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leibniz critique de descartes En s'attachant uniquement a Descartes et a Leibniz, cette enquéte s'efforcerait de retrouver, a p.ttir de la métaphysique, tels qu'ils pouvaient les concevoir, I'es- prit de la méthode, le modéle mathématique, la vision philosophique du monde. Ces trois questions sont caractéristiques d'un siécle qui, par contraste avec 'age suivant, mériterait d'étre appelé le si&cle de la méthode et de l'idéal mathématique. Yvon Belavai snytepeagg mince sae WEL gallimarg OSPADEM Pans oxo intra YVON BELAVAL leibniz critique de descartes TEL gollimard ~ 168 368 — m[L42-% 7390 Yvon Belaval Leibniz critique de Descartes Gallimard Ce livre @ initialement paru dans 4a « Bibliothique des Idées » en 1960. Tous droits de traduction, de reproduction et i 3 de reproduction et d'adaptation ATT sents pour tous les pays, = ‘ditions Gallimard, 1960. FLOZORE comes AVANT-PROPOS « Descartes ne dit pas autre chose. » Par cette phrase ‘ou autre phrase de ce genre, le trés regretté Jean Laporte avait coutume de conclure, ‘sinon toujours & la mauvaise foi, du moins au mal-fondé de certaines critiques contre Descartes. Il visait, en particulier, Spinoza et Leibniz. Que répondre? et je n’étais pas convaincn. Passe panr la mauvaise foi! II parait trop difficile de sonder les intentions dautrui, et combien d’arguments de bonne foi sont faible combien, de mauvaise foi, excellents! Mais les raisons analyse’ des idées selon leur degré de clarté, ou le critére de Pévidence. A quelques nuances de vocabulaire prés, ne retrouvais-je pas dans les Nouveaux Bssais ce que j/avais, déja lu dans les Principes? Leibniz prévenait_lui-méme il suivait le vocabulaire cartésien. Et d’ailleurs er au critére de l'évidence? N’est-il pas vrai qu’é Ie combattre on agit comme ces sophistes, dont parle Aristote, qui ne peuvent mener 'attaque contre le principe de contradiction qu’en s'appuyant sur lui? Il faut, par conséquent, se rendre : Descartes ne dit pas autre chose. Non, pourtant! A la lecture répétée, les deux philoso- phes devenaient de plus en plus différents. Un mot passant de un a autre, changeait His signification, alors méme que Teibniz. prétendait en user & la cartésienne. Ainsi, le mot idée, Incontestablement, Leibniz lui laisse le sens cartésien Torsqu'il s'en sert pour désigner, non plus, avec les scolasti- ues, les archétypes éternels dans lesquels Dieu pense Jes choses, mais un contenu de pensée humaine’, Or, voici que ce contenu est actif, qu'il envelope Vinfini, qu'il exprime une Idée du monde intelligible, qu'il se rattache & la réminiscence du Ménon — bref, qu’il s’oppose, point par point, 4 la nature de l'idée selon Descartes. Dés lors, comment maintenir que les degrés de clarté dans T'idée donnent lieu, chez nos hilosophes, aux mémes analyses, 4 quelques nuances de vocabulaire prés? Et comment ramener 4 une évidence euclidienne, celle de Descartes, I"évidence axiomatique dont 1. Cf, chap. mt. 8 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES leibniz se réclame? Décidément, Descartes disait autre shose. Mais pour s'en assurer, il convenait de situer chaque Jotion, chaque diffculté, par rapport a Descartes et 4 Leiba, deux systémes de référence; ensuite seulement, se pourare fnireprendre une étude comparative qui essayerait de défiir Leibniz critique de Descartes, ate Pour tout dire, il aurait fallu retenir la scolastique réfor- mée par laquelle Leibniz s'est toujours félicite d'etre enceé dans ‘Ia philosophie avant de connaitte Descartes; et lee discussions iréniques qui V'amenaient a méditer ‘sue les mystires de la foi, question ott le maitre frangais, Paraissait sible, ¢ méme condamnable, Il aurait fallu, d'autre part ctudier les cartésiens et les anticartésiens qui ont font a la censure Jeibnizienne une certaine image du cartédn nisme, Cette étude aurait importé surtout Pour les années Gapprentissage, avant le sijour & Paris (1672-1676), puis, gu’a Paris Leibniz avoue n’avoir pas Iu encore les éerie ae Son prédécesseur avec tout le soin qu'il se proposait @’y appor- ter *, et que, pourtant, les themes fondamentaux de sa criti- due sont déjd en place, A défaut, jetons un coup dail sur GG années apprentissage. L’Université de Leipzig na pes 40 beaucoup informer notre Akademicus * dont le Professeur préféré, Jacob Thomasius, ne lira pas Descartes et Clauberg avant 1067%. Crest sans doute Pétudiant dena (1665 Qui indique son désaccord avec la Dioptrique & propos de i, réfraction ¢ : Echard Weigel, tout ignorant quill fue de Dect Sartes®, @ pu néanmoins lui donner quelque teinture des Modemnes. En, tout cas, vers 1663, commence T'initatien cartésienne : elle semble considérer tour 4 tour la meéthnde 1, A Foucher, 1675, R. I, 1, p. 247. (1676 supposatt Gerhart PLT, p. 368, note). sigilenren * ne dit as tn mot de Descartes, pale du wee este Bslermcnt SF. Phomasius d Leni, 2-12 octobre 1668, RII, 1. p. 1g SSyoRigribns mens occasis erat bls ef Cane it 4. Notas ad Jacobum Thomasium, R. VI, x p. 56. 1 sagit de ‘es sur la Philesophta Practica de J.T, enviren w6Gsr ed eee ata. Um s6Gp $i.Mk Cason, Vorteungens. tI, p. 96 kent 2B, Wer « Die Schrifen von Desearter bat ef Hee auch nicht verstanden haber, 107 studirt, er wiirde sie AVANT-PROPOS 9 " du de Arte Combinatoria (1663-1666), la méta- io sees rapports avec la théologie & I’ pogue, des Denenstationes Cathie (667-167) a pheigue epo- ri is Physica nova (1670-1671). flsce Fouts de ls Geondie pari ceux qui ont le plus e é et augmenté l’algébre aprés Viete : il lui emprunte les symboles +, = Mais dis 1666, la Nova Methodue discendac docendacque Jurisprudentice (publiée en_ 1667) felt le rite de Pevidence, Lelbniz lt Clauberg, Rey ; sme, c'est & la condit ccorder aves ie alae @ Arte Per (ates pout It sligion® Rien moins que cartésien + Sa critique trahit de las en pls inspiration religicusc : Descartes a commis dco paralo- giomen dans fea preuves de Pexistence de Dieu’, il rend Contradictoire le’ Mystire ‘de la “Transmubstantiton r al I ice 4 la métaphysique, € quill Salve heureusment Platon en nous déinisant par ae il Ia méthode est appliquée imp: iene Lamike ea suivent forment une secte stérile*. En 1670-1671, les connaissances se précisent i Lei ite les Lettres ®, achtte 4 Amsterdam en reamuecei les Regulae, 33 pages du Calel de Mons, des Cartes, des Excerpta; Paringe suivante il se Procure une édtion des b il ica 4, Révant d'une collection Cartesii Opera Philosophica ™, ene St ie he 1es illustres, il souhaite une Vie de tex Geto pat Bell Le voic en cvtepondance aves es LPLIY, ps 35, — Ct Diputio inept de Cater pa less RNY és tesiana, de CLAURERG, n'est, m scusale quran, comentaie a ‘Diao: "Peale be Guatre préceptes'y occupe les chap, x1-xv1, De Jean de Racy, ie se cen ree ee ah ae ee A ee aetar canee Ahanay 16Gb (eases on otk 8 et ee eee hag os tor ni juam Cartesianum esse...» seer Jomonstratis Canbeieasr Wehbe HVE, Ye 496 Berean ent Aton Bika lp. 502. Da Tranubuontiatne, 2668 (7) ip. soy,” 7. Specimen demumsirutivaum politicarum pro eligendy re odens haittanape Tekpy ILIV, Lipp ak clan) abe aa | ree sem, 6-16 avril 1670, R. II, 1, p. 39. oC osete de Hondetrens Banovee 187, 08,38, 3835 Fuaung du brace "Thomas Matthias Getzen, 26 mai 1671, RMP chlhas spitenlyo17 avll x670) Rol, 1p. 9% 1668 2), 10 LEIDNIZ CRITIQUE DE DESCARTES S ou semi-cartésiens Velthyusen, Conring, bientt il découvre Rohault, Cordemoy; Je ractatus theologico-politicus attire son. attention sur Spinoza; Louis Ferrand, un ami du P. J. Berthet, le tient, de Paris, au cou- rant de activité scientifique et litérnirc. Il sétonne qu’av' les mauvais avocats de la Justice divine, Descartes réduise le péché a une simple privation4, qu'il assure si peu l'im- mortalité de 'ime% quil nous absndonne, avec les Botclers, 4 une patience sans espérance %, qu'il exclue les causes finales au lieu de suivre les lecons de Platon®, qu'il ne définisse pas cogitare®, en sorte que l'insuffisance de la distinction ame- corps affaiblit I'argument ontologique®. Cependant, prépa- rant et publiant (1671) I ypotheis Dhyieanoca, il se tourne versla physique. Huyghens vientd’ébranler les lois cartésiennes du choc et la formule, me, du principe de conservation 7. Leibniz ébauche alors les « Animadversions » sur Ja partie générale des Principes, qu'il ne cessera de reprendre : essence du corps ne consiste pas dans I’étendue, le mouvement ne saurait étre-défini par le seul changement de lieu, il exige lune autre action que le repos, c'est par Iui et non par le repos qué s‘explique la cohésion, himmutabilité divine ne prouve pao Ia conscrvation de mc, sont faux ott de démonstration Insuffisante, dans 1a deuxime partie, les articles 37, 39, 2, Von der Allmacht und Alteissonbeit Gottes und der Freiheit ddes Menschen, 1670-1672 (1), R. VI, h pp. 544-54 3 Bebb ales fale sro, RE, pe she, 3: Powr Joar-Fréderic de Hanovre, mai’ 267%, RU, 1, p. 111. Ag. Tomasi, 19/29 décembte 1070, bi, p73: Merits me in Platone legere, Socratem, ‘eum consperisset, eseio. quem, Philosophum veterem, Anazagoram credor? 5 Ge, pence Brécise a Paris avec la traduction du Phedon ct Sewvira desormmats de leitmariv dans fa critigue de Descartes Sad Lambert ean Velhusson, debut wat 1672, ‘Bid, ps 97 3 « Nam ‘ipse lle maximus Cartesius nunquam evolvie intensus sui fog isu cogtare 9. Pour FeaneFridéric de Hanovre, loc ct, p. 112, — CE. Will Kanirz : Die philosophic des jungen Leibuis.n; pr gOoqy eh eo, Appendice, p. 143, un texte de la fin x60, L'objection 4 Desexrtes semble tinge dela lettre de Descartes & Mertenne, mats 1637, A, Ts PP. 349-350 : « Pour votre seconde objection, savoir que je nai pis txpligué acoen au long, dou je consnin que Tame ese une suber fance distincte du corps, ct dont Ja nature n’est que de penser gui est la seule chose qui rende obscure Ia démonstration tenchent Texiatone de Dieu, fivoue que ce que vous en tency est tes Yrai, et aussi que ccla rend ma démonstration touchant Tesistence ae Dieu maaice& comprende, » —— 7. Régles du mouvement dans la rencontre des corps, Journal ges Scavans, 18° mars. 1669. Use’ polémique avait ecate: entre Huygens, Walls" We." Ue Polémiaue avait éelte ene AVANT-PROPOS 1 40, 43; 44 et les sept lois du choc aux articles 46-52", 11 suffi. On voit que Leibniz, vers la fin de ses années d’apprentissage, avait forgé les thémes principaux de sa critique. D’oti les tenait-il? Pas de la seule lecture de Descartes, mal attestée avant 1669. Plutdt de résistances atistotdliciennes et Uiéolo- giques d’une part, de Ia littérature cartésienne d’autre part. I serait done intéressant d’analyser ces résistances et de connaitre cette littérature aux noms si souvent oubliés, ‘Mais la constance de Leibniz en son évolution suit toujours sa propre voie, A-t-il une idée? II I’enrichit, i Ia transforme, il en change le contenu au besoin, il ne Pabandonne_jamai Pargument ontologique ne lui parait pas démonstratif, d’abord, avant le séjour & Paris, parce que Ia distinction ame-corps, qui en est la base, est mal établie, puis, instruit par les géométres, parce que nous n’avons pas de l’Ens perfectissimum une définition réelle. Autre exemple : Ia cohésion est rattachée au_ mouvement, non au repos, & partir de la mécanique cartésienne, puis & partir de fa Dynamique. Une telle constante dans 'orienta- tion une fois prise rappelle, s'il en est besoin, qu'un grand auteur ne s'explique point par ses sources, mais qu’au contraire il les explique. Elle justifie l'interpréte qui nie une influence et celui qui l’affirme : Leibniz n’était-il pas en ossession de son systéme avant de connaitre Malebranche? i! Cela -l'empéche-t-il de tirer du Traité de la Nature et de la Grace, comme de Spinoza et de maint autre, ce qui pent noursr ce syttme? Non? Du rest, a dater de Pars, les idées sur Descartes sont reprises, rectifi¢es et précisées 4 Ta lecture méme de Descartes ®. Qu’on ne s'y trompe pas ; 1. AH, Oldenbourg, rs/as octobre 1671, R. Il, 1, pp. 166+ 169. 2. M, Guenovrr : Malebranche, t. II (Paris, 1959), p. 30, n. 12, qui renvoie & Grua : Jurisprudence universelle et Théodicée ‘Hon Lens (ea, 195), oa la Paloma de Salebanche est d'un type voitin de le philosophic leibnizienne et I’ certaine= ‘ment pour une grande part Inspire». Ecibniz ne connait pas seulement de Descartes les cuvres pubiiges, mais encore avant leur parution : les Regulae, 1a Recher= che de la Verité (A. T. X, pp. 491-514), VIntroduction & la Géométrte (bid, pp. 659-080; copie compte dans Av M. Ill, pp. 923-352), em ‘mathematica Gia. ‘pp. 282 8q.), De nneren elect (ids, por 257-270), Cogilaionesprivatce (bid, pp.” 207-251), Miiscettinae (Wi, pp. 208-200), Litre du Mond, ‘Camédies (id), atomic (9.1: XV pp, 545-64), Pinas Coates rea ene rationem animation (id, pp._ 502-503, 334-358), De purganti Br ae (bide pp s4t-040h" Ritarpia x Rivcher de Magnete Fevrier 1648 (ibid., pp. 635-039), Lettre & Dozem (A. T. IIT, pp. 553 2 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Taveu, en 1673, de n’avoir pu faire encore cette lecture avec tout le soin désiré concerne une lecture approfondie en géométre %, Das lors, sans mépriser en rien les enquétes sur la formation historique de Panticartésianisme de Leibniz, Je pouvais, jc crois, dans une confrontation thévrique de leurs systémes, in’en tenir aux deux philosophes, Le sujet restait vaste. Comment le limiter sans arbitraire? La réponse ne pouvait naftre que du progrés méme de la recherche. Il était sensible d’emblée que Descartes « avait Vesprit assez borné* », par quoi Leibniz veut faire entendre que ce « grand génie » s’était borné A une part relativement Groite dit savoir humain. Il n’avait abordé, sans parler de ses échecs devant Ja science appliquée, ni la logique formelle, ni histoire et a géographie, ni la linguistique ou toute autre matitre d’érudition, ni la ‘jurisprudence, ni la théologie. Ainsi, dans Ia confrontation des deux systémes, Descartes, peut-on dire, bornait Leibniz, et il devenait souvent inutile de dépasser ‘ces bornes, comme s'il s'agissait de connaitre Te seul Leibniz. Cette limitation en entrainait une autre. Elle revenait en effet & chercher comment la pensée de Descartes recoupait celle de Leibniz. Or, cette intersection ne scrait pas déterminge taut que ue serait pas définie I'ex- pression de « philosophic cartésienne ». Une telle exigence ne s‘imposait pas pour la « philosophie leibnizienne », bien que Ia notion compléte en demeure un idéal inaccessible ® 556). M. Robinet a encore consulté, connues mais non utilisées Baran ths den copies Ue letacs @ Blsabedk Gar joilce So aaa FF septembre, x5 teptmbrey 6 octobre 1640) ee roars ane as Fayont dela Landesbiblathek ww egemplact, anno sue Latha 24 Renari Descartes Opera plsophca, eee pea oxen Achete"en oye? voir Gealetouy, fe 9, "ne 15, Ones commpuneye ime ls lees du P. Mesiand, Puce en aBre exer ene Bosoet,conslté en a7to (A PvIlL pic), Wak tl so wets Benucoip de copier ccculstnt, Lelbat oper elleus sere Basler, Arauidh Huygens, Roberval, exguteur tesapentete is Mersenne, Clerselier, qui avait approché Descartes, La présente hide peut done tiley wut Pause de Denar 1. A Foucher, loc. cit. il est vrai que j’ai jeté souvent les yx aur Gale et Deacite mais sormmete meade geome et Urpuik peu, eis biemde sebute de lead maniac deere ad mete bebe dSoetrone taba BPTI. pe aor. 5. Bichwcuvico : Let étaper dela pilophie mathénatiue, § in, ‘pp. tobegp 2 «Non seulement fa hatch coolest Bhiltophie'Teionsenno ext devant Vhistoden' compen, idea Aone il pouren cout au ples eoperer sapprocher gar egy Sat Ghat une quetion potable A toute éaude a leben sun de ‘termine! un «contre de perspective » fl que fe prays ces Gtide nen wok pes res AVANT-PROPOS 3 et que, admirable travail de Mahnkele montre,elle 'emporte sur celle de Descartes par la variété des points de vue d’ot Ton peut la considérer. Cette exigence ne s'imposait point, parce que, l'objet de cette étude n’étant pas Leibniz, mais Leibniz critique de Descartes, la apécification du leibni- tianisme devait se faire ici par le cartésianisme. Qu’était-ce donc, au xvi sidcle, que la philosophie cartésienne? Eh Bien, etait dabord une ‘méthode, était Pabord. une hhysique. En deux propositions : c’était une philosophie — oe losophie, dit Hegel? — émanéipée de la théologic; et c’était_une physique-mécaniste. Descartes met 2 art les vérités de foi. Alors que, grice au Pees, la philosophie premiére unissait la science la théologie, Descartes rompt cette alliance. sique fondement-de a science,-mais-elle dela théologie; et par suite, si elle est encore une ontologie, elle pourra y renoncer pour ne plus étre qu’une théorie de Ja connaissance, La-dessus les esprits se divisent en deux camps. Les uns, si opposés qu’ils soient entre eux sur les questions théologiques, s'accordent & ne voir aucune com- mune mesure entre les’mathématiques ou la physique et les vérités de Ia foi, ct admettcnt, cn conséquence, unc certainc liberté de Ia philosophie*, En ce sens, ils sont cartési Ce sera,par exemple, le cas d’Arnauld, géométre admiratif de la Géométrie, de Bossuet, qui aime surtout le Discours, de Fénelon qui prone la_seule évidence-comme-critére-de-In vérité non-révélée, Cartésiens, mais dans les limites od le cartésianisme ne se méle pas des Mystéres, de la Grace ou de la Providence. Que Malebranche publie la Recherche de la Vérité, on applaudit. Qui se risque & produire un, Traité de la Nature et de ta Grice, le voilA attagué, on sait avec quelle violence! L’autre camp, anticartésien, refuse de rompre alliance de Ia théologie aussi bien avec Ia science qu’avec Ja métaphysique. C'est le cas des Jésuites — qui au surplus, défendent leur enseignement —, de Huet, et de nombreux théologiens dans la religion réformée. C'est le cas, aussi, de Leibniz, lui qui, assure+til, n'a pas étudié les’ mathématiques pour elles-mémes, mais 4 fin d'en faire un bon usage pour avancer la piété *; Iui qui dénonee Ie 1. Voir ci-aprés, chap. 1. 2, Voyez ARNAULD : Plusieurs raisons pour empicher 1a censure gu condamnation de la philorophie de Descartes, 1679, publié par V. Cousin’: Fragments d'histoire de ta ghilosophie moderne (Paris, 1866), premiére partie, P. 303. 3. AV, past. 1% LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES propos de Descartes, philosopher sans théologuer, comme sil fallait admettre que Ia philosophie soit inconciliable avec a religion, ou comme s'il pouvait y avoir une religion véritable qui répugne aux vérités ailleurs démontrées *. En ce sens, il est anticartésien. Le deuxiéme trait par lequel se définit au_xvnt siécle Ia philosophie cartésienne, c'est le mécanisme. Tout d’abord ‘ons'y perd. « Comme on donne en Espagne le nom de Luthé- iens 4 tous les hérétiques du dernier siécle, de quelque secte quiils soient — écrit le P. Daniel — , ainsi on appelle indifféremment du nom de Cartésiens tous ceux, qui depuis Yous (Descartes) se sont mélés de raffiner en matitre de Physique. J'ai vu plus d'vn aventurier en pleine dispute mettre M. Gassendi au nombre de vos disciples, quoiqu’assu- rément vous fussiez son cadet de quelques années...? ». Ainsi Jacob Thomasius confondait-il, et Leibniz lui demande de distinguer entre les cartésiens proprement dits, qui ne font que paraphraser leur maitre — Clauberg, Raey, Spinoza *, Clerselier, Heerebord, Tobias Andreae, Henri Le Roy — et les autres réformateurs de la philosophie, Verulam, Gas- sendi, Hobbes, Digby, Cornelius de Hoghelande, etc. On les confond parce qu’ils ont en commun de ne rien expliquer dans les-corps que par grandeur, figure et mouvement ‘, Ily a pourtant deux mécanismes : atomistique, comme celui de Gassendi, corpusculaire, comme celui de Descartes; le premier posiule le vide, le second nradmet que le plein, Jusguic, Leibnis est catésien. I! sera convaincu que tout ae fait mécaniquement dans la nature et il-soutiendra un mécanisme du plein. Cela dit, il faut corriger : car, n'accep- tant pas le divorce de la philosophie et de la théologic, il voit trop A quel danger fe eaieecsee: expose-la-religion Pour ne pas vouloir le soumettre A la finalité : tel est Je but acids) ffs autem mysteria acifcine ecinavit, t sibi, non thealogari-propositum ste, quasi philosophia admitienda sit inconeibabiie religion! aut ‘quasi Teligio vera esse posit, quae demonstratis alibi vertatibus inet» ne Danter : Voyage du Monde de Descartes (Paris, MDCXCI), pide ‘ 3. Ji segit naturellement — comme Vindique le mot para- phrastas —~ du commentateur des. Prinaper, BODEMANN enregitre Sous le n° 309, dans Die Handuchriften der hOhie. off BM. 24 Han ‘over, 1867 : « Bened. de Spinoen 7 Renati Des Cartes Principionum sophia, P. Vet It: Amstlod. 266s, mit vielen hander, eruingen von L's Hiand >. “4. A Jocob Thomasius, 20/30 avril 1669, lo. ety ps 15: AVANT-PROPOS: 45 de la conciliation qu’il_ voudrait_réussir entre Descartes et Aristote et & laquelle les découvertes de la Dynamique Pourront apporter leur concours. Seulement, admise cette correction, Leibniz n'apparait plus que comme un semi- cartésien. Mais les Méditations? Que Descartes ne mente pas en disant n'employer que « fort peu d’heures par an » & la méta- physique’, il suffirait pour s’en convaincre de mettre en balance le petit nombre de pages ott il en traite avec le grand nombre de pages attribuées & Ia science, Naturellement, ‘cette comparaison ne mesure pas la valeur qu'il accorde Tia métaphysique':iten parle avec emotion: « eat la matiere que j'ai le plus émdige de toutes », erit-l en 1630, et cans laquelle il n’aurait pas trouvé les fondements de &a’philoso- phie} & peine arrivée en Hollande, il ne travaille pas & autre chose; il y travaillera pendant dix ans, de facon interrompue, avant de livrer ses pensées au public? Mais si toute Ia philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, Descartes ne s’attache, semble-t-il, & la meétaphysique qu’en vue de sa philosophie. Ici est Ie point délicat. Oublions le positivisme. Renvoyons dos A dos Liard et Ch. Adam qui trouvent seulement dans la_philosophie premigre des Méditations soit une garantie d’usage, soit tune simple préface & la science *, Non. Car la physique cartésienne ne s'arréte pas aux phénoménes, elle est méta- physique; et la métaphysique, qui fonde notre connaissance du monde, est le centre de la physique. Ni la physique ni la métaphysique ne sont ce que nous appelons de ce nom. Elles n’existent qu’unies l'une 4 l'autre. L’originalité Descartes eat de penser cette union en dehors d'une certaine tradition théologique. C'est pourquoi, sur le plan pratique, il s'agit de tromper Ia vigilance des Jésuites, d’accoutumer insensiblement les esprits & la vérité cartésienne sans laisser voir d'abord qu'elle détruit les préceptes d’Aristote, et enfin, la victoire acquise, de substituer lenseignement des Principes — on écrita & cet effet un Manuel scolaire — Venseignement de I’Ecole*, En un paragraphe trés clait 1. A Elisabeth, 28 juin 1643, A. T. IIL, pp. 692-693. 2. 4 Merson, 13 aval i630, ALT! Lope aga cf. au méne, 25 novembre 1636, ibd. p. 182} mars 1637, ibid, pe 350513 novern bre 1639, A. T. Ml, p. 62 3. Ck Henri Govitter : La penste religieute de Descartes, pp. 12 2 A Meme, a8 joer x41, Ae TH, 398. Ch. a na, aslavnl 1630, foe et 30 jul 2640, A."F. Illy pp. 126-187} Hi novembre 1640, ‘id, p. 2333 décembre 1640, Ply pe 260, 16 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES la lettre au traducteur de ces Principes résume la manoeuvre +, Cependant, quelles qu’aient été les intentions de Descartes, Ie sitcle vi hire de'lui, au premier ehef, Pauteur- di Dir cours (avec les trois traités qui l'accompagnent) et des Prin- cipes®. Référer aux Meditations pour définir le cartésien embarrasserait pour classer sous le méme titre des pen- seurs aussi différents dans leurs métaphysiques qu’Arnauld, Bossuet, Fénelon, etc, A l'inverse, le cartésien se définit tellement par le Discours et les-Principes, qu'on. le -voit dispa- raitre — bien avant la mort du dernier survivant, Fonte- nelle — lorsque triomphent les Principia de Newton. Comment cette définition étonnerait-elle? On sortait & peine du scepticisme; les théologiens se battaient; mais la science, en pleine crise de croissance, surprenait chaque Jour par quelque découverte, esquissait V'idée de progres, et faisait déja réver l'homme de se rendre maitre et posses- seur de la nature, Aussi bien est-ce le Monde qui passionne, qu'on se plaise & ses tourbillons, avec Rohault et Fontenelle, que l'on y dénonce un roman, avec Huygens, ou qu’on le tourne en ridicule avec le P. J. Daniel. Quant au Cogito, dont Descartes se sert comme premiére certitude et pour faire connaitre que le moi qui pense eat une substance imma- térielle 8, certes on le discute, on en sait originalité — « Les scolastiques commengaient par les choses, observe Spinoza, Descartes commence par la pensée, moi je commence par Dieu » 4— mais la discussion se resserre autour de deux ‘questions : 1° est-il le seul point de départ de notre connais- 1. A. T.IX (B), pp. 15-16. En particulier, p. x6 : « Puis, enfin, Jorsqu’il m’a semblé que ces traités précédente avaient assez pré= pare'Tespii des lecters & recevor Is Principe de fa Phlomphe, Je les ai aussi publi...» a. Bien entend ax Prineper il faut adjoindre tout Vouvre scientifique de Descartes : le 7¥. de la Lumiere, ou le Monde, te Trait des Passions. Ici encore le pamphlet du P. Daniel est signifi- chaque fois qu’il résume euvre de Descartes ou éerit Vhis- foire de In secte, cest toujours les Principe guil met en enue ‘oyez pp. 32-33, D: 254, plus partic. p. 184! « On n'imprime quasi plus de Cours de philosophie selon la méthode de I'Eeale, et pres- ‘que tous les ouvrages de cette espéce qui paraissent maintenant En France sont des traitée de Physiguc, qui supposent lea Principes de la nouvelle philosophie. Les livres’ qui traitent de 'Universe!, des degrés métephysiques, de l’étre de raison, font aujourd hui eur aux libmireton Ftp 208) au suet des Peres Minimes : «Et puis le capital parmi ces Péres, aussi bien que parmi les autres Religicux, est la Métaphysique ef Ia Théologie 2, aussi Descartes s-t-il peu'de chances de les convaincre dng novernbfe 1640, A. T. IIT, 1 Seer: Lajbniz und Spinoza, AVANT-PROPOS 7 sance? 2° I'ergo sum est-il intuitif ou déduit? Au scandale @’Arnauld, Huet ne le trouve pas évident. Mais nul ne arle d’idéalisme, le jugement, constatatif, n'a pas encore Etonction constinitive qu'il’ assumere. avec. Rant 1, Le Cogito garde surtout une fonction méthodologique. Leibniz est de son siécle. Il cite peu les Méditations et n'interpréte ‘guére le Cogito autrement que ses contemporains. En revan- che, il censure en toute occasion les régles du Discours, vante la supériorité de sa propre méthode, c’est-i-dire de son calcul — le calcul infinitésimal — sur celle de Descartes, Ja géométrie algébrique. Surtout, il s'attaque aux Principes : Ia critique ébauchée dans la lettre & Oldenbourg du 25 octobre 1674 est reprise, vers 1675, sur les articles I, 13, 21, 25, 26, 27, 2y, 36, 44, 47, 513 Il, 4, 20, 21, 25, 30, 303% 40 en deux pages qui représentent le premier état des Animadversiones de 1692 %; tandis que le Discours de Métaphysique, les articles du Jounal des Savants, des Acta Eruditorum’ reviennent | inlassablement sur les erreurs mémorables de la physique cartésienne. Pour rester fidéle & la fois & Descartes, & Leibniz, ‘$0 et au xvnt siécle, j'avais, il était difficile d’en douter, 4 orienter S& ma recherche sur la méthode et la vision du monde dans leur union a la métaphysique. co ss ate = { Quant & la voie a suivre... En principe, elle devait conduire \ au point de vue de Leibniz sur Descartes, dans l’optique du temps. Reve irréalisable, Ce serait déja beaucoup déviter certaines conceptions qui ne pouvaient pas étre celles du xvi sicle. Par Seer de son génie, par sa souplesse, tardive de ses inédits, Leibniz échappe & une exégése trop tyrannique. Il n’en va pas de méme pour Descartes. Le voici & peu prés réduit & ses Méditations. Mais, ces Médita- tions, on les arrache aux perspectives que la lettre au traduc- teur des Principes trace avec netteté. Elles ne peuvent plus, pour nous, fonder vraiment une physique que, par ailleurs, aiuus savous fausse, cela serait contradictoire. IL faut par conséquent qu’elles demeurent vraies malgré cette physique 1. Nous nous proposone de publier un jour une étude sur ce sujet. 2. Je dois a A. Robinet la ication de ces, deux pages photocopiges (a"" 1171 dy Atalogue. Biya). Je Ten remercie Yivement. On les trouverydésormais, sommentaire, texte ct traduc- on, dans nos Etudes lepoiziennes Pant, Callshara, 1976. par la variié dun életisme qui le fait 1a fis. plue-eoin- 4 tique et plus modi escartes, effin par la révélation 18 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES morte. Elles valent par elles-mémes. Par elles-m&mes? Certes! et par Kant, comment en douter ? Rien de plus propre 4 éclairer que les ouvrages de Cassirer : l'information la plus Drillante, Tintelligence 1a plus déliée y font immanquable- sent du kantisme 12 forme a priori de toute 1a philosophie. Or, Cassirer n’est pas le seul. Nous sommes tous des post- antiens. Une des ambitions de cette étude aura été d’y prendre garde. La difficulté & rejoindre le point de vue de Descartes ou de Leibniz s'affirme en un autre domaine. Il existe, en effet, deux histoires des Mathématiques : 'une, des philo- sophes, imprécise sur les techniques mais assez fidéle aux idées, Hautre, des mathématiciens, exacte sur les techniques mais’ étrangére a esprit de l'époque dont elle traite, ne serait-ce que parce qu'elle en traduit le langage par’ nos symboles, et expose les découvertes sous la forme et avec le sens qu’elles ont pris pour nous. Il est bien vrai, on ne saurait le contester & Mle S, Bachelard, que Ja rationalité @une idée se démontre par son éyolution; il est non moins vfai que, pour Leibniz, les notions du calcul infinitésimal navaient pas la rationalité qu’elles n’acquerront guére avant Lagrange. Dis lors il fallait accepter de ttonne, avec Descartes et Leibniz, sur des questions mathématiques qui se résolvent maintenant en une ligne, comme il fallait oublier, sur les questions de métaphysique, les réponses que leur avait apportées Kant, Ainsi, pas de probléme que I’on edt Ie droit disoler de sa métaphysique. Au risque de répétitions, mais changeantes selon le contexte, chaque difficulté devait se replacer, autant que possible, dans l'encemble de chaque aystéme ct dans Tensemble de ces syst?mes en contraste. On ne saurait comprendre léclectisme de Leibniz — si souvent ramené 4 Péclectisme professoral d'un Victor Cousin! — sans tenir compte de ce que nous appellerions aujourd’hui sa philoso- hie de I'histoire. On ne saurait comprendre la critique de ‘évidence sans remonter au moins A la métaphysique de Vidée, et il aurait été meilleur encore de remonter & la théo- Jogie des Demonstrationes Catholicae.-On ne saurait compren- dre la théorie du nombre séparée de celle du temps, Ia théo- Hie physique séparée du débat sur la finalité, etc. La tiche menasait de devenir trop lourde. Elle s'allégerait en tenant pour acquis certains travaux comme ceux de Couturat, Gilson, Milhaud, Gueroult, Jos. E. Hofmann, sur la logique, Je vocabulaire, ies mathématiques, la physique, Ia Dyna~ mique de nos penseurs, et en se dispensant ainsi d'exposer AVANT-PROPOS 19 en détail par exemple les doctrines de la matiére, fa polé= mique sur les lois du mouvement. Allégée dans 'sa tiche, a méthode offrait Pavantage de prendre pour base les ju ments dun grand philosophe sur un atre grand philosophe. Ne s’éclaireraient-ils pas mutuellement? Il était difficile @admettre que Leibniz ne sit pas lire Descartes. Et que cette lecture ne nous renseignit sur lui-méme. En tout cas, était Ia lecture ’un homme du xvu* siécle : elle promettait, apporter une rectification historique & nos idées sur les hloaophies en présence, Enfin, en relist Descartes avec Ezibniz, on leur appliqueraipeut-tre véritablement Ia méthode comparative, au lieu de les laisser Pun en face de autre comme cela a liew quand on se borne & juxtaposer deux études qui les concernent tour & tour. En sattachant uniquement 4 Descartes et & Leibniz, cette enquéte e'efforcerait done de retrouver, A partir de la métaphysique, tels qu’ils pouvaient les concevoir, Pesprit de la méthode, le modéle mathématique, 1a vision philoso~ phique du monde. Ces trois questions sont caractéristiques @un sitcle qui, par contraste avec Page suivant, mérite- rait d’étre appelé le siécle de la méthode et de l’idéal mathé- matique. Au nom de Pexpérience, le xvin® sidcle se déclarera hhostile aux systémes : prétendant opposer Vinduction & Ia déduction, il voudra s’en tenir & Vencyclopédie des phé- noménes, il’ dénoncera Pabstraction de T'idéal mathéma- tique pour se tourner vers la biologie et vers histoire, il conclura que Ie réel Iui-méme nous reste inaccessible. Descartes avait séparé Ia philosophie de la théologie pour mieux Punir a la science. La science, par ses progrés, se sépare de la philosophie, De plus en pius, le savant devient un spécialiste, De moins en moins le philosophe n’est habilité a prom plication scientifique de Punivers. A la tiche, qu'il s'était toujours proposée, de dév le, il doit substitier tne nouvelle fiche, moins n r mais en fait plus ambitieuse : établir un sance-du-monde, Ainsi Descartes et Leibniz se trouvent situés-trtine époque cruciale dans Phistoire de l'esprit humain et peuvent, par leur dialogue, nous aider 4 Ja mieux compren- dre, L’ESPRIT DE LA METHODE CHAPITRE PREMIER INTUITIONISME ET FORMALISME Alle définir par son caractére le plus manifeste, le xvi sié- cle apparait bien celui de la méthode, et, plus particuliére- ment, dira-t-on, le sigcle de Deecartes. Crest que, & chaque crise de croissance, la science, pour réfléchir sur elle-méme, sfexamine sur ses méthodes. Au xvn® siécle, cette crise prend pour nous une importance exceptionnelle, puisque, ar In mathématiation progresive de la Physique, elle nows it passer de Ia science aristotélicienne et médiévale 4 la science « moderne ». De plus, le philosophe de valeur est alors encore un savant, si déja le savant — un Fermat, un Huyghens, un Boyle — n'est plus toujours un philosophe. Répétons-le : la Géométrie et les Principes ont plus importé aux contemporains de Descartes et A leurs successeurs, que les Méditations ; le Cogito n'est devenu le centre du carté- sianisme quesous V'influence de Kant et lorsque le philosophe ma plus été un savant. En son temps, Descartes a participé miewe qu'un autre — nous n’éerivons point : plus qu'un autre — au développement du nouvel esprit scientifique, non-par quelque supériorité de spécialiste — Galilée est meilleur physicien, Fermat meilleur mathématicien — mais par sa supériorité de philosophe qui, en géométrisant 1a matitre, congoit le premier modéle mathématique du méca- nisme, en généralisant Vidée de « dimension » libre de imagination sensible les calculs de la géométrie analytique, en méditant sur les « longues chaines de raisons, toutes ‘simples et faciles, dont les géométres ont coutume de se servir... >, en tire les préceptes du Discours exposés & tous, en frangais, des femmes aux-penseurs les plus subtile? ef, bientot, partout répandus. « Siile de la methode » «sidele 2. « oun live, o j’si voulu que les femmes memes pussent entendze quelque’ chose, et cependant que les plus subtile trouvent ‘aussi de matiére pour occuper leur attention », Au (P. Vatier], 22 février 1638, A. T. T,, p. 560. 