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Standards ouverts, open source, logiciels

et contenus libres :
l’émergence du modèle du libre

Jean-Baptiste Soufron*

LE succès du libre ne se démontre pas : il se constate un peu plus


chaque jour. Il correspond à un phénomène complexe qui allie des
modèles techniques, économiques, sociaux et juridiques. Le HTML est
un standard ouvert de document hypertexte ayant réussi à dominer
les formats propriétaires concurrents et qui est maintenant utilisé par
l’ensemble des sites internet. VLC est un logiciel de lecture vidéo
développé collaborativement sous licence libre qu’on retrouve
aujourd’hui dans de nombreux boîtiers ADSL triple play à travers le
monde. Flickr est un site internet qui permet de mettre en ligne des
photos sous licence libre. En 2008, il hébergeait trois milliards de
photos et était utilisé par la plupart des journaux et des magazines à
travers le monde. Wikipedia est une encyclopédie collaborative
autour de textes et de contenus multimédias mis à disposition dans
des licences libres. Elle figure régulièrement dans le palmarès des
cinq sites les plus visités du monde et fédère de nombreuses commu-
nautés spécifiques. Creative Commons est une association américaine
qui a créé une série de contrats de licences types permettant d’éche-
lonner les différents niveaux de liberté que des auteurs peuvent
accorder à leur public.

Le libre : un système juridique de protection et de diffusion


Le mécanisme fondamental du libre repose sur l’autorisation préa-
lable qu’un auteur consent à donner pour permettre à ses utilisateurs
de participer activement au développement de son œuvre. À n’en pas

* Avocat, responsable du think tank de Cap Digital, ancien chief legal officer de la Wikime-
dia Foundation, cofondateur de nonfiction.fr et de la revue Amusement.

Mars-avril 2009 128


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douter, le succès de ce modèle correspond à l’une des principales


révolutions du savoir apportée par le numérique.
En dépit d’un manque de reconnaissance par les milieux juridi-
ques, économiques et politiques, le libre repose sur des mécanismes
robustes, offre une véritable sécurité juridique, et permet d’élaborer
de véritables chaînes de valeur.
C’est l’une des grandes surprises économiques du XXe siècle. Mais
ce succès reste peu étudié. Il correspond à l’interaction complexe de
modèles eux-mêmes complexes. Ceux qui les ont financés ou qui ont
participé à leur développement n’avaient pas nécessairement
conscience de leur impact final, ni de la façon dont ils joueraient les
uns avec les autres.
À cela, il faut ajouter nos propres incapacités à s’approprier la
question numérique. Par exemple, le logiciel reste un inconnu qu’il
faudrait pouvoir appréhender simultanément sous l’angle du produit
commercial, du standard collaboratif, de l’infrastructure industrielle
et d’un outil connaissance. À ce jour, nous avons encore des difficul-
tés à comprendre l’utilisation d’un simple logiciel, à en représenter
l’impact économique et à planifier son évolution.
Enfin, l’étude du libre est encore compliquée par notre propre dif-
ficulté à analyser l’échange non marchand et la création de biens
communs informationnels. Il peut tout aussi bien s’agir de stratégies
de standardisation émanant de grands acteurs de l’informatique, que
de la capacité d’un groupe d’individus à se fédérer autour d’un projet
commun en acceptant de réguler leurs bénéfices individuels pour tra-
vailler ensemble.
Mais même si la réussite du libre est arrivée comme une surprise et
qu’elle est difficile à systématiser, elle correspond à des changements
de fond. Les répercussions des nouvelles infrastructures qu’elle
contribue à ériger se font sentir dans l’ensemble des industries de la
connaissance, et au-delà.

