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La diversification dialectale est l’un des traits les plus saillantes de cette période.On distingue
trois grandes zones :
-la région de la langue d’oc, qui comprend le bassin de la Garonne, le Limousin, l’Auvergne, le
Languedoc, le Comtat venaissin et la Provence :
-la région franco-provençade, qui comprend le département du Rhône de la Loire de la Haute-
Savoie, de l’Isère, de l’Ain, du Doubs, du Jura :
-la région de la langue d’oïl, qui comprend l’Artois, la Picardie, la Wallonie, La Lorraine, la
Bourgogne, la Franche-Comté, la Champagne, L’Ille-de-France, l’Anjou, le Maine, la Touraine, la
Bretagne, la Normandie, la Saintonge, l’Angourmois .
Les deus grandes aires dialectales, appelées langue d’oc et langue d’oïl d’après la manière de
dire oui ( oc <HOC et oïl < HOC + ILLE), se distinguent l’une de l’autre surtout par l’intensité des
changements phonétiques. Au sud de la Loire, l’étymon latin est généralement plus résistant.
Voici d'abord un schéma montrant la déclinaison de l'adjectif latin purus, fr. pur, ensuite une carte
montrant la diversité linguistique de la Romania, et enfin un stemma montrant la diversification des
langues romanes .
Latin:
Masculin Féminin
Singulier Pluriel Singulier Pluriel
Nominatif purus puri pura purae
Accusatif purum puros puram puras
Italien:
Masculin Féminin
Singulier Pluriel Singulier Pluriel
puro puri pura pure
Ancien français:
Masculin Féminin
Singulier Pluriel Singulier Pluriel
Cas sujet purs pur pure pures
Cas pur purs pure pures
oblique
Français moderne:
Masculin Féminin
Singulier Pluriel Singulier Pluriel
pur purs pure pures
Le latin non-classique
Dans sa version gallo-romaine a fourni la base principale du français, qui a hérité de lui la plus
grande partie de son vocabulaire et de sa structure grammaticale.
Le latin littéraire, qui continuait à être utilisé dans l'enseignement, dans l'administration et dans la
jurisprudence, n'a jamais cessé d'influencer le français, qui a trouvé dans le latin classique une
source de renouveau et un idéal de perfection et de clarté formelles.
Au Moyen Âge, on considéra le latin comme représentant l'essence de la langue, donc comme
éternel, immuable, régulier, alors que les parlers vulgaires étaient contingents, altérables, remplis
d'impuretés et d'imprécisions.
Le latin était le seul idiome imaginable dans les genres nobles, à l'église, à l'université, au prétoire,
dans les chancelleries, alors que li romanz, le roman, n'était accepté que dans la vie quotidienne et
dans la littérature de divertissement, c.-à-d. la poésie d'amour, les chansons de geste, les romans
(qui ont reçu leur nom de l'idiome dans laquelle on les a écrits), les nouvelles, les pièces de théâtre.
Ce ne fut qu'à la Renaissance qu'on commença à considérer les langues populaires comme
comparables au latin, Dante pour l'italien, les auteurs de la Pléiade pour le français, et en 1539,
avec l'Édit de Villers-Cotterêts, François Ier (1515-47) ordonna le remplacement du latin par le
français comme langue de juridiction partout dans le royaume de France.
Du point de vue de la lingustique historique, les langues romanes constituent un cas particulier,
puisqu'on peut suivre assez exactement leur évolution depuis un point de départ, le latin, jusqu'aux
points d'arrivée (français, espagnol, italien, etc.)
Normalement, l'étude de l'histoire d'une langue implique la construction purement hypothétique
des étymologies par la comparaison des formes actuelles, sans possibilité de vérification. En
linguistique romane, les étymologies sont souvent là, dans le latin. Ceci n'exclut pas, évidemment,
l'existence de “trous noirs”. Notamment, on ne sait pratiquement rien de précis sur ce qui s'est passé
sur le plan linguistique entre 450 et l'apparition des premiers textes en français aux 9e, 10e et 11e
siècles.
La période obscure 450-850. De la basse latinité aux premiers textes français
400 ans séparent le latin vulgaire ou bas latin du premier texte en ancien français. La Gaule fut
probablement complètement romanisée vers 400.