24 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de Descartes », ces formules peuvent Iégitimement définir le xvnt sitcle, Cependant elles deviennent discutables, vagues et méme fausses au sens que leur a donné le succés mondain, puis universitaire, du Discours lu part des Eseais scientifiques auxquels il servait de préface +, Car, enfin, on n’a jamais Philosophé, c’est-i-dire cherché la vérité, sans se soucier de la « voie par laquelle »? on se proposait de Vatteindre et de la prouver! Non seulement le xvui¢ n’a découvert ni prétendu découvrir — un probléme ignoré avant lui, mais encore, en bien des domaines, il n’a su le pousser plus loin qu’on ne l'avait fait avant Iui*; non seulement Descartes, en son siécle, ne l'emporte pas toujours sur ses contempo- rains ¢,'mais encore on a pu dire — et Leibniz ne s’en prive ‘pas — que les régles de sa méthode se raménent & peu prés 4 rien ®, Ainsi faut-il que Vidée méme de méthode soufire 1. A. Korné ne cesse, i bon droit, d'insister sur le gauchissement et atectve du carina, Guentaine une fcture ofp iu Dicoursspréface. Voyez : Trois lecons sur Descartes ire, ‘Les origines de la science moderne (in Diogéne, 2956, a place de la méthodologie n'est pas loppement scientifique, -m: au milieu de celuisci. Aucune science tractatus de methodo, ni n'a jamais progress¢ grice 4 Vapplication ‘une méthode élaborée d'une fagon purement abstrate, le Discours de ta Méthode de Descartes nonobstant : eeluici, comme sait, fut écrit non pas avant mais apras les Essai scientifiques dont A ebnatiue Ie prdface, Efi, il code Is rigs dela gfoméirie algébrique.cartésienne. n’etait pas Vaboutissement. d'une revolution —méthodologique; as plus que celle de Galilée ne fut le résultat de la « revolution fnéthodologique » de TR. Gronsctest.. . 2. Sur la suggestion ctymologique de yeré 68¢c, voir le premier pparagraphe de la Reg. IV :« Tam cacca Mortales curiositate tenentur, Et sagpe per ignotas vias deducantingenia, «8 ATX. p. 372 1. Par exemple, Kant ne verra encore rien i rctoucher ila Logique @'Atistote, et Cuvier pourra encore écrire du meme Aristote «A Yégard des animaux, ses méthodes, en prenant seulement les classes, les généralités, sont tellement parfaites, quill y a peu de changement ay faire. » Hist. des sc. nat., Paris, 1843, t. IM, p. 24, Au reste, Bscereh este ln-nskne aie les Ancies nous be cats i seers: de leur Analyse mathématique, Leibniz sera du meme avis. “4 Par exemple aux jugements de Foullée, Espinas, Sortsis. Ch, Jean Laronrs : Ze rationalise de Desaries (Pats, 1945), 12, p. 28, p. 34. — Dans sa Digression sur les Ancien’ et let oder; (1688) Foxrmcetie — peut inspire par la Priface de Cuansetizn au t, Ide la Corresp. de Descartes (A. Tas, Vs P. 622) — réduisait 1a méthode cartésienne aux exigences de rigueur qui président aux intelligibles », « justes » — clesti~ ire sans équivoques ou dl'idées out de mots — et concluait : cest 31937), P. 3 et n° 16, p. 42) 2" Cement “du déve INTUITIONISME ET FORMAL! ME 25, d'une ambiguité qui, par un cété, justifie la gloire de Des- cartes, et, par l'autre, permette, avec Leibniz, de la diminuer. Cette ambiguité consiste en ce que, par méthode, on entend : d'une part, un idéal de connaissance, ou, si Ton aime mieux, une hygiéne, une propédeutique, une Medicina ‘Mentis (pour prendre un titre de T'schirnhaus), une conver- sion de 'esprit; d’autre part, certaines techniques. Dans la premitre perspective, la méthode désigne un but : elle affirme Ja décision dValler au vrai avec toute son ame, et elle fixe un choix, celui d'une philosophie, celui d’un style de pensée. Sous’ son deuxitme aspect, la méthode, ou, plutét, une méthode indique les moyens pratiques pour se rapprocher de ce but. On peut décrire une technique avec exactitude, ses effets sont vérifiables : en ce sens, la supériorité d’une méthode sur une autre est, elle aussi, vérifiable. Personne ne contestera que I'Analyse’ leibnizienne, par exemple, ne Yemporte, en mathématiques, sur Vanalyse cartésienne, puiqu’elle permet de résoudre des problémes que celle-ci ne résolvait pas. Mais on ne décrit pas avec exactitude une démarche philosophique. Demander alors si la méthode de Descartes est préférable ou non a celle de Leibniz revient & demander ai le 0 de Deccartes est préférable ou non A celui de Leibniz : toute réponse ne peut étre qu’un juge- ment de valeur. Que la méthode, cette fois, engage le systeme, on le voit par la place qu'elle y occupe cu qu’on lui attribue : elle le préface chez Descartes 3, elle le conclut dans la Critique Descartes “ace gil soe: semble, quia enert cette apart sof thode de raisonnet, benucoup plus estimable que. sa philosophic mame eel sa Feyslaue) Seat une bonne partie C ‘trouve: fausse, ou fort ineertain, selon lee gles qui nous a apprises », En octobre 1765, In Correspondance litteraire de Oniun sede des dloges regu par la méthode de Descartes; rus des cartésiens qui ne peuvent plus défendre la Physique de leur maitre fenversée par Newton t «jamais ie méthode nia produit un ou- de génie, On n’assurera pas, je pense, que sans la méthode de Descartes, Newton et Leibniz n’auraient ‘pas été ce qu’ils sont. Sf ron entend per méthode ce qu’Hlorace appelle fucidut ord, ex dent ae ew int de inveion de Descartes ls Guiele cot sbéparable dele Bonne piilophiey ef suse ancienne ‘qelle,» Finalement, pour la Corresp. de Grimm, Te mérite metho rue de Dscrtes ge raratne A” avots ports len prerners Soups gon baroare des école, qui avait subjugué toutes les tates. > eee ia ree, a ing ths J. Larorrs, 1 Mais seulemnt & titre Ghypothises, asrure J. : i Be ae, acule la vogee mentphyiquc det method seul plas précoément la vent méaphysique deo trols demiers pre pps enone i dedi — expos ou part, 8 ie " Pet non sa vente pragumatigue, qui se wouve protvee pour Descartes par les mathématiques dont i Ta tirée. 26 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de la Raison pure, elle s'y instre dans I'Ethique et, selon les commentateurs, elle le constitue (Couturat) ou n'en est que Vinstrument extérieur (Heimsoeth), dans le Jeibnizianisme '. Lévera-t-on cette ambiguité dont souffre 'idée de méthode ? On peut apprendre un tour de main de forgeron sans. se soucter de Physique. Plus les tiches, sont parsellares plus la science ou Je domaine d'une science est limitable — Crest-A-dire : élémentaire — et plus, en méme temps, un tour de main est indépendant du métier, ou un art hors de la science. Cependant, pour un philosophe Ia disjonction est impossible, car il aspire & un savoir, il ne s‘arréte pas a la connaissance du premier genre. S'inspirat-il d'une disci pline relativement isolable, telle que la Géométrie eucli- dienne, il ne séparc pas les deux aspects, upérutvire et théo- Tique, de la méthode. Mais il peut insister sur un de ces aspects. La force avec laquelle il y insiste marque l'esprit de sa méthode. ot Si la méthode cartésienne n’insistait sur Vapprentissage moral — « Fais usage de ta liberté s * — plus que sur appren- tissage technique, on ne comprendrait pas le suceés mondain du Discours et la possibilité d’en lire les. quatre préceptes sans Jes Bssuis qui Vaccompagnent. Bien mieux! par eon fngenium — la méthode ne sufiit pas et nul m'invente sans un don, un ingenium® — Descartes échappe & ses propres préceptes. Méme en mathématiques, « les procédés dont il use, au moins quand il les fait connaitre, ne témoignent en aucune maniére d’un attachement étroit et exclusif & Tesprit d'une méthode unique et déterminée dont sa Géométrie, & Ventendre lui-méme, aurait fixé les linéaments. Il est impossible de citer tous les exemples que sa correspondance fournit de cette richesse d'invention *», Le lecteur du Discours, lorsqu’il en vient aux Essais de cette méthode, s'attend a en voir les préceptes appliqués et espére que l’auteur soulignera lui-méme cette application : « Or, Descartes dépoit cette attente et ne songe méme pas 4 combler cet espoir. A aucun moment, l'étude la plus attentive de la Dioptrique, des iON: Di Metinds dr shi bi Deter ut ig (Clemen, prteigras pos Soirtooh 2d. Laronté !s" Rufondon’ de Beare (Paris, 1945) pis +3. Entretien avec Burman, A. 'T., t. Vy p. 1760 4. G. Mituaup : Descartes savant (Paris, 1921), p. 163. INTUITIONISME ET FORMALISME 27 fétdores, et de 1a Géoméirie ne nous révéle les régles de Mvdence, ds PAnalyae, dela eynthise et de !Enumération ue le Discours nous donne comme le tout de la méthode, Se oméme que nous pouvons prendre connaissance de ces es sans qu’aucun exemple tiré des Essais ne nous vienne }Pesprit?. On en vient & penser que Descartes a évolué du dogmatisme au scepticisme, de l'apriorisme au_positi- yisme : les principes méthodologiques de sa Physique ne seraient plas — dés la Dioptrique et les Météores — ceux que résument les préceptes*. Nous aurons & lever plus loin (pp. 48-49) la contradiction apparente que, d'une part, Tes préceptes s'expliquent les Essais, surtout par la technique de I’Algebre au Livre III de Ja Géométrie, Vautre wart, ils n’cnoeignent pas une technique opératnire, ce qui jes rendrait indépendants des Essais, Pour le moment, contentons-nous de remarquer I'intention si peu formaliste de la méthode cartésienne. par laquelle elle s'opposera, de manitre fondamentale,-8 la méthode lebnizienne. Contre la tradition’ d’Aristote* maintenue par Ecole, Descartes attend de la méthode une conversion de-I'esprit, il nen attend pas des techniques uppropriées aux différentes matiéres. L’esprit? D'abord, cette « chose du monde la mieux partagée », Ia raison, qui, lorsqu’elle les considére «comme il faut », percoit clairement et distinctement, c’est- Ardire dans leur vérité absolue, les essences des étres phy- siques ou métaphysiques; et cette perception ne saurait tre « comme il faut » sans l'aetion libre de la volonté. Descartes peut done énoncer des régles générales valables pour tout entendement et toute volonté humaine. Néanmoins, il sait trop que l'on n'invente pas sans dons et que la plupart des hhosnmes, par faiblease de earactére, n‘affonteraient pas, sans risque moral, I’épreuve du doute, pour ne pas réserver certains esprits seulement la conversion spirituelle de sa méthode : en ce sens, regulae ad directionem ingenii devrait se traduire : régles pour servir de directives @ ceux qui ont le seus + La méthode et les esa de Descartes, daha" Discaia tele caidscniome holtandats, Pars, 1980, Pe 2¢2 ‘Wl, nou vay Once non ation, sane fT BawenseA £ Sur certains principes méthodologiques dans les « Principia philosophiae » de Descaret, R- MM. 07 A 3. Mais Falter peu consincan, ct Futeuronblie dy edie Is in wereedend préconte 2 cese nous qui soulignons — € et cub rant me Ge Fore ete eeu gu ese precbent pot mat Pofement Tes une les autres > Be Bihiue & Nicomaque, Ac Ly 1094 a. 28 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES enjum) *, Si fortement Descartes insiste-t-il sur cette conversion que, pour exposer sa logique, il commence par Vhistoire de sa pensée. Ea contraste, Ia. scolastique. aurait bien appelé méthode les trois derniers préceptes du Discours, mais le premier #? Par son intuitionisme non formalisable. ar son volontarisme — la ferme et constante résolution @'éviter soigneusement Ia précipitation et la prévention qui commande la pratique du doute — la régle d'évidence embarrasse les commentateurs : est-elle vraiment une régle ou le fondement théorique de la méthode 8? De toute fagon elle indique que, pour Descartes, contre le formalisme qui lisse la raison oisive, la méthode doit étre d’abord un exereice de Ia volonté qui rende attention active. Cotte inzistance sur la conversion de lesprit, qui fait de ee ee a ee agin of Pie are, ase i 8 wet a RESEDA mir i pra fn ee a fect de sa mishode ‘mula presente en feupeeta rie arToccasion, dans le style des conversations honnétes et familitres, comme dans Ia Recherche de la Vérité, A. Tot X, qu i tend siete tea A a ti Senet cae te msaghi atee Sener ue ut aes ore ona cnn pec pues rat Deca re dee a oat fits grand naturel ou bien des instrutions de quclgu anges Eudoxe« homme de mediocre expr mais duguel le jugement rege Bere par aucune fae cranes gu posse Ie rapon selon a ure de su nature » (id, p. 498) cat done bien pour Descartes tin Interocuteur théorique, if fgg done aan slo one vente Tome ture «pour Toppers Fromme elie de traduire : Réples pour le dressage de Tesprit” ™ © Proposit 2. Voir Et. Grison : Index scolastico-cartésien (Paris, 1912), sub Ve Mcthade,p. x83, es citations de Ba Sto Pathos Sm pha 41 38scioa : « Metbiod! nomen duplcteraceipiur. Primo guider ro ordine ef serie eorum omnium quae in universa dota: a he pat caduar acinar Seundy pro oration acu 0 animtjudicio quo res isc. aiqua, dscihina comtaus aise untur. Et quoniam unicuique ordinations sus ordo.respondct, 2 oem, Pro utrolibet accipit een oquentio methods = snimi judichun aple segue Gedinaetie ee fan gun wd nies an sient erent quo aie nee euuslibet rei disposition. en caged 3. Hanes ! Le Sbettme de Dercartes, p. 64. — Je Laromn ghttD 28, =A. Rownt Ty lhe De ty eh de ta catharsis de fn rasdn ‘parle doe st SBE INTUITIONISME ET FORMALISME 29 Yart de diriger son intuition une science, ou, plutdt, Ia science, charge d’un nouveau sens les trois autres préceptes. Ce nouveau sens, en méme temps que de la géométrie algébrique, est né d'une contestation de T'enseignement scolastique, dont, par conséquent aussi il s’inspire*. Disons qu'il susbstitue & Lordre encyclopédique des. observations ou des sciences particulitres, ordre déductif des raisons qui émane de 'unité universelle de Mesprit. Voila le principal secret de la méthode, pour Descartes : qu'on relise la Régle ‘VI. Encfiet, si l'esprit est un et si la méthode en codifie activité essentielle, cette méthode ne peut qu’étre une ¢t, finalement, la science ne peut & son tour qu’étre une, toutes Jes sciences n’étant rien d’autre « que la sagesse humaine, ‘qui demcure toujoura une et toujoure la méme, si différents {que soient les objets auxquels elle s'applique, et qui ne resoit pas plus de changement de ces objets que la lumitre du soleil de Ia variété des choses qu'elle éclaire...® ». Ainsi, instruit par les Mathématiques, Descartes parvient-il & sa Logique, c’est-A-dire, il le corrige aussitot, a la vraie Logique', indépendante de l'ordre des matiéres tout juste bon « pour ‘ceux dont toutes les raisons sont détachées >, parce qu’l possédent pas la science. Cette Logique enseigne que les choses peuvent étre rangées selon différentes séries, mais non as « en tant qu’elles sont rapportées & quelque genre d’étre, ainsi que les philosophes les ont divisées suivant des Caté- gories » : « ..nous considérons ici les séries des choses & connaitre et non la nature de chacune d'elles... * ». Ne rete~ nant que Ia fagon dont les connaissances s'entre-suivent, la vraie Logique — au scandale d’un Jean de Beaugrand qui ne voit en Descartes qu’un « Méthodique impertinent 7 » — peut s'appliquer & tout en demeurant toujours la méme ®, ‘Ascése de esprit qui, par Ia discipline du doute, veut accéder la science universelle, comment et dans quelle mesure la méthode est-clle enseignable? Plus une tiche est 1. Et. Gusow : Index, pp. 182-183. 2A. Ti, X Be 38t- 3: Reg. 7, Al TX, p. 360. 4c Je vous prie, &Vendroit ob de mertre furta leges verae Logivue.. Ct ve qui me fait ajouter meac ‘ou verae att mot Logicae, est que j'ai lu des Théologiens qui, suivant In Logique ordinaire, quaerunt prius de Deo quid sit, quam quaesi- verint an sit. » A Merienne, 31 XI 1640, A.'T. IIL, pp. 272-273 ‘5. A Mersenne, 24 XIl 1640, A. ‘T. UL, p. 266. 8, Reg, Vi, AT. X, p. 38, Ps 383- ALT. V, p.'s2. 7 8: Ht. Gitson Discours de la Méthode, commentaire, pp. 180-181. i mis juxta legos Logicae meae, 3e LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES parcellaire, disions-nous, et plus elle peut donner lieu A une ‘technique locale. Or nous avons affaire ici 4 la tache la moins parcellaire de toutes, celle d’acquérir Ja science. La technique qui s'y rapporte n’aura donc pas la précision d'une ma- Rauvre : elle désignera un but plutdt qu'un savoir-faire. Hegel, on Va noté?, n’a, nulle part, défini sa dialectique. Assujettie & une matiére Partculitre, la méthode devient un procédé univoquement descriptible : par exemple — les maoyens enseignés au Livre III de la Géométrie pour décom- poret— diviser en autant de parcelles qu'il est possible pour la mieux résoudre — une équation, en facteurs linéaires. Stadresse-t-elle au seul esprit? alors, semble-t-il, ses. pré- ceptes se résument en une exhortation du genre : « Pensez clairement »; on ne caurait Ics enscigner & tous de suanitre univoque, ils peuvent seulement éduquer certains hommes en leur permettant dacquérir de bonnes habitudes intellec- tuelles *; en définitive, si la méthode générale consiste « plus en pratique qu’en théorie », cette pratique reléve tout autant de Ja morale que d’une technique. Au reste, Descartes ne se pose pas en professeur de vérités regues : aut contraire 4, en rupture avee le passé, conscient de son génie propre, rénovateur de la science en un temps olt la science se #énove, c'est la recherche de vérités not velles qui Ie passionne : sa méthode est une propédeutique de créateur. Certes, une invention n’est trouvée que prouvee : toute méthode traite donc d’invention et de preuve®, Cela n’empéche pas Descartes de s'intéresser davantage & Pinven- tion & faire qu’d la preuve. Invente-t-on en forme? En 1. Jean Want, : Existence humaine et transcendance (Cahiers de Philosophie). — N. Haxtmann, dans Etudes sur Hegel (Paria, 1931), peg aa. 2 Laronrs, op. city p. 34 et, plus généralement, pp. 29-35. 5 A Merseme, soars 637) ACTS, pe 349, 4. Aussi la prudence T'invite-t-elle, devant les maitres de I’en- acignement officiel, 4 eacher ses intentions, En fart, voudeart bien aqu'on enseignit.ofciellement le sesultat de sed recherchess ct Torequ'l voit que’ les Jésuites de La Fleche refusent, dans leust cours, de tenir compte de, ses Méidores, il s'en plaint aves amet : nt quils ne sont pas entibrement amateurs de Ia vérité >, confiesril A Mersenne, fe 15 X1 1638, Av Tl p. 424 Phos tard il n'éeriea gee Prizeipe que pour que a1 Physique tel goscignée': « waj'ai resolu demployer (cette annee) A corre Philotophie en tel ordre. quelle pulsse sisément etre enscigncen A Mees 3 SU 2690 fe il, Bais pe ‘eat eppeler généralement méthode — écrit la de ortsRosal, iis fart de bien diaper une pate de pees prnsées, ou pour découvrir la vérité quand nous lignorons, ou pour js prouver aux autres quand nous la connaissons dejar © INTUITIONISME ET FORMALISME 3u ie, oui, \d une science consiste en technique parti- Piliére | en Géométrie, Descartes sait si bien sa méthode fenseignable, que, selon les maurs de I'époque dans le monde savant, il refuse de la révéler tout entiére, mieux se il Brolle ses waves pour qu'on ne ave pao tous ee procédé 1 Mais la méthode générale? Descartes n'a plus, cette fois en dissimuler ni l’ordonnance, ni quelques ECeDIEE i e invente pas en forme, Elle nfenseigne pas comment i faut traiter telle ou telle matiére, Elle prépare de bonnes habitu 3 Intellecucles, En fait, elle n'est pas pour des éltves, pratique du doute peat méme Ia rendre dangereuse. Eile Pigge un ingenium. ‘lle ne rend pas apte, mais plus apte & découvrir de nouvelles vérités?; Tinventeur-né, guic ‘er ingenitam quandam sagacitatem®, commence pat titon- ements, fortunae axsiio pots quam. artis se. contentant @abord ‘de principes non fondés, qui parsissent innés en notre esprit plut6t qu’élaborés avec méthode® : avant de Produire ceuvre originale, il se forge ses instruments, comme Quelqu’un qui devrait avec, pour enclume, une pierre, et, Pour marteau, un cailou, se fabriquer une enchume et un Fnarteau avant de forger’ des épées pour autrui®. Que la Comparaison du forgeron ne nous fasse pas oublier la mise en garde de ia Régie I: & Punité indivisible de la sagesse humaine s'oppose Ia pluralité partes extra partes dela ma- chine humaine; tn savoir-faire n’est un savoir que s'il est la réflexion ou Vinvention d'un faire; et, par conséquent, « tous fxs arts exercent admirablement Tesprt, pourvu que nous ne les empruntions pas aux autres, mais que nous les décou- a la nuange entre « je n'si pas deasein de Ven acting Pilsen, tovcee 1637) ANE. 49 ae reste, A MDF Deed ae it Seay, Ae Mb. 307 ot Brea et dl ek hte cae Ins eater’ ce & Debeae, Av Ty ps0 «04 (es mathémat- iens) devaient connaftre que j'avais divers moyens pour les tar fate, que ene leur avaig point voulu dire» Ch ALE. Vip. 89, Sonfirmé par A. T. Ill, p. 86 (4 Mersenne, le 1x VI x6q0). Ajouter Ghaon: Gorm: p. 474 ati ne-distingue pas-méthode et méthodes. 2, Reg. XI, A. T. X, pe 408, Reg. IX: Ibid p. 403, Crest parce aque Ta méthote @ pour but de nous rele pls aptes b deduir lee ‘Yerités lea Unes des autres (aptiores ad veritates unas ab ali dedu- Tatts) “gue ta ‘eg peut exclure syllogiame et Dialeetique. Tid, por 405408. 3. Reg. 3 Dold, p. 403- Thid. 4 Ibid. i §. Reg. VIIL Ibid., p. 397. 8. Ted. 3 EIB: 1Z CRITIQUE DR DESCARTES vrions nous-mémes? » Analogue & ces arts_mécaniques « qui enseignent eux-mémes comment il faut fabriquer les instruments qu’ils exigent? », la méthode générale ne nous Procure pourtant pas des recettes de métier. En nous rendant plus aptes i inventer, elle nous perfectinnne, mais, elle- méme, elle n'est pas’ perfectible comme peut 'étre une technique. L’imitation qu'elle propose n'est pas celle d'un art appliqué & une matitre, mais celle d’un chercheur attentif a Ia découverte. Et c'est pourquoi Descartes, contempteur de Histoire, se donne en exemple historique : pense-teil, sans se l'avouer ot oser ’avouer, & Venseignement que l'on Puisait alors dans les Vies des hommes illustres? Il nous pré- sente son Discours « comme une histoire » ou une « fable » dans laquelle on rrouvera « quelques exemples qu’on peut imiter® », « Ainsi mon dessein n'est pas d'enscigner ici la méthode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ai tiché de conduire Ia mienne‘, » Chacun?... sa?... la mienne?... Ces mots ne sont pas tout de prudence ou de convenance : ils signifient qu'il n'y a pas de procédés communicables pour aboutir a l'invention : & chacun de forger ses propres ins- truments. Contre 'intuitionisme, Leibniz ne cessera de_défendre le formalisme. Si, par Vesprit de sa méthode, Descartes, Vadversaire de I'Ecole, fait penser & Platon dans sa dialec- tique §, Leibniz, continuateur de I'Ecole, se rattache & Aris tote et ne semble) pour sa méthode, rete de Plato que Ia technique des dichotomies, dans I'analyse des concepts : il en reprend Timage de V'écuyer tranchant * qui doit con- naitre les jointures de animal 2 découper ct ne saurait se contenter de conseils & la cartésienne. L’intuition est une 1, Reg. X. Ibid., 404.2 ¢ z.modo non ab alii illorum inventio- bis pais » l28 rive & 1 fag écrivait & Descartes, le 30 mars 2628 : i soe, Monti, souvenez-vous, oi wou play de Pine le votre ‘ura plaisir. d considérer vos prouessea contre {ce Géants de icole » (Ac T. Ly p. 570), Histoire et fable se retrous Vent unis, Dis. p 6, dans Vexpoué des énudes 4 La leche, rappro, htinent ui rsoréeae Phypothde d'un Descarien cherehant 8 « fen exemple historique. 4 Dise, I, pe 4 “ gst, J; LAPORTE, 0D. cit., p. 113, qui s'appuie sur Brehier, et sou- lighe, p. "116, Temploi des tertnes_platoniciens parti maga tenure, ne ea Re (AT, Xe. 383) . 438), x11 (Ibid, p. 422), xiv bid, p. 439). er pliron? Bhae, sb, eb agg Pah ‘2. Reg. VIII. bid, 3. Discours, 1, p. 4. INTUITIONISME ET FORMALISME 33 vision. La vision fait des visionnaires. Les quatre régles du Discours n'ont rien d'original, « et peu s’en faut que je ne les déclare semblables au précepte de je ne sais quel chimiste : prends ce qu’il faut, opére comme i! faut, et tu obtiendras £¢ que ca souhaites ! », Nous reviendrons sur cette critique. Ce qui intéresse Leibniz, ce n’est pas l'expérience privilégige d'une pensée, mais l'ensemble des expériences de la pensée. La vérité d’un jugement ou d’un raisonnement ne dépend pas une intuition plus ou moins subjective, mais de la forme, quelle s'applique aux raisons ou aux faits*, La science générale doit étre secondée par une Encyclopédie préparée par «un INVENTAIRE exact de toutes les connaissances Acquises mais dispersées et mal rangées®.. ». Eile cera Vart Ge juger et d'mventer, non pas en s’enfermant toujours dans a déduction des raisons, mais en combinant au besoin les connaissances déja données ¢, Et l'ordre des raisons lui-méme sera formalisé par des signes palpables que chacun pourra combiner selon certaines régles — comme, par exemple, en Algebre — pour inventer °. Les sciences progresseront mieux et davantage si l’invention ne reste pas confiée au hasard — ce que fait la méthode individualiste et subjective de Descartes. Méme en Algébre, Descartes laisse encore trop de part au hasard, reproche que, pourtant, il adressait aux autres inventeurs qui per cagas et caecas disquisitiones, ‘fortunae auxilio potius quam artis, ad rerum eeritatem perve- ‘nire® : en effet, nous manquons toujours d'une méthode générale pour la résolution des équations & partir du 3° et, surtout, de 4¢ degré et si l'on réussit « tout cela n’est qu'un 1. Quatuor Cureanee mtb Reswlate non video aud babcent Cartelo propria. Be parum abest ut dicam eimiles prac ta Chemici nescio. cujia ? Sume quod debes et operare quod Ske, ethabebis quod optan.. » Be IV, ps 329. 25S Cogito fale bubier A Deacartes lea atten vérités «< ih univetsamn ergo se diel potest * wertates esse ations, ns IV, pe 357 ade are. 7. Sr'Couruman,” Ops. 3 4. Pour Descartes, il ne acd autres que pour exereer In Secrencve plus apte aux inventions Der Sogo ccoler! dabet tn inden gquacrend, quae jam ab ai ireenta Bar Gice Reg. Re Pour Leionis h agit de combiner ls inventions SGA ites pots en obtenir directement de nouvelles. ; Cinieie Scicniae Generals, ubi de instauratione et augmentis scSotiarutn, osu de palpobilioas not veritatum et flo certo artis Gtrenicndl omnia proprio marte) quaccumque humano ingenio exjam dacs duct possunt. »Jbid, pp. 217-218. 60 Reg. Xs ALT! %, p- 403- rimitives, facti_ vel de s'appliquer aux inventions té de son propre ingenium et ‘personnelles + "ut ingenium fat 34 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES mélange de bonheur ou de hasard avec l'art ou Méthode? », Descartes cherche un « art d'inventer », il propose une Propédeutique de créateur; Leibniz cherche, ce qui est different, « une clef de l'art d'inventer ® », et forge un art combinatoire, Pour comprendre le sens de la critique leibnizienne, il ne faut pas céder au double préjugé contre Ie formalisme que Venseignement de Descartes entretient généralement ‘en nous : le formalisme serait vide; il tendrait A substituer une - pensée machinale & I pensée vivante. Vide de quoi? d'images? d’idées claires ou distinctes? Crest, en effet, ce que répond T'intuitionisme, Mais si la cogitatio caeca est préférable & Vintuition, c'est, en premier lieu, qu'elle traduit le refus de confondre l'imagination avec Fentendement?, par exemple la représentation vague du « plus grand nombre » ou de la « plus grande vitesse » avec la définition exacte des mots « nombre », « plus grand », « vitesse », qui dissiperait aussitdt les imaginations chimé- Fiques} pour ignorer cet avantage, Descartes n’a pas vu que sa preuve de Pexistence de Dieu par lidée de parfait demeli- rait incompléte. En second lieu, méme pour I'entendement Pur, la cogitatio caeca est inévitable, cat, pour contempler une idée intuitive véritablement adéquate, il faudrait en avoir poussé l’analysea un point interdit la faiblesse humairle, aucune idée n’étant, du reste, isolable de l'infinité des idées dans le contexte desquelles ‘elle entre. En troisiéme lieu, les idées d’un entendement fini ne pouvant étre celles de Ventendement infini, nos idées expriment V'absolu, elles ne Je manifestent pas 4 intuition; mais puisque nous con- venons avec Dieu dans les mémes rapports, le formalisme est plus rationnel, plus réel que l'intuition toujours suspecte imaginative, Ainsi, le formalisme, pour Leibniz, ‘n'est pas vide, il est plein d’étre : en énoncant les principes de la ‘Raison universelle, il énonce, du méme coup, les principes du Monde oit cette Raison s'est inscrite, Gonseth a défini Jes mathématiques : la Physique de l'objet quelconque. Le LSE MLE Ya iin ogee Do * ry Beer re Loney o : «Hine ergo tandem intelligi posse, non semper tuto provocesi ad'ideas, et multos specioso illo Peale’ ad i uaa stabiliendas abuti; neque enim stetim de qua nos cogitare sums conse, quod exemplo paulo'anve ostendic +P. AV. pe sae, INTUITIONISME ET FORMALISME 35 sede ‘que de sme, pour Leibniz, se serait defini : la Logique de Aer esichaque. Un signe algebrique n'est Paap pure: rent et simplement, il est vide de tel ou tel objet — et Kant en faisit la remarque + — sinon I'Algtbre ne serait pas applicable. L’intuitionisme invoque I ere wi oot Gliter le sujet connaissant, quand il le considére un objet «coma il fast»: e formalise Iebnsien demande ce gue ‘gnifie « doit » ou « comme il faut », et de ‘manier eras ungesance immediate vera, méaatisés pour sutra “SReste Te second préjugé : le formalisme aboutirait & des résultats, « comme en tournant une maniyelle me Bes, Jnachinalement, crest bien P'idéal de la logique seolstou comme de toute logique formelle®. » Assurément, Leibniz ieee fonctions dans leo pire allemandes aa dure utile — ae Gia or athe aloe i les préac ic See Ser cunas hollandaise; il se peut méme¢ ue, ven tard aux Mathémaiques, il n'en at perfetionné Talgorithme que pour micux y trouver des « trucs sila cherehé des joyens de facliter Vinvention en mettant au int des technigues. Certes, nous, préféronsquvon fase ppl & notre genie luis qu note baile, Mai pereonne mignore que si une solution alg Das ele ‘ rn arithmétique, Valgébre, cependant Reve ‘pan ingeniosté. et, & occasion, i génie. Be pour Leibniz, contre Is prétentions mhodologiques, du Goute, la seule maniére de nous fee est d’appli jotre attention & ce que nous faisons *, eerie ine propositions & des Benes eee in failibes, mais aussi ses que Ia prenve par neuf, Conversion de T'esprit, technique opérateiesil n'en risu!- terait aucune confusion ai ces deux points de vue sur le ‘méthode étaient nettement séparables : mai i a e caréiene pase de Lorde dex urs raisons A a technique i Ta Géométrie , et inversement, Sper ares fondamentaux — peut-ture Te principe s. Kone + Veber die Dstt der Grndlie dr nation ‘Theologie und der Moral. 