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Olivier OLLIVIER

LE SOUFFLE DES
ANGES

- Collection Esotérisme / Spiritualité -

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Table des matières
LE SOUFFLE DES ANGES......................................................................1
AUX BALCONS DU CIEL................................................................2
Prologue..........................................................................................4
Un billet pour le Ciel.......................................................................7
Petit moineau rentre au nid...........................................................24
Un ascenseur pour le Paradis........................................................29
Angéla for Ever.............................................................................40
Au cœur de l’essentiel...................................................................67
Agapes célestes.............................................................................87
Quand le Soleil rencontre la Lune...............................................105

i
LE SOUFFLE DES ANGES

Auteur : Olivier OLLIVIER


Catégorie : Esotérisme / Spiritualité

C'est une merveilleuse histoire d'amour. Une histoire d'amour entre la


Terre et le Ciel, une histoire d'amour avec des Anges. Des balcons du Ciel,
ils regardent l'humanité apprendre à s'aimer, et de leur éternité, rêvent de se
joindre à l'éblouissante distribution d'une pièce se jouant sur le plancher
des vaches.Sur la terre, il y a une géniale couturière dépressive, une petite
fille qui fait apparaître des fleurs, un milliardaire amoureux qui déteste les
bisons, une grand-mère accoucheuse d'âme, une mannequin noire à la
plastique fabuleuse, et un trappeur solitaire au cœur pur. Dans le Ciel, il y
a un gros ange myope, un oiseau rouge qui devient blanc, une jeune femme
qui promène son tigre, un pizzaiolo qui lévite et une femme ! une femme si
belle qu'elle s'en appelle Sybèle. . .Dans cette histoire, on médite et on prie,
et comme il y a de la poésie, alors on pleure et on rit. Certains enfants n'en
sont pas et les anges n'ont pas d'ailes. De petites gens grandissent, des
pauvres deviennent riches, et tous cherchent à faire rimer amour et pardon.
Pourtant, il y aura des arbres calcinés, de vieux escarpins usés, des
fontaines qui se tarissent, des cœurs qui saignent, des bosses et de
nombreux coups de foudre. Mais heureusement aussi, un photographe
maladroit, deux anges qui préparent d'étonnants vêtements, un bébé qui
naît dans les étoiles, et une geisha qui adore le strip-tease.

En lisant ce livre, l'âme se rappellera que le ciel et la terre ne font qu'un, et


chacun rêvera d'en faire autant pour lui-même.

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AUX BALCONS DU CIEL

E:LIVRE OLIVIERAnge & Angecouverture livre olivier


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Novembre 2010
Quatrième de couverture.

C’est une merveilleuse histoire d’amour. Une histoire d’amour entre la


Terre et le Ciel, une histoire d’amour avec des Anges. Des balcons du Ciel,
ils regardent l’humanité apprendre à s’aimer, et de leur éternité, rêvent de
se joindre à l’éblouissante distribution d’une pièce se jouant sur le plancher
des vaches. Sur la terre, il y a une géniale couturière dépressive, une petite
fille qui fait apparaître des fleurs, un milliardaire amoureux qui déteste les
bisons, une grand-mère accoucheuse d’âme, une mannequin noire à la
plastique fabuleuse, et un trappeur solitaire au cœur pur. Dans le Ciel, il y
a un gros ange myope, un oiseau rouge qui devient blanc, une jeune femme
qui promène son tigre, un pizzaiolo qui lévite et une femme ! une femme si
belle qu’elle s’en appelle Sybèle. . .

Dans cette histoire, on médite et on prie, et comme il y a de la poésie, alors


on pleure et on rit. Certains enfants n’en sont pas et les anges n’ont pas
d’ailes. De petites gens grandissent, des pauvres deviennent riches, et tous
cherchent à faire rimer amour et pardon. Pourtant, il y a aussi des arbres
calcinés, de vieux escarpins usés, des fontaines qui se tarissent, des cœurs
qui saignent, des bosses et de nombreux coups de foudre. Mais
heureusement aussi, un photographe maladroit, deux anges qui fabriquent
d’étonnants vêtements, un bébé qui naît dans les étoiles, et une geisha qui
adore le strip-tease.

AUX BALCONS DU CIEL 2


LE SOUFFLE DES ANGES

En lisant ce livre, l’âme se rappellera que le ciel et la terre ne font qu’un, et


chacun rêvera d’en faire autant pour lui-même.

Synopsys.

Alex et Angéla décèdent le même jour à la même heure et sont emmenés


au Ciel, ou plutôt vers un autre plan vibratoire, par un Ange se
prénommant Gus. Celui-ci deviendra un guide, un ami et bien plus encore.
Nos deux héros vont se découvrir, se révéler et, quoi de plus naturel,
s’aimer. Mais sont-ils en train d’apprendre ou de se rappeler ? Sont-ils en
train de vivre ou de rêver ?

En découvrant un monde où la réalité n’est souvent qu’une illusion, où tout


s’obtient d’un claquement de doigts, où chaque acte, chaque aventure est
une clef vers soi-même, ils vont ressusciter les secrets de l’existence, de
leur vie et de leur Amour. En vivant une initiation céleste qui les
emmènera au plus profond d’eux-mêmes, là où l’âme reflète celle d’un
Dieu, ils vont se souvenir, ils vont grandir, ils vont s’aimer, et peut-être
même oser devenir ce qu’ils sont ?

Suggestion d’accompagnement musical :


Bande originale du film BABYLON. AD, Atli Örvarsson
Bande originale du film KINGDOM OF HEAVEN, Harry
Gregson-Williams

« Le messager n’est qu’un messager.


Seul importe le message. . . »

« En ce temps de changement, l’intention de ce livre est précieuse.


Apporter de l’Espoir, de la Lumière et de l’Amour. . .
AUX BALCONS DU CIEL 3
LE SOUFFLE DES ANGES

Chaque fois qu’il le ferme, il médite et se souvient.


Chaque fois qu’il l’ouvre, il se retrouve. . .
Qu’il en soit ainsi. . . »

La plupart des Sages ont enseigné que, de toute éternité,


le Monde était dessiné dans son (propre) Archétype.
Mais cet Archétype, qui est toute lumière, replié sur lui-même comme un
livre
avant la création de l’Univers, ne brillait que pour soi.
Il s’est ouvert et développé, dans la production du Monde comme s’il
accouchait.
Il a rendu manifeste son ouvrage, auparavant caché en esprit comme dans
une matrice, par une extension de son essence, et il a ainsi produit le
Monde idéal,
puis — comme d’après une image (déjà) redoublée de la divinité — le
Monde actuel et matériel.
C’est ce qu’indique le Trismégiste lorsqu’il dit que Dieu changea de
forme,
et que toutes choses furent soudain révélées et converties en lumière.

Enchiridion Physicae Restitutae (La Philosophie Naturelle Restituée)


D’ESPAGNET
Prologue

Vis ta vie comme si c’était ton dernier jour, et rêve la comme si tu avais
l’éternité.

Vous avez sans doute l’habitude de rêver, et parfois même de vous


souvenir de vos rêves une fois réveillé. À moins que vous ne préfériez,
comme moi, rêver de façon lucide, et dans ce cas, songer en toute
conscience ? Parfois, certains rêves semblent si réels pour notre esprit que
celui-ci se prête immédiatement au jeu, confondant avec bonheur le rêve et
la réalité. Un sentiment ou peut-être une idée vous a sans doute effleuré
dans l’une ou l’autre de ces situations. Et si les rêves n’en étaient pas.
AUX BALCONS DU CIEL 4
LE SOUFFLE DES ANGES

Que sont nos rêves ? De pures créations de l’esprit ? Les souvenirs d’un
ailleurs ou d’une autre réalité ? D’éphémères fragments de vies dont nous
sommes le héros ? Ceux d’un être secret et sans limite qui veille en nous ?
Qui rêve, et de quoi ? Qui a-t-il de réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ?

J’aime rêver, c’est même mon plus grand talent. Quand parfois, en toute
Conscience, j’autorise librement mon esprit à se laisser chevaucher par la
lumière dorée, je pars à la recherche d’un possible nouvel absolu, j’insuffle
dans la permanence d’un présent sans frontières mon plaisir et mon
intention de participer à la création de la réalité. Je favorise ainsi une
sublime expérience de moi-même à travers un songe, celui de démontrer
de manière éblouissante ce que je suis. Pour celui dont le regard n’est porté
ni derrière ni devant, ni autre part que maintenant, celui-là sort du
sommeil, il comprend le rêve et sa raison d’être. À la lumière de la réalité,
la vérité lui apparaît enfin, il ne croit plus, il sait, il est en paix.

Avant le rêve, j’étais parfait et lumineux, à l’image de la Conscience dont


j’étais le germe et l’espoir. En moi avaient été semés d’inestimables
trésors, la capacité de rêver et l’envie de concevoir ma propre vie, de faire
l’expérience de moi-même. Mon unique raison d’être était de me connaître
et de devenir, et même si inévitablement je m’égarerais en chemin, tacher
de faire de mon mieux. À force de patience et de confiance,
progressivement le rêve s’est éclairé, il est devenu plus vrai, plus tangible,
et plus je devenais lucide, plus j’existais et plus j’étais heureux de ma
prodigieuse existence. Une réalité apparaissait et se déployait autour de
moi, je vivais d’intenses émotions, pleurais et riais à chaudes larmes, et
parfois même je souffrais. Mais il y avait les autres moments, mes
préférés, ceux qui remplissent d’allégresse, de mille sensations délicieuses
et surtout d’intarissables sentiments. L’illusion était parfaite, chaque
instant était pure magie, la vie rêvée semblait bien plus réelle que dans
mon rêve.

J’ai longtemps appris avant de finalement réussir à discipliner le fabuleux


talent qui m’habitait. Au début sans savoir qu’il était là, et ensuite sans
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LE SOUFFLE DES ANGES

trop savoir comment m’y prendre. Un seul désir m’accompagnait alors,


celui de connaître le grand Amour et de rencontrer mon âme sœur, car
j’étais certains d’en avoir une, cela me semblait une évidence puisque je ne
faisais que de rêver d’amour, mais il n’y avait personne pour partager mon
rêve. Ce fut le temps de l’errance, de l’égarement et de la peur. Cependant,
je sais maintenant que le propre du rêve est de nous éduquer.

À un moment, j’ai cessé de penser ou d’imaginer les choses, de toute façon


cela me poussait à vouloir toujours plus, toujours mieux et finalement
nuisait à ma raison d’être. L’arrêt du désir a fait cesser la peur, à sa place
maintenant, il y a La Lumière. Elle brille d’un feu lointain pourtant si
proche, je sens sa présence et sa chaleur toujours plus troublante, toujours
plus exaltante, elle s’approche, à moins que ce ne soit moi qui avance, elle
est là, elle est partout ! J’ai parfois la sensation qu’elle se nourrit de la
fertilité de mon esprit, de sa novation, mais en réalité je me nourris d’elle,
et l’appétit de Conscience et de flamboyance qui s’est animé en moi n’est
pas encore satisfait, loin d’être totalement rassasié. Bientôt la boucle sera
bouclée, nous serons réunis, et alors je saurai qui de nous deux fait le rêve.

En attendant, lorsque je me hisse sur les épaules de ma conscience, je


retourne à la lumière dorée où je suis né, et du haut de cette lumineuse
éternité, je regarde ce qui a été accompli et le relate au temps passé,
puisque ce n’est plus qu’un reflet qui sert à rendre compte des silences et
des passions d’une existence où j’ai tellement reçu. Il a suffi de quelques
mots. Alors maintenant je me rappelle avant de décider d’oublier une
nouvelle fois pour tout recommencer. . .



Sceptique, l’homme a besoin d’arguments secs, précis et appuyés sur des


faits.
Mais pour vous, mères, épouses, sœurs qui pleurez un cher disparu,
cette argumentation est inutile. Votre intuition suffit.
Gardiennes des forces les plus subtiles de la Nature, quelque chose réside
en vous,
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LE SOUFFLE DES ANGES

qui parle plus clairement et plus haut que tous les raisonnements
compliqués des hommes.
Vous sentez et vous savez que les « chers morts » sont là autour de vous.
Ils viennent en un songe trop peu souvent renouvelé embrasser la mère ou
l’épouse aimée…
Le petit enfant que les forces terrestres n’ont pas encore accaparé tout à
fait,
vit aussi « sur deux plans » et il aperçoit à l’état de veille le « papa
soldat »
que la mère pleure en cachette !
Hallucinations, troubles nerveux, folies, dit le savant…
Mais la femme sait bien que ce sont là des réalités plus hautes que les
réalités terrestres.

Ce Que Deviennent Nos Morts


PAPUS (Dr Encausse)
Un billet pour le Ciel.

« Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme, ce n’est


pas la mort,
mais la crainte de la mort ? » Épictète.

Dans le rêve, je me nommais Alex, mais c’était un nom parmi d’autres. Je


me souviens d’avoir eu fort peur, bien qu’alors je dise le contraire. Je
n’étais pas très heureux, ma vie manquait de tendresse et d’Amour, j’étais
pourtant persuadé de l’inverse. Un rêve en somme, comme beaucoup
d’autres rêves. Le plus curieux aujourd’hui, est de ne plus vraiment me
souvenir des détails, c’est devenu une ambiance, une couleur, cependant, je
me souviens très bien du moment de ma mort, forcément, c’est celui ou je
me suis réveillé. Aussi bizarre que cela puisse paraître, à l’instant de
mourir je suis sorti du rêve et depuis je me rappelle de tout et surtout
pourquoi.

Dans le rêve, je suis mort le trente et un octobre deux mille neuf, à vingt
deux heures trente trois. Cette précision n’a aucun intérêt au demeurant, si
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LE SOUFFLE DES ANGES

ce n’est de coïncider précisément avec un autre événement fondamental


postérieur à ma mort. Ce jour devait être marqué d’une pierre blanche dans
ma ligne de vie car, au-delà d’être celui de ma mort et de concorder avec
une autre existence, à titre plus léger, j’avais rendez-vous avec la plus belle
fille du canton.

Si vous aviez demandé l’avis de mes camarades, ils vous auraient sans
doute répondu qu’elle était jolie, alors qu’en réalité ils la trouvaient plutôt
quelconque. Cependant, pour moi dans le rêve, elle apparaissait tout à fait
adorable. Durant trois longs mois, j’avais évalué discrètement Félicity
avant de l’aborder et de finalement l’inviter. Peut-être voulais-je ainsi me
faire une idée avant de m’engager plus loin, mais il est plus vraisemblable
de parler d’un terrible manque de confiance, ou pour être gentil, de
timidité. Elle était athlétique, grande, blonde avec des yeux bleus et des
dents parfaitement blanches et alignées par des années et des milliers de
dollars de dentisterie. Elle en était sortie embellie d’un sourire impossible à
rendre naturel, et malgré ce détail qui m’agaçait, cette fille ne me laissait
pas indifférent, sans doute parce qu’elle était la seule à avoir accepté un
rendez-vous avec moi cette année-là. Alors, j’avais tout fait pour ne pas
avoir trop l’air d’être moi-même. S’il avait été là, Gus aurait certainement
dit un truc dans le genre : « C’est absurde ! autant tout faire pour être
soi-même. » Ou encore : « C’est déjà pas facile d’être soi-même, alors si
en plus il faut jouer la comédie ! » Il a bien évidemment raison, mais
maintenant cela n’a plus d’importance, Félicity et mon rendez-vous sont
bien loin.

Dans le rêve, je n’avais pas de père ou en tout cas je ne l’avais pas connu,
nous n’en parlerons donc pas. Par contre j’avais une mère pour qui le mot
dépression avait dû être inventé, car je ne l’ai jamais vue sans son sac de
médicaments à portée de main. Autant dire que je me tapais sur le ventre
quand, dans un de ses rares moments de lucidité, elle me faisait la morale
sur la drogue et ses dangers. Aucun risque, on ne pouvait avoir envie de ça
quand on voyait sa tête, son teint blême, ses yeux chavirés, son chignon de
travers et cet air triste qu’elle semblait cultiver uniquement pour faire pitié.
Toujours absente ou presque, tellement loin d’elle-même, j’avais parfois
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LE SOUFFLE DES ANGES

l’impression de vivre avec son fantôme. Ma grand-mère assurait pourtant


que, dans mon enfance, elle avait vraiment été heureuse. Je conservais
quelques souvenirs fugitifs de ce temps révolu, un chant cristallin, un
sourire, un parfum, l’image fugace d’une belle jeune femme rieuse, des
souvenirs qui prenaient avec le temps l’aspect d’une vitre se recouvrant
inexorablement de poussière.

S’il y avait une chose dans laquelle ma mère excellait et faisait preuve
d’une réelle inspiration, c’était bien la couture. Elle exécutait tout un tas de
vêtements extraordinaires qu’elle ne mettait évidemment jamais, préférant
s’enlaidir d’une horrible robe de chambre en pilou. Pourtant, ses
réalisations étaient toutes plus magnifiques les unes que les autres ? Sur le
mannequin de couturière qui hantait notre salon, j’ai vu se bâtir de pures
merveilles, assez élégantes et chic pour combler n’importe quel homme ou
femme de goût. Si ma mère avait été un peu plus elle-même, je suis
persuadé que les meilleures maisons de couture se seraient arraché ses
créations, mais elle n’écoutait pas et restait égarée dans le vague,
n’espérant rien de la vie, à part sa livraison hebdomadaire de médicaments.

La seule dans ma famille à être vraiment bien dans sa peau est sans
conteste ma grand-mère, je vous parlerai d’elle en détail plus tard.

Je ne me suis pas décrit, il faut comprendre qu’à un certain niveau l’aspect


devient un détail de moindre importance. Dans la mort, l’apparence est très
incertaine. Un esprit sans corps peut s’inventer tous les corps, et il ne s’en
prive pas. Notre allure se transforme donc au gré de nos humeurs ou de nos
envies, et surtout de nos émotions. Pour un esprit libéré de la matière, c’est
très facile, car une fois mort le corps se transforme et retourne en
poussière, la seule chose qui reste de nous, est un esprit désincarné qui
virtualise un corps, en général celui d’un jeune trentenaire. Cette forme
revêt alors nos différentes personnalités comme un vêtement.

Au début, on garde son corps de mémoire, le corps de ses derniers instants,


jusqu’à être débarrassé du passé et du dernier rêve de notre vie. Pour
rapidement me décrire, j’utiliserai donc la physionomie de ma dernière
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LE SOUFFLE DES ANGES

heure sur Terre, de toute façon cette apparence est restée quasiment la
même jusqu’au moment de mon total réveil.

Dans le rêve, je m’appelle Alex, Alex Church. J’ai dix-neuf ans, un mètre
quatre-vingt-cinq, quatre-vingt-trois kilos, on me trouve plutôt beau
garçon, mais en réalité je suis semblable à des millions de gars de mon âge.
Visage long, naturellement bronzé, de longs cils effilés comme ceux d’une
femme, et de grands yeux doux couleur bleu outremer pailleté d’or, ma
grand-mère appelle cette couleur lapis-lazuli. Je suis surtout un jeune
homme épargné par l’acné, sportif et plutôt bien dans sa peau, du moins
c’est ce que je disais ! Ah oui, j’ai tout de même une petite spécificité, mes
cheveux. Ils sont mi-longs, bruns aux reflets noirs agrémentés d’une large
mèche blanche, sorte de virgule immaculée au milieu du front. Quand j’ai
les cheveux courts, on dirait un peu la crête d’un Mohican. Autant vous le
dire tout de suite, le genre décoloré est sûrement très à la mode dans les
milieux citadins branchés, mais pour moi, humble résidant d’un patelin
retiré du Canada, cette marque de naissance fut parfois pénible à vivre.

À cause d’elle, mon enfance a été émaillée de quolibets de tout poil, mes
camarades s’en sont donné à cœur joie, mais ce n’était rien comparé à
l’attitude des adultes parfois pires que leur progéniture devant la
différence. Ce n’est pas dans les mots qu’une grande personne affiche son
dégoût, elle vous regarde avec un air pincé comme si vous étiez une
pomme en train de pourrir et de gâter le reste du panier, pathétique !

Oui, je sais, juger, c’est devenir ce que l’on juge. Gus me le répète souvent
lorsqu’il joue au rabat-joie. Pour ma part, je me suis mis à aimer cette
mèche blanche vers l’adolescence, elle m’a permis d’être dans le camp des
autres, les différents, un peu rebelle mais pas trop. Ça collait parfaitement
avec mon caractère désinvolte qui masquait sans y parvenir certainement
de nombreuses peurs. Cette mèche, c’était un peu ma différence, avec elle
je me sentais unique, je ne pouvais imaginer mon erreur.
« Se tromper, c’est faire triompher l’erreur », dit parfois Gus, qui a souvent
un curieux point de vue sur les choses.

AUX BALCONS DU CIEL 10


LE SOUFFLE DES ANGES

Mon rêve était assez calme. Si je fais abstraction des quelques frasques qui
l’ont enjolivé, en réalité il était insipide. J’attendais quelque chose qui ne
venait pas, mais je ne savais pas quoi. Depuis mon réveil par contre, du
moins depuis ma mort, mon existence a pris une tout autre tournure. Ma
vie continue comme si elle ne s’était jamais interrompue et je dois
certainement être maintenant au Paradis. De dormeur, je suis devenu
acteur, et c’est tout bonnement stupéfiant. Difficile de préciser depuis
combien de temps, car où je suis, il n’y a pas de montres ni d’horloges, le
temps est relatif, il ne va pas à la même vitesse pour tous, et parfois même
il n’existe pas ! Cependant une chose est certaine, la vie est éternelle, et
quand on a l’éternité, inutile de se mettre à compter. Dixit Gus,
évidemment.

Vous devez sûrement vous demander qui est ce Gus dont je parle ? Eh bien
je vais immédiatement vous éclairer sur son compte. Gus est mon passeur,
une sorte de faucheur d’âmes venu me chercher à ma mort. Il est chargé de
m’aider à me réveiller complètement. C’est un Essentiel, l’équivalent d’un
Ange pour la plupart d’entre vous. Il m’a permis d’accéder à un nouveau
plan de Conscience, disons pour simplifier le Ciel, mais rassurez-vous, je
vais vous expliquer. Gus est devenu un ami, un de ceux avec qui je passe
le plus de temps. Vous allez très vite vous en apercevoir, si les
personnages qui peuplent nos rêves cachent bien leur jeu, une fois réveillé,
vous comprenez non seulement la raison du rêve mais aussi que nos
préoccupations terre à terre sont bien éloignées de la réalité céleste. Je vais
commencer par le début. Pour moi c’est l’instant de ma mort, le moment
où je me suis réveillé du rêve, alors puisque j’ai décidé de me rappeler,
autant débuter par là.

C’est ça, cela me revient maintenant. Chacun de mes sens se souvient


encore du rêve et se replace dans la sensation de l’instant. C’était en
octobre, je gagnais la ville à moto sous un soleil radieux, et filais sur un
chemin bordé de vénérables érables. Il y avait longtemps que nous
n’avions pas eu une de ces journées d’été indien si agréable. Le temps était
splendide, suffisamment chaud pour ne porter qu’un blouson léger dans
lequel s’engouffrait le souffle de l’air tiède. Mon casque au guidon, ma
AUX BALCONS DU CIEL 11
LE SOUFFLE DES ANGES

mèche flottant tel un panache blanc, je roulais le nez au vent, le corps,


l’esprit et l’âme unis par ce délicieux moment d’ivresse et de liberté. Je
revois, je ressens ce pur instant de plénitude, c’est comme si j’étais de
nouveau entre les bras de Dame Nature.

Les feuilles écarlates parées d’or, de cuivre et d’airain scintillaient dans la


lumière. Elles saluaient mon passage en se laissant tomber des arbres pour
tapisser le sol d’un somptueux tapis aux couleurs d’arrière-saison. Je
laissais sur la route un profond sillon que d’autres feuilles viendraient
bientôt recouvrir pour effacer ainsi l’éphémère trace de mon passage sur
Terre. Le soleil bas offrait une lumière transparente qui intensifiait la
netteté de chaque élément du tableau dans lequel j’évoluais. Le ciel
limpide dispensait une pureté absolue. Des effluves de terre chargés
d’odeurs végétales embaumaient mon chemin. Je recevais la vie en pleine
face et elle m’éblouissait encore et encore. La chaleur des rayons du soleil
pénétrait jusqu’au plus profond de ma chair, mes mains, ma peau et chaque
cellule de mon corps s’offraient aux attentions de l’astre. L’air caressait
mes cheveux qui résistaient un instant pour finalement s’abandonner à la
douce impertinence des éléments.

Je filais vite, j’avais rendez-vous avec une fille de rêve, du moins de mon
rêve, tout était donc permis. Je devais la retrouver à l’Escale, un pub où se
trouvaient les trois seuls flippers à des miles à la ronde. Des jeux vidéo
antédiluviens, un billard fatigué et un Wurlitzer sans âge composaient un
trésor dans ce repaire de la jeunesse locale. Le nom « l’Escale »,
anachronique dans ce lieu sans voies navigables notables ni pirates, venait
d’un cabaret de la côte du Labrador dont les éléments avaient été achetés
aux enchères. On l’avait démonté pour faire place à un énième centre
commercial, futur unique endroit de plaisir du monde moderne. Pour
beaucoup d’entre nous, au fin fond de rien, si loin de tout, c’était
effectivement devenu une escale. Je comptais bien arriver en avance afin
de chasser mes angoisses et la moiteur de mes mains avec quelques bonnes
parties de flipper. J’avais l’âme amoureuse, l’esprit en ébullition et la tête
pleine des mots, et sans m’en douter un instant, je roulais implacablement
vers mon destin.
AUX BALCONS DU CIEL 12
LE SOUFFLE DES ANGES

Mon casque se détacha brusquement et rebondit sur la route. Ma roue


arrière l’écrasa avec un bruit sinistre et l’envoya terminer sa course dans
un talus loin derrière. Tout se passa ensuite très vite, je n’eus rien à faire de
particulier pour mourir ! le choc me fit perdre le contrôle. Les freins serrés
à mort (c’est le cas de le dire) conjugués à l’embardée de la machine, je fus
propulsé en avant. Mon regard ne voyait plus qu’un arbre emplissant ma
réalité à toute vitesse. Il y eut un grand craquement et plus rien. Je me
souviens juste d’avoir rouvert les yeux les quatre fers en l’air dans un
champ voisin.

Immédiatement relevé, je me palpai, vérifiai mes blessures, mais rien, pas


de douleur, pas même un accroc aux vêtements que j’avais mis tant de soin
à choisir. C’est dingue la mémoire, les détails dont on se souvient malgré
le temps, je me rappelle de m’être dit alors :
- La vache, même pas mal !

Après une seconde de soulagement, je fus pris d’un doute quant à l’état de
ma moto, et fis volte-face pour me trouver nez à nez avec le tronc d’un
énorme érable plusieurs fois centenaire. Il culminait à au moins trente
mètres de haut et sa circonférence bouchait totalement la vue. Pas de
bécane à l’horizon.

L’odeur boisée, presque poudreuse de l’écorce, et celle du cœur de l’arbre,


plus tendre, humide, me fit prendre conscience de milliers d’autres odeurs
perçues de façon inhabituelle, c’était enivrant. Il y avait celles de la terre
lourde, acre, gorgée de la pluie des dernières semaines, les feuilles,
l’humus, les vers de terre, des dizaines d’insectes différents et tout un tas
de senteurs insolites. Les fourmis sur le tronc avaient des fragrances de
carapace, d’antennes, et d’une autre odeur plus forte, acide, dominant
l’ensemble. Je pouvais distinguer de façon ahurissante, chacune des odeurs
séparément ou toutes ensemble dans un festival de mystérieuses
exhalaisons de la nature.

AUX BALCONS DU CIEL 13


LE SOUFFLE DES ANGES

Quel grand prodige, l’air, l’air lui-même embaumait ! Il y avait une sorte
de brume diaphane parfumée autour des choses que je n’avais jamais
remarquée auparavant. Mes papilles étaient littéralement à la fête, elles
salivaient pour me réjouir des saveurs que j’aspirais à grands traits. Une
simple chute m’avait ouvert les sens car, depuis mon accident, j’entendais
aussi une profusion de sons avec la limpidité de l’oreille absolue. Mon
esprit était ouvert comme jamais, totalement réceptif, uni aux éléments. Je
me sentais bien, formidablement bien, aussi bien qu’après avoir
longuement pleuré. Je restai un instant admiratif à ce chamboulement
sensoriel, contemplant une réalité qui brusquement venait de prendre un
tout autre relief.

J’eus soudain une pensée pour Félicity et mon rendez-vous. Un coup d’œil
à ma montre me fit dire :
- Mince !
Aucun doute, en voyant les vilains éclats de verre et sa forme tordue, elle
était foutue. Je l’enlevai, stupéfait de ne pas être blessé à l’endroit de la
cassure, quand une voix s’éleva derrière moi :
- De toute façon, tu n’en auras plus besoin maintenant.

Un jeune homme de mon âge vêtu d’une façon improbable me regardait. Il


était plus que balourd et rondouillard, il était énorme. Il portait un
uniforme scolaire anglais. Un blazer vert bouteille distendu par son
embonpoint et orné d’un écusson doré. Un bermuda gris bien trop petit lui
moulait le derrière et les cuisses comme un de ces vêtements pour maigrir.
Une casquette de criquet, une fine cravate verte, une chemise blanche qui
baillait si fort que l’on avait envie de l’envoyer faire un somme, lunettes
rondes en acier aux verres épais, cheveux gras dévoilant un épi disgracieux
qui l’empêcherait à tout jamais d’être bien coiffé, ce physique discutable,
c’était Gus !

Il souriait et m’observait silencieusement avec l’air satisfait de celui qui


sait et pas vous. Il me faisait penser au guitariste d’un vieux groupe de
rock des années quatre-vingt que la bière aurait transformé en barrique.

AUX BALCONS DU CIEL 14


LE SOUFFLE DES ANGES

- Vous avez vu cette gamelle et pas une égratignure avec ça. Incroyable
non. Affirmai-je tout en guettant un signe de sa part. Je n’ai pas encore vu
ma moto, mais pour le reste, ça va, à part ma montre.
Le jeune homme me regardait avec un sourire à la limite de la
consternation, presque triste.
- Pourquoi me regardez-vous avec cet air bizarre, vous êtes du coin ?
Il n’en avait pas l’air, je connaissais pratiquement tout le monde sur vingt
miles à la ronde.
- Qui êtes-vous ?
- Je m’appelle Gustave, mais tu peux dire Gus, tous le monde m’appelle
Gus.
Intérieurement, je me dis qu’avec un patronyme et un style pareil, je ne
risquais rien de ce type.
- C’est marrant ce nom, disons qu’il va bien avec votre apparence, dis-je
tout en me foutant de lui dans ma tête. Moi, je m’appelle . . .
Coupant la fin de ma phrase, il me sortit d’un trait :
- Alex Church né le trente un octobre mille neuf cent quatre-vingt dix à
trois heures trente trois du matin, dans la ville de L’Ange Gardien sur La
Côte de Beaupré, province de Québec, Canada.
Interloqué par l’exactitude des éléments, je répliquai vivement :
- Comment savez-vous tout ça ? J’ai perdu connaissance et vous m’avez
fait les poches ! En le disant, je réalisai que rien sur moi n’aurait pu lui
donner autant de détails si précis. Il laissa tomber abruptement :
- Non ! Ce n’est pas de cela dont il s’agit, je le sais car c’est toi que je
viens chercher, tu es mort et je t’emmène au Ciel. . .

Inutile de dire qu’il me fallut un certain temps pour intégrer et comprendre


ce que je venais d’entendre. J’hésitai longuement sur la réponse à donner,
si tant est qu’il y en ait une meilleure qu’une autre dans un tel contexte.
J’optai pour :
- Vous n’avez pas tellement un physique d’Ange ?
- Tu sais, les apparences et les étiquettes sont trompeuses. . . Et puis je
ne suis pas un Ange, du moins pas au sens où tu l’entends. Je suis ton
passeur, celui qui va t’emmener vers ta nouvelle vie, je te propose
d’ailleurs que nous y allions maintenant si tu veux bien. . .
AUX BALCONS DU CIEL 15
LE SOUFFLE DES ANGES

- Hé, attends, je ne peux pas partir comme ça, il y a mon rendez-vous,


ma mère, ma bécane. D’ailleurs, où est-elle ?
Il se renfrogna, et comme s’il dérogeait à une règle qu’il s’était fixée,
lâcha à contrecœur :
- Derrière l’arbre, à l’endroit de ton accident. Il est désormais inutile de
t’inquiéter pour tout ça, allons vers un lieu plus clément.
En disant cela, il avait un air dégoûté, comme s’il était seul à voir autour
de nous des choses peux ragoûtantes.

Ayant une pensée pour ma machine, je la vis très nettement au travers de


l’arbre devenu subitement transparent. Elle était lamentablement renversée
sur la route. Près d’elle, il y avait un corps curieusement recroquevillé dans
les racines. Mince, me dis-je, mais c’est le mien ! Je le distinguais
parfaitement au travers de la masse compacte et odorante du bois. Me voir
ainsi fut un choc, j’eus immédiatement envie d’être au plus près pour
essayer quelque chose, bouche-à-bouche, un massage cardiaque ou je ne
sais quoi. Le seul fait d’en avoir eu l’intention me transporta ou plutôt
m’emporta auprès de mon corps en un battement de cils.

