La Magna Carta, son importance pour le Canada: La démocratie, le droit et les droits de la personne
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Pour les Canadiens, la Magna Carta a servi de modèle pour d’importants documents, depuis la Proclamation royale de 1763, qui a façonné les colonies britanniques de l’époque et les relations de celles-ci avec les Premières Nations, jusqu’à la Charte des droits et libertés. La Magna Carta : son importance pour le Canada est une célébration des huit cents années d’existence du document ainsi que de son influence sur le Canada et le monde entier.
Carolyn Harris
Carolyn Harris teaches history at the University of Toronto School of Continuing Studies. She received her Ph.D in European history from Queen’s University in 2012. Her writing concerning the history of monarchy in the U.K., Europe, and Canada has appeared in numerous publications including the Globe and Mail, Ottawa Citizen, Smithsonian Magazine and the BBC News Magazine, and she is the author of Magna Carta and Its Gifts to Canada and Queenship and Revolution in Early Modern Europe: Henrietta Maria and Marie Antoinette. She lives in Toronto.
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La Magna Carta, son importance pour le Canada - Carolyn Harris
À mes parents, Richard et Sue Harris.
La Magna Carta et d’autres chartes de la liberté — aussi le Parlement —, bien qu’ayant été cultivées en terre anglaise, ont mûri lorsque leurs semences ont été répandues aux quatre coins du monde.
— Le premier ministre John Diefenbaker
Table des matières
Avant-propos
Introduction
1re partie
2e partie
3e partie
4e partie
5e partie
Remerciements
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Remarques
Lectures suggérées
Références photographiques
Copyright
Avant-propos
Ce fut pour moi un grand plaisir d’appuyer le travail inlassable de Len Rodness, Suzy Rodness et l’ensemble de l’équipe de Magna Carta Canada. Grâce à leur initiative et à leurs efforts, les Canadiens de toutes les régions du pays auront la chance de voir une copie originale de la Magna Carta et de son document d’accompagnement, la Charte de la forêt, au Canada en 2015. J’encourage tous les Canadiens, et plus particulièrement les jeunes, à saisir cette occasion de voir, peut-être pour la seule fois de leur vie, une copie originale de ce document produit il y a 800 ans et à prendre un moment pour en apprendre davantage sur l’importance historique de la Magna Carta.
Lorsque j’étais adolescent, mon père m’a offert en cadeau une reproduction encadrée de la Magna Carta. Bien qu’au départ, je n’aie pas pleinement compris la valeur de ce présent, j’ai accroché la reproduction au mur de ma chambre et elle a fini par piquer ma curiosité.
Par la suite, mon père et moi avons fréquemment discuté de questions historiques, et la Magna Carta est devenu une sorte de cadre de référence pour un grand nombre de nos discussions. Lorsque j’ai quitté la maison pour poursuivre mes études universitaires en histoire et en science politique, j’ai apporté la reproduction encadrée, à la fois comme source d’inspiration et comme référence fondamentale de mes propres convictions.
L’un des points forts de la Magna Carta et, en fait, l’une des raisons de son héritage durable, c’est que presque chacun y trouve son compte. À certains égards, elle occupe une place étonnamment importante dans l’histoire. Non seulement cette entente inédite établissait le principe de primauté du droit, mais elle portait également sur des questions comme l’équilibre du pouvoir en politique, les limites du gouvernement, les droits individuels, l’interdiction de procéder à des arrestations arbitraires, l’économie et l’indépendance de l’Église. Si vous vous intéressez à la science politique, il est fort probable que les questions qui vous tiennent particulièrement à cœur peuvent se rattacher à l’une des dispositions de la Magna Carta.
Même si l’ampleur du contenu de la Magna Carta mérite d’être soulignée, je crois que la caractéristique la plus impressionnante de cette charte est le fait qu’elle constituait une révolution pour protéger la vaste majorité d’une société plutôt qu’un effort pour l’anéantir et repartir à zéro. Au cours de l’histoire, la plupart des révolutions et des guerres civiles visaient à changer le régime ou à renverser l’ordre social ou économique. À Runnymede, les barons n’essayaient pas de mettre en place un nouveau souverain ou d’abolir des institutions de longue date. Ils tentaient de protéger ces institutions en imposant audacieusement des limites fondamentales et immuables aux pouvoirs du souverain. Ils voulaient mettre un terme à l’utilisation du pouvoir de façon arbitraire et à des fins punitives qui était trop répandue dans une monarchie absolue. À bien des égards, il s’agissait d’une révolution traditionaliste.
Essentiellement, la Magna Carta reconnaît les droits absolus de l’être humain, que l’on retrouve dans le droit naturel et non dans le droit positif des rois ou des princes. Elle reconnaît que même le pouvoir absolu d’un monarque a des limites naturelles. Elle a donné lieu à la création de parlements, au principe selon lequel le gouvernement repose sur le consentement des gouvernés, et plus tard, à l’avènement même de la démocratie.