7 ee oe Me mat tw vag 3 Eaton Oe BV ESEiSD a 1B, Mott, nctadimmagpeing in Pale Suen Bate how penet art Vk Sencanus, se ateifoncm ef suaiun, pert, yoluntater oe sedan in nobis non fac, potest Seep geeonsien ie, 36 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES fondamental — de ta technique opératoire de Leibniz, in omni proposition affirmativa vera, praedicatum inest sub- Jecto, nous introduit de plain-pied de la Logique formelle & la Métaphysique, dans la Correspondance avec Arnaud. il arrivera done que Leibnis oppose technique & teclmiyue : Presque toujours, lorsqu'il vante la supériorité de sa méthode sur celle de Descartes, il pense a la supériorité de son Analyse sur FAlgtbre de son prédécesseur. Alors, son attaque se montre précise et directe. Dans d’autres cas, c'est & la régle d’évidence qu'il s'oppose : il la déclare subjective. L’attaque, cette fois, est indirecte et incompléte : indirecte parce que Vinsuffisance de la régle est inférée des conséquences (Des- cartes tombe souvent dans erreur, il échoue devant certain problémes, le cartésianisme est devenu stérile, etc.); incom= plite, parce qu'il se borne, contre le erittre de T'évidence, & rappeler les régles de 1a logique commune et & réclamer ‘un autre critére — mais lequel ? il ne le dit pas — qui mesure- rait la clarté du concept ou du jugement. N’est-ce pas trancher plutét que dénouer le nceud gordien 1? Descartes savait bien Iui-méme que Yon ne démontrait pas Pévidence des notions premiéres*; et Leibniz, en tant que logicien pouvait bien faire une critique de Ia preuve — de la conséquence valable, — mais non pas de la vérité des principes. Enfin, qu’il oppose technique & technique ou qu’il condamne le précepte d'évi- dence, le plus souvent Leibniz s'en prend aux résultats de Ja méthode cartésienne, pour mettre en cause le cartésia~ nisms, On sent Tambiguité de Tattaque, Par ie précepte @évidence, Descartes identifiait sa méthode avec sa théorie de, Ia connaissance et son ontologie : si l'on accepte cette conceptian, les faiblesses techniques de la méthade n'impar- tent guére, et c'est en métaphysicien qu'il faut la critiquer. Refusant cette conception, Leibniz ne-peut que {a crithjuer du dehors, en logicien. Comme sa propre conception, trax ditionnelle, qui fait de la méthode une technique, lui semble indépendante des systimes —l’Organon n’a-t-il pas été recu, au moyen age, par les philosophes les plus divers? — elle lui semble aussi la plus libre de préventions, Ia plus objective, Ja plus apte A mettre un systime & l'épreuve, Des lors, les otalks Fematawe eat de Rudolf Zocunn : Lebmie' Erhenntnsehre etlin, 1952), p. 12, 2. A Mersenne, 15 XI 1638, A. T. I, p. 438 : « Je ne sais autre moyen pour bien juger des notions gut peuvent etre prises ‘our Principes, sinon qui s'y faut preparer Pesprit, en ve defeivant de toutes les opinions dont on est préoccups, et rejetant comme douteux tout cc qui peut étre douteux. * INTUITIONISME ET FORMALISME 37 faibleses techniques d'une méthode présentée comme révo~ Iutionnaire compromeitent, aux yeux de Leibniay la révo- lution cartésienne, Inversement, Ia supériorité technique de ta propre méthode doit témoigner de la supériorité méta- physique de son systime sur celui de Descaites, non point Baron qe ete metiode est mévplysigue a au conta, ense-t-il}, elle ne 7 i eee eee ‘A ne pas susir Pambiguité de cette critique — en ého 4 Pambigutté de la notion méme de méthode — on jugers souvent que Lefbiz ne dit pas autre chose que Deserts 2u moment ot il Pattaque, ou que son ar est pas fgne d'un philosophe. Par exemple, dit-il autre chose Sea e ie eo eee que par elle-mémes? Ea apparence, non. En rélit Gontexte du leibnizianisme change du tout au tout le sens des formule ies plus cartsennes : lo ves ne cont Pi ives que par rapport A nous 3. Ses termes “ons en une eensution, ele consistent en une ie cette ide et active, te. Ailleirs Leibniz ne comprend pas — ou feint- : rendre? — les intentions de I'adversai Se st tae ie Cov du doute. « Un philosophe n’aurait pas dit cela 2p svat ash épondu Descartes & Gassendi. Et J. Laporte d'approwver cette réponse, en ajoutant qu’ « ele stent rout droit Lt niz #3, Blle Patteint, certes, mais dans l'esprit de la méthode i is’ que dans esprit de la méthode leibni cartsienne: tandis que dan Vespeit de fa méthode ‘ent? Zienne, tenir pour faux le douteux est incont a " i lle. Un philosophe cart tune faute contre Ia logique formell hllosophe carte Yaurait pas dit cela, un philosophe leibnizien — ou, SSislement, Gisle A Pinepration ecolastique, comme Huet ‘ou Gascendi — peut dire cela. ' 5 Vein oer: Die Metade der 1 Cage que pm mans usm: ie Mate de Er ae eos Cah Coxe | Wine Ber cat nce thr bec, et nda dele rlinphysigu ot dg Yomulone hes Se rachung. doerheupt Sa reaee tn ae diem dem er Mess i en Seins — und Erkenntnislehre sich kaum beriihrt... », p. ‘. si ee ciaedenap nema marae a Baler’ abstraction (Paris, 1940), P. 74 Se ee ee vik ee SC se Redondo de eat pp. 14915) TS 38 LUIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Rien ne distingue mieux les deux méthodes que la maniére dont charine prend les mathématiques: pour modéle. Nous reviendrons sur ce modéle : son étendue, ses principes, les conceptions qu’il envelope. Pour Instant seul nous inté- resse I'esprit dans lequel Descartes et Leibniz le considérent, scule la legon qu’ils en tirent. Descartes part des mathématiques et cherche ce qui fait la certitude de leurs méthodes : il trouve que c'est l'intuition, intuition continuée dégage un ordre des raisons it pas avec la Logique commune; sa logique est une mathématique appliquée. Leibniz, lui, ne part pas des mathématiques, il ne parvient & elles qu’assez tard, convaineu que le secret de la certitude se trouve dans le formalisme de I'Ecole : aussi ne verra-t-il dans les mathéma- tiques qu'une promotion de la Logique. L’originalits de Descartes est de s'étre, contre Aristote, inspiré, pour consti tuer sa méthode, de la mathématique intuitive des Anciens- 4 laquelle, nous le verrons, il restera fidéle : par cette inspi- ration, Deseartes revient 4 la dialectique du géométre Platon, et, comme lui, par I'intermédiaire des mathématiques, s’éléve du monde des ombres & celui des Idées ou, mieux, & ordre des raisons. Assez curieusement, si la fidélité aux mathéma- tiques greeques fait de Descartes ua rénovateur de la philo- sophie, c'est la fidélité & la Logique de Ecole qui fait de Leibniz un rénovateur des mathématiques : pour la pre- mitre fois, la Logique du biologiste Aristote trouve, avec Leibniz, son mathématicien — et peut-&tre des difficultés comme celle du « passage & la limite » ne se résolvent-elles, contre esprit éléatique des mathématiques grecques, si fortement maintenu par Descartes, que, dans Pesprit de la Logique d’Aristote, par un appel A F'éa2olwots de toute forme vivante. Lrenseignement regu conduit Descartes & 12 conviction qu’ «il n'y a eu que les seuls mathématiciens qui ont pu trouver quelques démonstrations, c'est-A-dire quelques rai- sons certaines et évidentes » : ausai commencera-til « pur Jes mémes quiils ont examinées », pour accoutumer son esprit «A se repaitre de vérités, et ne se contenter point de fausses. raisons * », S'il s'exerce, pendant quelque neuf ans aprés sa 1, Disc, A. T. VI, p. 29. INTUITIONISME ET FORMALISME 39 i 1, A Parithmétique et & la gtomésrie, « seules esse py ae et dincertitude® », c'est qu'il cone fen elles 4 la fois un art d’inventer, comparable aux arts du tissage, de la broderic de Ja dentelle et autres choses sem- blables 8, et 1ne certitude rationnelle dont il ne connaft pas encore autre exemple *. En quoi résido cette certinide? ‘Dans Hintuition. « Pour Descartes, ce_ sont les axio géometriques et arithmétiques qui constituent Te contenw de Tintuition.. », grit Cassirer qui ajoute cette citation de Sigwart : « Lintuition de Descartes est l'intuition mathéma- ‘que; celle de Spinoza — du moins encore dans Ie Traité est intuition mystique ©». En fait, pour notre philosophe, Jes axiomes, qui sont des rapports entre idées, ne doivent pas leur certitude h des prineipesrationnelo qui détermine- Faient @ priori ces rapports, mais & la présence des ic elles-mémes, c'est-i-dire, ici, les objets mathdmatiques -mémes. Et, parmi ces objets, on notera la pr e Ger Descartes ‘pour, la Géometie. L/Anthme age, semble exiger plus d’opiniatreté que de sagacité *; les calculs fen sont ennuyeux?; il Yabandonne avant. la stométrie et va jusqu’a affirmer & Mersenne : « ..pour ce, qui est des fombyes, ye n’ai jamais prétendu d’y rien savoir. ». On est 2 Re ERIS p. 6s. BS fea ee ba die te titre de la Recherche de la Vérité. ae Relat i pre at Ielniire naturelle. toute pure et sans empranter ae eee Berd rea tr Bi ptt WRT son ee cannes ae Gere a SAT a a a cites Oe etn i i Se in ie mi de Pie cae pre spine gic 2 tanh ws a eeeercres apace ee Sect feos RU MAIER TK, p. agb, Co nest japas de plein 8, mais en Fechignant, que Descartes accepte de résoudre quelque probléme paper ous Dee anak con pun avec mca ch Partin — seine the ier ae ee Homme ni mpdaca mae Scheie Bra onan Tasman aida aT. P gn 1638, il écrit 2 Mepenne aul nis Gente ps a plan de gues ane» (A, Teh, P99) she ‘Flin de hale ane Bis FES) 66 are cectBle 17> tt Tin Y698 6, ge rec and Megem sd MiP anes w pour ce gut et dea nombres, Je 40 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES INTUITIONISME ET FORMALISME 4“ done en droit d'avancer que des deux disciplines, Vari demeure présent’A Iui-méme et sa certitude peut Etre en- tique et la géométrie, cst la géaméuie, elle ani sie olea igre. Il voit ce qu’il pense et comment il le pense. Tl pense de convenance avec les sens » par I'étendue de ses figures, tertres et figures. ILy part de « natures simples » de la pen- que V’on trouve au principe de l’évidence catisienne sée, simples, non point parce qu’elles ne contiennent jamais Lévidence mathématique jouit de plusieurs privileges @ éléments, mais parce que ces éléments forment des toute gui en font T'initlatrice par “excellence 4 toute ‘certitude ‘qui, disjoints, perdraient leur signification (ainsi, trois seg rationnelle, D'abord, I'essence des objets dont traite le nents de droite séparés ne sont pas un triangle). Par leur mathématicien se confond avec leur existence : ils échappent iaison & I’étendue, les premigres notions, ou natures simples, A tout scepticisme. Ensuite, ces objets « ayant de la conve: des mathématiques ont une convenance avec les sens, qui nance avec les sens », les premieres notions qui les concernent les fait recevoir facilement d’un chacun. Non certes qu’elles «sont resues facilement d’un chacun ». Enfin, en conséquence nous rabaissent & la connaissance sensible; le mécanisme nous de ces priviléges, a démonstration mathématique nous Enscignera au contraire que la connaissance sensible est montre « le comment et le pourquoi » de T'invention, au liew fondée sur Tintuition de V'étendue mathématique;, cette de nous conduire avenglément comme le formalieme de intuition peut done, sans cesser d’étre rationnelle, fournir VEcole, par exemple, celui de Lulle, dont les raisons « ne tne aide peychologique. Souten. par limagination, Pesprit Sont que sophismes dont je fais peu d'état + », et qui sert & Yoit ce qu'il pense avee tant de clarté qu’ vouloir mieux le Parler « sans jugement » des choses qu’on ignore Meni Ala maniére de I'Ecole il ne ferait souvent que l'obs~ ce lulliste de Dordrecht, capable de discourir sur n’importe Gurcir : du reste, les notions premitres des mathématiques uel sujet en combinant, pendant vingt heures, des réponses Se sont pas des concepts d’Ecole. L’esprit continuera & voir toutes différentes les unes des autres; & cet art qui puise Comment il pense tout au long de ses déductions. La faculté dans Jes livres et non pas dans Ia téte®, raseemble des Hieue Ge déduction, comme celle de l'intuition, nous est innée communs, les divise, les subdivise mécaniquement ut nihil €t aucune méthode ne peut aller « jusqu’A enseigner aussi ci Ft yuu ad aliquam divisions partem non possit reduci Comment ces opératiuus elles-mémcs doivent étre faites, le ‘telle sorte que res omnes possunt combinari #, Descartes far elles sont les plus simples et les premiéres de toutes, en ‘va opposer sa méthode de T'intuition, a sorte que, si notre entendement ne pouvait déja les faire S'étudiant 4 Varithmétique ‘et & la gométrie, esprit auparavant,il-ne comprendrait aucun deo préceptes, de la 7 », Par ; méthode elle-méme, si faciles qu’ils soient P’ai jamais prétendu dy rien savoir, et je m'y suis si tion, il faut entendre ¢ tout ce qui se conclut nécessairement ue Je puis dire avec vérité que, bien que jie autrefok apps is Grautres. choses connues avec certitude® », En ramenant & Givin et Textraction de la Zacine carrey ily a toutefon pl de i fiatuition et Ia déduction les opérations de l'esprit, et en i foudrale que jets exudianse dans uae Ree ea eens, Ja définiseant comme il fait, Descartes, souligne Iui-méme que Je tchase Ales inventer, tourde theme aus ae ee quill rompt avec Ia tradition des dialecticiens «Il, reve or eaten al ye gaa Pune deduction qui serait tune intuition continuée. Par Ti EA Meneine a5 deembre 1659, A. I, p63 ] 1 A Beeckman, 2 i s = & Barn ford Dll AAT ZB SGheabs. | 1. Cex matures simple « contengent on, ls an ceelags weligPecina, owe Deco pote ntnin, | —ae peur buy enmmbl ai se deo A, duc Jean-Frédéric, Pavel () 1679. « Ars magne de Rayon Fee | soak simple Seeds ipo. TOS a Ie sucicors guclue slaon & ce Gue je propane. Car ise ger is ema ecti De Pane eal Teo PO Gpslgus formes etndo canbe Pena se. de isc dane un. carté Deus O° oem, a ule 1641, A. Hy lui donne moyen par leur continaoon We deere coe See Peat ae quelque chove que ce soit, Mais cest Vombre sculerseny ae iy oe 2 Re A Ee table combinatoire, qui n'a pas laisse de trouver des admirateurs, Rez. Pick, exnaen & id., eur Pasage nouveru du mot intuition; Reg. TVs juoiqu'elle ne fasse qu’effleurer lea. ch hs ‘ Reg. UL, ibid sur | usage Does « mutres opérations de Vesprit in venabie quran Rableur ot an denen dient lene od Et ide eects don tue operations de Veep ela veri ableur est atu dessous d'un homme en mene wae la dialectique s'efforce de diriger 4 l'aide de T'intuitic temps éloguent et solide...» Ri I, tt PP. 167-168, aug dialetioue sefforce. 4B LEIBNIZ ‘CRITIQUE DE DESCARTES méme, la nécessité ne s'y présenterait i " pas toute seule; en fisent voir elsirement« pourquoi en est ans crooner ch pa faite Vinvention_ », la déduction mathématique unirait Ja nécesit 2 la f€condit, Instruit surtout par la géométrie Descartes aurait pu deit appeer « constructive » — ‘opposée formelle? — cette déduction intuitive qui procéde par eee st Par constatatons logiques. Logiques tlie que, débarrassée de vains préceptes, ne consiste qu’ voir des notions clases & disnctes‘et'& maintenir cote __ Yue, de zlation en relation. Ains! se manifesto, fruit naturel ela méthode innge quest Ia duction intuitive a rigueur é paste do r acer et de la Géométrie. Elle exclut stérilité du syllogisme bon, tout au vérité déja découveite?, Elle inclut la reoents SClent pare gvoi Descartes rapproche si souvent, pour exercer Pesprit a Tinvention, Ja déduction mathématique et observation des meétiers. Et c'est pourquoi encore la méthode devrait lure le hasard *, Découvrir par hasard, c'est découvrir 1. « Développer avec Iside des fii aoe pears sr Sie aan cea ean pre Ajoutons qe et conception, : lan Lepprte, Afoutone gue cet conczption, a: Lehn, Ai‘contraieyrprend J. Laporte ls acence caine Sot lei, nat Din gle atin fcr {4 ylogame, sent qulune continue dinette porane mur dea in Sel tla clans muta » Op ey 38. 2, Rope Vy Asis 3 5 i Astiuntlea ‘et Geometial Bint aud "wane euken ops frags fx gi hun meted pc cece Alaa Descareoeconna gion pest ure’ dela déducton ‘uinent le Sues opinions sur lx dopes Sujes et : Fulbent ie ates opinions aur x mdmey Sujets ct cla rane Riise emple. A Pemplius, 3 octobre 1637. «za cheats que j'eris sont de tlle sorte le plus so gulls ata eRe gerne ‘youre Hore Fcc et quits aurgient pu lx decoure de i mtn fagon. Ben il, a pata des gen qu se vanaient davar fa plan ‘dune ecoaverte dol mime pen, pare i leur Gane vend & Ppt dey arate ater semis, fen Quine lw cnet ara bends "cmt it Wetnent fae aperpun is Ten shrnct svat gue Jone ep en ey vice. I me pane selaphabe, eau Winters dé eavote tout Gs Gui oe sree gant Jos ves, lrce qui ne conionnent en ae cen lene * A, THAN, pr 6p. Gk Menem, Bn KIL 3637(0) Ae : “apes cla ce que je donne a second Tite (le ina Gebndvh fpochan iene cf prope des lignes curb et fro, ‘taminer, est, ce me semble, autant aucdeld de Ta géometsie INTUITIONISME ET FORMALISME 43 sans connaitre le comment et le pourqui de Vinvention : est-A-dire sans que esprit conduise volontairement l'expé- Simentation mentale ot le « comment » se manifeste dans Penchainement des raisons et le « pourquoi » dans les décisions prises, au vu des données du probléme, d’en poursuivre la Piintion selon une série plutot que selon I'autre. Le hasard se défnit done un manque d'intuition. De Parithmétique et de Ia géométrie élémentaires, Des- cartes retient donc que Ia certitude a T'intuition pour base et la continuité de lintuition pour principe. Cette continuité fest possible que si les termes de la série déductive sont Tangés dans un tel ordre que 1° les antécédents doivent étre vonatus sans Paide des conséquents et 2° que les conséquents Sruttent des zeulo antécédents qui se trouvent dans cette Tale. Autrement dit, la continuité de Vintuition exige un ordre de raisons. Exigence banale, mais que Descartes Senouvelle : car, mathématisé, ce principe formel devient tun principe intuitif od Von ne congoit, plus les « raisons » Comme les formes ent nous de cognoscibles hors de nous’, Snais comme des rapports entre nos pensées. Aussi, pouvons- Jhous considérer « les séries des choses & connaitre et non la Rature de chacune d'elles » : cela signifie que, retenant des Thoses & connaitre uniquement ce qui est nécessaire ou utile * {notre recherche, nous les déterminons chacune par leur place dans une série et elles ne peuvent, par conséquent, Figulter que de leurs antécédents dans Ja chaine. Et, cela Signifie encore, puisque nous formons ces séries pour résou- SE des probiémes bien définis, que nous ne trouvons pas tes choses toutes prétes, dgja rangées dans des Catégories Ge Pétre, mais, en nous, ordonnées selon notre exigence de eCmuitit. Dans Pordre des raisons, chaque terme dépend Smmédiatement de celui qui précdde, i lui est relatif. Mais Yordre des raisons lui-méme dépend de ordre de notre recherche, Si nous partons du simple pour en déduire des Conséquences de plus en plus composées, le terme absolw Sera Ie terme immédiatement plus simple que le relatif. Si hous partons du composé pour remonter au simple, absolut Zora Je terme immédiatement plus composé que le relatif Tres opérations fondamentales de 'arithmétique nous ensei gment ces deux démarches + composer (addition, multiply Extion), décomposer (soustraction, division). Composer est del de Ta bc des ordinsire, que la rhétorique de Cicéron est au ‘enfants, > 1. Ch. GiLsow : Index, Essence. 2, Voir Reg. VIII, A. 'T. X, p- 39% or LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES une démarche direct, ais, naturelle; décomposer ea earch «indirecte », « plus obscure et plus difficile ae eae plus naturelle parce que, & partir du simple, | Hilo de composon Gant conn, nous poons construire deg termes, complexes par un mouvement ininterromp + pir exemple, 2 partir de 3, en prenant 2 pour raion Kea Soe J progression continue géométrique : 3, 6. - p48. Lianalyoe est plus obscure et dificil, parce que le oe 2 1s any Et ae multiplicité embarras- rvnorisalin/ Ua iat aor i ideute ‘pour la résoudre. La synthése dém veri parce que In determination ae simple ieee iétermine un A un sans ambiguité tous les série. Vanalye cherche Ja vii, cst la medole dinrene eo ete vit ne peut dre déteings ‘avec ‘ 4 ui refasse, mais étermination du simple, le howin invert defsaieo On voit ie pourquoi Forde es raisons synthéiques ae rat ches Descartes comme Yordre par exallence —~ aoe, ar exemple, le mot « ordre > nlintervienne pas dant te second mais seulement dans fe troisiime précepte du Diss ‘eure. Ces que, lorsque absolu désgne le plus sinple dans chine des rntons, le plus simple est asi le plu état if, eBay conadguent le lus oai Or, le ls erat resi pe i esprit. disti PF = cour et ecerche cate recherche civ mine’ an orks raisons en soi et Vordre des raisons pour moi. eres smi lon tinge de Varithmétique et de la géométie dle mentaire, Descartes va Tétendre & ensemble de la mathé- augue, ala Physique, & la Méaphysique, oat Cee ae a Ja recherche d'une mathématique général Cente dernitre, extme-til, sera a science de ordre et de he cet eee aes ge mate parle» Vel a ‘Mathes iabarals: rouver limitée A aucune matidre particuli i eeite mathise applicable & toute caaitre idee de diene une fois genéralisGe, meaure, nombre, longueur devien. eel se gE a LE NdE ip mmc ra st Wo wil Spa msrah te bot Een Lee Dae ae Sathana ee a Gee ee Meine haere INTUITIONISME ET FORMALISME 45 nent des notions équivalentes. Lialgebre nous enseigne par sent ce a remplacer les nombres par des lettres. Ces lettres iiaboligent donc 1a mesure, nombre ou longueur. Elles symboliseront Jes longueurs ‘coordonnées qui déterminent sym ovint d'une courbe. La Mathesis universalis devient la tombtrie algébrique On y Femarque tout de suite qne Baigebre yest anclla Geometriae:, et, ne se justifie point yr elle-méme comme science de l'ordre seul. De le mathématique pure, la rigueur du raisonnement par Vordve des raisons s'étend ‘au champ entier du. mesurable, ‘cest-A-dire & Ja connaissance du monde fe physique, Cette Géométriation de la physique fait revolution, Ce, n'est pas Siinous ¥ reviendrons — que ‘Descartes identifie, & les conte in phyoique avec la géométrie. Au contraire, dis Tes Regulae, il distingue les deux domaines & propos de MeasciStique® Pour résoudre le probleme de cette courbe, Ja mathématique ne suflt pas, il faut passer & la physique 6f aux premiers principes de arche ta physique : alors, une analytique nous découvrira : sini 10 Ia loi de réfraction sint toi par le mode de propagation de la Jumitre dans un milieu transparent (elle se propage d autart plus aisément que ce milieu est plus dense); 3° Ia nature de Pinieres 40 ce quvest, en genéral, une puissance naturelle, de amiea alors redescendre de ce dernier terme — le plus Absola de la recherche —, par les intermédiaires 3) 2 ct t+ Jusqu’a Pétude mathématique de 1a courbe anaclastiq’® Or, jueanGuil my ait pas encore de démonstration géométrique aaemte revenir & cette étude, le raisonnement n’en est pas moins rigoureux, car il suit I'ordre des raisons. ndre & Ia méme rigueur dans le "Nous pouvons done at champ de la métaphysique, Toute possiilité de 1s mesuse jisparait avec Ja disparition de Yétendue. De la science de seperate de la mesure, il reste Ta ecience de ordre, Du raisonnement jusque-I2 appliqué & la quantité ‘3, nous nous 29 Vexplication de cette se L’Batretien_ avec. Burman, A. T. V, pp- 176-177, monies Descartes aan eps PR de Talgbre, de Descartes etre ordinaire, qui nrest quun ard appuye Sut 1G Ja, mathémations. Op ecgnee mathématique: € a autem hauriends tat ex Algebra,» + eg Vill, A. TX PP. 3932395. 2: Ree Nan ouvrage au P- Enawcors, professeur de Desere® a Be RESTO TCTTE ie quantté consdirée qhrclument ct en Oe, ape Fieenoenent etn et rapperts, metrillement lov i Bane aero serir introduction ax scence 6f mike 7 ae i es phitcophgues sr Ja quantite, Rennes 2058+ 46 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES élevons au raisonnement qui s'applique & la qualité pure des idées métaphysiques. Mais la méthode ne change pas de directives. Il s'agit toujours d’imiter ce que nous avons appris des mathématiques. L’intuition demeure la base de notre certitude. Elle peut stavérer non senlement aussi claire qu’en mathématique od nous avions commencé & abstraire notre esprit des sens, mais plus claire, pourvy que nous menions plus loin cette abstraction. Elle saisit le réel méme, chaque fois que, comme cela se produisait pour les objets mathématiques, Vessence qu’elle considére se confond avec existence — c'est le cas pour le Cogito — ou quelle implique nécessairement cette existence, soit immédiatement — c'est le cas pour lidée de Dieu —, soit meédiatement — c'est le cas ‘existence du monde, Comme en mathématique, c'est ’intuition continuée qui fait Ja rigueur du raisonnement; et I'intuition continuée n'y est toujours possible que par Vordre ininterrompu des raisons. in définitive, les degrés de la connaissance ou de la certi= tude, selon Descartes, correspondent aux trois degrés de la dialectique platonicienne. Au plus bas degré, Yopinion : les prdjugés des sens, de Venfance, et de Ia scolastique, Au second degré, la science : le raisonnement rigoureux par Yordre des raisons, tel que Venseigne la mathématique, logique de fa relation et de la mesure. Au demnier degré Ie savoir : Vordre des raisons y maintient une rigueur égale 4 celle du raisonnement mathématique mais plus difficile Bates gue se raisons n'ont plus de convenance avec les sens. effet, cette dialectique exige le détachement progressif du commerce des sens : au premier degré, opinion reste att niveau des sens et de leur écho immédiat, la mémoire; le second degré nous éléve au niveau de I'imagination construc- tive qui, en. tant qu’imagination, reléve encore des sens et, ar la, regoit un grand appui de la mémoire, mais qui, en tant que constructive, reléve de 'entendement appliqué 4 Yintuition pure de I'étendue des géométres; avec le troisiéme degré, il appartient au seul entendement de se rendre claires et distinctes les idées par un effort soutenu d'attention. Cependant, Descartes se situe dans une perspective diffé- rente de celle de Platon. Ce n’est pas l'eschatologie religieuse ou la Politique qui constitue le centre du cartésianisme; et si Platon est géométre, sa géométrie est plus proche de Vinitiation, pythagoricienne que d'une technique Iaique, positive, d'un art qui devient parfois comparable & des arts serviles comme le tissage ou la broderie. Loriginalité de Descartes est d'avoir, au départ, décalqué la technique INTUITIONISME ET PORMALISME 47 ique et de Vavoir associée A V'intuition des géo- mates, résultant de cette original, la difiuls, chez Descartes, va se trouver dans le ‘du modele mathématique 4 son application métaphiysique : comment passer de la précision technique d'un ordre & la rigueur morale fun vou, et réciproquement ou encore : comment suintenic ‘au niveau de Ia connaissance métaphysique l’exactitude iques? meat Tee pour le métaphysicien comme pour Te géo- matre Vexactitude réside dans la nécessité logique de la déduction; cette nécessité se manifeste lorsque chaque fantécédent est In raison immédiate du conséquent, c’est-d- ire lorsque le conséquent ne trouve sa raison immédiate {que dans Vantécédent d'un mot — car il importe @insster lorsque la « raison » est entidrement déterminante, Pourtant, il faut bien que la forme, du raisonnement méta- Physique ne soit pas superposable & celle du raisonnemen Thathématique, puisque la synthése ne convient pas si bien que Vanalyse aux matitres qui appartiennent & la méta- Physique alors que les dewx méthodes conviennent aux mas fidres qui appartiennent & la mathématique. D’od provien Cette différence? Le mot raison, dans « ordre des raisons » ne change pas de définition fonctionnelle, que l'on raisonné fn métaphysicien ot en mathématicien; il signifie toujours t principe d'une conséquence valable »..Mais Descartes ne t s’en tenir A cette valeur fonctionnelle parce que, contre fc formalisme, il fait de l'intution le fondement de la cert- tude et de la vérité. Ainsi, chaque raison doit étre une idée intuitive. Pareille idée a un contenu objectif. Bt c'est ce contenu qui change de Ia mathématique & la métaphysique. En muthematiques, lcs notions premisres ont « de la conve nance avec les sens », ce qu'il y 2 de plus passif en notre tre 1 la sensation siimpose & nous, rien de plus facile 1 recevoir; elle s'imprime en nous, y laisse trace, rien de plus facile & revoir. Par un cbté, leur convenance avec les Bens faitides mathématiques comme un art servile ob peuvent Sexercer toutes sortes de personnes méme «les moing atten= tives », pourvu qu’elles aient de la mémoire. Par un, aut ceaté, la meme convenance avec les sens permet la précision mathématique. Certes, on ne doit pas confondre V'idée dia chiliogone avec son image : mais le nombre, ou mesure — par conséquent, aussi, le nombre roo — a un rapport & Pétendue comme Ia notion de c6ié; done, Vidée, cl distincte, du, chiliogone, tout en se séparant de Miessee confuse, garde un rapport &.l’étendue, Nous’sa 8 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES no s'agit plus de I'étendue sensible — qualitative, colorée, du morceau de cire — mais de ’étendue intellectuelle quantitative, uniforme, homogéne — dont se sert Pimagin: tion constructive du géométre. La convenance avec les sens, CesteA-dire avec I'étendue, dont I'essence est d’étre partes extra partes, rend Jes objets et les opérations mathé natiques distnguables en quelque sorte pares extra parts eux aussi; et cette distinction en facilite la mémoire en méme temps que Ja compréhension, Ainsi, Ia précison des notions premitres mathématiques est une détermination quielles doivent 4 leur convenance avec P'étendue. C'est cette méme détermination qui, dans la chaine des raisons, se transmet aux propositions successives et qui, par conséquent, soulage doublement la mémoire : d’abord, parce qu’il est plus facile de fixer le sou- venir de ce qui participe des sens; ensuite, parce quill est plus facile de séparer, pour le considérer & part, le mieux déterming. En contre-épreuve lorsque nous. nous élevons Ja métaphysique, « la principale difficulté est de concevoir clairement et distinctement les premiéres notions ». Nous ne retrouvons plus la détermination de ces notions par l'étendue intellectuelle. Nous perdons l'aide de Pimagination construc- tive du géométre pour nous exposer au désordre et & la confu- sion de Pimagination affective : « les préjugés que nous avons recus par les sens, et auxquels nous sommes accoutumés dés notre enfance ». De leur nature, les premiéres notions de la métaphysique, insiste Descartes, ne sont pas moins laires, et méme elles sont souvent plus claires que celles qui sont considérées par les géométres 1. Bt, en effet, ce sont des natures simples de la pensée pure, détachée du commerce des sens. Seulement leur détermination n'est plus formalisable Parce quelle ne participe plus A la naturc partes extra partes de l’étendue : elle n’a plus rien de technique, elle reléve d’une expérience intuitive qui exige un effort d’attention difficile ment soutenable. A ne pouvoir s'inscrire dans ces traces de Pétendue cette détermination perd la précision qui permettait de recomposer dans la synthése trés exactement cela seul que on avait décomposé dans analyse; on ne peut avec certitude epasser sur ses propres traces, Ainsi on aboutit & ce para~ doxe, apparent pour le cartésien mais réel pour le leibnizien : x, En Physique, comme en Métaphysique « pour démontrer Yretistence de Dieu et de Fame », nous dit Descartes, wi debut de la 5* partic du Ditcours : « Je suis toujours demeuré ferme en la résolution, de ne recevoir aucune chose pour vrale qui ne me semblit pius claire ct plus certsine, que n’avaient fat fuparavant ‘démonstations des glometres. $ INTUITIONISME RT FORMALISME 49 i i i devrait igueur de ordre des raisons métaphysiques, qui Bi isctablement la. plus, haute, semble pourtant se situer entre la vraisemblance « des disputes ou des questions » scolastiques et la, précise certitude de ls démonstration ‘mathématique, Il suffit de remarquer, pests eee ce paradoxe, que ce n’est pas le degré, c'est la foc ite de Ie certitude qi diminue ainsi pou Ie catésion, Mais en, parce quill a, nous le Verrons, w i “ble Gui pren pour base In pense aveugle et non Ia pensée intuitive, ne comprend pas, — surtout au moment ou Des- cartes se fate cre parvent, dans ses Méditations, & sab ire des sens —, qu'il ne soit pas au moins aussi dey sen gull pe mr faible = ct Leibniz moquera souvent Ia tentative de Descartes pour disposer d'une fagon géométrique ses raisons la fin Secondes Réponses *. es ee roa a Pambiguité de Vidée de méthode. ‘Un intuitioniste formé a la technique de la nithodecte sienne, préférra parler. experience, fs a moarehis st que Von puisse lire tes selo r cos, Ton Se re ale ne sarrétera guére 4 aspect intuitif de 1a méthode — t silest formaliste & la maniére de Leibniz, il ne pourra adm tre quune intuition non formalisable, done subjective, puisse fonder une certitude objective. Ou Tun récitera lee quatre preveptes du Diseowrs, Pautre remontera 4 Vorigine techni- Eienne de ces préceptes, soit dans 'arithmétique et Ja géomé- trie élémentaire des Regulae, soit dans Y'algébre de la wie Pour fui diniz semble d'abord parler comme Descartes. Pour aus nicer des mathmatique ne se borne pa a vr “quoique trés utiles & la vie humaine », qu’elles enscignent : ‘ Le plus grand usage qu’on peut en faire, est d'y apprendre A raftonner avec exacitude?. » Déterminer, mettre ¢ hors de dispute », — « Cest proprement la méthode des ma ook iat plutét exit den Méie rasepnse come font les phic ations qué dey dant ortmses' ou dev’ preblémes, comme 1e5 (eanitetas» Secnder Réponge Ae TX CY,D. 2237 aoe, Sate, Opty rene Mle. ds Cartes pound pat It Bt: Link Oia: seein other lets cusont 22 Bescongtaion, aa ei jamoie ements ss ibs Gest ou a fue » Ver tid pp. 200,43 En out t This gos 1V, 29, 326, 4695 Vi 3405 Vib 3975 Ue Bae pone duguttes ds KM, v.67. x, £ Ce pu até I cause 50 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES maticiens qui eéparent certum ab incerto, inventum ab inve- niendo, et c'est ce quien d'autres matiéres nous ne faisons presque jamais, parce que nous aimons & flatter les oreilles par de beaux discours, qui font un mélange agréable du cer- tain ct de l'incertain pour faire recevoir I'un & la faveur de Yautre . » Cette méthode, oppose a celle des disputes montre qu'il est en notre pouvoir de faire cesser les contro verses®, Si « les hommes ont su quelque chose du chemin. pour arriver & la certitude », comme le prouvent Ia logique d'Aristote et des Stoiciens, et exemple des jurisconsultes, Crest « surtout » dans les mathématiques qu’il ont réussi * Ne faut-il done pas conclure avec Couturat® que Leib serait d’accord avec Descartes en principe, quitte a le criti- quer sur les applications? Nous ne le croyons pas. ne remarque le « vrai usage » des mathématiques ‘que pour rompre avec la tradition et ne plus demander, comme gage de la certitude, que « lextréme contentement », « le ‘contentement si entier » que lui procure I’évidence ponctuelle ou continuée, A la place de intuition, Leibniz met la déter~ mination. D'intuition, il ne veut que celle, concréte, des signes. Ou encore, l'objet de Pintuition, c'est la définition, ‘La méthode ne sera done plus pour Leibniz une propédeu- tique de Pintuition continuée, mais un art général pour construire des algorithmes *. En cela, il ne rompt pas avec la tradition aristotélicienne — Russel et méme Couturat lui reprochent d'en étre resté prisonnier — : il aspire & Ia main- tenir en la perfectionnant : car, si la logique qu’on pratique dans les Ecoles est aussi loin de Ia Logique utile pour nous diriger dans la recherche des diverses vérités, que Parith- miétique élémentaire (puerilis) différe de Palgebre supérieure 7, — cela signifie seulement que Ia méthode supérieure doit étre un perfectionnement de la méthode scolastique, C'est le privilege exclusif accordé au départ & la pensée mathé- matique, qui décide de la rupture avec Ia tradition aristoté- 3, A Th, Burnet tort février 1697, P. IL, pp, 191-192. 2. Ce Suisset a commencé de fire le mathématicien dans Je Schotatgue, mais pou de gone Font imi parce qu'il suri al quitter In méthode (des) disputes pour celle dea comptes ct raizon= ements, et un trait de plume aurat epargné beaucoup de clameure. > i P. . 8: Paul Scumstten : Lelniz and the art of inventing algoroms, (Journal of the History of Ideas, janvier 1947, vol III, n° 1), p. 108. 7- Cour, Op p. 175. INTUITIONISME ET FORMALISME st ico-scolastique et qui commande la révolution cartésienne. Se ce, privilege exclusif. Il part des Catigories de Petre et non de Vintuition de Vesprit connaissant, Son éciectisme insir la certitude mathématique dans Ia tradition wil ouvre aux perspectives du progr aia Tals ne davai jamais oublicr ses r6ves juvénites wor PAlphabet des pensées humaines. Les Catégorie, les Topigues Je font tomber sur cette considération admirable que « Eel combinaison des lettres de cet alphabet et par Vanalyse des Snots formés A partir de ces lettres, on pourrait et tout décou ‘ir et tout soumettre A I'analyse du jugement* » — comme, dune maniére symétrique, Tes longues chatnes le, rasons deo Géomttres avaient donné, &'éléve de La Fléche, I'« occa Sion» de simaginer « que toutee les choses qui peuvent tomber Sous la connaissance des hommes s'entre-suivent en meme fagon *», Descartes, appuyé sur la certitude du Cogito, prockde du connaitre & I'étre; Leibniz, pour qui varia a me copitanter eet une proposition non moins primitive que Cogito proce: era toujours, avec la tradition, de 'étre au connaltre, Cela porte pour comprendre que les raisons ne s‘entendent pas, chez Leibniz, au sens nouveau od Descartes les. donne Aenten~ Gre en modernisant les mots intuition, déduction *. Une raison Crest, pour Descartes, une idée intuitive — si évitlente que fa défnition en devient superflue —, principe de nos conse quences; et I'ordre des raisons s’oppose a Pordre des a ie seolastiques. Avec, Leibniz, une raison n’est pas seulement principe d'intelligibilité, mais toujours, aussi, principe de Fealité -— une raison des choses ®, comme en témoigne Formule de raison sufisante, En Dieu, cette raison qui, par une sorte de mécanisme soleaphysiaue ot des posalteh ta as existence, fait prévaloir une série mondaine sur sarah principe’ intelligibilité ceréatrice, qui joint Ta cause efficiente la cause finale et, pat fait comprendrele comment tt le pourquoi. Cette raison ne peut nous étre révélée en elle- 1. P. VIL., 185-6. K. I, p. XXXL. 2 BGA 2 an pine a posteriori, physique, et non a pale Ra eae ers 4 eirepitait' te op Snes sg oo ets 1S ER” Bye ola seas aftastot Ops 4. Reg. 111, Xp. 369. Iogique et le point RHA E BEET none de ys noe ada fannie epee Ranch St DLE cheer Seon Te Sea certitude, mais de certitude ‘métaphysique. La certitude iprincipes de non-contra- 52 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES rméme; elle s'esprime en nous, mais notre finitude Yenveloppe; ce qui est intuitif pour Dieu ne peut plus étre pour nous qu'une idée sourde. — Au contraire, chez Descartes, Ia conception de Dieu supprime la correspondance régiée entre le monde intel ligible —l’entendement divin — et notre intellection : Pordre des raisons n’est plus directement l'ordre de l'étre. Alors, fon ne s'étonne pas que du principe de raison suffisante, ot déterminante, se déduise le principe de continuité — principe ontologique, causal, Ia cause est ratio realis — ignoré par Descartes; et que Leibniz, inversement, semble ignorer lexi- gence méthodologique, si souvent rappelée par Descartes, dune intuition continuée. Et, puisque l’étre doit s'exprimer dans le connaitre, Leibniz peut appliquer non seulement & la mécanique mais encore & des problémes de mathématique pure, le principe de continuité. Alors que, pour Descartes, Texigence d’une intuition continuée ayant pour base, just ment, la ponctualité de l'intuition, accepte Ia discontinuité (une disproportion) de la cause & leffet, Lévidence ne peut étre le critére du vrai que si elle en donne l'intuition directe : et elle se confond alors avec Ia certitude. Mais si l'idée est Vexpression du vrai, elle ne le révéle pas en lui-méme, elle n’en donne que le signe : en ce cas, Vévidence ne saurait plus en étre le critére et elle cesse de se confondre avec la certitude. Le certain n'est plus Vévident, c'est le déterminé*, D'une manidre générale, le déterminé c'est Veffet, le déterminant c'est la cause, et Peffet est, en soi — ou, si l'on préfére, pour Dieu — intégralement déterminé par la cause — ainsi Haffirme le principe de conti nuit, Rien de semblable chez Descartes & cette determination de l’étre, dont la doctrine implique le maintien d’un monde intelligible, La ob il n'y a de certitude que par rapt a Ia connaissance actuelle du Cogito, il n'y a aussi de deter mination que par rapport au connaitre; dans la chaine des intuitions, “une idée est déterminée par une autre, nous Vavons dit plus haut, dans la mesure od ce que j'apercois de Tune se déduit de ce que j'apergois de l'autre. Ainsi la déter- mination, pour moi, se fait-elle par Pattention. Elle se fait, avec Leibniz, par la définition, Hl y a une connexion entre es choses et les mots qui sauve les définitions de l'arbitraire et qui permet, pour des définitions, de substituer les mots ou autres signes réglés par un bon algorithme la place 1. Théod. § 36 «... et Ia détermination, qu'on appellerait cer syle fle ditt connue.ns $n cars souenae een Sa détermination... »;-§ 52 « Tout est done certain et déterminé par INTUITIONISME ET FORMALISME 53. étermination est la plus Jémes. Crest alors que la détermination est la pl ee als va plus lieu sur des: idées souvent te bu eificlement ‘communieabes, mais sur des ines express jue chacun n’a qu’s regarder. La snpériori see she aes oy Eira egeune ge seprésentent. Ia chose, et non pas sur la chose: elle men: «De 1h il est manifeste ar si l'on ees nis pee ee i res. A exprime no Ss Steuerent et exastement que Tarithmdique exprime les nombres, ou que (I’algtbre) Suny Se ree ise, igthre 8 Jes lignes, on pourrait faire en been ies a oe y je raisonnement qu'on peut fai eae edaie et en. Geomet ie%, » Si lu détermination ex, Arihmeligue et en Geometric” » Si lk, dee mination leibnizienne est lige & intuition d’un a oe eee g t, qu’a intuition sensible des sign = Bebbeanes A etaiyily a une iverson de ogre ives : dans la premiere, celle de Descartes, on part du Cogito, Se Ghee de Torte des raisons cots es 2 certitude: dans la seconde, celle de niz, ON d i clement iN écanisme métaphysique de Tent sm die ie mio ee nisme logique de notre entendement qui imite celui du Diet fen sorte que la clarté de Vordre ou ime celui du monde, t a SFRlcar ne coincide pas’toujoure avec la verité ou la cert tude®. L’ordre des raisons Foe i moe ane intiions; il devient pour Leibniz catena, defimtonsm + i il besoin d’évidence; Leit Dis le premier millon, Descartes. a besoin d'yidence; Lelb> niz a une conception plus axiomatique, la i aed i ise avec le développement des con- sEyncntes Deserts forge ferdre des rao eles cuchat- ant uned une par une inspection deVespeit en ea comparant tune une pour les ranger selon leur degré de car, et «il 9¢ re qu’il n’y ait point au monde aucun principe eal touts les cows se puroent rie a on one fon réduit les autres propositions a celle-ci : dmpossi 2. Cour., Op. p. 155. Ide pp, 176. we < [Spa et toms Setipnibn quale sunt mese, nempe pal pebica Bene chascerum ad senabie agua Teac ent 80, «J'avoue cependant, si on ne veut point cling Ha eatin emt temp eur yut leu ee Erk eerie de FOsdee que de gn VOrdre ae oer dee Aer fe peavenie oor: «sauna eclané de TOrdFe, Tela, Opdee™y he venté et exactitude, ceerutude 4. Gaui T, pe 387. ‘Cour., Log., pp. 184 84. P. I, 205+ 5. Animad., I, 1. 