J’entendis la pensée de Gus presque aussi nettement que s’il avait parlé à
haute voix :
- Ça y est, ça commence ! Le ton employé était agacé et teinté
d’inquiétude. Nous ne pouvons pas rester Alex, tu ne peux plus rien, du
monde va arriver, on s’occupera de ton corps et de ta moto.
Revenant à une réalité plus terre à terre, je clamai dans un sursaut de
responsabilité filiale :
- Et ma mère, qui va s’occuper d’elle ? Que va-t-elle devenir sans moi ?
Elle a déjà tant de mal à vivre, ça va l’achever.

D’un ton fataliste, il me répondit :


- Eh bien elle changera, ou bien elle te retrouvera très vite là-haut.
Prenant cette simplification inhumaine en pleine face, mon sang ne fit
qu’un tour, échauffant mon visage et mon corps d’un incontrôlable
bouillonnement intérieur. Mes poings se refermèrent sur le vide, mon cœur
s’emballa et je fus pris d’une intense vibration qui, à mon insu, me fit
AUX BALCONS DU CIEL 16
LE SOUFFLE DES ANGES

décoller du sol d’une vingtaine de centimètres. Dans un cri de rage


inhumaine, ma colère brute se libéra, me retourna comme un gant et rejeta
mon enveloppe virtuelle comme si ce n’était qu’un vieux vêtement inutile.
Une chose ignoble se manifestait en moi, instinctive, bestiale, elle hurla :
- Comment peux-tu dire ça, passeur ! Rugit-elle méchamment, tu n’as
donc pas de cœur !

Malgré mon courroux, j’entendis de nouveau clairement la pensée de Gus


ronchonner dans mon esprit : « J’avais bien dit que ce n’était pas un job
pour moi. » Il se redressa l’air absent, les yeux regardant une chose
invisible par-delà la réalité, et dit :
- Madame. . . Venez-moi en aide.
Aussitôt, je fus pris d’affreux remords, une bouffée de compassion pour ce
type venant de dire des horreurs sur ma mère m’envahit et me submergea.
C’était si fort et si inattendu, que ça me fit presque. . . mal ! Brusquement
je pris Conscience d’avoir repris ma place devant Gus comme par magie.

J’étais hors de moi, près de mon corps, et la seconde d’après, d’une simple
injonction, forcé de réintégrer avec vigueur mon étui spirituel. J’étais de
nouveau plantée devant Gus qui avait l’air bien moins surpris que moi.
Une légère inquiétude dans la voix devant la puissance du phénomène, je
lui demandai prudemment :
- C’est toi qui as fait ça ?
Gus, radouci et satisfait, me dit :
- Les réponses sont là-haut, elles viendront quand ce sera le moment,
allons-y maintenant, tu es prêt ?
- Tu réponds toujours aux gens qui te posent une question par une
pirouette. Tu es quoi ? Un bonze tibétain ou un guru indien qui se serait
nippé à King Road ?
- Je te l’ai dit, ne te fis pas aux apparences, nous pouvons prendre
l’aspect de notre choix. J’ai simplement pensé que, vu ton âge, ce costume
d’étudiant te mettrait en confiance et faciliterait notre rencontre. Me
serais-je trompé ?
- Non, rien de grave, Gus. C’est juste qu’il y a des années que l’on ne
porte plus ce genre d’accoutrement. Les jeunes d’aujourd’hui mettent des
AUX BALCONS DU CIEL 17
LE SOUFFLE DES ANGES

jeans, des tee-shirts et des baskets, ou des trucs dans le genre. Ton look est
juste un poil décalé de . . . trente ans, ça craint !
- Ah ! Dit-il l’air satisfait, absolument pas gêné par ma remarque faisant
de lui un “has been”, trente ans déjà depuis ma dernière visite,
marmonna-t-il dans sa barbe. De toute façon, je lui avais dit que venir sur
terre n’était pas une mission pour moi, je ne sais pas ce qui lui a pris
d’insister, on ne manque pourtant pas de passeurs.
Faisant fi de ses considérations domestiques, je lui demandai, l’air
intéressé :
- Comment m’as-tu déplacé tout à l’heure ? Comment as-tu fait ? Vas-y,
explique.
- C’est moi sans être moi. Il va maintenant falloir que tu ouvres ton
esprit et jongles avec de nombreux paradoxes tels que celui-ci. Disons pour
simplifier que c’était juste une intention de ma part. Je voulais que tu
viennes pour que nous puissions partir, et tu es venu. Je sais, ce n’est pas
très poli, mais il est inutile de retarder l’inévitable, il nous reste de
nombreuses choses à faire, nous pourrions continuer cette conversation en
marchant ?
Je l’observai incrédule, Gus était déconcertant. Malgré ses préoccupations
du moment, il avait l’air serein et trouvait même le moyen d’esquiver la
réponse. En fait, je sentais bien au fond de moi que tout cela l’amusait.
J’éprouvais une sensation bizarre. Malgré nos différences, je me sentais
proche de lui, incroyablement proche, un peu comme d’un frère perdu que
j’aurais retrouvé.
- Nous nous connaissons, n’est-ce pas ? Lui demandai-je sans en avoir
réellement eu l’intention. Il sourit et répondit d’une voix douce.
- Non, mais d’une certaine manière oui !
- Encore un de ces paradoxes ?
- Exactement. Nous ne nous sommes jamais rencontrés au sens où tu
l’entends et en même temps nous avons toujours été très proches l’un de
l’autre, extrêmement proches. Nous sommes issus d’une même source et
un lien subtil nous relie. Maintenant que tu es mort, tu ressens cet
attachement, et c’est comme une divine appartenance.

AUX BALCONS DU CIEL 18


LE SOUFFLE DES ANGES

Mon esprit faisait un effort pour comprendre matériellement quelque chose


qui ne l’était pas. Il parlait avec des énigmes comme un sage et faisait tout
pour faire croire qu’il avait des réponses à mes questions, c’était très
désagréable.
- Tu comprendras quand tu en auras fait l’expérience, Alex. Ce n’est pas
une chose qu’un esprit sur le point de s’éveiller peut accepter facilement.
Pour le moment, il te suffit d’entendre, le moment venu, ce sera une
réalité.
- Tu me parles de Dieu ? Lui demandai-je, inquiet, me souvenant que la
religion ne m’avait jamais attiré. Elle m’apparaissait juste comme une
opportunité pour quelques bigotes de se réunir et de boire du thé plus
qu’une réelle planche de salut.
- Je te rassure, dit-il en riant largement, la réalité est très éloignée de
celle de ton imagination. Je vais même te dire, c’est tellement inimaginable
que nous n’en parlons jamais, il nous suffit de savoir. . .
- De quoi ne parlez-vous jamais, de Dieu ou de religion ?
- Des deux ! Et maintenant, si nous allions ensemble au Ciel en
marchant tranquillement dans ce paysage paradisiaque.
- Pourquoi ? On va au Ciel en marchant !
Il dut sentir que je me désintéressais de mes soucis terrestres et se mit à
avancer, il ajouta par-dessus son épaule :
- Tu sais, le Ciel commence ici sur Terre. L’air que tu respires, c’est déjà
le Ciel. Si tu fermes les yeux, quelle différence fais-tu entre les deux ?
Pour ton âme, c’est bien la même chose.
Le soleil illuminait son visage, il avançait en embrassant la vue généreuse
et s’en délectait. Il scrutait chaque détail de la perspective avec curiosité, la
toisait d’un ascendant magistral et se remplissait de ce qu’elle offrait. Son
sourire béat de gros bébé dispensait des ondes de joie communicative, je
commençais moi-même à me sentir aux Anges.
- Il y a tant de destinations. . . Dit-il avec une naïveté d’enfant alors que
son regard s’aventurait sur mille chemins à la fois.
Il inspira une grande bouffée d’air, gonflant sa poitrine démesurément, si
bien que sa veste étriquée expulsa un bouton qui reprit sa liberté en
décrivant une arabesque majestueuse qui parut durer une éternité. L’habit
en profita pour s’ouvrir et laisser apparaître un ventre rebondi. Sans prêter
AUX BALCONS DU CIEL 19
LE SOUFFLE DES ANGES

attention à cette défection vestimentaire, il me dit avec l’emphase d’un


artiste :
- Tu sais, là où nous allons, c’est seulement plus vaste, sans limites, sans
matérialité au sens où tu l’entends, c’est plus subtil, plus éthéré. La Terre
n’est qu’un bac à sable rugueux pour apprendre à vivre, un lieu où vous
faites l’expérience de vos croyances individuelles et collectives, un lieu ou
vous apprenez que l’Ego n’est qu’une toute petite personne comparée à
votre réelle magnificence.
Je l’écoutais, pris entre l’envie de lui demander d’arrêter de se moquer de
moi, et en même temps fasciné par ce qu’il disait. Ça avait l’air dingue,
mais un je-ne-sais-quoi me disait que ses paroles étaient vraies.
- Tu continueras à vivre de la même manière que sur terre, il n’y a guère
de différences. Grâce à ton esprit, tu continueras de créer ta vie. Le vrai
changement sera dans la matérialisation de tes pensées, ce sera plus rapide,
comme si tu passais ton jeu vidéo préféré du mode débutant à confirmé.
Fan de jeux depuis l’enfance, je lui demandai :
- Il y a des niveaux pour experts ?
- Certainement. Dans ceux-là, un mot suffit à te donner des ailes ou
transformer ce que tu aimes en cauchemar.
Imaginant la chose, j’en frémis intérieurement.
- Rassure-toi, tu n’en es pas encore là, il y a du chemin à faire avant de
devenir chemin soi-même. . .
Je ne comprenais pas tout ce qu’il disait. De ses mains, il matérialisait ses
phrases dans l’espace, déplaçait des objets invisibles qu’ils agrandissaient,
rapetissaient ou écartaient avec beaucoup d’élégance et de légèreté pour un
garçon de sa stature. Je le suivais avec une certitude grandissante, une sorte
d’intuition que martelait mon esprit pour se faire entendre : Gus était un
véritable Ange, ou ce que j’en imaginais. De toute son existence il n’avait
certainement jamais proféré aucun mensonge, savait-il même ce que
c’était ?

Laissant mes doutes derrière moi, je l’escortai d’un pas plus assuré que le
sien. Il se déplaçait en effet en zigzaguant précieusement entre des pièces
de tracteur rongées de rouille et de vieux sacs plastique à moitié enterrés
jonchant les abords du champ. Il ponctuait ses sautillements de : « Ola,
AUX BALCONS DU CIEL 20
LE SOUFFLE DES ANGES

pesticides ! » ou de : « O.G.M ! mais pour qui se prennent-ils ? » Il


paraissait sincèrement outré par ce qu’il découvrait et prenait un air de
vieille dame effarouchée par une turbulente jeunesse. Il continua
néanmoins de me parler en se faufilant entre les débris, faisant des
entrechats l’air dégoûté.
- Le Ciel, c’est une expression humaine, nous préférons vibration,
champ ou plan vibratoire, ou encore de Conscience. En réalité, notre
destination n’est qu’à un jet de pierre d’ici, quelques notes plus haut dans
l’octave ou sur la gamme vibratoire.
- Dans une autre dimension ?
- Si tu veux, ce serait plutôt une portée musicale, la terre serait le Do et
nous allons vers le Ré, Mi, Fa. . . Tu saisis ?
- Oui, je crois.
- D’abord entendre, faire ensuite l’expérience pour comprendre, dit-il
énigmatiquement, jaugeant de mon entendement avec ses sourcils épais.
- Alors tous les livres, les films, les personnes qui parlent de vie après la
mort, tout ça, c’est donc vrai, je suis mort ?
- Bien sûr que c’est vrai.
- Quoi ?
- Les deux ! D’un certain point de vue tu es mort. Et tu sais, Alex, ce
que tu crois vrai l’est, ou le devient très vite.
- Même la vie après la mort ?
- Il n’y a aucune limite aux créations de l’esprit. Sur terre, les vibrations
ne sont pas aussi dynamiques que dans les hautes sphères où nous allons,
mais si tu ajoutes un peu de persévérance et de Foi, tu feras très vite
l’expérience de tes croyances, bonnes ou mauvaises, tu peux me croire.

En disant cela, il jubilait comme s’il le voyait déjà, comme si ses mots
créaient une réalité bien à lui. Un foisonnement contenu se mit à briller en
lui, comme l’intérieur d’une opale ou d’un girasol.* (*Pierre précieuse,
variété d’opale dont la teinte change en fonction de la lumière) Pour les
yeux de mon esprit, une force invisible tentait de s’échapper, comme si
cette enveloppe temporaire d’homme ne pouvait contenir plus longtemps
son désir d’exprimer ce qu’il était. La seule manifestation physique de ce
bouillonnement intérieur fut une larme qui roula au coin de son œil droit.
AUX BALCONS DU CIEL 21
LE SOUFFLE DES ANGES

Les mains levées pour apprécier le poids de son verbe, rythmant ses
mots comme un chef d’orchestre, il continua :
- Les humains manquent heureusement de foi ! sinon la Terre serait
recouverte d’objets inutiles sur plusieurs kilomètres de haut. . . Vous seriez
en guerre permanente et détruiriez certainement la planète plusieurs fois
par semaine. . . C’est pour cela que votre pouvoir est amoindri, c’est aussi
pourquoi vous apprenez ici. . . Au moins, il vous est impossible d’y faire
du mal.
- Gus, t’as pas du bien suivre le match à la télé ! Le monde souffre et la
terre se meurt par la faute d’une minorité dont la folie de pouvoir et de
cupidité nous tuera tous.
- Vraiment ! Pourquoi les laisser vous faire ? C’est irrationnel. Bah,
rassure-toi, de toute façon ça n’a aucune importance. Je te l’affirme,
impossible de vous faire mal sur terre puisque vous êtes tous immortels, du
moins, quasiment.
- Comment ça quasiment ! Lâchai-je, soudain moins rassuré.
- Tous pareils. Il vient de passer du statut de mortel à celui de quasiment
immortel et le voilà déjà qui chipote. Je vous adore, vous me faites rire
avec vos peurs, vos certitudes et votre amnésie sélective.

Je m’en voulais d’avoir bien involontairement révélé mes craintes à Gus. Il


me répondit comme s’il avait entendu ma pensée.
- Tout va bien Alex. C’est tout à fait logique d’avoir peur de mourir, ça
fait même partie de la vie et des choses à apprendre. Rien ne dure. . .
- Tiens, c’est drôle, c’est ce que dit souvent ma grand-mère.
- Constance, oui, c’est bien son style. . .
- Quoi, tu la connais ! ! !
- Oui, bien sûr, elle est très appréciée là où nous allons. C’est une artiste
estimée qui chante comme un Ange et nous manque beaucoup depuis son
départ sur terre.

Incroyable ! J’en restai bouche bée. Ma grand-mère, grande spécialiste des


pierres et des cristaux dont elle faisait commerce dans le monde entier,
chantait effectivement comme une diva. C’était un véritable enchantement
de l’entendre à l’Escale, où elle se produisait parfois le samedi soir. On
AUX BALCONS DU CIEL 22
LE SOUFFLE DES ANGES

venait de tous les cantons avoisinants pour l’écouter vous bercer de ses
longues ballades langoureuses.

Son portrait s’afficha dans mon esprit sous les traits d’une belle jeune
femme d’une vingtaine d’années en train de m’envoyer des baisers qui
s’envolaient comme des oiseaux blancs.
- Laisse-la partir Alex, libère-la, lâche. Dit Gus sur un ton tranchant.
Un fil invisible mais curieusement tangible qui me liait à elle se coupa
sèchement. Elle s’envola comme si j’avais laissé filer un ballon de
baudruche qui entraîna dans sa liberté retrouvée mon attachement pour
grand-mère. L’image finit par disparaître comme celle des anciennes télés
qui s’éteignaient en contractant la lumière pour finir par ne laisser qu’un
point brillant au centre de l’écran.

Une partie de ma vie vient de disparaître, pensai-je intérieurement.


- Tu viens de faire de la place pour permettre à une nouvelle réalité
d’apparaître, me dit Gus en s’immisçant dans mon esprit sans que j’en
prenne véritablement conscience. Tu es mort, une nouvelle vie commence,
inutile de t’encombrer de l’ancienne.
Cette réplique me fit l’effet d’un coup de fouet, brusquement ma situation
apparut dans toute sa froideur. Je mis crûment des mots sur un fait :
- Mince, ce n’est pas un rêve, je suis bien mort !

En m’entendant le dire, je chancelai et basculai dans un monde totalement


bouleversé. Les fondations de ma vie se trouvaient ébranlées, l’ensemble
de mes croyances volaient en éclats, j’étais dans un désert de ruines et je
vacillais, effrayé de ne rien trouver à quoi me raccrocher. Gus
susurra silencieusement d’une voix mélodieuse :
- Le mieux est d’accepter et de complètement cesser de penser. . .



«Celui que l’esprit seul peut percevoir, qui échappe aux organes des sens,
qui est sans parties visibles, éternel, l’âme de tous les êtres,
que nul ne peut comprendre, déploya sa propre splendeur. »
AUX BALCONS DU CIEL 23
LE SOUFFLE DES ANGES

«Ayant résolu, dans sa pensée, de faire émaner de sa substance


les diverses créatures, il produisit d’abord les eaux
dans lesquelles il déposa un germe. »
«Ce germe devint un œuf brillant comme l’or, aussi éclatant que l’astre
aux mille rayons,
et dans lequel l’Être suprême naquit lui-même sous la forme de Brahmâ,
l’aïeul de tous les êtres. »

La loi de Manou
D’après la traduction de A. Loiseleur Deslonchamps,
Les Livres Sacrés de l’Orient, 1840
Petit moineau rentre au nid

« Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion ». Khalil Gibran

Le fracas des explosions ne l’effrayait pas, elle était debout au milieu de la


rue sans autre protection que la pureté de son innocence. Jamais personne
de son village n’aurait eu le cran d’en faire autant. Elle fredonnait comme
à son habitude une chanson gaie, ce qu’elle faisait jour après jour pour le
plus grand plaisir de ses compagnons d’infortune. Elle venait de se laisser
prendre dans un tir de rue, nourris du bruit et de la fureur des belligérants.
Les cris et les hurlements auguraient un malheur, quelque chose de grave
venait d’arriver. Dans un curieux état d’absence, Ishtar regardait un corps
déchiqueté à ses pieds, une partie de son esprit lui dictait de se mettre à
l’abri, mais elle n’en éprouvait plus aucun besoin.

Ishtar était une fillette de douze ans aussi petite qu’un moineau et qui
gazouillait comme un pinson. Ses cheveux noirs parfaitement brossés
scintillaient sous le soleil comme les ailes d’un corbeau. Ses yeux noirs et
profonds, aussi insondables que des billes d’onyx, brillaient pareilles à des
larmes d’obsidienne. Elle n’était pas vraiment timide, mais son existence
ne lui avait jusqu’alors fait connaître que mort, violence et privation. Elle
s’était détachée d’elle-même, s’était placée en spectateur d’une vie qui
paraissait être la sienne. Ishtar ne souffrait jamais malgré les horreurs qui
se perpétraient autour d’elle. Observant la vie comme un mauvais film, elle
AUX BALCONS DU CIEL 24
LE SOUFFLE DES ANGES

n’y attachait que peu d’attention, car par-delà la réalité étriquée de ses
yeux, elle voyait des choses bien plus réjouissantes.

Orpheline depuis la mort de ses parents dix ans plus tôt, elle avait survécu
presque miraculeusement dans cet enfer. La vie n’était pas facile, surtout
maintenant. Les affrontements avaient ravagé la ville et les déjà faibles
ressources s’amenuisaient un peu plus chaque jour. Pour les petits comme
elle, il n’y avait guère de changement, si ce n’est davantage de rien.

Elle avait été recueillie au cours de sa brève existence par de nombreuses


familles faisant preuve d’un élan spontané de solidarité et de générosité.
C’était bien là le dernier refuge des peuples en souffrance, se souvenir de
rester des êtres humains. Dommage d’avoir la mémoire si courte une fois
la paix retrouvée.

Les aléas l’avaient poussée de chez les uns vers chez d’autres pouvant
mieux subvenir à ses maigres besoins. C’était toujours avec regret que ses
protecteurs la laissaient partir, conscients de perdre ainsi la joie et
l’illumination de sa présence. Chaque départ laissait une famille dans
l’affliction, dépossédée d’une si belle âme qui embellissait la vie et
réchauffait les cœurs de ses chansons. Cependant, peu d’entre eux
comprenaient l’exemple donné et encore moins l’appliquaient. Elle
s’accommodait de sa nouvelle famille aussi facilement qu’elle enfilait ses
minuscules mules dont les talons usés offraient une seconde vie à des
morceaux de bois patiemment taillés et assemblés le soir à la veillée. C’est
donc juchée sur des mules transformées en escarpins qu’elle arpentait la
vie. Munie d’échasses, son esprit surfait continuellement au-dessus des
nuages. . .

Malgré les circonstances, elle restait coquette et trouvait vital d’avoir en


toute occasion des cheveux et des habits propres et parfaitement
entretenus. Même s’ils n’étaient bien souvent que de la récupération, elle
recousait et améliorait avec bonheur le moindre chiffon qui passait entre
ses mains. Elle se voulait un modèle de respect de soi-même et des autres.
Le plus incroyable, c’est que dans ce pays devenu un fantastique terrain de
AUX BALCONS DU CIEL 25
LE SOUFFLE DES ANGES

jeux pour des hommes envieux et colériques, elle y parvenait à merveille.

De rares infrastructures étaient préservées pour continuer de se faire la


guerre. En effet, difficile de se battre dans une ville sans abris ni repères
visuels, et puis, ça n’aurait sûrement pas été si drôle pour ces hommes
ayant fait de leurs stupides jeux d’enfant une réalité. Sans pour autant
faciliter la vie aux assiégés dans la tourmente, cela maintenait cependant
un semblant d’humanité à cette cité naguère remarquable et désormais
éventrée par aveuglement. Des choses aussi essentielles que l’hygiène ou
la propreté devenaient des gageures que chacun relevait avec dignité.
L’eau, le savon, la lessive étaient aussi rares que la subsistance, et
pourtant, malgré les innombrables possibilités de se salir, Ishtar paraissait
chaque jour comme au sortir de son bain, parfumée, les cheveux
parfaitement brossés et ses petits habits propres et impeccablement
repassés.

Dans les familles où elle vivait, on chuchotait le mot « Miracle ». Un


couple racontait qu’après un attentat au marché, d’un simple revers de
main, elle avait fait disparaître des taches de sang qui maculaient sa robe.
On murmurait aussi que, malgré son extrême pauvreté, son panier était
pourtant toujours bien rempli, de pain, de légumes et de gros bouquets de
fleurs multicolores. Comment faisait-elle ? Ou trouvait-elle tout cela ?
Disparaissant des journées entières, semant l’angoisse chez ses
compagnons, elle réapparaissait chaque soir miraculeusement, les bras
chargés de victuailles et de senteurs. Autant dire que l’on parlait d’elle
comme d’une sainte !

Tout cela était vrai. Sans bien comprendre comment, elle accomplissait des
choses aussi incroyables que d’effacer le sang de sa robe ou faire
apparaître la subsistance de sa famille provisoire. Le plus inexplicable était
qu’elle avait l’impression d’être uniquement là pour ça ? Ishtar restait
muette sur ses prodiges, refusant même de se l’expliquer à elle-même.
Pour les fleurs, elle ne faisait que les cueillir à l’occasion de ses longues
promenades dans le champ de bataille qu’était devenu son pays, où, malgré
les décombres et les terres dévastées, le miracle de la vie faisait renaître
AUX BALCONS DU CIEL 26
LE SOUFFLE DES ANGES

même les cendres.

Pour le pain et la nourriture, c’était tout autre chose. Elle partait le matin
un panier vide au bras, et le soir il était plein sans qu’elle ait eu à se soucier
de le remplir. Elle ne cherchait pas d’explication à ce phénomène, elle ne
faisait qu’y croire et dire merci à CE qui donnait, entretenant la certitude
que le lendemain tout recommencerait. Comment dire, comment avouer
cela ? De toute manière, elle ne savait pas comment ça marchait, c’était
comme ça. Elle ne voyait rien de magique là-dedans et s’étonnait même
que les autres ne sachent en faire autant. Tout cela entretenait son air
timide et réservé, mais, à bien y regarder, ce n’était qu’une apparence. En
ce temps de fer et de feu, un petit moineau se préservait, une grande et
belle âme se faisait petite et donnait beaucoup, sachant qu’elle recevrait
bien plus dans les Cieux. . .

Un jeune homme terriblement mal habillé à son goût et curieusement vêtu


d’un improbable costume occidental dix fois trop petit pour lui, bravait les
tirs et les détonations pour s’approcher d’elle. Toujours au pied de ce corps
ensanglanté dont elle venait de remarquer les escarpins identique aux
siens, elle s’inquiéta de la bravade du jeune homme. Elle avait envie de lui
crier de se protéger, de ne pas chercher à l’aider, mais il apparaissait
détendu et parfaitement à son aise au milieu du fracas et des flammes. Il
souriait et avançait sur la terre brûlée mêlée de débris comme s’il marchait
sur un coussin d’air. Il traversa un écran de feu d’un pas alerte sans
éprouver aucune gêne et, n’étant plus qu’à deux pas d’elle, il lui dit :
- Bonjour, Ishtar, je m’appelle Gus.
Il parlait dans une langue étrangère inconnue d’elle, mais bizarrement elle
le comprenait parfaitement.
- Je suis morte, n’est-ce pas, et c’est moi qui suis là ? Demanda-t-elle en
montrant du doigt l’amas de chair méconnaissable.
- Morte ! Oui, dans un sens, dit-il en souriant largement. Je dirais plutôt
que ton enveloppe terrestre commence à retourner en poussière. Le reste
me semble parfaitement fonctionnel.
Une balle le traversa en claquant comme un fouet, sans qu’il ne s’en
émeuve.
AUX BALCONS DU CIEL 27
LE SOUFFLE DES ANGES

- Je me sens bien, dit-elle en levant les bras au ciel le sourire aux


lèvres, je me sens légère comme une plume.
L’idée qu’elle venait d’exprimer la fit décoller du sol et rire avec Gus de
cette farce aux lois bien établies de la physique.
- Nous n’avons plus rien à faire ici, Ishtar, je te ramène à la maison.
Il tendit une grosse main pataude dont elle se saisit sans poser plus de
question, décidant d’accorder pleinement sa confiance à cet étrange
inconnu. De toute façon, c’est ce qu’elle faisait de la vie tout entière,
certaine qu’il ne pouvait rien lui arriver qu’elle n’eût vraiment souhaité.

Au contact de Gus, un voile se souleva dans son esprit pour découvrir une
réalité qu’elle eut du mal à comprendre. Elle voyait un lieu paisible
couvert d’une végétation luxuriante. Celle-ci s’étendait à perte de vue et
des animaux de toutes sortes attendaient patiemment. Il y avait aussi une
lumière incandescente à l’intérieur d’une goutte d’eau transparente, un
minuscule soleil dans une bille de verre. La goutte lumineuse se mit à
briller si fort que son éclat inonda le paysage et la faune de ses rayons
transcendants. Une émanation diaphane se superposa à sa vision, animant
le panorama d’une vie propre, d’une Conscience. Elle reconnue
immédiatement cette sensation, et se dit que bientôt elle serait dans son
fabuleux jardin.



« Alors, au milieu de ce puisant débat intérieur que je menais contre mon


âme
dans cette chambre secrète qu’est notre cœur,
je me jette, avec un visage aussi troublé que mon esprit, sur Alypius en
m’écriant :
- Qu’attendons-nous ? Qu’est-ce donc ? As-tu entendu ?
Des ignorants se lèvent et prennent le Ciel de force, et nous, avec notre
science sans cœur,
voici que nous nous roulons dans la chair et le sang !
Est-ce parce qu’ils nous ont devancés que nous rougissons de les suivre ?
Ou plutôt que nous n’avons pas honte de ne même pas les suivre ? »
AUX BALCONS DU CIEL 28
LE SOUFFLE DES ANGES

Les confessions, Livre huitième, chapitre VIII


SAINT AUGUSTIN
Un ascenseur pour le Paradis

Le destin trace la route, il conduit celui qui consent et traîne celui qui
résiste.
Principe Stoïcien

Le soleil avait presque terminé son patient travail d’évaporation commencé


depuis le matin, constellant le ciel d’automne de petits nuages laiteux. Les
oiseaux, toujours en quête d’une graine pour les uns, d’un moucheron ou
d’un vermisseau pour les autres, scandaient l’hymne à la vie en se
propulsant dans les airs comme des patineurs sur la glace. Un lièvre aux
oreilles à moitié noires, ignorant notre présence malgré les quelques pas
nous qui nous séparaient, regagnait tranquillement son gîte d’où
s’échappait le glapissement de ses petits qui guettaient son retour. Sa
femelle fila entre mes jambes de façon téméraire me faisant sursauter et
jurer de surprise. Elle me dépassa rapidement pour rejoindre sa petite
famille sans prêter attention à mon rire nerveux.

- Ils ne peuvent nous percevoir, dit Gus.


Son sourire largement étiré d’une oreille à l’autre me faisait penser à une
tranche de pastèque. L’idée d’en finir avec cette mission qui semblait si
inhabituelle pour lui le transportait de joie. Il marquait la cadence en
fredonnant le grand air de Carmen, un opéra français. Nous approchions
d’une vaste zone lumineuse apparaissant sur l’horizon comme une
nouvelle aube. Éclatante, presque blanche, elle se mettait à poindre
majestueusement, éclaboussant maintenant le paysage de son aura
aveuglante. À chaque pas, elle semblait doubler de volume. Elle
grandissait et se densifiait, magnifiant notre champ de vision d’une
ineffable brume laiteuse et lumineuse. Le spectacle était si impressionnant
que j’avais remis mes questions à plus tard. Gus lui-même semblait tout
aussi ému que moi, il avait cessé de chanter et effacé la satisfaction de son
visage pour la remplacer par une solennité silencieuse.
AUX BALCONS DU CIEL 29
LE SOUFFLE DES ANGES

Devant nous, l’entrée d’une sorte de vortex ou tunnel lumineux suspendu


dans les airs se matérialisait progressivement, comme projeté sur un écran
invisible. L’intérieur semblait solide, habillé de lumière, ou plutôt habité,
tant l’impression de vie était perceptible. Cela me faisait penser à une
fractale en trois dimensions de matière éthérée qui se densifiait et s’épurait
pour ensuite mieux se transformer et se déployer dans un vaste mouvement
conditionné par un modèle céleste. Cette permanente révolution entre
solide et fragile transcendait l’immatérialité de l’ensemble en une
surprenante réalité. La végétation alentour se soulevait, pointant vers
l’entrée comme aimantée par une vibrante attraction. Le tunnel s’étirait
telle une tornade immaculée et s’élevait dans le ciel, perçant un des
derniers nuages pour ressortir et continuer son envolée vers l’inconnu. Le
paysage aux alentours, sublimé par cette torche fascinante, avait des teintes
d’une netteté absolue, scintillant de milliards de paillettes de feu.

Je percevais la chaleur et la vibration des couleurs dans une gamme


dépassant considérablement celle dont j’avais l’habitude, chacune d’elles
représentait une note dans la palette ou le nuancier de la vie. Un halo de
minuscules flammèches de pure énergie auréolait tous les objets, projetant
des feux follets électriques qui scintillaient étrangement. Feuilles, arbres,
pierres, herbe, animaux, tous semblaient animés d’une forme de vie
étendue par cette aura lumineuse. Mon esprit, indépendamment de ma
volonté, se focalisait sur chacune de ces formes de vie et révélait en leur
sein une fabuleuse intelligence. Tout ce qui m’entourait, quelle que soit sa
nature, exprimait une forme de Conscience semblable à des ensembles et
sous-ensembles immatériels s’imbriquant et s’étirant les uns dans les
autres. Tout était lié d’une façon si subtile et si magique que cela dépassait
mon entendement. Chaque chose pensait, respirait la vie individuellement,
et en même temps était connecté à ses semblables pour former alors un être
complet doté d’une Conscience étendue et collective, une conscience
empreinte d’amour. Bien que déconcerté, je m’émerveillais néanmoins de
cette vision édénique que m’offrait ma nouvelle perception de la vie.

AUX BALCONS DU CIEL 30


LE SOUFFLE DES ANGES

Plus près de l’entrée, le paysage entraperçu au travers de la trombe


d’énergie était semblable à un mirage ou à cette curieuse altération visuelle
les jours de grande chaleur. L’air quant à lui paraissait se figer à notre
approche, il s’était épaissi, devenu presque palpable. Mon corps n’offrait
plus aucune résistance, l’air et la lumière me pénétraient comme si je
n’existais plus que dans mon esprit. De minuscules boules de lumière aussi
éblouissantes que des flashs dansaient aux abords et semblaient
m’encourager à avancer vers le seuil de cette porte vers l’au-delà.

Maintenant, une palpitation montait et grandissait, semblable aux


pulsations d’un cœur herculéen qui battait de passion ou de
reconnaissance. Son rythme puissant emplissait mon être, dénouant mes
entraves terrestres et restituant à la Terre mes derniers regrets. Je sentais
s’élever de moi les émanations spirituelles de ma vie, l’ensemble de de
mes anciennes pensées qui retournaient à l’Indifférencié, littéralement
aspirées par la puissante colonne. Le passage vrombissait comme si tout
n’était plus que peau de tambour battu par des géants invisibles, nous
étions conduits par un appel ardent de la lumière.

