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Dominique Cardon : « Google impose un monde »


Le sociologue Dominique Cardon explique comment les algorithmes et le big data produisent une
représentation du monde inédite et recréent de nouvelles inégalités. Il était l’invité du Club de
l’Economie du Monde le 18 décembre.

LE MONDE ECONOMIE | 19.12.2015 à 11h09 • Mis à jour le 21.12.2015 à 13h26 | Par Philippe Escande (/journaliste/philippe-
escande/) (Propos recueillis par)

Sociologue au Laboratoire des usages d’Orange et professeur à l’université Paris-Est Marne-


la-Vallée, Dominique Cardon explique comment les algorithmes et le big data produisent une
représentation du monde inédite et recréent de nouvelles inégalités.

Les algorithmes et le big data sont-ils en train de transformer notre société ?

Nous sommes entre deux discours aujourd’hui. D’un côté, nous avons la promesse magnifique des
big data, qui vont tout calculer, nous simplifier la vie, améliorer la démocratie, le marché ou la santé.
La Silicon Valley nous vend un modèle qui est une utopie politique, celle de la désintermédiation-
ubérisation, dans une sorte d’alliance entre le capitalisme et l’individualisme contemporain, qui
court-circuiterait les institutions, les Etats et les formes de représentation classique.

Lire aussi Menaces tous azimuts sur le big data (/economie/article/2015/11/08/menaces-tous-azimuts-


sur-le-big-data_4805426_3234.html)

Et de l’autre côté, les algorithmes, qui font planer le risque du retour du grand panoptique, de la
domination, de la rationalité et du calcul. Les technologies sont utiles à nos vies. L’ethnologue André
Leroi-Gourhan nous a expliqué que nous sommes devenus des humains parce que nous avons
rencontré l’outil. Nous sommes devenus les êtres de savoir que nous sommes parce que nous
avons transféré notre mémoire vers les livres.

Cette connaissance est maintenant distribuée dans notre environnement, dans notre poche. Elle
nous guide et nous recommande. Le couple que nous formons quasiment depuis l’aube de
l’humanité avec les environnements technologiques nous fabrique constamment. Les calculs nous
transforment car ils mettent du sens sur les données. Ils nous guident et nous conduisent, et surtout
produisent des mondes.

Quels mondes nous proposent les algorithmes ?

On ne réfléchit pas assez à la manière dont Google classe l’information. Elle considère qu’il y a une
forme d’autorité des informations qui apparaissent sur la première page, parce qu’elles ont été
citées par beaucoup d’autres sites qui ont eux-mêmes de l’autorité. C’est une conception
méritocratique.

Lire aussi Dominique Cardon, tisseuse d’Histoire (/sciences/article/2014/09/08/dominique-cardon-


tisseuse-d-histoire_4483906_1650684.html)

Google est une société absolument méritocratique, où l’on sélectionne les candidats en faisant
quatorze examens pour recruter des personnes qui sont surqualifiées pour leur poste. Ce sont les
meilleurs. Mais que faire des médiocres ? Qu’est-ce qu’on fait de la page 2, de la page 3 ou de la
page 4 ? C’est ça, le monde que fabrique un calculateur. Il organise une vision du monde dans sa
manière d’organiser l’information.

Les réseaux sociaux ne seraient-ils pas une réaction face aux calculs de Google, le social
contre les maths ?

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Dominique Cardon : « Google impose un monde » https://abonnes.lemonde.fr/economie/article/20...

Oui, bien sûr. Google impose un monde. Ce que fait le page rank ou la mesure d’autorité de Google,
c’est de créer un marché mondial des qualités. Il est, du coup, incroyablement écrasant. Il
ressemble beaucoup à toutes les dynamiques qui ont été étudiées par les économistes, Piketty et
les autres. C’est-à-dire que l’on entre dans des hiérarchies d’inégalités inédites où 0,5 % des
individus aspirent 90 % de la ressource, ce qui est un peu le cas des navigations sur les premières
pages de Google.

Les réseaux sociaux sont venus dire que la société reprenait en charge la hiérarchisation de
l’information, en organisant depuis son réseau affinitaire (Facebook, Twitter, Pinterest, etc.), en
disant « je vais voir ce que j’ai choisi de voir ».

Mais ne retrouve-t-on pas finalement cette méritocratie dans les réseaux sociaux ?

On y retrouve cette alliance entre la Silicon Valley et les individus. Ce qui est au cœur des calculs,
c’est de dire que l’on va redéfinir la société par le bas, depuis les individus. On a beaucoup
représenté la société par les catégories. L’histoire de l’Etat est inséparable de celle de la mesure par
l’Etat de sa population, qui la représente par des statistiques, des CSP et des catégories, ce qui
produit des conventions collectives et organise des marchés professionnels.

Le big data et les nouveaux calculs viennent retirer tout ce fatras de catégories qui les représentent
mal. Les gens ne veulent pas être fidèles à leur journal, qui décide pour eux de leurs informations.
Ils veulent le faire d’eux-mêmes. On va donc recalculer par le bas. Et nous en sommes les premiers
complices, car nous n’avons pas envie d’appartenir à une catégorie. Nous sommes singuliers. C’est
ce que les réseaux sociaux sont en train de faire.

Je ne veux pas que Le Monde ait décidé pour moi de la hiérarchie de l’information. On va prendre
les singularités de l’individu pour qu’il circule parmi les informations du journal et prenne celles qui
rejoignent ses centres d’intérêt et ses goûts. L’individu, qui veut avoir du pouvoir dans cette affaire,
veut contrôler tout cela, être aux manettes. Même s’il sait que c’est une illusion.

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