La Défenseure des droits juge que le ministère de l’Intérieur a injustement sanctionné le policier lanceur d’alerte qui a révélé les maltraitances au sein du tribunal de justice. Elle pointe au passage l’impunité dont ont bénéficié les mis en cause.
Original Title
Décision de la Défenseure des droits suite à la saisie de Monsieur Amar Benmohamed
La Défenseure des droits juge que le ministère de l’Intérieur a injustement sanctionné le policier lanceur d’alerte qui a révélé les maltraitances au sein du tribunal de justice. Elle pointe au passage l’impunité dont ont bénéficié les mis en cause.
La Défenseure des droits juge que le ministère de l’Intérieur a injustement sanctionné le policier lanceur d’alerte qui a révélé les maltraitances au sein du tribunal de justice. Elle pointe au passage l’impunité dont ont bénéficié les mis en cause.
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Défenseurdesdroits
$$ REFUBLIQUE FRANCAISE mm
La Défenseure des droits
12 DEC. 2022
Paris, le
‘A rappeler dans toute correspondance :
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Téléphone:
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Lettre recommandée avec accusé de réception (et copie par courriel)
Qbiet : Notification de decision
Maitre,
Vous mavez saisie pour votre client M_Amar BENMOHAMED,
ee qui a dénoncé notamment auprés:
de sa hiérarchie comme contraires a la déontologie les comportements de certains de ses
collegues a l'encontre des personnes placées dans les cellules du Dépdt entre 2017 et 2020.
Le réclamant fait état de plusieurs mesures défavorables, dont une sanction d'avertissement
adoptée le 4 janvier 2021 a son égard, a la suite de ses signalements d'une alerte.
L’enquéte diligentée par mes services a permis d'établir que M. BENMOHAMED a été victime
d'une mesure de représailles & la suite de ses signalements en méconnaissance notamment
de l'article 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires, applicable @ la date des faits, eu égard a la sanction davertissement dont il a
fait objet
Par suite, j'ai décidé d'adopter la décision n° 2022-227, dont vous trouverez ci-joint une copie,
portant observations devant la cour administrative d'appel de Paris conformément aux
dispositions de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011
Je vous prie d'agréer, Maitre, 'expression de toute ma considération.
Claire HEDOND
Défenseurdesdroits
— Rervgee Francaise ——
Paris,le 12 DEC. 2022
Décision du Défenseur des droits n°2022-227
La Défenseure des droits,
Vu l'article 71-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits ;
Vu le décret n* 2011-904 du 29 juillet 2011 relatif a la procédure applicable devant le
Défenseur des droits ;
Vu la Ici n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,
codifiée & compter du 1* mars 2022 dans le code général de la fonction publique ;
Wu le code de la sécurité intérieure
par_Monsieur_Amar_BENMOHAMED,
défavorables, dont une sanction d'avertissement adoptée le 4 janvier 2021 2 son égard, dont,
il estime avoir fait objet a la suite du signalement, notamment auprés de sa hiérarchie, du
comportement de certains de ses collégues, entre 2017 et 2020, a l'encontre des personnes
placées dans les cellules du Dépét, qu'il considérait comme contraires a la déontologie ;
Décide de présenter les observations suivantes devant la cour administrative d'appel de Paris
saisie par lintéressé.
Claire HEDONObservations en application de l'article 33 de la loi organique n° 2011-333
du 29 mars 2011
Le Défenseur des droits a été saisi par Monsieur Amar BENMOHAMED, i
i a dénoncé auprés de
sa hiérarchie, comme contraires 4 la déontologie, les comportements de certains de ses
collégues entre 2017 et 2020 a l'encontre des personnes placées dans les cellules du Depot.
UV soutient avoir tout d'abord informé sa hiérarchie des manquements précités au moyen de
‘comptes rendus oraux dés avril 2017. Ces signalements oraux auprés des responsabies de la
brigade ont été réitérés jusqu’a mars 2019. Il a également adressé des rapports écrits a sa
higrarchie,
Ses alertes portaient notamment sur des vols, des insultes a caractére raciste et homophobe,
des refus de soins et des privations d'eau et de nourriture a 'égard des personnes déférées.
I dénongait également les risques d’atteinte a la dignité que font peser les transferements
tardifs en maison d’arrét en raison des nouvelles missions de l'unité de traitement judiciaire et
de la réduction des effectifs.
