue produit une
suspension passagère du tempo au gré de l'exécutant. Ô temps ! suspends
ton vol. . .)
Pour cela, ils reçoivent aussi l’aide d’Essentiels haut placés dans la
hiérarchie céleste. Des guides, des maîtres, et aussi de grands archanges
venant de plans supérieurs, qui s’abaissent et consentent à faire le don
d’eux-mêmes. Cette aide, on la retrouve aussi sur Terre, elle provient des
familles, des proches et de nombreux inconnus souvent inconscients de
jouer eux-mêmes. Mais qui en jouant le jeu, évoluent tous
imperceptiblement. Car en permettant aux âmes égarées de retrouver la
lumière première, chacun se glorifie et glorifie à sa manière La Source de
toute chose.
La Terre, c’est le passage du feu, celui qui fond le minerai brut et épais
dans un grand rougeoiement pour lui faire rendre son sang de métal. Le
lent et patient travail de chauffe livre un précieux lingot qui deviendra pour
celui qui voudra patiemment le travailler une lame pour ouvrir les cieux.
Le but est alors de perdre l’agitation et la colère grâce au feu terrestre,
fabuleux outil de décantation et de purification. Car en purifiant la matière,
on se purifie soi-même. Les coups de marteau qu’assène la vie, battant le
métal rougi de courroux, ne sont que ceux du forgeron divin cherchant à
aligner, à faire entrer à coups de merlin la lumière dans la pièce brute. Les
coups sonnent sur le métal brûlant, arrivant parfois à transmuter un son en
lumineuse prise de Conscience qui jaillit alors, étincelante. . .
Pour un Essentiel, quel que soit son niveau d’évolution personnel, chaque
incarnation est un moment nécessaire et décisif. Impossible en effet
d’achever la création de soi-même en une seule vie d’homme, trop
d’éléments dépendent de l’hérédité et de l’environnement, alors on y
retourne, même si ça fait peur. Pour certains, s’incarner apparaît parfois
comme une plus grande épreuve que la mort. En même temps, lorsque
l’immortalité devient insupportable, imaginez comme il est agréable de
tout oublier le temps d’une existence Terrestre pour mieux apprécier au
retour ce que l’on est. Cela demande néanmoins un immense courage et
AUX BALCONS DU CIEL 65
LE SOUFFLE DES ANGES
Sybèle sait qu’il ne peut y avoir d’échec, tous réussissent en fin de compte,
car elle connaît fort bien le début et la fin de l’histoire. Sans passion,
totalement immobile, l’attention portée partout en même temps, elle ne fait
que contempler cette source de vie qui commence et se termine au même
point. Elle ne fait qu’observer les circonvolutions du passage de l’un à
l’autre en y participant pleinement.
Hortulus Sacer
(L’enclos Sacré De La Fleur Hermétique)
Anonyme – 1732
Au cœur de l’essentiel
Cet admirable tableau était malgré tout terni par de nombreuses personnes
hébétées, comme au sortir d’un long coma ou d’un mauvais rêve. Elles
arrivaient accompagnées de passeurs qui les soutenaient avec déférence.
Ces grands convalescents ou accidentés de la vie semblaient même pour
certains encore dormir, sans doute pour qu’elles ne soient pas effrayés. Je
AUX BALCONS DU CIEL 67
LE SOUFFLE DES ANGES
Quoi qu’il en soit, nous convergions tous vers ce qui semblait être l’entrée
ou la sortie de cet édifice aux proportions surprenantes. L’endroit était
impressionnant, aussi démesuré que la coque d’un paquebot de verre en
carène. Une foule bigarrée se déplaçait sur le sol ou dans les airs au milieu
des cris et des vitupérations. Un incessant ballet de sons et de lumières, de
bousculades et d’embrassades me faisait tourner la tête en tous sens pour
ne pas en perdre une miette.
J’étais entouré par des hommes et des femmes vêtus tels qu’ils étaient au
moment où la mort avait sonné à leur porte, c’était parfois cocasse. Il y
avait aussi des êtres lumineux plus ou moins éblouissants au regard de la
perfection de leur esprit, et encore quelques animaux hétéroclites,
essentiellement des chiens, mais aussi des chats et, vous n’allez pas le
croire, un cheval et même un canard ! Les maîtres respectifs* se
retrouvaient avec une indescriptible émotion, parfois bien plus touchante
qu’avec des proches. Émerveillés, les humains rencontraient des
compagnons qui souvent avaient été le seul être à égayer leurs misérables
vies. Ils les cajolaient et les couvraient de mots doux, alors que pour leur
part, ces animaux qui avaient si bien côtoyé des hommes, au point d’en
avoir acquis une Âme, semblaient bien moins surpris de ces retrouvailles
célestes. Car pour celui qui vit intensément l’instant présent, l’absence et la
mort ne dure qu’un instant. (*insertion de bas de page : Qui est le maître
de l’autre ?)
« Tu les vois tel qu’ils sont. Ici, impossible de faire illusion, mais il est
possible qu’eux s’imaginent encore avec leurs vielles silhouettes
rassurantes de vivants. La plupart le feront encore longtemps, tu
comprendras vite qu’ici comme ailleurs, il ne faut pas se fier aux
apparences. »
- Et moi, je n’ai pas changé, je suis toujours le même.
- Toutefois tu t’es déjà métamorphosé et continueras de le faire encore et
encore. Tu n’en es pas réellement conscient, mais pourtant, ne plus avoir
de corps, c’est déjà un immense changement.