54 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES idem simul esse et non esse, est superfiue a Lelbnia, tout au contrair’ soumes Tordre¢ peered for: mae, & la nécessité logique dont Ia non-contradiction eat le principe universel, et dont la rigueur se manifeste dans les syllogismes : « Et vere si syllogismos rejicis, omnes ratiomes rejicis: sunt enim rationes omnes semper syllogism. ig ‘formae syllogismorum ex (solo) illo principio contradic. tions. Mathematica plane certitudine demonsirantr®. » Ceres, ot ceci et invitabe, chez nas deux philosops, ordre’ deo raisons ne peut tre que ordre de fa déduction, Dune manite plus précis meme, ct ordre est naturel quand A range Jes vérités selon leur priorité de nature, autrement git. guan il procbe synthtsquement du simple ax complex : ius, sbniz : «Si duae aint yi maura prlon alera nara poterins ce i poses see ponatar, dicetir hace ex illa seu seu dice lla eusay ace, fect. — Natura pris et quod felis di nts inteligiur®'» Lidéal de la certine logque seat Tesolicatian peri qui ne contiendrait rien que d’expliqué; 3 raison par une preuve a priori qui nous fers comprenre le comment dela chose, cat toe celut aul proave une ‘chose a priori, en rend raison par la cause lente; et {quicongue peut rendre de telles raisons d’une anitre exacts et sufsnte, et aussi en état de comprendre chose 4. » On croirait entendre Descartes, si Leibnis continuait : « Distincte autem intelligitur cufus ssibilitas demonstari®» et, par, ne nous ramenait& ta théore de Ia dition rele, eon arme maitresve contre intuitonisme de Descartes. Par cet intuitionisme qui considére « comme il faut » les idées une & une, Descartes nous. suggére ordre linéaire de raison, ou, ce qui revient ax méme, cintui- tons, Mal conn, pur eee qui, encore une fois, le Vétre, in le causes séparables, ; Soe oer st le; il n'y a pas non pls de raisons séparées, chacune delles est un point de vue, 1. A Clerseier, jui 2 dgeet ain, 1646, A. T. TV, pp. a44naas. 3 Gaus, Ty p. 545, p. 527. £, ise prdiinatre dea conformit i ete formité de la Foi avec la raiton, > Gaon, Tat? . « Sed nullus foret ordo inter has substantias simplices, come smercio mutui infiurus carente, nis sbi rent.» Coun, Opy beth seltem mutuo rerponde- INTUITIONISME ET FORMALISME 55 et Vordre dans lequel elles se subordonnent dépend bien sr oine d'une intuition, qui nous échappe, que de la loi qui les MMonne. De Tordre lincaire de Descartes & la combinatoire PEtousenne, ily a toute la différence du possible au com- peas 1, Insistons. \ intuition, mais par la ou de transformation combinatoir propose une progression continue, pour Pintuition continuée : celle insti vrire des raisons, chez Leibniz, ne sc définit pas par foi, qu’il s'agisse d'une loi de série, ‘Lorsque Descartes nous Crest en exemple d’exercice itue un ordre & suivre Fopme apréa terme; sa loi permet de calculer un nombre indé= fexminé de termes (innumeratas) et de les former chacun,& part (singulae seorsim et mulla habita ratione ad eaeteras), Pare Descartes n’affirme pas quill ¥ en ait un nombre infin @t nous ne pouvons assurer lexistence d'un terme qu’aprés avoir construit. L’accent est mis sur. Ja série de termes ordon~ nés et non sur la fécondité de Ja I assi ité des termes enchainés et non pas sur Pac loi qui ordonne, sur la té de P Efaée directrice. Au total, Descartes ne choisit cet exemple de série que pour sa plus grande facili ité propédeutique. Mais - fa notion de série devient fondamentale dans le leibnizia- } nisme parce qu’elle est lige aux doctri ines du « point de vue » et de la spontancité de Didée. A partir de T'infinit# des mona des. qui constituent Tétre, et non ’un Cogito solitaire, on une infinité de points de vue dont les perceptions se répon- dent par une infinité de séries. En oute, il n'y a rien d’inerte ‘on la-monade dont la matiére n’est que la limitation inévita- Ble & toute ame créée et non une sul sive : Vidée n'y est pas tant un objet stance étendue et pas- de connaissance, qu'une spontanéité réglée. Des lors, quand nous pensons, i arrive quinne semble iée nous fase tomber sur une autre — par hasard, i parce que leur enchainement se dérobe dans ‘nconscient 3 mais l'ordre des raisons veut qu’une idée en implique une autre ou une série d'autres idées entre lesquelles nofre esprit incline plus ou moins 8, Msintenant, qu est-ce quune série? Crest une suite dont les termes, tout différents Gvils soient par leur contenu, sont cependant semblables ar lear formation, Car les choses qui sont déterminées 1. La différence est capitale. Voir chap. vi ois fon ab aiqed Eervatos. Gua, 7, 523. faut lise, eu es séries, les pp. 523-526. Reg. VI, A. T. XP. 385. fo] quia una cogitatio aliam involwit [vel aliquer ‘ye Possumus ad cogitandum determinati esse etiam tatione, sed a serie seu ordine cogitandi hactents em cogitandi i pensée des séries et par 36 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES semblablement sont semblables*. I convient d’insis lables. Il convient d’ ee les Gtomtres, sur Limportance dela lt do constfuc’ tion et de demander. non tantum sinilia, sed, et similiter pasta A Ye coninité de Vinton, réclamée par Des €9, et qui e'applique & des objets de connais ibn iia Ia conte eee qui tegentva de oes Obiees identiques tant que V'opération reste identi ids des (que Popeation ce vice aul pea que co wt Anal reve. one-nous, pour comprendre ce quest une série, au principe de continuité ou principe ordre général : si fe donné ext x“ ae le cherché aussi est ordonné, ou encore : si l’ordre st dans les déterminant, il sera aussi dane lea détermi- nés*. Co principe, «absolument néeesaire dans la Géomé~ fe > amas qui « réusit encore dans la physique »4 eat gncore le fondement de Is logiquelebnizienne pi jue sans lui ‘sffondrerait Ja théorie de Vexpresion, cesti-dire nition et le det. La deintion dune age ft os gut nats . La definition dune série est ce qui Bere dla comprende pare cae, en eet C'est précisiment ee qu'on appelle la raison de la série gui nous permet del comprendre ou i Fon ame miu, de rodnire, le-méme cette loi de tion possibilité de la série; par Srsequeht coo pay finctement cette série — puisque, nous venons de la voir, distincte autem intelligitur’ cuius possibilitas demonstrari — sans avoir & en connaitre tous les termes qui peuvent étre en pombe inf Ele nous donne I avon dun ordre, Dil ic ire la raison d’une autre, éciy met oul we eorepondet terme f terme, qualles iment, ce qui permet parfois de simpli calculs, comme il arrive avec les logarit ot retin fice d une efie I raion dun Geoelis Cok cil lee er au désordre apparent un ordre réel admirable; Leibniz 1, « Quae similiter determinantur similia sunt. » Covr., Op. ms Minded, § 212, _& Cours’ Ops iid. «Dats ordinats etiam quacsta sunt ordina Sis af rd ih detrminanbus ent erin iserminatin. sn $ Goes pourguel in osbetrnee cot principe de dadicds din drdoppementerdonnt de oeries ices subatancan nihil lid case posse quam f - smal et subjects) rotidem perceptionte aCrierum aese ordloe evel Ventas Ae Vater Bye ay6e Se rane eT Cov Opp 33° INTUITIONISME ET FORMALISME 37 se plait A citer la séri pear Jaquelle il substituait au désordre ates re ete des décimales dex l'ordre de la suite i Et il n'y a point de visage dont Ie contour ne puisse ttre theé tont dun trait par un certain mouvement réglé dont [Analyse rend raison , Dob Vavantage manifeste de ranger les chases et de les combiner jusqu’a ce que nous réussissions les expliquer par des séries, et une, chose sera, d’autant a ieee connue qu'elle se trouvera déterminée par Vintersec- Zon de séries plus nombreuses *. Finalement, ce qui fait la Heauté d'une pensée distincte c'est sa capacité d'ordonner et Gharmoniser les termes distincts dont elle est Ia raison tandis qu'une pensée confuse ne trouve pas la loi — ow raison — ordonnatrice des termes présents 4 ‘On ne peut parler de séries sans toire par lequel, avant méme de sinitier aux mathématiques, Teibniz espérait résoudre son réve d'un Alphabet des pensées hamaines et dont, plus tard, il devait dire qu’il était le fondement de P’Algebre 5, Ici, en contraste avec Descartes Gui avait privilégié Pintuition géométrique, Leibniz, privi- Te Grmalisme arithmétique. Par Tart combinatoire haus pouvons trouver des séries, qui elles-mémes contiennent quelquefois des combinaisons — comme dans le calcul des gaitients pour Ie bine de Newton — et qui peuvent se comnpiner entre elles, Cet art combinatoire suit ordre syn- “fhétique 1 il rend raison du composé par le simple. Et cette tarot avest rien @atitre que la loi des combinaisons et des Transformations qu'il met en @uvre. Ainsi découvrons-nous ‘Tanment les especes faissent des genres, les théorémes des te Dise, Met, § 6. Une fonction est évidemment, assimilable a une Wile puisqutelle rend raison des propriétés de chaque point de la courbe, CE. Théod. § 242- 7 0... ie est ad rerum natures invest leader res in plurib “fn ‘nodo seu intersectione ‘A preva Ia aéie «per quam plurimm ists —— Porro. distineta cogitebilitas a cogitanti. Est enim ordo ni fd quay reais param dsuneia, Er consi ck lure ties adoune, sed non est ratio quodvis 8 quovis distinguendl © nde aa Op. 430 1 « Alphabetum Cogitaiosuen umanaru, cot cafitogas corafa’ quae per se concipiuntur, et quorum combine lone eeterne idene nostrae exurgunt. * $+ Ibid, P- 560- Gat ordinem rei et pulet 58 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES définitions *, Des combinaisons naissent de nombreuses conséquences auxquelles nous n’aurions pas pensé, des séries apparaissent dont il suffit de suivre le fil pour parvenir aux plus grandes vérités®. Le hasard de la découverte se défi nissait, pour Descartes, comme un manque @intuition 3; il se détinit pour Leibniz par un manque de formalisme. La décou- Verte procurée par le calcul combinatoire ne surgit, pour Leibniz, ni machinalement, « en tournant une manivelle », comme le croyait Jean Laporte, ni par hasard, Ni machinale- ment, parce que la machiae’elleméme <= cestkcdins choix d'une loi de série ou de transformation — doit étre congue et montée; ni par hasard, pour peu que lon admette, avec Leibniz, contre Descartes, que « rendre raison » ce n'est pas avoir une intuition des termes et de leur lisison un A un, mais de la loi qui les rend distincts et qui en donne le comment et le pourguot en réglant leurs séries ou leurs combinaisons *. Mest facile de conclure que Vordre des raisons n’a pas le méme sens pour Descartes et pour Leibniz, Descartes en emprunte le modéle exclusivement a la mathématique élé- mentaire et il s’efforce d’étendre ce qui fait la certitude dans la science de la quantité & la science de la qualité : son embarras Pour disposer more geometrico ses raisons, Vinégalité qu'il rencontre entre analyse et Ia synthése lorsquril passe 4 la snétaphysique constitue pour Leibniz un aveu que lintuition cartésienne n'est guére communicable. Pour Leibniz le pre- modele de lordre des raisons se trouve dans le syll isme et 1a combinatoire, et c'est la méme certitude qu'il Yeut mettre en forme, plus tard, dans ses mathématiques, beaucoup plus complexes que celles de Descartes. L’ordre des Taisons se retrouve sous des formes bien différentes : dans la syllogistique, qui Iui permet de réuesir pour sa Théndicée © que Descartes n'avait su faire pour ees Méditations, un « Abrégé de la Controverse réduite & des arguments en forme »; dans Tart combinatoire, Je calcul des séries, les fonctions analytiques, etc. Et, ici encore, ce que Descartes ne pouvait faire, Leibniz ne cesse de le tenter : assurer le parallélisme 3. Ibid, 159. « Legesque ayntheseos sive combinatorise artis ‘sequitur, Quae ostendit quomodo variae species ex summis genenbos inter se compositis ordine exurgint et deGnitiones inter 6 cr tony ‘Sxiomatibus observationibus et hypothesibus jungendo theoremata oriantur, » 2. Ibid p- 34. « Unde multa nova exurgent, de quibus alioqui on cogitassemus, et harmonicae quaedam apparcbunt series, ‘uarum filum sequendo ad majora aditus petebit 3- CE plus haut, p. 43. 4. Covr., Op, INTUITIONISME ET FORMALISME 39 de la démonstrationmétaphysique, et du_raisonnement rmathématique. Les principes qualitafstrouvent leu traduc- tion immédiate dans le domaine de I quant: Vnluson iu print ane fae tions répond expiguer Ie raD~ port dea quantités, A la démonstration répond la Sécouverte Brune commune mesure, ett. ete. Tour, tori ane, Be oom Fscnibe et Linton evidence, eit ception. sensible et lintuitio : iol af Texpecsio, cest-i-dire des signes. Sur ce plan peuvent se projeter les ids sennibes ot le wigs met i Par suite, l'ordre des raisé Piping ce Descartes et ches Leibniz Chez Descartes, cate i a des raisons est celui s'éclais ae enon nutenue Chee Lani, elle et ops constructive; et dire que Vordre n'est Hien autre que Ie relation distinctive d’une pluralité, cest le rame raThar tmonie qui est Yunité dans Ja pluralité, comme Ta méme Fordee des raisons pour Descartes; ce son es points de vue de P'étre qui déterminent dynamiquement lordre des raiso pour Leibniz. ot isons, I te, ions de Pordre des raisons, l'une empruntée, Yast ‘alapite aux. Géométres, commandent des auides miéthodologiques différentes & 'égard du douteux et du p ee ive i 16 Ja fin de son z sil s'était senti abandonné nt ge tenn hendan e a gu rationnel — en doute volontaire. Si, en ef, la vErt y Je la perception claire et distinct fears come a sate dune ide depend de tention le ‘ute volontaize, qui tient cette attention en garde, cat bien i i, 'il fait partie intégrante de la méthode. + one tence mathématique ce qui se présente si clsirement aie aucus ion et'si distinctement & mon esprit que je n’aie aueune occasi ¥ 29 Obs BP: ay cnc, cede I pein veane de cette shea, cor ke Pe foe Ne re ee cn en ie ene {git doivent es objectors, AT: 1X () Be208- 60 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de la mettre en doute. Ainsi la pratique du doute a-t-elle une double fonction : elle élimine le douteux; elle dégage le clair et Je distinct. Par Vintention qui le dirige, le doute n’a plus rien d’un sentiment pathologique, il se transforme en un sentiment rationnel : il ceeso re une passion, maic, comme I’attention, comme le jugement, il reléve de la volonté, "est-i-dire du libre arbitre. D'un mot, le doute est métho- dique parce qu’il est homogéne aux opérations de lesprit qui découvrent Ia vérité, Voila, précisément, ce que conteste Leibniz pour qui, 4 inverse, le doute demeure extérieur 4 Ja méthode, C'est que Leibniz n’est pas parti, comme Des- ‘artes, de Vintuition des Géométres pour en retenir Ia régle des idées claires et distinctes, il est parti du formalisme de Ecole et ce qu’il retiendra des Géométres c’est la confirma- tion de la valeur du formalisme : dés lors, rien d’étonnant & ce que, pour montrer linutilité du doute méthodique, Leibniz prenne a témoin — mais diftéremment — ces mémes Géomé- tres dont Descartes s'est inspiré. Le doute ne fait point partie de la méthode, parce que, Join de nous guider par un procédé logique, il nous égare sur les fausses évidences du sentiment individuel. Qu’il nous égare, on le voit bien par les paralo- gismes ot il précipite Descartes ?; qu'il s'agissc d’un scnti- ment — et d'un sentiment subjectif, non rationnel — on le découvre mieux encore & la lecture de Malebranche qui invoque la conviction’ du sentiment intérieur : car « d’oit ‘vient que les sentiments intéricurs sont sirs? Il fallait expli- quer cela. On me dira... que c'est parce que sans cela il n'y a rien de sir du tout... Mais... je erois qu’on peut dire quelque chose de plus satisfaisant »; sentir qu’on ne peut pas douter ‘est une marque de certitude « obscure et fort suiette aux caprices des hommes »; mieux vaudrait dire ne pas trouver «des raisons de douter 2, mais « cela ne donne qu'une conjec- ture ou présomption * ». Un sentiment est individue, il ne peut donc s'intégrer 4 une méthode : et nous verrons comment, par son sens de la continuité historique, Leibniz s'oppose tadicalement au solipsisme méthodologique qu'implique Ia pratique du doute, Le doute est si lié & la passion, qu'il se rattache davantage aux procédés de rhétorique qu’a un précepte de méthode : Descartes utilise « pour piquer pat Ja nouveauté la somnolence du lecteur » et, parce qu'il se soucie moins de certitude —il se contente de la vraisemblance frinad Jy tes ae 7 7 2, Remarques touchant les Méditations sur 1a Métaphyrique de Meidbranche pubis par Andeé Romer : haebrancle os Las is, 1955), PD. 121-123, ; INTUITIONISME ET FORMALISME or - recevoir des applaudissements +. Son usage, st Ps} sane ‘non logique : sil faut tenir pour faux Je dou. feux, cela n'a rien & voir avec Pexigence de Ia preuves il sop eo ae PDT moyen jouver qqelque chose de solide », un Moy er totus cove de ie 4 ree cine feur courage en feignant que les maux possibles étaient assu- és mais, logiquement parlant, ce nest point se débarras- ger des préventions, mais en changer & et, ce conse, « qu will puisse recevoir une bonne explication, n’est pas néoes Tired la découverte de la vérité, et peut étre sujet & de grands abus® >, Il y a plus : & la limite, ce conseil serait Frapplicable-ow suspendrait toute recherche, car on ne peut suupprimer toralemeut la faiblegoe de Iesprit humain, née die défaut de Pattention et de la mémoire + «.. toute méthode de aisonnement sans exception, méme cartésienne, de quelave aniére qu'on 'éprouve ou qu'on y attache ses soins, restera néanmoins soumise & ce doute » hyperbolique . Mais nous Savons pourquoi, selon Leibniz, le doute reste extérieur & I méthode: cest quill ne peut admettre la justification carte sienne du doute par la nécessité de l’évidence, c’est~ Hs ar la doctrine qui prend pour régle de la vérité la percep: Eon clare et distincte. Cette rbgle si vantée (jactata) n'est pas utilisable : « Les régles d’Aristote et des Géomi res Palent mieux...» puisque, sauf les principes, elles n’admettent Tien qui ne soit démontré en forme’. Descartes n'a pas vu, . Animad,y 1, 1. Voie d Foucher, janvier x6ga + « M. Descartes natdtinads Bre nis Te outs deo Anciens, pour nous faire lumen Cie sane, pretve, devait songer aux démonstration. Heretics oo pee om ney tu, ee des exter nants ben moins aoides, mais plus propres a acquérit BS cetersienae cree aon sppele sum pops s BDlia Sagetes Vth p82 en rn 1 P-ctoetvolebant mabe possibile qu ee eee Ui fre queenadanium Carteias volebat e2 QUAe Yel minimum dubitationis habent falsa fingi. » fe dni Ts $B, dae34s. isa T 3 ce, ciate, P. 156, 2 4 animal” 1S, a8, oe “Sebi rt. Cnt $a Be Animas (G3 A8 dire den moerncs at oo ne SRE EP Aone, lit sgonoaine uel ensieme, deb basique, Arist Ziater d Perrear dano ces oocasons. Cat meres ae egrsinr Fegumenteivnt le rele ly au > gn ala au Getvoir al manque dangle forme, jc re jours maven deny poo encore prouvees par un on argument, # Le Fe Fe a cnodcrnes » vise 1a vogue cartésicnne. — Voir §§ 25% Sree eet, crapris, ps 157.» 5 62 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES abusé par la certitude du Cogito, que, si les expériences internes sontle fondement de toutesies vérités defait, Ie prin- cipe de contradiction est le principe de toutes les vérités de raison et que, ce principe supprimé, tout raisonnement s'effon- dre, Le doute, disions-nous, a, pour Descartes, la double fonction d’éliminer le douteux et de dégager le’ clair et le distinct, Leibniz répond, en sinspirant des Géomitres et pour tacher de donner un bon sens au conseil de Descartes : 1° ¢il faut peser quel degré dl’assentiment ou de dissentiment peut mériter chaque chose douteuse », autrement dit, il faut forger une logique du probable; 2° il faut tout démontrer, y compris Jes axiomes, non certes au début d’une science — car si les Géométres « avaient voulu diftérer les découvertes des théo- réumes et problémes jusqu’A ce que tous les axiomes et postu Iats fussent démontrés, peut-ttre n’aurions-nous aujourd'hui aucune géométrie #»— mais lorsqu’une scienceest assurée par Ja multitude des expériences dont elle rend compte. En tout cas, précise Leibniz, « on peut démontrer les choses démon- trables sans faire toujours mention des choses douteuses * », Les Géomitres n'ont guére & pratiquer le doute : ce n’est point parmi eux — Gaston Milhaud en fait la remarque * mais parmi les non-Géométres que se recrutent les scep- tiques. Nos philosophes sont des géométres. Mais Pun inclut Te doute dans la recherche de la vérité, ce que l'autre ne juge pas nécessaire. Des deux c6tés, le dogmatisme ne doit pas étre Te méme. Le cartésianisme est un dogmatieme restreint qui a sa ‘source dans la régie Tout ce e. Je pergois clairement et distinctement est rai. » Car il itive que je_persoive clairement et distinctement que je ne peux pas percevoir clairement et distinctement ©. Il est done vrai, dans ces ca, que je ne peux pas percevoir clairement et distinctement. 1. P. IV, 327. ¢ Nam ut experiments interna sunt fundamentum omniuin veatatum fact, ita prineipum contradietionis est prin= Sipium omnium vertattin rations, coque sublato omnis: tolltur fatlodingtlo, neque quiequam vel de'Dco'vel de ulls alse re coligere Tice. » Ausi sin de plus abeurde, poureuit Leibniz, que de douter des vésies mathématques, 2. dnimad, yt 3 A Bonkers, p. ar, 4. G. Mituau, Les Philosophes géomitrer de la Grice. Platon et es prédécesseus, (Pacis, 1934), Be 5. ‘5S. Reg. VIII, A. T. X, p. 392 (titre), pp. 396, 397- INTUITIONISME BT FORMALISME 63 dit, il est done vrai que, dans ces cas, je ne puts AnweTSMfinmer, mi nier. Un cas typique de ce genre est our Descartes, celui du. nombre infini. Ne plus pouvoir Peirmer ou nier, est-ce le scepticisme ? En partie, oui, puisque Sous nous trouvons devant une impuissance radicale de la raison. Cependant, contre le scepticisme, cette impuissance nest que partielle, et prouver en appliquant la régle de Yérté, 00 Fegle evidence, que je ne puis afirmer ow niet Vest poser la raison dans toute sa puissance. De plus, le acep- fique' argumente sur les contradictions des apparences. Or, Pear Descartes, la certitude de ne plus pouvoir afirmer ou Prer, ne concerne pas l'apparence sensible, elle reltve de Tévidence rationnelle; et parce que je me trouve en face d'une région fermée a I'évidence, pur cela méme le principe de contradiction cesse d’étre applicable. | ‘Au total, par trois points Descartes se rapproche et se distingue en méme temps Fa scepticisme : 1. sa conception de la raisons, 2. sa régle dPévidence; 3. sa conception de ce qui est au-dessus de la ison, Sur aucun de es trois point, Lelbnis ne saccorde i et sur chacun il le critique. ; aver Jul oem la raison pat Finiutus: Lumiére naturelle, faculté de discerner le vrai d’avec le faux, elle est — résume Jean Laporte — « l'ensemble de nos idées claires et di Gmctes?'», Cette définition trouve son expression immi diate dang la régle de la vérité, ou régle dPévidence, Con- formément & cette régle, les principes de la raison — le plus souvent, Descartes les appelle notions communes, ou vérités, ‘ou maximes ? — ne sont vrais que pour autant qu'ils tombent sous une intuition actuelle, En effet, la pensée ne saurait Souter de la vérité des notions communes « pendant qu'elle sy applique® »; et « nous ne yausions manquer de les savoir Tnaque Voceasion se présente de penser & elles...» Pour Desvartes, les principes de la raison perdent leur valeur for- mnelle, ils nont de valeur qu'intuitive. A ce titre, les notions Communes rvont pas de privlége sur Jes auttes notions. Gilles «ne sont rien hors de notre pensée > oi elles ont leur © sidge® »; et, comme de toute autre notion, on peut nen avoir qu’une perception confuse, obscurcie par les préjugés?- 64 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Au reste, ces principes, on neles pergoit pas intuitivementen ‘eux-mémes, mais seulement en liaison, ou, plutdt, comme liai- sons — veluti vincula + — des termes qu’ils conjoignent : ces. termes ne leur sont pas subordonnés, mais les notions lies et Jes notions communes qui en sont les liens, sont coordonnées Jes unes aux autres. C'est pourquoi il n'est ni nécessaire, rai possible de dénombrer les principes de Ia raison : ni néces- saire, puisque nous ne pouvons manquer de les savoir lorsque Yoccasion — cest-A-dire la perception des termes qurils met tent en rapport — se présente de penser & eux; ni possible, ‘puisque je ne peux pas énumérer toutes les maximes que occas siona suscitées ou susciterait en moi, ne les ayant pas actuelle ment présentes A l'esprit, et je sais seulement qu'il y en a en « quantité », en « si grand nombre qu’il serait malaisé de es dénombrer® >, Tl ne serait done pas possible, pour Des- cartes, de dresser une table des catégories. Ce serait, avec Aristote, attribuer 4 entendement Ia structure de Yétre, ou, avec Kant, 4 Wétre Ia structure de I'entendement. Mais, pour Descartes, la raison n’a pas de structure, Elle n'est ni constituée, ni constitutive. Constituée, elle serait un étre subordonné & un principe, comme le principe d’identité : or, «ce n'est pas une condition qu’on doive requérir au premier principe, que d’étre tel que toutes les autres propositions Se puissent réduire et prouver par lui; cest assez qu'il puisse servir & en trouver plusieurs, et qu'il n'y en ait point autre dont il dépende, ni qu’on puisse plutdt trouver que lui. Car ill peut se faire qu’ll n'y ait point au monde aucun principe auquel seul toutes les choses se puissent réduire...* », Et la raison n'est pas non plus constitutive, parce que les principes qui la définiraient ne cont pas des étres dont la connaissance nous pourrait servir pour connaitre Jes autres étres, mais des notions communes qui servent «non as proprement a faire connaitre l’existence d’aucune chose, ais seulementa faire que, lorequ’on laconnait, on en confirme Ja yérité par un tel raisonnement. Il est impossible que ce ii est ne soit pas; or, je connais que telle chose est, done Je connais qu’il est impossible qu'elle ne soit pas. Ce qui est de bien peu d'importance, et ne nous rend de rien plus, savants ¢ », L’énoncé des principes de Ia raison a toute Ia sténlité des syllogismes, La raison n'est pas un étre consti- 3. Reg. XU, A. T,X, ps 429. Bg. x0 % Ps 49. 49 A Ceratir, juin ou ui TW, 3G closer, juin ow juillet 1646, A. T. IV, pp. 444-44s. INTUITIONISME ET FORMALISME 65 tué ou constitutif. Elle éclaire et constate. Elle n’enchaine pas. Elle est pure puissance de connaitre, Qu’éclaire-t-elle? Gu'a-t-elle & connaitre? Les existences. « L’essence c'est la chose en tant qu’clle est dans I'entendement objectivé, exis teuce, cest la chose en tant qu’elle est hors de I'entende- ment, » Comment les notions communes, qui ne sont rien hors de ma pensée, s'appliquent-elles aux existences? C’est iu'elles ne s'appliquent qu’a des existences pensées. Confor- gnément a la régle de la vérité, ces existences sont pensées dans leur vérité lorsque j'en ai 'idée claire et distincte, Et cette distinction elle-méme des termes, ou natures simples, entraine la clarté et la distinction des notions qui les unissent veluti vincula, Mais alors ces notions ne sont-elles pas pensées dans leur vérité? Ces liens ne lient-ils pas les choses hors de Ventendement comme je les pergois liges en mon entende- ment? Quel est, en définitive, la valeur, la portée des principes de la raison? Descartes ignore une doctrine relativiste de la connaissance. Le vrai, c'est ce qui est absolument. Voila Te dogmatisme. L’intuition distincte d'une chose nous livre ccette chose telle qu'elle est absolument. Par suite, les principes, indénombrables, — de contradiction, de causalité, de sub- stance, etc., — qui licnt ees choses entre elles, ont une valeur absolue. Ce sont des. vérités éternelles qui enveloppent (invoicunt) les vérités contingentes, explique Descartes & Burman, en commentaire du paragraphe 49 des Princ. 1% clles sont « perpétuellement vraies ». Or c'est ici que com- mence la limitation du dogmatisme. Bt d’abord en ce’sens fque les vérités. éternelles sont positives chez Descartes, Cest-A-dire instituées librement par Dieu qu’elles ne contrai- gnent en aucune maniére. Les principes ont bien pour nous Une valeur et une portée absolue, Ia véracité divine fondant cette valeur et Dieu nous découvrant certaines choses telles quielles sont; ils ne sont pas absolus pour Dieu. Ainsi, méme pour la connaissance intuitive, les principes de la raison ont une valeur de fait, jamais de droit. Descartes le souligne encore en les suspendant, tant que dure hypo- thése du malin génie*, et méme pour les. vérités mathé- matiques qui pourtant ‘exigent aucune existence hors de notre entendement. Ce west pas tout. Le dogmatisme de Descartes se trouve encore limité par la régle méme qui le 1A Teg ota, 8 TY ase £ fps odo Biad Que Mares, Pexpression «tanguam ods telah Wie wr ace a ta Prine I, 5. 