À quelques pas l’air frémissait et pressait nos esprits vers l’intérieur. Si


près il nous aurait été impossible de faire marche arrière. Pour la première
fois de ma vie, je n’avais d’autres choix que de m’abandonner à l’attraction
du ciel. En moi, une voix intérieure impérieuse semblait très bien savoir où
nous allions et s’en réjouissait déjà. Elle me dit : « Rassure-toi ». Je décidai
sans trop savoir pourquoi de me laisser aller à cette sagesse avec confiance.

La matière se raréfiait, je voyais à travers le corps de Gus. Levant ma


main, mes os, mes veines, mes tendons étaient pareils à de l’eau colorée.
Au fur et à mesure de notre approche, le rythme des battements s’accélérait
et nous devenions de plus en plus transparents.

- C’est impressionnant ! Je me sens tout petit. Glissai-je à Gus pour me


rassurer d’entendre encore ma propre voix.
- Pas si petit que ça. Rassure-toi, tout va bien se passer, c’est comme
descendre un toboggan à l’envers.
AUX BALCONS DU CIEL 31
LE SOUFFLE DES ANGES

- C’est bien ce qui m’inquiète. T’as vu la taille du toboggan ! Ne pus-je


m’empêcher de penser avec une voix pincée.
- Personne n’en est jamais mort. Me renvoya-t-il mentalement, faisant
éclater dans mon esprit un rire qui s’amplifia avec le mien.
Je ne pus contenir l’énergie produite qui déferla en moi comme une
avalanche et me fit hoqueter sous sa puissance. C’était la première fois que
je riais à une simple blague avec autant d’éclat et c’était une véritable
libération. Depuis que je n’avais plus de corps, tout semblait étonnamment
plus émotionnel, plus vivant. Reprenant son calme, Gus ajouta :
- Continue de marcher normalement et laisse-toi aller, laisse-toi porter,
nous allons remonter les berges célestes. Tu vas voir, c’est divin.
À ces mots, un carillon tinta au-dessus de moi en me vrillant les tympans,
comme le son du manège de chevaux de bois qui se met en marche. Ça y
était. J’avais quitté la terre ferme pour me retrouver suspendu dans le vide.
La surprise me fit tenter un rétablissement, mais rien ne se passa, je n’avais
plus de corps, je n’étais plus qu’une pensée, un esprit, une vibration
parfaitement en harmonie avec l’énergie qui l’entourait. Progressivement
je m’élevais, littéralement avalé. La vitesse s’accéléra sensiblement, me
faisant lâcher prise avec l’énergie Terrestre. Fixé dans une indicible
pesanteur, je montais au ciel, absorbé par une formidable toute puissance
dont l’épicentre semblait partout à la fois. Cette trombe fulgurante était
vivante et pensait, je l’entendais ! Elle communiquait avec moi au travers
de messages mentaux, de requêtes silencieuses, de sensations et
d’attentions. Tout cela était si fort que j’en avais les larmes aux yeux,
façon de parler. . .

En moi ça parlait, ça pensait, des concepts se chevauchaient tels que :


Amour, Vérité, Joie, mais aussi Force et Douceur ; Masculin, Féminin ;
Immobilité et Mouvement, Fluidité et Concentration, et bien d’autres
encore. Tout cela était en parfait accord, un parfait équilibre de polarités
magnifiques. Aucune n’était ni ceci ni cela, ni bien ni mal, simplement,
c’était ! En étant exactement entre les deux, au lieu de n’avoir que l’un ou
l’autre, je recevais l’énergie du produit des deux comme une sublime
récompense. Dans l’épaisseur mentale d’une infime feuille de papier de
soie, s’ouvrait un monde d’absolu où soudain tout prenait sens, rien ne
AUX BALCONS DU CIEL 32
LE SOUFFLE DES ANGES

semblait pouvoir m’arrêter dans mon envolée dernière, et pourtant !

J’étais arrêté ou avais la sensation de ne plus m’élever. Je sentais encore


Gus dans mon esprit sans le voir, avec la curieuse sensation de ne pas être
pas encore arrivé à destination. Soudain je fus submergé par une vague de
tendresse et de lumière qui me ravit littéralement à moi-même. Une force
supérieure m’avait saisi et m’élevait jusqu’à elle. Les sensations étaient
extraordinaires, inconcevables, impossibles à imaginer. Mon esprit
semblait soutenu par deux mains chaudes et lumineuses. Elles me portèrent
aux nues d’un visage souverain qui me souriait.

L’apparition était auréolée de longs cheveux ondulant lentement au rythme


d’un flux flamboyant. C’était un parfait compromis entre la beauté de
l’homme et de la femme, mais je ne voyais en lui qu’un symbole d’Amour.
Cet être d’extraction divine, dont la lumière exaltait toute réalité, imposait
par sa présence un unique modèle auquel j’eus immédiatement envie de
ressembler.

Des yeux apparurent, des milliards d’yeux m’entouraient et me fixaient


intensément, et dans ces regards remplis d’aménité, il n’y avait que
compassion. Ils formaient un fond à la perspective infinie de mon champ
de vision et je les voyais de façon périphérique comme autant de
moi-même accueillant le retour du fils prodigue.

La chaleur qui se dégageait de l’être lumineux me donna l’impression


d’être assis beaucoup trop près de l’unique poêle avec lequel grand-mère
chauffait son chalet. Décelant ma gêne, une barrière glacée invisible se
plaça entre nous, me coupant des excès de ce pur esprit. Il m’observait
avec intérêt et tendresse, j’avais l’impression qu’il soupesait mon esprit ou
mon âme et je restai transi devant ce spectacle terrifiant et en même temps
si merveilleux. Mon intellect se remit en marche, émergeant de cette marée
d’Amour qui me submergeait. Je m’apprêtai à émettre des hypothèses, des
questionnements quand une voix venant de partout à la fois,
devança spontanément ce que je n’avais eu le temps de formuler.

AUX BALCONS DU CIEL 33


LE SOUFFLE DES ANGES

- Je ne suis pas Dieu, simplement un de ses reflets. Je suis ton pur esprit
sur un plan plus élevé, un peu plus près de la source que tu ne l’es en ce
moment.
Pensant que c’était l’heure de mon jugement, je demandai :
- Je vais être jugé ?
- Non, personne ne te juge, car tu es seul à pouvoir le faire.
- Ah ! Dis-je, sans bien comprendre ce que cela impliquait.
- Il n’y a rien à comprendre pour l’instant, Alex, simplement faire.
Raconte-moi donc ta vie sur terre, a-t-elle été profitable ?
- Un peu courte à mon goût, dis-je timidement.
- Courte ! Allons bon, ce n’est pas le temps qui compte, l’important est
ce que tu en fais. Comment as-tu aimé dans cette vie si courte ?
- Aimer. Je n’en ai même pas eu le temps ! Pourtant, ce n’est pas l’envie
qui m’a manqué, mais personne n’est venu. . .
- Et toi, es-tu allé vers eux, as-tu été généreux, as-tu été aimant ?
- Non. . .
Il sourit tristement, et devant cet être merveilleux que je venais
d’assombrir, que je pensais avoir déçu pas mon manquement, il me fut
impossible de retenir mes larmes.
- Tu vois bien qu’il est inutile de te juger, tu le fais très bien. . .
Plein de remords, j’ajoutai comme une excuse :
- J’ai aidé ma mère. . .
- Aider. Que voilà un joli mot, c’est presque comme Aimer. Y as-tu pris
du plaisir au moins ?
- Ben heu, oui. . . Disons que j’aurais préféré qu’elle se débrouille seule.
- En effet, mais si tu n’avais pas été là, elle aurait sans doute connu les
flammes de l’enfer.
- L’enfer ! Dis-je en frissonnant, il y a un donc un enfer.
- Oui, bien sûr. Tu sais fort bien créer les tourments qui t’accablent et les
flammes qui te consument, n’est-ce pas ?
- Oui, je suis assez bon à ce jeu-là et ma mère doit en être la championne
du monde.
- Oui, Suzanne est très créative. En ce moment elle retourne, elle
retourne, mais rassure-toi, tôt ou tard elle usera de son pouvoir pour
retourner le Monde. . .
AUX BALCONS DU CIEL 34
LE SOUFFLE DES ANGES

- Si ça pouvait être vrai. . .


- Ais confiance, n’est-ce pas déjà écrit. Maintenant fils de lumière, vis
pour toi et bâtis une vision grandiose de toi-même, fais de notre vie un
enchantement. Il me fixa avec bienveillance et ajouta : « Rappelle-toi. . . »
- Je ferai de mon mieux, Monsieur.
- J’en suis certain, fils de lumière.
Il effaça son sourire, prit un air inspiré et dit d’une voix que nul n’aurait
contredit :
- Reçois ton pouvoir, fils de lumière, va et agis dans la paix et l’amour.

Il me souffla un air frais et vivifiant en plein visage. Cela me fit l’effet


d’une porte qui s’ouvre, créant brusquement en moi un violent courant
d’air. Une ahurissante sensation de puissance s’engouffra, brisant au
passage d’anciennes chaînes, effaçant de vielles croyances et soudain
j’étais plus vivant, plus heureux, j’étais rendu à moi-même, encore
imparfait certes, mais fier de l’être.

Le visage de lumière souriait largement, son plaisir de me voir ainsi libéré


souleva autour de lui de bouillantes éruptions qui me balayèrent. J’aurais
pu m’anéantir dans ce feu brûlant, mais je fus rendu à mon ascenseur
céleste en gémissant d’extase. Je me sentais apaisé comme après avoir
longuement sangloté et me laissai submerger par le bien-être. Je ne
ressentais aucune peur, aucune haine, colère ou envie, ni jalousie ou un
quelconque autre sentiment de cette nature. Mon énergie entièrement
tournée vers le positif, je sentais en moi la plénitude et une vivacité, un
total engagement de mon esprit à vivre avec sérénité, j’étais complet,
entier. . . croyais-je !

De nouveau Gus fut près de moi et notre ascension reprit, quoique à bien y
regarder, malgré ma rencontre avec cet autre moi-même, elle ne semblait
pas réellement s’être interrompue. Reprenant doucement pied dans mon
esprit, je dis à Gus tout excité :
- Tu as vu ce truc, du moins, ce gars, enfin. . .
Comment nommer, comment verbaliser ce que je venais de vivre ?

AUX BALCONS DU CIEL 35


LE SOUFFLE DES ANGES

- Le mieux est de ne rien dire, à ce niveau de Conscience les mots


manquent aux émotions. Jouis de l’expérience et tires-en le meilleur, le
plus utile pour toi. Cette rencontre n’était destinée qu’à libérer tes derniers
liens avec la Terre et te rendre ton pouvoir.
- Mon pouvoir, comment ça, quel pouvoir ?
- Celui de créer, celui d’inventer la vie, un talent amoindri par tes
croyances. Maintenant tes pensées bonnes ou mauvaises vont devenir
réalités encore plus vite.
- Et c’est génial ça ?
- Oui, évidemment. Toutefois, tu te rendras très vite compte que les
grands pouvoirs imposent de grandes responsabilités ainsi qu’une immense
sagesse pour en user. Alors garde ton cœur et veille sur tes pensées comme
si c’était du lait sur le feu.

Je pris une nouvelle foi conscience de ma mort et du grand changement


qu’elle exigeait. Mon corps resté sur terre s’imposa en moi. Malgré son
absence, je ressentais le passage de l’air dans mes cheveux, la vitesse, le
frottement sur mes vêtements et, chose nouvelle, le rayonnement d’un astre
dans ma poitrine que mon enveloppe spirituelle ne pouvait contenir. Je ne
rêvais pas, tout était merveilleusement vrai, ma vie terrestre s’estompait,
laissant place à de nouvelles perspectives, de nouvelles opportunités
encore cachées, mais dont je pressentais les promesses. Le vortex s’évasa
pour nous laisser déboucher dans un ciel éclatant.

Nous progressions maintenant vers ce qui paraissait être une ville de


province sans constructions de plus d’un étage. Des hameaux s’étendaient
à perte de vue, ensemencés par un génial semeur qui aurait dessiné des
formes et des symboles comme des cercles de cultures.* (*Agroglyphes,
crop circles) Ceux-ci se croisaient et se recouvraient, formant une
constellation de villages, de jardins, de forêts et de plans d’eau aux
couleurs inattendues et d’une beauté stupéfiante. Aucune ligne droite,
aucune route, fils électriques ou même fumée n’était décelable, pourtant
des humains vivaient là, je les sentais en moi ! Les différents éléments de
ce monde jardin semblaient avoir été jetés du haut du ciel avec un plan
précis. Tout s’imbriquait et s’exprimait dans une fresque aux formes
AUX BALCONS DU CIEL 36
LE SOUFFLE DES ANGES

parfaites respirant la suprême félicité. Mon âme susurrait que déplacer ou


supprimer le moindre élément de ce tableau vivant aurait rompu son
harmonie. Une phrase de ma grand-mère me revint en mémoire : « Créer et
garder l’équilibre dans le mouvement. » J’avais sous les yeux un parfait
exemple de toute la verticalité nécessaire à réaliser ce prodige. Des
étincelles de lumière se déplaçaient à vive allure dans un ciel animé par
une agréable brise, tout bougeait, évoluait dans une illusion d’immobilité
trompeuse.
De la hauteur où je me trouvais, je pouvais apercevoir la grandeur du
panorama et la puissante harmonie pleine de simplicité qui y régnait.
Néanmoins, une vaste forme nuageuse accrochait l’œil. De la grosseur
d’un gros cumulus d’été aplati sur le dessus, sa taille avoisinait celle des
plus grands stades de la terre, elle trônait majestueusement au-dessus du
paysage. Ce gros paquet de coton blanc, fluide et dense à la fois, aux
contours bien délimités, semblait animé d’une vie propre. Il évoluait dans
un perpétuel mouvement, transformant au gré de l’instant ses volutes
inlassablement recomposées.

Il était recouvert d’une sorte de couvercle qui miroitait dans la lumière,


couronné de constructions élancées comme des flèches de cathédrale. Rien
ne tenait ou ne supportait cet étonnant amalgame, il paraissait simplement
posé dans le Ciel. Les édifices qui le surplombaient semblaient sans
consistance, des sortes d’hologrammes restituant à la perfection le modèle
d’un autre plan. Ils arboraient des couleurs irisées et transparentes comme
des bulles de savon prises dans un rayon de soleil. Des nuances vif argent
rehaussé d’or soulignaient les arêtes de cet ensemble d’où se dégageaient
de sublimes clartés et une effarante légèreté malgré d’imposantes
dimensions.

Je sais aujourd’hui que cette structure se déplace et qu’elle est


pratiquement indécelable du sol. Sa base se confond avec le ciel et sa
couleur évolue en fonction de l’ambiance et de la journée. À l’occasion, sa
forme sert de support à des projections d’images que l’on peut voir à des
kilomètres à la ronde, comme une sorte d’écran de cinéma géant.

AUX BALCONS DU CIEL 37


LE SOUFFLE DES ANGES

Tout ce qui nous entourait était presque aussi lumineux que l’intérieur du
tunnel qui nous avait amenés, sans que l’on puisse voir un quelconque
éclairage ou soleil dans le ciel. Des dizaines de minuscules lucioles
brillaient comme des étoiles une nuit sans lune et traçaient comme des
comètes. Elles nous accompagnaient ou escortaient des couples tels que
celui que je formais avec Gus. Notre ascenseur vibratoire avait fini par
disparaître ou plutôt se désagréger pour retourner à une énergie
Indifférenciée presque palpable autour de nous. Cette substance invisible et
pourtant vibrante semblait pouvoir s’amalgamer pour devenir à la guise,
nourriture, vêtements, logements et bien d’autres choses encore. Nous
approchions maintenant rapidement de ce qui apparaissait comme notre
destination.

Sur la large plate-forme composant le sommet du nuage s’égaillaient des


centaines de personnes qui m’apparaissaient du Ciel comme des fourmis
sur un miroir. Toutes convergeaient vers ce lieu où régnait une
effervescence déplacée comparée au calme reposant de la ville et de ses
environs.

- Qu’est-ce que c’est, Gus ? Et ces lucioles, qu’est-ce qu’elles brillent.


- C’est le centre d’accueil, là où nous allons. Les lucioles, comme tu les
appelles, ce sont des êtres de lumière, des Anges comme nous.
- Quoi. Ces petites lucioles, elles ne ressemblent pas du tout aux anges
de la terre !
- Ah, c’est vrai, j’oublie que vous êtes les grands spécialistes des Anges
sur Terre. Dit-il sur un ton sarcastique.
- Oui, tu as raison.
- Peu d’entre vous les voient, pourtant il suffit simplement d’ouvrir sa
Conscience. Je ne comprends pas que l’on ne vous apprenne pas ça dès
votre plus jeune âge. Décidément, je détesterais m’incarner sur terre.
- Gus, et toi, est-ce que tu brilles ?
- Eh bien oui, comme toi.
- Mais je ne brille pas ?
- Vraiment ! Le soleil voit-il son éclat ? Le but de la lumière n’est
peut-être que de faire briller ce qui l’entoure ? Il ajouta énigmatiquement :
AUX BALCONS DU CIEL 38
LE SOUFFLE DES ANGES

« Bientôt tu la verras toi aussi et alors tu sauras ce que tu es. »

Nous avions amorcé un large virage pour venir nous placer à quelques
mètres au dessus de ce qu’il convenait d’appeler une piste d’atterrissage,
dont la taille avoisinait plusieurs terrains de football mis bout à bout. Sa
teinte et sa consistance ressemblaient à une flaque de mercure où se
reflétaient les curieux bâtiments qui la flanquaient. L’ensemble faisait
penser à une gigantesque gare de verre et de légèreté, d’où s’échappait une
grande agitation. Celle-ci me submergea au moment même où nous
retrouvions une surface solide sous nos pieds.

Mon premier contact imprima à la surface miroitante une subtile


ondulation qui s’étendit comme une onde s’étirant paresseusement
jusqu’aux limites de ce lieu magique. J’entendis de nouveau le carillon
perçant du manège qui me vrilla les tympans. Je me promis d’en parler à
Gus plus tard, car pour le moment il y avait tant de choses stupéfiantes que
je réservais mes questions pour ce qui serait le plus incompréhensible à
mon esprit curieux.



S’il est vrai que Dieu ait uni en l’homme, sa créature et son image.
Toutes les natures, l’intellectuelle, la Céleste et l’élémentaire, comme il
n’en faut pas douter.
Ne doit-on pas avouer que l’homme est la plus parfaite de toutes les
créatures,
et que si les anges, les cieux, les luminaires et toutes les créatures
élémentaires ont des perfections, qu’elles sont toutes réunies dans
l’homme essentiel, même durant cette vie ;
puisqu’il est un petit monde et l’abrégé de toutes les créatures.

La philosophie Céleste.
Louis GRASSOT.

AUX BALCONS DU CIEL 39


LE SOUFFLE DES ANGES

Angéla for Ever

Aucune grâce extérieure n’est complète si la beauté intérieure ne la vivifie.


La beauté de l’âme se répand comme une lumière mystérieuse sur la
beauté du corps.
Victor Hugo - Post-scriptum de ma vie.

Angéla est une jeune Anglaise de dix-neuf ans qui a toujours vécu seule
avec son père dans la banlieue de Londres, sa mère étant morte en couches.
Ce jour tragique de sa naissance était une croix, un fardeau qui avait
anéanti son père. Pensez donc, perdre l’être qu’il chérissait le plus au
monde. Il était resté prostré, refusant d’accepter et d’aimer celle qu’il tenait
pour responsable de son malheur. Pourtant, la petite était mignonne avec
ses cheveux blonds blancs et ce toupet noir qui lui ornait le front. Lors de
l’accouchement, les sages-femmes avaient murmuré, que c’était la mort de
sa mère qui l’avait ainsi marquée d’un sceau indélébile.

Rapidement, le père d’Angéla s’était retrouvé devant un choix odieux,


celui de haïr ou d’aimer sa fille. Un cruel dilemme que son mental
entretenait et s’acharnait à résoudre alors que son cœur, quant à lui,
l’ignorait. Malgré ses états d’âme, il s’occupait matériellement d’Angéla à
merveille, la nourrissant, la soignant et l’habillant comme s’il s’agissait de
l’enfant d’un autre. Cependant, silencieusement, il la maudissait d’être née.
S’il savait produire un relatif confort matériel, il était incapable de
prodiguer la moindre once d’Amour. En dix-neuf ans de paternité, il ne
l’avait jamais embrassée, serrée contre lui, ou avait simplement pensé à lui
dire qu’il l’aimait.

En grandissant, Angéla avait terriblement souffert de la culpabilité. Son


père ne manquait jamais de lui rappeler sur un ton sentencieux le sacrifice
suprême de celle à qui elle devait la vie. Elle avait fini par accepter son
sort, se forgeant une terrible image d’elle-même entièrement due à sa
situation et à l’éducation donnée par son pauvre père.

AUX BALCONS DU CIEL 40


LE SOUFFLE DES ANGES

Vers l’âge de douze ans, un Éveilleur s’était penché sur elle et soudain tout
avait changé. La vision qu’elle portait sur sa vie s’était mystérieusement
transformée, bien que celle-ci soit restée dans l’ensemble strictement
identique. Son père l’ignorait toujours, tel qu’à l’accoutumé, et sa chambre
dont une petite fenêtre donnait sur un minuscule jardin encombré par un
arbre noirci et calciné par la foudre, restait abandonnée par l’Amour.
Cependant, tout avait changé puisque maintenant c’était terminé, plus rien
ne l’atteignait, elle avait appris à accepter et à pardonner, se libérant ainsi
de fardeaux qu’aucun enfant ne devrait jamais porter. Depuis cette
révélation, sa vie n’était plus une fatalité. Allégée et délivrée, elle avait
pris de l’ampleur et de la hauteur, maintenant, c’était elle qui l’écrivait. . .

Son Éveilleur lui avait enseigné une forme d’autohypnose très simple et
rapide, et l’avait invitée à une pratique régulière pour en savoir plus sur
elle-même.

- Ma chère enfant, tu n’as pas besoin de livre ni de professeur, car tout


est en toi. Avant de le comprendre, il te faudra chercher et fouiller sans
relâche. Ne t’arrête pas à ce que tu croiras être la vérité, car ce n’en sera
qu’une parmi d’autres, écoute plutôt celle qui brille en toi, il n’y a rien à
croire, juste à être.

Rapidement Angéla était devenue une adepte de l’hypnose sous toutes ses
formes, dévorant tous les ouvrages qu’elle pouvait dénicher sur le sujet
chez les libraires et les bouquinistes. Elle avait même fait l’effort de se
perfectionner en français afin d’accéder aux écrits et aux enseignements
des fondateurs de cette école d’évolution personnelle. En France, dans ce
pays berceau d’une pratique ancestrale, elle avait découvert une forme
supra consciente d’évolution : L’Hypnose Humaniste.* (*Note de bas de
page : Olivier Lockert : Hypnose Humaniste, IFHE éditions). Cette
discipline épurée, absente de tout décorum, permettait à son utilisateur
d’ouvrir rapidement sa Conscience et d’entrer en contact avec sa source
intérieure. La pratique l’avait amenée à découvrir toujours plus de
puissance et de hauteur à sa Conscience, et cela semblait sans limite. Le
plus heureux dans cette recherche, dans cette fusion avec l’invisible, fut
AUX BALCONS DU CIEL 41
LE SOUFFLE DES ANGES

certainement sa rencontre avec son étincelle intérieure, un joyau qu’elle


appelait affectueusement, ma « Merveille », sans doute parce
qu’inconsciemment elle entendait « ma mère veille ». Cet éclat intérieur
incandescent lui semblait être la source de sa vie, de sa conscience et peut
être même de l’amour et de la sagesse qu’elle éprouvait à chaque instant de
son existence.

Son travail intérieur l’avait progressivement amenée à terminer sa guérison


et finalement ouvrir les yeux sur elle-même, sur une possible raison d’être,
et sur une vie qui se déployait au-delà des apparences. Elle s’était éveillée
à ses véritables envies et avait décidé de prendre fermement en main la
barre de son existence, de choisir les ports où elle voulait faire relâche, et
enfin de choisir d’être heureuse ou malheureuse. Elle ne serait pour sa part
ni un bourreau ni une victime, elle serait ce qu’elle était, rien de moins. . .

Malgré son jeune âge, Angéla était rapidement devenue une experte,
démontrant ainsi l’absence de limite pour commencer à se connaître. Pour
elle, le plus tôt semblait le mieux. Peu importait la personne ou le degré
d’instruction, l’auto hypnose était un acte totalement naturel et chacun
l’utilisait déjà sans trop s’en rendre compte. Grâce à son expérience, elle
savait que les hypnotiseurs n’avaient pas réellement de pouvoir, ils
utilisaient simplement des mécanismes physiologiques permettant de
réaliser ce que chacun pouvait maîtriser pour lui-même en quelques jours.
Maintenant guérie des blessures de son enfance, elle utilisait cet outil
privilégié pour son développement spirituel et devenait en grandissant
l’artisan d’une vie où le doute et la peur n’existaient pas.

Angéla percevait bien l’aura sulfureuse qui entourait sa pratique et l’image


déplorable inscrite dans l’inconscient collectif. Celle-ci était due aux
médias, aux spectateurs avides de sensationnel et surtout à l’ignorance.
L’hypnose de spectacle en particulier où l’on pouvait voir des gens aboyer,
se débrailler, faire le singe ou s’imaginer dans un désert, accablés de
chaleur. Elle avait bien compris que si certains en faisaient un instrument
de pouvoir, ne pas utiliser l’hypnose revenait à ne pas se servir d’un
couteau parce que l’on sait qu’il coupe ! Pourtant, il est facile de séparer
AUX BALCONS DU CIEL 42
LE SOUFFLE DES ANGES

les bouchers du virtuose qui vous ouvrira l’âme et les portes de votre
paradis en quelques mots. Le plus simple pour elle était évidemment
d’apprendre à le faire soi-même.

Son Éveilleur lui avait expliqué que la peur de l’hypnose n’était souvent
qu’une excuse évitant d’avoir à se plonger en soi-même, peur de se
regarder dans le miroir de l’âme. « Ils y voient ce qu’ils croient être »,
avait-il dit énigmatiquement, jusqu’à ce que bien plus tard elle comprenne
enfin ce qu’il voulait dire. Il avait ajouté : « En allant à la rencontre de
toi-même la peur au ventre, qu’espères-tu obtenir ? Avec joie et confiance
tu parviendras à une bien meilleure récolte. Et si ton intention est d’être en
meilleure santé ou même de guérir, sache qu’en toi se trouve le plus
merveilleux des savants, ton grand TOI ! »

Ce grand savant dont il parlait, ce grand être intérieur invisible qui donnait
sans relâche ce qu’elle demandait, santé, joie, énergie, confiance et mille
autres choses encore, Angéla en faisait souvent l’expérience, et conclu que
l’on obtenait toujours très exactement ce que l’on semait en mots ou en
pensées dans son esprit.

Un jour elle décida même de tenter une expérience, espérant semer en elle
une journée durant des pensées de peur et de colère, juste pour vérifier.
Elle n’avait tenu qu’un petit quart d’heure avant de cesser, effarée de l’état
dans lequel elle s’était mise aussi rapidement. Elle tremblait, muscles
tétanisés, ses jambes flageolaient, un vertige et un mal de tête affolaient
son cœur et son sang lui battait les tempes. Elle ne mit que quelques
instants à redevenir celle qu’elle aimait être, calme, ouverte, paisible à
l’esprit joyeux. Pour cela, il lui avait simplement suffi de mettre quelques
mots de joie et de paix dans son esprit, pour se relâcher et se détendre, son
corps se mettant au diapason de son esprit. C’était vraiment trop facile. . .

Cette expérience qu’elle fit et refit à de nombreuses reprises et testa même


avec ses camarades était édifiante. Nous étions et devenions
invariablement ce que nous avions laissé s’installer dans notre tête, avec
nos mots, nos pensées et plus encore nos intentions, c’était une sorte de
AUX BALCONS DU CIEL 43
LE SOUFFLE DES ANGES

conditionnement personnel permanent. Mais cela allait plus loin encore. La


chair, le corps, ce fidèle compagnon était lui-même influencé par l’état
d’esprit qui l’habitait. Le négatif fatiguait et faisait souffrir jusqu’à rendre
malade, alors que le positif redorait, redonnait légèreté et luminosité,
rendait totalement disponible pour l’action. D’un point de vue subjectif,
c’était pareil. En qualifiant les événements de difficiles, ennuyeux, sales,
moches, ils le devenaient ! En confrontant ce qu’elle savait à sa réalité, et
en faisant l’expérience par elle-même, c’était devenu une évidence, elle
n’avait plus besoin de croire, elle savait. Maintenant, rien ne pourrait plus
la ramener en arrière, il lui suffisait de cultiver un trésor de pensées
positives pour être heureuse et en bonne santé.

Elle devait beaucoup dans cet apprentissage à celui qui l’avait initiée et fait
naître une seconde fois, son Éveilleur. Sa mère avait mis au monde un
corps, lui avait accouché une Âme. Il était passé dans sa vie, libre comme
un courant d’air. Sans doute un Ange qui avait illuminé sa conscience et
sonné l’heure du réveil. Ils s’étaient croisés plusieurs fois avant de se
mettre un jour à discuter dans un parc qui semblait être son cabinet de
consultation favoris. Il lui avait enseigné une simple technique de yoga et
l’avait guidée jusqu’à la porte d’elle-même. Il lui en avait confié les clés,
affirmant avec une tendresse que peu savent manifester, qu’il ne pouvait
entrer avec elle et que personne ne le pourrait jamais. C’était à elle de
choisir de pousser la porte, à elle de chercher ce qu’elle choisirait de
trouver. Angéla s’était alors assidûment mise à prendre l’ascenseur pour le
centre d’elle-même et avait fini par trouver bien plus que tout ce qu’elle
aurait pu imaginer.

Il lui avait surtout appris qu’entre le fantasme sur l’hypnose, propagé par
l’esprit malade des humains, et la réalité, il y avait tout un monde. Pour
celui qui maîtrise, contrôler son état de transe est tout à fait naturel.
Personne n’aurait réussi à abuser d’elle, pas même les médias et leurs
mensonges insidieux cachés dans de belles images trompeuses, dont le seul
but est de donner peur ou envie. Elle savait que la meilleure protection
était justement d’apprendre et d’utiliser afin d’être rapidement capable de
s’entendre, de s’observer, d’expérimenter et finalement de se contrôler.
AUX BALCONS DU CIEL 44
LE SOUFFLE DES ANGES

Au début, elle avait naïvement appliqué les techniques expliquées dans les
livres sans bien tout comprendre et, surtout, sans se poser toutes les
questions qu’un adulte ou même un adolescent aurait inévitablement
soulevées. Elle était restée centrée sur sa propre expérience plutôt que sur
celle des autres. Les pourquoi ci ou pourquoi ça justifiant de remettre le
passage à l’action aux calendes grecques, n’était pour elle que bavardages
improductifs, une affection à laquelle elle remédiait en faisant taire son
esprit par un « Tais-toi » vigoureux.

Elle entrait souvent en état modifié de conscience, ou transe, de longues


minutes chaque jour et parfois même des heures où elle se laissait
descendre au fond d’elle-même, ou bien s’élevait au-dessus des nuages de
son esprit, parlant à son inconscient ou à sa Conscience selon ses besoins.
Elle se faisait du bien, disait-elle, quand on lui posait des questions. Grâce
à l’expérience, et plus encore la pratique, elle avait découvert qu’une
« Merveille » lumineuse et bien vivante, puisqu’elle parlait, siégeait dans
son cœur. Cette part d’elle-même, prodigieusement active, prodiguait
moult conseils et avertissements comme si elle était dotée d’un don de
prescience. Apprenant avec patience et persévérance, Angéla avait réussi à
refouler la plupart de ses caprices et s’était mise à écouter cette voix
intérieure, incontestablement plus sage que sa tête. Au-delà de ces
considérations, sa « Merveille » avait une qualité qui dépassait toutes les
autres à ses yeux, elle prodiguait de l’Amour et l’aimait envers et contre
tout, quoi qu’elle fasse.

Cet Amour n’était pas juste un mot ou une étiquette si souvent galvaudée
par les humains qui en usaient à tout propos avec des « J’aime pas ci…,
j’aimerais que… », ou plus sournois encore, en faisant de lui une
récompense, corrompant ainsi l’esprit de l’Amour par un odieux esclavage.
Des mots vidés de leur sens profond et symbolique. Une absence
d’attention qui éloigne inexorablement les humains de leur humanité.

Sa « Merveille » lui dispensait un Amour physique et spirituel jamais


connu ou ressenti auparavant en présence d’autre chose ou d’une personne.
AUX BALCONS DU CIEL 45
LE SOUFFLE DES ANGES

Grâce à cette rencontre, elle avait vécu d’immenses moments de paix et de


multiples expériences transcendantes, particulièrement quand elle pensait à
sa mère, qui du ciel, lui enjoignait de vivre et de vivre encore, usant de
mots qu’elle n’aurait sans doute cru devoir lui dire de son vivant.

Pour être juste, elle reconnaissait que certaines choses de la vie procuraient
des envolées similaires à son âme. Les promenades dans le silence de la
campagne anglaise, certains paysages, certains ciels, certaines lectures et,
bien entendu, la musique. Tout cela provoquait parfois des sensations
analogues à ce qu’elle nommait l’Amour pour simplifier.