- J’ai pourtant l’impression d’en avoir encore un, est-ce grave docteur ?
Il éclata de rire et poursuivi :
- Non, tout va bien, simple préservation de ton esprit. Dans sa grande
sagesse, il garde des repères pour t’éviter de sombrer dans la folie.
- Pourquoi, on peut devenir fou au ciel ?
- Comme sur terre mon ami, comme sur terre. Je te le dis et te le répète,
quel que soit le niveau vibratoire, nous vivons les mêmes choses, seuls nos
buts ou nos objectifs peuvent sembler différents, bien qu’à y regarder ils
soient parfaitement identiques.
- En tout cas, je suis bien content d’avoir gardé ma belle mèche blanche,
elle me rassure.
- Bientôt tu revêtiras ta véritable apparence. . .
- Quoi ! Comme une sorte de déguisement ?
- Oui un peu, disons plutôt comme si tu enlevais définitivement celui
que tu portes en ce moment. Si tu désires changer d’apparence, change ce
que tu portes en toi, car ici comme sur terre, tu es à l’image de tes pensées.
Si quelque chose ne te convient pas ou te limite, change d’idée à son sujet.
- À t’entendre, il suffirait de décider d’être beau pour instantanément le
devenir ?
Il sourit largement avant de répliquer :
Fermant les yeux pour mieux concevoir une nouvelle image au physique
idéal, j’imaginais mentalement un miroir reflétant le corps musclé d’un
culturiste. Une représentation d’Arnold Schwarzenegger au temps de sa
jeunesse vint naturellement servir de modèle à mon esprit. J’essayai
vainement de mettre mon visage à la place du sien, mais une partie de mon
être intérieur refusait obstinément de m’associer à ce corps sculptural.
- Entre dans le miroir, me suggéra Gus en pouffant de rire.
Sois-en certain, c’est votre ego surdimensionné qui vous pousse à le croire.
- Es-tu en train de me dire qu’il y a d’autres mondes habités. . .
- Une infinité Alex. . . Nous sommes bien plus nombreux que ton
imagination féconde ne puisse l’imaginer. D’ailleurs, pour vous, le plus
difficile à entendre est que nous sommes tous de la même essence, tous de
la même Source.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ! Il n’y a pas de pourquoi, ta question correspond à une
logique hallucinée, il m’est impossible d’y répondre logiquement.
- Essaye quand même. . .
- Il y a un rapport entre l’énergie et l’information, ce sont des éléments
fondamentaux infinis et sans limites. Cette information et cette énergie,
d’où qu’elle vienne, n’ont ni commencement ni fin, car tout coule et
ruisselle, porté par la structure du divin primordial. Les humains appellent
cela l’Amour.
- Ah, d’accord, et en faisant plus simple, juste pour que je comprenne.
Il sourit et me remercia silencieusement de lui rappeler qu’au lieu de
s’écouter parler, il gagnerait à se mettre à ma portée. Il reprit sa
démonstration en innervant ses phrases de symboles qui s’affichèrent dans
ma tête :
- Tout ce qui a été, est et sera, de la plus petite des particules au grand
Multivers* infini n’est qu’information, n’est que Conscience. La vie est
Conscience et la Conscience c’est Vie. Celle-ci provient de La Source, La
Source de l’Être, l’Esprit Universel et paradoxalement, en même temps,
nous sommes La Source. Une simple pensée, une idée ruisselante.
L’Amour est la projection d’une force que tu appelles Dieu, et tout ce qui
existe baigne dans cette information primordiale. (*Note de bas de page :
Ensemble de tous les univers possibles)
Le zoom qu’il imposa à mon esprit entre la taille des particules et l’infini
du pluri-univers faillit me faire tomber à la renverse. À peine remis, le mot
Amour m’emplit d’une douloureuse extase et d’un émerveillement qui
dépassa largement le champ de ma Conscience. C’était ça ! C’était ce que
j’avais cherché toute ma vie sans le savoir. En ce moment, cette
inexprimable sensation était en moi et cela était au-delà des mots. . .
sont pas des livres qui disent la vérité absolue, ils parlent d’une vérité,
souvent celle d’un individu ou d’un groupe. Ce qui rend les livres saints si
importants, c’est avant tout à cause de l’intention qu’ils renferment, celle
de changer tes pensées, de t’aider à devenir meilleur, de tourner tes yeux
vers une réalité impalpable et te mettre sur le chemin du Divin ou de
l’Amour.
Autant dire que cela m’arrangeait, car dès mon plus jeune âge, j’avais fui
les églises. On avait bien essayé de faire de moi un enfant de chœur,
espérant ainsi que j’aurais à cœur de me tenir tranquille, mais peine
perdue. Un enfant qui s’ennuie dans une église empêche de croire en Dieu.
Le catéchisme avait été un calvaire, et ce diable que les ecclésiastiques
agitaient comme une marionnette dont ils tenaient eux-mêmes les ficelles,
me terrorisait. Quant au jugement des prélats sur la créature soi-disant
imparfaite que j’étais, ce fut une crucifixion. Avec un nom de famille
comme Church*, je n’avais pas besoin d’en rajouter, mon église, elle était
en moi depuis toujours. On tentait de m’inculquer des croyances basées sur
le mensonge et la peur, où l’image du caractère sacré de l’Amour n’était
que misogynie et obscurantisme, manipulation et abjectes déviations, où
l’esprit de partage voulait avant tout dire, enrichissement personnel. Un tel
culte ne pouvait être digne de mes pensées. Si bien que grand-mère avait
rapidement évité de me forcer à pratiquer, au grand soulagement du curé et
de l’ensemble de la paroisse qui m’avaient assimilé à un démon en
puissance. (*Note de bas de page : Mot anglais pour église.)