3 BNE LSA Regus 24 mai x64o, A. T. I, pe 64 66 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES fonde. Car si tout ce que je pergois distinctement est vrai, il n’en résulte pas que je pergoive tout : au contraire, mon enten- dement fini ne saurait s'égaler 4 linfini de Pétre. Il y a done du vrai, c'est-a-dire du réel, qui reste hors de mon champ intuition. Cette part eachée du réel, Descartes In répar- tirait sous deux titres : l'ensemble des vérités révélées, et, parmi_ les vérités naturelles, toutes celles qui touchent & Tinfini que je ne puis « comprendre ». Or, de ce qui échappe a intuition, je ne puis rien affirmer ou nier, car je n’ai aucune raison pour affirmer ou pour nier, une raison étant, nous V'avons vu, une idée intuitive et plus exactement un rapport intuitif.’Dépasse la raison ce qui commence I ot s'arréte la possibilité de continuer intuition, 1a od je ne puis plus suivre 'ordre des raisons. Du méme coup, aucun, principe de la raison ne peut étre appliqué au non-intui- tionné. En patticulier, le principe de contradiction cesse détre applicable. Nous n'avons pas affaire au_scepticisme pour qui la contradiction non résolue est la clef du doute, Car Descartes ne doute pas. I! constate que Vntuition lui manque et qu'il ne peut rien dire. Ainsi un dogmatisme de Tidée distincte se trouve-t-il restreint au seul champ des, idées distinctes. Ce dogmatisme n'est plus un dogmatisme de Pétre, comme celui d'un Spinoza et, plus tard, d’un Hegel; est un dogmatisme du connaitre dont la nature méme implique que ce soit un dogmatisme restreint, un entende- ‘ment fini ne pouvant « comprendre » un savoir infini, mais dont le mode intuitioniste implique que ce ne soit pas un dogmatisme limité & une connaissance relative. Faisons remarquer, pour finir, qu'il suffit de comprendre le mécanisme de ce dogmatisme restreint pour voir comment la doctrine de la création de.vérités éternelles en fait partie intégrante. Elle résulte de la régle de vérité que se donne Descartes. Cette doctrine ne pouvait apparaftre dans les Méditations ou les Principes ott Descartes expose sa science, c’est-i-dire Je savoir dont il se croit assuré par ordre des raisons et qu'il peut présenter d'une maniére dogmatique; et non pas (sa regle de la vérité le lui interdit) ce qui dépasse sa science, ce qui se trouve par-dela des limites de son dogmatisme. ‘Le dogmatisme de Leibniz est d’une autre nature. Leibniz n’accepte pas la définition cartésienne de la raison. Il la juge trop imprécise. Descartes n’a pas expliqué ce qu’est la limiére naturelle +, La vision fait des visionnaires : x. Cour, Op., p. 516. + Quid sit naturale lumen non explic. @ Cortes. » Et cette imprécision va conduire Malebranche ii Ia théorie INTUITIONISME ET FORMALISME o ue Ton ne nous donnera pas des marques du clair @ a dtiner, T’évidence demeurera une apparence sub- foe ‘Voyez les cartésiene ra ceux qui ne eee pad ri ils re ent de ne pas sa’ : leurs dvidences cbr ain h experience interne des ide {Is se dérobent devant les objections et se dispensent de sou- tenir la preuve?, Liexpérience interne nest dVailleurs, que Te sentiment de ne pouvoir douter, et ce sentiment, disions- nous’ ext une marque de certitude « obscure et fort suette fue caprices dea hommes. » Par conséquent, « si par. la Raison on entendait en général la faculté de raisonner bien ou mal, javoue qu’elle nous pourrait tromper, et nous trompe fn effet, et que les apparences de notre entendement sont souvent aussi trompeuses que celle des sens f...» Ces « appa. Sences de Ventendement » invitent a rapprocher Descartes des feeptiques qui se trouvaient pris dans le doute parla contra~ diction des apparences. Et elles montrent la fuiblesse de Des- cartes contre les sceptiques : conformément & la régle de vérité, {I veut que la lumiére naturelle dissipe 'apparence, sans nous Honner le moyen de discerner les apparences et le vrai de notre entendement alors quill ett fallu mettre Paccent, non ‘apparences », mais out « contradiction » et cl Bias ioe Te formelles de la Logique le moyen de lever Sette contradiction. En changeant de critére de la vérité, Leib- niz inverse, une fois de plus, les perspectives cartésiennes + Descartes pratique le doute pour parvenir a Vévidence, et Leibniz ne'admet que contre les dangers de I'évidence,n'ac- cordant aux axiomes mémes des Géometres qu’une certitude morale jusqu’a ce que leur démonstration, c'est-A-dire leur Teduction ® dee propositions identiques, Jes éléve & la certi- tude logique *. fee vnion en Dieu qu en quelque sort, nous prve de nos prpres teases over Dise. Mate, Wf sea, H stenne, 7 7. nade ye Dies Meta W225 explique non nt ration, a Ne eS Meso conte Herbere de Chebury ‘yl my apres pesemne, Gu ce que nous connalt Sons) peuvent consentir a une meme err, eel a quanti de Sons) peuvent consnge A une tis ere neal, hott, Juma personne na encore fait de reflexion. » A. T. TT, ® Score Opp x80 Ie eins pense 3 Malebrance ag ea oe im, § 65. B. Vi Be 8 & Bie, Con. Fete ater, 8 OF 1 route vert, de fat, Nous eae eee ener mt naturelle A eroire les sens « et omnia @pPa= fentla eredends nisi sit ratio in contrarium, alioqu nihil una 8 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Quelle définition de la raison substituer a celle de Des- cartes? Eh bien, il s'agira «... de Venchainement des vérités et des objections en bonne forme, et dans ce sens il est impossible quela Raison nous trompe ! »et précisons que cet enchainement est celui des vésités « ot Pesprit humain peut atteindre naturellement sans étre aidé des lumiéres de la Foi». La raison ne se définit done plus par un sentiment intérieur, une expérience intime, mais par ses ceuvres. Ce n'est qu’en informant les connaissances qui nous viennent des sens et de Ja réflexion, qu’elle les éléve au-dessus des consécutions empiriques et les transforme en connaissances valables pour tous. Car les Anes n'ignorent pas que le plus court chemin est Ja droite, ils se dirigent tout droit vers leur fourrage? = Jes hommes devraient le démontrer. Si 'action peut se conten- ter, d'une certitude physique, cette certitude physique n'est qu'une probabilité morale * que seule une démonstration en régle peut changer en une certitude logique. En invoquant de prétendues évidences d’un sentiment intérieur, les cartésiens ne nous donnent pas le moyen de discerner la droite raison d'avec la raison corrompue qui est « mélée de préjugés et de passions »; mais si‘l’on définit la raison droite comme un enchainement de vérités, ce discernement devient possible, «on n'a qu’ procéder par ordre, n'admettre aucune thése sans preuve, et n’admettre aucune preuve qui ne soit en bonne forme selon les régles les plus vulgaires de la Logique. On n’a point besoin d’autre critérium ni d’autre juge des controverses en matiére de raison * ». Les cartésiens se déro- bent devant les objections et se déchargent du poids’de la preuve? Pour nous la raison sera, au contraire, « l'enchaine- ment des vérités et des objections en bonne forme », Au mono- logue de ta raison cartésienne, nous opposons le dialogue de Ia droite raison qui s'enrichit des objections, coit en affermis- sant sa propre thése, soit en Pélargissant : « Lorsqu’elle détruit quelque these, elle édifie la these opposée. Et lors- qu'il semble qu'elle détruit en méme temps les deux théses opposées, c'est alors qu'elle nous promet quelque chose de profond,’pourvu que nous la suivions aussi loin qu'elle ageremus. In rebus fact illa satis vera sunt quae aequé certa sunt, a6 menemet psius cogitationes et perceptiones. Tic disputandum contra Scepticos, » i are ms 1 Dike, Conf: Foi et Raison, § 65. Bae, 9% a 3. Aviad, "i, x. Voie ci-aprts, chap. £ Coury ‘Op, "pata. £ Die Conk a Raion; § 62 INTUITIONISME BT FORMALISME 69 wut aller, non pas avec un esprit de dispute, mais avec un Bur ardent de-rechercher et de déméler la vérté, qui sera toujours récompensée par quelque succls considérable . » Le propre de la raison, pour Descartes, était de reconnaitre ‘ce Gui est, par unc vision droite : 'apparences n'était alors Guiune vision confuse. Le propre de la raison, pour Leibniz, Ge didentifier, Cest-i-dire de résoudre la contradiction en fdentifiant : et lapparence n'est alors qu'une contradiction non surmontée, Pour l'un, cest Mévidence qui doit nous montrer ce qui est, pour dissiper les apparences dont nous bstdent les sceptiques; pour l'autre, c'est l'enchainement des vérités et des objections en forme, qui doit démontrer ‘ce qui est en résolvant les contradictions en quoi consistent tes apparences des sceptiques. Tout définir, tout démontrer, voild la seule arme efficace contre le scepticieme, yr ‘La raison ne peut étro enchainement de vérités que si elle est une nécessitélogique, imprescriptble par Dieu méme- Le principe de contradiction est « le fondement de toute la Logique; et s'il cess, il n'y a pas moyen de raisonner avec certitude ». « Car, comme les expériences internes sont le fondement de toutes les vérités de fait, ainsi le principe de contradiction est-il le principe de toutes les vérités de raison; Tui 8té, tout raisonnement est atteint, et on ne peut plus rien conclure de Dieu ou d’aucune autre chose. C’est pour {quoi rien n'est si absurde que dassurer que l'on ne peut reir la science certaine des vérités mathématiques sans une Connaissance préalable de Diew®; si absurde que ceux qui Savent les finesses de Descartes, le soupconnent ici de je ne ais quel ficheux artifice §.» Laissons ces accusations d'arti- fice, Reprenons plutot la régle cartésienne : n'est vrai, pour moi, A fa lumiére naturelle, que ce que je pergois distincte~ ment; or, je ne pertois distinetement les notions communes que loreqi'elles lient des idées distinctes; séparées de telles HHées, elles ne sont plus pour moi que des énonciations ‘vagues, par conséquent, douteuses et stériles, comme le sont les énonciations de I'Ecole ®. La lumiére naturelle éclaire 5 Loin me peotatement aux sons caus, dime Ropar TX Io Pee vbitablement teres den ves Teles £ Rachel db ta Varta ATX, p. 522, Cebu aui sic wer dt toute méthodigue, pire iores utioresqe, quae VulgD MAEND 70 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES les choses et leurs liaisons, mais elle ne les lie pas. Ces liai- sons, ma raison les constate lorsqu'elle considére les idées «comme il faut » par un effort d’attention accommodatrice. Elles sont des faits d'intuition, non des normes de intuition. Elles ne sont pas au-dessus des idées qu’elles coordonnent, et — toujours en vertu de ma régle de la vérité — jfignore si elles subsistent hors du champ de mon intuition. I n'y a rien que de cohérent chez Descartes : si T'intuition est Ja mesure du vrai connaissable, V’infini, que je ne puis «com- prendre », recile un infini d’inconnaissable, qui est par dela ma raison finie, et dont je ne saurais rien dire : d’od Ta doctrine des vérités éternelles et le refus daffirmer ou nier une nécecsité logique universelle. Tout change avce Leibniz, parce qu'il change de régle de la vérité. Est vrai ce qui est démontré. Démontrer, c'est réduire & des identiques ar une chaine de définitions réelles, c’est-i-dire non contra- dictoires. Le principe de contradiction est done bien le principe de toutes les vérités de raison. Elles lui sont subor- données. Il est leur norme. Il les dépasse. Il n'est pas assu- jetti au degré de clarté et de distinction des idées : il vaut Pour toutes nos pensées, méme sourdes ou inconscientes; 38 puissance ne cesse pas aux limites de V'intuition. Ainsi sans avoir l'intuition des plus grands nombres, je puis néan- moins affirmer qu'il n'y a pas de plus grand nombre, parce que ce nombre est impossible, il implique contradiction. Ce prin= cipe ne s'impose pas & la seule raison humaine, sa valeur n’est pas « positive », il est, absolument, la norme nécessaire des pensées divines. En effet, si ce que nous disons de Dieu a un sens, il faut qu’il y ait convenance entre ses idées et les nOtres et que suvus conveutious avec lui dans Jes mémes rap- ports. Quel fondement aurions-nous de lui attribuer bonté et Justice, si nous n’avions aucune idée ni aucune définition de ‘ces notions ? Par conséquent, « sa bonté et sa justice, aussi bien que sa sagesse, ne different des ndtres que parce qu’elles sont infiniment plus parfaites », Une volonté qui n’aurait pas le bien pour objet, un entendement qui n’aurait pas la vérité pour objet, ne seraient que « fiction » et « chimére » : c'est ourtant de telles fictions et chimtres que Tescartes forme son Dieu *, En Dieu, la volonté est soumise & I’entendement : il m’y a pas de création des vérités éternelles. Cette doctrine isti principio, quod ut omnium basim, et ut centrum, ad quod omnes educuntur et in quod desinunt, nimirum : mporile ese, ut wna eademque ret simul sit et non sit, superstruimus >, 1. Disc. Conf. Foi et Raiton, § 4. 2. IV, p. 285. INTUITIONISME ET FORMALISME 7" de la exéation des vérités éternelles était Ia suite rigoureuse de la régle de vérité choisie par Descartes : une autre régle fa détuuit et a pour suite rigoureuse le rétablissement du monde intelligible. La régle cartésienne conduisait & la con- Glusion : de ce qui dépaose la raison humaine, je ne puis rien firmer ou niet. Leibniz réplique, en conséquence de sa propre regle : de ce qui dépasse fa raison humaine, nous Gevons au moins affirmer qu'il n'est pas contre la raison, Crest-iedire contradictoire %, C'est le principe de contradiction qui excluant de lentendement divin impossible et l'incom- patible, ne laisse subsister que le possible et le compossible. Cela revient & dire que Ia raison divine a une structure, wrelle est constituée et, selon sa constitution, constitutive de la. Création. Crest pourquoi la monade spirituelle dans son département est comme un petit Dieu : sa raison est constitue et si elle n'est pas constitutive du monde, puisqu'il n'y a qu'un Créateur, du moins Vest-elle de ses phénoménes. Et c'est pourquoi, encore, le monde reste, pour Leibniz, un bouoe, et nan cette matitre indéfinie qui peut prendre toutes Jes formes que représente le monde pour Descartes *. Enten- dement divin, entendement humain, monde eréé : trois struc~ {ures qui steutrespriment. LA ob Deccartes proposit nm infini indéterminé et ouvert, Leibniz propose un infini déterminé, architectonique et clos qui ne va pas sans rappeler la Divinité d'Aristote. a ‘Maintenant nous pouvons comprendre le dogmatisme leib- nizien comparé & celui de Descartes. : : ‘Parce que les principes ne se situent plus au niveau mais au-dessus des idées objectales * quiils lient l'une & Vautre, ils prennent rine valeur normative. Les idées, on les voit, on les Expérimente, elles sont de ordre du fait; les principes préce- dent, dune antériorité logique, les existants possibles dans Tentendement divin, et réels dans la Création, ils fondent toute expérience, ils sont de Vordre du droit. Rien ne prévaut contre eux. Absolument premiers, ce sont-les principes de Pétre, Premier pour nous, le Cogito est le principe, non de Petre, mais de la connaissance des vérités premitres quoa 1 Dise. Conf. Foi et Ratton, § 23. | i a le ledintale de Vestaque de Leibnia contre Descartes, toi Jeitmoty oe cate de la creation des wértes éremelles expo sec Reps aus Vie" Objections, n° 8. Voir la Lettre & Philip, Jans Ee Fan ‘chapy ih Tonio. de idee au jogement 7” LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ‘nos Les principes premiers de l'étre peuy des fa nonvcontalction et ln taison maleate ql signe que rien n’existe sans avoir réuni la totalité de ses requisite, Cest-a-dire — et d'un seul tenant — sans étre possible (non contradictoire), done faisable (cause elficiente) et sans pre- senter un motif d’étre fait (cause finale). Quant au principe premier de notre certitude, il s'énonce : toute perception de ma pensée présente est vraie * parce qu'il sagit d’expériences gui ne peuvent ere révoquées en doute®. Mais tandis que Descartes, parce quill part du Cogito et non de létre s'arréte a ectte evidence, In sare rile sulfsante et definitive de le vérité, Leibniz, parce qu'il part des principes de l'étre gull en fit Ie fondement de toute exprience posible, ne donne & cette évidence qu'une portée phénoménologique, non au sens husserlien, qui procéde plutét de Descartes, mais au sens dela tradition, tel quil se trouve encore chez ‘Kant, oe notion de phéncinéne demeure relative 2 celle de re. C'est pourquoi, chez Leibniz, si je ne puis révoquer en doute que j'ai des pensées, si ces pensées ont une vérité phénoménologique incontestable, je dois les soumettre & Pépreuve des principes de Vétre, cest-A-dire les. démontrer, Pour leur donner le rang d'une véritéabsolu. 7 rmé de ces principes, que puis-je connaitre? C’ totalte de Pex qui o rellsuit da loiter de chaque ‘onade: tout esprit et omniscient, bien que confusément & (ais une créature, limitée, ne peut pas tout connaitre. Je ne puis tout « comprendre », Ce verbe n’a plus, toutefois, la méme Signification que pour Descartes, Pout Descartes, « compren- re » c'est embrasser dans son champ intuitif, d’ot la compa~ raison de l'intuition de l’infini avec la perception trop ae dela mer ou dune montagne, Suivez cee signification exten- le Géométre, ce qu’on ne peut comprendre c’est ce qu'on ne peut voir, Pinconnu : mais le non-vu n'est pas, en soi, d’une autre espice que le vu; c'est pourquoi incomprehensible 'équivaut pas & du confus ou de Vobscur : Dieu est, en méme temps, 'idée la plus distincte et Ja plus incompr¢hensible. A cette signification extensive de Géométre, Leibniz substi. tue une signification intensive de dynamicien : Pincompré 2. Cour, Op. p. 515. bid. “< Omnis “perceptio cogitationis meae pracsentis est vale ah Rasen gp ela oe ape taut Ng pike “NIT ude Sata neuen ex INTUITIONISME ET FORMALISME. 2B hensible, c'est le confus qui va a V'infini dans la nuit de Iin- conscient et de Petre; le confus, c'est l'enveloppé, ce que Je ne puis développer, expliciter, expliquer, cest-A-dire, our parler enfin en logicien, ce dont je ne puis terminer Panalyse pour lexpliquer ensuite synthétiquement, a priori, par la cause efficiente?, Le non-vu étant Ia négation du Yu, Pincampréhensible se trouve, chez Descartes, rejeté d'un bloc du edté du non-su, Au contraire, le confus ayant des degrés, Vincompréhensible a des degrés, chez, Leibniz, D'ail~ leurs, pour atteindre a la certitude, le formalisme leibniaien nrexige pas de tout connaitre, comme lintuitionisme carté bien exige de tout voir. Sans achever, de incomprehensible, Tranalyse jusqu'au dernier terme, il suffit, pour que j’en puisse dire quelque chose ayec certitude, que je démontre Ene inclusion de prédicat dans un sujet et, surtout, que je découvre la loi de série, selon laquelle l'analyse se pour- Suivrait A 'infini : ainsi je tourne T'objection de Pascal, iorsque, dans son Essai de esprit géométrique, il rappelle que T’on ne peut tout définir et que les vrais principes nous Echappent ®. Cette réponse au scepticisme pascalien n’aurait pu venir de Descartes qui se contente du sens intuitif, de Teomprendre », Une série infinie a-t-elle un dernier terme? Je Sven sais rien parce que je ne vois pas ce terme, répond Descartes. Je sais, par la loi méme de la série, qu'il n'y a pas ce dernier terme, réplique Leibniz. Aussi bien, tout finis que nous sommes, pouvons-nous eavoir sur I’infini, avec certitude, peaucoup de choses, comme nous en savons sur les asymptotes, les espaces de longueur infinie ayant une aire moindre qu'un espace fini, les sommes de séries infinies, etc. : sinon, nous tne connaitrions rien de certain sur Dieu; mais savoir quelque Chose d'un sujet n’est pas avoir & portée tout ce qu'il cache en lui, Voila done Descartes incapable, en métaphysique Comme en mathématiques, de résoudre les problémes tou- Chant Pinfini et obligé de se réfugier dans linconnaissable. ‘Aussi ne peut-il concilier, & article 41 de. ses Principes, le libre arbitre avec la toute-puissance et I'omniscience divines ‘Aussi encore, toujours pour avoir fait de lincompréhensible dun pur inconnaissable ne peut-il aborder les problémes de Ia Religion, comme si les vérités de Pexpérience religieuse pouvaient étre trangties ou contredire lee vérités de Ia 1. Sur comprendre, voir Dite. conf. Foi et Raizon, §§ 5, 23, $9 66,73, Cieaprts, chap. 1h p. 15T. *. Eovr, Op 230 ar 3 Animéd, 1, 26. Disc, Conf. Foi et Raison, § 69. E Dice Conf! Foi et Raison, § 68. 1” LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Lumitre naturelle et ce qui passe larson étre contre Ia Par leurs principes, par leurs voies, par la conclusions, les méthodes de. Descartes. et ar rates eo caractérisent, chacune, avec une particuliére netteté, lors- qu’elles veulent prouver existence du monde extérieu Descartes administre sa preuve, dans la Méditation sixiémi au terme d'une longue chaine de raisons qui ont déja défi le monde. possible comme monde matériel et uniquement comme tel; la preuve une fois établie, c'est par rapport & la contrainte imatérielle de ce monde, que l'objection du réve se résout. Chez Leibniz, le probléme n'est pas préalablement déterminé par une longue chaine de raisons, et lon peut — bien entendu, dans le contexte du systsme — l'examiner & part, Il se divise en deux questions : 19 Existe-t-il un monde hors de nous? 2° Quelle en est la nature? Or, il n'est pas frou que cette nature soit matérielle selon Ia définition lualiste de la matigre. II est possible que ce qui existe hors de nous soit encore de nature spirituelle. En ce cas, ce ne serait plus une contrainte matérielle, mais une contrainte spirituelle qui expliquerait Vordre des perceptions vraies, en contraste avec le désordre du réve. En d'autres termes; le critére de convergence logique qui léve objection du réve n’a plus méme valeur chez Leibniz et chez Descartes. Chez Descartes, cette convergence 2 pour fondement une matiére, hétéro- gene a l’esprit, mue par des mouvements dont les lois n’ont pour nous aucune finalité, c'est-a-dire aucune rationalité ssignable : ausel bien, cette convergence, imposée par les 5, concerne-t-lle tout autant que Ientendement, les fens et la mémoire et. elle n'est logigue qu’au sens le pie faible ot nous n’attribuons pas la régularité au hasard. En revanche, par le fondement meme quon Tui suppose — jes mouvements de la matiére hétérogéne i la pensée — cette ‘convergence a, d’emblée, une portée ontologique : elle atteste 1 Milly, § Go 4 car & présent rencontre (entre sommeil et veil 495 soibl aera Sac qur note meme ns peat ee Je oie nr snes ue ay ue eve ae We riven Cat elds.» Seng memoie oe entendement sacetonet parler accor ie wit de Vat devel. Med. VI, ArT 1K), INTUITIONISME ET FORMALISME 3 dogmatiquement existence du monde. Chez Leibniz, plus de Gualisme : la matiere est limitation et non plus étendue; les, {ois du mouvement sont rationalisées par la finalité; la conver- gence des phénoménes bien fondés s'avere essentiellement Bigiqne. Du méme coup, cette convergence ne peut avoir que lavvaleur d'une convergence logique : elle tend vers Ia certi- tude logique, mais comme elle natteint pas cette limite, elle ne: peut nous procurer qu'une certitude morale: Tisemble que nous nous trouvions en présence d'une contradiction : comment Pintuitionisme cartésien parvient-il Sane conclusion plus dogmatique que le logicisme ? C'est que hos philosophes reglent leurs démonstrations sur des prin: ipes différents. Descartes argumente. sur deux. principes Feiaence de Vintuition ct la eéracité divine. Si Vintuition lui a permis —A tort, selon Husserl 1 — de s'élever & Dieu, est Tatyéracité divine gui permet de lier les intuitions entre elles, de les enchainer en discours, d’organiser un savoir, bref qui est la garantie de In logique, Sauf pour V'idée de Dieu, I'in- fuition n'a qwune portée phénoménologique : les relations Togiques dont elle manifeste ’évidence ne dépassent pas elles- prames cette portée. C'est la véracité divine qui autorise Je passage ontologique elle me garantit que quelque chose — eibstences, lois du mouvement ou relations logiqes — corres pond 2 mes intuitions; mais elle ne me dit pas que cette chose per co-substanticlle & Dieu, bien plutdt la véracité témoi par définition, d'un fait contingent, c'est-A-dire, ‘Jagit de Dieu, d'une création. Les deux critéres Rintéviens ~~ évidence, véracité divine — raménent done fun et l'autre — Pun par Vinterdiction d’affirmer plus que je wintuitionne, Pautre par la valeur morale qui place la ie nate aurdewus de Petre — & Vidée d'vine création des Verités éternelles, Le logique, en définitive, se subordonne gu théologique. Rien de semblable chez Leibniz. Le crittre Ge la oéracité divine perd ici sa valeur *. Leibniz s’en tient sexe seule critéres de la vérité divine, en d'autres termes de ja vérité de P'étre : principe de non-contradiction et principe la wérité de ieante Le théologique est logique. Les vérités te Méditutions cartésionnee,§ 40. Die Krisis.. Fin § 16 ot $§ 17-18. 1 arti sar, En effet, 1% fondées ou non, il sufi que les apparenees soient lies réguliérement pour que leur wilité pratique apparencta meme 2 cette « lisison régulitre » suffit pour que Died ements accuse d'etre trompeur; 2° de plus, la durée de notre vie ferret nant sien en regard de note vie ‘gerele i my a pas termeetirion theologique A soutenic — avec Platon — que ee abject tate ogee quiun songe. — Voie Animad. Wy 3 76 LEIBNIZ CRITIQUE DR DESCARTES Gternelles sont co-substantielles A Dieu. Les vérités contin gentes (ou : de fait) doivent done se subordonner & elles : en particulier, les vérités intuitives que découvre ma cons- cience. Cela signifie qu’il y a un rapport logique réglé — et non de bon-vouloir ainsi que chez Descartes — entre mes phénoménes et leur fondement hors, de moi. Et puisque ce rapport, de par sa nature logique éternelle, est en soi ce qu’il est pour moi, il me permet bien de passer du. phénoméne 4 Tontologique —c’est toute la théorie de expression — mais sans m’arracher pour cela aux horizons phénoménologiques. Sans entrer dans le détail des preuves, on notera que si leurs voies sont paralléles — Leibniz songe visiblement aux textes de Descartes — leur argument a une signification trés férente. Pour Leibniz comme pour Descartes il faut d'abord prou- ver que le monde est possible; tous deux s'appuient sur la présence & mon esprit d'immuables natures, dont la « vérité », Cest-a-dire la réalité, se démontre par 1a contrainte qu'im- pose : 19 leur essence; 2° les propriétés qu’on en tire. A premire lecture, on croirait que Leibniz n'a fait que rempla- cer Pexemple cartésien du triangle par l'exemple du cercle 8 Il nen est rien. D’abord, la logique créée que Dieu impose au Cogito n’est pas la logique incréée qui s'impose & Dieu méme. De plus, la possibilité dont parle Descartes ne poite pas sur la réalité intrinstque des natures immuables, mais sur leur rapport de ressemblance au monde matériel qu’elles rendent pensable : ou, si l'on préfére, elle porte sur Ia possi- bilité d'une Physique mathématique. Aussi bien Descartes n’a-t-il pas & mettre ces natures immuables 4 ’épreuve du principe de non-contradiction : l'intuition est la garantie immédiate de la réalité idéale non seulement de leura cxsencea mais encore des propriétés simples — « & savoir, que les trois angles sont égaux & deux droits, que le plus grand angle est soutenu par le plus grand cété, et autres semblables... » — que, bon gré, mal_gré, je reconnais « trés clairement et tras évidemment » étre en elles; chez Leibniz, la possibilité fonde essence méme — c'est la théorie de la définition réelle — des natures, tel le cercle « avec ses propriétés » : 1. Voir Vadmicable t. IL de Gurnovtr,: Descartes selon Vordre det ‘raisons, commentant a Meditation V1. (Nous en. avons fait fetcompte rendu dans la Revue de Mctaphysiqueet de Morale, 1955. mera arate) Portes pre fell ea 104, 190 et 10} Lettre a Foucher: Br ly 369-3743 6 NE. TV. rt, 61 fin, 1X a5 8. VIL, guo-ate 1K (A), p. gar Lelie @ Foucher, Pe By spo. ANTUITIONISMR ET FORMALISME 7 fe non-contradictoire, voila la condition du possible, et te un prenont si peu pour base Fintution du Cogito que, Ta ob Descartes emploie la premiére personne — ¢ ma pens ‘mon esprit... je n’ai point inventées... je reconnais... » —, Leibniz écrit : « Ainsi la nature du cercle avec ses propriétés est quelque chose d'existant et d'éternel... tous ceux qui font avec soin trouveront la méme chose... ». AU reste, cemple du cercle n'a pas été choisi ici pour-démontrer Ja possibilité d'une Physique mathématique : tout autre exemple aurait convenu & Leibniz — ce qu'il prouvera en définntive}, est Texistence d'un univers, monadologique. ‘A cette différence dans la théorie du possible ne peut que correspondre une différence sur la contrainte par laquelle Simpoce 4 notre esprit la réalité d’une essence. Cette con- trainte, chez Descartes, est une nécessité d'intuition qui Fessemble 4 une exigence de fait : la volonté se sent passive devant elle (« ..s0it que je le veuille ou. non, je reconnais {ris clairement... 3); et cette nécessité intuitive n'est pas incompatible avec la contingence de vérités éternelles créées war nous, Chez Leibniz, il s'agit d'une nécessité logique Povdéfinie par le principe denon-contradiction — qui ‘impose Ge droit 4 mon entendement : le nécessaire et l'éternel Geviennent synonymes, et ils excluent la contingence, « car il n'y a tien de siéternel que ce qui est nécessaire * 2 Du Yelontarisme de Descartes nous passons a l'intellectualisme Leibniz. ; oe et onde ne soit pas seulement possible, mais que la wrésence en moi de l'imagination le rende probable, Leibniz fe dit aussi apres Descartes. II le dit en un autre sens. L'ima- gination se trouve définie chez Descartes, d'une part, dogma- Equement, par rapport au seul Cogito, d'autre part, problé- nstiquement en attendant [a certitude du monde extérieur, par rapport a la matiére. Du premier point de vue, l'imagi- Ration est une faculté psychique qui n’appartient pas Pessence de intellect pur : il y a entre Timagination et Yentendement une différence modale, En méme temps, le second point de vue danne sur I'hypothése que imagination participe d'une substance hétérogéne & Tesprit, substance Pensarite. Chez Leibniz, Mimagination ne se trouve pas définie Hane part, 4 partir du seul Cugito, mais encore, et surtou a partir de Pautre vérité premiére négligée par Descartes = xB, VI, pp. 321-322 2. PLT, pe 37. 2B LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES varia a me cogitantur. Ce varia désigne des concepts qui relévent de I'éire dans Ia cogitatio de Ventendement pur; il désigne des perceptions qui relevent de l’existence dans Ia par imagination. Rien n’assure que I’existence dont il s’agit soit celle d’une substance hétérogéne & la pensée. Ainsi, ce n'est plus, comme pour Descartes, sur le theme de l'un et de Vautre que se définit Pimagination par rapport au cogito, mais sur le thme de Pun et du multiple. Diautre part, la monadologie ne définit plus la matiére comme substance étendue, mais comme limitation (materia prima) et comme force (materia secunda) : elle est mens momentanea. Il résulte de tout cela que, chez "homme, — Dieu n’a ni imagination, ni sens — il y a de l'entendement & Pimagina- tion, et de Pimagination au sens, une dégiadation de la clarté de conscience, des perspectives temporelles. Leibniz n’a done pas & procéder comme Descartes qui — de l’identité & soi de I'esprit (Ientendement) la différence modale (imagination) et & Ia différence réelle (le sentiment) — découvre un corps étranger : il lui suffit, en s'appuyant sur la relation primitive de cogito-cogitata, danalyser Popposi tion de lun et du multiple. Dés lors, ce n’est plus du méme probable qu'il s'agit chez nos philosophes. Pour Descartes Ee’probable est Ia cratenblnce, cesteidire, Pinduction qui, d'un signe — la présence en moi de limaginatio conclut A lexistence d’une chose différente — Ia matitre éendue — un peu comme Ja fumée est le signe du feu cette vraisemblance consiste dans le rapport, qu’il est rai sonnable d’admettre, entre deux termes. Pour Leibniz, le probable est une probabilité, c'est-t-dire Ia convergence sérielle d’un multiple — consensus cum tota serie vitae* = qu'il serait insutionnel de crvire suns raison, non fondée. Ces deux espéces du probable ne peuvent, naturellement, avoir la méme portée : ce qu'induit la vraisemblance carté- sienne est Vobjectivité d’une chose, tandis que le consensus leibnizien conduit & Vintersubjectivité, Crest sur le sentiment et non sur les idées, que Descartes s‘appuie pour établir Vexistence des choses matériclles® : Ja sensation témoigne que le monde est, les idées de 'enten- dement révélent ce qu'il est; dés qu'il ne stagit plus de 1. P.. VI, p; 320, 2. «’non'enim rerum materialum existentiam ex eo probavi, ‘quod earum ideae sunt in nobis, sed ex eo, quod nobis si YE sumus conscii, non a nobis fieri, sed aliunde advenire, » A. ‘T MM, pp. 428-429. INTUITIONISME ET FORMALISME 9 Dieu, on ne déduit pas I'existence, on la sent, Leibniz sfengage sur une autre voie. Pour lui, un sentiment ne fait pas preuve #, Son argument ne va pas invoquer la sensation, en tant qu'elle est sentie, mais la perception, en tant qu’elle fest congue et, par conséquent, définie comme la multiplicité dans T'unites, definition qui, & sou tour, permet de définir existence : esse nihil aliud quam percipi posse *. L’'intellectua- lisation des données du probléme n’en détermine-t-elle pas davance une solution phénoménologique? L’existence im- pliquée dans la perception, doit, en quelque manire, étre de la nature méme de la perception, c’est-i-dire de Ia nature de la conscience: ce n’est plus 'existence, étrangtre 4 I’ame, 4 laquelle renvoie, pour Descartes, la sensation. Le sentiment fait preuve chez Descartes, parce qu’il nous impose une contrainte et une croyance trop invincible pour nne pas étre garantie par la véracité divine. Sous cette con- trainte, nous nous sentons passifs. Cette passivité se définit d'une part en tant que sentie, par rapport 4 la conscience, d’autre part, en tant que subie, par rapport & la volonté §; et c'est sous ce dernier rapport qu’elle engage, avec le pro blame de la eroyance naturelle et de lerreur sensible’, le principe de la véracité divine. Quant & la variété des sensa- si, Descartes, comme Kant, recoure 4 Vesthétique pour atic EOthemee da tone matgnel Sil ny secoure aucunement Shar aunt Lexenee de Dieu, Cent quen fat l eagit de ttre de Pa tet olen édut, dans Vasguonent ontlogiqus, c= ment pes Pesdeente Seat {este ds Dieu, Mais Kant, en sefcsant 4 notre feaute Ge) connaltre ia possible Patteindre Tes noumines, a feral ede diginguers dans Targument, ontologrqucy f@tre Bie Verintenee si prouve cuon ne peut, de Fensence, duce Paigenes Gensibie terporell) st ne peut pas prouver’ d'apréa Terteodtact'memes de en Cruntue, qu'on ne'peut pas en deduce Fave intehigbe, snterpore) Scheie hae, por » Bickmibe 10h Laon prévise wy a Bescares! « Exitce ergo no est sen : Sntentns quia fntomur existers, quae on sentunta ag, ps 10 et passim. : on Ose PCE, notre Leibniz, p. 107. Et deja le texte, dats achsGe8 pat Poacher de Carel, Gt p43 mime ouvrese. 6 eee experiments quelles (les idee sensible) pres taint actie (out pensés, seas que mion consentement y fat requ, cea ee een entre mem ofa, quelque volonté cue Sewanee il ne ec trourat prevent 8 Porgene drm de mes ene: ven tsi utlement op aon pourgie de ne le pas sentir, forequ Stetcouvate present 8 PIe Med, AIX (A), Be 39. fy Be ke {Be quoique les idées que je recoia par les sens ne dépendent pas de nd velit» == fy ps Op conte on prem held ps bo. «Les jogements que fava coutume. de fee de cen objets (Gea ses) o@ formgient em mol avant que jeune yr ce point son opposition .Sensio non est rerum. ny ete 80 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES tions, Vargument n'intervient que pour prouver une variété correspondante des choses — ou causes — matérielles, et non point pour prouver existence du monde extérieur matériel, existence dont nous sommes deja assurés lorsque Descartes invoque la variété 2, Leibniz tranaforme la question. Ii ne saurait 1a résoudre & la maniére de Descartes puisqu’il repousse le principe de la véracité divine, ce qui revient & se désintéresser de Ia croyance naturelle’ & I'existence des choses matérielles. II ne pose pas non plus la question & la maniére de Descartes. La passivité n’étant plus sentie, mais ‘Perzue, ne se définit plus par rapport 4 Ja conscience et, pour ainsi parler, de Pintérieur méme du Cogito : elle est Pidée de Valtération d'une substance objectivement réflé- chie, du dehors, par le Cogito; elle n'est plus corrélative de la volonté impuissante. Aussi bien, dans la Lettre & Fou- cher, de 1676, Leibniz applique-t-il & ame le principe d'inertie, sous. sa forme encore cartésienne, semble-t-il® Mass bientét il apparaitra que ce principe, qui oppose repos 4 mouvement, n'a, comme toute la Physique cartésienne, qu'une vérité’ partielle, Et Leibniz. préférera remonter au principe de raison suffisante dont le principe d'inertie n’est qu'un corollaire. De la passivité causée par I'action réelle d'un agent externe, on vient i la passivité motivée par action idéale des autres substances. En d'autres termes, la passivité n'est plus un effet, mais une cause originelle, & savoir la limitation de la substance. La base ‘de la preuve, qu'il existe d'autres substances que le moi, n’est plus une expé- rience vécue : elle part de la réflexion sur l'un et Je multiple, car T'unité du Cogito n'implique pas la varicté des cogitata. L’argument de la variété que Descartes n'utilisait qu'aprés, avoir démontré l'existence du monde extérieur s’avance ici au premier plan pour démontrer cette existence. Puisque «© une méme chose seule ne saurait étre cause des changements qui sont en elle », et expliquer par elle-méme seulement Ine de peer ot consdéreraucunes risns qui me pusentobliger 4, Tbid., p. 64. « Et certes, de ce que je sens différentes sortes de nim, dladetis, de mvetey, de tone, de chaleur do dase, cies Seleonchis fore bien qu'il y a dane ies corps Poh procedent toutes ces divers perceptions det seg, quelques vids gut fu re eee leur soient point en effet "2. PI, ps 372 : Car toute chose demeure dans l'état ob lle est, s'il n'y a rien qui la change : et ayant été d'elle-méme indéterminée A avoir ‘ed tls changements plutoe que autres, on ne saurit INTUITIONISME BT FORMALISME 81 qu'elle ait telle détermination plutét que telle autre, un méme cogito seul ne saurait étre cause de la variété de ses cogitata; en serait-il d’ailleurs la cause, il ne serait pas pour cela causa sui et il faudrait rendre raison de la cause de variété, qui est en Ini, par une cause supérieure. Cette caiise supérieure, Gest Diew qui crée chaque monade en prédéterminant ses auto-déterminations en fonction des autres monades et, ainsi, accorde les uns aux autres les phénoménes de toutes Jes _monades. Aussi la Dynamique leibnizienne, en son contexte monadologique, peut-elle soutenir qu'une méme monade seule est la cause réelle — mais non la cause pre- mitre — des changements qui sont en elle; mais cette cause réelle ne se peut concevoir isolément que par abstraction, elle est en fait lige & la causulité de toutes Ies monades qui fagissent sur elle idéalement. De la méme fagon V'unité du cogito n'est séparable que par abstraction de la variété de ses cogitata, Y'un du multiple, la materia prima de la maieria secunda, la quantité du mouvement de la quantité de la force vive. Et Yon remarquera enfin que si la Dynamique ou ‘Métaphysique leibnizienne comporte, contre la mécanique ‘cartésienne, I'inclusion de I'effet futur dans instant présent, parallélement la. preuve de l'existence du monde extérieur Comporte chez Leibniz une régression & Vinfini des effets jusqu’a Ia cause premigre, Dieu, tandis que cette preuve ne intervenir, avec Descartes, que la cause actuelle, et pour ainsi dire intuitive, de la sensation actuelle. ‘De cette diftérence de principes et de méthodes il résulte que Vextériorité du monde n’a plus le méme sens pour nos deux philosophes. Pour Descartes, il ne s'agit d'entrée que @un monde matériel. Parler d'un monde extérieur, c'est parler d'un monde étendu. Pour Leibniz, il s'agit de rendre Faison de la variété de nos pensées. Parler d'un monde exté- rieur, est parler d'un monde qui donne les apparences de Pétendue, mais qui, en soi, ne se compose que d’ames. Pour Pun, extérieur signifie : d'une autre nature que I’ime. Pour Pautre, il signifie : multiplicité d’étres du méme genre (mo- nades), sinon de méme espéce (les Esprits étant des monades dun ordre supérieur). Descartes prouve une objectivité, nous lavone dja dit; Leibniz, une intersubjectivité phéno- ménologique. Aussi la preuve cartésienne invoque-t-elle tune certitude métaphysique « qui conclue avec nécessité existence de quelque corps? »5 la preuve Jeibnizienne ne demande qu'une certitude morale, 1, Méd. VI, A. Te IX (A), Be 58. 