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Khalid Chraibi - Economia

Chroniques d'économie marocaine

Formation et compétitivité
Economia n° 5, juin 2006

Chronique Entreprise

Khalid Chraibi
La formation continue du personnel est-elle un atout pour l’entreprise, dans ses efforts de
développement de produits compétitifs et dans sa lutte pour l’accroissement de ses parts de marché ?
Les chefs d’entreprise marocains ne le pensent pas, si l’on en croit une enquête citée dans le rapport de
la Banque Mondiale sur l’économie marocaine, rendu public en avril 2006, sous le titre « Promouvoir
la croissance et l’emploi à travers la diversification productive et la compétitivité ». Plus de 80 % des
chefs d’entreprise interrogés ont déclaré ne pas offrir de formation professionnelle à leur personnel «
parce qu’elle n’était pas nécessaire ».

Le dédain des entrepreneurs marocains pour les activités de formation « place le pays parmi ceux qui
ont le plus bas niveau de formation dans les entreprises». Pire encore, il constitue, de l’avis de la
Banque Mondiale, l’une des contraintes significatives qui réduisent la compétitivité des entreprises
marocaines et découragent l’innovation, débouchant sur un faible taux de croissance aussi bien des
unités concernées que de l’économie marocaine globalement.

Les auteurs du rapport observent, à cet effet, à titre d’illustration, qu’au Maroc « les travailleurs peu
qualifiés et à faible valeur ajoutée prédominent dans les entreprises orientées vers l’export. Ceux qui
ont passé moins de six ans à l’école représentent 45 % de leurs effectifs, et 7 % seulement ont effectué
plus de 12 années de scolarisation. » De manière plus générale, ils relèvent qu’à peine 9 % des
travailleurs marocains ont terminé leurs études secondaires.

Comment s’explique, dans ces conditions, le faible intérêt témoigné par les entreprises marocaines
pour les activités de formation alors que, en contraste, pratiquement toutes les entreprises américaines,
européennes ou asiatiques avec lesquelles elles risquent de se trouver en situation de concurrence sur
les mêmes marchés offrent des opportunités de formation continue à leur personnel ?

Les réponses des entreprises marocaines à ce sondage méritent qu’on s’y arrête, parce qu’elles aident à
identifier les vraies raisons pour lesquelles les activités de formation restent embryonnaires.
Ainsi, nombre d’entreprises déclarent-elles ne disposer que du strict volume de personnel nécessaire à
leur bon fonctionnement, et sont donc réticentes à le libérer à des fins de formation, pendant les heures
de travail.

D’autres unités craignent de voir le personnel qu’elles auront contribué à former les quitter pour un
poste plus attrayant ailleurs, réduisant à néant le bénéfice pour l’entreprise des efforts de formation
consentis.

Pour moins d’un-cinquième des chefs d’entreprise interrogés, ce sont des considérations d’ordre
financier qui justifient leur désintérêt pour les activités de formation. Ils soulignent la nature
fastidieuse et complexe du mécanisme de remboursement par les autorités concernées des frais des
activités de formation, et le caractère imprévisible du montant des remboursements qui seront
effectivement reçus par l’entreprise.

Les experts en formation ajoutent que la majorité des dirigeants marocains d’entreprises n’ont qu’une
connaissance approximative des besoins de formation de leur personnel. Nombre d’entre eux sont
habitués à gérer des « postes de travail » (et non pas les hommes qui les occupent), chaque membre du
personnel ayant une fonction spécifique à remplir, tel un rouage dans une machine. Le chef
d’entreprise est satisfait quand la machine tourne correctement, c’est-à-dire quand tous les participants
sont en place et accomplissent leur tâche de la manière qu’il attend d’eux.

Les sociologues pourraient ajouter, dans ce contexte, qu’une majorité des décideurs dans les
entreprises marocaines ne sont pas issus d’Ecoles Supérieures de Commerce, mais ont le plus souvent
développé leur savoir-faire et aiguisé leurs talents en travaillant sur le tas, tout au long d’une longue
carrière. Ne se basant que sur leur vécu, et en l’absence du référentiel culturel requis, il leur est
difficile d’apprécier à sa juste valeur la contribution positive pour l’entreprise d’une formation
continue du personnel, dont ils ne mesurent de manière évidente que le coût.

En tout état de cause, il est clair qu’une vision statique de l’employeur gérant des postes de travail ne
peut guère intégrer de la manière appropriée la nécessité des activités de formation. En effet, celle-ci
repose sur une vision dynamique des ressources humaines, intégrant comme paramètres de base la
mobilité du personnel entre différentes fonctions, ainsi que la possibilité de progression d’un employé
d’un niveau de responsabilité à un autre. Elle implique de ce fait l’existence de plans de carrière, ce
qui est en rupture totale avec une vision statique des « postes de travail ».

Au moment où le Maroc se prépare à l’ouverture totale de ses frontières aux produits et aux opérateurs
étrangers en 2010, il est plus nécessaire que jamais de placer l’entreprise marocaine dans les
meilleures conditions possibles pour assurer sa pérennité, conserver ses parts de marché sur le plan
interne, et développer ses activités d’exportation afin de profiter de la dynamique de la mondialisation.

Les activités de formation continue forment un élément essentiel de la mise à niveau du personnel des
entreprises, afin qu’il contribue à produire des produits de qualité, au moindre coût, sans gaspillage,
dans le respect des spécifications et des délais.

Il existe dans les grands centres industriels du pays une offre conséquente de programmes de
formation adaptés aux besoins des différentes catégories de personnel d’entreprise, ayant son origine
tant au niveau de l’OFPPT (Office de formation professionnelle) qu’à celui d’innombrables
organismes privés de formation qui se sont multipliés depuis les années 1980.

Un régime de contrats spéciaux de formation (CSF) a été mis en place pour permettre aux entreprises à
jour dans leurs contributions au titre de la taxe de formation professionnelle de se faire rembourser un
pourcentage variable de leurs dépenses de formation (70 à 90 %) pour des programmes de formation
essentiellement approuvés à l’avance. Mais les procédures des CSF sont « complexes, lentes et
arbitraires », de l’avis des entreprises qui y ont recours.
Afin d’encourager les entreprises à recourir sur une grande échelle aux activités de formation, il est
donc nécessaire de revoir l’ensemble du système de financement, en se fixant comme objectif le
remboursement intégral aux entreprises concernées du coût des formations réalisées, de manière
automatique, et sans délais. A cet effet, il serait temps d’assimiler le coût de ces formations, sur le plan
du principe, aux charges normales de gestion.

L’entreprise procédant à des actions de formation devrait donc pouvoir passer directement les coûts
encourus en charges, et réduire d’un montant correspondant les sommes qu’elle doit verser à l’Etat au
titre de la taxe de formation professionnelle. Les services de l’Administration fiscale devraient
procéder au contrôle de la véracité des charges de formation, selon les mêmes principes et modalités
qu’ils appliquent au contrôle des autres charges de fonctionnement de l’entreprise.

Ce n’est qu’à ce prix que le Maroc pourra définitivement lever les obstacles qui
se dressent dans la voie de la formation continue dans l’entreprise, garante elle-
même de la compétitivité des produits marocains à l’ère de la mondialisation.

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