Elle passait des heures à s’enivrer de sons, laissant son âme libre de
danser, rêver, pleurer ou rire avec la musique. Elle écoutait avec autant de
bonheur du classique, que de l’opéra, des musiques de films, du jazz et
parfois même du hard rock, chacune devenant tour à tour la bande
originale du film de sa vie. Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout, c’était le
silence, un silence dont elle avait fait son plus magnifique outil. Tout
d’abord parce qu’il lui permettait d’être à l’écoute d’elle-même. En effet,
difficile d’entendre une chose aussi subtile que sa voix intérieure dans le
vacarme de la vie. L’autre raison était que, grâce au silence, elle entrait
dans une autre dimension de l’esprit, une dimension qu’elle ne se lassait
pas d’explorer lors de ses longues méditations. Angéla en revenait à
chaque fois remplie d’une paix intérieure et d’un éclat que les autres lui
enviaient. Avec beaucoup de constance, elle avait su garder en grandissant
cette proximité avec elle-même malgré les nombreuses tentations de
l’existence, et plus encore celles du sexe opposé.

Les garçons voyaient en elle une fille énigmatique et ravissante. Cela lui
procurait une abondante cour de prétendants dans laquelle elle picorait, des
baisers, des caresses ou de la tendresse, selon ses envies, sans jamais
chercher plus qu’un contact humain auquel son père n’avait rien fait pour
l’habituer. C’était en quelque sorte sa victoire sur une éducation qu’elle
avait intégrée et dépassée avec élégance. Pour elle, ce n’était pas de
l’Amour, ce n’était qu’un amusement, une sorte d’entraînement ou de
répétition avant la grande première. Car elle attendait encore le partenaire
AUX BALCONS DU CIEL 46
LE SOUFFLE DES ANGES

qui saurait révéler l’Âme souveraine qui sommeillait en elle.

Au fond de son cœur brillait l’archétype d’un prince charmant qui lui
servait de mètre étalon, mais pour l’instant aucun de ses courtisans n’avait
su se hisser au niveau de ses attentes inconscientes. Le moment voulu, elle
saurait le reconnaître, il suffisait d’être patiente et continuer d’y croire, elle
se compléterait, il ne pouvait en être autrement. Cette conviction
d’inévitablement rencontrer un jour l’Amour, un complément à son Âme,
était inattendue. En effet, avec l’exemple d’un père changé en toundra
stérile où aucun sourire, aucune attention, aucune graine ne germait jamais,
où trouvait-elle donc la foi nécessaire pour brandir une telle croyance ?

Sa seule référence de l’Amour était ce temps passé à regarder sa


« Merveille » qui débordait de bienveillance. Elle savait que si un homme
lui donnait au moins autant d’attention, il serait l’élu de son cœur, quel que
soit son physique, sa religion ou même sa culture. Pour l’instant donc, elle
butinait les hommes, cherchant la perle rare qui ornerait sa main, rêvant
sans relâche de celui qui mènerait brillement l’assaut de son cœur. Son
héros se devait d’être éblouissant, cela allait de soi, c’était même le seul
moyen de se faire connaître. Cependant, l’attente ne cessait de faire croître
l’éclat nécessaire au futur prétendant, au risque de ne jamais trouver pareil
astre parmi les vivants.

Sa mort fut rapide et indolore, comme toutes les morts. Une bousculade
devant son université la mit face à un de ces fameux bus impériaux rouge
qui passa sur elle, glaçant d’effroi ses camarades qui chahutaient sur le
trottoir. Elle se retrouva debout sur la passerelle arrière, à se demander si
elle avait pris un ticket avant de monter ? Elle avait un curieux blanc dans
son esprit, comme s’il manquait quelques images au film de sa vie. Un
étudiant replet, à la stature d’ours vêtu un uniforme scolaire inapproprié la
regardait. Il était assis sur le strapontin du receveur qui gémissait sous son
poids considérable. Ses jambes croisées mettaient en évidence des cuisses
épaisses et velues qui tendaient le tissu d’un bermuda visiblement trop
étroit pour contenir le séant d’un tel personnage. Sa casquette de cricket et
ses lunettes lui donnaient l’air d’un des jumeaux Tweedledee et
AUX BALCONS DU CIEL 47
LE SOUFFLE DES ANGES

Tweedledum d’Alice au pays des merveilles de Walt Disney.

- Salut Angéla. Dit-il en la fixant droit dans les yeux avec une intensité
déplacée.

Elle vit à l’intérieur de ce regard une âme d’une telle bonté, d’une telle
pureté qu’elle en tressaillit de surprise. Elle crut un instant que ce drôle de
type affublé d’un déguisement douteux, malgré un je-ne-sais-quoi de
sympathique, était l’élu, celui avec qui elle compléterait son cœur. Sa
largeur d’esprit était immense et lui permettait d’accepter ce que beaucoup
aurait simplement renoncé à envisager, cependant, les cheveux gras ou
peut-être l’épi qui avait jailli quand il avait soulevé sa casquette, ce ne
pouvait être lui. Du moins, elle l’espérait !

- Je m’appelle Gus. Mon vrai nom c’est Gustave, mais tout le monde
m’appelle Gus.
- C’est qui ? Tout le monde ! Lui répondit-elle en soulignant le « tout ».
Elle aimait savoir ce que les autres mettaient derrière ces généralisations
ou raccourcis qui leur servaient souvent à camoufler bourreaux ou
victimes. Surpris par cette question inhabituelle, Gus répondit en montrant
le plafond du bus de l’index :
- Mes amis et les personnes qui vivent avec moi au Ciel.
- Au Ciel, répondit-elle calmement.
En un éclair, elle pensa : « Soit c’est un dingue, soit c’est moi qui suis
dingue. » Elle fit un effort pour trouver d’autres possibilités qui lui
permettraient d’échapper aux limites étriquées de cette pensée booléenne.
En quelques instants, son esprit habitué à cette gymnastique identifia au
milieu d’une dizaine de nouvelles options celle qui semblait la plus
probable : « Tu es morte, Angéla ! »

Gus n’avait jamais vu ça. En connaisseur, il admirait la qualité du


raisonnement d’Angéla. Même dans le champ vibratoire où ils allaient
bientôt se rendre, les meilleurs esprits étaient souvent limités par cette
logique binaire du un ou zéro, bien ou mal, vrai ou faux, mettant dans
l’impossibilité de comprendre en profondeur la véritable nature des choses.
AUX BALCONS DU CIEL 48
LE SOUFFLE DES ANGES

Sa curiosité fut la plus forte, face à une telle nature, il s’autorisa à sonder
plus profondément le cœur et l’âme d’Angéla. . .

La mort ne l’effrayait pas, elle la considérait comme une limite motivante


et se justifiant fort bien. Cela l’obligeait à se remuer les fesses pour
atteindre ses objectifs dans une limite raisonnable. Ce qui n’arrivait pas
assez vite ou facilement n’était tout simplement pas pour elle. Quant à la
vie après la mort, c’était assurément une possibilité, elle ne l’avait jamais
éludée. Son expérience des états modifiés de conscience l’avait très vite
rassurée sur le sujet, aucun doute, il y avait bien quelque chose après. Pour
le quoi, elle se disait qu’il serait bien temps d’étudier la question le
moment venu.

N’étant pas attirée par la religion, elle avait néanmoins patiemment fait
l’inventaire des croyances de chacune, passant de longs mois dans les
bibliothèques à naïvement répertorier, analyser et synthétiser les
principales doctrines religieuses et leurs enseignements. Comme pour la
vie après la mort, Angéla en avait conclu que personne n’avait la preuve de
l’existence de Dieu et que, contrairement à ce que la plupart prétendaient,
aucune ne possédait le secret de la Source de Vie. Les messagers étaient
nombreux et aussi hétéroclites que la pensée humaine. Cependant le
message était très clair et variait peu, ça parlait de l’Amour de soi-même,
de son prochain et de toute forme de vie. Elle observait simplement que si
l’on faisait fi des dogmes et du décorum, la majorité d’entre elles
tournaient leurs yeux et leurs prières vers un même lieu, le Ciel. Pour
Angéla, le Ciel ou le centre d’elle-même, c’était pareil, elle y faisait les
mêmes rencontres. Quant à savoir ce que les autres y trouvaient, elle était
certaine que chacun en avait pour son compte. Son esprit n’essayait même
pas de l’imaginer, elle préférait sa propre vision si rassurante.

Sa conviction lui disait que la religion n’avait aucune importance en soi, il


suffisait d’entendre et d’expérimenter le message, l’Amour est plus fort
que tout. La Foi n’était pas de conjecturer mais de croire et plus encore de
faire. Encore fallait-il ne pas se mentir à soi-même et ressentir son corps,
son esprit et son âme souffrir du mal que l’on fait, ou se délecter du
AUX BALCONS DU CIEL 49
LE SOUFFLE DES ANGES

bonheur d’aimer. Le principal était de cultiver une Foi qui donnait des
ailes lorsqu’on se sentait un peu trop chenille. Sa merveille aurait ajouté :
« Commence déjà par croire en toi, c’est assurément un bon début. . . »

Elle croyait donc en elle et dans ses capacités grandissantes. Sans doute
auraient-elles semblé très moyennes sur une échelle humaine. Cependant,
au vu de la Conscience, elles étaient incomparables. Angéla était attentive
aux sensations que lui renvoyait son corps, sa tête mais aussi son âme. Ce
talent lui permettait de ressentir finement ses véritables besoins
physiologiques et spirituels, des besoins auxquelles elle attachait une
importance vitale. Des choses évidentes comme la faim, la fatigue, mais
aussi le besoin de prendre du plaisir, de se recentrer, de se rassembler, de
prier sa merveille, de pardonner aux autres leurs imperfections, et aussi de
se pardonner de ne pas être elle-même parfaite. Cet éveil, cette attention
continue, lui permettait d’identifier immédiatement les moindres tensions.
Elle réagissait alors avant qu’elles ne s’installent, sachant pertinemment ce
que chaque irritation voulait dire, dans tous les cas un urgent besoin de
changer quelque chose dans sa tête. Souvent ce n’était presque rien, il
s’agissait simplement d’accepter une situation qui paraissait contraignante.
D’autres fois, ce pouvait être de pardonner le jugement à l’emporte-pièce
ou la méchanceté d’un condisciple pour instantanément s’alléger du
fardeau de la rancœur. Pour les troubles légers, il lui suffisait d’installer en
elle des pensées contraires ou apaisantes, et pour les choses plus lourdes,
elle méditait jusqu’à comprendre la raison de son mal-être, parlait de son
trouble avec sa « Merveille » jusqu’à trouver le positif dans la cause de son
déséquilibre.

Il lui arrivait parfois de vivre une chose mauvaise ou de rencontrer des


êtres malfaisants, abandonnés d’eux-mêmes, car le monde en est plein. Il
n’y avait alors rien à comprendre, en son for intérieur elle se rappelait de
ce qu’elle avait été, et souhaitait qu’ils réussissent tout comme elle à
changer. S’il y avait un Dieu, qu’il veuille bien se pencher sur ses brebis
égarées en lui donner la force et l’intelligence d’enseigner la paix et
l’amour aux hommes de cette Terre. Dans ces cas-là, elle faisait briller son
cœur d’une éclatante lumière qu’elle canalisait et souhaitait partager avec
AUX BALCONS DU CIEL 50
LE SOUFFLE DES ANGES

le monde. C’était sa manière de participer pour le moment, car un jour,


c’était certain, elle illuminerait les cœurs d’une façon moins discrète. Foi
d’Angéla, les humains finiraient par comprendre et changeraient la réalité
de ce monde, car elle pressentait que dans le cas contraire ce serait
tragique. . .

L’autre chose en laquelle croyait profondément Angéla, était cette


intuition, cette petite voix intérieure, ce souffle si discret et pourtant si
présent. Elle l’écoutait lui soupirer de faire des choses qui ne prenaient un
sens qu’après coup.

Elle était bien obligée aussi de croire en cette autre voix si dissipée qui se
faisait souvent entendre, sorte de voisin bruyant et agaçant dont chacun
s’irrite de la présence dans l’immeuble. Elle était maintenant capable de la
reconnaître au premier tour de clé, au premier mot commençant
invariablement par « Moi » ou « Je ». Des paroles souvent gémissantes,
manquant cruellement de sagesse ou d’objectivité, dont les tentatives pour
faire passer de petites préoccupations pour vitales étaient teintées
d’orgueil, de vanité ou de préjugé. Cette voix exprimait la peur de manquer
ou de ne pas en avoir assez, et lui laissait imaginer des
scénarios-catastrophes dont finalement elle s’amusait, tant ils étaient
risibles. . .

À force de mater cette voix discordante, ce démon intérieur par des « Je


t’ai vu », de la faire taire par des « Tais-toi » vigoureux ou tout bêtement
en lui souriant, elle avait fini par s’en faire une alliée qu’elle utilisait pour
créer et concevoir, transmutant la créativité de cet ego si puisant en choses
bien plus utiles. Son raisonnement était simple : Si cette partie inventait
des pensées aussi réalistes de peur, de manque ou d’autre chose, elle devait
pouvoir le faire dans l’autre sens ; si cette voix fabriquait de la peur, elle
devait fabriquer aussi de la sagesse ; si cette voix pouvait semer le doute,
elle devait bien semer d’autres choses. Il fallait simplement apprendre à
contrôler cette force et s’en servir à bon escient, ce qu’elle s’astreignait à
faire avec talent.

AUX BALCONS DU CIEL 51


LE SOUFFLE DES ANGES

La dernière chose en quoi elle croyait profondément était évidemment


l’amour, l’amour en tant qu’énergie vitale, et non la mièvrerie de certaines
de ses copines. Sa « Merveille » lui avait fait prendre conscience de cette
dynamique, et maintenant elle la ressentait en chaque chose, même dans
les plus viles. C’était une énergie qui imprégnait la matière l’eau, l’air, la
lumière, la nature et bien évidemment l’ensemble des créatures vivant sur
la planète. Une force qui en une fraction de seconde, d’une simple
intention transformait les pires situations en incroyables bonheurs. Pour
celui qui ne le cherche pas et qui malgré tout le voit, le décèle dans les
mots, les attitudes, les circonstances et les surprises de la vie, c’est à
chaque fois une divine confirmation de l’existence d’une Force Supérieure
Universelle. Il est facile de l’observer chez les jeunes êtres, les petits, les
nouveau-nés, mais aussi dans les relations entre les animaux, les
personnes, les couples, les familles, les congrégations et même les nations.
Angéla était persuadée que l’univers tout entier était bâti selon le même
modèle. Comment pouvait-il en être autrement ?

Gus entendit tout cela, comme s’il s’agissait de sa propre pensée. Stupéfait,
il émit un sifflement admiratif et lui dit mentalement :
- Eh bien, vous avez raison, mademoiselle, vous êtes morte !
Angéla afficha une moue pincée en recevant clairement les mots de Gus :
- Cela paraît évident. Lui répondit-elle avec un affront qui le fit sourire.
Cette fille est vraiment une exception, pensa-t-il, c’était d’ailleurs l’objet
de sa mission : extraire l’Exception immédiatement, et la libérer du champ
magnétique terrestre, ne pas attendre son départ naturel convenu bien plus
tard.

Angéla suivait avec intérêt le discours intérieur de Gus qu’elle entendait


parfaitement sans toutefois se demander quel prodige lui permettait cet
exploit. Elle ne comprenait pas tous les tenants et les aboutissants, la seule
chose qui la faisait enrager, était la certitude d’être morte à cause de lui.
- Vous m’avez tuée, lui dit-elle sur un ton provocant.
- Oui, dans un sens, tu peux le dire.

AUX BALCONS DU CIEL 52


LE SOUFFLE DES ANGES

Angéla fut surprise par sa franchise, elle s’attendait plutôt à entendre un


truc du genre : « C’est pas ma faute, m’dam ! » ou : « J’ai pas fait
exprès ! » Ce Gus, malgré son inavouable confession, restait d’un calme
qui forçait son respect. Elle ressentait en lui une paix, un alignement de
son prisme intérieur avec un puissant rayon solaire invisible dont le contact
l’auréolait largement d’une lumière transparente et dorée. En se laissant
abuser par son aspect physique et sa tenue ridicule, cette gloire serait
passée totalement inaperçue à son mental, mais pas à sa conscience. Cette
aura d’ordinaire si discrète chez les autres, flamboyait littéralement chez
Gus et cela accentuait encore la considération qu’elle sentait monter pour
lui.

Gus allait dire : « On t’expliquera. . . » Avant de se rattraper pour préciser :


- La personne qui a demandé ton extraction immédiate t’en donnera les
raisons à notre arrivée dans le champ vibratoire où nous allons.
Elle apprécia ses efforts pour énoncer du mieux possible une situation, qui
certainement était complexe et demanderait vraisemblablement de plus
longues explications.
- Vous êtes donc une sorte de tueur à gages céleste ? Lui demanda-t-elle,
plus pour se détendre que pour obtenir une véritable réponse.
- C’est très exceptionnel, d’ordinaire je suis cantonné à des tâches bien
plus ignobles. . . Répondit-il la mine réjouie et se frottant les mains
odieusement.

Elle éclata de rire devant sa truculence.


- Pourquoi m’avoir fait passer sous un bus, vous auriez pu me faire
mourir de rire si facilement.
- Ce sera pour une autre fois, Angéla, pour le moment nous ferions bien
de descendre car c’est notre arrêt.
Ils descendirent à Trafalgar Square. L’habitude lui fit penser un moment
qu’ils allaient emprunter le Subway de Charing Cross pour continuer le
voyage, mais ils se dirigèrent vers la colonne Nelson. Ils passèrent entre les
bassins où le jet des fontaines se mélangeait avec une fine bruine qui
venait de se mettre à tomber. C’est grâce à ce curieux phénomène
qu’Angéla se rendit à l’évidence de sa mort. Elle ne sentait pas les gouttes,
AUX BALCONS DU CIEL 53
LE SOUFFLE DES ANGES

celles-ci passaient au travers de son corps comme un affront à sa raison.


Malgré l’étonnante survivance de sensations physiologiques similaires à
celles de son vivant, elle n’avait plus de corps !

Gus guettait l’instant de cette prise de conscience, il sentait bien qu’Angéla


ayant une grande expérience des mondes invisibles, n’était pas encore
vraiment convaincue de sa mort. Elle se tourna vers Gus qui la regardait,
les yeux et le cœur remplis de tendresse.

- C’est donc ça la mort, dit-elle rêveusement.


- Oui. Rassure-toi, ce n’est pas si différent, c’est même encore mieux. . .
Elle ne répondit pas, s’étant déjà plongée dans une profonde introspection,
vérifiant si en mourant elle n’avait rien perdue d’elle même, surtout sa
Merveille.

Tout était là et bien là. Elle se mit à ausculter, à écouter, à ressentir chaque
partie d’elle-même avec une lucidité qu’elle n’aurait jamais espéré
atteindre de son vivant, même après une vie de travail acharné, et elle se
sentait merveilleusement bien. En faisant ce tour du propriétaire, Angéla
décela une limitation dont elle s’occupa comme à son habitude, séance
tenante. Gus était en admiration devant l’acuité sensorielle de la jeune
femme. Il resta muet, et laissa Angéla se délivrer seule de ses entraves
terrestres.

Des corps éthériques se manifestèrent très vite autour d’eux. Images


symboliques s’échappant de son esprit comme de vieux fantômes ou
d’anciens figurants devenus inutiles et qu’elle laissa filer, se libérant ainsi
de son ancienne vie. Des brins d’énergie argentée, sortes de liens
invisibles, la reliaient aux formes vaporeuses. Celles-ci flottaient, attachées
à elle comme un bouquet de ballons de baudruche attirés par le ciel. Ils ne
demandaient qu’à lâcher et s’en aller conquérir librement de nouveaux
horizons, mais ils étaient encore attachés à elle. Il y avait la silhouette de
son père, de certains de ses amis proches, de profs, de personnes croisées
au cours de sa courte vie et l’image d’une mère dont elle n’avait vu que des
photos. Une énorme paire de ciseaux étincelants se matérialisa et coupa
AUX BALCONS DU CIEL 54
LE SOUFFLE DES ANGES

net, avec un bruit sec, les liens qui se désagrégèrent en pluie de poussière
d’argent. Au même instant, elle sentit son ventre se libérer, tandis que les
formes brusquement relâchées s’envolaient en lui faisant des adieux de la
main tout en murmurant des mercis sortis de bouches vides. Ils
s’exclamèrent soudain en cœur :
- Pardonne-nous Angéla, pardonne-nous. . .
Figée par le réalisme empreint de tension et d’émotion, les larmes aux
yeux, elle répondit d’une voix émue :
- Je vous pardonne et je vous libère. Je vous demande de me pardonner
ce que j’ai pu vous faire ou ne pas faire, je vous souhaite à tous de trouver
dans vos vies l’abondance, la paix, la sagesse, l’unité et l’Amour. . .

L’air redevint translucide, comme si un soleil radieux s’était enfin levé sur
la capitale anglaise. Angéla irradiait intérieurement une puissante lumière
blanche semblable à celle d’une lampe incandescente. Sa luminescence
rayonnait et inondait la place, d’une onde invisible pour les badauds,
inconscients de marcher au milieu d’un flot d’amour. Certains, sans doute
plus sensibles, poussaient néanmoins de grands soupirs d’aise alors que
d’autres s’extasiaient d’émotion sans raison. Tous eurent cependant
l’espace d’un instant, l’image d’une femme céleste et radieuse qui
s’imposa dans leur esprit.

Les yeux d’Angéla laissèrent perler quelques gouttes de cristal virtuel sur
ses joues rose et brillantes de vie. Ses poumons se remplirent largement et
elle dit à Gus dans un souffle :
- Si j’avais su, je serais morte avant.
Gus perdit instantanément son air joyeux et c’est la mine sombre qu’il
répondit :
- Pour le suicide, c’est bien plus compliqué, Angéla. Tout ce qui n’est
pas accompli devra l’être d’une manière ou d’une autre. Quitter la partie
avant la fin, c’est s’assurer de revenir jouer dans une autre vie parfois
encore plus difficile. Vous avez libre choix de vos vies et de vos actes et
personne ne vous jugera si ce n’est le plus intransigeant des juges, votre
âme. Cependant, pour qu’il y ait un jeu, il faut des joueurs. En jouant, vous
apprenez, et pour faire l’expérience, il faut nécessairement jouer, c’est un
AUX BALCONS DU CIEL 55
LE SOUFFLE DES ANGES

cercle vertueux. En cas de mort prématurée, nombreux sont ceux qui ne


savent qu’errer sans savoir quoi faire pour se libérer. Ils restent à subir les
conséquences de leurs actes jusqu’au terme du contrat céleste.
- Que se passe-t-il alors ?
- C’est un cauchemar ! Ils assistent au chagrin de leurs proches sans rien
pouvoir y changer. Ils errent, cherchant à assouvir une vengeance. De plus,
les humains ont jugé le suicide mauvais et passible de l’enfer, comme tous
les jugements ce n’est qu’un point de vue parmi d’autres. Le vrai souci
vient cependant de le croire vrai, car pour beaucoup cela le sera. . .
- Les suicidés sont donc damnés ?
Gus éclata de rire.
- Personne n’est damné Angéla, si ce n’est par votre propre jugement.
Quels que soient vos actes et votre manière de mourir, vous allez tous au
même endroit. Une fois mort, cependant, les croyances et les pensées
deviennent très vite réalités. Le Ciel se prépare ici sur Terre, dans votre
esprit. . .
- Ça veut dire que je ne serais pas allée en enfer ?
- Il n’y a pas réellement d’enfer, à part peut-être ici sur Terre, ou pour
celui qui y croit très fort et le crée de son vivant. Il y a de fortes chances
qu’une fois mort il continue de vivre son enfer d’une manière disons . . .
plus concrète. Mais ce n’est pas un enfer au sens où tu l’entends Angéla.
- Ah ! Et que crois-tu que j’entende par là ?
- Eh bien, un endroit sous Terre avec le diable, le feu, les tortures, les
démons et tout le reste.
- Curieuse définition. Je voyais plutôt ça en nous, quand nous laissions
parler nos démons intérieurs en nous torturant l’esprit avec la culpabilité,
la vengeance, la colère, la haine, la cupidité, le remords et bien d’autres
tourments.
- ! ! ! Ce n’est pas drôle Angéla, tu connais déjà les réponses aussi bien
que moi.
- Imaginer mourir pour aller en enfer doit être terrible ? De le dire, elle
en frissonna.
- Oui, le pire est pour ceux qui restent à errer en se croyant encore
vivants, englué sur la Terre par d’éternels remords ou d’impossibles
vengeances. Au ciel comme sur la Terre, mort ou vivant, on peut continuer
AUX BALCONS DU CIEL 56
LE SOUFFLE DES ANGES

longtemps de pêcher dans les mêmes mares putrides et n’en remonter que
colère et amertume.
- Gus, es-tu un ange ?
- Oui, dans un sens, tout comme toi Angéla, mais là où nous allons, nous
sommes les Essentiels.
Ayant entendu « Essence Ciel », elle répliqua :
- L’Essence du Ciel, c’est très clair, les autres Anges sont-ils tous
comme toi, ou bien es-tu aussi une exception ?
- Oh non, nous sommes tous uniques et exceptionnels, mais toi, tu l’es
encore plus, tu es « l’Exception ».
- Qu’est ce que ça veut dire ?
- Il ne m’est pas demandé de t’instruire de cela Angéla, il te faudra le
découvrir par toi-même, et tu sais très bien pourquoi.
- Hum, parce que si je n’en fais pas l’expérience, cela ne restera qu’un
mot vide de sens.
- Exact, nous avons en nous d’infinies possibilités, elles attendent de
prendre vie à l’usage, à l’usage uniquement, c’est notre apprentissage.
- Apprentis Sage, dit-elle rêveusement avant de prendre une moue
d’enfant. C’est rageant de savoir que l’on est exceptionnel, et que. . .
- Tut, tut, tut, dit-il en levant ses gros sourcils.
- Je te demande de m’excuser Gus, je vais être patience car c’est ma
couleur préférée, ajouta-t-elle, juste pour elle.
- Ah, si tous les nouveaux arrivants étaient comme toi, le royaume des
cieux serait sur Terre Angéla, nous n’aurions rien à faire.
- Une éternité où il ne se passe jamais rien, où il n’y a rien à faire, rien à
apprendre. Mon Dieu quelle tristesse, ça finirait par nous tuer !
- Je suis bien d’accord avec toi, c’est pour cela qu’il faut jouer et ensuite
oublier que c’est un jeu, descendre régulièrement sur Terre pour se
dégourdir les sens. Et si maintenant nous allions au ciel essayer toutes tes
nouvelles capacités. Ici c’est un peu trop épais.
- Oh oui, je te suis. Fit-elle avec enthousiasme en montrant le ciel d’un
index vainqueur.



AUX BALCONS DU CIEL 57


LE SOUFFLE DES ANGES

Il est vrai, certain et sans mensonge, que tout ce qui est en bas est comme
ce qui
est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour
accomplir les
miracles de l’œuvre unique.
De même, toute chose tire son origine de l’Unique, par la volonté et le
verbe de l’Un qui l’a créée dans Son Esprit. Ainsi toute chose naît de l’Un,
par adaptation et œuvre de la Nature, et peut être améliorée par
l’Harmonie avec cet Esprit.

Table d’émeraude
VERBA SECRETORUM HERMETIS
Une simple question d’équilibre
La séduction représente la maîtrise de l’univers symbolique, alors que le
pouvoir ne représente que la maîtrise de l’univers réel. Jean Baudrillard.

C’était déjà le moment, il le sentait, son retour était proche. Comme à


chaque fois, il était pris d’une sorte de lassitude qui s’installait très vite en
lui, comme un engourdissement, une sorte de paresse à agir qui
l’envahissait à mesure des heures et des jours qui passaient. Il n’aurait pas
le temps de finir ce qu’il avait en plan, et malgré cela il se réjouissait de ce
départ proche alors qu’une partie de lui regrettait le retrait de l’échiquier
avant le pat final. Car pour lui c’était certain, la guerre n’amenait jamais
aucun vainqueur. L’illusion de victoire masquerait temporairement la peur
de se voir attaquer de nouveau, et l’illusion de défaite aiguisait l’appétit
sauvage de haine et de vengeance du vaincu. En se battant œil pour œil,
dent pour dent, on était certain de se retrouver bien vite avec un bras ou
une jambe en moins. Mieux valait rester tranquille et élever sa conscience
vers La Source, et prier pour demander aide et protection pour soi-même et
pour son adversaire, au risque d’attirer de plus grandes calamités encore. . .

Sa tâche était simple, rétablir l’équilibre dans les conflits et tendre à


convier les belligérants à s’entendre. Il apportait au camp le plus faible un
AUX BALCONS DU CIEL 58
LE SOUFFLE DES ANGES

moyen, quel qu’il soit, d’être à égalité avec son attaquant, parfois même en
affaiblissant celui-ci. Son rôle n’était pas d’offrir la victoire, simplement
d’assurer un juste équilibre et de laisser ensuite parler le cœur des
hommes. Il faisait en sorte de souffler des solutions acceptables pour les
deux camps, s’accommodant du libre arbitre de chacun, ou plutôt de
l’absence de choix dû aux cultures et aux croyances des uns et des autres.
Pour lui les conflits n’étaient qu’étroitesse d’esprit et manque de points de
vue. Lui qui pouvait les adopter tous en même temps souriait et
compatissait inlassablement aux ego qui se déchaînaient sur Terre. En lieu
et place d’une quelconque colère ou frustration, il était admiratif devant
l’énergie déployée à maintenir des pensées aussi égoïstes, affreusement
archaïques et manquant cruellement de nouveauté et de bon sens. Tout cela
n’avait aucune importance, l’homme apprenait l’Amour, qu’il le veuille ou
non, inévitablement il changerait.

Il avait été sur tous les fronts, usant de sang-froid et d’audace dans toutes
les situations justifiant un bon rétablissement de l’équilibre. Ces
nombreuses vies l’avaient fait tour à tour chef de guerre ou d’état, avocat,
médecin, religieux, diplomate et bien d’autres encore, s’incarnant sans
préférence ni état d’âme. Pour l’instant, il était un sénateur influant à la
Maison Blanche. Son physique était celui d’un homme gras, arborant une
grosse moustache qui sentait affreusement le cigare. Il collectait des fonds
pour une énième crise, entouré par un staff composé de jeunes diplômés.

Certains l’appelaient « Épée de justice », d’autres « Bras armé de Dieu »,


lui pensait qu’il ne faisait que donner le petit supplément d’âme à ceux qui
demandaient l’aide du Ciel. Pour lui qui n’était que justesse dans ses mots,
ses actes et ses pensées, il ne pouvait y avoir de bons ou de méchants, ce
n’était pas son rôle de juger. Il ne faisait que peser les forces en puissance
et ajoutait dans la balance l’exacte énergie nécessaire à rétablir l’égalité
entre de multiples parties.

Son aide prenait des formes très variées, parfois combattante, négociatrice,
juridique ou même économique, favorisant la mobilisation des médias ou
de l’opinion publique, bousculant les cœurs et les âmes vers plus
AUX BALCONS DU CIEL 59
LE SOUFFLE DES ANGES

d’humanité. À la manière des Anges, il était discret et en tous lieux, il ne


faisait jamais de zèle, sa présence allait là où elle était nécessaire. Pour
arriver à ses fins, il usait de nombreux tours qu’ils puisaient dans son
insondable sac avec mesure. Parfois un geste, une simple poignée de mains
suffisait à faire naître la paix entre les vrais hommes, car la paix vient
d’eux et non des personnes morales ou juridiques que sont les pays ou les
états. Ton pays est en guerre, ta ville, ton village, ta famille. Mais toi, le
vrai homme, contre qui te bats-tu d’autre que toi-même ?

Impartial, il ne jugeait jamais des situations ni des motivations, accordant


son aide aveuglement aux deux parties et laissait les hommes décider de
leur sort, et de ce qu’ils feraient de mieux pour leurs âmes. Pour lui, tout
était équilibre, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir de l’élégance dans le
geste. Souvent il arrivait à rendre le petit ou le faible si important que
celui-ci en imposait aux grands. Mais ce qu’il préférait par-dessus tout,
c’était mêler l’amour à la partie, quand la sympathie, l’altruisme et
l’empathie provoquaient des rencontres et un accroissement de la
connaissance forçant la paix des cœurs. Ces moments-là étaient sa vraie
gloire, et celle-ci n’était pas de ce monde. . .

Il fut pris d’une violente douleur dans le bras gauche qui le fit hurler. Il
bascula en avant, entraînant dans sa chute un paper board qui s’écroula
dans un fracas assourdissant qui fit sursauter et se figer les membres de son
équipe. L’instant de surprise passé, un vent de panique les ranima et les
mit en action, les faisant courir dans tous les sens en s’invectivant sur ce
qu’il convenait de faire. Une secrétaire zélée, attiré par l’agitation et les
appels, ouvrit précipitamment la porte du bureau et, voyant son patron, cet
homme si droit et si juste, elle sut immédiatement qu’il était mort et se mit
à hurler comme une perdue. . .

Enki n’entendait plus vraiment le son de la réalité, il venait de quitter sans


bruit le corps qui l’avait accueilli le temps d’une vie d’homme, et
rayonnait de toute la radiance de son esprit libéré. Sans émotion, il
observait ses collaborateurs se démener pour le ramener à la vie et, avant
de leur tourner le dos, il se signa d’une pensée affectueuse pour eux. L’œil
AUX BALCONS DU CIEL 60
LE SOUFFLE DES ANGES

instruit aurait bien vu cette étincelle lumineuse de la taille d’une poussière,


et aurait immédiatement compris qu’Enki était maintenant plus vivant et
plus présent que jamais. La poussière d’or resta suspendue quelque instant
en l’air avant d’être rejointe par une deuxième tout aussi brillante.

