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Tandis que l'identification est ltacte de ltesprit dans lequel
nous affirmons cette identité, Meyerson poursuit:
.sMais ctest que cette contradiction est alors tout 4 fait
fondamentale, ou comme 1'a dit Hegel, nécessaire, qu'elle
constitue une antinomie, que l'on retrouve (comme le déclare
ce philosophe en @largissant le concept kantien) "dans tous
les objots de tous les genres dans toutes les représentations,
conceptions et idées', Cette contradiction provient de ce
que la raison, cherchant 4 saisir le réel, & le rationaliser,—
ce quielle ne peut faire, nous ltavons dit, quten le recréant—
sent cependant en méme temps que si elle parvenait a accom-
plir cette tdche, elle réduirait tout au néant. Ce n'est
quiun aspect un peu différent de ce conflit essentiol que nous
décrivons en affirmant que, d'une pert, 1s raison yout 1'iden-
tité et que, d'autre part, elle sait qutil y a diversité.
Elle le sait parce qu'elle sent qutolle ne fait que tendre
vers lidentique et qu'il a done fellu que l'identit® ne soit
pas présente, qu'elle ne préexiste pas toute faite dans la
conscience, mais qu'elle y soit précisément introduite par
leffort de l'intellect. (G.P. 101).
Est-il bien vrai que 1'énoneé "un sou cst un sou" ne
saurait présenter une parfaite identité sans @tre une pure tau-
tologie, une affirmation inutile? En fait, le premier terme de
cette proposition dtidentité (pourvu qu'on ltentende ainsi, et
non pas comme une maniére de dire que méme un sou a sa valour)
signifie exactement 1a méme chose que le second terme, Cepen~ |
dant, leur mode de signifier n'est pas le méme, Le promier si-
gnifie par mode de sujet, le second par mode de prédicat, Toute~
|
fois, ces différents modes de signifier ne divisent dtaucune |
moniére ce qutils signifient, ce 4 quoi ils se rapportent, Si
l'on prend les deux termes séparément, en dehors d'une proposi-
tion, ils ne sont ni vrais ni faux, Mais si je veux me dire et ~
exprimer l'identité de la chose comme vraie, il faut que mon |
intelligence fasse une composition au-dedans dtelle-méme, a la- |
quelle composition ne peut pas correspondre une composition dans |
Ja chose; autrement, effirmer 1'identité de la chose serait con-
tradictoire. On dirait en effet que "Socrate est Socrate”, |72 -
alors que dans la réalité Socrate ne serait pas Socrate, que
Socrate serait non Socrate. En d'autres termes, le diversité
dont il stagit se trouve non pas dens 1a chose mais dans 1"in~
telligence, dens l'intelligence qui se sert du dédoublement
sujet-prédicat comme moyen dtexprimer la non diversité de la
chose, Que notre intelligence doive recourir 4 la composition
pour exprimer la vérité de l'identité provient, non pas de la
chose en elle-méme identique, mais d'un besoin caractéristique
de ltinteiligence humaine, comme nous ltavons expliqué plus
haut. L'apparence de contradiction previont d'une confusion
du récl et de 1tintentionnel, alors qu'on doit distinguor la
maniére dont les choses sont en elles-mémes de la maniére dont
elles sont dans notre intelligence,
Les philosophies idéalistes, que iton peut caractériser
per l'identification du réel et de ltintentioniel, interprétent
A cet égard ltintentionnel d'une fagon purement matérielle,
comme si 4 la dualité des termes qui composent une proposition
devait correspondre directement une dualité dans les choses,
comme si le connu était dans le connaissant selon le mode du
connu et non pas du connaissant, Or, le connaissant en cause,
ctest Lthomme, dont ltintelligence est mesurée par les choses,
laquelle dépend des choses dans lour relative antériorité &
notre connaissance; c'est la raison pour laquelle nous devons
recourir 4 l!abstraction, et, dans 1'énonciation, 4 la composi~
tion ou la division, et dans le cas de 1a science, au discours
syllogistique, On le voit maintenant, il importe souveraine-
ment de bien distinguer lun et le multiple du c6té des choses,
de ltun et du multiple du cété des moyens et des modes de con-
naftre,-B-
Done, lorsque Meyerson affirme que dans le cas de l'en-
tigrement indiscernable il ne doit subsister aucune distinction
entre les notions que l'on affirme étre reliées par ce rapport,
nous, & propos de 1l'identité, nous distinguons entre l'objet si-
gnifié avec vérité par le proposition d'identité ot les diffé-
rents modes de signifier des termes qui composent une telle pro-
position, Clest lorsqu’on ne fait pas cotte distinction qu'une
affirmation dtidentité parait contradictoire.
Qutapporte de nouveau la proposition "Socrate est
Socrate", par rapport 4 "Socrate” tout court? Elle exprime au
dodans de notre intelligence, ou dans 1'énonciation orale, la
vérité de l'identité de Socrate, Une proposition dtidentité ne
serait teutologique que si le premier terme signifiait exacte-
ment de la méme facon que le second, “ét dans ce cas, la propo~
sition ne serait méme pas une proposition, Ce qui paraftrait
étre une proposition ne dirait en fait rien d'autre que "Socrate!
deux fois.
Si importante que soit la distinction sur laquelle
nous insistons, nous devons tout de méme reconnaftre que la plu-
rification, 4 laquelle doit recourir notre intelligence pour ex-
primer Ltidentité, est un signe certain de l'imperfection, du
caractére extrémement limité de notre intelligence en tant
qu'elle dépend des choses pour étre éveillée 4 ltacte de con-
naftre.
Reppelons ici brigvement que la relation dtidentité im-
pliquée dans Ja proposition d'identité est une relation de pure
raison, aucunement réolle, cer si elle l'était, il faudrait que
dans la réalité Socrate lui-méme soit dédoublé et, par consé-