La pénétration du latin est due à la classe possédante, qui imita l'aristocratie romaine et participa à
la vie administrative, aux vétérans de l'armée, qui furent installés comme colons, et aux gens
d'église.
La langue gauloise, appartenant à la famille des langues celtes, disparut sans pratiquement laisser
de traces, sauf quelques mots isolés appartenant surtout à la vie quotidienne, par exemple
*camisa ® 'chemise',
*camino® 'chemin',
*blato® 'blé',
*bracas® 'braies',
*carro® 'char', cf 'charpente', 'charrue',
*multone® 'mouton',
*sudia® 'suie,
mais dont l'étymologie est presque toujours discutable. En tant que substrat, l'influence du gaulois
sur le latin parlé en Gaule est en général incertaine.
Il est cependant possible que la prononciation de la voyelle longue u [ū] en latin, [y] en français
soit due à l'influence du gaulois.
Il y a de bonnes raisons de croire que jusque vers 450, la population ait été capable de
comprendre le latin vulgaire, par exemple de suivre la messe. Sur la sermo vulgaris (le parler
vulgaire, c.-à-d. le latin vulgaire), on sait assez peu de choses.
Nous n'avons que quelques inscriptions avec des fautes d'orthographe et de grammaire révélatrices,
quelques mises en garde contre les fautes de langage, la traduction de la Bible, dite La Vulgate par
Saint Jérôme, terminée en 405, et la Peregrinatio Aetheria ad locam sanctam, où une religieuse
espagnole Éthéria où Egéria fait un récit vivant de son voyage à Jérusalem à la fin du 4e siècle.
Voici un exemple où Éthéria décrit les difficultés linguistiques rencontrées lors d'une messe pascale
à Jérusalem sur le tombeau présumé du Christ.
XLVII. 3. (…) quoniam episcopus, licet siriste nouerit, tamen semper grece loquitur et nunquam
siriste: itaque ergo stat semper presbyter, qui episcopo grece dicente siriste interpretatur, ut omnes
audiant [ut omnes audiant] quae exponuntur.
4. Lectiones etiam, quecumque in ecclesia leguntur, quia necesse est grece legi, semper stat, qui
siriste interpretatur propter populum, ut semper discant. Sane quicumque hic latini sunt, id est qui
nec siriste nec grece nouerunt, ne contristentur, et ipsis exponitur eis, quia sunt alii fratres et sorores
grecolatini, qui latine exponunt eis.
Traduction:
XLVII. 3. (…) parce que l'évêque, bien qu'il sache le syrien, parle néanmoins toujours en grec et
jamais en syrien, un prêtre est toujours là qui, l'évêque parlant grec, traduit en syrien, pour que tous
entendent ce qui est exposé.
4. De même en ce qui concerne les lectures quelles qu'elles soient, qui sont lues à l'église, – parce
qu'il faut les lire en grec, il y a toujours quelqu'un qui les traduit en syrien pour le peuple pour son
édification. Et même, s'il y a des Latins, qui ne savent donc ni le syrien ni le grec, pour qu'ils ne
soient pas tristes, tout leur est également traduit, parce qu'il y a des frères et des sœurs greco-latins
qui leur donnent des explications en latin.
Deux glossaires, le Glossaire de Reichenau et le Glossaire de Kassel, donnent des renseignements
précieux sur la situation linguistique en Gaule au 8e siècle. Le premier, établi en Gaule du Nord
entre 700 et 750, traduit du latin en langue vulgaire:
Le second est une sorte de parleur qui donne l'équivalent des expressions romanes en germanique.
Il est systématique: l'homme, les bêtes, l'habitat, les vêtements, etc. Il est écrit par un Bavarois,
commelemontrentles exemples suivants
stulti sunt romani les Romains sont stupides
sapienti sunt paioari les Bavarois sont intelligents
modica est sapientia in l'intelligence est modique chez la
romana plus habent stultitia Romaine; elles ont plus de
quam sapientia stupidité que d'intelligence
Sous Charlemagne, le concile de Tours (812-813) ordonne aux prètres de traduire leurs sermons et
les homélies in rusticam romanam linguam aut theotiscam, quo facilius cuncti possint intellegere
quae dicuntur 'en langue rustique romane ou tudesque pour que les assemblées puissent comprendre
plus facilement ce qui est dit.