Le réclamant indique qu’a la suite de ses signalements, il aurait fait lobjet de plusieurs
mesures défavorables, dont une sanction d’avertissement adoptée le 4 janvier 2021
Par un jugement du 30 juin 2021 (n° INN), le tribunal administratif de Paris a rejeté
‘son recours contre cette sanction en considérant que la sanction était sans lien avec lalerte.
Monsieur BENMOHAMED a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative
d'appel de Paris et c'est dans ce cadre que la Défenseure des droits souhaite présenter ses
observations.
Monsieur BENMOHAMED a également déposé plainte contre X le 29 juillet 2020 devant le
procureur de la République prés le tribunal judiciaire de Paris pour harcélement moral
En application de l'article 23 de la loi organique n° 2011-333 relative au Défenseur des droits,
ce dernier a demandé l'autorisation diinstruire la réclamation de Monsieur BENMOHAMED au
procureur de la République. La Défenseure des droits a obtenu l'autorisation diinstruire le 31
mars 2021.
\.Instruction par les services du Défenseur des droits
Le 22 septembre 2020, Monsieur BENMOHAMED a saisi par l'intermédiaire de son avocat le
Défenseur des droits au titre de sa mission de conseil, orientation et de protection des lanceurs
dalerte,
A ce titre, les services du Défenseur des droits ont engagé une instruction auprés du ministere
de lintérieur. Par courriers des 10 mai et 14 octobre 2021, les services du Défenseur des droits
ont demandé la communication des piéces et explications utiles a 'examen de la réclamation de
Monsieur BENMOHAMED.
Le ministére de lintérieur n'a pas répondu a ces couriers,Par un courrier du 28 juillet 2022, le Défenseur des droits a informé le ministére de l'intérieur qu'il
était susceptible de conclure a une violation des droits du réclamant a la suite de son signalement
d'une alerte, en récapitulant les éléments de faits et de droit dont il disposait,
Par courrier du 11 aodit 2022, le ministére de l'intérieur a répondu a ce courrier récapitulatif.
Dans sa réponse, le ministére soutient notamment que Monsieur BENMOHAMED n’a pas
exécuté intégralement et dans les temps ordre qui lui avait 68 donné par son supérieur et c'est
Pourquoi il a été sanctionné. Il ajoute quill a ainsi manqué a de nombreuses reprises a son devoir
de loyauté en n’exécutant pas avec diligence les ordres qui lui avaient été adressés et que la
sanction d'avertissement notamment adoptée a son égard était justifiée par des éléments
objectifs étrangers a sa déclaration ou a son témoignage auprés de sa hiérarchie. II n'y aurait
ainsi pas eu de méconnaissance des dispositions de l'article 6 fer A de la loi du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires.
Le Défenseur des droits n'a pas pu mener a bien Instruction @ temps pour présenter des
observations devant le tribunal administratif de Paris. La protection des lanceurs d’alerte
constituant un enjeu essentiel dans la vie démocratique contemporaine, ainsi qu'en témoigne
adoption de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant a améliorer la protection des lanceurs
dalerte, le Défenseur des droits souhaite présenter des observations devant la juridiction saisie
en appel dés lors que le jugement ha lui parait notamment méconnaitre les régles
d'aménagement de la charge de la preuve.
Anal)
En vertu du 5° de article 4 de la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur des droits est
chargé d'informer, de conseiller et d’orienter vers les autorités compétentes toute personne
signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi et de défendre les droits et libertés des
lanceurs d'alerte ainsi que des personnes protégées dans le cadre d'une procédure d’alerte
Larticle 6 ter A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, aujourd'hui repris larticle L. 136-4 du code
général de la fonction publique, dispose qu’ « Aucune mesure concernant notamment (...) la
discipline, (...) ne peut étre prise a 'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de
bonne foi, aux autorités judiciaires ou administratives de faits constitutifs d'un délit, d'un crime ou
susceptibles d’étre qualifiés de conflit dintéréts au sens du I de l'article 25 bis dont il aurait eu
connaissance dans I'exercice de ses fonctions /Aucun fonctionnaire ne peut étre sanctionné ou
faire 'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans
le respect des articles 6 a 8 de la loin” 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative a la transparence,
4 la lutte contre la corruption et & la modernisation de la vie économique./ Toute disposition ou
tout acte contraire est nul de plein droit ».
