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Bon, je crois que je me suis attelé à une plaidoirie très ardue, et c'est une de nature légistique

(la discipline de l'élaboration des lois), mais je vais du moins tenter d'éclaircir mon point de vue
philosophique là-dessus, qui s'est formé à la suite de plusieurs lectures sur ce thème qui me
passionne.

Lorsque vous mentionnez l'usage privé, vous faites référence à quelques formes de "fair use"
(ou "fair dealing" dans le droit canadien). Le terme anglais "fair use" n'est pas un droit en soi,
mais bien une exception de facto aux droits d'auteur exclusifs. "Fair use" est une dérogation aux
droits existants en faveur d'un acteur qui autrement n'aurait aucun cadre légal pour effectuer
l'usage qu'il comptait effectuer.
Même dans le cas du "fair use", dans la loi du copyright (C-42 de 1985) les utilisations acceptées
sont, entre autres:
29. L’utilisation équitable d’une oeuvre ou de tout autre objet du droit d’auteur aux fins d’étude
privée, de recherche, d’éducation, de parodie ou de satire ne constitue pas une violation du
droit d’auteur.
En aucun temps le droit de l'auditeur à la musique achetée n'est mentionné.

Il y a trois regards critiques à poser sur l'acte d'acheter de la musique sur un support:
a) l'aspect commercial - transaction, échange de biens;
b) l'aspect légal - définir et catégoriser l'acte d'achat de musique sur un plan juridique global;
c) l'aspect philosophique - définir le même acte en termes personnels et subjectifs à la
condition humaine, nord-américaine et québécoise.

a) Il y a beaucoup de législation sur les droits perçus du consommateur. On se sent en droit,


comme on dit si bien en anglais "entitled" (mot qui d'ailleurs n'a aucun équivalent direct en
français) - en droit d'exiger certains comportements dans une transaction commerciale: dans
l'industrie alimentaire, les producteurs sont obligés d'afficher les dates de péremption; dans la
manufacture, il y a des barêmes de contenu en substances toxiques telles l'amiante, le plomb,
etc. De ce fait, les compagnies qui entreprennent dans ces domaines hautement réglementés,
et qui font une offre de produits à leur clientèle s'engagent d'avance de respecter ces
exigences.
Biensûr, il y a des agences gouvernementales qui embauchent des inspecteurs pour évaluer et
homologuer les produits mis sur le marché; mais la compagnie doit prendre cet engagement
avant de se rendre devant les inspecteurs, et pour des raisons tout à fait égoïstes, car elle ne
durerait pas en tant que compagnie si elle ne s'y engageait pas. En fait, bien de compagnies
prennent des engagements personnels envers leurs clientèle, tels que les "garanties de qualité"
ou les "garanties de service" (par exemple certaines pizzerias à commande téléphonique
offrent un standard de livraison, et si elles ne respectent leur propre standard, le produit est
gratuit - c'est nullement prévu par la loi, mais c'est une partique tout de même)
Par comparaison, le consommateur a très peu à faire: il doit payer le produit au prix exigé, et
c'est tout. Une partie des impôts payés à l'état va financer les efforts de réglementation et
d'inspection effectuées par les agences gouvernementales pour le bien-être de la population.
En jugeant cet état des faits, on pourrait même trouver la relation inégale: le poids de la
responsabilité repose assez lourdement sur le fournisseur. Donc, on pourrait arriver au
graphique suivant:

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Catégorie FOURNISSEUR CONSOMMATEUR
Droits BEAUCOUP PEU
Responsabilités PEU BEAUCOUP

L'achat de musique aussi est une transaction. J'avoue qu'elle ne pourvoit pas de produits
essentiels à la survie de la population; l'achat de musique est un achat de luxe. Pourtant, il y a
quand même des produits et des montants d'argent qui s'échangent, ce qui en fait une
transaction commerciale.
Dans le cas de ce genre de transaction, les droits reviennent en majeure partie au fournisseur:
le droit d'auteur(l'artiste representé par sa maison de disques), de publication, de duplication,
de transmission, de réimpression, etc.etc. En revanche, peut-on nommer certaines
responsabilités d'un fournisseur de musique? Si le produit est de mauvaise qualité, ou de pire
qualité que la publicité n'en laisse croire, sont-ils obligés de rembourser l'argent? Au contraire,
un disque ouvert ne peut pas être retourné. Est-ce une garantie

Par contre, les responsabilités qui découlent d'un achat de musique se retrouvent en majeure
partie du côté du consommateur. Lorsqu'il achète un CD, il s'engage implicitement à ne pas
enfreindre les nombreux droits d'auteur qui s'y appliquent. On ne peut pas parler d'un choix là-
dedans: si un client achetait un CD chez Archambault et à la caisse il déclarait haut et fort qu'il
n'avait pas l'intention d'observer les droits d'auteur afférents, il serait vraisemblablement
empêché d'acheter ledit CD.
Donc ici on a affaire avec une situation opposée à celle décrite ci-dessus pour l'industrie
alimentaire et manufacturière: les fournisseurs ont beaucoup de droits et très peu de
responsabilités devant les consommateurs. Encore une fois, cela ne me semble pas du tout
équitable. Je ne dis pas qu'il faut atteindre un équilibre parfait dans une situation tellement
subjective, toutefois j'amène ce point car du point de vue commercial il y a un souci
d'équitabilité.

b) En lien direct avec le paragraphe antérieur, le système juridique est chargé de la fonction
d'arbitre dans des situations inéquitables; c'est le principe même de la justice. De ce point de
vue-là, dans le cas des achats de musique, je crois que les consommateurs ont aussi un droit, et
c'est le droit à la musique, et non au support de musique. Lorsqu'on paie pour une source
musicale, on achète la musique sous un format ou un autre. Le disque n'est qu'un corollaire à la
transaction d'achat de musique. La musique en soi est un produit. Dans cette optique-là, le
produit musical demeure tout aussi valeureux en format numérique qu'en format physique.
C'est un argument direct pour apprécier la musique en soi à sa juste valeur. Donc à ce moment
là, la piraterie de la musique serait très mal vue par le système juridique, car on associerait une
valeur à l'information contenue sur le support, et pas juste au support lui-même.
Ceci est aussi un argument pour la révision des prix des disques compacts: pendant longtemps
les amateurs de musique se plaignaient que les CDs étaient bien trop chers, et pour cause: le
coût de production du support était modique comparé au prix moyen de 20$ exigé par le
disquaire. L'ère numérique a tempéré également les coûts des CDs, et les duplicateurs se sont
tourné vers d'autres valeurs ajoutées telles que le digipak, les bonus et les médias augmentées
(disques multimédia et autres).

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Si le raisonnement de la société était ainsi construit, il y aurait davantage de sensibilisation à
l'aspect négatif de la piraterie. Par contre, dans l'environnement actuel, les gens ont été formés
à acheter le disque, et traiter la musique comme un corollaire de la transaction d'achat de
disques. C'est pourquoi la musique téléchargée n'a quasiment pas de valeur à leurs yeux. C'est
pourquoi on ne ressent que très peu de remords si on télécharge de la musique. Après tout, si
ce n'est pas un disque qu'on pique dans un magasin, on ne se sent pas un voleur.

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