Les serments de Strasbourg 842
Le premier texte français est un texte juridico-politique. Il date de 842. En 840 Louis le
Débonnaire, fils de Charlemagne, mourut. Depuis 817 déjà, il avait opéré plusieurs partages du
territoire entre ses fils. Lothaire héritait du titre impérial, Louis, dit le Germanique, de la Bavière, et
Charles, dit le Chauve, fils d'un deuxième lit, de l'Aquitaine.
L'empire de Charlemagne
Mais dès la mort du père, les fils se font la guerre. Louis et Charles s'unissent contre
Lothaire, qu'ils battent à Fontenoy en Puisaye, pres d'Auxerre en Bourgogne.
L'année suivante, ils sont à nouveau réunis contre Lothaire. Pour sceller leur unité, ils se
prêtent des serments mutuels, Charles le Chauve en allemand, Louis le Germanique en 'français'.
Puis les deux armées prêtent serment, chacune dans sa langue également. L'événement est relaté par
Nithard, écclésiastique, petit-fils de Charlemagne et donc cousin des protagonistes, dans sa
chronique, forcément rédigée tout de suite après l'évènement, puisque Nithard mourut en 844. La
chronique est en latin, mais reproduit le texte des quatre serments en langues vulgaires. En 843, par
le traité de Verdun, les trois frères font la paix.
Charles devient roi dans l'ancienne Gaule, Louis en Germanie, Lothaire reçoit la Lombardie
et une bande entre les deux royaumes de ses frères, de la Mer du Nord aux Alpes Maritimes,
comprenant la rive gauche du Rhin, la Meuse, et les deux rives du Rhône, c.-à-d. les Pays-Bas, la
‘Lotharingie’, qui deviendra la Lorraine, la Bourgogne et la Provence.
Mais Lothaire garda son titre d'empereur. Après sa mort, son territoire se disloqua. L'empire
passa à la Germanie. Ne survivra que le duché de Lorraine, autour de Nancy-la-Ducale. La Lorraine
sera intégrée à la France en 1766.
La Lorraine de l'an 1000, divisée en deux duchés, la Haute et la Basse Lorraine. Seule la
Haute Lorraine survivra au haut Moyen Âge. © 1996 Centennia
Le texte de Nithard
Ergo xvi kal. marcii Lodhuvicus et Karolus in civitate que olim Argentaria vocabatur, nunc
autem Strazburg vulgo dicitur, convenerunt et sacramenta que subter notata sunt, Lodhuvicus
romana, Karolus vero teudisca lingva, juraverunt. Ac sic, ante sacramentum circumfusam plebem,
alter teudisca, alter romana lingua, alloquuti sunt. Lodhuvicus autem, quia major natu, prior exorsus
sic coepit:
Quotiens Lodharius me et hunc fratrum meum, post obitum patris nostri, insectando usque ad
internecionem delere conatus sit nostis. Cum autem nec fraternitas nec christianitas nec quodlibet
ingenium, salva justicia, ut pax inter nos esset, adjuvare posset, tandem coacti rem ad juditium
omnipotentis Dei detulimus, ut suo nutu quid cuique deberetur contenti essemus. ...
Cumque Karolus haec eadem verba romana lingua perorasset, Lodhuvicus, quoniam major natu
erat, prior haec deinde se servaturum testatus est:
Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di in avant, in quant Deus
savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in ajudha et in cadhuna cosa, si cum
om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il me altresi fazet, et ab Ludher nul plaid numquam
prindrai, qui, meon vol, cist meon fradre Karle in damno sit.
Quod cum Lodhuvicus explesset, Karolus teudisca lingua sic hec eadem verba testatus est:
In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gehalnissi, fon thesemo dage
frammordes, so fram so mir Got gewizci indi mahd furgibit, so hald ih thesan minan bruodher, soso
man mit rehtu sinan bru(d)her scal, in thiu thaz er mig so sama duo, indi mit Ludheren in nohheiniu
thing ne gegango, the, minan willon, imo ce scaden werdhen.