Bien que le document ait été annulé peu après que le roi Jean y eut apposé son sceau, les principes inscrits dans la Magna Carta et l’idée dominante selon laquelle il y a des limites naturelles au pouvoir politique ont perduré. En fait, l’idée même de la Magna Carta est devenue si populaire que les successeurs du roi Jean n’ont pas eu d’autre choix que de rétablir le document. Au fil du temps et du renouvellement par les monarques successifs de leur engagement à respecter les principes de la Magna Carta, celle-ci est devenue en elle-même une institution politique. Ce qui au départ était une idée audacieuse, voire révolutionnaire, a pris racine.
La signature de la Magna Carta a marqué sous bien des rapports la naissance de notre système de gouvernement. C’est pourquoi les activités de célébration de ce texte qui auront lieu cette année sont si importantes.
J’ai été ravi de participer aux efforts pour apporter au Canada une copie originale de la Magna Carta en 2015. Je tiens à remercier à nouveau Len Rodness, Suzy Rodness et toute l’équipe de Magna Carta Canada pour le travail accompli afin de préparer une magnifique célébration du 800e anniversaire de la Magna Carta au Canada.
En terminant, je tiens à dire combien j’ai hâte de partager cette expérience avec mes enfants et, peut-être, de leur acheter une reproduction encadrée comme mon père l’a fait pour moi il y a longtemps. Il est possible que, tout comme moi, ils ne reconnaîtront pas immédiatement la valeur du cadeau, mais j’espère qu’un jour, ils se rendront compte eux aussi que la Magna Carta est l’un des cadeaux les plus précieux à transmettre de génération en génération.
Je salue Magna Carta Canada pour son excellent travail et la remercie d’offrir à d’innombrables Canadiens cette occasion unique.
Andrew Scheer, député
Président de la Chambre des communes
Introduction
La Magna Carta célèbre ses 800 ans
Huit cents ans après que le roi Jean sans Terre ait apposé son sceau sur la Magna Carta à l’insistance de ses barons rebelles, l’un des rares exemplaires du XIVe siècle de la Grande Charte rend visite au Canada. Un exemplaire de la Magna Carta émis par le petit-fils et successeur de Jean, Édouard 1er, fera la tournée du Canada en 2015, faisant escale au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau; au lieu historique national du Canada Fort-York, à Toronto; au Musée canadien pour les droits de la personne, à Winnipeg et au centre des visiteurs de l’Assemblée législative de l’Alberta, à Edmonton. Ce n’est pas la première fois que l’un des exemplaires conservés de la Magna Carta vient au Canada dans le cadre d’une exposition. En 2010, une Magna Carta de 1217 avait été exposée dans l’édifice de l’Assemblée législative du Manitoba. Pendant que la Magna Carta était à Winnipeg, la Reine Élisabeth II a visité la ville et dévoilé une pierre qu’elle avait elle-même choisie dans le pré de Runnymede. La pierre est devenue la pierre angulaire du Musée canadien pour les droits de la personne.
La signification de la Magna Carta est bien connue à l’échelle mondiale. La Grande Charte est le premier exemple de l’acceptation par un roi anglais des limites imposées à son pouvoir par ses sujets. Les dispositions qu’elle comporte ont établi des précédents pour un large éventail de droits juridiques contemporains, y compris le principe d’égalité devant la loi, l’application régulière de la loi, le droit à un procès par ses pairs et l’élimination du mariage forcé. Ces droits ont inspiré la Pétition de droit et la création de la monarchie constitutionnelle au Royaume-Uni, les révolutions américaines et françaises, et la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies. Aux États-Unis, la Magna Carta est citée depuis le XVIIe siècle comme le document fondateur des droits de propriété individuels ainsi que des droits juridiques. Or, dans les livres qui traitent de l’incidence mondiale de la Magna Carta, on fait très rarement mention du Canada sauf lorsqu’il s’agit de l’histoire de l’Empire britannique.
La Magna Carta a eu une profonde incidence sur l’histoire, la politique et le droit au Canada. La Charte a servi à l’élaboration de la common law au Canada anglais et continue d’être citée dans les procédures judiciaires. Les principes codifiés dans la Magna Carta ont façonné la Proclamation royale de 1763, qui sert de cadre au rapport entre la Couronne et les Premières nations du Canada. Au moment de l’établissement de la Confédération, en 1867, le Canada a hérité de la constitution non écrite de la Grande-Bretagne, qui s’inspire de la Magna Carta et des documents ultérieurs, la Pétition de droit et la Déclaration des droits. Ces documents ultérieurs ont transformé l’Angleterre en une monarchie constitutionnelle. Le Canada partage ce système de gouvernement avec quinze autres états membres du Commonwealth. Ces principes implicites du cadre constitutionnel du Canada sont devenus explicites en 1960 avec la Déclaration des droits et la Charte canadienne des droits et libertés, qui forment la première partie de la Loi constitutionnelle de 1982.
