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L’État: Problème ou solution?

tiré de
« The State as a Problem and Solution: Predation, Embedded
Autonomy, and Structural Change »
by
Peter Evans
1992
Objectifs de l’étude
• Retracer les caractéristiques
institutionnelles des États qui conduisent au
développement économique de même que
celles qui semblent le freiner.
• Appliquer les résultats aux programmes
d’ajustement et de stabilisation des PVD.
Méthode
Analyse comparative historique:

Étude des efforts de promotion de l’industrialisation


de certains pays après la seconde guerre mondiale.
• Zaïre sous Mobutu: L’État prédateur
• Japon, Taiwan et Corée: L’État développeur
• Brésil et Inde: Cas intermédiaires
Vues sur l’État
La vision « néo-utilitaire »
• Elle correspond à ce qu’on a vu sur la recherche de rentes
et l’État, c-à-d l’État offre surtout une occasion pour les
groupes d’intérêts et les fonctionnaires de se remplir les
poches.
• C’est une amélioration par rapport à l’approche « néo-
classique », ces derniers considérant l’État comme un
« arbitre neutre » dans l’économie de marché.
• Elle conclut cependant à un rôle minimal pour l’État, c-à-d
se restreindre principalement à la protection des droits
individuels des personnes et de la propriété, ainsi que du
respect des contrats. (nightwatchman=gardien de nuit)
Vues sur l’État
Limites de la vision « néo-utilitaire »
1. Qu’est-ce qui nous assure que même ceux
qui jouent le rôle de « gardiens de nuit »
ne tenteront pas de s’approprier les rentes
de l’État?
En appliquant strictement la logique de la
vision néo-utilitaire, l’existence de l’État
et de son gardien de nuit devient
impossible.
Vues sur l’État
2. Les relations d’échange ne seraient pas
“naturelles”.
– Un système efficace de respect des droits de
propriété n’est pas suffisant.
– Les marchés ne fonctionnent bien que parce
qu’ils sont imbriqués dans un mélange
complexe de compréhensions culturelles et de
réseaux sociaux.
– L’État a une place importante dans cette
“structure sociale”.
Vues sur l’État
Les tentatives néo-utilitaires de “libérer” le
marché de l’emprise de l’État peut conduire
à la destruction des bases institutionnelles
qui permettent l’échange.

Problème des programmes d’ajustement


structurels.
Vues sur l’État
La vision « institutionnaliste »
Il existe une complémentarité entre les
structures de l’État et l’échange de marché,
particulièrement en ce qui concerne le
processus d’industrialisation.
Vues sur l’État

Les institutionnalistes:
Polanyi (1957)

Le marché ne dépend pas seulement des


réseaux sociaux, mais également des formes
de l’État et de ses politiques. Le marché ne
peut fonctionner que grâce à un
interventionnisme continu, contrôlé et
centralisé.
Vues sur l’État

Les institutionnalistes:
Weber (1968)
L’entreprise capitaliste à grande échelle n’est
possible que grâce à la présence d’une
fonction publique moderne.
• Les intérêts personnels des fonctionnaires
coïncident avec le bon fonctionnement des
marchés et l’accumulation du capital.
(Position opposée aux néo-utilitaires!)
Vues sur l’État

Les institutionnalistes:
Weber (1968)
La fonction publique selon Weber:
• Isolation face aux groupes d’intérêt:
État autonome
• Rendue possible par le statut distinct et
prestigieux de fonctionnaire de l’État
– méritocratie
– carrières de long terme
Importance de la prévisibilité des règles
Vues sur l’État

Les institutionnalistes:
Gerschenkron (1962)
Offrir un environnement propice à l’échange
(comme le prône Weber) n’est pas suffisant.
Problème du risque:
Les réseaux sociaux privés ne réussissent pas à
trouver le capital suffisant pour entreprendre des
bons projets à grande échelle (économie
d’échelle). L’État doit agir directement en tant
qu’entrepreneur “substitut”.
Vues sur l’État

Les institutionnalistes:
Hirschman (1958)
Ce ne sont pas les fonds d’investissement qui
font défaut dans les PVD mais plutôt
l’entreprenariat. L’État doit percevoir les
opportunités d’investissement et assurer
leurs réalisations concrètes.
Cela impose à l’État d’être très sensible aux
besoins des investisseurs privés et
d’anticiper leurs contraintes.
Vues sur l’État

L’État développeur
Le degré avec lequel un État répond aux
critères de Weber, Gerschenkron et
Hirschman détermine sa capacité d’action.
On parlera d’État développeur
(developmental State) si elle est
suffisamment élevée.
Notons que la recherche de rentes ne sera jamais totalement absente mais
l’État développeur aura un effet net positif sur le développement.
Vues sur l’État

L’État développeur
Peut-on identifier ce qui caractérise un État
développeur?