Sacramentum autem quod utrorumque populus, quique propria lingua, testatus est, romana lingua
sic se habet:
Si Lodhwigs sagrament que son fradre Karlo jurat conservat et Karlus, meos sendra, de suo
part n lostanit, si io returnar non l'int pois, ne io ne neuls cui eo returnar int pois, in nulla ajud contra
Lodhuwig nun li iu er.
Le manuscrit.
Oba Karl then eid then er sinemo bruodher Luduwige gesuor geleistit, indi Ludhuwig min
herro then er imo gesuor, forbrihchit, ob ih inan es irwenden ne mag, noh ih noh thero nohhain, then
ih es irwenden mag, widhar Karle imo ce follusti ne wirdhit.
Quibus peractis Ludhovicus Renotenus per Spiram et Karolus juxta Wasagum per Wizzunburg
Warmatiam iter direxit.
(Nithard, Histoire des fils de Louis le Pieux, édité et traduit par Ph.Lauer, Classiques de l'histoire de
France au Moyen Âge, Paris, 1926)
Traduction en français
Louis et Charles se rencontrèrent donc le 16 février dans la ville qui autrefois s'appellait Argentaria,
mais que maintenant, géneralement, on appelle Strasbourg, et prêtèrent les serments ci-dessous,
Louis en langue romane, Charles en langue tudesque. Mais avant de prêter serment, ils ont parlé
ainsi au peuple rassemblé, l'un en tudesque, l'autre en langue romane. Louis, parce qu'il est l'aîné,
commença le premier sa harangue que voici:
Combien de fois Lothaire après la mort de notre père s'est préparé à détruire et à aller jusqu'au
massacre contre moi et mon frère que voici, est connu. Mais comme ni la fraternité ni la religion
chrétienne, ni aucune inclination naturelle, sauf avis contraire, ne pouvaient aider à ce que la paix
règne entre nous, nous avons enfin été contraints à remettre l'affaire à la justice de Dieu tout-
puissant pour que par sa volonté, l'un et l'autre, nous pouvons être contentés par ce qui est dû....
Lorsque Charles a fait une péroraison avec les mêmes paroles en langue romane, Louis , parce qu'il
est l'aîné, jure le premier qu'il se sent obligé par ceci:
Pour l'amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et du nôtre, de ce jour en avant,
autant que Dieu me donne savoir et pouvoir, je sauverai mon frère Charles que voici, et en aide et
en chaque chose, comme de droit on doit sauver son frère, afin qu'il me fasse autant, et je ne
prendrai jamais de la part de Lothaire aucun plaid (=convention) qui, de mon gré, puisse être au
dam de mon frère Charles que voici.
Louis ayant terminé, Charles s'engage en langue tudesque avec les mêmes mots:
Pour l'amour de Dieu (cf Minnesang) et pour le salut du peuple chrétien et de nous deux, de ces
jours à l'avenir, pour autant que Dieu me donne savoi et puissance, alors je (me) tiendrai avec mon
frère que voici comme de droit un homme doit avec son frère, afin qu'il fasse de même avec moi, et
je n'irais jamais avec Lothaire en quoi que ce soit qui, par ma volonté, puisse lui faire du tort.
Le serment que les deux peuples (c.-à-d. les deux armées) ont juré après, chacun dans sa propre
langue, est ainsi conçu en langue romane:
Si Louis respecte le serment qu'il prêta à son frère Charles, et Charles, mon seigneur, de son côté,
ne le respecte, si je ne l'en puis détourner, ni moi, ni quiconque que j'en puisse détourner, je ne lui
serai d'aucune aide contre Louis.
Voici pour la comparaison une traduction en latin vulgaire du premier serment de Louis:
Pro Dei amore et pro christiani populi et nostro communi salvationis, de iste die in ab-ante, in
quanto Deus sapientem et potestatem mihi dat, sic salvabo ecc-istum meum fratrem Carolum, et in
adjuvamente et in *cata-una causa, sic quomodo homo per directum suum fratrem salvare debet, in
hoc quo illoe mihi alterum-sic faciat, et ab Lotharo nullum placitum nunquam inibo quod meam
voluntatem ecc-isto meo fratri Carolo in damnum sit.