Selon article 25 de la loi du 13 juillet 1983 : « le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité,
impartialité, intégrité et probité (...) »
Aux termes de l'article 434-4 du code de la sécurité intérieure : « I. - Le policier ou le gendarme
porte sans délai a la connaissance de I'autorité hiérarchique tout fait survenu 4 occasion ou en
dehors du service, ayant entrainé ou susceptible d'entrainer sa convocation par une autorité de
police, juridictionnelle, ou de contréle. »
Diaprés l'article R. 434-5 du code de la sécurité intérieure : « |. Le policier ou le gendarme exécute
loyalement et fidélement les instructions et obeit de méme aux ordres quill recoit de 'autorité
investie du pouvoir hiérarchique, sauf dans le cas ou ordre donné est manifestement illégal et
de nature 4 compromettre gravement un intérét public. (...) Il. - Le policier ou le gendarme rend
2compte lautorité investie du pouvoir hiérarchique de l'exécution des ordres regus ou, le cas
échéant, des raisons de leur inexécution. Dans les actes quill rédige, les faits ou événements
sont relatés avec fidélité et précision. »
Selon Farticle R. 434-8 du méme code : « Soumis aux obligations du secret professionnel et au
devoir de discrétion, le policier ou le gendarme s'abstient de divulguer 4 quiconque n‘a nile droit,
ni le besoin den connaitre, sous quelque forme que ce soit, les informations dont il a
connaissance dans 'exercice ou au titre de ses fonctions. ».
Par suite, si tout fonctionnaire de police est tenu de respecter les obligations inhérentes a son
statut, il n'en demeure pas moins qu'il ne doit pas étre sanctionné pour avoir signalé une alerte,
* Sur la qualité de lanceur d’alerte de Monsieur BENMOHAMED :
Llarticle 6 de la loi n? 2016-1691 du 9 décembre 2016, dans sa version applicable a 'époque des
faits, définit le lanceur d'alerte comme la personne physique qui révéle ou signale, de maniére
désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un
engagement international réguliérement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral
d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du
réglement, ou une menace ou un préjudice graves pour Tintérét général, dont elle a eu
personnellement connaissance.
Larticle 8 de cette méme loi a institué une procédure graduée de signalement.
En premier lieu, le signalement de l'alerte doit étre porté a la connaissance du supérieur
hiérarchique, direct ou indirect, de 'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci
En deuxiéme lieu, et en absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte a verifier,
dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci peut étre adressé a l'autorité
judiciaire, & Vautorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier lieu, défaut de traitement par les personnes susmentionnées dans un délai de trois,
mois, le signalement peut étre rendu public.
En les, Monsieur BENMOHAMED a, dans le cadre de l'exercice de ses fonctions JI
A <3: les manquements a la déontologie entre
2017 et 2020 de la part de ses collegues a 'encontre des personnes placées dans les cellules
du Dépét (injures a caractére racial ou non, refus de distribution d'un repas, de couvertures,
d'eau, entraves au droit de consulter un médecin, traitements humiliants et dégradants et vols
des affaires personnelles). II est constant quil a eu personnellement connaissance des faits quill
a signalés.
administration souligne dailleurs dans son courrier précité du 11 aodt 2022 adressé au
Défenseur des droits « les faits graves qu'il (Monsieur BENMOHAMED) avait constatés au sein
de la CGZA ».
Ces irrégularités, compte tenu de leur gravité, sont susceptibles de recevoir une qualification
pénale ou de violations graves et manifestes de plusieurs engagements internationaux ratifiés
par la France.
Les préoccupations exprimées par Monsieur BENMOHAMED lors de ses signalements en
dénongant des abus commis au sein du Dépét de Paris afin de s'assurer que ces demniers cessent
et que les droits des personnes retenues soient respectés attestent du caractére désintéressé de
sa démarche.La bonne foi exigée de la part de l'auteur du signalement s'examine au vu de deux éléments
intention subjective de ce demier et sa croyance raisonnable dans la véracité des faits quil
entend signaler. Il n'est pas contesté que Monsieur BENMOHAMED n'a manifesté aucune
intention de nuire en procédant a ses signalements. Ayant constalé les faits dans l'exercice de
ses fonctions de chef de brigade au sein de 'UTN du Dépét de Paris, Monsieur BENMOHAMED
disposait d'informations suffisantes pour forger sa conviction sur la véracité des manquements
quill a dénoncés.
Au demeurant, et en tout état de cause, l'IGPN a conclu a lexistence de nombreux
dysfonctionnements au sein du Dépét de Paris et a proposé une série de mesures pour y
remédier (rapport du 16 février 2020, cf. infra),
Les signalements ont donc été réalisés de bonne foi.