Une logique d’autorisation préalable


Le succès du libre repose pourtant sur une logique simple. Il s’agit
de la création d’un écosystème dans lequel chaque membre est poussé
à réutiliser au fur et à mesure la création des autres.
D’un point de vue juridique, il est remarquable que la réalisation
de ces écosystèmes soit intervenue à travers l’institution du contrat
de droit privé. En effet, les conditions de la collaboration entre les
individus sont créées par l’enchaînement de contrats de licence. Les
obligations qu’ils génèrent sont suffisamment souples pour permettre
à chacun d’utiliser la création collective, ou de remettre ses propres

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créations au pot commun. Mais c’est bien l’interaction de contrats


invididuels dans le temps qui tisse le réseau constitutif de la struc-
ture fondamentale de la collaboration.
Ce modèle se retrouve à tous les niveaux. Sans être aussi clair que
dans l’exemple du logiciel ou des contenus libres, il est par exemple
représentatif de la différence entre l’internet et les premières versions
d’America Online ou le minitel. Aujourd’hui en effet, n’importe qui
peut créer un site internet en utilisant les standards ouverts dévelop-
pés à cet effet par le W3C, l’IETF et l’IEEE. Il n’est pas nécessaire de
passer par les protocoles brevetés qui étaient autrefois développés
par des acteurs comme AOL ou France Télécom et dont l’utilisation
était soumise à leur autorisation préalable. De même, n’importe qui
peut envoyer des courriels sans avoir besoin d’acquérir les licences
de Pop ou d’Imap, les protocoles d’envoi et de récupération de mes-
sages. Ce sont des standards ouverts dont les licences ont été accor-
dées à l’avance par leurs développeurs, à des conditions prévues une
fois pour toutes.
Les entreprises et les développeurs tiers sont même autorisés à
imaginer de nouveaux usages et de nouveaux logiciels. Ils ont ainsi
pu atteindre de meilleurs niveaux d’interopérabilité et créer des mar-
chés dont la taille a rapidement surpassé celle de leurs concurrents
non standardisés. Pour reprendre l’exemple du courriel électronique,
il est aujourd’hui très facile d’envoyer un message d’un smartphone
vers un site de courriels, un logiciel de messagerie, un autre smart-
phone, et tout un ensemble de terminaux dont le nombre et la variété
ne cessent d’augmenter. La possibilité d’utiliser des standards
ouverts de messageries et de transmission de données a permis aux
fabricants et aux développeurs d’imaginer des produits et des ser-
vices sans avoir besoin de négocier le droit de les utiliser auprès de
leurs créateurs, et sans se soucier de leur compatibilité avec les
autres solutions existantes.
C’est aussi une façon de voir apparaître de nouveaux modèles éco-
nomiques indépendants des modèles techniques et juridiques sous-
jacents. Le minitel et America Online imposaient une facturation à la
durée de consommation qui était intrinsèquement limitante de l’usage
par le public. D’autres modèles étaient déjà possibles, mais ils
n’étaient pas favorisés par les opérateurs accordant les autorisations
d’utilisation. Le minitel pouvait permettre d’accéder à des serveurs
quasi gratuits via des numéros en 3614. À l’image de The Source,
d’autres services de données en ligne qu’America Online ou Compu-
serve pouvaient facturer au forfait ou adopter des modèles mixtes.
La possibilité de ne pas dépendre d’une autorisation préalable
pour utiliser des standards ouverts ou des logiciels libres a permis à
de nombreux acteurs de développer une gamme beaucoup plus com-
plète de modèles économiques. Wikipedia repose sur le don. Flickr