- Salut à toi, Esprit de Vie. Dit-il en apercevant cette vieille


connaissance de Gus, « C’est gentil d’être venu me chercher, j’aurais pu
rentrer seul. »
- Tout le plaisir est pour moi Enki, je suis venu te quérir pour une chose
de la plus haute importante.
- Tout ce que nous faisons est important mon ami.
- Oui, tu as raison. Décidément, je ne me ferai jamais aux mots, je les
utilise trop en ce moment avec Alex et Angéla. Ils sont remontés, eux
aussi.
- Ah ! dit Enki gravement. Avec moi, tu peux t’en passer.
Gus lui transmit des images, des pensées et des symboles qu’il imaginait
dans son esprit et décrivaient bien mieux la situation qu’avec des mots.
Une seconde de réflexion suffit à Enki pour dire.
- Je vois... Il y a donc du boulot pour nous là-haut. Allons-y. . .

Gus lui adressa mentalement l’image du vortex de lumière destiné à leur


retour, et ils traversèrent les murs et la réalité devenue aussi intangible que
l’image sortie d’un projecteur, car ils marchaient maintenant comme sur
des nuages. Enki demanda en souriant :

- Quels sont donc ce physique et ces vêtements dont tu t’es affublé ! Si


c’est en mon honneur, je t’en remercie du fond du cœur, mais j’avoue ne
pas en comprendre la raison.
Gus lui répondit sans gêne aucune :
- C’est pour Alex et Angéla, je pensais que ce serait un bon moyen de
les rassurer lors de l’extraction.
- Ah ! ! ! Écoute, Gus, je n’ai passé que quelques années dans cette
époque, autant dire un battement de cils, je ne suis pas certain néanmoins
que ton choix soit « rassurant » à quelque point de vue que ce soit.
Fais-moi donc penser à te briefer sur la mode de cette époque quand nous
AUX BALCONS DU CIEL 61
LE SOUFFLE DES ANGES

serons rentrés. Change-toi, tu seras plus à ton aise, dans ce costume


étriqué, tu es ridicule.
Gus se renfrogna et maugréa dans sa barbe.
- Non, c’est la vibration que me renvoient les humains de la terre, je ne
fais qu’être en harmonie avec elle. De toute façon, je ne peux pas, je suis
dissocié à plusieurs endroits.
- Pas de souci, tu changeras sur plusieurs plans en même temps.
- Oui, justement. Que vont penser Alex et Angéla en me voyant me
transformer comme par magie.
- Eh bien tu n’en sais rien, tu n’as pas essayé, dit-il en lui tapotant
affectueusement l’épaule, surprends-les, fascine-les !
- Je préfère m’abstenir, je ne suis pas un enchanteur.
- C’est bien ton souci, mon bon Gus, un être comme toi ne devrait
jamais manquer d’essayer, rien que pour voir.
- Je sais, je suis un trouillard, un dégonflé, j’ai en moi les faiblesses des
humains...
Enki l’interrompit en jaugeant le physique de son ami.
- Dégonflé ! En te voyant, je dirais plutôt qu’un truc te gonfle !
Leurs esprits tombèrent dans les bras l’un de l’autre et ils éclatèrent de rire.
- Comme au bon vieux temps présent, dit Enki en touchant sa poitrine et
en ouvrant sa main pour laisser s’envoler ses bonnes pensées.
Gus colla la sienne sur celle de son ami et une vibrante connexion s’établit
entre eux.
- Comme au bon vieux temps présent. Répondit Gus en lui envoyant
mentalement ses meilleures pensées d’Amour et d’équilibre.
Les deux hommes restèrent silencieux pendant l’échange auquel Enki
participa en pardonnant à son ami d’être si différent de lui, et en se
réjouissant qu’il soit si unique et exceptionnel.
- Il me tarde de retrouver mon espace pour me laver la tête de la Terre,
fit Enki. Les yeux dans le vague, l’esprit déjà dans son véritable foyer, il
ajouta : Les humains deviennent lourds, ils pèsent de plus en plus sur la
Terre Mère.
- Oui, c’est le temps d’agir. Rentrons, je sens Sybèle qui pense à nous.
Retrouver leurs pénates ne fut qu’une simple formalité pour ces deux
Anges, dont ils s’acquittèrent en riant comme des bossus.
AUX BALCONS DU CIEL 62
LE SOUFFLE DES ANGES



« Didacti-Ciel »

Sybèle est dans le hall d’un petit hôtel céleste. Elle attend patiemment,
immobile, elle sait précisément quand ils seront là. Se laissant porter par
les rafales d’extase que cela lui procure, elle contemple la vie de la
multitude d’esprits en recherche de nouvelles manières de devenir. Pour
elle, le temps comme l’espace n’est pas divisé en futur, passé et présent, il
est contracté en un unique instant ou tout existe, ou tout est là autour d’elle
sans distance et frissonne de vie véritable.

Dans sa réalité, il est impossible d’être en retard ou même en avance, vous


êtes invariablement à la bonne heure, expression qui à part le fait de rimer
parfaitement avec bonheur, n’évoque rien aux Essentiels les plus purs.
Dans ce plan spirituel comme dans les autres, manquer de temps où tenter
d’en gagner n’a aucun sens, les événements se déroulent dans une parfaite
fluidité pleine de circonvolutions similaires à celles de l’eau ou de l’air.
Quoi que vous en pensiez, le temps est dans une configuration optimale
pour votre évolution spirituelle, car une force est en œuvre et s’organise
pour que vous soyez toujours très précisément là où vous devez l’être.
Pour s’en rendre compte, il faut évidemment reconnaître l’intention de la
vie, qui est de faire inlassablement évoluer l’esprit vers plus de
Conscience. Pourtant, même au Ciel, peu d’Essentiels observent ce ballet
divin et encore moins le comprennent. Ce plan vibratoire intermédiaire qui
va bientôt accueillir nos héros est encore trop lourd pour leur permettre une
telle appréhension du phénomène. La grande majorité des résidents ne sont
pas si éloignés que ça de leurs anciens comportements terrestres, et
continuent parfois de rencontrer des problèmes relativement similaires. En
apparence les conditions d’existence au Ciel sont nettement plus
favorables, cependant l’apprentissage continue. Tout ce qui n’est pas
conscientisé est inlassablement remis sur l’établi, jusqu’à atteindre la
perfection ou être recyclé par La Source* ! (*Gasp ! c’est cela la véritable
AUX BALCONS DU CIEL 63
LE SOUFFLE DES ANGES

mort, être si loin de la perfection qu’il vaut mieux tout effacer.)

Pour éviter cela, les Essentiels ne sont pas seuls, ils travaillent en équipe
ou en famille. Famille d’âmes, il va de soi. Ils s’incarnent pour jouer les
scénarios les plus pertinents pour grandir. C’est quoi grandir ? C’est
trouver l’harmonie, l’équilibre, la perfection, la justesse pour vivre la
colère, la tristesse, la déception, mais aussi, l’exercice du pouvoir, la
domination, la joie, et tout un tas d’autres concepts propres à la vie, qui
finalement n’auront valeur de point d’orgue* qu’en usant de l’Amour.
(Note de bas de page : En musique, le point d'orgue produit une
suspension passagère du tempo au gré de l'exécutant. Ô temps ! suspends
ton vol. . .)

Pour cela, ils reçoivent aussi l’aide d’Essentiels haut placés dans la
hiérarchie céleste. Des guides, des maîtres, et aussi de grands archanges
venant de plans supérieurs, qui s’abaissent et consentent à faire le don
d’eux-mêmes. Cette aide, on la retrouve aussi sur Terre, elle provient des
familles, des proches et de nombreux inconnus souvent inconscients de
jouer eux-mêmes. Mais qui en jouant le jeu, évoluent tous
imperceptiblement. Car en permettant aux âmes égarées de retrouver la
lumière première, chacun se glorifie et glorifie à sa manière La Source de
toute chose.

Le plan de conscience dans lequel va se dérouler le réveil d’Alex, Angéla


et de leurs compagnons, n’est qu’un double de la Terre, une couche céleste
par-dessus la matérialité, une sorte de surmonde invisible. Ces deux pôles
Terre Ciel, matériel et spirituel sont en parfaite harmonie, ils participent et
s’influencent mutuellement dans un équilibre absolu qui se maintient
depuis les origines de la planète bleue. Si celle-ci a besoin du Ciel pour
exister, le Ciel qui abrite les agissements de nos héros a besoin de la Terre
pour être. Par ses caractéristiques matérielles, la Terre sert de terrain
d’apprentissage alors que le Ciel est en quelque sorte le centre spirituel.
L’un est le siège du corps alors que l’autre est celui de l’esprit. La somme
des deux est un formidable incubateur d’Âmes. L’alternance des passages
entre la Terre et le Ciel, n’est qu’une succession d’étapes destinées à
AUX BALCONS DU CIEL 64
LE SOUFFLE DES ANGES

révéler la force, la puissance, l’équilibre, la précision, le tranchant de la


pensée, qui ne sera parfaite qu’au moment de sa complète disparition. Ils
se forgent ainsi, se trempent et s’affûtent comme de précieux katanas sortis
d’un foyer alimentée par un inépuisable brasier d’Amour, et finalement ils
deviendront tous à leur tour des êtres parfaits, des Christs.

La Terre, c’est le passage du feu, celui qui fond le minerai brut et épais
dans un grand rougeoiement pour lui faire rendre son sang de métal. Le
lent et patient travail de chauffe livre un précieux lingot qui deviendra pour
celui qui voudra patiemment le travailler une lame pour ouvrir les cieux.
Le but est alors de perdre l’agitation et la colère grâce au feu terrestre,
fabuleux outil de décantation et de purification. Car en purifiant la matière,
on se purifie soi-même. Les coups de marteau qu’assène la vie, battant le
métal rougi de courroux, ne sont que ceux du forgeron divin cherchant à
aligner, à faire entrer à coups de merlin la lumière dans la pièce brute. Les
coups sonnent sur le métal brûlant, arrivant parfois à transmuter un son en
lumineuse prise de Conscience qui jaillit alors, étincelante. . .

Le Ciel, c’est l’affûtage, lent et patient, le moment où l’on refroidit avant


de retourner gaillardement au feu pour s’endurcir à nouveau. Des dizaines,
des centaines de passages pour certains entre Ciel et Terre sont nécessaires
pour obtenir un esprit dressé comme un « i », capable d’être aligné en
permanence, capable de devenir la lumière autour du point du « i » de
l’esprit. Tout cela n’est évidemment pas lié au temps. Impossible
d’accélérer le prodigieux processus au risque de se rompre l’Âme.

Pour un Essentiel, quel que soit son niveau d’évolution personnel, chaque
incarnation est un moment nécessaire et décisif. Impossible en effet
d’achever la création de soi-même en une seule vie d’homme, trop
d’éléments dépendent de l’hérédité et de l’environnement, alors on y
retourne, même si ça fait peur. Pour certains, s’incarner apparaît parfois
comme une plus grande épreuve que la mort. En même temps, lorsque
l’immortalité devient insupportable, imaginez comme il est agréable de
tout oublier le temps d’une existence Terrestre pour mieux apprécier au
retour ce que l’on est. Cela demande néanmoins un immense courage et
AUX BALCONS DU CIEL 65
LE SOUFFLE DES ANGES

une grande abnégation pour accepter d’oublier temporairement ses


pouvoirs et sa divinité, devenir un être fragile et limité qui pourtant aime et
souffre mieux que personne. L’intérêt de cette amnésie est évident,
connaître la peur, la souffrance, la solitude, le manque entre autres choses,
et tout ce qu’un être immortel et illimité ne peut évidemment réaliser en
tant que tel sans en faire l’expérience. Pour comprendre, il lui faut avoir
l’illusion de le vivre à travers un corps de chair, un monde physique qui se
transforme en formidable instrument d’expérimentation de la Conscience..

Sybèle sait qu’il ne peut y avoir d’échec, tous réussissent en fin de compte,
car elle connaît fort bien le début et la fin de l’histoire. Sans passion,
totalement immobile, l’attention portée partout en même temps, elle ne fait
que contempler cette source de vie qui commence et se termine au même
point. Elle ne fait qu’observer les circonvolutions du passage de l’un à
l’autre en y participant pleinement.



Gus et Enki entrèrent en riant de concert.


- Mes chers enfants, dit-elle en revenant rapidement à elle.
- Madame, répondit Enki en se touchant la poitrine de la main et en
inclinant respectueusement. Gus m’a informé du retour de L’Exception !
- Oui, le temps est venu. Vous allez l’aider à se réveiller. Gus s’occupe
déjà de l’esprit, Ishtar de son énergie vitale, quant à toi j’aimerais que tu le
remettes en équilibre. Pour ma part, je m’occupe de son âme.
- Bien Madame, me permettez-vous une question ?
- Bien sûr dit-elle. Bien qu’ayant déjà entendu son interrogation, elle le
laissa néanmoins poursuivre :
- Pourquoi tant d’empressement, il va fusionner ?
- Cela dépendra d’eux.



Toi qui pardonnes aux ennemis et enseignes à leur pardonner,


AUX BALCONS DU CIEL 66
LE SOUFFLE DES ANGES

excusant leur ignorance et priant pour leur salut ; et qui commande de


bénir qui maudit :
Ton courroux sévira-t-il toujours sur le troupeau égaré ?
Certes, comme un Lion, tu feras passer par le feu et par l’eau ces endurcis,
jusqu’à ce que,
lénifiés, purifiés, de bœufs ils deviennent brebis, de tigres, Agneaux,
afin que tu paisses tes dociles brebis avec la douceur de l’Agneau.

Hortulus Sacer
(L’enclos Sacré De La Fleur Hermétique)
Anonyme – 1732
Au cœur de l’essentiel

Doutez de tout et surtout de ce que je vais vous dire. Paroles du


BOUDDHA

Encore pétri de mon expérience et des incroyables sensations qui


m’avaient amené jusqu’au Ciel, je constatai avec plaisir avoir préservé
dans la mort mon identité et ma personnalité. J’étais toujours bien le
même, habité cependant par un agréable sentiment croissant de liberté et
de légèreté. Rempli de cette énergie, je me mis à observer avec intérêt
l’agitation autour de moi. Il y avait de petits groupes joyeux d’où
s’élevaient des rires, des congratulations et des embrassades rincées de
larmes. Pour ceux-là, nouveaux arrivants, le premier pas dans la mort
apparaissait comme un instant de bonheur. Ils se félicitaient d’être plus
vivants que jamais, d’une façon un peu trop démonstrative à mon goût. Ah,
jalousie quand tu nous tiens. Certains devaient se connaître ou se
reconnaître, d’autres découvraient des ancêtres inconnus qui, sur Terre, les
avaient inspirés silencieusement. . .

Cet admirable tableau était malgré tout terni par de nombreuses personnes
hébétées, comme au sortir d’un long coma ou d’un mauvais rêve. Elles
arrivaient accompagnées de passeurs qui les soutenaient avec déférence.
Ces grands convalescents ou accidentés de la vie semblaient même pour
certains encore dormir, sans doute pour qu’elles ne soient pas effrayés. Je
AUX BALCONS DU CIEL 67
LE SOUFFLE DES ANGES

ressentais de la part de leurs infirmiers célestes une grande affection mêlée


d’une sublime compassion pour ces blessés en transit pour un des centres
de soins où l’on s’occuperait, avec zèle, de leur faire recouvrer attributs
célestes et joie de vivre.

Quoi qu’il en soit, nous convergions tous vers ce qui semblait être l’entrée
ou la sortie de cet édifice aux proportions surprenantes. L’endroit était
impressionnant, aussi démesuré que la coque d’un paquebot de verre en
carène. Une foule bigarrée se déplaçait sur le sol ou dans les airs au milieu
des cris et des vitupérations. Un incessant ballet de sons et de lumières, de
bousculades et d’embrassades me faisait tourner la tête en tous sens pour
ne pas en perdre une miette.

J’étais entouré par des hommes et des femmes vêtus tels qu’ils étaient au
moment où la mort avait sonné à leur porte, c’était parfois cocasse. Il y
avait aussi des êtres lumineux plus ou moins éblouissants au regard de la
perfection de leur esprit, et encore quelques animaux hétéroclites,
essentiellement des chiens, mais aussi des chats et, vous n’allez pas le
croire, un cheval et même un canard ! Les maîtres respectifs* se
retrouvaient avec une indescriptible émotion, parfois bien plus touchante
qu’avec des proches. Émerveillés, les humains rencontraient des
compagnons qui souvent avaient été le seul être à égayer leurs misérables
vies. Ils les cajolaient et les couvraient de mots doux, alors que pour leur
part, ces animaux qui avaient si bien côtoyé des hommes, au point d’en
avoir acquis une Âme, semblaient bien moins surpris de ces retrouvailles
célestes. Car pour celui qui vit intensément l’instant présent, l’absence et la
mort ne dure qu’un instant. (*insertion de bas de page : Qui est le maître
de l’autre ?)

Des oiseaux traversaient le ciel, se confondant parfois avec un groupe


d’arrivants. Quelques-uns étaient juchés sur le sommet des édifices,
attentifs à des humains si semblables à ceux de la Terre. Certains
arrivaient, d’autres accueillaient, des familles entières retrouvaient leurs
chers disparus dans l’après-mort. Un père, une mère, un oncle ou tante,
autour de moi des arbres généalogiques entiers se brassaient et
AUX BALCONS DU CIEL 68
LE SOUFFLE DES ANGES

s’embrassaient dans d’interminables effusions. Le plus étonnant dans cette


fresque vivante était l’absence de vieux. Je ne voyais en effet personnes de
plus de trente ans. Étrange de rajeunir en mourant. Gus me
glissa mentalement :

« Tu les vois tel qu’ils sont. Ici, impossible de faire illusion, mais il est
possible qu’eux s’imaginent encore avec leurs vielles silhouettes
rassurantes de vivants. La plupart le feront encore longtemps, tu
comprendras vite qu’ici comme ailleurs, il ne faut pas se fier aux
apparences. »
- Et moi, je n’ai pas changé, je suis toujours le même.
- Toutefois tu t’es déjà métamorphosé et continueras de le faire encore et
encore. Tu n’en es pas réellement conscient, mais pourtant, ne plus avoir
de corps, c’est déjà un immense changement.
- J’ai pourtant l’impression d’en avoir encore un, est-ce grave docteur ?
Il éclata de rire et poursuivi :
- Non, tout va bien, simple préservation de ton esprit. Dans sa grande
sagesse, il garde des repères pour t’éviter de sombrer dans la folie.
- Pourquoi, on peut devenir fou au ciel ?
- Comme sur terre mon ami, comme sur terre. Je te le dis et te le répète,
quel que soit le niveau vibratoire, nous vivons les mêmes choses, seuls nos
buts ou nos objectifs peuvent sembler différents, bien qu’à y regarder ils
soient parfaitement identiques.
- En tout cas, je suis bien content d’avoir gardé ma belle mèche blanche,
elle me rassure.
- Bientôt tu revêtiras ta véritable apparence. . .
- Quoi ! Comme une sorte de déguisement ?
- Oui un peu, disons plutôt comme si tu enlevais définitivement celui
que tu portes en ce moment. Si tu désires changer d’apparence, change ce
que tu portes en toi, car ici comme sur terre, tu es à l’image de tes pensées.
Si quelque chose ne te convient pas ou te limite, change d’idée à son sujet.
- À t’entendre, il suffirait de décider d’être beau pour instantanément le
devenir ?
Il sourit largement avant de répliquer :

AUX BALCONS DU CIEL 69


LE SOUFFLE DES ANGES

- Tu es déjà magnifique Alex, quoique tu en penses, et puis la beauté. . .


c’est tout de même très relatif. Nous sommes tous des créatures parfaites,
comment pourrait-il en être autrement ! Cependant, dans ce monde, en
imaginant une nouvelle apparence, elle se virtualisera. Il suffit de
t’imaginer en face d’un miroir et de passer à travers. .
- Attends, ça a l’air trop simple ton truc. J’essaie. . .

Fermant les yeux pour mieux concevoir une nouvelle image au physique
idéal, j’imaginais mentalement un miroir reflétant le corps musclé d’un
culturiste. Une représentation d’Arnold Schwarzenegger au temps de sa
jeunesse vint naturellement servir de modèle à mon esprit. J’essayai
vainement de mettre mon visage à la place du sien, mais une partie de mon
être intérieur refusait obstinément de m’associer à ce corps sculptural.
- Entre dans le miroir, me suggéra Gus en pouffant de rire.

J’appliquai sa suggestion avec une grimace mentale. En traversant, je


sentis instantanément mes vêtements m’abandonner dans un cri déchirant
et mes chaussures s’ouvrir pour dévoiler deux gros orteils grotesques. Je
me sentais monstrueux, bien loin d’être à mon aise. Certains détails
accentuaient encore le mal-être : un corps lubrifié affublé d’un ridicule
maillot de bain rouge, ce sourire carnassier, trait d’union entre deux
mâchoires carrées, et sans doute pire encore, la posture figée faisant saillir
mes muscles luisant d’une matière aux senteurs de noix de coco. . .

Le regard perçant et le jugement silencieux des personnes autour de moi


me firent frissonner de déplaisir. Le rire de Gus qui grondait explosa
bruyamment et je pris conscience sur le champ du ridicule de vouloir être
autre chose que moi-même. Affolé, cherchant du regard l’aide d’une âme
charitable, je me tournai vers mon seul ami :
- Gus, à l’aide ! M’écriai-je, paniqué.
Celui-ci était vivant de rire.* Il perdit ses lunettes en s’esclaffant, les
rattrapa, les fit voltiger, puis les relâcha pour finalement les laisser choir,
non sans avoir jonglé plusieurs fois avec. Elles finirent par toucher le sol et
disparurent à l’intérieur comme par enchantement. (* note de bas de page :
Au Ciel, être mort de rire est fort incongru.)
AUX BALCONS DU CIEL 70
LE SOUFFLE DES ANGES

- Calme-toi et refais la même chose en affirmant : « Je suis ce que je


suis. » Ah oui, pense à tes vêtements, surtout tes chaussures, gloussa-t-il
entre deux quintes de rire.
Il essuya ses larmes avec un immense mouchoir à carreaux qui jaillit
miraculeusement de sa poche et replaça ses lunettes qui venaient de
réapparaître à l’improviste. Promptement, je refermai les yeux pour me
calmer et imaginer le miroir devant lequel je dis : « Je suis ce que je suis. »
Après une seconde d’appréhension, je pus me consoler et constater
l’efficacité du procédé. Étant de peu de foi, je vérifiai tout de même en
tâtant avec soulagement mes bras, ma poitrine et ma mèche avant de
m’avouer véritablement satisfait. Je remisai pour plus tard les mille
applications qu’un esprit véloce et joueur trouverait à cette nouvelle magie,
avant de dire, blasé :

- OK, c’est facile, mais ce n’est pas l’endroit.


Camouflant du mieux possible mon embarras, j’évitai le regard de Gus,
mais il n’était pas dupe. Il reprit son sérieux et me le confirma aussitôt.
- Un grand pouvoir nécessite une grande sagesse, peut-être ainsi
comprends-tu mieux pourquoi celui-ci est amoindri sur terre. Cela vous
laisse le temps d’être certain de vos choix et vérifier qu’ils correspondent
bien à ce dont vous souhaitez faire l’expérience.
- Ouais, disons qu’ici c’est peut-être un peu trop rapide ! Tu penses et
d’un seul coup, ça arrive, il y a des moments où ça doit être embarrassant.
- Comme pour celui qui voudrait être plus beau qu’il n’est.
- Oui, dis-je, confus. . .
- Voilà donc une leçon apprise, je suis bien certain que tu y regarderas à
deux fois à l’avenir. La vie est si simple, c’est l’ego qui aime à compliquer
les choses en voulant protéger à tout prix ton individualité, ta personnalité,
la vérité de ton être. Alors, il fait tout et n’importe quoi, il se gonfle
d’importance, toujours plus, toujours plus ! Ici vous trouverez profitable
d’apprendre à l’utiliser de manière créative plutôt qu’expansive.
- Ouah, Gus, je ne comprends rien à ce que tu racontes. Ego ?
expansive ? mais de quel milieu terrestre sors-tu ? t’étais psy ou quoi ?
Gêné, la mine penaude, il murmura tête baisée :
AUX BALCONS DU CIEL 71
LE SOUFFLE DES ANGES

- Non, je n’étais rien. . .


- Comment ça rien ! Avant d’arriver là, t’étais quoi ?
- Rien. . . Je ne me souviens pas de m’être jamais incarné sur terre ou
ailleurs, avoua-t-il embarrassé.
- Quoi ! Tu n’as jamais été vivant. Mince, mais c’est dingue !
Ses épaules s’effondrèrent sous le poids de la révélation, son visage désolé
se mirait amèrement dans le sol de mercure qui néanmoins déformait
avantageusement sa silhouette. Je l’observai et mon âme m’informa de son
désarroi. Il était si différent avec sa tenue anachronique, et en même temps
si vulnérable et attendrissant. Je sentais en lui un formidable potentiel
inutilisé, sauf quand il expliquait la vie et le Ciel, ce devait être son talent.

Malgré son trouble, il m’apparaissait comme un esprit de sagesse, vaillant


et avisé, plein de connaissances et de dévotion pour son monde. Je
pressentais qu’ici, il serait le meilleur professeur que je puisse trouver. Je
ne pus m’empêcher de poser tendrement ma main sur son épaule et dire :
- Rassure-toi Gus, c’est sûrement pour bientôt. Et puis, je suis certain
qu’un mec comme toi trouverait très surfait de s’incarner.
Il se redressa brusquement, comme si mes mots l’avaient guéri.
- Tu es gentil Alex, c’est rare, en général on me trouve bizarre et même
on m’évite.
Je ne pus m’empêcher de penser : « Ça c’est sûr, avec ton look ! . . » Avant
de subitement me rappeler que Gus entendait parfaitement mes pensées. Je
virai aussitôt au cramoisi.
- Tu vois ce que je veux dire. . . Déclara-t-il satisfait de s’être vu
confirmer l’inéluctable véracité de ses croyances !

Afin de rapidement mettre le pied sur une tache grandissante de culpabilité


engendrée par mes odieuses pensées, je tentai de rebondir sur ce qu’il
venait de dire.
- Cela paraît incroyable de ne jamais s’être incarné, fis-je comme si
j’étais un spécialiste. Mais qu’entends-tu par : « Sur terre ou ailleurs. . . » ?
- Ben. . . Les Essentiels s’incarnent dans différents endroits, planètes,
époques, états, espèces. Il ajouta en me touchant la poitrine de
l’index : N’en déplaise aux Terriens, vous n’êtes pas le centre de l’univers.
AUX BALCONS DU CIEL 72
LE SOUFFLE DES ANGES

Sois-en certain, c’est votre ego surdimensionné qui vous pousse à le croire.
- Es-tu en train de me dire qu’il y a d’autres mondes habités. . .
- Une infinité Alex. . . Nous sommes bien plus nombreux que ton
imagination féconde ne puisse l’imaginer. D’ailleurs, pour vous, le plus
difficile à entendre est que nous sommes tous de la même essence, tous de
la même Source.
- Pourquoi ?
- Pourquoi ! Il n’y a pas de pourquoi, ta question correspond à une
logique hallucinée, il m’est impossible d’y répondre logiquement.
- Essaye quand même. . .
- Il y a un rapport entre l’énergie et l’information, ce sont des éléments
fondamentaux infinis et sans limites. Cette information et cette énergie,
d’où qu’elle vienne, n’ont ni commencement ni fin, car tout coule et
ruisselle, porté par la structure du divin primordial. Les humains appellent
cela l’Amour.
- Ah, d’accord, et en faisant plus simple, juste pour que je comprenne.
Il sourit et me remercia silencieusement de lui rappeler qu’au lieu de
s’écouter parler, il gagnerait à se mettre à ma portée. Il reprit sa
démonstration en innervant ses phrases de symboles qui s’affichèrent dans
ma tête :
- Tout ce qui a été, est et sera, de la plus petite des particules au grand
Multivers* infini n’est qu’information, n’est que Conscience. La vie est
Conscience et la Conscience c’est Vie. Celle-ci provient de La Source, La
Source de l’Être, l’Esprit Universel et paradoxalement, en même temps,
nous sommes La Source. Une simple pensée, une idée ruisselante.
L’Amour est la projection d’une force que tu appelles Dieu, et tout ce qui
existe baigne dans cette information primordiale. (*Note de bas de page :
Ensemble de tous les univers possibles)
Le zoom qu’il imposa à mon esprit entre la taille des particules et l’infini
du pluri-univers faillit me faire tomber à la renverse. À peine remis, le mot
Amour m’emplit d’une douloureuse extase et d’un émerveillement qui
dépassa largement le champ de ma Conscience. C’était ça ! C’était ce que
j’avais cherché toute ma vie sans le savoir. En ce moment, cette
inexprimable sensation était en moi et cela était au-delà des mots. . .

AUX BALCONS DU CIEL 73


LE SOUFFLE DES ANGES

- L’esprit humain est le reflet d’une « Présence » impossible à


appréhender, trop de filtres devant la lumière. Il est futile de chercher à
comprendre au risque de louper la seule et unique chose vraiment
importante : TA VIE. Tu es unique, des milliards et des milliards d’êtres
composent nos univers, et pas un seul ne se ressemble. La Source, ou Dieu,
c’est la structure, nous sommes à l’intérieur de cette structure. Par
participation tu es la structure et en même temps Toi. À tout moment tu es
relié et tu peux décider de vivre en mode individuel ou intégral, être Toi ou
être Tout. Chaque esprit est comme une cellule humaine reliée aux autres
pour former, disons pour simplifier un corps, le corps d’un Dieu. Sans toi,
il n’aurait pas la même beauté, et peut-être même que sans toi il
n’existerait pas.
Ses derniers mots tombèrent dans un murmure.

En parlant, son allure s’était transformée, emplie de noblesse et


d’emphase, il s’auréolait d’un halo doré. Son corps s’était
miraculeusement allongé, paraissait véritablement plus mince et plus
grand. Même son épi avait repris une place qu’il n’aurait jamais dû quitter.
Une matière rutilante semblable à de la lave rougeoyante s’échappait d’un
point situé au niveau de son cœur. Elle gonflait et enflait dans un
crépitement silencieux, devenant flammes violettes, rampantes et éthérées,
se déployant sur sa poitrine et bien au-delà.

Mon âme se mêla à ce flamboiement. Elle se mit à l’unisson comme si les


flammes étaient les notes d’un air bien connu et dont elle ne pouvait
s’empêcher de reprendre le refrain. Me laissant totalement aller, je me
remplis de sensations proches de celles que j’avais ressenties en présence
de mon pur esprit. Les quelques secondes d’immobilité et de paix qui
suivirent semblèrent durer une éternité. Une vaste étendue de silence s’était
ouverte en moi, mon esprit l’occupa avidement. Il n’y avait plus ni haut ni
bas, ni droite ni gauche, aucune perspective et pourtant je décelais au-delà
de ce vide hallucinant une structure dans laquelle ma conscience
s’installait déjà, comme si c’était là le seul endroit qu’elle eût jamais
connu.

AUX BALCONS DU CIEL 74


LE SOUFFLE DES ANGES

Graduellement, les sons et l’agitation revinrent, et j’eus la désagréable


impression de quitter un havre de paix pour reprendre pied dans l’agitation
et l’effervescence. Je n’avais jamais été aussi bien de toute mon existence,
et cela rien qu’avec des mots. Je prenais doucement conscience, personne
ici n’était vraiment ce qu’il était. Et moi, qui étais-je dans tout ça, qui
serai-je au milieu de ce monde si différent et si fascinant ? Ce pur esprit
qui m’avait accueilli, était-ce vraiment moi ? ? ?

Gus m’observait attentivement et lisait clairement dans mes pensées.


- Pas facile à croire, n’est ce pas. Me dit-il, le visage encore tout
illuminé des mots et des idées avec lesquels il venait d’embraser ma
conscience.
Il se retransforma lentement et repris son physique à la rassurante
humanité. Il rajusta ses lunettes et me sourit gêné, comme pour s’excuser
de son envolée. Je le laissai redescendre en paix avant de lui demander :

- Gus, est-ce que tout le monde entend nos pensées ?


- Oui, et même toi. Tu apprendras vite à faire du brouillage pour éviter
qu’elles ne sortent comme en ce moment, dit-il en agitant son index
malicieusement.
- Ça en fait des choses à apprendre. Vais-je retourner à l’école ?
À le dire, une chose en moi pestait : Oh là ! Pas cool du tout. . .
- À l’école ! Non je te rassure, pas d’école au sens où tu le comprends
avec ton expérience matérialiste et désenchantée de l’existence. Bientôt tu
comprendras que la vie tout entière est une école de Soi. Pour être juste, tu
as besoin de voir et d’entendre, mais plus encore de ressentir et d’éprouver
la Vie. Tu dois unir le matériel et le spirituel, considérer tes pensées
comme des objets virtuels avec lesquels il te faut apprendre à jongler.
Cette approche symbolique transformera ta conscience et te permettra
finalement de faire l’expérience du Divin. Tu es destiné à apprendre à être,
et pour cela logique et dogme ne servent à rien. Nous sommes les
Essentiels, l’Essence du Ciel, nous venons de La Source, nous sommes la
Source. Trouve ton unité intérieure, fait du dehors un dedans, et tu
transcenderas ton esprit bien au-delà de toi-même.