La phonologie du texte comporte certains traits archaïques. Le a tonique est conservé dans fradre,
salvar, returnar. Il n'y a pas de diphtongaisons, Deo pour Dieu, poblo pour peuple, meon pour mien,
me pour moi. Savir (lat. sap¯ere, avec e long, pour saveir, mf. savoir, cf podir, dift) et amur (lat.
am¯orem, avec o long, fr. amour, cf dunat) peuvent signaler un début de diphtongaison e® [ei], o®
[ou].
Les diphtongues du texte ont leur origine dans la combinaison de deux voyelles latines ou d'une
voyelle et une consonne palatalisée: dreit ¬ directum, plaid ¬ placitum,–ai (futur) ¬ habeo. Le a
atone est conservé: aiudha, jurat, conserva, mais il semble correspondre a une voyelle assez
indifférenciée, comme le e dit muet en français moderne, cf. fradra¬ fratrem, sendra¬ senior. Les
consonnes se maintiennent à la finale et à l'intérieur des mots: jurat, conservat, parfois sous forme
sonorisée: savir, podir, cadhuna, fradre, ou même ‘re-désonorisée’: dift¬ debet. Des consonnes de
transition apparaissent: sendra¬ senior.
Sur le plan morphologique, on peut noter les pronoms personnels, eo/io¬ ego, mi¬ mihi (un datif
qui a survécu dans quelques régions), me. Le nominatif il¬ ille/*ill¯i , l'accusatif l' et le datif li. Lat.
iste est conservé dans ist, mais apparaît aussi dans cist¬ *ecce-iste. La forme oblique du relatif, cui,
devenu mf. qui apparaît aussi. Le quisque (quaeque) latin a été remplacé par la particule grecque
kata+unus: cadhuna¬ *kata-una. L'adverbe int¬ inde a déjà une fonction pronominale. Le pronom
démonstratif latin hoc se retrouve dans in o quid.
Les formes du verbe sont: le présent de l'indicatif et du subjonctif (fazet, sit, ostanit (?), pois), le
passé simple (jurat) et le futur, qui apparaît sous sa forme romane ‘analytique’: salvarai¬ salvare
habeo (= ‘j'ai à sauver’), prindrai, mais aussi sous l'ancienne forme synthétique: er¬ ero. Sur le plan
syntaxique, on remarque l'emploi de si initialement dans la phrase introduite par un verbe fini, sans
pronom personnel.
Le premier monument proprement littéraire en français est la Cantilène de sainte Eulalie. C'est une
hagiographie, issue d'une tradition latine très populaire, les Séquences. Le concile de Tours (812-
813), qui décida de «transposer les homélies en langue romane rustique ou tudesque», est
responsable d'un mouvement de francisation qui affecta la musique et la littérature.
La séquence a été récitée ou chantée à l'église le jour de la fête de la sainte.
Le texte a probalement été écrit entre la découverte des reliques d'Eulalie à Barcelone en 878 et la
mort de Louis 3 en 882, puisque le manuscrit contient le récit d'une bataille livrée par le roi en 881
où il est dit être encore en vie.
Le texte
Traduction
La vie de saint Léger représente un autre genre littéraire très populaire hérité du latin, la Vita
ou ‘Vie’ (de saint). Ce texte du 10e siècle, nous est parvenu dans un manuscrit du 11e, originaire de
Clermont-Ferrand (Bibl. Mun. No. 189).
C'ést un poème de 240 vers octosyllabiques .
Saint Léger (616 env.-679/80), neveu de l’évêque de Poitiers Dido et élevé à la cour, fut d’abord
archidiacre de Poitiers, puis abbé de Saint-Maixent. Vers 663, la reine Bathilde le nomma évêque
d’Autun. Il se montra bon évêque, mais en même temps partisan convaincu de l’autonomie du
royaume de Bourgogne.
Le maire du palais de Neustrie, Ébroïn, tenta d’imposer à la Bourgogne le roi Thierry III ; ils furent
l’un et l’autre vaincus par le roi d’Austrasie, Childéric II. Ébroïn fut enfermé à l’abbaye de Luxeuil,
Thierry dans celle de Saint-Denis.
Bien que du côté des vainqueurs, Léger tomba en disgrâce et fut expédié, lui aussi, à Luxeuil.