Depuis ce temps, ma seule relation avec Dieu avait été de dire : « Merci La
Vie ». Et quel que soit le résultat, à chaque nouvelle entreprise, ou à
chaque fois que je terminai quelque chose, je remerciai La Vie. Cela
m’avait plutôt bien réussi, du moins jusqu’à ma mort. Cette mort, j’en
prenais de plus en plus conscience, apparaissait bien moins tragique au
demeurant que tout ce que j’avais pu imaginer. Cependant, l’idée d’avoir
laissé ma mère derrière et la conversation un peu plus tôt avec Gus refirent
surface. Je m’entendis dire, tout en m’emplissant à nouveau de la colère
qui m’avait fait serrer les poings : « Qui va s’occuper d’elle maintenant
que je suis mort ! »
AUX BALCONS DU CIEL 77
LE SOUFFLE DES ANGES
Les symboles et les images associés à ces mots s’affichèrent devant moi,
dans un éventail composé d’écrans de cinéma. Sur un je voyais ma mère
dépressive, seule et le visage noyé de larmes, un tube de barbiturique vide
sur la table de nuit. Sur un autre, mon cercueil entouré de ma famille, de
mes camarades et professeurs, tous effondrés. Sur un troisième, j’entendais
Gus dire : « Elle changera ou te retrouvera très vite là-haut. » Je compris
soudain ce qu’il avait voulu dire. Sur un quatrième j’étais ici, brillant
comme un astre, en train d’accueillir ma mère finalement en paix.
Il n’en dit pas plus, mais je commençai à m’habituer à ses curieux présages
ne donnant droit à aucune autre explication. Reprenant le contrôle des
opérations, il lança pour moi comme pour lui :
- Étant donné que personne n’est là pour t’accueillir, nous pouvons
passer aux formalités.
- Ben oui c’est vrai, personne pour moi, comment ça se fait ?
- C’est souvent le cas, tu es jeune, ta famille terrestre est toujours en vie,
et puis tu sais, la famille. Tu te souviendras vite qu’ici c’est bien différent
de sur Terre. Reste là, je reviens dans un instant.
Il se volatilisa comme si une saute de vent l’avait soufflé, me laissant seul
avec une interrogation de plus.
franchise et élégance ce que vous aviez besoin d’entendre avait fait d’elle
une femme respectée, à qui l’on prêtait un grand bon sens et des dons de
guérisseuse. Pourtant, elle était avare de conseils, gardant sa vérité pour
elle et invitant chacun à trouver la sienne. Pour cela, elle racontait de
petites histoires dans lesquelles elle semait des graines de changement ou
de Conscience. Elle disait que donner un conseil, c’était comme aider un
papillon à sortir de sa chrysalide. Sans faire l’effort nécessaire pour vivre,
jamais ses ailes ne deviendraient assez fortes pour lui permettre d’atteindre
le Ciel. . .
Gus me tendit un verre qu’il fit apparaître spontanément entre ses mains.
- Tiens, bois, un don du Ciel, ça te remettra. . .
La boisson était d’une transparence légèrement bleutée. C’était de l’eau
toute simple, merveilleusement pure et désaltérante. Elle jaillit dans ma
bouche comme une source vivifiante qui se répandit et s’écoula
joyeusement dans tout mon être comme si je n’avait pas d’organes.
- Cela vaut bien tous les champagnes du monde, affirma Gus. Nous
fêterons ce soir dignement ton arrivée en buvant des choses plus
pétillantes. Pour le moment, j’ai accéléré notre passage étant donné ta
rencontre avec qui tu sais.
Il dit cela avec un air de conspirateur, comme si pour lui c’était plus
qu’une simple formalité ?
Gus me précéda et ouvrit notre chemin vers l’intérieur d’un bâtiment qui
s’élançait fièrement, semblable à une tour Eiffel de verre et de légèreté. Au
passage sous une des arches iridescentes, une chape de calme et de silence
se matérialisa soudain autour de nous, annihilant les émissions sonores,
psychiques et sensitives de l’extérieur. Cette accalmie inattendue me figea
dans l’immobilité et l’attention, à l’écoute de la paix revenue. Me retrouver
ainsi avec moi-même fut divin. Il faut dire que depuis ma mort j’avais
ressenti mon existence plus pleinement et plus somptueusement que
jamais. Ce moment était comme une sorte de parenthèse, cela m’en fit
prendre Conscience. J’avais le sentiment d’avoir vécu plusieurs jours en
quelques minutes, et mes sens résonnaient encore de cette étonnante et si
magnifique expérience. Progressivement mon cœur et mon esprit cessèrent
AUX BALCONS DU CIEL 82
LE SOUFFLE DES ANGES
Cela semblait si naturel pour lui, qu’il avait l’air étonné de se l’entendre
dire. J’avais l’impression que les mots lui permettait de subitement prendre
AUX BALCONS DU CIEL 85
LE SOUFFLE DES ANGES
Chants Alchimiques
Anonyme
AUX BALCONS DU CIEL 86
LE SOUFFLE DES ANGES
Agapes célestes
L’air extérieur parfumé de senteurs melliflue était aussi pur et enivrant que
celui d’un sommet himalayen. Je me retournai et levai la tête en direction
du nuage pour m’apercevoir avec stupeur qu’il avait disparu comme par
magie. À sa place se déployait un ciel céruléen, qui malgré le jour et
l’extrême luminosité était constellé d’étoiles aussi visibles que sur terre
lors d’une nuit sans lune. Repenser à la Terre que je venais pourtant de
quitter libéra en moi une vague de nostalgie. Elle enfla et souleva un soupir
de regret dans ma poitrine, puis retomba avec fracas sur le rivage intérieur
de mon cœur. L’écume, sans doute, fit perler une larme, je prenais
douloureusement conscience, c’était fini, je n’y retournerais jamais. . .