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propose son service gratuitement, mais ils vendent aussi une solution
premium incluant des fonctionnalités supplémentaires. World of War-
craft n’est accessible qu’en échange du versement d’un forfait men-
suel. Et, naturellement, de nombreux sites internet ont adopté un
modèle publicitaire en proposant leurs contenus gratuitement, et en
se chargeant soit de revendre leur trafic auprès de leurs annonceurs,
soit de s’inscrire à des régies automatiques.
Mais en réalité, bien plus que la publicité, c’est le libre qui est au
cœur de l’internet et de la révolution numérique. Le gratuit n’en est
qu’une conséquence économique. Il correspond à la possibilité de
profiter des diminutions de coût de développement et de licence pour
faire des économies d’échelle et déclencher des stratégies de standar-
disation. De même, l’internet participatif, les modèles collaboratifs et
le Web 2.0 ne sont que des formes applicatives rendues possibles par
l’irruption du libre et de l’ouvert.
À cet égard, il n’est pas anodin que les grands acteurs du modèle
publicitaire se retrouvent également être de grands défenseurs des
modèles libres. Google, par exemple, met de nombreuses applications
à disposition sous des licences libres, dont son système d’exploitation
pour téléphone mobile. De même, ils sont à l’origine du Google Sum-
mer of Code, un concours de programmation réunissant plus d’un mil-
lier d’entreprises et d’universités américaines et internationales dont
les productions doivent impérativement être mises à disposition sous
des licences libres afin de pouvoir être réutilisées par Google, mais
aussi par les autres participants.

Le libre est présent


tout au long de la chaîne de la création numérique
Largement utilisés dans l’environnement numérique, les modèles
libres s’appliquent désormais à l’ensemble de l’écosystème. Sans
entrer dans le détail des différences qui peuvent exister entre ces
diverses notions, on parle de standards ouverts quand les modèles du
libre s’appliquent à des formats de fichiers, des protocoles de trans-
mission de données ou des normes technologiques. En matière de
logiciels, on parle de logiciel libre ou d’open source. Enfin, l’explo-
sion de la bande passante apporte de plus en plus de visibilité aux
contenus libres, notamment dans le secteur du multimédia.
Par souci de simplicité, il faut utiliser les notions traditionnelles et
parler de libre et de propriétaire. Mais il faut aussi les expliciter. Le
libre ne se construit pas comme une opposition au droit de propriété.
Au contraire, il en constitue même une forme de parachèvement dans
l’utilisation très avancée qu’il fait du droit de la propriété intellec-
tuelle et des licences de droit d’auteur.

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Cette capacité du libre à se construire dans le cadre du droit exis-


tant est pour une grande part à l’origine de sa force. Il lui procure une
véritable sécurité juridique et garantit son intégration dans les pra-
tiques des communautés d’acteurs.
Juridiquement, en effet, le libre est une solution simple à la ques-
tion de savoir comment travailler collaborativement tout en respec-
tant le droit d’auteur. Loin de créer des incertitudes juridiques, il
s’appuie sur les mécanismes connus qu’est la licence de droit d’au-
teur. La principale de ses innovations consiste en fait à exiger des
obligations non pécuniaires plutôt que d’exiger un prix comme
contrepartie.
Pour résumer le fonctionnement du libre, il s’agit essentiellement
de l’auteur d’une œuvre qui utilise son droit d’auteur pour autoriser
un certain nombre d’usages à l’avance.
En effet, le droit d’auteur permet d’interdire les utilisations et les
modifications de son œuvre. Mais il permet aussi de les autoriser.
Certes, cette autorisation est généralement accordée en échange
d’une contrepartie financière, mais elle peut aussi être donnée contre
des obligations diverses et variées, comme l’obligation de dévoiler
publiquement les améliorations éventuelles.
Concrètement, il peut s’agir d’une entreprise ou d’un auteur de
logiciel qui souhaite diffuser son travail et profiter du feedback
d’autres auteurs. Dans ces conditions, il va profiter de son droit d’au-
teur pour écrire une licence, ou choisir une licence déjà existante. Ce
document lui permet de décrire les conditions auxquelles il est prêt à
laisser d’autres que lui utiliser son logiciel, ainsi que les utilisations
précises qu’il autorise, et celles qu’il n’autorise pas. Il lui suffit alors
de diffuser son travail accompagné de la licence de son choix. Rien
ne l’empêche aussi d’utiliser plusieurs licences correspondant à des
usages différents, ou bien de conclure une licence accompagnée
d’une contrepartie pécuniaire à des conditions différentes de sa
licence libre.
L’auteur ne renonce à aucun moment à ses droits sur son œuvre. Il
ne sort pas du régime contractuel et privé du Code de la propriété
intellectuelle. Au contraire, il crée une relation contractuelle avec
chacun de ses utilisateurs. Il s’engage envers eux à les laisser utiliser
son travail dans le cadre du contrat de licence, tandis qu’eux s’enga-
gent envers lui à respecter les conditions qu’il y a spécifiées. La
licence libre est un contrat type de même valeur que les conditions
générales d’utilisation des logiciels vendus en boîte. Dans l’hypo-
thèse où un fraudeur s’écarterait des conditions qui y sont spécifiées,
son usage serait alors qualifié de contrefaçon, et il serait soumis aux
sévères sanctions qui y sont associées.
Par exemple, si un photographe met des photos sur Flickr en auto-
risant leur usage non commercial, n’importe qui peut les télécharger