8a LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Dés lors, la distinction entre les phénoménes bien fondés et les apparences du réve n'a plus méme portée chez Des- cartes et chez Leibniz. Tous deux insistent sur les diffé- ences de la sensation et de image. Les sensations, au ‘moment oti nous les éprouvons, sont, dit Descartes, « beaucoup plus vives, plus expresses et méme 4 leur fagon plus dis- tinctes ? » que les images; le phénoméne bien fondé, reprend Leibniz, est assez intense (vividum), varié (multiplex), cohérent (congruum) *. Si, maintenant, nous comparons les sensations présentes avec le souvenir des sensations passées, nous constatons, poursuit Descartes, « que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres, avec toute la suite de notre vie, ainsi qu’elle a coutume de Joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés », en sorte ‘que si « sans aucune interruption, je puis lier le sentiment » que j'ai des choses « avec la suite du reste de ma vie », je uuis juger que je n'ai pas affaire avec un songe3, Et Leibniz : lorsque le phénoméne bien fondé est considéré dans la suite des antécédents et des conséquents, ce qui le distingue de l'imaginaire c'est, en effet, son consensus cum tota serie vitae, mais c'est surtout la vérité des prévisions qu'il nous permet de faire. Mesurons toute la distance qui sépare nos philo- sophes. D'une part, Descartes tient compte du jugement dirréalité qu’il éprouve dans le réve : c'est parce que «je ne cerois pas que les choses qu'il me semble que je sens en dor- mant procédent de quelques objets hors de moi » que jai pu mettre en doute Pobjectivité du monde ¢; et maintenant que je viens de prouver cette objectivité, il doit y avoir une diffrence existentielle —I'expérience de la cause du sensible — centre la veille et le sommeil, Ia sensation et l'image, Leib- riz ne tient pas compte de ce jugement existentiel dirréalité, Crest en logicien qu’il décrit ‘et qu'il analyse les différences entre sensation et image : aussi ne trouve-t-il en elles qu'une diffrence de degré dans les critéres invoqués, et par suite une simple différence de probabilité entre le sommeil et la ille. D'autre part, Descartes, lorsqu’il invoque 1a possi- bilité| ou Vimpossibilité de lier les apparences actuelles « avec toute Ia suite de notre vie », s'appuie sur la mémoire, Cest-indire sur le souvenir du passé. Pour Leibniz, ce qui importe bien davantage est la prévision; Veffet futur, En 1 Bit, p60, 2: B Vi pp. 19-320. 3. Mad Vitae Gia ps 7%. £deid, p.'6r. INTUITIONISME FT FORMALISME 83 conséquence, Descartes conclut 4 une différence entre le réve et la veille aussi radicale que, dans son systéme, entre le vrai et le faux; Leibniz n'y voit qu'une différence de degré organisation en sorte qu’il ne répugne pas A admettre au la vie ne pourrait tre qu'un songe Bien ordonné, tomnia quaedam bene ordinata. Mais alors Dieu nous tromperait? Gui, pour Descartes : quand il n'y a pas de répugnance entre Jes données des sens, de la mémoire et de I’entendement je suis sir de ne pas réver : « car de ce que Diew n’est point trompeur, il suit nécessairement que je ne suis point en cela trompé? », Descartes résout le probléme & T'intérieur de son intuitionisme. Mais Leibniz, lui, envisage Vinfinité du temps en sorte que la durée de toute notre vie n’est plus tie conve une infnitésimale par rapport A une dimension ordre supérieur. Et pourquoi, demanderons-nous aprés Platon, la vie ne serait-elle pas un songe dont nous nous réveillons a notre mort apparente? En quoi Dieu nous trom- perait-il pourvu qu’il nous permit de conduire notre vie sur des apparences bien réglées? Du reste, qu’est-ce que cette ie? Un point par rapport a l'éternité #! et n’est-ce pas pour Péternité que nous sommes nés? La considération de V'infini permet done d’écarter l'argument cartésien de la véracité divine, xP. VIL, p. 320. 2, Méd. VI, toc. cit 3. P. VII, p. 33%. (cuAPITRE 11 REVOLUTION ET TRADITION Le diptyque n’est-il pas fait? Descartes refermant les livres pour ne plus consulter que sa raison et l'expérience; Leibniz, historien, bil thécaire, avide de tout concilier ? Les commentateurs s'accordent en effet. Puisant « dans lui- méme plus que dans les livres », voici, s'exclame d’Alembert, «un chef des conjurés, qui a eu le’ courage de s'élever Ie Premier contre une puissance despotique et arbitraire, et qui en préparant une révolution éclatante a jeté les bases d'un gouvernement plus juste et plus heureux qu'il n’a pu voi Gtabli! »; le héros, reprend Hegel, « qui, une bonne foi a repris la question de bout en bout, qui a’ constitué & neuf le terrain, enfin uniquement: philosophique, sur lequel, alors seulement, aprés un abandon millénaire, elle a été replacée *», A Vévidence cartésienne des raisons, Bayle doit opposer idence du fait historique : il suffit de les juger Pune et Fautre « selon la certitude qui leur est propre », la premitre portant sur « une idée de notre Ame », la seconde sur un événement « hors de nous », et « jamais on n'objectera rien qui vaille contre cette vérité de fait, que César a battu Pom- pée®... ». Quoi done de plus contraire A l'esprit historique, que la déduction abstraite du géométre, le mécanisme qui réduit la vie créatrice & un systéme de machines et ignore les individus #? A préciser Ia vue d’ensemble que nous présente d'Alembert, ne voit-on pas l'esprit philosophique se libérer abord, par les Anciens, des Scolastiques, puis, par Des- ple Dics pliniaive de PEnostte, Bares (820, "a Titoe. : Veriesngen ter die Geschichte der Philsophe, WX, mi chap. 1 § 1 (Gd. de Tube, Stuttgart, 194T & Be pe ggthe 3: Diaeraton concernant le projet da Bistopelze erg, as Dictionnaire historique et critique (Amsterdam, Leyde, 1730), t. IV, Po. b1g-6r4, Bayle invoque Ladvertie de Descartes ‘fice tris es Mines Ses aa si wen de Historie in den Situngsbsrchten der preuse: Akad dk Wies. Phi ie Klasse, 1934, VII, Berlin), p. 3. ili i REVOLUTION BT TRADITION 85 cartes, des Anciens? Ainsi, avec Descartes, « tradition philo- sophique et philosophie s’opposeront l'une & l'autre comme Ia science & I’érudition, comme la vie & la mort? », Sur 'autre volet du diptyque, Leibniz, héritier de cet humanisme protestant dont on pu dire qu'il faisait de la philosophie un luthéranisme sécularisé, est bien l’éleve de Jacob Tho- masius auquel il écrivait : ¢ Vous nous donnerez non pas une histoire des philosophes, mais celle de la philosophie* », et de Jean-Adrien Bose auquel il doit sans doute le concep de « moyen Age »; il est bien l'homme qui, aprés avoir étudié Vhistoire par rapport & la jurisprudence’, T’étudie, sous influence du Baron de Boinebourg, par rapport 2 1a p tique; le généalogiste de la Maison de Hanovre; le philo~ Jogue; un des fondateurs, avec sa Protogaea, de histoire de la Terre; le prodigieux érudit de la Théodicée*. Quelle philosophie, plus propre que la sienne, & préparer Hegel? Elle se préoccupe de l'individualité, synthetise le rationalisme cartésien, trop abstrait, avec 'empirisme anglais trop inca~ pable de discerner les raisons derritre les faits, elle ne méca- nise pas Ia vie, elle dévoile, dans le développement des espices et le progrés des socités, l'expression rationnelle de la transcendance divine §. Leibniz apporte une nouveauté © qui a fait défaut A Descartes : le sens de I’histoire », — ‘un défaut, car, pas plus que la logique de la science n’est la description a priori d’un art d'inventer, pas davantage une ogique de la philosophic ne saurait étre pure, mais elle devra abt, Oeznawes «Rend des Cows ros6-r057 (Ents de Annuaire du Collage de France, 1987, pp. 217-231). st Yacob Thortasas, 20-90 avr 1669, Rel, 4p. t4 (= E, pi8; Pte p. 15) 2 Ta hom Philosopltonsi, sed philosophiae Eaton dibs,» Dusuey : Gesonmete Shrfen, © 1V, ps3, fat de Jacod ‘Thomasius le précuracur de Brucker et de’Penne- oh Selon Foverten ve Canstt, Mem, t. 1, p. 18: « Les Scolastiques avaient pris pour point de depart la théologie; lea grands philosophes modernes, Is physique, mals Leibniz prt la jurisprudence; cest Elle qui donna le type a ea pensée..: seule Videe du droit ne varie pas chez lui Elle est toujours Te fi wdividu avee Punivers, Be'vespritavee la matiere, du monde et de Léterité. » “A D" Murscur Teiimisone Souther, résurmant tes travaux dss aadves de Dilthey, p. 488 (Paul Bitte), p. 499 (Max Ettinger), fou ceux de Schinatenbach, pp. sagzq6r. — Max ExTuiNogn Leibniz als Gesehichisphiloroph (Manish, 4922), pp. 2-8. — Eran- Serco Ouciart ¢ Il signiicato storio di Letbuie’ (Milan, 1920), chen, 1, pp wootats Werner Cov £Iaibnix als Hither Gerlin, 198%), pp. 3-31 a Fr, MEINECKE, loc. cits, p. 4, qui compare Leibniz et Shaf- tesbury A des Dioscures. —B. OLtiA, p. 127. — MAMNKE, B- 493¢ 86 LFIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES maitre d'une réflexion sur histoire des systimes —; or, «...Pun des premiers, Leibniz nous apprend que 'euvre de histoire ne s’achéve ‘pas dans un travail de documentation, ‘que de ce travail doit sortir une certaine logique de la philo~ sophie ». Histerien universel et non simple compilateur — Pankistor, nicht nur Polyhistor, selon la formule de Diels ® = Leibniz ne devait pas manquer d’apparaitre, de Kuno Fischer 4 Mgr F. Olgiati, fondamentalement, un philosophe de I'Histoire. Ni Tinterprétation religieuse’ de Baruzi, ni interprétation par la logique, les mathématiques, la science, de Couturat, B. Russel, E. Cassirer, ni linterprétation idéa- liste de K. Fischer ou de Windelband, ne nous font pénétrer, selon le prélat italien, au coeur méme de la personnalité et de la philosophic de’ Leibniz : « mais le sens qu'il uvait de ’évolution et de Phistoire est le centre et 1a source qui nous donnent I'explication de tout », «le germe d’ot se déve~ loppe tout fe leibnizianisme® », Ay regarder de plus prés, 'opposition n'est plus si claire, En fait, prétend Huet et répete Leibniz, Descartes emprunte & ses prédécesseurs 4; en fait, il contribue, par la méthode du doute, & renouveler la critique historique : de Spinoza & Bayle, & Fontenelle, etc. §. D'autre part, féliciter Descartes d’avoir rendu autonome la philosophie, n’est-ce pas, en un sens, reconnaitre en Iui le fondateur de Phistoire de la phi- losophie comme telle? Par contre-épreuve, on observera que Hegel, dans cee mémeslepons (p. 449 89), exquissant, ‘aprés le Chevalier de Jaucourt, la vie de Leibniz, note bien que auteur de la Théodicée était Polykistor, “mais ne lui attribue aucun réle dans Ia formation de Phistoire de Ia philosophie. Ainsi, les perspectives se renversent. Leibniz Juisméme dénonce contre Huet, censeur de Descartes, les dangers de l'érudition : car « quelques fois nous nous laissons x. R, Lenonur : Essai sur la notion dexpérience (Paris, 1943), P13, ‘2. Citée par M. Erruinarn, loc. cit, p. 2. 3. B. Oueran, 'p. 24. 4. P. D. Huzr : Censura Philosophize Cartesianae (Lutetiae Parisiorum, M. DC. LXXXIX), chap. vin, pp. 196-221. « Insigne hhoe Cartesii vitium, ‘quod novitatis’nimlum: fut studiosus; a0 Propterea simulate affectavit inscitiam, quam ejus assecla vere etinuerunt. » 5. Descartes n'a pas été sans influence sur les Bénédietins de Saint-Maur, et Furter : Zur Theorie und Geschichte der Historie graphic (Berlin, Munich, tort) — cité par Fr. OLcratt, p. 116 — Parle des érudits frangais comme formés en majeure partie par Te REVOLUTION ET TRADITION 87 entrainer par la beauté des remarques que nous faisons, aux dépens de la sévérité des raisonnements. Il est trés difficile de se garder de ce pidge, que l'érudition et la science méme dressent aux habiles gens 1», Bien mieux! il se présente 4 Bayle comme historien malgré fui : « ..obligé de venir 4 des questions généalogiques... J'ai assez (ravaillé & Phistuire Allemagne... Ainsi j'ai appris A ne point négliger la con- naissance des faits. Mais si avais le choix, je préférerais histoire naturelle A Ia civile, ct les coutumes et lois, que Diew a établies dans la nature, 2 ce qui s'observe parmi les hommes? ». I reprend Vargument et le pousse plus loin encore, & propos de Huet et contre Pascal, pour marquer les limites de histoire : Pascal aimait mieux s'appuyer sur Pobservation des menirs que sir des arguments métaphysi ques Ala maniére de Platon, saint Thomas et autres théolo- giens, pour prouver 'existence de Dien et limmortalité de Tame : « Or, je pense que Dieu ne nous parle pas seulement dans histoire sacrée et civile ou, encore, naturelle, mais aussi en nous, en notre esprit, par ces grandes vérités séparées de la matigre et éternelles »; vérités dont les preuves, perfec- tionnées, seraient susceptibles de démonstration rigoureuse ®, Nrest-ce’ pas revenir dans la direction de Descartes? C'est au moins ce que prétend B. Croce : la philosophie « de Des- cartes et de ses grands partisans, notamment celle de Spinoza et de Leibniz » est « par excellence, une philosophie intellec- tualiste, pleine de chiméres vides, d’impératifs rigides, pro- duits par la méthode mécaniste ou, aussi, finaliste mais opé- rant toujours par le moyen du mécanisme... » : que concevoir de plus abstrait, de plus anti-historique ‘? A supposer — ce qui serait trés contestable ® — que Leibniz ait été vraiment historicn, Dilthey n’en objecterait pas moine que notre philosophe n’a pas cherché & intégrer le monde historique dans son systéme philosophique *. En vérité, le débat_confond trop de notions qu'il impor- terait de mieux définir. D’abord, chaque commentateur entend I'Histoire & sa maniére, et, presque tous, d'une 1, A Juste, ijulllet (2) 1677, R.T, tt, p. 280, & propos du livre de 'iteer Sur la vérité de ta Feligion chrdtienne, ‘2. Bayle, 1703, P- Mt, p. 61: 3. A Vet Ludwig von Seckendorff, 1-11 juin 1685, R.T, 1, P. S74 % Cite’par Ouewamy, pe 217 £ Fueter ectique L. Davicis : Leiniz historien (Paris, 1900). Su gt gution, vote Mac Rrtswcen, 0. ee, sth me Fr, Oueratt, pp. 109-107. %, Gesemmelte Schriften (Leipaig, Berlin, 1921), & TL, ps 36. Cité par Conzs, op. city ps 32, qui proteste. 88 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES manitre qui ne pouvait étre celle du xvil® sitcle?, Le mot « évolution » est, & son tour, utilisé sans dire s'il s'agit de genése abstraite, telle la formation du monde cartésien, ou induite d’observations concrétes, comme le fait Leibniz dans sa Protogaea; ou, s'il s'agit d’une évolution vraiment synthtigue, tlle que Descartes peut en suggérer dé ou ie « préformation », telle que l'expose Leibniz. De méme le débat ne distingue pas toujours assez clairement entre histoire des systémes et philosophie de I’Histoire : et peut-étre arri- vera-t-il que Descartes, bien plus que Leibniz, soit, sans V'avoir Youlu,, un des promoteurs principaux de Phistoire des systémes, et Leibniz, un des fondateurs de la philosophie de VHistoire, 4 laquelle Descartes reste étranger. ‘Mais pour répondre & ccs questions, commensons par interroger nos philosophes. Qu’on ne cherche pas trop le mot « Histoire » chez Des- cartes ot il garde surtout le sens baconien : description, recuell de faits passés, présents, ou méme intemporels — ainsi, la mathématique ordinaire ne consiste guére qu’en tune histoire, cest--dire une explication de termes ef sindibur quae omnia’ facile per memoriam addiscé possunt *, C’est aut pluriel que fe Discours estime « les actions mémorables des histoires » qui relévent I'esprit et qui, lues « avec discré- tion », ¢ aident & former le jugement® », Le plus souvent, ce que nous appelons « Histoire » est désigné par expression lecture des Anciens € ». Or, la maniére dont en parle le Discours monte assez que Descartes se rétre, pour la con tester, A In conception humaniste, issue de Montaigne, qui prétend découvrir dans Ja lecture des Anciens une source dexpérience et une connaissance du réel §. Ily faut sans doute ajouter, au moins en ce qui concerne histoire des sectes philosophiques, la conception scolastique héritée d’Aristote, de Théophraste et de Diogine Laérte, oft l'on classe les opinions sur un probléme selon les philosophes ot les sectes, ce qui permet d’en « disputer », 2. Voie Ovowat, po, 118 29. 2, A Burman, &.'EY, p78. — Ch. A Mersenne, xo mai 2632, A. TI, p, 251 ( sul'bistotre des apparences edlestes »); Princ, lll, a Ate vill, p. 8x. 3 A. T. Vip. 4 Bar cxempley debut de Reg. TI. 5. E. Gitson, Comm, p. 123. REVOLUTION ET TRADITION 89 Incertaine, done ne pouvant que conduire au scepticisme stérile, donc indigne d'un inventeur, telle se présente PHik toire devant I'éléve de La Fleche. : Incertaine ? Ecoutez, plutét : « Platon dit une chose, Aristote | ‘une autre, Epicure une autre, Telesio, Campanella, Bruno, Basson, tous les novateurs disent chacun une chose difté ente des autres. Qui de ces personages enseigne vraiment, je ne parle pas pour moi, mais pour un étudiant quelconque tn phllosophie?» Ainsi, dans Phistoire des sects, « aucune chose dont on ne dispute? », Au liew de reconnaitre une faiblesse dans cette impuissance 4 conclure, on a voulu faire de la dispute une méthode pour la recherche de Ia vérité. Venue de Péristique, cette méthode intervenait, comme part polemica seu controversoria ’ cété de la pare dialectica sew ‘positiva, de la pars historica, et de la pars exegetica, dans la formation du théologien®, Les Jésuites l'avaient reprise dans leur enseignement, et Leibniz, en 168r, en jugera comme Descartes : « Il est vrai que leurs enseignements d’école et leurs livres de morale conribuent beaucoup 4 giter Vesprit des novices et de leurs jeunes gens. Car la maniére de philo- sopher des écoles et ces disputes publiques, qui tendent plutét & se surprendre qu’ apprendre la vérité, rendent les ‘gens contentieux, et pleins de petites subtilités 4.. » La dis- pute mettait en branle les machines de guerre des syllogismes probables §, et Descartes la citera comme la plus basse méthode, plus propre d impugner Ia vérité qu’a la défendre, & la détruire qu’ lédifier, incapable de soutenir la comparai- son avec la méthode des géométres, qui établit des théorémes, ow avec ordre des raisons qu'on suit dans les Méditations °. Ce que Péléve de La Fléche observe dans V'exercice des disputes, ce dont il se souviendra dans le premicr précepte du Discours, est combien la précipitation et la prévention nous éloignent de I’évidence. Car « on peut micux trouver la 1. A [Becchman, 17 oct. 1630, A. TT, p. 198. 3: Dit Meth AF. VE, p ; ‘ 5; Distinction reprise per‘Leibniz, dana le Mevhodue nova dite ceiiae docondacgue urzprudentae, “Cl. W. CONRR, PP. 4%, et Landgrane Era ton Ts Rhee, 0" cas Sb, at i avr. x, 3g Nge Bares 4 Dicomaina fv, ppr 620-621": + Toute dapute philosophique suppose {Qu les partie contestantes conviennent de Certaines deinitions, €€ . ‘gles du slope ee ep marques § G00, guielles edmettent 1 fon connalt les mauvais raisonnements... >: c'est le texte comment par Leibniz, Theod. Disc. preliminaire.... § 73, P. VI, PB. 93°84 6. Secondes Réponsetny A. Ts IX (A), Pe 123+ 9° LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES vérité, en examinant & loisir, et de sang-froid, deux écrits opposés sur Je méme sujet, que non pas en la chaleur de la dispute, ot on n’a pas assez de temps pour peser les raisons de part et d’autre, et od la honte de paraitre vaincus, si les nétres étaient les plus faibles, nous en dte souvent Ia yolonté* », Par la rage de contredire qui rend les controversistes pointil- Jeux, opiniitres, par Whabitude provocante de proposer sea Opinions de’ la fagon la plus paradoxale possible pour exciter les adversaires A Vattaque®, la dispute tient de la sophistique® — et Descartes prend a égard des Scolastiques Vattitude de Platon 4 I’égard des Sophistes; elle traite de faux-semblants; elle forme des avocats — «...et ceux qui ont été longuement bons avocats ne sont pas pour cela, par aprés, les meilleurs juges ¢ » —, elle rabaisse la philosophie au. niveau de la rhétorique®, Dés lors, 1a philosophic de VEcole n'est pas difficile A réfuter & cause de la diversité de ses opinions, car « chaque fois que sur le méme sujet deux savants sont d’avis contraires, il est certain que l'un des deux au moins se trompe, et méme, semble-t-, qu’aucun d’eux ne posséde Ia science : car si les raisons de lun étaient cer- taines et évidentes, il pourrait les exposer & I'autre, de telle maniére qu’il finirait par Je convaincre A son tour? >, A cette diversité d'opinions qu'enseigne histoire des estes sfopposent T'unité et la certitude de Ia science. A la vraisemblance fondée sur la pluralité des voix * s'oppose la verité de l'évidence. Au principe d'autorité s'oppose le principe de lintuition, Au reste, en cela voisines des fables, « méme les histoires les plus fidéles, si elles ne changent ni xn’augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes étre lues, au moins en omettent-elles presque toujours les plus basses et moins illustres circonstances : d’oit vient que 1. A Regius, janvier 1642, A. "1 2. Princ. Lettre de Vauteur & celui qui Pwo @ traduit le livre, A. "T.1X (B), pp. 6-7, 18. — A Regins, juillet 1645, A. T. IV, p. 3.4 G.'Voetiun, A. T-Iil, pp. gocst «Prima ex its artbus est puerilis ila Dialectica, cujus ope olimn Sophistae, nullam solidam scientiam habentes, de quilibet re copiose diserebant ac disputa- ant » etc. 4. Disc, Meth., A. T. VI, p. 69. 5. Reg. X A. 496 1s Unde patet... [vulgarem Dialecti- gam] ...ex Philosophia ad Rhetoricam esse transferendam. » Cf. oa Bucnecewice + Les prords de le comcienenn (Patt, 1953) €. 1, - 503. 6 A Mersenne, 11 novembre 1640, A. T. Ill, p. 232. % Ret IL A.'T. & p. 363. Reg. Ul, A. T. X; p. 367. REVOLUTION ET TRADITION ox Ie reste ne parait pas tel quill est 4... ». L’érudition n'entre pas dans les véritables sciences, mais il faut la ranger parmi les simples connaissances qui s'acquiérent sans aucun dis- cours de raison », qui ne concernent pas l'entendement, mais la mémoire. : Ce n'est pas tout. Elle est stérile. Par le moyen des disputes qui se pratiquent dans les écoles, on n'a jamais rien décou~ vert, « car, pendant que chacun tiche & vaincre, on s'exerce bien plus’& faire valoir la yraisemblance, qu’a peser ies raisons de part et d’autre... . L’Histoire expose ce qui est ‘trouvé; Ia science cherche & trouver : « Par Histoire j'entends tout ce qui est déja inventé et qui est contenu dans les livres. ‘Mais par science, jfentends Vhabileté & résoudre toutes les difficultés et, par 1a, & découvrir, par son ingéniosité propre, tout ce qui, en cette science, peut étre découvert par un esprit (ingenio) humain : qui posstde cette science, ne désire vraiment rien de plus et, par suite, est appelé, dans toute la vérité du terme, aibrdgxng 4». Descartes ne veut rien devoir qu’a lui-méme. Il a souci de préserver « les premiéres semences de vérité, déposées par la nature dans Mesprit humain, mais que nous étouffons en nous en lisant et en écoutant. chaque jour tant d'erreurs de toutes sortes », et, ajoute-t-il, préludant & un des grands thémes que l'on enten- ‘a dans la Querelle des Anciens et des Modernes §, ces semences avaient plus de force « dans la rude et simple Anti- yuité $ ». Ces erreurs, lues et entendues chaque jour, c'est jonc, ‘ent premier chef, Ia philosophie de I'Bcole qui nous les dispense. Il nous faut éviter, par un effort personnel, de devenir, comme ceux de I’Ecole, des singes et des perroquets 7. Les maximes des autres, méme non méprisables, nous seraient de peu de profit :'« Car outre quill est souvent trés rnalaisé de bien juger de_ce que les autres ont eit, et d'en tirer le meilleur, sans rien prendre avec cela de mauvais, 1. Dit. Methy A. Vhs pee E Recherche de le Verte, ALT, p. soa. 5 Die hehe pon EA Blogente, 8c60e, 2640, A. T. Supplément, pp. 2-3, £ Celtis vt a erie k prowes auréore Ligue deo fingues mncictnes, pve pres fein mature que les ots et non pits la suprionts des teences antiques, Volt notre Cant? i Sale dean, dae i. des Lats. Clima 68), oti, 6. Reg. 1V, A: T. X, p. 976, Cet loge des Ancient conczme nu ctbuinwcne fe seirte Ae HAcaiyee taststanatque’ que Dose faites leur supposat. Leibniz Te-supporern lus muse "7. Rep cust Vo Objection, A. Teak), B. 21 92 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES les vérités particuliéres, qui sont par-ci par-Ia dans les livres, sont si détachées et si indépendantes les unes des autres, que je crois qu'il serait besoin de plus d’esprit et d’industrie pout les assembler en un corps bien proportionné et bien en ordre, suivant le désir de auteur, que pour composer un tel corps de ses propres inventions. Ce n’est pas pour cela 1u’on doive négliger celles d’autrui, lorsqu’on en rencontre utiles; mais je ne crois pas qu'on doive employer son principal temps & les recueillir. Enfin, si quelques-uns étaient capables de trouver Je fonds des sciences, ils auraient tort d'user leur vie & en chercher de petites parcelles qui sont cachées par-ci par-IA dans les recoins des bibliothéqies; ceux qui ne seront propres qu’a ce travail ne seront pas capa- bles de bien choisir et de bien mettre en ordre ce quils trouveront » Orgueil? Leibniz en médira, Davantage, soutiendrons-nous, une hygiéne de créateur. En effet, la science est une, et c'est ce qui Yoppose au disparate de THistoire. Et tout est si lié dans la pensée d’un inventeur qu'il ne saurait rien emprunter : « car, outre qu’il importe fort ‘peu, si je suis le premier ou le dernier & écrire les choses que ‘Pécris, pourvu seulement qu’elles soient vraies, toutes mes opinions sont si jointes ensemble et dépendent si fort les vunes des autres, qu'on ne s'en saurait approprier aucune sans les savoir toutes ® ». Mémes pensées ne font pas méme science : on n'a de ces pensées une véritable science que lorsqu’on les a déduites de principes vrais ®, Contrairement 4 Vesprit inductif des Encyelopédistes qui renonceront & la découverte des premiers principes — métaphysiques —, esprit déductif de Descartes rejette tout recueil de faits et opinions, c'est-i-dire Vhistoire, Les faits ne sont pas des raisons, ni, la mémoire, la raison. Une fois comprise «la différence’ qu'il y 2 entre les sciences et les simples connaissances qui s’acquiérent sans aucun discours de raison, comme les langues, Phistoire, Ia géographie et généralement tout ce qui dépend de I'expérience » seul, un honnéte homme, employant son loisir « en choses honnétes et utiles », prendra garde cA ne charger sa mémoire que des plus néces- Eiires ©», Dans le désordre de PHistoir, les opinions des philozophes ne font pas un enseignement, Deccartes n'y 1. A [Hogelande}, aodt 1638, A. T. II, pp. 346-347. 2 4B, Patter, 22 feveier 1038) A. T.'Ip, gon, Crest aussl ca aie dira Fustl's seca © tosee dravci eotendu Rebsrval accuser Descartes d’avoir emprunté partout ses inventions? Sod [Bonsunes) 17 sembre team, ROTC T, ors 4 Rathecte dela Dest Re HR, pe sobbo3. REVOLUTION ET TRADITION 3 apergoit pas de développement dialectique : au plus accorde- th = muisils'adzesee alors A Messicurs les Doyens et Doce teurs de la sacrée Faculté de Théologie de Paris — que toutes les raisons apportées par de grands personnages peuvent @tre démonstratives & condition de les choisir et de « les disposer en un ordre si clair et si exact, qu'il soit constant désormais & tout le monde, que ce sont de véritables démons- trations? », Cela revient & dire qu'il faut réinventer ces raisons par l'ordre et par la liaison qui les rattachent & leurs vrais principes. Mais ces principes, aucun recueil de faits ‘ow d’opinions ne les révéle. Pas plus que la mémoire n'est raison, elle ne peut étre invention. Incertaine, stérile : voila !Histoire. Le reméde? S'inspirer de Texemple des géométes. Le «vrai usage» des mathéma- tiques nous apprend 4 unir dans nos raisonnements nécessité et fécondité. Nécessité, car elles habituent l'esprit « & distin~ guer les raisonnements vrais et démonstratifs, de ceux qui sont probables et faux »; le probable « est ici Péquivalent du faux 3; il «induit en erreur et méne a I'absurde »;,et « puisqu’il iy a pariout qu'une seule ct mime faron de rlsonnet + — ce qui définit Ja science, — les Philosophes, qui ne se sont pas exercés A ces raisonnements, « ne peuvent jamais dis tinguer en Philosophie et en Physique les vraies démonstra- tions des arguments probables, et c'est pour cela que leurs disputes ne roulent presque toujours que sur des probabilités, parce qu’ils ne croient pas non plus que, dans les sciences du réel il puisse y avoir place pour des démonstrations * », Cette nécessité mathématique, Descartes sait fort bien aun Tsppliquant A tows, il fit révottion, Qua Seg mati: matiques fussent rigoureuses, que les disputes de I’Ecole ne traitassent que du probable, il n'y avait rien la que chacun ne pitt observer et que I’éléve de La Fléche ne pat lire en son Clavius *; mais emprunter aux Mathématiques ce qui fait Ia certitude de leur méthode pour lappliquer aux questions mémes des Dialecticiens, voila ce qui était nouveau — et inquiétant pour les Dialecticiens *. Il sufft, pour parler d'une rigueur mathématique, que le raisonnement se ferme « toutes les échappatoires des’ philosophes * ». Cette rigueur n'est point formelle. Dépassant les hornes de notre imagination, 1. Med. I, A. T. IX (A), p. 6 2. Entretien avec Burman, A.V. V, p. x77. 3: Ch. Guuson, Commentaire, pp. 3263137. 4. A Mersenne, 30 a00t 1640, A. "T. THI, ps 173. ‘A Plenpius, 3 octobre 1637, A.'T.L, pp. 410-411 mihi Philosophorum subterfugia interlusi.. 4 LEIBNIZ ‘CRITIQUE DE DESCARTES qui sont fort courtes et fort étroites, « au liew que notre esprit n’en a point », elle s'appuie, comme la Mathématique elle-méme — « ce que savent assez ceux qui ont tant soit peu approfondie » — sur les notions claires et distinctes 3; purement intellectuelle, elle a pour gage Pévidence dea idées et de leurs liaisons sous la dépendance de ordre. Lrexpérience la confirme? : du reste, la Géométrie, la Diop trique, les Météores, ne démontrent-ils pas que la méthode cartésienne « est meilleure que Pordinaire ® »? — Meilleure aussi par sa fécondité. Car le but principal de la méthode cartésienne est la recherche de la vérité. Descartes n'admire fas, szulement les géométres & cause dele certitude et de Pévidence de leurs raisons », mais encore 2 cause de leurs Tongues chaines de raisons, c’est-i-dire de la fécondité de leurs raisonnements. Aussi importait-il de parvenir jus- qu’au secret, parfois « jalousement gardé », d'une telle fécondité, afin de pouvoir découvrir par méthode ce qu’on découvrait par hasard, L'entrainement & des problémes qui, par eux-mémes « vains calculs » et ¢ bagatelles », ne mérite- Taient pas qu’on leur consacrat ses loisirs, n’a d'autre justi- fication que de faire voir clairement a l'eaprit « pourquoi il en est ainsi, et comment s'est faite 'invention * ». Cot en- trainement ne vaut que par l’effort de découverte, et non par la répétition des exercices — constituant I” « histoire » de Ia mathématique — d’od Yon ne tirerait qu’une habileté mécanique. C’est dans cet esprit seulement qu’on « a besoin détudier les mathématiques pour trouver des choses. nou- vyelles et en mathématique et en philosophie® ». En pos- session de ce secret qu’est la méthode générale, nous pourrons trouver par méthode tout ce dont fous sorames Eapsbles, et méme si nous réinventons des choses déja découvertes, ce sera dans un ordre, avec des liaisons, qui en renouvelleront Je sens et la portée, qui en feront des découvertes authenti- quement_neuves ¢ Nécessité, fécondité. La nécessité nous éléve & la philo- sophie premiere, ot l'on ne traite pas « seulement de Dieu et de I'Ame, mais en général de toutes les premiéres choses qu'on peut connattre en philosophant par ordre? », Alors 1. A Mersenne, juillet 1641, A. T. III; p. 395. 4 Plemplus’3 octobre 1697, A. T. 1p. 4a 4 ler, ie decembe ie57, AE: ep. 478. fe WR Te oe oie. Bit ae Bar 7 A Mirren tees eae “ X Pe 77. "TV, pp, 686-690. “IIT, p. 239. REVOLUTION ET TRADITION 95 nous découvrons ce que I'Histoire nous cachait : Punité de la science : « De méme que Dieu est un et qu'il a créé la Nature, une aussi, et simple, et continue avec une liaison et une correspondance partout, fondée sur un trés petit nombre de principes et d'éléments doit il a tiré et mené & bien toute une réalité presque & l'infini, mais répartie en trois régnes, Miné~ ral, Végétal et Animal, dans un ordre déterminé et bien gra- dué : de méme il faut aussi que la connaissance de cette réa- lité, & la ressemblance du Créateur unique et de la Nature unique, ait unité, simplicité, continuité, sans lacunes, fondée sur un petit nombre de principes (et méme un seul principe, ‘vraiment principe), duquel tout le reste jusqu’aux espéces les plus infimes se déduit d'une fagon permanente avec une liaison ininterrompue et dans un ordre trés sage, si bien que notre contemplation de "ensemble et des détails soit sembla- ble & un tableau, ou & un miroir, qui représente trés exacte- ment l'image de I’ Univers et de ses particularités }. » A partir des premiers principes, nous pouvons maintenant, imitant Dieu en sa fécondité, reconstruire le Monde. Que cette fécondité d’invention ait trouvé son modéle dans le raison- nement mathématique, Descartes ne cesse de le rappeler, la vraic Physique étant une partie des Mathématiques ®, Et il n'ignore pas sa hardiesse : « ...je vous dirai entre nous, que ces six Méditations,contiennent tous les fondements de ma Physique. Mais il ne le faut pas dire, s'il vous plait; car ceux qui favorisent Aristote feraient peut-étre plus de difficulté de les approuver; et j'espére que ceux qui les liront, s'accou- tumeront insensiblement & mes principes, et en reconnai- tront la vérité avant que de s'apercevoir quills détruisent ceux d’Aristote®. » C’est quiils remplacent ordre inductif, de Vétre au connaitre, que suivait l'enseignement, par un ordre déductif qui semblerait réservé & Dieu, si Diew avait a déduire, aid Mergge 08 Hoadande, 1639, AT, Sopplimen, po. 97- (A.M. TH, pp. 312-315) ‘a Lettre premeve @ Monsieur Descarter, A, T. X1, p. 315. Prine. M1, p. 64; & Mersenne, 11 mars 1640, A. Til, p. 39. “A Nersenne, 28 janvice 16400 A, T, TH, pp. 397-298. On voit quilt entre plus habilete que de verité dane lea protestations de Descartes, 2 la fin des Prine. 