Le réclamant a porté ses signalements a la connaissance de ses supérieurs hiérarchiques entre
les mois d'avril 2017 et de juin 2019 (voir, notamment les rapports écrits des 10 octobre 2018, 22
janvier 2019 et 12 mars 2019). Il a également saisi IInspection générale de Ia police nationale
(IGPN) en octobre 2018
|l convient de relever que les premiéres étapes du signalement n'ont conduit ni a l'arrét des
agissements contestés, ni a la saisine du procureur ou a des sanctions disciplinaires de tous les
agents concernés. Des enquétes administratives internes ont toutefois été mises en ceuvre et le
lieutenant: — ‘supérieur de Monsieur BENMOHAMED, a envoyé le 12 mars 2019
un courriel & l'ensemble du personnel rappelant les régles applicables au Dépot de Paris, dont
Tinterdiction des propos racistes, injurieux ou discriminatoires. Par courriel du 17 mars 2019, le
lieutenant [NN a donné pour instruction de renouveler trés réguliérement ces
rappels.
Cependant, aucune mesure effective n’a été prise par les supérieurs higrarchiques de
Monsieur BENMOHAMED pour mettre un terme aux agissements dénoncés et aucune enquéte
judiciaire n’a été ouverte malgré les faits dénoncés.
Plusieurs enquétes ont également été menées par I'IGPN. Monsieur BENMOHAMED a été
entendu dans le cadre de l'une d'elle le 27 juin 2019 et a soulevé devant cette autorité les
manquements & la déontologie de la part de ses collégues a l’égard des personnes retenues
dans les cellules du Dépét a Paris. Il a ainsi indiqué dans ce cadre notamment qu'il « regrettait
que sa hiérarchie n’ait pas pris en compte ses remarques & ce sujet et n’ait pas clarifié les
choses ».
L’enquéte de IIGPN a été cloturée le 3 février 2020. Dans son rapport du 16 février 2020, I|GPN
@ conclu a la révélation de nombreux dysfonctionnements au sein du Dépdt de Paris et a proposé
une série de mesures destinées l'amélioration de la situation.
Cependant, aucun changement n'est intervenu au sein du Dépét de Paris ala suite de ce rapport
et les fonctionnaires impliqués n’ont pas été sanctionnés et sont demeurés en fonction.
Face a cette inertie et en raison des représailles subies par Monsieur BENMOHAMED, ce dernier
a alerté opinion publique en témoignant auprés du média STREETPRESS le 27 juillet 2020.
Cette dénonciation publique est intervenue plus de cing mois aprés la rédaction du rapport de
TIGPN.
La procédure de signalement graduée instituée par l'article 8 de la loi du 9 décembre 2016 a donc
été respectée par le réclamant, quia d'abord informé ses supérieurs, puis l'autorité administrative,
puis la presse.Par suite, compte tenu de ces éléments, la Défenseure des droits considére que Monsieur
BENMOHAMED peut béneficier de la protection qui s'attache la qualité de lanceur d’alerte.
* Sur les représailles subies par Monsieur BENMOHAMED et I'existence d'un lien entre
celles-ci et les signalements réalisés :
- Sur I’existence du lien entre les représailles subies et les signalements réalisés :
‘A compter de ses premiers signalements, en avril 2017, Monsieur BENOHAMED a subi une série
de mesures défavorables qui ont atteint leur paroxysme avec 'adoption de la sanction disciplinaire
(avertissement) dont ila fait objet le 4 janvier 2021
La Défenseure des droits considére que plusieurs des mesures défavorables quill a subies ne sont
pas étrangéres a ses signalements d'une alerte. Il en est ainsi des mesures suivantes :
- des reproches adressés le 15 mars 2019 sur un manque de loyauté pour avoir dénoncé
les faits constatés dans l'exercice de ses missions ;
- une demande d’évaluation de son état psychologique en mai 2019 (cf. sur ce point, la
référence faite par la loi du 21 mars 2022 2 I'« Orientation abusive vers un traitement
psychiatrique ou médical », au titre des représailles interdites.) ;
= une annonce de sanction prononcée par le ministre de l'intérieur au cours d'une audition
publique par la commission des lois de I'Assemblée nationale le 28 juillet 2020 ;
- un refus d'octroi de la protection fonctionnelle au mois d'aodt 2020 ;
~ un avertissement le 4 janvier 2021 ;
= un placement en garde a vue le 8 avril 2021 dans les locaux de I'|GPN dans le cadre d'une
enquéte ouverte pour des faits qui n’ont finalement donné lieu @ aucune poursuite datant
de janvier a juillet 2019 ;
- enfin, un retrait de son mandat de représentant du personnel le 8 avril 2021.