Évidemment, à ce moment précis, je ne savais pas encore.
- C’est un simple souvenir, le passé est loin, il est loin derrière toi
maintenant. Reviens donc avec moi, ouvre les yeux sur les présents de la
vie.
Sans m’en rendre compte, Gus avait guidé mes pas jusqu’à une vaste
fontaine de cristal autour de laquelle se reposaient de nouveaux arrivants,
tout comme moi désorientés par un si grand changement dans leur vie. En
effet, pas facile d’oublier qu’une heure plus-tôt la plupart étaient encore
malades, blessés, vieux ou à l’article de la mort. Pour l’instant, ils étaient
entourés par de nombreux amis et parents pour les rassurer. C’était comme
dans un rêve, les couleurs étaient étranges, mouvantes, comme rajoutée.
Cela faisait penser au parc d’un sanatorium des années trente, comme dans
un vieux film du début du cinéma. Ce lieu existait bien, mais en réalité il
était dans une autre division céleste. Cependant, chacun pouvait l’invoquer
et temporairement y projeter un double de lui-même pour profiter de ses
effets, ce que Gus venait de faire.
- Observe, écoute, ouvre tes yeux et tes oreilles, sois attentif, libère ton
esprit de ses vaines préoccupations, laisse le passé à sa place, renvoie le
derrière toi et reviens ici, maintenant, vis ta vie et non l’illusion créée par
tes pensées. . .
- Tu as raison Gus, dis-je en sortant de ma torpeur comme s’il m’avait
pincé.
- Cela semble pourtant aller bien mieux. . . C’est ce que l’on dit en tout
cas. . .
- En effet, on vous fredonne une jolie berceuse pour rassurer et endormir
l’enfant. Vos médias jouent un air bien doux, malheureusement meilleur
que celui de ceux qui cherchent à vous avertir. Mais la berceuse est un
requiem qui s’achèvera par un couac retentissant.
- Que veux-tu dire ?
- La fin arrive, c’est inéluctable, il est temps pour les humains de se
mettre à prier.
- La fin du monde !
- Pas la fin du monde, Alex, la fin des temps, le retrait du voile. . .
- Foutaise. Dis-je la voix fourbie d’un éclat de colère, avec cependant la
certitude d’être en train de me mentir à moi-même.
Gus me regarda tristement et adressa cette pensée silencieuse à La Source :
« Même lui refuse d’entendre la vérité ! »
- Excuse-moi Gus, ce n’est pas ce que je voulais dire, mais ça semble si.
..
- Si incroyable, n’est-ce pas. Parce que le mot fin te fait peur, tu lui
attribues une connotation négative. Pourtant, ta mort te semble t-elle
négative ?
- Non.
- Le changement est-il difficile à vivre ?
- Non au contraire.
- Alors, considère la fin des temps comme potentiellement positive. Si
j’ajoute que les temps qui viennent sont ceux de la fusion, ceux où vous
direz « Nous » au lieu de « Moi », ces temps ne sont-ils pas souhaitables ?
- Si, dis-je penaud.
- Ils sont inévitables, Alex, inévitables. . . Car notre âme le souhaite. . .
Votre difficulté est de ne plus croire au merveilleux, de ne plus être
capables d’avoir une vision commune paradisiaque de la Vie sur Terre, de
bâtir des merveilles. Vous comptez, vous comptez sans cesse. Les nombres
ne vous ont pas été donnés pour ça, ils doivent servir à donner du corps et
des dimensions à l’incommensurable. Mais il y pire encore. Vous êtes
tellement persuadé de devoir accoucher dans la douleur que c’est ce que
vous obtiendrez. Pourtant, il y a plein d’autres manières de changer. . . Plus
AUX BALCONS DU CIEL 92
LE SOUFFLE DES ANGES
désirable qui à chaque fois m’avait tant aimé, et qui j’en étais certain,
m’aimerait encore. Gus me dit :
- Bientôt, nous irons aux Chroniques Spirites et tu te souviendras bien
mieux. Je suis certain que nous arriverons très vite à identifier ta dulcinée.
C’est rempli de ce vivifiant espoir que nous continuâmes notre chemin.
Une chose s’était apaisée en moi, comme si la perspective de n’avoir
désormais qu’un seul but, celui de retrouver mon éternel Amour, l’avait
satisfaite et réjouie.