L’assassinat de Childéric II en 675 rendit la liberté à Ébroïn et à Léger. Le premier reprit sa
politique d’expansion et vint mettre le siège devant Autun, où Léger était rentré. Pour éviter des
souffrances à son peuple, Léger se rendit.
On lui creva les yeux, on lui coupa les lèvres et la langue, et on l’interna chez les moniales de
Fécamp. Puis, après un simulacre de jugement, on le décapita dans une forêt d’Artois.
Bien que les motifs de sa mort aient été surtout politiques, Léger fut considéré comme un martyr
lors de la réaction qui suivit l’assassinat d’Ébroïn en 683. Le culte de saint Léger fut très populaire.
(© 1995 Encyclopædia Universalis)
Le texte (extraits)
1. Domine deu devemps lauder
2. et a sos sancz honor porter;
3. in su' amor cantomps dels sanz
4. qui por lui augrent granz aanz;
5. et or es temps et si est biens
6. que nos cantumps de sant Lethgier.
7. Primos didrai vos dels honors
8. que il auuret ab duos seniors;
9. apres ditrai vos dels aanz
10. que li suos corps susting si granz,
11. et Evvruins, cil deumentiz,
12. que lui a grant torment occist.
13. Quant infans fud, donc a ciels temps
14. al rei lo duistrent soi parent,
15. qui donc regnevet a ciel di:
16. cio fud Lothiers fils Baldequi.
17. il l'enamat; deu lo covit;
18. rovat que litteras apresist.
19. Didun l'ebisque de Peitieus
20. luil comandat ciel reis Lothiers.
21. il lo reciut, tam ben en fist,
22. ab u magistre semprel mist
23. qu'il lo doist bien de ciel savier
24. don deu serviet por bona fied.
(…)
211. Tuit li omne de ciel pais
212. trestuit apresdrent a venir;
213. et sancz Lethgiers lis prediat,
214. domine deu il les lucrat;
215. rendet ciel fruit spirituel
216. que deus li avret perdonat.
217. Et Evvruins, cum il l'audit,
218. creder nel pot antro quel vid.
219. cil biens qu'el fist cil li pesat,
220. occidere lo commandat.
221. quatr' omnes i tramist armez
222. que lui alessunt decoller.
223. Li tres vindrent a sanct Lethgier,
224. jus se giterent a sos pez.
225. de lor pechietz que avrent faiz
226. il los absols et personet.
227. lo quarz, uns fel, nom aut Vadart,
228. ab un ispieth lo decollat.
229. Et cum il l'aud tollut lo queu,
230. lo corps estera sobrels piez;
231. cio fud lonx dis que non cadit.
232. lai s'aprosmat que lui firid;
233. entrol talia los pez de jus:
234. lo corps estera sempre sus.
235. Del corps asaz l'avez audit
236. et dels flaiels que grand sustint.
237. l'anima reciut dominedeus,
238. als altres sanz en vai en cel.
239. il nos aiud ob ciel senior
240. por cui sustinc tels passions.
Traduction
La langue
Les philologues se sont disputés quant à l'origine de ce texte. Il comporte des traits ‘nordiques’
mélangés à des traits provençaux. Certains ont avancé l'hypothèse d'une origine franco-provençale,
alors que d'autres optent pour une solution mixte: le texte serait d'origine picarde, mais copié et
remanié par un scribe provençal.
Le manuscrit de Clermont-Ferrand comprend également une Passion ayant les mêmes caractères
que Saint Léger.
La vie de saint Alexis date de 1040 environ. Alexis renonce à sa femme, à sa famille et à la ‘vie
dans le monde’ pour vivre pauvre et chaste.
C'est le premier texte en français qui nous soit parvenu dans plusieurs versions : L (Lamspringe,
12e s.), A (Ashburnham (12. s.), P (Paris, 13e s.), S (Paris, 13e s.), M a (Paris 13e ou 14e s.), M b
(Carlisle, 13e s.).
Le manuscrit L est considéré comme le meilleur.
Le texte est peut-être d'origine normande ou francienne. Le poème comprend 125 strophes de cinq
vers décasyllabiques. Ce mètre sera celui qu'on préfère désormais pour la poésie épique.
Le texte (extraits)
Traduction