Tâche difficile…
Vues sur l’État

Capacité d’action et autonomie

Dilemme:

La vision Gersh./Hirschman rend la relation


capacité-autonomie ambiguë (contrairement
à celle de Weber).
Vues sur l’État

Capacité d’action et autonomie


• Que l’État agisse en entrepreneur substitut et
puisse promptement noter les subtiles contraintes à
l’initiative privée demande plus qu’une simple
administration gouvernementale cohérente.
• Elle impose une réceptivité active, pertinente,
inventive et sophistiquée aux évolutions
constantes de l’économie.
Cela demande à l’État d’être bien intégré dans
l’économie plutôt qu’isolé d’elle.
Le Zaïre sous Mobutu:
Exemple d’État prédateur
Entre 1965 et 1990, Mobutu et ses proches ont
amassé d’énormes fortunes personnelles
grâce à l’exportation des ressources
minières du pays. Le PNB a entre-temps
chuté de 2% par an.
Le Zaïre: État prédateur
• L’arbitraire et le traditionalisme auraient retardé le
développement capitaliste (Weber).
• Les relations de marché dominaient les
comportements des administrateurs publics: Tous
les services publics étaient à vendre, jusqu’à la
libération des prisonniers.
L’imprévisibilité de l’État rendait les investissements
et le développement d’une bourgeoisie
impossibles.
Le Zaïre: État prédateur
La survie prolongée du régime démontrerait-
elle d’une efficacité minimale nécessaire
pour tenir à l’écart les concurrents
potentiels?
Rien n’est moins sûr car le régime dépendait
d’un support extérieur…
Le Zaïre: État prédateur
• Cet exemple démontre que ce n’est pas la seule
existence d’une fonction publique qui empêche le
développement mais plutôt son manque de
cohérence.
• Il démontre aussi la complexité de la relation
autonomie-capacité: L’État était à la fois assez
autonome pour ne pas chercher à maximiser le
bien-être général mais pas assez autonome pour
éviter sa dilapidation par les élites.
États développeurs:
Japon, Corée et Taiwan
Alors que le Zaïre confirme la vision néo-
utilitaire de l’État, un groupe de pays d’Asie
de l’Est confirme la vision institutionnelle
de l’État.
État développeur:

Le Japon
• Le capital étant très rare dans les années qui ont
suivi la seconde guerre mondiale, l’État japonais a
dû se substituer aux marchés financiers sous-
développés.
• Le MITI (Ministry of International Trade and
Industry) joua un rôle crucial dans la « promotion
de prises de décision optimales » (maximize
induced decision-making).
• NB L’auteur se garde bien de parler de
participation directe de l’État dans la production.
État développeur:

Le Japon
• Champs d’intervention du MITI:
– Approuve les prêts de la « Japan Development Bank »
– Alloue des devises étrangères entre les différentes industries
– Licences à l’importation de technologies étrangères
– Crédits d’impôts
– Réglementation des cartels et de la concurrence
C’est une politique industrielle.
État développeur:

Le Japon
L’administration publique de type Weber…
Le recrutement des fonctionnaires du MITI se faisait
de manière très concurrentielle. Il rassemblait les
individus les plus brillants des meilleures
universités. Les postes de hauts fonctionnaires
étaient considérés comme les plus prestigieux.
n’est pas suffisante...
État développeur:

Le Japon
il y aurait aussi les réseaux internes,
ou gakubatsu, …
La cohérence de la fonction publique serait assurée
par les liens unissant les copains de classe des
universités d’élite. On parle alors des “aspects
non-administratifs de l’administration publique”.
(De manière analogue à la notion d’aspects non-
contractuels des contrats.)
État développeur:

Le Japon
et les réseaux externes.
Ces réseaux externes lient l’État avec le
secteur privé. Le succès de la politique
industrielle japonaise dépendrait
crucialement des liens existant entre le
MITI et les grands groupes industriels.
État développeur:

Le Japon
Les réseaux externes
• En parti dû au système de pré-retraire des anciens
du MITI appelé amakudari (descente du paradis).
Ces derniers se retrouvent dans des postes clés de
grandes corporations, d’associations d’industries
et d’organisations para-gouvernementales.
• On parle alors d’un système complexe
d’organisations intermédiaires et de réseaux
politiques informels au sein desquels aurait lieu
une part importante des négociations les plus
ardues.
État développeur:

Le Japon
Intégration et autonomie
La cohérence interne, ou autonomie, du MITI serait
une condition initiale nécessaire à sa participation
effective à des réseaux externes. Cette autonomie
leur permettrait de se fixer des objectifs
bénéfiques à la collectivité, indépendamment des
intérêts privés, tout en ayant, grâce aux réseaux
externes, une bonne compréhension des problèmes
affectant les industries.
Embedded autonomie
État développeur:
La Corée
La Corée présente des caractéristiques très
similaires a celles du Japon.
• Tradition méritocratique de recrutement de la fonction
publique. (Weber)
• Réseaux internes des fonctionnaires de l’académie
militaire. (Jeunes officiers impliqués dans le coup d’État de
Park Chung Hee.)
• Réseaux externes : Existence de liens très étroits avec
quelques grands groupes industriels (Chaebol).
État développeur:
Taiwan
• Administration de type Weberienne. (Héritage d’une longue tradition
d’administration publique du Continent.)
• Particularité: Politique industrielle basée très fortement sur des
entreprises d’État.
• Mais les fonctionnaires demeuraient à l’écoute des besoins des
entreprises privée. (Visites fréquentes, etc.)
• Et le régime a progressivement exposé les industriels aux rigueurs du
marché. (Pas de paradis pour ces derniers, contrairement à l’Amérique
Latine.)
Seul un État très autonome peut produire un tel bien
public.
États développeurs
Autre point commun entre le Japon et Taiwan:
Tous les deux étaient très sélectifs dans
leurs interventions. Cela semble être une
caractéristique importante d’un État
développeur.
États développeurs:
Évolution
Selon l’auteur, il viendra le temps où l’État
autonome et intégré ne sera plus nécessaire.
• Relâchement des contraintes sur le capital privé
• Carrières privées plus intéressantes
• Demandes de sécurité sociale des populations (au lieu de
simple accumulation du capital)
• …
Mais le passage se fera-t-il sans conflit?
Cas intermédiaire:
Le Brésil
• Une différence importante entre le Brésil et
les autres États développeurs réside dans le
recrutement des fonctionnaires, basé sur les
relations plutôt que la compétence.
• De plus, les emplois sont souvent de courte
durée (pas de plan de carrière).
Cas intermédiaire:
Le Brésil
• L’État a quand même créé des « poches d’efficacité », c-à-d des
organismes recrutant les meilleurs talents, pour des carrières de long
terme et créant des réseaux internes. (Banque nationale de
développement) Ce système a ses failles car n’étant que partiel, il rend
la coordination globale difficile.
• L’État brésilien était de plus dépendant d’une coopération avec les
grands propriétaires terriens, rendant difficile la création de réseaux
avec l’élite industrielle.
• Autre difficulté: La présence du capital transnational dans le secteur
manufacturier, prêt à dominer le marché local. (réaction défensive)
• Quelques succès: les industries automobiles et pétrochimiques, dus à
une intégration autonome partielle.
Cas intermédiaire:
L’Inde
Administration publique:
• Tradition weberienne d’administration
publique (examens d’entrée, réseaux
internes)
• Mais rotation fréquente du personnel.
Cas intermédiaire:
L’Inde
Réseaux externes:
• Structure sociale complexe rend les relations avec
l’extérieur difficile, ce qui limite sa capacité d’action.
• Argument des déséconomies d’échelle des organisations
administratives pour un pays si grand. Problème exacerbé
par les divisions ethniques, religieuses, de classe et
régionales.
• Élite divisée entre grands propriétaires terriens et
industriels. (Comme au Brésil, la présence d’une élite
agraire semble problématique.)
• Divisions idéologiques entre fonctionnaires et capitalistes:
De leur éducation, les premiers avaient des visions plutôt
socialistes et étaient issus de castes plus élevées.
Cas intermédiaire:
L’Inde
• Il y a quand même eu quelques succès dans les
années 50-60 suite aux investissements en
infrastructure et production de biens
intermédiaires.
• Problème d’absence de sélectivité: L’État
s’implique dans pleins de secteurs sans
discernement. (Entre 62 et 72, la part des actifs
corporatifs détenus par l’État est passée de 1/6 a
½.)
Quelques conclusions
1. Généralement, les services d’administration
publique sont en pénurie plutôt qu’offre
excédentaire.
2. Il y a plus que la définition strictement
webérienne d’une administration publique.
3. L’habilité à effectuer des tâches administratives
doit être considérée comme une ressource rare.
Il faut donc être sélectif.
4. Ne pas confondre capacité d’actions avec
isolation de l’État.
5. Une bonne administration doit combiner
intégration et autonomie.

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