Nos pas nous emmenèrent bien vite vers des lieux plus cléments, non sans
qu’une partie de mon imaginaire monstrueux ne se soit dit en se frottant les
mains qu’il viendrait bien se défouler un de ces quatre matins dans ce
tourbillon de chair et de fureur. Prenant conscience des pensées de ce
sombre moi-même, mon visage s’empourpra aussitôt, occasionnant une
irrépressible envie de m’enfouir sous terre. J’étais certain que Gus avait dû
AUX BALCONS DU CIEL 95
LE SOUFFLE DES ANGES
entendre, mais il ne releva pas, sans doute parce que cela ne le choquait
pas.
même le corps humain. La seule chose qui n’y retourne jamais, c’est
l’esprit qui habite temporairement la matière.
- Quoi, il y a une conscience dans les animaux ou les légumes ?
- Eh bien oui, et crois-moi, je suis bien placé pour le savoir.
parfum des femmes en fleur. À travers Gus, je vis un faune ou le dieu Pan
sur le point de ripailler, je m’attendais presque à lui voir pousser des
cornes et des pieds aux sabots fourchus. Diable, Gus avait donc lui aussi sa
part d’ombre.
Mes nouveaux amis souriaient de mon expérience qui les ramenait sans
doute à une des leurs. Je décelai cependant chez Lola une pointe d’envie. Il
faut dire que j’avais l’enthousiasme particulièrement démonstratif. Elle
semblait désabusée, son visage s’était brusquement fermé, son regard
rembruni, ce n’était plus un masque de joie mais de tristesse qui
m’apparaissait.
- Il y a un souci ? Lui demandai-je, imaginant avoir commis un nouvel
impair.
- Tu es un Amour, Alex, et perspicace avec ça. Non, le souci c’est moi et
mon état d’esprit, il est forcément en harmonie avec mes pensées,
comment pourrait-il en être autrement ? La peine comme la paix viennent
de ce que je laisse naître et grandir en moi.
- Comment ça ?
- Je me suis laissé envahir par des sentiments contradictoires. Une
sincère admiration devant ta candeur et en même temps une tristesse de ne
plus être capable de cette même rencontre permanente avec mes sens.
L’habitude rend la vie banale alors qu’elle est tout bonnement fabuleuse.
Sur terre, avec nos corps, nous apprenons le goût, le toucher et toute une
gamme de plaisirs qui malheureusement s’estompent vite ici, au profit
d’autres sens plus spirituels. Il faudrait que je me réincarne à nouveau. . .
Un peu effrayé par l’idée de retourner si vite sur terre où tout m’avait
semblé plutôt fade comparé à ce que je vivais ici, je m’entendis lui
répondre avec une curieuse absence d’autonomie, comme si quelqu’un
parlait à ma place :
- Cela commence par les yeux, les mains, le nez, et tous tes autres sens
tendus dans l’attente d’une surprise. Ils s’ouvrent sur une forme, un poids,
une consistance, une couleur, mettant ta mémoire à contribution pour
identifier l’objet que tu vois, que tu soupèses, que tu humes, et alors, tu
reconnais : une poire ! Chasse immédiatement ce mot de ton esprit et
pense : « Je ne connais pas cet objet, je ne l’ai jamais vu, c’est un précieux
présent, il doit être merveilleux. »
- Sens-tu comme ton esprit plonge avidement vers ce que tu tiens entre
les mains comme une possible nouvelle découverte. . .
- Oui. . . c’est sensationnel.
- Laisse cette sensation te remplir. . . Maintenant, le nez : « Je sens ce
parfum pour la première fois, ce doit être celui du Paradis. »
Elle obéit docilement, laissant s’épanouir au sein de sa poitrine une lueur
qui grandit rapidement et se mit à briller d’une somptueuse incandescence.
Les Essentiels autour de la nappe murmuraient de satisfaction, nombreux
étaient ceux qui s’étaient saisi d’un aliment et murmuraient les mêmes
paroles, suscitant rapidement sensations et des envolées lumineuses
similaires. Une fierté m’envahit et repoussa le plafond de mon ego devant
l’attention d’une telle assistance, même si je n’y étais pas pour
grand-chose. Ma voix reprit :
Notre petit groupe de convives voguant sur les rives enivrantes de l’extase
s’éclairait comme une nouvelle aube, attirant des passants qui s’avançaient
silencieusement pour profiter de l’enchantement du moment. Lola, revenue
le visage tout illuminé de son expérience, me sauta au cou en me serrant si
fort que nous roulâmes sur l’herbe dans un éclat de rire général. Son corps
d’enfant, ferme et nerveux comme la chair une grenouille, vibrait d’une
énergie à la fois sauvage et chaleureuse.
Elle se releva d’un bond et me toisa avec une ingénuité que son âge lui
permettait. Elle dit à la cantonade avec une voix de femme que l’on écoute,
inattendue pour un si petit corps :
- Ce soir au Visiodôme, Alex aura la place d’honneur de mon spectacle,
il sera notre invité. Qu’il en soit ainsi.
- Ainsi soit-il. Acquiesça le petit groupe spontanément.
Alphan, le jeune homme assis en face de moi, resté muet depuis le début
du repas, s’approcha et me toucha le bras :
- Béni soit celui qui donne, béni soit celui qui donne sans rien attendre
en retour.
Il me fit un clin d’œil et se dirigea vers l’assistance, s’inclina avec
déférence, puis se tournant vers Lola, se courba encore plus bas. Il me fit
enfin face et plongea ses yeux dans les miens avec une vigueur inattendue.
Un rayon d’énergie immatérielle irrigua mon esprit avec les images d’un
jeune enfant blond aux yeux bleu. Il me dit mystérieusement :
- Mon frère n’est pas celui qu’il croit être. . . Le moment venu, tu me
reverras, et alors tu te souviendras. . .