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mais une revue qui s’aviserait de les exploiter comme illustration


sans le prévenir se mettrait immédiatement dans son tort et risquerait
d’autant plus d’être punie que le site internet lui fournit toutes les
informations nécessaires pour contacter l’auteur de la photo et obte-
nir de lui l’autorisation ad hoc dont elle aurait besoin.
Les autorisations les plus classiquement accordées par les licences
recouvrent quatre libertés : le droit d’utiliser l’œuvre de l’auteur, le
droit de prendre connaissance de son fonctionnement, le droit de la
reproduire, le droit de la modifier, le droit de la distribuer. Les
contreparties les plus courantes concernent surtout le respect de la
paternité du ou des auteurs, ainsi que le devenir des œuvres dérivées
qui pourraient être bâties de l’œuvre originale.
Historiquement, les premiers modèles de licences libres touchent
au domaine du logiciel. Il en existe un très grand nombre dont la plu-
part sont cataloguées par des associations comme la Free Software
Foundation ou l’Open Source Initiative. Certaines ne concernent
qu’un seul projet et n’ont pas vocation à servir de modèle ; d’autres
rencontrent une popularité particulière, soit en raison de la nature
fédératrice de leur projet de naissance, soit en raison de leur capacité
à exprimer les besoins standards des créateurs.
À cet égard, le modèle de contrat de licence le plus connu est la
GNU Public License (GNU-GPL) qui a été rédigée par Richard Stall-
man et Eben Moglen, et dont la version la plus récente date de 2007.
Elle est suivie en nombre d’utilisations par la Lesser GNU Public Li-
cense (GNU-LGPL) et la Berkeley Software Distribution (BSD). Dans le
domaine des contenus, les modèles les plus utilisés sont la GNU Free
Documentation License (GNU-FDL) qui régit les articles de Wikipedia,
et les contrats Creative Commons qui ont été traduits en plusieurs
langues et qui régissent de nombreux contenus multimédias.
Certaines institutions françaises ont aussi cherché à élaborer des
licences directement rédigées en français. Sur le modèle de la GNU-
GPL, le CNRS, le CEA et l’Inria ont ainsi décidé de créer la série des
licences CeCill.
Le besoin se faisait sentir avec urgence chez ces acteurs de la
recherche obligés de partager leur travail entre eux, mais aussi avec
des entreprises. L’utilisation du libre est devenue un des piliers de
leur politique de transfert technologique. En effet, c’est la façon la
plus simple de diffuser immédiatement la connaissance dans un
cadre juridiquement sécurisé, par exemple grâce à la mise à disposi-
tion du code source de logiciels communs entre les centres de
recherche et les industries. De leur point de vue, c’est aussi un élé-
ment d’optimisation de la recherche, un vecteur d’innovation et une
façon de promouvoir des spécifications pouvant, à terme, devenir de
nouvelles normes.