AUX BALCONS DU CIEL 75


LE SOUFFLE DES ANGES

- La Source, c’est Dieu ?


- La Source c’est un symbole. Comment parler de ce qui ne peut être
imaginé. Nous ne le faisons pas. Par commodité, nous disons La Source ou
Vie père mère, Divine Conscience Aimante, mais tu peux dire Dieu, Tao,
Jéhovah, Allah, Yahvé, Élohim, l’innommable ou ce que tu voudras, ce
sont des mots auxquels chacun donne un sens. L’esprit humain a besoin de
symboles pour concevoir ce qui le dépasse, il est obligé de créer des choses
à sa mesure auxquelles s’accrocher.
- Comme d’imaginer Dieu en vieux barbu ?
- Exactement, pour beaucoup Dieu ne peut être qu’un homme, mais les
anciens imaginaient plutôt une femme accouchant de l’univers. Tu sais
Alex, de tout temps les Essentiels ont essayé de donner à l’invisible une
forme, un visage et un corps pour tenter de se l’approprier. Ils ont
personnifié le mal, la peur, l’Amour et toute une pléiade d’énergies, ils ont
même inventé des histoires à leur propos. . . Tout cela est normal et
finalement très humain, comment faire autrement avec l’illusion d’une si
petite conscience ? Maintenant, pour répondre aux sous-entendus de ta
question, nous ne sommes pas obligé de prier, et il n’y a pas d’églises ni de
doctrine à suivre. Pourtant, tu verras que cette « Divine Présence » existe
bien, et tu finira par lui rendre grâce. Cependant, nous n’avons rien à
demander, nous pouvons juste remercier et glorifier sa grandeur et son
incommensurable sagesse. Il est du ressort de chacun d’inventer sa manière
de le faire, et si tu tournes les yeux vers cette ineffable lumière et qu’en
reconnaissant sa grandeur, tu deviens humble et sincère, alors c’est encore
mieux. . .
- Alors Dieu, c’est la lumière ?
- Non, Alex, Dieu ne peut être uniquement lumière. Selon ton point de
vue, il serait en même temps ténèbres, ombre et lumière, mais cette
discussion est sans intérêt. Comprends qu’à ton niveau pour le moment, la
seule chose importante, c’est l’Amour.
- L’Amour !
- Oui, car l’Amour peut tout, il est sans religion, ni adversaire, tu es là
pour ça, et non pour adhérer à une énième religion qui se valent d’ailleurs
bien toutes. L’essentiel est toujours d’expérimenter le Divin à travers
l’Amour ou le contraire, Dieu n’est-il pas Amour. Les livres religieux ne
AUX BALCONS DU CIEL 76
LE SOUFFLE DES ANGES

sont pas des livres qui disent la vérité absolue, ils parlent d’une vérité,
souvent celle d’un individu ou d’un groupe. Ce qui rend les livres saints si
importants, c’est avant tout à cause de l’intention qu’ils renferment, celle
de changer tes pensées, de t’aider à devenir meilleur, de tourner tes yeux
vers une réalité impalpable et te mettre sur le chemin du Divin ou de
l’Amour.

Autant dire que cela m’arrangeait, car dès mon plus jeune âge, j’avais fui
les églises. On avait bien essayé de faire de moi un enfant de chœur,
espérant ainsi que j’aurais à cœur de me tenir tranquille, mais peine
perdue. Un enfant qui s’ennuie dans une église empêche de croire en Dieu.
Le catéchisme avait été un calvaire, et ce diable que les ecclésiastiques
agitaient comme une marionnette dont ils tenaient eux-mêmes les ficelles,
me terrorisait. Quant au jugement des prélats sur la créature soi-disant
imparfaite que j’étais, ce fut une crucifixion. Avec un nom de famille
comme Church*, je n’avais pas besoin d’en rajouter, mon église, elle était
en moi depuis toujours. On tentait de m’inculquer des croyances basées sur
le mensonge et la peur, où l’image du caractère sacré de l’Amour n’était
que misogynie et obscurantisme, manipulation et abjectes déviations, où
l’esprit de partage voulait avant tout dire, enrichissement personnel. Un tel
culte ne pouvait être digne de mes pensées. Si bien que grand-mère avait
rapidement évité de me forcer à pratiquer, au grand soulagement du curé et
de l’ensemble de la paroisse qui m’avaient assimilé à un démon en
puissance. (*Note de bas de page : Mot anglais pour église.)

Depuis ce temps, ma seule relation avec Dieu avait été de dire : « Merci La
Vie ». Et quel que soit le résultat, à chaque nouvelle entreprise, ou à
chaque fois que je terminai quelque chose, je remerciai La Vie. Cela
m’avait plutôt bien réussi, du moins jusqu’à ma mort. Cette mort, j’en
prenais de plus en plus conscience, apparaissait bien moins tragique au
demeurant que tout ce que j’avais pu imaginer. Cependant, l’idée d’avoir
laissé ma mère derrière et la conversation un peu plus tôt avec Gus refirent
surface. Je m’entendis dire, tout en m’emplissant à nouveau de la colère
qui m’avait fait serrer les poings : « Qui va s’occuper d’elle maintenant
que je suis mort ! »
AUX BALCONS DU CIEL 77
LE SOUFFLE DES ANGES

Les symboles et les images associés à ces mots s’affichèrent devant moi,
dans un éventail composé d’écrans de cinéma. Sur un je voyais ma mère
dépressive, seule et le visage noyé de larmes, un tube de barbiturique vide
sur la table de nuit. Sur un autre, mon cercueil entouré de ma famille, de
mes camarades et professeurs, tous effondrés. Sur un troisième, j’entendais
Gus dire : « Elle changera ou te retrouvera très vite là-haut. » Je compris
soudain ce qu’il avait voulu dire. Sur un quatrième j’étais ici, brillant
comme un astre, en train d’accueillir ma mère finalement en paix.

Les images me renvoyaient maintenant à d’autres événements cachées


dans des choses banales de ma vie. Des phrases, des scènes brèves, des
rêves et tout un tas de pièces de puzzle qui s’assemblaient et me révélaient
que chacun est avant tout responsable de lui-même, responsable de son
propre bonheur. Ce lent travail de maturation avait déjà commencé sur
terre depuis bien longtemps et j’en prenais enfin Conscience.
Brusquement, l’éventail d’écrans se referma et se rapetissa à la taille d’un
petit pois lumineux, il descendit en moi comme si j’avalais une bille de
plomb. Aussitôt un nœud se dénoua, libérant une onde de paix qui fit
rapidement place à de la perplexité. Celle-ci fut immédiatement
interrompue par les louanges d’une foule extatique et invisible, murmurant
à l’unisson : « Bénis sois-tu. » Le tout n’avait duré qu’une fraction de
seconde, malgré l’impression tenace d’y avoir passé de longues minutes.

- Tu viens de grandir en Conscience, c’est excellent, bondit Gus


enthousiaste. Même pas arrivé et déjà en train de nous faire tous grandir,
merci Alex, ouah c’était puissant. . .

Je ne saisissais pas ses propos, l’instant avait été si fugace. Je n’arrivais


même pas à le retrouver dans ma mémoire, il semblait s’être effacé !
Comment une simple pensée, ou : « Prise de Conscience » pouvaient-elles
donner du bien-être à d’autres ? Gus, le sourire largement ouvert d’une
oreille à l’autre, semblait encore sous le coup d’une véritable émotion.
- Bientôt Alex, bientôt tu comprendras ce que cela représente, très
bientôt.
AUX BALCONS DU CIEL 78
LE SOUFFLE DES ANGES

Il n’en dit pas plus, mais je commençai à m’habituer à ses curieux présages
ne donnant droit à aucune autre explication. Reprenant le contrôle des
opérations, il lança pour moi comme pour lui :
- Étant donné que personne n’est là pour t’accueillir, nous pouvons
passer aux formalités.
- Ben oui c’est vrai, personne pour moi, comment ça se fait ?
- C’est souvent le cas, tu es jeune, ta famille terrestre est toujours en vie,
et puis tu sais, la famille. Tu te souviendras vite qu’ici c’est bien différent
de sur Terre. Reste là, je reviens dans un instant.
Il se volatilisa comme si une saute de vent l’avait soufflé, me laissant seul
avec une interrogation de plus.

Je profitai de ce premier moment de relative solitude pour observer la foule


se réjouir de cette renaissance aussi fantastique qu’inattendue. Certains
racontaient leurs derniers instants, avec parfois une pointe d’exagération,
cherchant ainsi à susciter le respect. Ils mettaient en avant un courage
héroïque devant la mort, mais déplacé compte tenu des circonstances.
Leurs accueillants dont le sourire masquait à peine une réprobation
silencieuse, laissaient néanmoins à leurs proches tout le plaisir d’affirmer
une victoire sur ce qu’ils avaient bien souvent craint le plus.

Je ne cessais de m’étonner de cette nouvelle capacité à ressentir plus qu’à


entendre les pensées des individus autour de moi. C’était une sorte
d’intelligence sensorielle qui sur Terre m’avait tant fait défaut. J’avais
l’impression de remonter la bande FM d’une radio, captant et s’arrêtant
de-ci de-là sur une conversation ou une émotion particulière. Certaines
étaient si puissantes que j’en étais parfois chaviré. Un couple notamment,
dont la femme venait juste d’arriver et se jeter dans les bras d’un être
resplendissant et d’une grande beauté. Elle, superbe. Lui, magnifique, vêtu
d’un simple costume immaculé. Ils s’étreignirent à quelques pas de là et
leur union projeta une pulsation éclatante qui rosit l’air ambiant et le
transcenda d’irisations presque palpables. J’eus un pincement au cœur
devant si beau débordement de sentiments.

AUX BALCONS DU CIEL 79


LE SOUFFLE DES ANGES

Je perçus clairement les remerciements silencieux d’un bon nombre des


personnes présentes autour de moi. Ils étaient dirigés vers le couple, mais
aussi vers cette « Présence » et toute une pléiade de divinités aux noms
compliqués. Chacun le faisait avec ses propres mots, mais c’est une seule
et même intention qui s’élevait vers un lieu semblant se situer bien au-delà
de nous. En fait pas si loin que ça, car par pure bonté d’âme cette « Source
de vie » avait pensé à nous épargner de la chercher, elle était aussi en
chacun de nous.

Je me surpris à remercier moi aussi mentalement ces amoureux, juste avant


de me sentir brusquement happé et transporté pour me retrouver à partager
leur expérience amoureuse dans un trio de conscience. C’était
bouleversant, une force s’insinua en moi et me remplit comme une simple
coupe dont le niveau montait, montait et montait encore pour se rapprocher
du bord. L’énergie semblable à du liquide se mit à déborder et se répandre
autour de moi, me faisant littéralement baigner dans un océan d’extase et
de tendresse, c’était divin. Je partageai avec eux des milliers d’instants de
bonheur acquis au cours de leurs nombreuses vies communes, réunis en un
présent émotionnel sacré. En cet instant, ils partageaient gracieusement
cette divine essence, cette offrande à l’Amour, et chacun la recevait
comme la sienne. Libéré de la matière, c’est de cette manne dont l’esprit se
nourrit, la plus subtile et la plus extravagante des énergies. Recevoir de
l’Amour encourage à en donner, alors qu’en donner force à recevoir.
Puisque c’est celui qui donne qui « EST ». . .

Cette expérimentation involontaire fut si violente émotionnellement


qu’elle me laissa pantelant devant Gus, réapparu sans bruit depuis
quelques instants. Il attendait patiemment avec un sourire béat le bon
rétablissement de mon esprit.

- Vas-y mollo avec la synchronisation. Apprends d’abord à contrôler,


sinon tu vas y laisser des plumes.
- Je n’ai rien fait, je ne sais même pas ce qui s’est passé, ça m’a soulevé
comme une feuille morte, et puis. . . j’ai cru un instant m’écraser sur le
plafond du Ciel !
AUX BALCONS DU CIEL 80
LE SOUFFLE DES ANGES

- Tu t’es synchronisé spontanément avec eux.


- Synchronisé !?!
- Oui, tu t’es mis sur la même longueur d’onde, certainement en les
remerciant. Sans doute avais-tu besoin de faire le plein d’Amour, il y avait
là une réserve disponible à proximité dans laquelle tu a puisé.
- Faire le plein d’Amour ? Comme le réservoir d’une voiture ?
- Oui, un peu, c’est courant à votre arrivée, vous avez tellement eu
l’impression d’en avoir manqué sur Terre.
- Tu dis ça comme si c’était si simple de se sentir aimer.
- Entends bien. Tu as dis : « Se sentir aimer ». L’Amour est bien un
sentiment qui vient de l’intérieur. Pourquoi s’accabler en le cherchant
ailleurs que dans son cœur ? Visite l’intérieur et laisse donc la dynamique
de l’Amour se déployer et te transformer.

Je le comprenais à demi-mot. Au fond de moi ma grand-mère souriait, tout


à fait ce qu’elle aurait pu dire. D’ailleurs elle le disait souvent,
avec évidemment sa verve bien à elle ! « Si tu veux de l’Amour mon coco,
entraîne-toi d’abord à mettre des mots d’amour dans ta bouche et dans ton
cœur. »
Gus ajouta à cette sagesse :
- Tu vois. Exactement comme sur terre.
Je restais silencieux. Une fois de plus je prenais conscience d’une immense
vérité. Depuis mon expérience avec le couple, je me sentais débordant
d’une vibrante énergie à laquelle j’attribuai immédiatement le nom
d’Amour pour bien me l’approprier. C’est alors que mon esprit ramena
deux idées au premier plan, qui se mirent à briller comme deux néons dans
la nuit.

La première, c’était l’image de ma mère en quête permanente d’Amour,


s’épuisant à le chercher chez les autres qui effrayés, s’enfuyaient devant
son avidité. La seconde, celle de ma grand-mère qui, tout naturellement
débordait d’Amour et rassemblait autour d’elle des foules d’admirateurs
sans rien faire de particulier. Avec sa merveilleuse voix, et son commerce
de bijoux à base de pierre et de cristaux, elle attirait des clients dont la
plupart devenaient des amis. Mais le talent qu’elle avait pour dire avec
AUX BALCONS DU CIEL 81
LE SOUFFLE DES ANGES

franchise et élégance ce que vous aviez besoin d’entendre avait fait d’elle
une femme respectée, à qui l’on prêtait un grand bon sens et des dons de
guérisseuse. Pourtant, elle était avare de conseils, gardant sa vérité pour
elle et invitant chacun à trouver la sienne. Pour cela, elle racontait de
petites histoires dans lesquelles elle semait des graines de changement ou
de Conscience. Elle disait que donner un conseil, c’était comme aider un
papillon à sortir de sa chrysalide. Sans faire l’effort nécessaire pour vivre,
jamais ses ailes ne deviendraient assez fortes pour lui permettre d’atteindre
le Ciel. . .

Gus me tendit un verre qu’il fit apparaître spontanément entre ses mains.
- Tiens, bois, un don du Ciel, ça te remettra. . .
La boisson était d’une transparence légèrement bleutée. C’était de l’eau
toute simple, merveilleusement pure et désaltérante. Elle jaillit dans ma
bouche comme une source vivifiante qui se répandit et s’écoula
joyeusement dans tout mon être comme si je n’avait pas d’organes.
- Cela vaut bien tous les champagnes du monde, affirma Gus. Nous
fêterons ce soir dignement ton arrivée en buvant des choses plus
pétillantes. Pour le moment, j’ai accéléré notre passage étant donné ta
rencontre avec qui tu sais.
Il dit cela avec un air de conspirateur, comme si pour lui c’était plus
qu’une simple formalité ?

Gus me précéda et ouvrit notre chemin vers l’intérieur d’un bâtiment qui
s’élançait fièrement, semblable à une tour Eiffel de verre et de légèreté. Au
passage sous une des arches iridescentes, une chape de calme et de silence
se matérialisa soudain autour de nous, annihilant les émissions sonores,
psychiques et sensitives de l’extérieur. Cette accalmie inattendue me figea
dans l’immobilité et l’attention, à l’écoute de la paix revenue. Me retrouver
ainsi avec moi-même fut divin. Il faut dire que depuis ma mort j’avais
ressenti mon existence plus pleinement et plus somptueusement que
jamais. Ce moment était comme une sorte de parenthèse, cela m’en fit
prendre Conscience. J’avais le sentiment d’avoir vécu plusieurs jours en
quelques minutes, et mes sens résonnaient encore de cette étonnante et si
magnifique expérience. Progressivement mon cœur et mon esprit cessèrent
AUX BALCONS DU CIEL 82
LE SOUFFLE DES ANGES

de vibrer et retrouvèrent une densité émotionnelle plus contrôlable. La


rassurante impression de pouvoir enfin reprendre en main une situation qui
commençait doucement à m’échapper ne dura qu’un instant. Une partie de
moi, ensevelie par mon indifférence, semblait s’impatienter et se grandir,
se débattre et s’agiter pour se faire entendre, réclamant de se mettre sans
délais, en quête de la seule chose qui nous manquait encore, notre âme
sœur.

Nous progressions maintenant dans un hall vide aux dimensions


extravagantes. On aurait facilement pu y ranger quatre ou cinq Airbus A
380 posés les uns sur les autres comme des jouets. Autour de moi, tout
semblait étrange et irréel, et en même temps plus que réel. L’intérieur du
bâtiment accueillait d’innombrables bureaux ou espaces de travail
contenus à l’intérieur de raies de lumière éthérée, sorte d’images
lumineuses animées. Le plus fou était leur nombre qui dépassait
l’entendement. La source de ces projections de lumières vivantes venait du
plafond percé d’alvéoles. Il était hallucinant de voir ces différentes zones
temporaires autonomes repliées ou imbriquées les unes dans les autres
comme de simples feuilles de calque ne dévoilant au final qu’une seule et
même animation. Chacune était remplie de personnages tout aussi
impalpables qui semblaient travailler, étudier, se reposer, lire, ou discuter,
comme dans toute bonne société terrienne. La seule différence venait de
l’espace utilisé dont la réalité matérielle n’avait pas véritablement besoin
d’exister. On y trouvait pourtant avec leur totale fonctionnalité, des
laboratoires, des salles de conférences, des amphithéâtres, des snacks, des
restaurants et les multiples infrastructures et commodités d’une entreprise
ultra moderne. Cet enchevêtrement de vies et d’activités impalpables
semblait être le poste de commandement de ce monde céleste.

Le sol était toujours recouvert de cette matière aux miroitements presque


vivants dont les reflets n’avaient aucune logique apparente. Ils étaient
animés d’une forme d’autonomie, s’éloignant et s’approchant comme de
petits animaux facétieux. J’avais la ridicule idée qu’il pouvait bien être
habité par une tribu de je ne sais quoi. J’y pensais, car j’avais l’impression
de les entendais piailler !
AUX BALCONS DU CIEL 83
LE SOUFFLE DES ANGES

- Gus, elle est drôlement bizarre cette construction, on la croirait


vivante.
- Elle l’est. Sinon, comment tout cela tiendrait ? Je pensais qu’au moins
sur terre, on t’avait appris ça.
- Comment ça « Au moins », lâchai-je avec un peu trop de verdeur à
mon goût. J’étais assez susceptible, surtout quand on me charriait, ici
comme ailleurs. . .
- Calme-toi, c’est comme sur terre, toute chose est vivante. Dit-il surpris
par le ton dont j’avais bien involontairement abusé.
- Les arbres, les animaux, la Terre, d’accord, mais pas les maisons. Je
n’ai jamais eu l’impression qu’une station-service pouvait être satisfaite de
me voir prendre de l’essence chez elle, dis-je, certain de mon fait.
- Ah bon jamais. Et donc tu penses que c’est impossible car tu n’en a
jamais fait l’expérience ! Alors, je te le dis, tout est vivant et possède une
Conscience. Depuis ton arrivée, l’esprit du lieu est informé de ton arrivé, il
te suit, te redécouvre, il est heureux de te sentir à nouveau. Et les murs,
regarde comme ils nous écoutent, ils essayent de te dire que j’ai raison en
faisant frissonner leurs couleurs.

Je jetai un œil septique à la construction, ainsi qu’à cette voûte


transparente aux propriétés lumineuses si étonnantes. L’aspect du bâtiment
tout entier était quasiment organique et m’apparaissait soudain sous un
autre jour. La matière s’apparentait à la texture d’une feuille, celle d’une
sorte d’aloès géant dont la carnation caméléonesque miroitait délicatement.
Cette chose était effectivement vivante et comprenait fort bien que nous
parlions d’elle. La nuance de ses couleurs se mit à changer et vibrer de plus
en plus rapidement dans un bruissement qui s’amplifia jusqu’à devenir
assourdissant. Un langage frénétique s’en échappait, modifiant les teintes
dans une dialectique incompréhensible, s’essayant à d’improbables
combinaisons qui me donnèrent très vite le mal de mer.

- T’entends mieux ? hurla Gus en se bouchant les oreilles.


- Oui ! Demande-leur d’arrêter, je vais être malade, l’exhortai-je
précipitamment.
AUX BALCONS DU CIEL 84
LE SOUFFLE DES ANGES

Immédiatement cela cessa, ramenant subitement le silence dans mon


esprit.
- Elles t’apprécient drôlement, tu as eu droit au grand jeu, dit Gus
admiratif, je ne les avais jamais vues comme ça.
Ébranlé par ce que je venais de vivre, je soufflai longuement avant de
répondre d’une voix chevrotante :
- Ouais, c’est l’effet que je fais aux maisons en général, c’est ça la classe
mon pote, croassai-je misérablement.
C’est encore chancelant que je suivis Gus en direction de ce qui paraissait
être la sortie. Il n’y avait pas de porte, c’était juste une ouverture de forme
ovale se découpant dans la lumière. Elle laissait entrevoir un vaste jardin
orné de bosquets fournis et de bouquets de fleurs gigantesques aux
couleurs chatoyantes. En arrivant dehors, je fus saisi par
l’incroyable spectacle. J’avais l’impression d’avoir littéralement rapetissé
devant la végétation aux proportions colossales. C’était si beau et si grand
que l’on ne pouvait être qu’humble face à tant de présence, tant de
Sagesse, tant de hauteur. Sans doute un moyen de se rappeler de ne pas
trop se prendre pour un géant avant d’avoir grandi soi-même. . .

- Nous sommes déjà dehors ! Dis-je, surpris de n’avoir pris ni ascenseur


ni Escalator ou quelque autre moyen que ce soit pour descendre la centaine
d’étages qui nous séparaient du haut de la plate-forme. « Nous ne sommes
même pas descendus m’émerveillai-je. Encore un prodige du Ciel ou un
nouveau truc à apprendre ? »

- Les deux Alex. De plus, c’est facile à comprendre. Le bas, le haut,


l’espace, le temps, la forme, la taille, la couleur, ici, c’est comme dans ta
tête. Quand tu fermes les yeux, il n’y a plus de logique. Ce qui est gros
peut devenir petit, ce qui est rouge, devenir bleu, et ce qui est sombre,
lumineux, glissa-t-il dans un murmure. Rappelle-toi toujours que tu es une
pensée. Si tu veux changer quelque chose, change ta pensée. Par
résonance, tout le reste suivra.

Cela semblait si naturel pour lui, qu’il avait l’air étonné de se l’entendre
dire. J’avais l’impression que les mots lui permettait de subitement prendre
AUX BALCONS DU CIEL 85
LE SOUFFLE DES ANGES

conscience de ce qu’ils voulaient vraiment dire. Une phrase de ma


grand-mère me vint brusquement à l’esprit : « On enseigne souvent ce que
l’on a besoin d’apprendre. » Je notai avec plaisir que Gus pouvait lui aussi
avoir des choses à comprendre ! C’était assez inattendu, surtout après mes
découvertes à son sujet depuis notre rencontre. Il apparaissait si plein de
sagesse, et en même temps si étrange. Pourquoi dans un monde où il était
possible d’avoir un physique parfait, Gus avait-il besoin de lunettes ?
Pourquoi était-il gros, pour ne pas dire énorme, avait des cheveux gras
garnis d’épis et s’habillait de façon excentrique. Était-ce là le vertueux
manteau de la sagesse ? Ne dit-on pas que seuls les petits enfants et les
sages eux-mêmes, reconnaissent les êtres qui n’ont pas besoin de mots ou
d’apparence pour démontrer ce qu’ils sont. Quoi qu’il en soit, Gus devait
être un sacré personnage. Je souhaitais secrètement rester ami avec lui dans
cette nouvelle vie prenant des allures de révélation. Gus serait le mentor
idéal pour comprendre ce nouveau continent céleste et m’y faire une place,
ou peut-être bien m’aider à retrouver la mienne ?



Chant Premier, Strophe II

Qui pourrait maintenant raconter de quelle manière les Cieux, la Terre et


la Mer furent formés
si légers en eux-mêmes, et pourtant si vastes, eu égard à leur étendue ?
Qui pourrait expliquer comment le Soleil et la Lune reçurent là-haut le
mouvement et la lumière,
et comment tout ce que nous voyons ici-bas eut la forme et l’être ?
Qui pourrait enfin comprendre comment chaque chose reçut sa propre
dénomination,
fut animée de son propre esprit, et, au sortir de la masse impure et
inordonnée du Chaos,
fut réglée par une loi, une quantité et une mesure ?

Chants Alchimiques
Anonyme
AUX BALCONS DU CIEL 86
LE SOUFFLE DES ANGES

Agapes célestes

Rien n’est jamais sans conséquence. En conséquence, rien n’est jamais


gratuit. Confucius

Depuis mon arrivée, c’est la luminosité qui me surprenait le plus, elle


venait de partout à la fois, du ciel, de la végétation, des choses, et parfois
des personnes elles-mêmes. Elle jaillissait littéralement de chaque contour,
de chaque forme, dessinant aux choses un nouveau relief. Je remarquai
assez vite l’absence d’ombre qui renforçait encore cet éclairage et cette vie
si particulière. D’habitude, j’étais sensible aux fortes intensités qui me
faisaient plisser les yeux. Ci-haut, ma vision était parfaite et emplissait
mon esprit de merveilles à chaque regard. Le plus fascinant était de
distinguer une sorte de circulation sanguine à l’intérieur de la matière, un
foisonnement, un chatoiement de poussières, comme la danse de
minuscules ruisseaux de lumière. Le spirituel ne semblait être qu’un canal
pour cette énergie transparente et scintillante éparpillée partout en nous et
autour de nous.

L’air extérieur parfumé de senteurs melliflue était aussi pur et enivrant que
celui d’un sommet himalayen. Je me retournai et levai la tête en direction
du nuage pour m’apercevoir avec stupeur qu’il avait disparu comme par
magie. À sa place se déployait un ciel céruléen, qui malgré le jour et
l’extrême luminosité était constellé d’étoiles aussi visibles que sur terre
lors d’une nuit sans lune. Repenser à la Terre que je venais pourtant de
quitter libéra en moi une vague de nostalgie. Elle enfla et souleva un soupir
de regret dans ma poitrine, puis retomba avec fracas sur le rivage intérieur
de mon cœur. L’écume, sans doute, fit perler une larme, je prenais
douloureusement conscience, c’était fini, je n’y retournerais jamais. . .
Évidemment, à ce moment précis, je ne savais pas encore.

- Tout va bien Alex, je te rassure, ça va très vite passer, me dit Gus en


posant amicalement sa main sur mon avant-bras.
Elle était chaude et je sentis cette chaleur me pénétrer et m’envahir
doucement. Il ajouta avec une voix traînante :
AUX BALCONS DU CIEL 87
LE SOUFFLE DES ANGES

- C’est un simple souvenir, le passé est loin, il est loin derrière toi
maintenant. Reviens donc avec moi, ouvre les yeux sur les présents de la
vie.

J’entendais le conseil de mon ami, et mon esprit, subjugué par son


intention de m’aider, se tourna vers les routes dorées du Ciel et la
somptueuse flore qui se sublimait, rien que pour enchanter mon âme d’une
matérialité émotionnelle si pleine d’absolu. Rien n’avait d’importance
devant tel miracle, mais pour le voir, encore fallait-il le vouloir.
Progressivement, une douce sensation chaude et caressante remplaça le
mal-être, Gus venait de déposer une bouillote sur mon cœur et je
m’abandonnai avec soulagement et délectation à la fièvre du maintenant.

Sans m’en rendre compte, Gus avait guidé mes pas jusqu’à une vaste
fontaine de cristal autour de laquelle se reposaient de nouveaux arrivants,
tout comme moi désorientés par un si grand changement dans leur vie. En
effet, pas facile d’oublier qu’une heure plus-tôt la plupart étaient encore
malades, blessés, vieux ou à l’article de la mort. Pour l’instant, ils étaient
entourés par de nombreux amis et parents pour les rassurer. C’était comme
dans un rêve, les couleurs étaient étranges, mouvantes, comme rajoutée.
Cela faisait penser au parc d’un sanatorium des années trente, comme dans
un vieux film du début du cinéma. Ce lieu existait bien, mais en réalité il
était dans une autre division céleste. Cependant, chacun pouvait l’invoquer
et temporairement y projeter un double de lui-même pour profiter de ses
effets, ce que Gus venait de faire.

C’est le chant si particulier de l’eau sur le cristal qui unifia ma conscience.


Il provenait d’une gigantesque fontaine de cristal ou d’une matière y
ressemblant. Elle ruisselait au centre d’un bassin en bouillonnantes
cascades, alors que de simples gouttes, s’éjectaient et venaient
miraculeusement faire tinter comme un xylophone des coupelles de toutes
tailles. L’endroit semblait hors du temps, hors des règles élémentaires de la
physique. Je voyais les sons, j’entendais les couleurs et ressentais leur
énergie me traverser comme si je n’étais plus qu’une enveloppe
immatérielle. Tous ces sons mêlés existaient un instant sous une forme
AUX BALCONS DU CIEL 88
LE SOUFFLE DES ANGES

pure avant de se lancer dans une sarabande multicolore de vie tumultueuse,


dont l’observation me fascinait et me remplissait de contentement. C’était
comme les gouttes de sirop coloré que grand-mère versait dans le verre
d’eau de mon enfance.

Par la suite Gus m’expliqua que pour beaucoup, l’acclimatation était


parfois longue et pénible. Au Ciel tout comme sur terre, les pensées de
peur étaient bien nos pires ennemis, car elles créaient l’illusion, une simple
illusion. La fontaine permettait rapidement de se guérir, de réunifier ses
polarités et passer à autre chose. Les ondes sonores colorées étaient
propices à l’équilibre, à une réharmonisation réparatrice, elles tintaient et
se déployaient mollement, enjoignant l’arrêt du jugement, favorisant le
pardon et l’acceptation.

- Observe, écoute, ouvre tes yeux et tes oreilles, sois attentif, libère ton
esprit de ses vaines préoccupations, laisse le passé à sa place, renvoie le
derrière toi et reviens ici, maintenant, vis ta vie et non l’illusion créée par
tes pensées. . .
- Tu as raison Gus, dis-je en sortant de ma torpeur comme s’il m’avait
pincé.

Disparue la fontaine ! nous étions à nouveau sur le chemin proche de notre


point de départ et j’avais bien du mal à croire que tout cela n’avait été
qu’un rêve. En tous cas, j’étais de nouveau frais et dispos. Rêve ou pas
rêve, j’avais l’esprit vide et lumineux, et c’était très bien comme ça.
- On ne va pas se laisser aller à gémir sur le passé. N’est-ce pas ? Quel
est le programme, j’ai faim. Il n’y a pas un petit trou dans ton emploi du
temps pour qu’on puisse manger, ça m’a creusé de mourir. . .
Je vérifiai d’une œillade discrète la réaction de Gus à cet humour peut-être
déplacé ici haut.
- C’est bien, Alex. On peut dire que tu as le mot pour rire, si les morts
avaient le droit de rire ! dit-il en me regardant avec sévérité.

Nos regards se parlèrent un instant, jaugeant de nos impertinences


réciproques avant de libérer une franche hilarité. Gus se tapait sur les
AUX BALCONS DU CIEL 89
LE SOUFFLE DES ANGES

cuisses, étirant dangereusement son bermuda et sa veste. Nous avions l’air


de deux gosses venant de faire une grosse bêtise. Des larmes inondaient
mon visage, libérant le reste des émotions accumulées lors de cette matinée
qui dépassait l’entendement. Tout mon corps, dont une partie de mon
esprit se démenait à maintenir l’illusion, participait joyeusement à ce
lâcher prise rédempteur.

Les yeux encore humides, Gus me demanda :


- Qu’aimerais-tu manger ?
- Eh bien, je ne sais pas. Il y a une cantine, un restaurant, comment ça se
passe ? Je n’ai pas d’argent.
- Ah oui, l’argent, une des divines créations humaines.
- Une sacrée cochonnerie, tu veux dire.
- Je ne puis être que partiellement d’accord avec toi. Si tu voyais
l’énergie positive dont il est capable, tu ne dirais pas ça. . .
- Comment ça ?
- L’argent est comme tout le reste, il a des effets négatifs mais
heureusement aussi des effets positifs, c’est la règle cosmique absolue, l’un
n’existe pas sans l’autre, question d’équilibre. Le positif est toujours plus
créateur d’Amour car il diffuse et étend ses effets, alors que le négatif
comprime et retient l’énergie. Bientôt les humains cesseront de penser
égoïstement, et alors, une nouvelle logique se mettra en place, vous
partagerez.
- L’argent peut créer de l’Amour !
- Évidemment, aussi facilement que de la peur. Dans ta logique étriquée,
ce n’est pas l’argent qui est mauvais, c’est ce que vous en faites, votre
manière de vous en servir. Il n’y a en réalité que deux énergies en ce
monde, l’Amour et la Peur, l’alpha et l’oméga, les deux extrêmes du
déploiement divin. Elles génèrent à elles seules toutes les autres énergies
animant les pluri-univers visibles et invisibles.
- Comme le Ying et le Yang, dis-je fièrement.
- Exactement, c’est un magnifique symbole de vie. Tout ça pour dire que
nous n’utilisons pas d’argent, ça n’aurait aucun sens, nous créons
directement tout ce dont nous avons besoin à partir de la matière
information indifférenciée. Tu verras, c’est très facile, simple question de
AUX BALCONS DU CIEL 90
LE SOUFFLE DES ANGES

concentration et de pratique pour contrôler le processus. Je t’apprendrai.