Il me saisit élégamment les mains et les porta à sa bouche, fit trois pas en
direction des arbres avant de s’évanouir sans s’être retourné, disparaissant
AUX BALCONS DU CIEL 103
LE SOUFFLE DES ANGES
comme une brume sous le soleil de midi. J’aurais aimé lui en demander
plus, savoir ce qu’il voulait dire, mais « mon Ange » me suggéra de ne pas
me perdre en conjectures, mieux valait attendre le moment de comprendre.
Ému par la tournure de ce repas, les mots sont dérisoires pour décrire mes
sentiments d’alors. Cet accueil spontané, ce partage, ces gens riant et
prenant du plaisir, s’amusant, pardonnant et remerciant avec le cœur.
C’était si différent de tout ce que j’avais connu jusqu’alors, sauf peut-être
en présence de grand-mère. Elle devait s’être égarée sur Terre.
LE PSAUTIER D’HERMOPHILE
J.P. Joubert de la Salette - 1754.
Quand le Soleil rencontre la Lune
Il me faut vous décrire Angéla, essayer de vous narrer sa beauté. Elle n’est
pas sur son visage d’ange ou dans ses yeux de biche aux cils d’une infinie
longueur. Pas non plus dans ses cheveux de sirène soyeux et brillants, ni
même dans sa bouche aux lèvres douces et pulpeuses qui donnent envie de
l’embrasser. Pas plus dans ses formes avantageuses, ses longues jambes et
ses seins généreux, ou dans sa façon de s’habiller. Non, sa beauté
s’entrevoit, pour qui sait voir, dans l’immensité de ses yeux s’ouvrant sur
un insondable ciel d’Amour. . .
Nous sommes très exactement de la même taille et, comme moi, sa peau
est douce et veloutée. Son buste et son corps forment un tronc robuste, sur
lequel ont poussé des extensions sacrées, bras et jambes fuselés couronnés
de divins attributs, des mains et des pieds si délicats, si magnifiques,
uniquement destinés à brasser et fouler la matière pour en extraire toute la
quintessence de l’expérience. . .
Pour faire simple, c’est une femme, du moins presque puisqu’elle n’a pas
tout à fait dix-neuf ans. Physiquement, cependant, c’est le parfait archétype
de la femme dans toute sa splendeur, incroyablement gracieuse, lucide et
envoûtante. . . Dès le premier regard, tout comme chacun, je n’ai pu
m’empêcher de la trouver désirable, malgré une indéfinissable
exaspération. Cette mèche noire, alors que la mienne est blanche et de
multiples autres coïncidences. Ce visage trop parfait, et puis ce maintien, et
cette façon de vous déshabiller l’Âme, même sa voix me filait des frissons.
Je n’arrivais pas à définir ce sentiment d’agacement, à décider si en fin de
compte je la détestais ou je l’adorais ? Bien évidement, les réponses sont
venues très vite, et ce qui m’était encore caché s’éclaira bientôt à la
lumière de l’expérience.
- Pendant quelque temps tu résideras chez Sybèle, c’est une sorte d’hôtel
où il y aura toujours quelqu’un pour t’aider si tu en fais la demande. Tu
rencontreras de nouveaux arrivants comme toi, et vous apprendrez à vivre
ensemble et à utiliser ce qui vous entoure. Faites vos propres expériences
et soutenez-vous mutuellement comme des frères. La seule chose que vous
ayez à faire est de prendre soin des uns des autres comme une véritable
famille. Vous êtes peu dans ce groupe car vous êtes de vielles âmes et
grandissez ensemble depuis fort longtemps. . .
- Quoi. Je les connais ! m’étranglai-je.
À peine avais-je lâché mon trop plein de surprise que mille questions se
précipitaient déjà sur ma langue, formant un inextricable embouteillage.
Gus avait par contre parfaitement entendu le teneur de mes pensées et se
mettait déjà à sourire.
- Oui, bien entendu, vous vous connaissez très bien, mais tu ne t’en
souviens pas encore.
- Qu’est quoi ce délire ?
- Pour faire simple, mais je sais déjà que cela ne va pas te plaire, disons
que c’est le jeu auquel vous êtes en train de participer. Se rappeler.
- Se rappeler. Mais de quoi ? Hurlai-je !
- De toi. Alex, simplement de toi. . .
Je savais déjà qu’il n’en dirait pas plus ou que ses explications ne
mèneraient qu’à de nouvelles questions et finalement à une impasse. Gus
rit de ma lucidité avec circonspection :
- La seule intention à cultiver, c’est d’être TOI. Te souvenir et redevenir
de ce que tu es. Il n’y à rien d’autre. Ensuite tu feras les choix qui seront en
harmonie avec tes aspirations. Souviens-toi bien, l’harmonie, c’est une clé.
..
Installe-toi chez Sybèle, par la suite il te sera attribué une zone personnelle,
tu pourras l’aménager comme bon te semblera. Toutefois, pour l’instant tu
AUX BALCONS DU CIEL 108
LE SOUFFLE DES ANGES
ne pourras rien modifier, le champ vibratoire est maintenu très bas pour
éviter les bêtises des apprentis sages. Approche-toi, nous allons nous
transporter directement sur place.