Sile litige ne porte que sur 'avertissement regu le 4 janvier 2021, les faits rappelés montrent que
celui-ci a été infligé dans un contexte de représailles subies par le réclamant qui, avant ses
signalements, n'avait pas rencontré de difficultés dans sa carriére. Il avait toujours été considéré
comme un agent exemplaire avec un trés bon dossier administratif comme il en ressort de
Venquéte de I'IGPN mais également de ses notations.
La chronologie des évenements est, par suite, de nature a faire supposer que les mesures
défavorables prises a son encontre, dont la sanction d'avertissement dont il a fait l'objet le 4
janvier 2021, ont été motivées par son alerte.
En effet, la perte de confiance et le comportement déloyal qui lui ont été reprochés sont intervenus
aprés la que Monsieur BENMOHAMED a réitéré ses signalements sur les dysfonctionnements
au sein du Dépét de Paris, ainsi qu'il ressort de la mention sur le bordereau de transmission du
rapport de Monsieur BENMOHAMED du 15 mars 2019. Ainsi, Monsieur i
commissaire divisionnaire de police, y indique :« Indépendamment de la réalité des faits dénoncés, la méthode utilisée par le B/ c
BENMOHAMED pose réellement question. Son manque de loyauté et sa méfiance viscérale
envers la hiérarchie du service dénote un état desprit quil convient de dénoncer. Nous ne
pouvons nous satisfaire du chantage qu'il met en ceuvre ».
Son manque de loyauté en lien avec les faits dénoncés dans le cadre de lexercice de ses
fonctions lui_a_également été reproché par son supérieur hiérarchique, le lieutenant
EEE 2 occasion d'un rapport relatif 4 la maniére de servir de l'intéressé du
30 novembre 2019.
Sagissant spécifiquement de la sanction disciplinaire prononcée le 4 janvier 2021, son fondement
ne semble pas étranger a son alerte. En effet, bien que le motif invoqué de la sanction soit
abstention de se conformer immédiatement aux instructions de sa higrarchie, le fait que cette
nction ait été adoptée presque deux ans aprés les faits, alors quelle ne nécessitait pas
investigations particuliéres, apparait de nature a créer un doute sérieux quant a son fondement
réel
De plus, il est a tout le moins paradoxal que soit reproché & Monsieur BENMOHAMED un retard
d'une semaine dans la rédaction du rapport demandé sur les dysfonctionnements constatés alors
quil ressort du dossier quil avait alerté sa hiérarchie des manquements a la déontologie de la
part de ses collégues des avril 2017, sans qu’aucune mesure concrate n’ait été prise pour faire
cesser les agissements dénonces.
En effet, dés le 6 mars 2019, Monsieur BENMOHAMED avait adressé un compte rendu oral &
son supérieur hiérarchique sur les faits relatifs aux propos racistes. Monsieur
ayant, dans la nuit du 11 au 12 mars 2019, réitéré ordre adressé a Monsieur BENMOHAMED
de rédiger un rapport, ce dernier a rendu son rapport le 12 mars 2019, désignant deux gardiens
de la paix auteurs des propos injurieux a caractére raciste a lencontre des personnes déférées.
II ne peut valablement étre fait grief 4 Monsieur BENMOHAMED, comme cela est le cas dans la
sanction dont il a fait l'objet, davoir refusé de préciser dans le rapport les identités des effectifs
qui avaient dénoncé auprés de lui les comportements critiquables, ce qui sous-entendait quil
faisait obstruction a la révélation de la vérité et au bon déroulé de 'enquéte qui serait menée. En
effet, ces demiers avaient exprimé leur volonté claire de ne pas voir leur identité divulguée car ils
craignaient les représailles,
Monsieur BENMOHAMED a également donné le nom de deux fonctionnaires de police qui
avaient accepté de témoigner a I'lGPN et indiquait que les autres menagaient de revenir sur
ensemble de leurs déclarations s'ils étaient auditionnés.
Dés lors, Monsieur BENMOHAMED a bien communiqué toutes les informations nécessaires a
ouverture d'une enquéte et & identification des fonctionnaires de police responsables des
manquements constatés.