- Génial !
Gus prit soudain un air sérieux et ses yeux changèrent de couleur comme si
sa lumière intérieure avait soudainement baissé d’intensité. Je sentis
immédiatement qu’il allait me dire quelque chose de beaucoup moins
amusant.

- Tu sais, Alex, bientôt les humains cesseront l’abomination de


l’esclavage de l’argent, ils continueront de travailler et de faire comme par
le passé mais sans avoir besoin de se rétribuer pour cela, ils le feront par
nécessité car ils n’auront pas d’autre choix.
- C’est une magnifique utopie Gus, que le Ciel t’entende.
- Le Ciel n’a rien à voir avec ça. L’utopie est un concept humain, un
choix qui n’est pas irréalisable comme tu sembles le croire, mais seulement
non encore réalisé. Chaque avancée est d’abord l’expression de notre plus
formidable pouvoir, un rêve et non une utopie. Ce sont vos désirs et vos
envies qui en font une réalité collective. Ne vois-tu pas les miracles dont
vous êtes capables quand vous avez le même but et la même intention ? Il
en est de même des choses que vous craignez le plus. Un jour, à force,
elles deviennent vraies. La vie ne fait que favoriser vos intentions et vos
croyances, bonnes ou mauvaises.
- Je ne suis pas certain que l’humanité soit sur le point de supprimer
l’argent.
- C’est vraie. Et pour son malheur, elle s’éloigne et s’enfonce toujours
plus loin dans le mensonge et la spoliation, dans la négation sans entendre
les avertissements, sans voir les signes. Son aveuglement la mène tout
droit à sa perte.
- Quels avertissements ?
- Ils sont si nombreux. Mais vous continuez de trouver la situation tout à
fait acceptable. La monté de la peur ou des inégalités est toujours un signal
d’alarme, les injustices, la privatisation du bien commun, le réchauffement
du climat, la crise financière sont des sirènes qui vous hurlent de changer.
C’est votre ultime chance, ensuite le Ciel mettra en place vos désirs et vous
le maudirez pour cela.

AUX BALCONS DU CIEL 91


LE SOUFFLE DES ANGES

- Cela semble pourtant aller bien mieux. . . C’est ce que l’on dit en tout
cas. . .
- En effet, on vous fredonne une jolie berceuse pour rassurer et endormir
l’enfant. Vos médias jouent un air bien doux, malheureusement meilleur
que celui de ceux qui cherchent à vous avertir. Mais la berceuse est un
requiem qui s’achèvera par un couac retentissant.
- Que veux-tu dire ?
- La fin arrive, c’est inéluctable, il est temps pour les humains de se
mettre à prier.
- La fin du monde !
- Pas la fin du monde, Alex, la fin des temps, le retrait du voile. . .
- Foutaise. Dis-je la voix fourbie d’un éclat de colère, avec cependant la
certitude d’être en train de me mentir à moi-même.
Gus me regarda tristement et adressa cette pensée silencieuse à La Source :
« Même lui refuse d’entendre la vérité ! »
- Excuse-moi Gus, ce n’est pas ce que je voulais dire, mais ça semble si.
..
- Si incroyable, n’est-ce pas. Parce que le mot fin te fait peur, tu lui
attribues une connotation négative. Pourtant, ta mort te semble t-elle
négative ?
- Non.
- Le changement est-il difficile à vivre ?
- Non au contraire.
- Alors, considère la fin des temps comme potentiellement positive. Si
j’ajoute que les temps qui viennent sont ceux de la fusion, ceux où vous
direz « Nous » au lieu de « Moi », ces temps ne sont-ils pas souhaitables ?
- Si, dis-je penaud.
- Ils sont inévitables, Alex, inévitables. . . Car notre âme le souhaite. . .
Votre difficulté est de ne plus croire au merveilleux, de ne plus être
capables d’avoir une vision commune paradisiaque de la Vie sur Terre, de
bâtir des merveilles. Vous comptez, vous comptez sans cesse. Les nombres
ne vous ont pas été donnés pour ça, ils doivent servir à donner du corps et
des dimensions à l’incommensurable. Mais il y pire encore. Vous êtes
tellement persuadé de devoir accoucher dans la douleur que c’est ce que
vous obtiendrez. Pourtant, il y a plein d’autres manières de changer. . . Plus
AUX BALCONS DU CIEL 92
LE SOUFFLE DES ANGES

agréables. De toute façon, cela revient au même, si vous ne le faites pas, le


Ciel pourvoira. Vous serez purifiés jusqu’à redevenir sel et retournerez à la
matière primordiale. Puis en rétablissant les vertus primitives des choses,
vous ferez nature, la lumière pourra alors entrer, et vous serrez de nouveau
des surhommes aux pouvoirs illimités.
- Alors nous allons souffrir ?!?
- Si c’est un désir ou votre plus grande peur, sans aucun doute. Mieux
vaudrait désirer la paix ou la craindre. Car dans les deux cas, de toute
évidence, c’est ce que vous auriez.
- Un mal pour un bien en sorte.
- Mais non voyons, un bien pour un bien. . .

Notre conversation m’avait légèrement coupé l’appétit. La mine sombre,


nous nous dirigions vers une destination fatalement propice à de nouvelles
découvertes. En quelques pas, Gus était de nouveau le joyeux compagnon
qui se réjouissait de nos prochaines agapes. Il faisait preuve d’une
fabuleuse capacité à revenir dans l’instant présent, à n’être qu’un passant, à
vivre plutôt que d’encombrer son esprit avec de vagues prophéties. Il
savait l’importance de restaurer l’équilibre le plus vite possible. Cela
n’empêchait pas les épreuves, ça les rendait juste plus relatives, l’essentiel
étant de préserver, quoi qu’il arrive, son harmonie intérieure et se garder de
mal penser. Je décidai donc de faire comme lui, ouvrir mes yeux sur le
présent, faire taire mon esprit et ressentir ma vie harmonieusement, avec
justesse et ravissement.

Nous avancions à travers une sorte de campagne fleurie parsemée de


bosquets formés d’arbres gigantesques. Je notai au passage que la majorité
de ceux-ci, malgré leurs différentes essences, s’étaient développés selon un
modèle similaire. Ils étaient tous relativement bas comparés à ceux de la
Terre, campés sur des troncs massifs et ornés de racines tentaculaires qui
rampaient hors du sol. Les branches et le feuillage s’étalaient largement
autour de chacun, formant une cloche protectrice filtrant le jour. Ils
ressemblaient tous à des bonzaïs géants.

AUX BALCONS DU CIEL 93


LE SOUFFLE DES ANGES

- C’est à cause de la lumière, me renseigna Gus, ici, aucune concurrence


pour en bénéficier, donc inutile de s’élever au-dessus des autres.
Acquiesçant de la tête, je remarquai différentes variétés et espèces mariées
en bouquets improbables. Mélèzes et platanes se mêlaient à des cocotiers
arborant des colliers de noix dorées. Des pommiers aux fruits gros comme
des pastèques côtoyaient des dragonniers gigantesques et des raphias aux
feuilles aussi longues et larges que des ailes d’avion. Des bambous géants
agités par une brise aérienne claquaient comme les mats d’un port de
plaisance ; Ils semblaient rythmer la pousse de fleurs dans la chevelure
d’un groupe de saules pleureurs à l’apparence de hippies. Tous ces arbres
et la végétation environnante rayonnaient et pulsaient de vie, semblant
s’accommoder d’un même et unique climat pour grandir dans une éternelle
saison.
- Curieux ce mélange, ça ne ressemble en rien à la Terre, et pourtant en
le disant, tout me paraissait si familier.
- C’est normal, c’est ton Ciel, celui dont tu rêvais.
- Je n’ai jamais pensé à la mort ni même rêvé du Ciel.
- Tu l’as fait, mais tu ne t’en souviens pas, tu dormais.
- Tu parles de rêves ?
- Non, de l’endroit où se rend ton Âme quand tu dors.
Je restais sans répondre, sachant que s’il le disait, cela avait toutes les
chances d’être vrai. Sans doute l’explication de cette furieuse impression
de déjà-vu qui me tenaillait depuis ma mort.
- Tu sais, Alex, dans certains plans vibratoires plus bas, la vie n’est pas
si différente de celle que tu connaissais sur Terre. Il y a des écoles, des
hôpitaux et même des églises. On pourrait facilement s’y méprendre.

Je laissai mon esprit imaginer l’existence de ces autres réalités avec un


sentiment de curiosité, mais ce sont les souvenirs et les images de mes
autres vies célestes qui s’illuminèrent furtivement. J’avais déjà vécu au
Ciel, c’était incontestable. Des bribes de vies, des visages, des sons, des
odeurs, un malstrom de mémoire sans queue ni tête se déversa rapidement
en moi. Malgré l’extrême fugacité du phénomène, j’en gardais un espoir et
un regret, celui de ne pouvoir mettre un nom ou un visage précis sur la
compagne que j’avais entrevue, une femme excessivement belle et
AUX BALCONS DU CIEL 94
LE SOUFFLE DES ANGES

désirable qui à chaque fois m’avait tant aimé, et qui j’en étais certain,
m’aimerait encore. Gus me dit :
- Bientôt, nous irons aux Chroniques Spirites et tu te souviendras bien
mieux. Je suis certain que nous arriverons très vite à identifier ta dulcinée.
C’est rempli de ce vivifiant espoir que nous continuâmes notre chemin.
Une chose s’était apaisée en moi, comme si la perspective de n’avoir
désormais qu’un seul but, celui de retrouver mon éternel Amour, l’avait
satisfaite et réjouie.

Nous approchions d’un endroit que je pris au premier regard pour un


terrain de sport dont les spectateurs auraient envahi la pelouse. Cependant,
en y regardant de plus près, c’était bien plus un champ de bataille qu’un
lieu d’agrément. Des hommes et des femmes nus paraissaient engagés dans
un combat mortel, se tordant et se frappant de façon barbare. Sans armes,
les enragés se mordaient et se griffaient dans un furieux corps-à-corps. À
mains nues, à pieds nus et à pleines dents, exacerbés par une sexualité
débridée, ils se faisaient subir les pires outrages sans qu’aucun ne meure
jamais ni ne souffre vraiment. C’était terrible, c’était dantesque, une telle
furie, une telle rage, une telle absence de morale, un véritable enfer. . .

- C’est une zone de décongestion, un endroit pour vider sa haine, sa


colère et ses frustrations. . .
- Personne n’intervient ? C’est horrible, ils vont se tuer dis-je avant de
comprendre que c’était impossible.
- Non, c’est inutile, tant qu’ils auront cette hargne à vider, autant qu’ils
le fassent ensemble. L’endroit est protégé pour que l’information
nauséabonde produite soit recyclée et transformée en énergie
indifférenciée.

Nos pas nous emmenèrent bien vite vers des lieux plus cléments, non sans
qu’une partie de mon imaginaire monstrueux ne se soit dit en se frottant les
mains qu’il viendrait bien se défouler un de ces quatre matins dans ce
tourbillon de chair et de fureur. Prenant conscience des pensées de ce
sombre moi-même, mon visage s’empourpra aussitôt, occasionnant une
irrépressible envie de m’enfouir sous terre. J’étais certain que Gus avait dû
AUX BALCONS DU CIEL 95
LE SOUFFLE DES ANGES

entendre, mais il ne releva pas, sans doute parce que cela ne le choquait
pas.

Le paysage se transforma rapidement pour laisser apparaître des vergers


aux arbres chargés de fruits variés dont les senteurs sucrées parvenaient
jusqu’à nous. Encore un peu plus loin, nous doublâmes un groupe d’une
vingtaine de personnes, hommes, femmes et enfants s’ébattant gaiement
dans l’écrin d’une clairière bordée d’arbres puissants. Ce rassemblement
était installé pour un somptueux pique-nique autour d’une nappe à
carreaux rouges et blancs comme dans les brasseries françaises. La nappe
champêtre était recouverte de mets alléchants, tous aussi appétissants les
uns que les autres, dont la variété et la qualité semblaient dignes des tables
les plus prestigieuses. L’odeur de la nourriture me fit saliver et mon
estomac se mit à grogner malgré sa virtualité. Il y avait devant moi une
telle profusion que j’en étais mal à l’aise, sûrement de quoi nourrir trente
ou quarante fois plus de monde que d’invités présents.

Des poissons en gelée côtoyaient des volailles parées encore fumantes. Il y


avait un paon stylisé, dont la superbe dégoulinait de différentes variétés de
viandes froides et de charcuteries artistiquement échafaudées, venant se
mêler à des terrines et des pâtés gargantuesques. De nombreuses sortes de
pains aux senteurs enchanteresses étaient présentées comme pour la table
d’un empereur chinois. Des légumes et des fruits, pour moitiés inconnus,
des fromages, des tartes et des desserts aux couleurs inattendues en
abondance, des bouteilles et des flacons de toutes sortes. Tout cela était
disposé et se mariait comme dans un tableau d’Arcimboldo. Les mets
s’échangeaient joyeusement entre les convives, acteurs de ce
pantagruélique repas entrecoupé de rires et du tintement des verres.

- Vous n’êtes pas végétariens ? Demandai-je surpris.


- Moi non. Me dit-il en lorgnant avec convoitise sur une cuisse de poulet
qui passait non loin de lui.
- Au ciel, vous tuez des animaux. J’avais du mal à le dire !
- Tuer ! Comment tuer un esprit ! Je te l’ai dit, tout provient de
l’indifférencié et y retourne ensuite, les animaux comme les fruits ou bien
AUX BALCONS DU CIEL 96
LE SOUFFLE DES ANGES

même le corps humain. La seule chose qui n’y retourne jamais, c’est
l’esprit qui habite temporairement la matière.
- Quoi, il y a une conscience dans les animaux ou les légumes ?
- Eh bien oui, et crois-moi, je suis bien placé pour le savoir.

Notre échange fit baisser le volume de la conversation et converger les


regards. En l’absence de censure, je sentais que l’on me scrutait et
m’auscultait intérieurement, c’était fort désagréable. J’avais l’impression
d’être mis à nu de façon bien cavalière par une dizaine d’esprits qui s’en
donnaient à cœur joie.
- Salutations, que la paix soit en vous, dit Gus. Il ouvrit gracieusement
une main sur son cœur et offrit librement son Amour. « Pouvons-nous
partager votre repas ? »
Il fit un geste, un glissement ondulant de la main suivie d’un arrêt soudain.
Sa paume s’ouvrit sur le vide. Il n’y avait rien à l’intérieur, mais l’espace
d’un instant, nous y entrevîmes une bouleversante lumière qui nous laissa
tous sans voix ! Devant la grâce ainsi faite, le silence et le recueillement
avaient remplacé les rires. Une splendide jeune femme brune semblait
animer le groupe, c’est elle qui rompit la trêve en disant avec dévotion :
- Soyez les bienvenus, votre présence est une bénédiction,
installez-vous.
Gus la remercia, et sans plus de cérémonie s’installa nonchalamment à une
place libre autour de la nappe. Il me laissa en arrière, un brin perturbé
devant autant d’inconnus qui semblaient voir en moi ce que je n’y voyais
pas.

Une coupelle translucide apparut entre les mains de Gus. Il commença à y


déposer un large échantillon des différents mets qui se présentaient à lui et
n’hésita pas à se mettre à genoux sur la nappe pour attraper une bouteille
qui l’attirait tout particulièrement. Il se servit avec contentement dans une
coupe étincelante qu’il fit jaillir de nulle part. Il riait et faisait claquer son
palais comme s’il avait la pépie. Le liquide était assurément du vin, il en
but une grande rasade, tout en mangeant des yeux les jeunes femmes qui
gloussaient de le voir faire. Lui, pas gêné pour un sou, se pourléchait et se
régalait d’avance, s’enivrant de l’odeur du vin, de la nourriture et du
AUX BALCONS DU CIEL 97
LE SOUFFLE DES ANGES

parfum des femmes en fleur. À travers Gus, je vis un faune ou le dieu Pan
sur le point de ripailler, je m’attendais presque à lui voir pousser des
cornes et des pieds aux sabots fourchus. Diable, Gus avait donc lui aussi sa
part d’ombre.

Je trouvai finalement une place que m’offrit un garçonnet en la désignant


du doigt.
- Détends-toi. Dit une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de douze
ans et qui se trouvait assise près de moi.
Elle était simplement vêtue d’une robe de mousseline constellée de fils
d’or dont la soyeuse douceur avait d’indiscrètes transparences. Son visage
et son sourire rayonnaient de fraîcheur, ses prunelles d’azur pétillaient de
mille étincelles, et sa bouche en forme de coquelicot ne savait que rire.
Devant pareil exemple de joie de vivre, on ne pouvait que se laisser aller,
porté par si impérieux sillage.
- Tu as faim, ça s’entend.
Effectivement, mon estomac braillait comme un nouveau-né, ce qui fit rire
l’assemblée.
- Tu viens d’arriver, ton corps se rappelle encore à toi, ça passera. Je
m’appelle Lola.
- Alex, je m’appelle Alex, mademoiselle, dis-je en bafouillant à moitié.
Je remerciai intérieurement le Ciel pour cet accueil sans simagrées, je m’en
sortais plutôt bien. Sur Terre, j’en aurais certainement eu les mains moites.
Entendant parfaitement mes pensées, la tablée se tourna vers moi avec des
sourires et des saluts de reconnaissance. Décidément, je devais me
méfier de mes pensées !

Un jeune homme assit en face de moi, visiblement de mon âge, me salua


silencieusement en fermant les yeux quelques secondes. Il les rouvrit pour
laisser s’épanouir un large sourire et reprit son repas sans un mot.

Je me rapprochai discrètement de Lola, si près d’elle que son parfum


délicat de fleurs blanches, d’herbe foulée et de mousse fraîche,
émerveillèrent mon nez et mes autres sens :
- Il est muet, demandai-je discrètement ?
AUX BALCONS DU CIEL 98
LE SOUFFLE DES ANGES

- Presque, répondit-elle à haute voix sur un ton moqueur. Il a sondé ton


cœur comme nous l’avons tous fait. Il se nomme Alphan, et met en
pratique l’adage d’un Essentiel que nous adorons tous et qui possède une
sagesse presque aussi vaste que son humour : « De tous ceux qui n’ont rien
à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent* » (*Note de bas de
page : Michel Colucci dit Coluche.)
Le jeune homme me regarda et confirma du menton. Un peu gêné par ma
curiosité, je tentai de me rattraper et de me m’intégrer au groupe par un
compliment mérité :
- En tout cas, félicitation à la cuisinière. . .
Aussi surprenant que cela paraisse, à la place de remerciements, cette
phrase déclencha l’hilarité générale. Même Gus riait, me faisant monter le
rouge au front. J’aurais dû me rappeler qu’ici rien n’était comme ailleurs,
une telle profusion ne pouvait être que surhumaine.
- La nourriture provient de la source, personne ne cuisine, sauf
évidemment pour le plaisir de cuisiner, me glissa Lola.
Elle me prit la main, l’ouvrit et la tourna paume en l’air. D’une pensée, elle
matérialisa dans un débordement d’escarbilles de lumière une fleur à la
corolle en forme d’étoile. Un calice délicat et torsadé s’épanouit et se
changea rapidement en bille verte. Elle grossit et grossit encore pour
devenir une tomate rouge et charnue comme une pomme d’or d’où
s’échappait ce parfum acide et si caractéristique de bois vert et de
fraîcheur. Émerveillé par la beauté de ce que je venais de voir, je mis un
moment à me décider entre croquer dans ce cadeau céleste ou, ignorant de
son goût, le garder à jamais comme un précieux trésor.

- Vas-y, mange. De toute façon, ici comme ailleurs, tu ne saurais rien


garder avec toi pour toujours, alors accepte-le et profite de ce que t’offre la
vie.

Je mordis à pleines dents, faisant jaillir en moi un flot de saveurs, d’odeurs


et de sensations jusqu’alors inconnues. Je n’avais jamais vraiment pris
conscience de ce qui se passait lorsque je mangeais. Déjà sur la
plate-forme d’accueil, l’eau m’avait paru si éloignée et en même temps si
proche de ce que je connaissais sur terre. Là, c’était comme si je croquais
AUX BALCONS DU CIEL 99
LE SOUFFLE DES ANGES

une tomate pour la première fois. Une flambée de contentement projeta


autour de moi un halo lumineux, qui fut accueilli par un murmure
admiratif de mes compagnons de pique-nique.

- Fantastique. M’extasiai-je, en pleine délectation.


Un jus clair et parsemé de minuscules pépins semblables à des œufs de
grenouille s’échappa de ma bouche pour tomber et tacher la nappe dont la
souillure s’effaça instantanément.

Mes nouveaux amis souriaient de mon expérience qui les ramenait sans
doute à une des leurs. Je décelai cependant chez Lola une pointe d’envie. Il
faut dire que j’avais l’enthousiasme particulièrement démonstratif. Elle
semblait désabusée, son visage s’était brusquement fermé, son regard
rembruni, ce n’était plus un masque de joie mais de tristesse qui
m’apparaissait.
- Il y a un souci ? Lui demandai-je, imaginant avoir commis un nouvel
impair.
- Tu es un Amour, Alex, et perspicace avec ça. Non, le souci c’est moi et
mon état d’esprit, il est forcément en harmonie avec mes pensées,
comment pourrait-il en être autrement ? La peine comme la paix viennent
de ce que je laisse naître et grandir en moi.
- Comment ça ?
- Je me suis laissé envahir par des sentiments contradictoires. Une
sincère admiration devant ta candeur et en même temps une tristesse de ne
plus être capable de cette même rencontre permanente avec mes sens.
L’habitude rend la vie banale alors qu’elle est tout bonnement fabuleuse.
Sur terre, avec nos corps, nous apprenons le goût, le toucher et toute une
gamme de plaisirs qui malheureusement s’estompent vite ici, au profit
d’autres sens plus spirituels. Il faudrait que je me réincarne à nouveau. . .

Un peu effrayé par l’idée de retourner si vite sur terre où tout m’avait
semblé plutôt fade comparé à ce que je vivais ici, je m’entendis lui
répondre avec une curieuse absence d’autonomie, comme si quelqu’un
parlait à ma place :

AUX BALCONS DU CIEL 100


LE SOUFFLE DES ANGES

- Tu n’as peut-être pas besoin de mourir ou de renaître pour retrouver tes


sensations. Sur terre, je n’avais moi-même jamais vraiment fait attention
au goût d’une tomate ou à son odeur. Depuis mon arrivée, j’ai seulement
l’impression d’être plus à ce que je fais, d’être devenu témoin de
moi-même. Je suis bien certain que toi aussi ?
Son hochement de tête me fit continuer.
- Alors maintenant, comme moi, tu peux le faire aussi.

Je me penchai pour attraper un fruit qui attirait particulièrement mon œil et


mon attention, sans pouvoir en identifier la raison. Quelque chose me
disait que ce devait être le fruit préféré de Lola. C’était une poire, jaune et
rosée, enveloppée d’un bel habit taillé dans le cuir rare d’un animal
improbable. Je lui tendis le fruit comme l’offrande respectueuse à une
divinité antique. L’attention grandit autour de nous, les conversations
s’éteignirent et les regards s’agrandirent. Chacun était suspendu à ma voix,
dans l’attente d’un hypothétique instant suivant. . .

Mon esprit fut subitement pris d’une surprenante indépendance. Il agissait


à ma place comme s’il avait pris le volant, me reléguant à la place du
passager. Le penser et l’envie avaient disparu, et pourtant je n’avais jamais
été aussi présent à moi-même. Je m’observais parler et agir sans avoir le
désir de faire cesser cet outrage à mon bon sens. Le film de ma récente
expérience gustative se rembobina en moi. La première image, celle de la
tomate que Lola avait fait apparaître dans ma main, s’afficha. Mon esprit
l’échangea avec celle de la poire que je lui tendais. Le film ainsi
transmutée de ma mémoire se remit en marche et j’entendis ma voix dire :

- Cela commence par les yeux, les mains, le nez, et tous tes autres sens
tendus dans l’attente d’une surprise. Ils s’ouvrent sur une forme, un poids,
une consistance, une couleur, mettant ta mémoire à contribution pour
identifier l’objet que tu vois, que tu soupèses, que tu humes, et alors, tu
reconnais : une poire ! Chasse immédiatement ce mot de ton esprit et
pense : « Je ne connais pas cet objet, je ne l’ai jamais vu, c’est un précieux
présent, il doit être merveilleux. »

AUX BALCONS DU CIEL 101


LE SOUFFLE DES ANGES

Elle prit délicatement mon cadeau et le soupesa mentalement en


murmurant : « Je vois ce fruit pour la première fois, il est pour moi, c’est
un merveilleux trésor. »

- Sens-tu comme ton esprit plonge avidement vers ce que tu tiens entre
les mains comme une possible nouvelle découverte. . .
- Oui. . . c’est sensationnel.
- Laisse cette sensation te remplir. . . Maintenant, le nez : « Je sens ce
parfum pour la première fois, ce doit être celui du Paradis. »
Elle obéit docilement, laissant s’épanouir au sein de sa poitrine une lueur
qui grandit rapidement et se mit à briller d’une somptueuse incandescence.
Les Essentiels autour de la nappe murmuraient de satisfaction, nombreux
étaient ceux qui s’étaient saisi d’un aliment et murmuraient les mêmes
paroles, suscitant rapidement sensations et des envolées lumineuses
similaires. Une fierté m’envahit et repoussa le plafond de mon ego devant
l’attention d’une telle assistance, même si je n’y étais pas pour
grand-chose. Ma voix reprit :

- Ensuite, c’est la bouche. . . Une partie de moi poursuivait le visionnage


du film, tandis qu’une autre continuait son travail d’éveil : « Je n’ai jamais
goûté pareille saveur, elle est nouvelle. » Me laissant totalement absorber
par l’expérience de Lola, je découvrais par son entremise des sensations
liées à la dégustation d’une poire avec la même allégresse que celle de la
tomate. Fantastique ! Maintenant, ce sont les oreilles, continuai-je
rapidement : « Je n’ai jamais entendu pareille musique, elle est si nouvelle
qu’il me tarde de la découvrir. . .»

Notre petit groupe de convives voguant sur les rives enivrantes de l’extase
s’éclairait comme une nouvelle aube, attirant des passants qui s’avançaient
silencieusement pour profiter de l’enchantement du moment. Lola, revenue
le visage tout illuminé de son expérience, me sauta au cou en me serrant si
fort que nous roulâmes sur l’herbe dans un éclat de rire général. Son corps
d’enfant, ferme et nerveux comme la chair une grenouille, vibrait d’une
énergie à la fois sauvage et chaleureuse.

AUX BALCONS DU CIEL 102


LE SOUFFLE DES ANGES

La voix de cette partie infiniment plus sage de mon être ajouta :


- Essaye donc avec les personnes. À chaque fois tu les découvriras avec
les yeux bien ouverts, et alors tu sauras que tu te reflètes en eux. . .

Elle se releva d’un bond et me toisa avec une ingénuité que son âge lui
permettait. Elle dit à la cantonade avec une voix de femme que l’on écoute,
inattendue pour un si petit corps :
- Ce soir au Visiodôme, Alex aura la place d’honneur de mon spectacle,
il sera notre invité. Qu’il en soit ainsi.
- Ainsi soit-il. Acquiesça le petit groupe spontanément.

Dans un état second, je pris conscience de ce que je venais de réaliser. On


me fêtait, on me récompensait et mon âme exultait. Je reçus littéralement
un soleil entre les oreilles. Il explosa, dardant ses rayons telles des flèches
de feu partant à la conquête du monde. Pendant quelques secondes,
l’éblouissement fut tel que je crus subitement être devenu aveugle et
totalement dépendant de mes autres sens. Je mis un mot brusquement sur
ce que je vivais : du plaisir, oui c’est ça, c’était bien du plaisir. Le fait
d’être écouté, d’avoir transmis, d’avoir éclairé cette jeune fille et ces
nouveaux amis me procurait du plaisir sans même savoir comment je m’y
était pris.

Alphan, le jeune homme assis en face de moi, resté muet depuis le début
du repas, s’approcha et me toucha le bras :
- Béni soit celui qui donne, béni soit celui qui donne sans rien attendre
en retour.
Il me fit un clin d’œil et se dirigea vers l’assistance, s’inclina avec
déférence, puis se tournant vers Lola, se courba encore plus bas. Il me fit
enfin face et plongea ses yeux dans les miens avec une vigueur inattendue.
Un rayon d’énergie immatérielle irrigua mon esprit avec les images d’un
jeune enfant blond aux yeux bleu. Il me dit mystérieusement :
- Mon frère n’est pas celui qu’il croit être. . . Le moment venu, tu me
reverras, et alors tu te souviendras. . .
Il me saisit élégamment les mains et les porta à sa bouche, fit trois pas en
direction des arbres avant de s’évanouir sans s’être retourné, disparaissant
AUX BALCONS DU CIEL 103
LE SOUFFLE DES ANGES

comme une brume sous le soleil de midi. J’aurais aimé lui en demander
plus, savoir ce qu’il voulait dire, mais « mon Ange » me suggéra de ne pas
me perdre en conjectures, mieux valait attendre le moment de comprendre.

Ému par la tournure de ce repas, les mots sont dérisoires pour décrire mes
sentiments d’alors. Cet accueil spontané, ce partage, ces gens riant et
prenant du plaisir, s’amusant, pardonnant et remerciant avec le cœur.
C’était si différent de tout ce que j’avais connu jusqu’alors, sauf peut-être
en présence de grand-mère. Elle devait s’être égarée sur Terre.

Le pique-nique se termina aimablement. Au fur et à mesure les convives se


levaient, et bénissaient l’assemblée avant de prendre congé. J’avais droit à
ma part de louanges silencieuses qui continuaient de me chauffer le cœur.
Décidément, cette nouvelle vie, qui par certains côtés n’était pas si
différente de l’ancienne, commençait au mieux. Lola fut la dernière à se
lever. Gus et moi restâmes seuls assis sur l’herbe :
- Je compte sur vous ce soir au Visiodôme. Je vais me reposer avant le
spectacle dit-elle.
Elle serra ses petites mains fraîches dans les miennes et prit congé comme
si Zéphyr avait disséminé sa structure moléculaire, éparpillant son image
résiduelle aux quatre vents.



Ce mâle et cette femelle sont le soufre et le mercure, l’agent et le patient,


le soleil et la lune,
le fixe et le volatil, la terre et l’eau ou le ciel et la terre contenus dans le
chaos des sages qui est leur sujet primitif dans lequel ils sont conjoints
ensemble naturellement, avant que l’artiste y ait mis les mains. Mais, s’il
en veut faire quelque chose, il est nécessaire qu’il les sépare, qu’il les
purifie et qu’ensuite il les réunisse d’un lien plus fort que celui que la
nature leur avait donné. Et ainsi, d’un il fait deux et de deux, un, et par ce
moyen, il est composé un chaos artificiel d’où sortent de suite les miracles
du monde ou de l’art.

AUX BALCONS DU CIEL 104


LE SOUFFLE DES ANGES

LE PSAUTIER D’HERMOPHILE
J.P. Joubert de la Salette - 1754.
Quand le Soleil rencontre la Lune

«Depuis que l’Amour me tient à la torture, il verse dans mon sein


l’absinthe toute pure »
François René Chateaubriand : L’Amour coupé en deux.

Il me faut vous décrire Angéla, essayer de vous narrer sa beauté. Elle n’est
pas sur son visage d’ange ou dans ses yeux de biche aux cils d’une infinie
longueur. Pas non plus dans ses cheveux de sirène soyeux et brillants, ni
même dans sa bouche aux lèvres douces et pulpeuses qui donnent envie de
l’embrasser. Pas plus dans ses formes avantageuses, ses longues jambes et
ses seins généreux, ou dans sa façon de s’habiller. Non, sa beauté
s’entrevoit, pour qui sait voir, dans l’immensité de ses yeux s’ouvrant sur
un insondable ciel d’Amour. . .

Bon, je vous l’accorde, je ne suis pas totalement objectif. Essayons d’en


rester au niveau des apparences. Ses yeux baignés par une eau soyeuse sont
bleu clair, alors que ses pupilles semblent d’un bleu très foncé. Des
filaments plus clairs, parfaitement dessinés, auréolent son iris d’un
mandala de formes compliquées. Une large mèche de cheveux noirs lui
barre le front tandis que le reste de sa longue chevelure a la blancheur et
l’éclat des neiges éternelles. Ils cascadent et ruissellent, la couvrant d’un
mystérieux voile de princesse des glaces. Elle les rejette en arrière avec
élégance dans un mouvement longuement répété, révélant un visage à la
parfaite lumière, ciselé par les mains inspirées par un Michel-Ange céleste.