Il n’y a qu’un mot à dire, bouleversante ! Elle se présentait telle une déesse
à son peuple, couronnée d’un diadème d’étoiles de sagesse plus brillantes
que des soleils. Éclatante d’aménité dans sa robe de bienveillance, il
émanait de sa présence une puissance transcendée d’unité et d’équilibre.
Ma première idée fut : un rayon ! Sa lumière intérieure pulsait sur une
fréquence incroyablement rapide qui nous caressait de ses attentions, au
point d’en être totalement subjugués. Il se dégageait de cette apparition un
sentiment très éloigné d’une quelconque empathie ou sympathie à mon
égard, elle respirait simplement l’Amour, un Amour pur et absolu,
impossible à imaginer et qui pourtant me semblait si familier. Sa
ressemblance avec Marie, la Vierge des catholiques, était troublante. Je
n’étais pas un spécialiste, mais je reconnaissais fort bien le petit santon que
grand-mère mettait dans la crèche à Noël. Elle était vêtue d’une longue
toge blanche ne laissant que le bout de ses pieds nus dépasser, recouverte
par une cape d’un bleu lumineux, presque poudré, entièrement recouverte
d’étoiles brillantes. Je ne pouvais voir son corps, si ça se trouve elle aurait
pu être n’importe quelle femme. Son visage ne dévoilait aucune émotion
mais évoquait néanmoins une infinie bonté. Il était entouré d’un voile
AUX BALCONS DU CIEL 109
LE SOUFFLE DES ANGES
arachnéen qui lui couvrait les cheveux, délicatement fermé sous son
menton. Son apparence était d’une sidérante simplicité et pourtant sa
transcendante majesté intérieure m’affligeait d’une stigmatisante félicité.
Son aura me fit baisser les yeux respectueusement et m’incliner, il m’eût
été impossible de ne pas me soumettre totalement au pouvoir captivant de
cet être flamboyant. . .
Gus dit avec une dévotion que je ne lui connaissais pas encore :
- Madame, j’amène Alex.
- Mon bon Gus, que serions-nous sans toi ? Répondit-elle avec une voix
céleste. « Alors ? N’était-ce pas une excellente mission dont tu t’es chargé
à merveille. Quatre ! Ce qui est dangereux rend les anges heureux, regarde
comme tu brilles, l’admira-t-elle. Tu dois avoir besoin de te retrouver seul
avec toi-même, n’est-ce pas ?
Il acquiesça en rosissant.
- Toi qui détestes aller sur la Terre.
- Ce n’est pas la Terre que je déteste, Madame, mais ce qu’on y fait.
- C’est vrai, mon bon Gus, nul autre que toi aime plus la Terre.
Je restai un long moment sans rien dire ni penser. Elle venait de jeter une
pierre dans l’insondable de mon âme, et son message continuait de générer
de puissantes vagues et ajustements qui mettaient à bas mes dernières
tentatives pour comprendre. « Ce sera mon travail, créer ma vie ! »
- Tu peux l’appeler travail si cela t’enchante. Je préfère y voir une quête,
un poème qui peut encore être amélioré, une gracieuse révérence à La
Source. . .
Se dressant sur les orteils pour mieux voir quelque chose derrière nous,
elle dit d’une voix douce :
- Voici ta première réponse.
En disant cela, comme une mère, elle se mit à irradier d’un inconditionnel
Amour pour sa progéniture, se réjouissant de pouvoir lui donner dans
l’instant ce qu’il réclamait à cœur et à cris. « Tourne-toi », me dit-elle avec
un sourire et les yeux remplis de tendresse. . . Chaviré par tant d’attention
et d’affection, je me détournai avec regret de ce brasier qui me réchauffait
de ses savoureuses caresses.
Ishtar lui rendit son sourire, et eut soudain une sorte de déclic intérieur qui
libéra un torrent de mémoire. Un instant déconcertée, elle se remit à
sourire et éclata brusquement d’un rire franc et sonore de fillette. Dans un
geste spontané, elle tendit les bras et matérialisa dans une gerbe d’étoiles
pétillantes un somptueux bouquet de roses rouges et blanches, dont le
parfum emplit instantanément la pièce, l’embaumant de fragrances à
damner un parfumeur italien. Sybèle pris délicatement le bouquet et lui
dit :
- Tu leur as manqué mon enfant, elles t’attendaient en soupirant chaque
jour un peu plus fort, file comme le vent ma fille, j’ai gardé le secret de ton
retour.
- Installez-vous, les espaces sans nom sur les portes sont disponibles.
Choisissez-en un et mettez-vous à l’aise. Vous saurez intuitivement utiliser
les diverses commodités qui ressemblent à celles que vous connaissez déjà.
Gus passera vous voir plus tard. Alex, pour ce soir, change-toi si tu le veux
bien. C’est un immense privilège que d’être l’invité d’honneur au
Visiodôme. Tu comprendras bientôt ce que cela représente dans ce monde
sans punitions ni récompenses. La reconnaissance est un mérite
incomparable.
Elle m’en propulsa une onde qui me fit chanceler intérieurement. Je fus
touché par ce don presque physique jusqu’au plus profond de mon âme.
Mes yeux se refermèrent sur la sensation, cherchant à la préserver le plus
longtemps possible.
Ici, les gens savent remercier, cela ne fait aucun doute. Le plus étonnant est
que cela semble pourtant inutile, tout est si facile à obtenir, disponible d’un
simple claquement de doigts.