Il est naturellement loisible a l'administration de sanctionner un agent lanceur d’alerte pour des
faits étrangers a lalerte. Cependant, en lespéce, les faits apparaissent liés au traitement de
Valerte et sont 2 ce titre trés proches de lalerte elle-méme, laquelle n’a été permise que par les
signalements de Monsieur BENMOHAMED, lesquels ont finalement donné lieu a ouverture
d'une enquéte de I'IGPN et, a la suite de sa saisine de ‘opinion publique par voie de presse,
conduit 4 mettre fin aux comportements critiqués.- Sur absence de prise en compte de I'aménagement de la charge de la preuve par le
tribunal :
Le tribunal administratif a jugé que : « le requérant n'établit pas que la décision attaquée
constituerait une mesure de rétorsion a la suite d'un signalement d'une alerte auprés des autorités
mentionnées par les dispositions précitées de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 alors quil
appartient a tout fonctionnaire de police, méme lorsquill estime étre un « lanceur d'alerte », de
respecter les obligations inhérentes a son statut. Par suite, un tel moyen ne peut qu‘étre écarté, »
Ila, d&s lors, rejeté les conclusions @ fin d’annulation de la sanction disciplinaire dont
Monsieur BENMOHAMED a fait objet.
|i convient toutefois dinsister, eu égard aux difficultés propres a 'établissement de la preuve en
la matiére, sur le mécanisme probatoire particulier applicable dés lors qu'un agent présente des
éléments de fait permettant de présumer qu'll a procédé de bonne foi a un signalement.
| apparait particuliérement important, au vu de la nouveauté de ce contentieux, dont le cadre
jurisprudentiel est a définir, ainsi que de la situation de particuliére vulnérabilité des lanceurs
dalerte, de rappeler le principe de l'aménagement des régles de dévolution de la preuve.
‘Aux termes du cinquiéme alinéa de l'article 6 fer A de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires, « (...) dés lors que la personne présente des éléments
de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou temoigné de bonne foi ...) d'un signalement
constitutif d'une alerte au sens de article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée,
il incombe @ la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée
par des éléments objectifs étrangers a la déclaration ou au témoignage de I'intéressé (...) »
Cet aménagement des régles de dévolution de la preuve a été introduit dans le statut général
des fonctionnaires en 2013 (Ioi n° 2013-1117), spécifiquement en faveur des lanceurs d'alerte,
en siinspirant des dispositifs mis en place dans la fonction publique depuis 2008" pour les faits
de harcélement moral et de discrimination.
Saisi de la question de 'application de dispositions miroirs figurant a l'article L. 1132-3-3 du code
du travail pour les salariés de droit privé, le Conseil d’Etat a trés récemment rappelé quill s'agissait
a d'un aménagement des régles de dévolution de la preuve (CE, 27 avril 2022, JM aux
tables),
Il se déduit d'un tel dispositif quien présence d'allégations sérieuses qui permettent de présumer
quiune alerte a été lancée dans les conditions prévues par la loi du 9 décembre 2016, il incombe
administration d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers au
signalement émis. A défaut, il ne peut étre retenu que sa décision est justifiée par des éléments
objectifs étrangers a la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.
Or, en lespéce, alors quill ncombe a la juridiction de mettre en ceuvre au bénéfice du requérant
laménagement des régles de dévolution de la preuve, la formation de jugement du tribunal
administratif de Paris a mis a la charge du seul réclamant |'établissement de la preuve du lien
entre l'alerte et la décision attaquée (considérant que : « Par suite, le requérant n’établit pas que
la décision attaquée constituerait une mesure de rétorsion a la suite d'un signalement dune alerte
(9).
* Cf, article 4 de la loi n* 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, dont les modalités ’application au
procés administratif ont été explicitées des 2009 par le Conseil d Etat, cf Ass, 30 octobre 2009, Mme
Perreux, 298348, Rec.application du principe de 'aménagement de la charge de la preuve aurait, selon le Défenseur
des droits, da conduire le tribunal & constater que la sanction d'avertissement prononcée &
Tencontre de Monsieur BENMOHAMED le 4 janvier 2021 n’apparait pas justifiée par des
considérations étrangéres a son alerte et, partant, a en prononcer l'annulation
Par suite, la Défenseure des droits considére que Monsieur BENMOHAMED a fait l'objet, eu
égard & cette sanction, d'une mesure de représailles aprés avoir lancé une alerte dans les
conditions prévues par la loi, en méconnaissance notamment de l'article 6 ter A de la loi du 13,
juillet 1983 précité,
Telles sont les observations que la Défenseure des droits souhaite soumettre a 'appréciation de
la cour administrative d'appel de Paris saisie par l'intéressé.
Claire HEDON