Nous sommes très exactement de la même taille et, comme moi, sa peau
est douce et veloutée. Son buste et son corps forment un tronc robuste, sur
lequel ont poussé des extensions sacrées, bras et jambes fuselés couronnés
de divins attributs, des mains et des pieds si délicats, si magnifiques,
uniquement destinés à brasser et fouler la matière pour en extraire toute la
quintessence de l’expérience. . .

AUX BALCONS DU CIEL 105


LE SOUFFLE DES ANGES

Je crains que mes sentiments pour ma Reine ne m’empêchent à jamais


d’avoir la sobriété nécessaire à l’évocation de son souvenir. Même en
l’absence de complaisance, me remémorer Angéla, c’est comme la
réveiller en moi, car il m’est impossible d’occulter ce que je sais d’elle
aujourd’hui.

Pour faire simple, c’est une femme, du moins presque puisqu’elle n’a pas
tout à fait dix-neuf ans. Physiquement, cependant, c’est le parfait archétype
de la femme dans toute sa splendeur, incroyablement gracieuse, lucide et
envoûtante. . . Dès le premier regard, tout comme chacun, je n’ai pu
m’empêcher de la trouver désirable, malgré une indéfinissable
exaspération. Cette mèche noire, alors que la mienne est blanche et de
multiples autres coïncidences. Ce visage trop parfait, et puis ce maintien, et
cette façon de vous déshabiller l’Âme, même sa voix me filait des frissons.
Je n’arrivais pas à définir ce sentiment d’agacement, à décider si en fin de
compte je la détestais ou je l’adorais ? Bien évidement, les réponses sont
venues très vite, et ce qui m’était encore caché s’éclaira bientôt à la
lumière de l’expérience.

Afin de faciliter notre acclimatation dans cette nouvelle vibration, Gus


m’avait appris que je serai regroupé avec d’autres arrivants sur la base de
nos affinités mentales et similitudes culturelles. Mais ce que j’appris
d’Angéla frisait carrément le plagiat, jugez donc par vous-même : Angéla
Robinson, incarnée le trente octobre mille neuf cent quatre-vingt-onze à
trois heures trente trois précise du matin. Extraite le trente et un octobre
deux mille neuf, à vingt deux heures trente trois. C’était très exactement
mes dates à moi, nous étions nés et morts dans le même instant ! Une telle
concordance, j’en avais le cerveau en ébullition, j’étais fort impatient de
rencontrer ce phénomène. Notre première rencontre fut en tout point
mémorable, aujourd’hui encore, rien que d’y penser j’en ai le poil qui se
hérisse, attendez donc d’entendre ça. . .

Gus fit disparaître les reliefs du repas en renvoyant à l’indifférenciée


l’ensemble de ce qui l’avait composé ainsi que la nappe. L’herbe se
redressa dans un murmure pour reprendre la fraîcheur et la netteté du
AUX BALCONS DU CIEL 106
LE SOUFFLE DES ANGES

premier jour. Je crois que je ne me lasserais jamais de cette capacité, que


dis-je, de cette magie qui nous permet de matérialiser tous les objets dont
nous avons besoin et de les faire ensuite disparaître comme de brillants
illusionnistes. Utiliser ces particules de matière-esprit comme support à
notre conscience donne l’impression d’être plus qu’humains. Bien
qu’impalpables, elles sont partout et dansent de vie. Notre esprit, tel un
bon petit créateur, se prête à les mettre en forme pour en faire jaillir des
choses bien vivantes.

Tendrement, Gus me regardait perdu dans mes pensées et me demanda :


- Aimerais-tu découvrir ton espace personnel et te reposer avant ce soir ?
Je n’étais pas fatigué physiquement, seul mon cerveau réclamait une trêve
dans le flot d’informations qu’il absorbait depuis mon arrivée. En effet,
telle une éponge, mon esprit avait goûté et ingurgité tout ce qu’il y avait à
ressentir, à voir et entendre de ce monde extraordinaire. En fait, sans m’en
rendre compte, il avait engrangé bien plus d’informations que je ne
pourrais jamais l’imaginer.

- Je trouve que tu te débrouilles très bien, Alex. À peine arrivé, te voilà


déjà l’invité d’honneur de Dame Lola. Sois-en certain, c’est un immense
honneur. Tout comme Constance ta grand-mère, c’est une immense
vedette et ses créations sont appréciées de tous, tu comprendras ce soir.
J’allais poser des questions sur ce que nous allions voir et comment tout
cela allait se passer, mais Gus m’interrompit en mettant un doigt sur mes
lèvres avec une surprenante facilité.
- Patience, chaque chose a bien plus de valeur si tu en fais toi-même la
découverte.
Sa promesse était astucieuse, mais mon âme d’enfant ne pouvait se
contenter d’attendre, il lui fallait trouver absolument quelque chose à
donner en pâture à sa frustration. Alors, Saint Gus vint à notre secours.

Préfères-tu faire une sieste ici, marcher un peu ou te transporter jusqu’à ta


nouvelle résidence ?
- Oh oui génial. Transportons-nous, ce sera bien plus drôle.

AUX BALCONS DU CIEL 107


LE SOUFFLE DES ANGES

Et voilà, comme avec les enfants, trois petites propositions, adieu la


frustration et bonjour la décision. La vie est si simple pour celui qui
s’amuse de tout et fait le choix d’avancer sans jamais se heurter de rien. . .

- Pendant quelque temps tu résideras chez Sybèle, c’est une sorte d’hôtel
où il y aura toujours quelqu’un pour t’aider si tu en fais la demande. Tu
rencontreras de nouveaux arrivants comme toi, et vous apprendrez à vivre
ensemble et à utiliser ce qui vous entoure. Faites vos propres expériences
et soutenez-vous mutuellement comme des frères. La seule chose que vous
ayez à faire est de prendre soin des uns des autres comme une véritable
famille. Vous êtes peu dans ce groupe car vous êtes de vielles âmes et
grandissez ensemble depuis fort longtemps. . .
- Quoi. Je les connais ! m’étranglai-je.
À peine avais-je lâché mon trop plein de surprise que mille questions se
précipitaient déjà sur ma langue, formant un inextricable embouteillage.
Gus avait par contre parfaitement entendu le teneur de mes pensées et se
mettait déjà à sourire.
- Oui, bien entendu, vous vous connaissez très bien, mais tu ne t’en
souviens pas encore.
- Qu’est quoi ce délire ?
- Pour faire simple, mais je sais déjà que cela ne va pas te plaire, disons
que c’est le jeu auquel vous êtes en train de participer. Se rappeler.
- Se rappeler. Mais de quoi ? Hurlai-je !
- De toi. Alex, simplement de toi. . .

Je savais déjà qu’il n’en dirait pas plus ou que ses explications ne
mèneraient qu’à de nouvelles questions et finalement à une impasse. Gus
rit de ma lucidité avec circonspection :
- La seule intention à cultiver, c’est d’être TOI. Te souvenir et redevenir
de ce que tu es. Il n’y à rien d’autre. Ensuite tu feras les choix qui seront en
harmonie avec tes aspirations. Souviens-toi bien, l’harmonie, c’est une clé.
..

Installe-toi chez Sybèle, par la suite il te sera attribué une zone personnelle,
tu pourras l’aménager comme bon te semblera. Toutefois, pour l’instant tu
AUX BALCONS DU CIEL 108
LE SOUFFLE DES ANGES

ne pourras rien modifier, le champ vibratoire est maintenu très bas pour
éviter les bêtises des apprentis sages. Approche-toi, nous allons nous
transporter directement sur place.

Je n’eus même pas le temps de laisser poindre la moindre interrogation que


nous étions déjà dans une sorte de hall d’hôtel totalement vide, quand
brusquement une violente lumière se manifesta. Elle était bien trop
brillante pour que je puisse la regarder en face. Malgré mes paupières
fermées et de mes bras levés pour tenter de contenir le puissant
éblouissement, je me mis à discerner à l’intérieur de celui-ci une forme
dont la clameur lumineuse était bien plus retentissante. Rapidement
l’intensité baissa pour redevenir acceptable, me révélant une tout autre
réalité. Ce n’était pas de la lumière, mais une femme ! Une femme de
lumière qui venait d’apparaître dans la pièce. Elle devint légèrement
transparente comme un hologramme puis se matérialisa enfin. Cette
femme si belle et éblouissante, c’était évidemment Sybèle.

Il n’y a qu’un mot à dire, bouleversante ! Elle se présentait telle une déesse
à son peuple, couronnée d’un diadème d’étoiles de sagesse plus brillantes
que des soleils. Éclatante d’aménité dans sa robe de bienveillance, il
émanait de sa présence une puissance transcendée d’unité et d’équilibre.
Ma première idée fut : un rayon ! Sa lumière intérieure pulsait sur une
fréquence incroyablement rapide qui nous caressait de ses attentions, au
point d’en être totalement subjugués. Il se dégageait de cette apparition un
sentiment très éloigné d’une quelconque empathie ou sympathie à mon
égard, elle respirait simplement l’Amour, un Amour pur et absolu,
impossible à imaginer et qui pourtant me semblait si familier. Sa
ressemblance avec Marie, la Vierge des catholiques, était troublante. Je
n’étais pas un spécialiste, mais je reconnaissais fort bien le petit santon que
grand-mère mettait dans la crèche à Noël. Elle était vêtue d’une longue
toge blanche ne laissant que le bout de ses pieds nus dépasser, recouverte
par une cape d’un bleu lumineux, presque poudré, entièrement recouverte
d’étoiles brillantes. Je ne pouvais voir son corps, si ça se trouve elle aurait
pu être n’importe quelle femme. Son visage ne dévoilait aucune émotion
mais évoquait néanmoins une infinie bonté. Il était entouré d’un voile
AUX BALCONS DU CIEL 109
LE SOUFFLE DES ANGES

arachnéen qui lui couvrait les cheveux, délicatement fermé sous son
menton. Son apparence était d’une sidérante simplicité et pourtant sa
transcendante majesté intérieure m’affligeait d’une stigmatisante félicité.
Son aura me fit baisser les yeux respectueusement et m’incliner, il m’eût
été impossible de ne pas me soumettre totalement au pouvoir captivant de
cet être flamboyant. . .

Gus dit avec une dévotion que je ne lui connaissais pas encore :
- Madame, j’amène Alex.
- Mon bon Gus, que serions-nous sans toi ? Répondit-elle avec une voix
céleste. « Alors ? N’était-ce pas une excellente mission dont tu t’es chargé
à merveille. Quatre ! Ce qui est dangereux rend les anges heureux, regarde
comme tu brilles, l’admira-t-elle. Tu dois avoir besoin de te retrouver seul
avec toi-même, n’est-ce pas ?
Il acquiesça en rosissant.
- Toi qui détestes aller sur la Terre.
- Ce n’est pas la Terre que je déteste, Madame, mais ce qu’on y fait.
- C’est vrai, mon bon Gus, nul autre que toi aime plus la Terre.

Je ne comprenais rien, de quoi parlaient-ils ? Quatre ? Quatre quoi ?


Pourquoi Gus ne pouvait détester la Terre, alors que visiblement il n’y
prenait aucun plaisir ? Gus avait besoin d’un break. Et moi alors. Pour
l’instant, c’était cette femme qui retenait toute mon attention. Quelle
étonnante apparition ! J’avais bien compris que les personnes de ce monde
changeaient d’apparence comme de chemise, et qu’elles étaient souvent
bien différentes de ce qu’elles montraient, mais là ! Cette femme était d’un
tel naturel, qu’elle ne pouvait avoir d’autre apparence que celle-là. L’habit
ne fait pas le moine, cette sagesse populaire prenait soudain un sens qui
m’avaient jusqu’alors échappé. Mes convictions étaient bien éloignées de
celles de la Bible et d’une quelconque Divinité ou de ses attributs.
Pourtant, en cet instant, je n’avais aucun doute sur le fait que cette femme
soit très certainement une véritable sainte.

Sybèle interrompit mon raisonnement pour me dire mentalement :

AUX BALCONS DU CIEL 110


LE SOUFFLE DES ANGES

- Ne te fie pas à ce que tu sais ou crois savoir. Je suis un esprit façonné


par la dévotion et la foi de milliard d’êtres. Tout comme toi, je donne corps
à un héros, c’est notre rôle ici. Mais sur un autre plan spirituel, nous
accomplissons bien autre chose. En ce moment, ton esprit voit uniquement
ce qu’il peut comprendre. Pour le reste, il se démène pour t’aider à
concevoir, il symbolise. Recueille-toi et fie-toi plus à ton cœur qu’à ta tête,
tu verras les choses par-delà les apparences et tu comprendras que tu es
« l’Unique ». J’ai imaginé cet endroit pour toi et tes frères d’âme, tu les
rencontreras bientôt. Accomplissez ensemble ce qui doit être accompli,
devenez la vie. . .

Je restai un long moment sans rien dire ni penser. Elle venait de jeter une
pierre dans l’insondable de mon âme, et son message continuait de générer
de puissantes vagues et ajustements qui mettaient à bas mes dernières
tentatives pour comprendre. « Ce sera mon travail, créer ma vie ! »
- Tu peux l’appeler travail si cela t’enchante. Je préfère y voir une quête,
un poème qui peut encore être amélioré, une gracieuse révérence à La
Source. . .

J’étais perplexe et en même temps ne pouvais que m’enflammer, touché


par l’étincelle et l’enthousiasme de ses mots. Une partie étrangement
lucide de ma personne observait Gus. Il était particulièrement attentif et
curieusement semblait concerné par ce qui venait d’être dit. Il avait même
dressé un sourcil sur le mot « Unique », qui dans la bouche de cette femme
paraissait bien éloigné d’une banale figure de style.

Elle continua, répondant à mes questions qu’elle avait parfaitement


entendues :
- Gus est effectivement ton premier compagnon, vous êtes cinq. Je ne
t’en dirai pas plus, à toi le plaisir de soulever le voile, à toi d’effacer
l’illusion.

Je regardai Gus avec son drôle d’accoutrement. Au ciel, il faisait encore


plus décalé que sur terre. Je pensai aussi à Lola, petite fille fragile et en
même temps artiste renommée parlant comme une Reine de Saba. Et
AUX BALCONS DU CIEL 111
LE SOUFFLE DES ANGES

maintenant, il y avait cette femme, brillante comme l’immaculée


conception. Je devais de toute urgence prendre du recul sur l’apparence et
les préoccupations des habitants de ce monde, si éloignées de celles de la
Terre. Qu’avais-je à trouver ? C’est quoi « l’Unique » ? Ces bruyantes
questions tourbillonnaient dans ma tête.

- Cesse de penser, coupe ton mental.


Cette injonction bloqua instantanément mon vacarme intérieur. Elle reprit :
- Chaque réponse vient à son heure, apprends la patience, même si je
sais que ce n’est pas ton fort. Sois indulgent, écoute, observe et ressens,
garde ton cœur bien ouvert et ton esprit dans la lumière, tu trouveras ton
chemin car la vie t’aide déjà, comme elle l’a toujours fait, semant des
indices qu’il ne tient qu’à toi de prendre pour des réponses. Ouvre ton
esprit aux mots que tu entends, aux images que tu vois, à la nature et à ce
que tu portes en toi. Les réponses sont partout pour celui qui ne demande
rien. . . »

Se dressant sur les orteils pour mieux voir quelque chose derrière nous,
elle dit d’une voix douce :
- Voici ta première réponse.
En disant cela, comme une mère, elle se mit à irradier d’un inconditionnel
Amour pour sa progéniture, se réjouissant de pouvoir lui donner dans
l’instant ce qu’il réclamait à cœur et à cris. « Tourne-toi », me dit-elle avec
un sourire et les yeux remplis de tendresse. . . Chaviré par tant d’attention
et d’affection, je me détournai avec regret de ce brasier qui me réchauffait
de ses savoureuses caresses.

La surprise me sortit les yeux de la tête, façon de parler. Un deuxième Gus


était parmi nous ! Il s’avançait, sourire aux lèvres. Je fis un aller-retour
visuel entre les deux clones, la ressemblance était parfaite, jusqu’au
moindre détail. Ce deuxième clown de Gus était accompagné d’une petite
fille frêle comme un moineau. Chaussée de minuscules escarpins hauts
comme des échasses, elle semblait tout aussi effarée de rencontrer le
jumeau de son guide. Soudain, un troisième, suivi presque aussitôt d’un
quatrième Gus arrivèrent et se rentrèrent dedans en tentant de pénétrer en
AUX BALCONS DU CIEL 112
LE SOUFFLE DES ANGES

même temps par la porte.


- Pardonnez-moi, monsieur. Dirent-ils dans un parfait synchronisme.
Ils se firent des politesses pour passer, comme l’auraient fait les
Dupont-Dupond d’Hergé, jusqu’à ce que Gus s’exclame sur un ton agacé :
- Ce n’est pas bientôt fini, messieurs !

L’enfant et moi étions médusés. Cette soudaine profusion de Gus


narguaient notre bon sens. En même temps, cela me rassurait, je n’étais pas
le seul à qui l’esprit jouait des tours. Les trois fauteurs de trouble se
rassemblèrent autour de mon Gus, qui dit dans sa barbe en fermant les
yeux : « Unification ». En une fraction de seconde les doubles se
désagrégèrent dans un halo éthéré de particules lumineuses, elles restèrent
à flotter un moment avant d’être brusquement aspirés par le seul Gus resté
visible, celui qui avait amené la petite demoiselle.

- Quel est encore ce prodige ? Dis-je involontairement à haute voix.


- C’est le moyen d’être à plusieurs endroits à la fois, répondit Sybèle.
Rassure-toi, tu sais aussi très bien le faire. Elle se tourna vers la jeune fille
et lui dit dans un soupire : « Bienvenue à la maison, Ishtar. Tout mon être
espérait ce moment depuis l’instant de ton départ. »

Ishtar lui rendit son sourire, et eut soudain une sorte de déclic intérieur qui
libéra un torrent de mémoire. Un instant déconcertée, elle se remit à
sourire et éclata brusquement d’un rire franc et sonore de fillette. Dans un
geste spontané, elle tendit les bras et matérialisa dans une gerbe d’étoiles
pétillantes un somptueux bouquet de roses rouges et blanches, dont le
parfum emplit instantanément la pièce, l’embaumant de fragrances à
damner un parfumeur italien. Sybèle pris délicatement le bouquet et lui
dit :
- Tu leur as manqué mon enfant, elles t’attendaient en soupirant chaque
jour un peu plus fort, file comme le vent ma fille, j’ai gardé le secret de ton
retour.

S’adressant de nouveau à nous en désignant un couloir du regard :

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LE SOUFFLE DES ANGES

- Installez-vous, les espaces sans nom sur les portes sont disponibles.
Choisissez-en un et mettez-vous à l’aise. Vous saurez intuitivement utiliser
les diverses commodités qui ressemblent à celles que vous connaissez déjà.
Gus passera vous voir plus tard. Alex, pour ce soir, change-toi si tu le veux
bien. C’est un immense privilège que d’être l’invité d’honneur au
Visiodôme. Tu comprendras bientôt ce que cela représente dans ce monde
sans punitions ni récompenses. La reconnaissance est un mérite
incomparable.
Elle m’en propulsa une onde qui me fit chanceler intérieurement. Je fus
touché par ce don presque physique jusqu’au plus profond de mon âme.
Mes yeux se refermèrent sur la sensation, cherchant à la préserver le plus
longtemps possible.

Ici, les gens savent remercier, cela ne fait aucun doute. Le plus étonnant est
que cela semble pourtant inutile, tout est si facile à obtenir, disponible d’un
simple claquement de doigts.
- C’est vrai Alex, dans ce monde où tout est accessible, tu comprendras
vite que la reconnaissance, l’attention, l’affection ou l’Amour ne
s’obtiennent pas d’un simple claquement de doigts, il faut d’abord faire. . .
Donne sans compter et tu recevras, c’est un des plus grands principes de
l’Univers. Alors, donne-toi à la Vie et crois-moi, elle te le rendra au
centuple.

Sybèle venait de disparaître, laissant la fin de sa phrase dans l’air et la


mémoire de son passage continuer d’illuminer l’endroit à jamais. Je restai
avec une forte envie de poser des questions, d’obtenir des explications,
mais une voix féminine intérieure me dit : « Découvre seul, c’est bien plus
passionnant. . . »

Gus était toujours en un seul morceau et se manifesta. Je le regardais en


coin, m’attendant à je ne sais quelle nouvelle invraisemblance de sa part.
Un maximum de calme ne serait pas volé après pareille journée où j’avais
vécu des choses toutes plus dingues les unes que les autres. J’accepterais
volontiers de faire un break. Toutefois, j’étais loin d’être au bout de mes
surprises.
AUX BALCONS DU CIEL 114
LE SOUFFLE DES ANGES

Il dit à Ishtar qui avait l’air tout aussi pressée d’en finir que moi, mais pour
d’autres raisons :
- Choisis un espace, tu pourras pénétrer dans tous ceux qui n’ont pas de
nom sur la porte. Il suffit de se mettre devant l’entrée, une seule personne à
la fois, pour que cela s’ouvre. Sybèle passera te voir dans un moment.
Alex, pareil pour toi. Il est impossible de pénétrer dans les espaces déjà
attribués sans l’accord de leurs occupants. Alors choisis-en un de libre, je
passe te chercher plus tard.
Faisant mine de s’en aller, il se retourna et ajouta :
- Ah oui, pour les vêtements. Place-toi devant le miroir et dit lui :
Visiodôme, invité d’honneur de Dame Lola. La tenue adéquate apparaîtra.
- C’est tout ! ! ! Dis-je, stupéfait par la simplicité du procédé.
- Pourquoi, ton amour propre préférerait que ce soit plus compliqué ?
Me glissa-t-il en me faisant un clin d’œil moqueur.

Il fit demi-tour et sortit du hall, nous laissant, Ishtar et moi à l’entrée d’un
long couloir. Nos regards se croisèrent, ce qui me permit de l’observer plus
en détail. Ses yeux en amande dégageaient une étonnante maturité. Ils
étaient presque aussi noirs que ses cheveux parfaitement brossés qui
luisaient dans la clarté. Son visage que le soleil avait abondement caressé
était aussi délicat qu’une fleur éphémère du désert. Son corps était celui
d’une enfant qui s’économise, à qui une olive et un verre d’eau suffisent.
Elle n’avait pas l’air timide, ni tellement surprise d’être là.
- Ça va aller ?
- Oui, que peut-il m’arriver maintenant que je suis morte ? Dit-elle avec
sa petite voix sur un ton enjoué, ce qui nous fit pouffer de rire.

Le couloir était identique à celui d’un petit hôtel coquet de province et


desservait six chambres. Certains emplacements étaient figurés par des
portes en bois épais, alors que d’autres n’étaient que des encadrements
semblables à de vieux miroirs piqués. En passant devant, on se mirait en
faisant apparaître des formes improbables, comme dans les glaces
déformantes des foires. Sur trois portes dans mon champ de vision, je
pouvais voir deux prénoms sculptés dans le bois : « ENKI » et « GUS ».
AUX BALCONS DU CIEL 115
LE SOUFFLE DES ANGES

Gus vivait donc ici. Décidément cet hôtel présageait des surprises.
L’avenir me démontra que j’étais loin du compte en la matière. Un premier
espace lumineux s’offrait à nous. Je dis en me tournant vers Ishtar :
- Tu veux essayer celui-là ?
Elle acquiesça du menton et se positionna devant la porte.

Sa silhouette se réfléchissait dans une altération lente et scintillante,


comme si quelqu’un à l’intérieur essayait de faire le point pour capter son
reflet. Je pouvais me voir en tout petit en bas de la porte, mon image se
tordait un instant pour l’instant d’après disparaître et se fondre dans celle
d’Ishtar. Il ne se passait rien, la porte restait close et s’était mise à émettre
des piaillements dignes d’une portée de chatons qui s’amusent. C’était
bougrement oppressant.

- Gus a dit, un seul à la fois. Tu es trop près, se souvint-elle.

Je fis un pas de côté et l’image se stabilisa enfin sur Ishtar. La porte


semblait réfléchir, le comble pour un miroir, à ce qu’il convenait de faire.
Un conciliabule s’engagea à l’intérieur, comme s’il convenait de répondre
à une unique interrogation, ouvrir ou ne pas ouvrir ? Il était clair que
c’était bien la porte qui choisissait de vous accueillir. Gus me raconta plus
tard qu’un jour une femme avait dû quitter l’hôtel car aucune porte ne
voulait d’elle. Soudain, la nôtre se matérialisa. En quelques secondes, un
panneau de bois bien solide apparut. Le nom d’Ishtar s’inscrivit en lettres
scintillantes de toute la magie qui venait de les faire surgir. Elle s’ouvrit
lentement pour nous dévoiler un vaste salon jardin aux couleurs apaisantes
d’où s’élevait le clapotis cristallin d’une fontaine. Des senteurs enivrantes
de fleurs, de matières végétales et minérales s’invitèrent jusque dans le
couloir, me faisant presque regretter que ce ne fût pas mon chez moi.

- Ouah, c’est chouette ! Dis-je, stupéfait par les merveilles qui


s’offraient à mon regard. « Dis donc, on ne se fiche pas de nous, c’est un
vrai palace. »

AUX BALCONS DU CIEL 116


LE SOUFFLE DES ANGES

- Pourquoi, tu aurais préféré une étable. Répliqua-t-elle en mimant Gus


quelques instants auparavant.

Nous pouffâmes à nouveau de rire avant qu’elle entre enfin dans son
Paradis personnel. De sa démarche de princesse enfant, elle s’aventura
avec confiance dans son nouveau royaume. La porte se referma sur cette
vision de l’innocence, me laissant seul et rêveur dans un couloir soudain
bien vide et impersonnel.

Me reprenant en main, disons plutôt en esprit, j’inspectai les alentours. Sur


une porte juste à côté de celle désormais d’Ishtar, le nom d’Alex luisait
inscrit en lettres d’or. « Super !» me dis-je en me plaçant devant, « Il y a
déjà la mienne. »

Elle s’ouvrit sur un espace différent bien que tout aussi formidable que
celui de la petite princesse des fleurs. À un détail près quand même, une
belle jeune femme, entièrement nue, véritable Vénus sans pudeur, se
brossait les cheveux face à une psyché. Celle-ci reflétait un corps sublime
aux seins dressés. Des cheveux opalins barrés d’une mèche noire
cascadaient sur ses épaules dans un torrent de blancheur.
« Ce n’est quand même pas un cadeau d’accueil », me dis-je en pensant à
un reportage que j’avais vu sur des firmes offrant une call-girl à leurs
meilleurs cadres ou clients. Cette pensée, comme si elle avait été entendue,
déclencha une tempête inattendue. La jeune femme m’aperçut dans le
reflet et instinctivement sursauta en poussant un cri suraigu qui me fit
bondir de surprise.

- Tu me prends pour une call-girl ! Vociféra-t-elle. Qu’est-ce que tu fais


chez moi, comment es-tu rentré ? Tu utilises ton pouvoir pour mater les
filles ! Pervers, minable, attends un peu. . .

Ses invectives semblaient ne jamais devoir cesser. Harcelé, cloué par les
avanies, je n’arrivais à esquisser ni fournir la moindre explication. Cette
fille était une véritable furie. Elle avait récupéré une grande serviette qui
venait de se matérialiser sous mes yeux et dont elle se parait comme une
AUX BALCONS DU CIEL 117
LE SOUFFLE DES ANGES

reine bafouée. Armée de sa rage, les yeux plein d’éclairs, elle avançait vers
moi l’air menaçant.

- Ma..., made..., Mademoiselle, arrivai-je à placer. « La porte, le nom,


elle s’est ouverte, je n’y comprends rien, je viens juste d’arriver et je n’ai
pas de pouvoir », bafouillais-je lamentablement.

Ma mine contrite et sincère dut jouer en ma faveur car, contre toute attente,
l’attitude de la jeune femme se radoucit.
- Que fais-tu là ?
- Ben, j’essaye de renter chez moi. La porte, il y avait mon nom, je me
suis mis devant comme Gus l’avait dit et elle s’est ouverte. Il doit y avoir
un bug dans leur système.
Mon explication la calma et effaça d’un coup le masque de fureur qui la
dénaturait. De près, elle était encore plus désirable que dans son miroir.

- C’est étrange, dit-elle, je ne suis là que depuis ce matin et l’espace était


libre quand je suis arrivée.
- C’est peut-être un coup de Gus.
- Ah, tu connais Gus.
- Connaître ! C’est beaucoup dire, repensant à l’expérience du hall avec
ses clones. Disons que je suis mort ce matin et que c’est lui qui m’a amené
ici.
- Moi aussi, je suis arrivée avec Gus ce matin, répondit-elle, rengainant
les deux arbalètes prêtes à me transpercer qu’elle avait au fond des yeux,
pour les remplacer par du velours.

C’était vraiment une fille exceptionnelle et le souvenir de son corps nu,


malgré tous mes efforts, surfait par-dessus mon esprit.
- Je te vois et je t’entends ! Dit-elle vivement, avec toutefois bien moins
de conviction que la première fois. La gêne, ou peut-être la fierté la fit
rosir.
- Heu. . . Je vais y aller. Répondis-je en bégayant, confus d’avoir été
démasqué, sans pour autant regretter mes pensées.

AUX BALCONS DU CIEL 118


LE SOUFFLE DES ANGES

Je fis demi-tour pour me retrouver face à la porte restée ouverte, esquivant


ainsi la couleur rouge brique qu’avait pris mon visage, quant elle ajouta sur
un ton lénifié :
- Moi, c’est Angéla, et toi ?
Je lançai sans me retourner, faisant un pas vers la sortie : « Alex, Alex
Church ».
- C’est mignon ça. . . Ajouta-t-elle sur un ton connaisseur, sans que je
sache si elle parlait de mon prénom ou de ma silhouette qui se profilait
dans ouverture. « Alors, à bientôt, Alex ! »

La porte refermée, de nouveau dans le couloir, je soufflais comme si je


venais d’échapper à un dangereux prédateur. La porte affichait cette fois-ci
le nom d’Angéla et j’entendais s’en échapper de petits rires canailles qui
me firent pester : « C’est malin », comme s’il s’agissait d’enfants venant
de casser ma cabane.

Ce Ciel ne cesserait donc jamais de me surprendre. Ma petite voix


intérieure me murmura que ce n’était cependant que le premier jour d’une
longue vie à venir d’étonnements et de ravissements.

La porte suivante m’accepta avec un peu plus d’égards qu’avait eu Angéla,


elle paraissait même soulagée de m’accueillir enfin. C’était un espace
encore différent de ceux que j’avais entrevus lors de mes dernières
péripéties, à croire que chacun possède sa propre vision du Paradis. Le
mien était tout aussi merveilleux et plein de promesses, je jetai néanmoins
un œil suspicieux avant d’entrer, juste au cas où une autre folle m’aurait
attendu. Rien, vide, nulle autre âme que la mienne.

Bon, pour le moment c’était encore un endroit inconnu, mais je comptais


bien le conquérir au plus vite. Ma première victoire serait de prendre une
douche. Angéla avait semble-t-il eu la même idée que moi. Le souvenir de
notre rencontre, que dis-je, de notre emboutissage, m’avait profondément
marqué, bien plus que je voulais bien me l’avouer. Je gardais un curieux
mélange dans mon cœur, l’envoûtant souvenir de son corps radieux et une
appréhension devant l’attitude et la manière avec laquelle elle s’était
AUX BALCONS DU CIEL 119
LE SOUFFLE DES ANGES

dressée contre moi toutes griffes dehors. Je ne vous raconte pas l’ascenseur
émotionnel ! Elle avait été surprise, d’accord, mais moi aussi. Comment
m’avait-elle parlé ! Pervers, minable, et ce regard avec ça, une vraie
mangeuse d’hommes. Rien que d’y penser j’en avais encore le poil tout
hérissé et une folle envie d’éclater de rire. Mon amour propre venait d’en
prendre un sacré coup et, malgré ça, je ne pouvais me départir de cette
hilarité intérieure. Je me dis à haute voix pour rompre le charme : « Allez,
une bonne douche », sachant déjà que je ne débarrasserais pas aussi
facilement mon esprit d’un si beau brin de femme.



Table des matières


AUX BALCONS DU CIEL 1
Prologue 3
Un billet pour le Ciel. 4
Petit moineau rentre au nid 14
Un ascenseur pour le Paradis 17
Angéla for Ever 24
Une simple question d’équilibre 34
Au cœur de l’essentiel 39
Agapes célestes 51
Quand le Soleil rencontre la Lune 62
Mon espace de vie au ciel 71
Le jardin d’Ishtar 86
Whatever Lola Want’s, Lola’s get 93
Soirée au Visiodôme 97
Rencontre céleste 104
GUS et ENKI ! Tout un poème 119
Réveil de l’Amour 125
Chroniques spirites 141
« Oui » à la Vie 158
Si tu voyais nos vies ! 164
Et si tu changeais pour voir 175
AUX BALCONS DU CIEL 120
LE SOUFFLE DES ANGES

La chute de l’Ange 186


La saison des miracles 191
Escale au Canada 204
Lola fait son nid 214
Constance & Paul 218
Le Beau repaire de Lola 226
À l’école du Ciel 230
Lola devient star 243
Nos enfants ne sont pas ce qu’ils sont 250
Doigts de Fée pour un Ange 269
Alphan le prophète. 276
La nuit dernière au ciel 290
Les vraies gloires ne sont pas de ce monde 304
Être libre, ça s’apprend. 313
Renaissance 320

AUX BALCONS DU CIEL 121


PDF version Ebook ILV 1.4 (décembre 2010)

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