1V, 200, qu'il prétend accorder avec ‘Aristote, De méme, chaque fois qu'il s adresse aux Jégutes = Par &X, au P. Mesiand, 2 mai 1644, A.'T- IV, p. 113, au P. Charle, octobre 1644, A, T. IV, p. 142- En definitive, Descartes ne_prend conseil es Anciens quien morale oi il sult volontiers 1es Stoiciens — & Eisai "ax Jules ieys, A. PAW, p. 252 — © gue, dl rete, eibniz hui teprochers 96 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Sans l'exemple des géomitres, Descartes n'aurait pas converti en doute méthodique le doute sceptique oi l'ensei- gnement de I’Ecole, les disputes, Mhistoire des sectes l'avaient entrainé. On peut’ se. reposer dans le scepticisme, comme Montaigne, et aboutir 4 un dilettantisme érudit; on peut s'y appuyer pour montrer I'rmpuissance de la raison, soit en faveur de la théologie et de la tradition, & 1a maniére de Huet, soit en faveur d'un humanisme des Lumiéres, & la maniére de Bayle. Mais Descartes veut affirmer. Son premier mouve- ment est de rompre avec le passé. Si les actions mémorables des histoires relevent lesprit et aident former le jugement, elles ne reposent pourtant que sur le témoignage trompeur de la mémoire et ne forment le jugement qu’en lui apprenant A douter. Il y a pie : Phictoire des sectes eat pour I’éléve une legon de pyrthonisme, puisque : « ...on ne saurait rien ima- giner de si étrange et'si peu croyable, qu'il n’ait été dit par quelqu’un des philosophes ». D'oi, A la fois, 1a possibilité de se détacher du passé auquel aucune vérité ne nous lie, et obligation de le faire si J'on cherche la vérité. Que sera donc le doute? Un coup d’Etat du libre arbitre. Il pourchasse VHistoire. Il détréne 1'Autorité. Il instaure Ja raison seule. Certes, Descartes met & part les vérités de Foi. Mais a ’égard du monde, le voici seul maitre aprés Dieu. En demandant par sa méthode une conversion radicale de la pensée, Descartes sait fort bien que les limites entre la Foi et Ia Raison, entre la pratique et la théorie, ne sont pas assez nettes pour que le doute reste sans danger. Il multiplie les précautions. I n’ose pas, en francais, dans le Discours, exposer toute sa doctrine, et ne s'y risquera, en latin, que dans les Méditations. Bien qu'il n’ait étudié de prés — au sujet de "Eucharistic — les textes du Concile de Trente jw'en mars 1641, pouvait-il en ignorer les. directives 1? In dirait qu'il se souvient d’elles en concluant : « Crest pourquoi je ne saurais approuver ces humeurs brouillonnes et inquigies... qui... doivent bien plutét se contenter de suivre les opinions de ces autres qu’en chercher eux-mémes. de meilleures 2, » Car les décisions du Concile subordonnent 4 Ja Tradition Vinterprétation de l'Ecriture « pour contenir les esprits inquiets et turhnlents » dans les choses de la foi «et méme en morale », et afin que personne ne se fie & son gah 4 Mertenne, 18 mars x641 et 31 mara 1641, A. TTT, pp. 349, 49. 2. Disc. Meth, pp. r4-is, REVOLUTION ET TRADITION 7 propre jugement 4. Bien entendu, les.choses de la foi sont celles que Descartes exclut du doute : mais la Morale? et, en fait, le principe d’autorité ne s'était-il pas étendu a la philosophie? Mais poursuiyons pour mieux mesurer la hardiesse de Descartes. La Tradition — qu'elle soit apos- tolique, ecclésiastique, des Péres, des Anciens — est fondée sur la mémoire de V'Eglise qui, par une succession continue, transmet les paroles, non consignées dans I’Ecriture méme, du Christ ou du Saint-Esprit. Et le Christ — qui ne joue pas le moindre réle dans la philosophie de Descartes — a donné un sens a ['Histoire, La vérité de la Tradition a pour signes les critéres de la catholicité posés par Vincent de Lerins au 1x° sidcle : quod ubique, quod semper, quod ab omnibus ‘reditum ext ; hoc est etenim vere proprieque catholicum. Hoc ita demum fit, si sequamur universitatem, antiquitatem, consen- sionem. Si Yon admet que les théologiens justifiant la Foi en la Tradition mettent en lumiére, du méme coup, les motifs de fidélité & toute tradition, on voit combien Descartes s'op- Pose & toute fidélité de ce genre. Pour lui, la vérité n'est pas quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est ; elle fest ce qui est évident A un esprit attentif. Cette évidence exige une intuition qui exclut Ia mémoire si rigoureusement que le temps, mesuré & la valeur de notre connaissance, ne peut plus étre considéré que comme discontinu. Mémoire, continuité de la mémoire, consensus ommium, rien ne subsiste — méme pas la probabilité par laquelle saint Thomas dis- tinguait le témoignage des Péres d’avec Ia certitude de VEcriture Sainte — qui puisse rattacher & une tradition Ia recherche de la vérité. Aussi bien, qu’on suive Descartes au sortir de La Fltche. Tl parcourt Ie livre du monde aprés avoir déseapéré dee livres des bibliothéques. Il voyage. « L’auteur, n’ayant pas de livres, avec lui, a da s'instruire lui-méme, et cela lui a fort bien réussis, Installé en Hollande, il doit emprunter un Euclide ® nia qu'une « demi-douzaine » de livres qu'il visite si peu souvent qu’un prét de Huygens s’égare pendant six mois *. Le plus souvent, il ne désire nullement voir les ouvrages qu’on lui signale, I les feuillette et les renvoie avec dédain, x. « Practerea, ad coercenda petulantia ingenia,, decernit (le Concile), ut nemo, suae prudentiae innixis, in zebus fidei et morum... Sessio Quarta. 2. Entr. avec Burman, A. T. V, p. 176. 3. A Frenicle, 9 janvier 1639, Ay'T. Hh 4. A (Huygens) (décembre 1638), A. art. i, p. 456. 98 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES méme lorsquiil s'agit de 'sagoge de Fermat !. Plutét que de surcharger sa mémoire d'une lecture qu'il estime fastidieuse, il aime mieux, & occasion, exercer son esprit inventif sur le titre *. Partout éclate son mépris des Anciens, en particulier d'Aristote auquel on a tellement assujetti’ la ‘Théologie « qu'il est presque impossible d’expliquer une autre philoso phie, sans qu’elle semble d’abord contre la Foi ». Veut-il retenir ce mépris, lorsqu’il écrit A Morin ¢? Mersenne ne sly trompe pas : « Vous avez fait un grand coup dans la réponse & M. Morin de montrer que vous ne méprisez pas, ou du moins que vous n’ignorez pas la philosophie d’Aris- tote » §. A la méthode scolastique, il reproche de surcharger inutilement la mémoire, d’atteindre seulement le vraisem- blable, enfin de ne pas inyenter. De quelque utilité propé- deutique qu'elle soit pour léleve encorelié & la parole du Mai- tre, le grand nombre de préceptes dont elle est composée en contient tant « mélés parmi, qui sont ou nuisibles ou su- perflus, qu’il est presque aussi malaisé de les en séparer, que de tirer une Diane ou une Minerve hors d'un bloc de marbre ‘qui n'est point encore ébauché ? », Elle fatigue l’imas Elle dérégle Mesprit libre. Son formalisme laisse la raison © oisive®», elle ¢ renverse le bon sens plutét que de le raf- fermir. Car, en déroutant esprit et le fourvoyant en des Jieux communs et des questions extérieures aux choses, elle Te détourne de a nature méme des choses * ». Si elle peut servir «a expliquer & autrui les choses qu’on sait, ou méme, comme l'art de Lulle, & parler sans jugement, de celles qu'on ignore ® », elle reste incapable de dévoiler les vrais principes. Privée de I'intuition, il n'est pas malaisé a cette Logique « de batir des principes absurdes dont on puisse conclure des vérités qu'on a apprises par ailleurs », mais, 1. A Megsenne, 9 févticr 1639, A. T.Tl, p. 495- 2 Reg, HAE, po sone ots 3. A Mersenne, 18 décembre 1629, A. T. I, pp. 85-86. Ch. & Plempius, 15 fevrier 1638, A. T. I, p. $21. 4. A Morin, 13 juillet 1638, A. T.IL, pp. 201-202. & Merenne & Descartes, 1% 00 1638) ATs, p, 286, . Reg. H, A.V. X, p. 364, CE, Recherche de la’ Verte, A. T. B. 507: + Le meilleur vient le dernier, qui ext Pentendemen eco faut ll fats plusieurs anes d'epprentaage, et qui suive longtemps l'exemple de ses maitres, avant qu'il ose entre- rendre de corriger aucune de leurs fautes: » 7. Disc. Meth.,p. 17 8. Reg. X,A.'T.X, p. 406. 9. ABurman, A. TY, po 175. 10. Dise, Meth, ibid. 1, A Mersenne, 8 roars 1641, A. T. I, p. 339. REVOLUTION ET TRADITION 99 «les dialectiens ne peuvent former aucun syllogisme en régle yui aboutisse & une conclusion vraie, s'ils n’en ont pas eu Fibord la maitre, cestiedire vile’1ont pas aupérevent connu la vérité méme qu’ils déduisent dans leurs syllogismes*», Presque toujours « la vérité échappe A ces chaines® » d'une utilité « médiocre* », A exclusion de la théologie et du principe d’autorité s'ajoute Pexclusion du formalisme, lié aux © disputes 2, et du probable. Aussi Descartes réve-t-il d’un Traité de l’érudition contre Vérudition*, Ne Va-t-il pas déja écrit avec les, Repulae? ‘ven reprend-il pas les arguments dans la Lettre au traduc-~ teur des Principes? Plus précisément, ce Traité n’est-il pas la Recherche de la Vérité, victoire d’Eudoxe contre Episté- mon? Aucun autcur avant Descartes n’a osé pousser aussi loin la rupture avec le passé sous toutes ses formes : le passé de Thumanité dans la tradition et l'histoire de la philo- sophie; le passé personnel, que des sens imparfaits, un instinct aveugle, des nourrices impertinentes, des précepteurs qui ne sont pas toujours les plus capables ® ont nourri de préven- tions. Le passé, peut-on dire encore, c’est aussi les autres : ils transmettent les préventions; leur pensée nous apparait sans ordre, fragmentaire, et il est difficile d’en bien juger; de plus, par le désir de ne paraitre rien ignorer devant eux, ils nous entrainent & la précipitation. Méme confié a la mémoire proche, le passé n'est jamais assuré, il_porte en soi Yincertitude, il déchoit dans la vraisemblance. Qui veut rejeter Yopinion et le probable pour atteindre la certitude, doit se séparer du passé et, par Ie doute méthodique, revenir au commencement absolu, intemporel. Et puisqu'll s'agit, & soi seul, de rebitir le corps entier de Ia science, Ia méthode ne suivra pas |’Ecole dont le but est de démontrer et d’en- seigner une connaissance traditionnelle : elle sera fondamen- talement une méthode @'invention, Si le xvi® sitcle s’était consacré, en France, au renou- veau des lettres antiques, le xvu® s'attache la grande x. Reg. X, A. TX, p. 406. 2. Ibid. 3: Reg. ID, A. TX, p. 365. ‘4. Elisabeth & Descartes, 5 décembre 1647, A. T. V, p. 973 Deto cartes & Elisabeth, 31 janvier 1648, tbid., p. 111. 5. A. T.X, p. $07. Appliqué i Stampioen dans la lettre & Huygens, 3 janvier 1649, A. T.1V, p.3- 100 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES instauration de Ia science. En 1673, parisien depuis un an a peine, Leibniz se plaint — A Huet, il est vrai, et pour obtenir une place parmi les collaborateurs de la bibliothéque ad usum Delphini — du déclin ot Yon voit tomber l'érudi- tion : la Renaissance avait ressuscité Jes grands auteurs antiques, mais, sous I'influence de Bacon, Galilée, Descartes, un « nouveau genre de barbaric » les replongeait dans l'om- bre, il fallait leur rendre une troisiéme vie Plus tard, il notera : « Les hommes qui se piquent de philosophie et'de aisonnement ont coutume de mépriser les recherches de Pantiquité, et les antiquaires 4 leur tour se moquent de ce quiils appellent les réveries des Philosophes®. » Aux cotés des antiquaires, « les gens du monde n’aiment ordinairement que Vétude de Vhistoire et mépricent ou laicsent aux gens de métier tout ce qui a ’air d'un raisonnement scientifique’... ‘De cette opposition entre savants et érudits, Leibniz tient pour particuliérement responsables les cartésiens: en vain a-t-il tenté de mettre Malebranche en garde contre ce qu'il appelait « avec ‘mépris du rabbinage et, généralement, de la Philo- logie »; ce mépris a fini par faire de Huet I'auteur dela Censura Philosophiae Cartesianae §. Aussi Leibniz. projetait-il comme en réplique, semble-t-il, au Traité de 'érudition de Descartes, d’éponger les reproches adress¢s par les cartésiens aux études historiques et de montrer qu'il ne faut condamner aucun genre de doctrine *, Erudit est celui dont l’esprit embrasse ce que la mémoire des hommes retient de plus important dans le monde connt:: « Crest pourquoi se distingue en érudition celui qui tient en son savoir les phénoménes admirables du Ciel et de la Terre, Phistoire de la Nature et de la Technique, les migrations des 2. A Huet, x679 (2), P. 1, p 2, Huet neat pas encore ouverte- ment anticartésien, mais la’Bibliothéque ad usum Delphiné Cait due & Vinspiration de Montausier auquel il dédiera la Censura Philosophiae Cartesianae, entreprise sur ses instances, 2, 4 Th. Burnett, 1699 (2), P. Ul, p. 263. 1d. & G. Wagner, 1698, P. VII, p. 534. 3 Courutar, Op. p 2es. 4. N. £. Illy 1x, 9, B. V, p. 317. Que Leibniz pense a. Male- branche, Ia prelve ‘en en folie pa la lettre 2G, Wagner, B. Vit, B. sts : + bt aussi, je n'ai pu approuver le P, Malebranche, au demetirant mon excellent ami, de vouloir pourfendre tantot la critique et l'étude de Vantiquité greeque et romaine, tantot la lecture des livres rabbiniques et arabes, tantét le 2éle des astrologues, tantot & tela chon’ Futen »—~ CB. It wp tena s, Courunar, Op. B. 254 ation, seu quod talon doctrine gerurst tontemnendi. © On ae goutient ae ‘Leibniz possédait, en copie, la Recherche de la Verité, de Descartes. REVOLUTION ET TRADITION ror peuples, les changements des langues et des empires, état présent du monde, bref tout ce que l'on n'a pas 4 découvrir par génie, mais que I’on apprend des choses mémes et des hommes : et ainsi, la philosophic ditfére de 'érudition comme ce qui est de raison, c'est-i-dire de droit, differe de ce qui cst de fait* », Comprise de cette maniére, Pérudition est synonyme de Phistoire au sens baconien : mater observa- tionum*, C'est la science descriptive du passé et de ce qui a &é inventé. Loriginalité de Leibniz est de Ja répartir en Histoire de la nature et en Histoire humaine? : en quoi il se sépare, plus que Bacon, de la conception dualiste chrétienne, telle qu'on Ia trouve dans les Cités augustiniennes, dans Tanalogie médiévale, entre microcosme et macrocosme, ou dans les deux régnes de Luther #. Ta fonction descriptive, qui en fait instrument de I'Encyclopédie, différencie I'his- toire d’avec les sciences démonstratives, comme les mathé- matiques, ou empiriques, comme la Médecine ®, Bornée au ‘quid facti, elle s'appuie sur la mémoire et non sur la pure rai- son qui traite quid juris®, Ses propositions contingentes échappent donc A 1a nécessité des propositions vraiment universelles, soit que, dans les sciences de Ja nature, leur généralité soit seulement induite, ou qu’elles consignent les cas qui n’entrent pas sous une loi ?, soit que, dans Phistoire humaine, elles relatent les actions’ mémorables de grandes individualités. 1, A Huet, 1679 (2), P. I, p. 24. g 2, Nowe Methodus dscendae docendacgue Ferspradentae, Pace 33. 3. L’histoire humaine comprenant : histoire universelle des temps, In geographic des lieux, a recherche des Antiquits (mé~ dailles, inscriptions, manuscrits, etc), la philologie (en particulier : Véymologie), Vhistoire littéraire (Cestecdire des Lettres. propre- ment dites, des Arts, et des Sciences), Phistoire des coutumes et des lois positives, histoire des religions et l'histoire ecelésiastique. 4, CE W. Cones, op. itn pp. 38-39. — A Tob dndreas Bote, 26 septembre-6 octobre 1676, RI, 1, pp. 102-703. §. Coururat, Op., pp. 93, 169. ©. Gnua, 7, p. 240 : on peut dire que Ie but de histoire est * cognitionem memoria indigentem seu singularem », — Bt, p. 274 2 « propositiones historieae seu ut ita dicam facti, non demonstratione sed experientia nobis sciri poseunt » 7. Courveat, Op., p. 334" Conscribendus ext liber historiarum, seu’ propositionum “universalium ex singularibus ductarum, vel etiam singularium in quibus aliquid evenit praeter morem atque expectationem, id est quae a praejudiciis nostri, seu ab universalibus Jam formatis abeunt. » On se rappellera que pour Leibniz une Proposition induite des fats n’est pas nécessaire :P. VI, pp. 331-332 59. D'une maniére générale, sur Ia conception leibnizienne dé Fhistoire, ef. Davitt, Il, 1 pp. 337, 383- 02 LEIBNIZ CRITIQUE -DE DESCARTES En somme, rien de neuf pour nous dans cette définition de Histoire’ comme science — car nous ne parlons pas encore de Ia philosophie que I'on peut associer & une vue historique du monde. L'Histoire n'est pas rationnelle, elle concerne la mémoire; et les mémes formules Popposent & Finveution : « umme quod jam inventum est » pat contraste avec « omne quod ab ingenio humano... potest inveniri », dit Descartes; « quicguid non ex ingenio inveniendum >, réplique Leibniz. Rien done, semblerait-il, que ce dernier aussi ne uisse étendre & fa critique de lenseignement recu de I'Ecole, des disputes, de I’histoire des sectes. Bh bien! non, Allemand, luthérien, éléve de Jacob Thomasius et J. A. Bose, juriste de métier, plié aux controverses, Leibniz avait bénéficié 4 Ja Nicolai-Schule d'un enseignement moins lié & la parole d'Aristote 4, que celui de La Fliche, son église était relachée du principe d’autorité, ses maitres, a PUniversité, profes- saient un humanisme ‘plus philologique que celui offert & Descartes, lecteur de Montaigne 2. Il juge de Histoireet dela ‘Tradition dans un esprit qui n'est rien moins que cartésien. L'Histoire — tout ce qui peut s’apprendre et s'enseigner par la mémoire — n’aura jamais la certitude d'une science Tationnelle : allons-nous en conclure qu'elle n'atteint aucune certitude? Non pas! St on la pratiquait avec méthode, elle mériterait de porter.sur ses pages de titre la figure de la Vérité triomphante, foulant aux pieds le pyrzhonisme : Figura Veritatis triumphantis, pyrrhonismo sublato*. Quelle méthode? Celle, précisément, dont I'enseignement scolas- tique nous donne Pidée par la valeur qu’il attache au raison- nement mis en forme, et aux syllogismes probables. Nul besoin pour cela d’accepter tout le contenu de cet enseigne- 14, A cause de le réforme des études par Melanchton qui a sauvé, a Allemagne, I dialectics Ch P. Mesxany = Connon Labs 4 trowea placé dans le silage de Suarea (Archives de Philosophie, XVII be og ; ee 2. Bainter: Jugemens de Spavants, x68s, dans son recueil de jugements sur T'Allemagnerepate ch avait ses mulets oles et les Académies de ce pays ef ‘sur « Fapplication au travail » des Allemands aurquels' on ispute, pea la gioire d'etre de bons espnlis, sais le Tire Ge beaux esprits. — Leibniz n'ignorait pas ves liewx commun | aussi bien, protestant — avec ironie, jimagine — de son ztle, & défaut de génie, éerit-il & Huet, loc. city p. 0: * Et quid aliud ‘exspectes 8 Germtno, cul nation inter anion! dotes sola laboriositas Felice Figure projetée par Leibniz pour la page de ttre de ses Annales, ctw. Conan, psi area I, pp. 272-280, REVOLUTION ET TRADITION 103 ment! Sa Logique nous laisse plus libre que fa méthode de Descartes, parce qu’elle est un Organon : au lieu de nous imposer une’ philosophie, c'est une technique qu’elle nous procure. Aussi bien le souvenir de I’Ecole s’attache-t-il chez Leibniz au projet de perfectionner et non de renverser ®. Cependant, reprendrait Descartes, y avez-vous trouvé « rien dont on ne dispute »? En tout cas, réplique Leibniz, la lecture des controverses oti je me suis plongé en mon adoles- cence, m’a ouvert plus de perspectives, que si_jfavais com- mencé 4 méditer en étant déja imbu’ des opinions carté- siennes®, A supposer — ce qui est faux, car n’ai-je pasterming & mon avantage une dispute en forme, avec Denis Papin, sur Vestime de Ia force *? — & supposer que les controverses se raminent 4 un jen verbal dans les sciences de Ia nature, néanmoins, « comme il y a des matiéres ot le discours méme est un effet et quelquefois le seul effet et chef-d’euvre. qui peut faire connaitre I'habileté d'un homme comme dans les matigres métaphysiques, on a eu raison, en quelques ren- contres, de juger de habileté des gens par le succés qu’ils ont eu dans les conférences » : quel pouvoir l'art de disputer n’a-t-il pas ¢ dans un conseil d'état et de guerre, dans une cour de justice, dans une consultation de médecine et méme dans une conversation! >; et quel autre moyen lorsqu’il stagit « d’un événement ou fait futur, od il serait trop tard d'apprendre la vérité par Veffet® »? Descartes a parlé en mathématicien, en physicien : il aurait parlé autrement s'il avait abordé les sciences juridiques et politiques. Ce n'est ppas la dispute qui est & condamner, mais l'esprit de dispute % Echappe-t-on 4 ce mauvais esprit, une controverse réglée peut étre concluante — Leibniz. en propose un exemple par sa Théodicée — ct, loin de conduire au sccpticisme, comme Ya cru Descartes, comme le croit encore Bayle, elle tourne a Tavantage de la raison : car, lorsque la raison « détruit quelque thése, elle édifie la thése opposée. Et lorsqu’il semble quelle détruit en méme temps les deux théses opposées, qu'il n'a pas ét6 scolastique, Leibniz annote ¢ Je ne I'ai pas 606 non plus. » F, de C., t.T, p. 92 12. A des Bosses, 2 fevrier 1706, P. III, p. 293 : « Fateor me ado~ Iescentem etiam Scholae spinas atigissé nonnihil. (praecer moren nostrorum) neque id fecisse unquam pocnituit, et alloqui eo semper animo fui, ut mallen reeepta emendari quam everti. » 13. A Malebranche, 22 juin 1679, P. T, p. 332. tt 4. De legibus naturae et vera aestimatione viriwm motricium contra Cartesianos... M. VI, pp. 204-211. 3. N. E. iV, vir, 11, P. V, p. 308. 8: Dise. Conformité.., § 88, P. VI, p. 97. 3of LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES crest alors qu’elle nous promet quelque chose de profond, pourvu que nous la suivions aussi loin qu’elle peut aller, ‘hon pas ave un esprit de dispute, mais avec un désir ardent de déméler la vérité, qui sera toujours récompensé par quelque succts considérable? », La suppression des théses opposées pour parvenir A quelyue chose de profond n’est donc pas le renversement sesptique du pour au contre. Elle indique comment Popposition des sectes peut conduire & quelque chose de profond. Encore convient-il que la dispute soit en forme. Sinon, un argument & peine avancé, I'adver- saire songe moins a V'examiner, qu’a demander a celui qui Yavance : D'oit tiens-tu que ta raison a plus de rectitude que Ja mienne? Ot est ton critére de la vérité? Aprés quoi, il ne reste plus qu’ jouer d’éloquence®, L’art de penser doit étre la pierre de touche pour les controverses. Il élimine opinion contradictoire, tandis que l’opinion non contra- dictoire devient possible, et, ce possible, vraisemblable &: proportion de son degré ‘de probabilité, Refusera-t-on d'admettre que l'opinion, fondée sur le vraisemblable, mérite Je nom de connaissance? Alors, « presque toute connaissance historique ct beaucoup d’autres tomberont’® », Avec Des- cartes, on mettra de cété, artificiellement (artificiose), les problémes théologiques, laissant & croire que la philosophie, ou la raison, est incompatible avec la religion *, Plutét que de rejeter les opinions, il faut en faire la science : « & Ja connais- sance certaine vous pourriez ajouter la connaissance du yraisemblable : ainsi il y aura deux sortes de preuves, dont les unes produisent la cértitude, et les autres ne se terminent qu’a la probabilité § ». Or, que sera ce vraisemblable? Non plus .« 'Eudoxe ou opinable d’Aristote », ni le probable des théologiens et des casuistes : celui dont nous parlons sera « plus étendu », tiré « de la nature des choses » ot 'on peut estimer le degré de vraisemblance ex datis, indépendant de Vautorité des docteurs; il s'inspirera davantage de la juris- prudence oit I'on distingue avec soin la condition (conditio) le conditionné (conditionatum), le conditionnel (condition 1. Bid, 2 PVM, p. 288, 3. NE. LV, 11, 14, P. V, p. 353. 4: P. Vit, p. 326": « Adel autem myst: [Cittesius,phitosophari scilicet sbi, on theok Prop di is religion! aut ‘vera esse possit, quae demonstratis alibi vera veritatibus. REVOLUTION ET TRADITION 105 nale), celui qui conditionne (conditionator), le conditionaire (conditionarium), en sorte qu'on pourrait symboliser par ©, Y 1, tour A tour Pabsence de droit, lorsque la condition est impossible, le droit conditionnel, lorsqu’elle est contin- ente, le droit pur lorsqu’elle est nécessaire 2; et le vraisem- Babi empruntera encore & la probabi ité_ mathématique *. Pour soumettre le probable au calcul, Leibniz met ses espoirs dans la Caractéristique universelle* : l’estime de la vrai- semblance sera formalisée sur I’exemple 4 la fois de la Logique formelle, et du calcul des probabilités, mais 4 partir de Ia nature méme des choses et sans que ses symboles ‘aient nécessairement une valeur numérique &. Lorsque l'on. reféchit larichese et Vimportance des matiéresauxquelles il s'appliquerait, on peut ce demander « oi I’établicsement de Vart d'estimer les verisimilitudes ne serait pas plus utile qu'une bonne partie de nos sciences démonstratives * ». Cet art, formalisé, donnerait & Descartes une réponse sans réplique : il changerait Disputemus par un Calewlemus®, En attendant, une bonne critique des documents peut arra- cher I'Histoire au mensonge de la rhétorique et & celui des fables : elle exige des textes une interprétation multiple. réelle, textuelle, restauratrice du document, traductrice, utilisant la paraphrase, c'est-A-dire des mots plus clairs, des définitions possibles d’un terme entre lesquelles la ‘combina- toire élimine les incompossibles, etc, 7 —j elle critiquera les ‘témoignages, s'appuiera sur’la linguistique — en particulier sur Pétymologie 8, cherchera hypothéses et confirmations dans la géographie; bref, elle établira I'Histoire avec la sire proba- bilité qu’elle comporte, depuis le détail incertain — « Le détail surtout est peu str» — jusqu’A la certitude quasi mathématique de I'Ilistoire publique (chronologies, généa- logies) *, Descartes, décidé & tenir pour faux le douteux, a 1 juris, Pars 1, §§ 66, 67. R. VI, 1 pp- 420) 436. 2 NE hd el 0, BPG. B. Vit, pp. 188" ea. 4. Sur fe call des probabilieés, of chap. vit. $ NE, id. EP Vii, pia 5. Noea Meads. Pars 11, §§ 62-67. & ctchap: ne 9. N. E.Vi, 31, 10,. V, pp, 448 sa, — Ck. Con, pp. 52-58 Din indmoirs au, "se" 65a, Davatel, op. cy pe Saar My Pike nace een sean, dnd ae See cépandc dane Histoire quten para e moins suseepible» i dans une lettre 4 Lldonore de Cale, janvier 1699, 8© i introdut eete exactitude on Aflemagne. 106 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES donc suivi les conséquences de son erreur de principe : il fen a conclu & tort qu'il faut rejeter I'incertain; il fallait en conclure que Vincértain doit étre changé en ‘probable et soumis.A la logique du probable. Et la probabilieé do P'Histoize n'eit pas etérile : elle ine- truit; elle féconde Vinvention. Si Descartes parcourt « le grand livre du monde », c'est en sceptique qui, dans la considération des meeurs des autres hommes, ne trouve gutre de quoi s’assurer : car «j’y.remarquais quasi autant de diver- sité que jfavais fait auparavant entre les opinions des philo- sophes 19, C’est en historien que Leibniz veut que l'on voyage. ‘Un jeune homme doit voyager avant d'entrer dans les affaires : qu'il observe et prenne en notes les commodités de nourriture, de boisson, d’édifices, de vétements, d’agri- culture, de machines, qu'il rencontre dans un peuple. Qu’il cherche & connaitre les grands personnages — cette con- naissance est d’accés plus facile pour les voyageurs que pour les familiers —, surtout les sectétaires et ministres d’Etat, S'il entend des histoires mémorables, ou quelque singularité de la nature ou de la technique, qu'il les note avec diligence. Ainsi les voyages atteindront-iis leur but : transporter non seulement des marchandises, mais encore dee techniques de métiers®, L’histoire comparée nous .instruit & com- prendre Ia jurisprudence, histoire romaine 4 comprendre Je Droit civil, l'histoire ecclésiastique & comprendre le Droit canonique, Phistoire du moyen age 4 comprendre le droit f¥odal, histoire moderne & comprendre le Droit public? Elle n’est plus un simple objet de curiosité : elle a Pour but de nous montrer les fondements du Droit, la cause de Ia différence des lois, les effets de la politique, etc. ¢; elle nous renseigne sur les origines; elle nous transmet des recettes de médecine; nous ne devons done négliger « aucune lumigre que Tantiquité pourrait donner par la tradition des doctrines et par l'histoire des faits® », et « dans peu, il faudra aller fouiller chez les Chinois et'les Arabes, pour achever I'Histoire du genre humain ®... ». Au reste, nous ne Tecevons point passivement ce que I'Hlistoire nous fournit : et le jam inventum peut étre source d’inventions. Sachons 1. Dite, Meth, A.T.VL, pp, 9-10. 3. Nova Methods. Pars Ye Sz 3 Ibid, Pars Tl, § 29. 4 lng de ets, par Fontenelle $. NOBLMIL, t's, PV, p. 307. &: Courunas, Op, p. 225. REVOLUTION ET TRADITION 107 prendre « le meilleur de tous cétés *», recueillir « or caché dans le fumier » de la Scolastique, accumuler de toutes mains ample moisson de faits. L’art dinventer exige, 4 plusieurs titres, la collaboration de I'Histoire : d’abord, elle nous découvre des faits. méme dans les sciences de la nature, dont es suggestions sont précieuses; ensuite, il est certain qu’un seul homme ne peut avoir assez de temps pour tirer de sa raison. tout ce qu’il en pourrait déduire, ni pour avoir occa sion de découvrir ce qui dépend du hasard ou de lexpé- rience *; enfin, elle nous procure les matériaux dont Part combinatoire peut tirer une combinaison nouvelle, et c'est pourquoi I'Eneyclopédie est Yauxiliaire indispensable de PArs inveniendis. Diod vient, 4 Pégard des recherches historiques, la mésin- terprétation de Descartes? C'est qu’il n’a voulu connaitre autre type de certitude que celle des mathématiques. Il ramenait toute évidence a I’évidence intuitive d’un contenu fini de pensée, sans prendre garde que, méme en mathé- matiques, il ya é wveugle, ‘capable de traiter T'infini, et que, de toute fagon, il aurait fallu réserver les droits d’une autre sorte d’évidence : morale, historique, ou de fait. Autrement dit, comme en mathéma- tique I’essence et I’existence de l'objet se confondent, Des- cartes, identifiant Ia chose et Tidée de Ia chose, a réduit Ia certitude de ce qui est hors de nous & la certitude de ce qui est en nous. Mais bn fait est certain ce dont on ne peut douter, par rapport a la pratique, sans folie : et, comme Bayle‘, Leibniz objecte : « Suivant cette définition de la certitude, ‘nous sommes certains que Constantinople est dans le monde, que Constantin et Alexandre le Grand, que Jules César ont véou » §. Non seulement Descartes s'est attaché trop exclusi- ‘yement ‘a un modele partiel de certitude, mais encore il en fait un mauvais usage. Ne comprenant pas exactement en quoi résidait la rigueur des mathématiques — « tout définir, tout démontrer » et non pas « voir évidemment » — et, pat conséquent, incapable d’utiliser cette rigueur en ses réponses auxSecondes Objections, il a contribué ainsinuer dans Pesprit des hommes des maximes dangereuses nées d’un semblant de mathématique dans une fausse philosophie : et Leibniz 1 MEL UPV, wo 63. 0 a x i, Opn p94. CE, p 269, § SETS TB der da Came tique, ef. Coururar, Log. Chap. 1v et ¥. Ach cetesum for 8-55, 85, Hote § NEW, a, 0B. Vip 426. 108 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de se féliciter d’avoir connu en sa jeunesse Ja scolastique avant d'étre imbu de ces mathématiques qui donnent Phabi- tude de mépriser dédaigneusement toute autre discipline 2, D’autre part, les mathématiques, science achevée et, par Ii sméme hors de doute, ont caché 4 Descartes Ia valeur et la modestie du doute académique « pour les commencements * », Enfin, les mathématiques eussent pu lui enseigner qu'il n'est pas nécessaire de jouer au novateur pour introduire quelques idées nouvelles : « Au contraire, je trouve ordinaire- ment que les opinions Jes plus anciennes et les plus recues sont les meilleures. Et je ne crois pas qu’on puisse étre accusé d’étre novateur, quand on produit seiilement quelques nouvelles vérités sans renverser les sentiments établis, Car Crest ce que font les géométres et tous ceux qui passent plus avant...3 » Une des principales utilités de "Histoire — la principale daprés de nombreux textes — est de servir Ia religion et Ja théologie chrétiennes‘, Mis & part les mystéres® — encore que, contre Descartes, Leibniz essaie de démontrer, pour le P. des Bosses, au moins Ia possibilité de I'Bucharistie — I'Histoire, en collaboration avec Ia philosophie et la jurisprudence, a son role & jouer dans la partie de la Théolo- gie qui concerne les faits : les vérités et conséquences théo- logiques qui sont d'une certitude morale, et non métaphy- sique, « supposent en partie I’Histoire et les faits, et en partie Tinterprétation des textes. Mais pour se bien servir de cette Histoire et de ces textes, et pour établir la vérité et antiquité des faits, la génuinité et Ia divinité de nos livres sacrés, et méme I’antiquité ecclésiastique, et enfin le sens des textes, il faut encore avoir recours & la véritable Philosophie et en partie & la Jurisprudence naturelle * », Plus particuliérement, Puisqu’il s'agit de religion chrétienne, on s’appliquera & &ablir par Histoire la divinité du Christ 7, Vers la fin de savie, Leibniz cherche surtout, dans histoire du moyen age, des arguments en faveur de la Religion réformée ®. Toute . B.-VIT, p. 324: 2. A Foucher, 1866, P. I, p. 381. Au Tamdgrave, 12 evil 1682, P. IT, pp. 20-22. ‘Vil pp. 139 ea 1705 PL I p, ¥665-N. B, TV, x0, 1, = 452. SOUTURAT, Op., p. 28s ‘Th. Burnett, 1-13 février 1697, P. III, p. 193. Cf. A Nicaise, 3 10 mai 1607, P. Il, p. 567. 7,,A Huet, 1679 (7, P. Tit, pp. 12-19; aotit 1670, ibid, p. 18. 4 Th, Burnett, 17-27 juillet 1696, ibid., p. 1845 P. Vil 8. CE. Davitt, p. 370. ‘sf REVOLUTION ET TRADITION 109 sa vie, contre Descartes, il a cru que, la foi ne contredisant pas Ia raison, Ia philosophie ne pouvait se désintéresser de Ia théologie, et que I'Histoire avait aussi une fonction apologétique. II se rapproche ici de P’anticartésianisme de Pascal. Mais Pascal a trop négligé les arguments a prior? au profit de Histoire +; d’autre part, « outre qu’il avait I'es- prit plein des préjugés du parti de Rome », comme ses Pensées le font connaitre, ...« il n’avait pas étudié I'Histoire ni Ia Jurisprudence avec autant de soin que j'ai fait? ». Parmi ces préjugés du parti de Rome, Leibniz, luth saurait admettre ceux qui concernent, dans toute leur rigueur, les principes de Vincent de Lerins* et I'autorité de l'Eglise. C'est au nom de l’Histoire et des variations de I’Eglise qu’elle nous prouve, qu’il rejette I’ Autorité romaine de la ‘I'adition : sans invoquer, bien entendu, ni limpuissance de la mémoire ¢ ni la discontinuité du temps. C'est de l'Histoire qu’il attend une aide pour une connaissance littérale de I'Feri Mais si Histoire l'améne 4 rejeter la Tradition soumise au principe d'autorité romaine, elle le convaine aussi d'accepter, non seulement en religion, mais en morale, et dans les sciences, toute tradition que lon peut recevoir aprés une critique : si le consensus omnium ne peut fonder la vérité, mais se borne 2 Ia confirmer quelques fois *, si ’autorité des Docteurs ne fait pas la vraisemblance que Yon doit tirer « de la nature méme des choses », il reste, nous venons de le lire, « ordinai- rement que les opinions les plus anciennes et les plus regues sont les meilleures... » Non point, qu'il faille s'en tenir elles : il faut aller plus avant. Mais Ia véritable méthode n’exige pas une conversion radicale de la pensée, & Ia maniére de la méthode cartésienne; elle n’exige que de Vattention et Ie soin & perfectionner ce que ’on nous a transmis. Quelle vue historique Descartes aurait-il pu avoir du développement du monde et de Phumanite? Il met & part les vérités de la foi : ce serait leur faire tort « que de les vouloir 1. Cf, cedessus, p. 87. 2. A Th. Burnett, 1-14 {Evrier 1697, P. Il, p. 196. 3. N. EB. IV, xx, 17,P. V, pp, $0000; Gaus, T, p38, 4, Cependant — cf, lettre & Bessuet, 14 mai 1700, sur le Concile de"Prente— Leibniz se défie de Ia tradition non écrite, Cf, Davitut P.410, "Gaus, 1 p. 137. 