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Les trois formats de licences CeCill visent trois types d’utilisation


spécifiques à leurs créateurs (juridique, information, transfert). Leur
rédaction est homogène pour assurer leur compatibilité. Enfin, elles
organisent leur propre compatibilité avec la licence GNU-GPL.
Concrètement, l’auteur d’un travail sous licence CeCill s’engage par
avance à autoriser son utilisation sous licence GNU-GPL si l’élément
sous licence GNU-GPL était agrégé à son logiciel. Dans ce cas, les
développements ultérieurs obéiraient à la seule licence GNU-GPL et
non plus à la licence CeCill.
Les raisons qui peuvent pousser un auteur à mettre son œuvre à
disposition via une licence de logiciel libre sont au moins de trois
types. Le projet peut être trop important pour lui et nécessiter de faire
appel à une communauté de développeurs à laquelle il propose de
participer en échange de la mise en commun des améliorations. C’est
l’exemple de nombreux logiciels développés par des PME, des univer-
sitaires ou des particuliers. C’est aussi l’exemple des auteurs de
Wikipedia qui n’auraient individuellement pas les moyens de contri-
buer à un projet aussi important que le site de l’encyclopédie. Mais
c’est aussi la situation dans laquelle se retrouvent de très grands
groupes informatiques comme IBM qui n’utilisent plus leurs res-
sources pour développer du logiciel en tant que tel, mais plutôt pour
manager les communautés de développeurs, dont certains font partie
de leurs employés, et d’autres non.
Il se peut aussi que le travail ne nécessite pas forcément des res-
sources extérieures, mais qu’il ne soit qu’une brique dans un
ensemble plus complexe et que son usage soit très limité en tant que
tel. C’est la situation du photographe ou du musicien qui souhaite
faire connaître son travail, mais qui ne dispose pas du circuit profes-
sionnel pour le valoriser. C’est aussi la situation de nombreux blo-
gueurs qui diffusent leur blog avec une licence Creative Commons
pour faciliter sa réutilisation sur d’autres blogs, susciter sa reprise et
maximiser leur audience et leur réputation.
Enfin, il arrive aussi que le logiciel ou le contenu à diffuser ait peu
de valeur en lui-même, qu’il soit déjà communément présent sur le
marché et qu’il ne soit pas difficile à réaliser. Dans ce cas, le diffuser
en libre ou réutiliser des briques libres existantes permet à l’auteur
de se concentrer sur des services, c’est-à-dire sur son apport person-
nel extérieur à l’œuvre elle-même. Certaines sociétés de service
informatique se sont ainsi spécialisées dans le support et la mainte-
nance d’un ensemble de logiciels libres, d’autres se sont concentrées
sur l’adaptation aux besoins spécifiques de leurs clients, etc.
Partant de là, chaque intervenant déploie son modèle unique
autour de toute la palette offerte par le libre. De très nombreux pro-
jets proposent des services originaux, mais qui fonctionnent sur la
base d’une architecture de logiciels et de contenus libres.

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Ils participent ainsi à la création d’un écosystème complexe au


sein duquel chacun se relie à l’autre par les licences qu’il utilise.
Feedbooks, par exemple, est un service qui permet de télécharger des
livres du domaine public ou en licence libre pour son téléphone
mobile ou son e-reader. Sans même parler du site en HTML et de son
hébergement sur des logiciels libres, les livres sont envoyés via le
standard ouvert RSS. Et le logiciel qui permet d’adapter leur format
aux différents appareils disponibles sur le marché est construit
autour d’un groupe d’applications dénommé Ruby on Rails et créé à
l’origine par une société américaine appelée 37signals. L’outil qui
permet de lire ces livres sur Mac est un logiciel libre du nom de
Calibre. Il permet aussi de récupérer des magazines depuis leur site
internet et de les intégrer à son e-reader grâce à l’utilisation des stan-
dards ouverts RSS et HTML.
Cette capacité à donner son autorisation à l’avance par le biais
d’un contrat de licence type est fondamentale pour déclencher la
structuration d’une communauté autour du travail de l’auteur. C’est
elle qui permet aux tiers innovants de se greffer sur la création de
l’auteur, sans pour autant le priver de son droit et de son contrôle.