L’exposition itinérante Magna Carta Canada 2015 souligne l’incidence particulière de la Grande Charte sur le Canada et le reste du monde. Ni le roi Jean ni ses barons rebelles n’auraient pu imaginer que la Magna Carta survive aux circonstances politiques exceptionnelles de 1215, mais les idéaux qui composent la Magna Carta ont survécu au XIIIe siècle pour influencer la conception du monde moderne.
Quatre versions de la Magna Carta (Grande Charte) de 1215 subsistent à ce jour. Le document de huit cents ans est conservé à la British Library.
L’illustration Le roi Jean et la Magna Carta est tirée d’un livre de 1850 intitulé Pictures of English History. On y voit le roi avec une plume d’oie à la main plutôt qu’avec le sceau qui, en fait, avait servi à ratifier la Charte.
1re partie
L’histoire de rois, de barons et des biens communs
À l’occasion de son huit-centième anniversaire, la Magna Carta demeure l’un des documents les plus influents de l’histoire. Elle est le plus ancien exemple d’un monarque anglais qui accepte la volonté de ses sujets en leur permettant d’imposer des limites à son pouvoir. La charte qui a été présentée au roi Jean sans Terre dans le pré de Runnymede en 1215 allait devenir le document de base des systèmes contemporains de gouvernance démocratique.
Les défenseurs de la Magna Carta de l’époque seraient toutefois étonnés de son interprétation actuelle. Dans l’Angleterre du XIIIe siècle, la démocratie était synonyme de chaos, la société était rigoureusement hiérarchisée et la Charte avait été rédigée pour lier le roi aux précédents plutôt qu’à de nouvelles responsabilités.
LES PREMIÈRES PERCEPTIONS DE LA DÉMOCRATIE
Dans l’Antiquité, les Grecs utilisaient une forme précoce de démocratie participative qui a inspiré les formes modernes de gouvernement. La démocratie athénienne classique (du Grec dēmokratía, ou souveraineté du peuple, par opposition à aristokratía ou pouvoir de l’élite) a vu le jour au Ve siècle avant notre ère. Les citoyens avaient obtenu le droit de s’adresser au gouvernement et pouvaient, par un tirage au sort, former un conseil dirigeant. La définition de « citoyenneté » était toutefois limitée. Selon la loi sur la citoyenneté, seuls les fils d’un père et d’une mère athéniens étaient admissibles à devenir eux-mêmes des citoyens. Les femmes, les esclaves, les anciens esclaves, les étrangers et les hommes de moins de vingt ans étaient exclus du processus politique.
Malgré le caractère exclusif de la citoyenneté athénienne, de grands philosophes grecs jugeaient que la démocratie était à peine meilleure que la loi de la rue. Platon, l’auteur de La République, théorisait que la meilleure forme de gouvernement était un roi-philosophe pour qui la poursuite de la connaissance était une fin en soi. Par contre, il voyait la démocratie comme une anarchie selon laquelle une classe inférieure importante prenait des décisions en fonction de ses plus bas instincts, notamment le désir de richesse, enfreignant les lois pour les satisfaire. L ’élève de Platon, Aristote, estimait que la démocratie était un système modéré, mais tout de même indésirable parce qu’elle permettait aux pauvres de gouverner dans les intérêts de leur propre statut social sans tenir compte de l’ensemble des citoyens. L’Athènes de l’époque classique, la société qui a inventé une forme de démocratie, doutait beaucoup du bien-fondé de ce système gouvernemental.
L’école d’Athéniens, par Raphaël (1483-1520). Les philosophes grecs Platon (en mauve et rouge) et Aristote (en bleu et brun) se trouvent au centre de la fresque.
La République romaine (de 509 à 27 avant notre ère) se fondait sur les idéaux politiques athéniens, mais limitait la démocratie à un groupe de gens encore plus restreint. Le système était conçu pour permettre aux propriétaires de maintenir leur pouvoir sur les ouvriers. Pour être membre du Sénat, l’organisme consultatif de la République, il fallait satisfaire aux exigences en fait d’âge et posséder des biens. Les citoyens romains étaient divisés en deux classes : l’une avait le droit de se marier et d’accumuler des biens, l’autre pouvait de plus voter et briguer les suffrages. Pendant que Rome élargissait ses frontières, la structure à deux volets de la citoyenneté permettait à l’élite de nouvelles régions de se joindre graduellement à la structure politique romaine sans menacer les intérêts existants. Les Romains ont débarqué dans les îles Britanniques en 43 avant l’ère chrétienne et ont gouverné une grande partie de l’Angleterre et du pays de Galles jusqu’en 409 de notre ère, selon leurs traditions politiques.