- C’est vrai Alex, dans ce monde où tout est accessible, tu comprendras
vite que la reconnaissance, l’attention, l’affection ou l’Amour ne
s’obtiennent pas d’un simple claquement de doigts, il faut d’abord faire. . .
Donne sans compter et tu recevras, c’est un des plus grands principes de
l’Univers. Alors, donne-toi à la Vie et crois-moi, elle te le rendra au
centuple.
Il dit à Ishtar qui avait l’air tout aussi pressée d’en finir que moi, mais pour
d’autres raisons :
- Choisis un espace, tu pourras pénétrer dans tous ceux qui n’ont pas de
nom sur la porte. Il suffit de se mettre devant l’entrée, une seule personne à
la fois, pour que cela s’ouvre. Sybèle passera te voir dans un moment.
Alex, pareil pour toi. Il est impossible de pénétrer dans les espaces déjà
attribués sans l’accord de leurs occupants. Alors choisis-en un de libre, je
passe te chercher plus tard.
Faisant mine de s’en aller, il se retourna et ajouta :
- Ah oui, pour les vêtements. Place-toi devant le miroir et dit lui :
Visiodôme, invité d’honneur de Dame Lola. La tenue adéquate apparaîtra.
- C’est tout ! ! ! Dis-je, stupéfait par la simplicité du procédé.
- Pourquoi, ton amour propre préférerait que ce soit plus compliqué ?
Me glissa-t-il en me faisant un clin d’œil moqueur.
Il fit demi-tour et sortit du hall, nous laissant, Ishtar et moi à l’entrée d’un
long couloir. Nos regards se croisèrent, ce qui me permit de l’observer plus
en détail. Ses yeux en amande dégageaient une étonnante maturité. Ils
étaient presque aussi noirs que ses cheveux parfaitement brossés qui
luisaient dans la clarté. Son visage que le soleil avait abondement caressé
était aussi délicat qu’une fleur éphémère du désert. Son corps était celui
d’une enfant qui s’économise, à qui une olive et un verre d’eau suffisent.
Elle n’avait pas l’air timide, ni tellement surprise d’être là.
- Ça va aller ?
- Oui, que peut-il m’arriver maintenant que je suis morte ? Dit-elle avec
sa petite voix sur un ton enjoué, ce qui nous fit pouffer de rire.
Gus vivait donc ici. Décidément cet hôtel présageait des surprises.
L’avenir me démontra que j’étais loin du compte en la matière. Un premier
espace lumineux s’offrait à nous. Je dis en me tournant vers Ishtar :
- Tu veux essayer celui-là ?
Elle acquiesça du menton et se positionna devant la porte.
Nous pouffâmes à nouveau de rire avant qu’elle entre enfin dans son
Paradis personnel. De sa démarche de princesse enfant, elle s’aventura
avec confiance dans son nouveau royaume. La porte se referma sur cette
vision de l’innocence, me laissant seul et rêveur dans un couloir soudain
bien vide et impersonnel.
Elle s’ouvrit sur un espace différent bien que tout aussi formidable que
celui de la petite princesse des fleurs. À un détail près quand même, une
belle jeune femme, entièrement nue, véritable Vénus sans pudeur, se
brossait les cheveux face à une psyché. Celle-ci reflétait un corps sublime
aux seins dressés. Des cheveux opalins barrés d’une mèche noire
cascadaient sur ses épaules dans un torrent de blancheur.
« Ce n’est quand même pas un cadeau d’accueil », me dis-je en pensant à
un reportage que j’avais vu sur des firmes offrant une call-girl à leurs
meilleurs cadres ou clients. Cette pensée, comme si elle avait été entendue,
déclencha une tempête inattendue. La jeune femme m’aperçut dans le
reflet et instinctivement sursauta en poussant un cri suraigu qui me fit
bondir de surprise.
Ses invectives semblaient ne jamais devoir cesser. Harcelé, cloué par les
avanies, je n’arrivais à esquisser ni fournir la moindre explication. Cette
fille était une véritable furie. Elle avait récupéré une grande serviette qui
venait de se matérialiser sous mes yeux et dont elle se parait comme une
AUX BALCONS DU CIEL 117
LE SOUFFLE DES ANGES
reine bafouée. Armée de sa rage, les yeux plein d’éclairs, elle avançait vers
moi l’air menaçant.
Ma mine contrite et sincère dut jouer en ma faveur car, contre toute attente,
l’attitude de la jeune femme se radoucit.
- Que fais-tu là ?
- Ben, j’essaye de renter chez moi. La porte, il y avait mon nom, je me
suis mis devant comme Gus l’avait dit et elle s’est ouverte. Il doit y avoir
un bug dans leur système.
Mon explication la calma et effaça d’un coup le masque de fureur qui la
dénaturait. De près, elle était encore plus désirable que dans son miroir.
dressée contre moi toutes griffes dehors. Je ne vous raconte pas l’ascenseur
émotionnel ! Elle avait été surprise, d’accord, mais moi aussi. Comment
m’avait-elle parlé ! Pervers, minable, et ce regard avec ça, une vraie
mangeuse d’hommes. Rien que d’y penser j’en avais encore le poil tout
hérissé et une folle envie d’éclater de rire. Mon amour propre venait d’en
prendre un sacré coup et, malgré ça, je ne pouvais me départir de cette
hilarité intérieure. Je me dis à haute voix pour rompre le charme : « Allez,
une bonne douche », sachant déjà que je ne débarrasserais pas aussi
facilement mon esprit d’un si beau brin de femme.