Un modèle généralisable ?
Aujourd’hui, il semblerait que le libre soit adaptable à la plupart
des modèles économiques existants. Il peut servir aussi bien à déve-
lopper des projets innovants de petite taille, qu’à accompagner la
mise en place de véritables chantiers d’infrastructures informatiques.
De même, d’un point de vue social, le libre semble pouvoir fonction-
ner aussi bien avec de petits groupes composés d’individus qu’avec
des consortiums regroupant des institutions publiques ou des grandes
entreprises.
Il n’existe pas un modèle du libre, mais une logique et des outils.
L’important est de créer une bonne adéquation entre les possibilités
offertes par telle ou telle licence choisie par un projet, et par les
besoins ou les envies de sa communauté de développeurs. Dans le
futur, ces choix seront importants en ce qu’ils formeront la colonne
vertébrale du modèle économique éventuel de l’œuvre, mais en ce
qu’ils dessineront aussi les grandes lignes de sa gouvernance en tant
que projet. Certains créateurs feront payer leur service ou leur
renommée. D’autres essaieront de générer de l’audience et de la
publicité. D’autres encore utiliseront les économies réalisées sur le
développement de leurs produits pour casser les prix et pénétrer le
marché. Mais tous devront désormais composer avec la communauté
de leurs utilisateurs dans une gouvernance commune, à des condi-
tions définies à l’avance.

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Ces modes de gouvernance émergents existent depuis l’apparition


des premiers logiciels libres. Ils ont donné lieu à des structures aussi
construites que la fondation Debian qui organise le développement de
la distribution Linux de référence. Mais ils sont aujourd’hui particu-
lièrement visibles sur des sites comme Wikipedia. La rédaction de
l’encyclopédie est ouverte au public qui peut reprendre ou modifier
tout ou partie d’un article. Dès lors, il arrive bien sûr que les rédac-
teurs ne soient pas d’accord entre eux et qu’il faille les départager. De
nombreuses fonctions de gouvernance sont donc apparues au fil du
temps. Par exemple, chaque article est désormais associé à une page
de discussion où les participants peuvent échanger leurs points de
vue sur la question de savoir s’il faut ou pas remodeler une partie
d’un article, faire appel à un arbitre extérieur, demander des vérifica-
tions des sources de l’article, etc.
Le libre a donc vocation à transformer des biens individuels en
biens communs via la mise en place de structures de gouvernance qui
prennent la forme d’un enchaînement de licences de droit d’auteur.
Ces structures de gouvernance sont des enjeux fondamentaux pour
le développement de l’économie numérique dans les années qui vien-
nent. Leur forme et leur taille peuvent être très diverses. Flickr s’ap-
parente à une sorte de forum où les gens viennent s’échanger leurs
photos, la Wikimedia Foundation est une association américaine à
but non lucratif qui accepte des dons et contrôle la marque Wikipe-
dia, la Mozilla Foundation est une association à but non lucratif cou-
plée à une société commerciale principalement financée par Google.
Dans toutes les hypothèses, le modèle du libre prend de plus en
plus d’ampleur. Il est l’outil idéal de la création collaborative dans
l’environnement numérique. On peut donc s’attendre à ce que l’inté-
rêt des grands groupes ne fasse que s’accentuer. À cet égard, il est
par exemple remarquable que l’une des premières décisions de
Barack Obama ait été de confier une mission sur le logiciel libre à
Scott McNealy, le président fondateur de Sun.
Il devient donc urgent de mieux prendre ce modèle en compte,
dans le cadre de la politique de l’innovation bien sûr, mais aussi en
termes de politique de concurrence, de compétitivité internationale et
de diversité culturelle.
Jean-Baptiste Soufron

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