8 Ge chap Fins” 110 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES affermir par des raisons humaines et probables seulement ™», En particulier, il se défend de rien supposer sur les desseins de la Providence — ce qui exclut la considération des finales. En bref, il sépare la philosophie de la théologie : il la laicise, ‘Ni sa formation, ni sa vie ne l'intéressait A I'Histoire; le bacca- lauréat et la licence en droit acquis & l'Université de Poitiers nont pas fait de lui un juriste; il a voyagé en sceptique; il s'isole enfin en Hollande sans jamais participer aux affaires ubliques. Aussi bien sa philosophie refléte-t-elle ce désin- térét. Davantage! Elle ferme toute ouverture sur PHistoire. Liintuitionisme ne prend sur le temps que des instantanés, s’adresse 4 un Cogito insulaire : et Descartes ne s'est occupé ni de principio individui, ni du role d’autre personnalité que Ia sienne. Sa Phy gue cot temporelle: le temps n'y inter- vient que sous Iz forme d'une idée plus aisée & concevoir que la ligne des géométres, cest-A-dire d’une abstraction, ‘Ds lors, 1a genése du monde se résout en schéma abstrait quel contraste avec fe début de la Protogaca oit les stratifica- tions terrestres, comparées aux incunables de notre globe, nous présentent les germes d'une science nouvelle *! Anno- tant (1696) sa Nova Methodus en vue d'une réédition, Leib- niz.ne manque pas de trouver Descartes plus louable par ce qu'il a osé tenter qu’heureux dans ce qu'il a accompli’, Et la fue cartésienne devait aboutir, en principe, & une explication mécaniste des organismes. Rien, encore une fois, qui pat déboucher sur Histoire, Avec Pauteur de la Théodicde, la philosophie demeure une auriliaire de Ia théologie, Nous ne pouvons, dans le détail, connaitre les desseins de la Providence, cependant nous Pouvons affirmer — et prouver, s'il le faut, par la physique et Ia biologic — que ses fins disigent le monde. D’ailleurs, toute sa vie, Leibniz s'est occupé d'Histoire et d'affaires publiques. A TUniversité, il avait eu pour maftres Jacob ‘Thomasius et J. A. Bose, deux disciples de Juste Lipse auquel nous devons le concept du moyen Age. D’un passé indéter- sminé ce concept fait un passé organisé. Ii semblait que 'huma: nité edt traversé trois ges comparables aux premiers ages de sf Mere 37690, 4.71 BBD & Ader 77 st toe, A 1p ss ahi aah fa PN 9 8 Feasts poet ate ao cee ne 4 Se core on ma ne, Comorian, patente Inui liquando speperum prout in ‘mundo actu repeiuntur, ae Soa peo ee ons REVOLUTION ET TRADITION nr la vie, Disons : Phumanité de notre civilisation occidentale. De immense cours de I'Histoire nous n’avons exploré ‘encore qu'une faible longueur : il faudrait en dresser la carte, avec ses affluents, et les cours paralléles des différents peu- ples! Le principal dex Grees et des Latins est. éclairci depuis quelque temps on travaille & histoire du moyen age; « dans peu il faudra aller fouiller chez. les Chinois et ‘Arabes, pour achever ’histoire dut genre humain, autant qu’on la peut tirer des monuments qui nous restent, soit par écrit, soit sur des pierres ou métaux, soit méme dans la mémoire des hommes, car il ne faut pas négliger entidrement la tradition, tt je tiens que de tout ce qui est non-écrit les langues mémes sont les meilleurs et les plus grands restes significatifs de ancien monde, dont on pourrait tirer des lumiéres pour Jes ‘rigines des peuples, et souvent pour celles des choses® ». De ses études de linguistique comparées, Leibniz croyait pou- voir tirer, en un tableau d’ensemble, Ia filiation des langues et des peuples : issus de la langue adamique, les deux branches Japhétique (N.-O. de P’Asie et Europe) et araméenne(S,-O. de PAsie et N.-O. de l'Afrique) — dont certains rameaux s'entre- mélant donnaient le perse, Parménien, le géorgien — engen- draient, la premiére, le scythe (subdivisé en langues turques, slaves, finnoises, grecque) et le celtique (subdivisé en langues germaniques et celtiques, comme l’armoricain, le haut-itian~ dais, le celtibére, etc.), la seconde les langues arabes et Végyptien *. Ce n'est pas tout. L’histoire du genre humain doit étre complétée par celle de Ia Terre — & quoi s'emploient observations et hypotheses de la Protogaea — et du Ciel. Incontestablement, Leibniz s'est appliqué & avoir de notre univers une vue’ historique. Incontestablement aussi, sa philosophie se prétait une telle vue. Et dabord par son insistance sur unite qui organise Ja variété infinie des monades. Elle reprend la thése, venue ats, Leiaie etait aun es notions de barbaric, de semi-bar bat , Conte, os eity DP. 73 90 "2 Avtil 1766, Leibnis, songeait 2 faire représenter les cours dei'histoire en’ tableau qui ne. plairaient pas moins aux your ue. les arbres genealogiques. ‘Bopsnian, Leibniz, Handichrften. Bring? «Meine Anmerckungen bey dem Parailelismo Historiarar, 30 in einer ‘Tabelle vermittelse des Lauffs der Strahme vorgestllet Worden >; « Die Erfindung der Historschen Strahme seheinet nicht Rene stg le der Genelogischen Bergen und dara stchenden 3. Covrunar, Op.,p. 225. 2% Sour plus de etal, vole le tableau étbli par Liselotte RicHTER alt fin de'son Lenz snd sein Russlandbdd (Berlin, 1946). m2 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES d’Aristote, mais plus encore du Stoicisme repensé par la Renaissance, d'une harmonie universelle qui implique le finalisme et exige une Providence. Cette harmonie se manifeste dans les phénoménes. Elle a son fondement dans lentr'expres- sion des monades qui fait que touts tien, ue rien nest sans effet — en vertu du principe omne praedicatum inest subjecto le voyageur dans I'Inde, dont Ia femme meurt, sans qu'il le sache, en Europe, subit un véritable changement —j et Yentr'expression des monades & son tour trouve son fonde- ment dans le modele intelligible de ce monde, congu par Dieu avant Ia eréation : ainsi échappons-nous & la solitude du Cogito, il existe d'autres esprits que le nétre, et ce commerce des esprits est confirmé par I'Histoire sacrée et profane}, L'Histoire plaide donc contre Descartes. Chez ve dernier, le libre arbitre transcende V'entendement, nous ne savons plus Vaccorder avec la toute-puissance et la préordination de Diew’, notre raison n’exprime plus un monde intelligible, chaque esprit paratisolé en gon autonomic. Dés lors, les productions humaines manquent de liaison et d’unité réelle et le Discours veut nous en persuader par des exemples qui vont de lurbanisme a la religion méme. Pour Leibniz, au contraire, sous le disparate apparent il y a liaison et unité réelles. C'est pourquoi, tandis que Descartes conclut au ‘earactére personnel de la méthode, ne retient que la propre istoire de ton esprit » voit toujours moins de perfection dans les ouvrages « faits de la main de divers maitres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé », préfére aux opinions « de plusieurs diverses personnes » «les simples raisonnements que eut faire naturellement un homme de bon sens », rejette « la pluralité des voix », et s'aventure « comme un homme qui auarche seul dans les ténebres » — Leibniz s'attache aux egons de I'Histoire et insiste pour que la méthode soit enseignable et communicable pour tous. Prise sous son aspect dynamique, T'unité de la Création devient sa continuité, C'est que le monde des Idées qui en a fourni Varchétype est dynamique; il a le révog stoicien; illest réglé par un certain mécanisme métaphysique. Avec la 1. De modo distinguendi phaenomena reatia ab inaginaria, P. VI 322 + Hine jam Historia sacra et profana et quaccunque ad um Mentium seu substantiarum rationalium pertinent, confit= mata habentur. » 2. Prine. 1, § 42. 3. Balzac d Descartes, 30 mars 1628, A. T. I, p. $70: «Au reste, Monsieur, souvenez-vous, sil vous plait, De PHivoire de votre expt. Elle est attendut REVOLUTION ET TRADITION 113 création du meilleur des _mondes possibles qui sort de ses combinaisons, cette tension se développe dans le temps, ou, plutét s'exprime pour nous dans un développement temporel. Ce temps est continu, La succession des hommes n’est plus la succession incohérente d'individus indépendants; celle de leurs pensées n'est plus la simple juxtaposition de'réflexions libres une de Vautre. Pascal venait d'écrire « que toute a suite des hommes, pendant le cours de tant de siécles, doit étre considérée comme un méme homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement... ?2, Leibniz, qui avait cu accés aux manuscrits de Pascal, semble s’en souvenir. La Cosmographie nous présente 'histoire du monde comme un individu. Contre Vesprit de secte (il songe aux carté= sien) il note : © La bonne intelligence et la communication détruit ces entétements. On y reconnait aisément qu’on ne se doit jamais borner & son maiire, et qu'un seul homme est pew de chose aux prix de 'union de plusieurs®, » Au reste, « tous ces. Jurisconsultes des Pandectes, quoique assez dloignés quelquefois les uns des autres, semblent étre tous un seul orateur...; comme on aurait de la peine& distinguer Euclide, Archiméde et Apollonius en lisant leurs démonstrations sur des matitres, que l'un aussi bien que Vautre a touchées, *». Ainsi, Ia continuité historique offre quelque chose de ration- nel, et elle se dévoilerait méme comme entiérement rationnelle s'il nous était possible, comme 4 Dieu, de voir dansla moindre substance s'exprimer la liaison de toutes les substances en leur état présent, passé et a venir. Sans prétendre a cette divine intuition, il nous suffit — et il n’en faut pas davantage pour éhapper au scepticisme pascalien — de saisit des lois, de développement; l'existence de telles lois nous convaine que Dieu wbien ehvisila meilleure sétie possible des choses * Nous voici loin de Descartes. S'il y a, chez Descartes, une interdépendance des hommes entre eux et des générations 1, Préface pour le Traité du Viae, dans Guvres complétes, éd. J. Chevalier (Gallimard, 1954), p. 534- La premiére publication Slee cht aidan a Cit Rare pete fe etna tc Spas inte nce Se A de brea CE dane Re gree SEEN PAE YP BE say, chap hy aif meas Ln atta est mundi tan- 114 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES centre elles, c'est, avant tout, celle que leur font des préjugés communs; elle est irrationnelle; elle concerne 'automate ?; un homme seul est d’autant plus capable de découvrir Ia voie qui mene a la certitude, qu’il est capable, par le doute, de ne: désolidariser de la pensée des autres,’ Mais dans Ie développement quasi dislectique par lequel elle dépasse, en les supprimant, les théses opposées, Ia raison apparsit, chez Leibniz, comme !’ « enchainement des vérités » en forme *, I’ « enchainement inviolable des vérités ® » : ainsi donc, un esprit est lié aux autres esprits, et tous Jes esprits, Pris ensemble, sont la manifestation de I'Esprit, en sorte {que si xious pouvions suivre la raison aussi loin qu'elle peut aller, & Vinfini, nous verrions Venchainement des vérités naturelles ic rattacher & l'enchainement des vérités révélées, On ne saurait, par conséquent, séparer 4 la cartésienne les vérités de la raison d’avec les vérités de la Foi : le doute appliqué aux premitres atteindrait aussi les secondes, _ Unité, continuité : mais Diew n'ett pas choisi le meilleur, si le monde se développait sans progrés. Ce progrés a deux a perfection impliquée, dano la notion, complete du meilleur des mondes possibles et qui doit s‘actualiser dans le temps; l'inquigtude, essentielle & Ia conscience, qui ousse & la recherche du plaisir, signe de perfection. La per- fection totale de I'univers est-elle constante? Oui, sans doute, si nous tirons cette constance de la notion compléte. Aug- mente-t-elle? Oui, si, nous plagant dans le temps, nous considérons les progrés des substances les plus perfectibles, Par rapport & la masse des monades inférieures ‘, Finale ment, Leibniz penche & conclure, & partir de son hypothése sur lentr'expression des monades, que tout accroissement de perfection est compensé par un décroissement &. Ce progrés, Rous ne saurions décider quelle forme il affecte : linéaire, circulaire, en spirale, ou s'il méle avance et recul, comme Yovale 6. "Leibniz a'médité sur la possibilité du Retour 1, Matamnacu : De Ja recherche de la Vérite, 1, 1 (éd. li a78)cxplique comment Dicu ¢ 0 tit lens socidte civil, des liens natures © qui ove vont Commune ave les betes 2. » §§ 1, 65, P. VI, pp. 49, 87; N. E. IV, 3 Disc 1 § 23, ibid, p. 64. 4. P. III, pp. 582, 520, 578. , 5. Gua, Hepp. sas 8. On peut douter « si le monde avance toujours en perfection, ou il avance et recule par périodes, ou sil he ee ialtient pas vit, 13,1 REVOLUTION ET TRADITION 15 Gernel : Ie nombre des lettres de Valphabet étant fini, le nombre de combinaisons signifiantes de ces lettres lest aussi, done, également, le nombre des histoires que l'on peut écrire; toutefois, la doctrine, pour étre soutenable, exigerait encore un monde composé datomes, ce qui, contrairement & ia divisibilité & Vinfini, en limiterait la richesse; et la répéti~ tion ne semble pas ‘moins incompatible avec Ia sagesse eréatrice de Dieu, Quelle que soit la forme du progris, Y’Humanité n’a pas attendu aujourd'hui pour le suivre. Ce n'est pas, loinde 1A! que Leibniz conteste le réle des chéros », comme il les appelle : sages qui ont cultivé, les premiers, les arts, Pagriculture, l'astronomie, les belles-lettres; grands Igislateurs; fondateurs de royaumes et de république mécénes; protecteurs du commerce; inventeurs, adm ‘trateurs, grands capitaines ®, Tl range méme Descartes, parmi les grands inventeurs, aux cétés de Pythagore, Démocrite, Platon, Aristote, Copernic, Galilée et Bacon®, Seulement, ces héros ne peuvent pas plus s‘isoler du plan d’ensemble, que Dieu ne saurait concevoir « un Adam vague », détaché d'un monde possible. Ainsi, les grands hommes eux-mémes, concertés par la Providence dans le progrés humain, n’ont pas Ie droit ni le pouvoir de faire, comme veut Descartes, table rrase du passé. C’est ici que nous pouvons comprendre le sens, de éclectisme leibnizien. . ‘Lig & la croyance en I’harmonie universelle et en la conti- plutt dans fa méme perfection & Pégard du tout, quoigu'il semble Be tes paces Tont un echange ent ell, ct gu tanto les une, {ot les aust soot plus ou moins pertain On pent done metre queso hese etree ranean uur aun bk de fears periodes, ou #'ty en qui perdene et ui rculert tout Oa Sil Ens enfin gu fone tonjoure dex perodes au bout desqucles tiles teouvent de nivotr pont gugne ni perdu de meme qui y 4 des gees qui cvancent"toujonrs comme Ia dows, G'autes oument sans avancer ou teculer comme iaciceulaie, autres Gul SSurment or svenceut cp meme tempe comme ta eptale, d'autres fnfin qui reclent aptes. aver vance ow avancent apres avoir seule corume in gras," UElechice Sophie, 3 Pt 1654 TEN pisos Gad pe Catan GoW. Pre Eee Sit Bridget p35 (os A ovcaion des livre que S.A. ava egal de Mr de Helmont 5), Cite également par Harnwachs : Labnis Sine dpe st6, Oe Mtoe aPrarts monty (17182), en Appendice, dane V'éude, cil, dM Brum BPs 535 nee oe sages Spavmued, op ee FPP poae, qui cite K, Ty pp 2350116 = « Welehen abee Gott Zupleich veretind und mache’ in ohen Grod fopsben, des sind die lelden so Gor, xu ausfuhrung seines Willens Sr prinspaiste snottrnents geocbaticn.» ‘3 id x6 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES nuité de la pensée, T’éclectisme ne considére pas ce quiil ya de bon dans les doctrines du passé comme dit aux hasards de génies individuels : cette vue serait cartésienne. Il y voit plutot des moments du progrés de l'Esprit. Sans doute, I’kis- toria sapiontiae saccompagne d'une ‘historia stultitiae; et crest précisément la tiche et le souci méthodologique de Yéclectisme que de dégager Ia premitre de la seconde. La connaissance historique, qui permet de suivre P’évolution graduelle ct continue (paulatim) des lois et des murs, nous montre aussi le réle des erreurs et affections humaines 1. Or, erreur n’est que privation, La stultitia des systémes ‘consiste dans la négation de ce qu’ils ne peuvent embrasser, et eur sapientia dans V'affirmation de ce qu’ils comprennent * : Teffort de I'éciectisme, devant histoire des sectes, sera de s’élever au point de vue d’od Yon domine l'ensemble. C'est par la convergence de nos vérités partielles que nous tendrons indéfiniment vers la vérité. Il ne s'agit done point de juxta- poser des vérités acquises 4 1a maniére dont on coud un habit d’Arlequin. Il s'agit de faire apparaitre des lois de séries. Par nature, I’éclectisme est analytique en ce sens que chaque série découverte nous fait remonter plus haut dans la raison des choses; et que nous remontons plus haut encore chaque fois que nous découvrons une série de séries. Mais en méme ‘temps, on le voit, ’éclectisme est combinatoire et, par Ia, unit synthése & analyse, car il faut combiner les vérités éparses, comme on le fait des nombres, pour en découvrir la série, et les séries entre elles pour en trouver la loi commune ®, Rien de semblable chez Descartes qui, se croyant assuré par la véracité divine de tenir les premiers principes, prétend déduire toute la chaine des raisons. C'est supposer et imposer aux choses un ordre pour se les rendre intelligibles, att lieu d’examiner les choses mémes pour y discerner peu 2 peu Vintelligibilité originaire, venue de Dieu, qui s'y exprime. Tandis que Je doute critique de Péclectisme, di a étude de histoire, s'exerce pour unir les vérités éparses et, d’union en union, remonter jusqu’’ Punité vivante de Ia Création, que fait le doute méthodique di. 'inspiration des Géométres 3 Ii ne cesse de séparer, il décompose, partout il brise Punité. Comme il porte sur’ Pexistence, see dichotomies ne .eont pas de simples divisions logiques, elles séparent des existants 1. Grua, T, p. 782. 2, A'Remond’ xa janvier 1724, P. IIT, p. 607 : « J'ai trouvé J pipart des Sectes ont raison dans une bonne partie de ee qu’ales fvancent, mais non pas tant en ce qu’eliesnient, > ‘3 Ch c-dessous, p. 124-135. REVOLUTION ET TRADITION 117 les uns des autres, leur fonction est essentiellement dualiste. ‘Ainsi le monde est-il séparé de Esprit, déchu au rang de matitre inerte, non signifiante, vouée a un mécanisme strictement physique : alors qu'en ce miroir vivant Leibniz admire le mécanisme métaphysique, finalise, de la pensée divine. Ainsi Pentendement est-il 'séparé de Ia volonté, comme si la passivité des idées reproduisait & sa maniére Vinertie matérielle et que le jugement leur fat extérieur : & quoi Leibniz oppose le dynamisme de Vidée lige au juge- ment. Ainsi le monde intelligible est-il séparé des essences antes et comme anéanti, au lieu de s'exprimer toujours en elles. Ainsi la Foi est-elle s¢parée de la Raison. Ainsi Vintuition ponctuelle est-elle séparée de la mémoire, ce qui revient& condamner Histoire et Tradition. Ainsi suis-jevonduit au solipsisme d’un esprit qui se pose en commencement absolu de la connaissance et se croit assuré d’avoir la méthode définitive. C'est contre tout cela que s'insurge Leibniz. Si Descartes, prenant les mathématiques pour seul modele, wavait été poussé, par la systématisation méme du doute, & opposer si nettement vérité & erreur, s'il avait pratiqué VHistoire et la Jurisprudence, il aurait appris 4 estimer la vérité du probable. La od il n’apercevait qu’un tissu. de fables, il aurait-découvert que ensemble des antiquités « sert non seulement pour la satisfaction des curieux, mais bien plus pour la conservation et le redressement de I'Histoire, dont les exemples sont des legons vives et des instructions agréables, mais surtout pour établir cette importante Cri- tique, nécessaire 4 discerner le supposé du véritable et la fable de I'Histoire, et dont le secours est admirable pour les preuves de la Religion # », Car Diew nous parle par I'His- toire sacrée et civile, par les sciences de la nature, et en notre for intérieur ®, Comme Descartes a ignoré Ia véritable ‘ire, il n’a pas su y reconnaltre le miroir de la Provi dence et une morale enveloppée — Historia Divinae prov dentiae speculum est Deumque nobis moralitate quaedam vestitum exhibet — : les vérités tirées de la matiére semblent montrer la présence de Dieu, l'immense ampleur des idées qui fallissent de Son Essence, mais I'Histoire civile, en laquelle il fau comprendre Histoire sacrée, semble montrer Pex- £74 Ved Beda w, Sechndorf 1x juin 1689, R. Mh, 1p. $33.5 2: A Vell Dad v. Sechendorf, 1 juin 1683, RT tp. $33.2 «Puto Deum non tantum in historia seca et civil aut etfam ature fobs loquy sede int in Mente nostra. > m8 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ‘tréme libéralité de Sa volonté *. L'histoire de Phumanité a un sens, elle exprime la vérité. Sans doute, puisque nous n’em- brassons pas l'ensemble, il y a pour nous du désordre joint 4 Ja confusion : « Il y a sans doute mille déréglements, mille désordres dans le particulier. Mais iJ n'est pas possible qu'il ¥ en ait dans Ie total, méme de chaque munade... il n'est ‘Pas possible que 'univers entier ne soit pas bien réglé... » ‘Aussi, cla vérité ext plus répandue qu'on ne pense; mais elle est trés souvent fardée et trés souvent aussi enveloppée, et méme affaiblie, mutilée, corrompue par des additions qui la gitent ou Ia rendent moins utile, En faisant remarquer ces traces de la vétité dans les Anciens, ou, pour parler plus généralement, dans les antérieurs, on tirerait I'or de la boue, Te diamant de sa mine, et la lumiére des ténébres; et ce serait en effet perennnis quaedam Philosophia. — On peut méme dire qu’on y remarquerait quelque progrés dans les connais- sances. Les Orientaux ont de belles et de grandes idées de la Divinité. Les Grecs y ont ajouté le raisonnement et une forme de science. Les Péres de I’Eglise ont rejeté ce qu'il Z,aait de mauvais dans la Philosophie des Grecs; mais les Scolastiques ont tiché d’employer utilement pour le Chris fianiame, ce quil y avait de passable dans Ja Philosophie les Payens * », Le fondement de I’éclectisme leibnizien réside done en la croyance & cette Philosophia perennis qui serait, si nous Ja possédions, connaissance de Etre, c'est-A-dire de !'Har- monic universelle des idées divines. Cette Philosophie, jus- tement parce qu’elle traverse les ans (per-annos), l'Histoire gnzévéle quelque chote, On ne sauraitsabsraire del Histoire, Earsque Leibniz reproche & Descartes avoir pillé les ‘oiciens, Saint Anselme, Viete, Kepler, Copernie, Gill Harvey, Snellius, etc. 5 lorequil accuse de vouloir « tase eroire quiil avait peu Iu et qu'il avait plutot employé son ‘temps aux voyages et & la guerre. C'est & quoi tendent les ccontes qu’il fait dans sa Méthode ®s, ce n'est pas seulement Pour attaquer la 'vanité du chef de secte : Vattaque porte contre la méthode. Ni en fait, ni en droit, on ne peut se Passer des autres. En fait, Descartes a regu a La Fléche 1. P. VIL, p. 139. — Gna, 7, p. 24: « Usus Historie ut divi srubernatonem iltayer. 3” 7 D245 * Ueus Historia wt divinam 2. A Renond, 12 fevrcr 1715, P- IIT pp. 635-636. & punta ab ote en Bell, pp tae ten ah tt it Fecko de besa Pe iit Comat. 6 iy '5. de C. : Nowoeles Lettre, ps 18. REVOLUTION ET TRADITION 19 une solide formation 3, « le style fait connaitre. sa lecture... Et les voyages lui donnérent 1a commodité d’étudier, de voir les bons auteurs et les habiles gens? ». En droit, ce serait faillir au principe de continuité (et soutenir une doce trine du libre arbitre ruineuse pour les notions mémes de Tentendement et de la volonté) que de prétendre 4 étre un ‘commencement absolu, Ce n’est pas que Leibniz condamne Ja recherche personnelle : il se flatte d’avoir été autodidacte et insiste sur 'avantage de ne pas suivre les sentiers communs. ‘Mais Pautodidacte s'instruit & la pensée des autres, et du jam inventum il fait invenienda®. Sa supériorité est d’aboutir ’ I'éclectisme, Comprendre la signification de I'Histoire au lieu de méconnaitre ce que nous devons & autrui et de faire révolution, voila Peaprit de la yéritable méthode. Si Descartes marque un progrés, il le doit, d'une part a son génie — et le génie est extérieur aux méthodes —, autre part aux emprunts dont il aurait di se faire une méthode au lieu de les dissimuler. En s’en faisant une méthode il aurait évité de parader en bateleur du doute contre le principe d’autorité, pour le rétablir en définitive par un esprit de secte encore plus stérile. Il serait contraire a I’éclec~ tisme d’admettre Vautorité d'un homme, d'une secte. « IL faut pourtant avouer qu'on ne saurait éviter en bien des rencontres de se rendre & l'autorité * » : par exemple, sur le témoignage des faits, ou devant les Mystéres *. Cependant, méme en Religion, une méthode de pure autorité n'est pas satisfaisante’, et l'on a toujours A montrer qu’il n'y a pas ‘contradiction’ admettre une proposition. L’erreur ou, mieux, peut-étre, Vinsuffisance du principe d'autorité est de se borner a une thése, de prendre pour un tout une vue partielle, Descartes, refusant la legon de Histoire, tombe dans cette erreur et cette insuffisance. Et voyez ce qui en résulte! 1. N. Eu IV, x 7) P. V, pp. 418-419 2 « Les scolastiques, sans excepter mémé leur docteur angélique, ont méprisé cet argument {de St Anselme)..j en quoi ils ont eu grand tort, et M. Descartes, Gui avait. étudié’ assez longtemps la philosophic, scoisstique a colitge de La Fléche, a eu grande raison de le rétablir. 2. F. de C., ibid, po 19- 3: A Wolf, 9 novembre 1705, 64. cit, p. 46: « Exo tantum abeat using jactem autotdactum, Ut pottus‘ellorum invents exetarum ‘me agnoseam ad nova inventa. » ; 4 A Nicaise, § juin 1692, P- If, p. $35 :¢...ce qui fait voir ou que erdiait plutdt son génie que sa Méthode qui lui faisat faire des découvertes, ou bien quil n'a pas publié sa Méthode » '. N.E. LV, xx, 17, P. V, p. 500. 8. Coutunar, Op,'p. 285. 7. Ibid, p. 183, 120 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES « Les sectateurs d'un tel auteur n’étudient ordinairement que Jes écrits du maitre au liew du grand livre de la nature; ils s‘accoutument au babil, & des faux-fuyants et a la paresse; ils ignorent ce quill y a de bon chez les autres et se privent des avantages qu’ils en pourraient recevoir, car ils sont tou- jours déterminés a penser 1a méme chose d’une méme fagon; ils ne trouvent jamais de vérités nouvelles, et cet esprit servil, qui les tient enchainés, fes rend dordinaire incapables de s'élever & des inventions et de faire des progrés de consé- ‘quence Rien n'éclaire mieux, dans leur esprit respectif, les métho- des de nos philosophes, que la comparaison du Ditcours, sixitme partie, avec le Plus Ulira ot Leibniz qui, manifes: tement, pence au Discours pour le combattre, expose, sus le pscudonyme de Guilielmus Pacidius, ses projets de instaura- tione et augmentis scientiarum?, Descartes, dirait Leibniz, montre bien cette « vanité de vouloir étre solipse ». Ou, pour parler avec un récent his- torien de la science, la sixitme partie du Discours est un « véritable traité du savant solitaire © », Certes, Descartes fait appel aux autres, « afin que, les derniers commencant ott Jes précédents auraient achevé, et ainsi joignant les vies et les travaux de plusieurs, nous allassions tous ensemble beau- ‘coup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire » (p. 63), Ecoutons mieux, S'il a besoin des autres, c'est que les expériences sont telles et en si grand nombre que « ni mes mains, ni mon revenu » ne sauraient y suffire (p. 65). Il n'y a lA qu'une difficulté de fait : avec dui temps ® et de f'argent, 2 F. de C, ibid et de bonne intention, KX p. 19. 2, Il faut y joindre ia Letire aw traducteur des Principe. 3, Les textes du Plus Ulira figurent en P. Vil, pp. 49-190. En sacle, le Dic touchnt Ue mdod deta eae ee Part ‘inventer pour fiir les disputes et pour faire en temps des ‘grands progres, pp. 274-183. ae 4: Bede C., Nowoeles Lettres... p. 289. 5. R. Luwonie : « Descartes dont on cite de trés belles phrases sur Vexpérience & faire en commun et le devoir que nous avons de Préparer pour nos neveux une science meilleuse, écrit pourtant, dans Je Discours de la Méthode (VIe Partie) un véritable traité au savant solitaire... » Histoire gén. d. Se. dirigée par R. Taton (Paris, 2998}, Il p, 386. . Ex dans la Lettre au traducteur des Principes, A. "T. 1X (B), B. 17 il écriraze et je nemesens point encore a vieil, jene me déhe point tant de mes forces, je ne me trouve pas ei éloigné de la connaise ance de ce qui reste, que je n’osasse entreprendre dachever eo desscin si jfavais la commodité de faire toutes les expériences dont Ch Mémoire pour des personnes éeluindes VOLUTION ET TRADITION wr Descartes pourrait se passer d’autrui, Les hommes « qui sont en effet vertueux et non point par faux semblant », c'est a-dire qui reconnaitront son génie, ui communiqueront des expériences, ’aideront en la recherche de celles qui restent a faire (p. 65). En retour, il Jeur dispensera la vérité., Qui parle ainsi? Le conquérant qui gagne des batailles (p. 67). Rétorquera-t-on que « plusieurs peuvent plus voir qu'un ‘homme seul » (p. 68)? Mais voir n'est point comprendre et inventer. Au surplus, continue Descartes, il est rarement arrivé « qu’on m'ait objecté quelque chose que je n'eusse point du tout prévue... » (p. 68-69). Ce sont ses expériences & lui, telles qu’il les congoit, qu’il veut qu’on exécute. Car « on ne’ squrait si bien concevoir une chose et la rendre sienne, lorequ’on 'apprend de quelque autre, que lorequ’on V'invente soi-méme » (p. 69). Les disciples faussent la pensée du maitre — ici Descartes semble répondre par avance 4 Leibniz. qui objectera & sa Méthode la stérilité de ses successeurs — et ils sont « comme le lierre, qui ne tend point & monter plus haut que les arbres qiui le soutiennent... » (p. 70) : aussi presque jamais n’est-il arrivé qu’aucun des sectateurs de grands esprits ne les ait surpassés, Loin done de solliciter une collaboration intellectuelle, il la repousse, car. « s'il y a au monde quel- que ouvrage qui ne puisse étre si bien achevé que par le méme gui I'a commencé, c'est celui auquel je travaille » (p. 72). Il écarte méme « les volontaires qui, par curiosité ou désir @apprendre, svoffriraient peut-etre de lui aider 2, mais qui ui cotiteraient trop de temps en se faisant payer par des explications, « ou du moins par des compliments et des entre~ tiens inutiles » (p. 72-73). En définitive, ce dont il a besoin, ce west pas de l'intelligence d'autrui, mais de mains artisanes et de sevenus pour pourvoir aux expériences. Ainsi nous Fetrouvons toujours la méme raison solitaire, stire de ses prin- cipes, source de toute vérité. Parle-t-il de « suppositions »? Aussit6t il précise : « Et je ne les ai nommées des suppositions qu’afin'qu’on sache que je pense les pouvoir déduire de ces premiéres vérités que jai ci-dessus expliquées; mais que Jai voulu expressément ne pas le faire, pour empécher que certains esprits... ne puissent de fa prendre occasion de batir guelgue, philosophie extrvagante, sur ce quils eroront éire mes principes... » (p. 76). Sil ne se vante pas d’étre le premier inventeur de toutes ses opinions, du moins les Jaurais besoin pour appuyer et justifier mes raisonnements » ‘Mais les dépenses sont trop grandes. Cf. Disc. VI, p. 76 2 am eb ‘que mon fige n’est point si avaneé que, «. r22 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES il toutes consacrées au rang de vérités par I'épreuve de la raison, c'est-a-dire par I'évidence et la place quil leur a imposée dans 'ordre de sa déduction, Par ses principes, par son ordre, cette philosophie se présente done bien comme entitrement inédite :& partir d’elle seulement, la science a un avenit. Mais que répond Pacidius? La science n'a pas ‘seulement un avenir%, elle a aussi tm passé I faut fermement réprouver ambition de ceux qui néprisent les autres, tanguam soli res magnas absolvere pos- Sint, La plupart des athrmations tegues: dans lee eeichces sont vraies, droites; nous n’avons pas & les abattre, mais A les faire progresser conjunctis in unum ommnium temporum et gentium studiis, Notre raison n'est pas solipse : elle appar- tient, pour employer Pexpressiou favorite de Leibniz, & la République des esprits & Il ne suffit pas de cultiver son esprit, « mais généralement celui des hommes ®», Descartes alle ton du capitaine lorsqu'll promet d’avancer « tous ensem- ble beaucoup plus loin que chacun en particulier ne saurait faire » (p. 63). Pacidius, en courtisan, s'adresse au souve- 1. On, notera, dans le Ditcours, que Descartes, contem ait pass et et ects dane haven cae payin rloe sient cari et rai que noo spine ae dowrene ends poe foia que le temps present, er quil et bon d omen les chore eat apporteraent peutete quelque prof ceur aut vivent tonae ee desocin en ae uses Guten apportentdavantgs so 2B, p 128, 5. Tha, Bao. 4: Deséaries‘en parle, ans employer Vexpression,& le Princes Biktabeth, mais sur'ie plan de in mote et hon de Ta colores fcienuinque et en sescrvant, en dcinitive, tes deoks ds sovine self fot fag cpr sqs Aa, papa. ben hacun de nots sot une personne Séparts dea'wuteer oF de ‘a consequent, les interts sont en quelaee fcon dene ee iested mone, on da tata pans qu Syn mur eves seul, et quion est, en effet, Tune des parties de Lunivers 126 octobre 1645, bid, p. 316 .« J'avoue quil ext dffcls ae meee crater ua on donne Sue ng nom tas le publics mate asseinestece pas tne chose em aos Toa cui te fort act | su de sina sa Cnacene on peut en cela donner beaucoup con inclination y ener Femtte& Dieu gui eaellemens etabl ordre dey cheney cont rapportit tout 4 soisméme, et reat arcune charee pour es gee il ne laisserait pas de s'employer ordinairement pour eux. . § Gron, ‘Top. 378. Ml. femier fur vor ¢que ies personnes aul ont seve, Snideale na Te stren Tmieue Cnpoyer ux depenses. qui servent & cultver Veapeit set Lake ae Dréciser en marge’! © non seulement Te Soon mal eae La seule it Ie leur, mais généralement REVOLUTION ET TRADITION 123 rain capable d'organiser, par écoles, académies, etc, la vie scientifique. La science doit étre une action en commun. Isolés, nous sommes comparables 4 une troupe de gens sans ‘chef ni ordre: « Au lieu de nous tenir la miain pour nous entre- guider, et pourassurer notre chemin, nous courons au hasar ‘Nous allons méme nous enfoncer dans les marais et sabl mouvants des doutes sans fin... Talibus in tenebris vitae tantis- (que periclis, il n'appartient & aucun mortel d’allumer un flam- beau capable de chasser cette obscurité; les sectes et les chefs de secte ne servent qu’ nous séduire comme les fausses Tueurs des feux follets..."». On’a reconnu au passage la dou~ ble allusion ‘au Discours, les « marais et sables mouvants des doutes sans fin » renvoyant & « la terre mouvante et le sable » (p. 29) du doute sceptique, et le « flambeau capable de chasser cette obscurité » au jour que Descartes se flatte de faire entrer dans la cave oit les philosophes de I'Ecole se battent ‘comme des aveugles (p. 72). Ainsi, le cartésianisme Iui-méme n'est qu’une secte de plus, et toute secte augmente l’anarchie, Loin de e rejeter la terre mouvante et le sable, pour trouver le roc et largile », Descartes, par son sectarisme, nous en- fonce « dans les marais et les sables mouvants des doutes sans fin. n'appartient & aucun mortel de nous donner Ia certi- tude : il nous appartient & nous tous « de marcher de concert et avec ordre ... de joindre nos travaux, de les partager avec avantage et de les régler avec ordre... il faut quitter Pesprit de secte et affectation de la notiveauté; i faut imiter les Géo- mitres, oil n’y a point d’Euclidistes ni d’Archimédistes * »... il faut organiser la recherche scientifique. De cette recherche en commun Leibniz, peut alors affirmer ce que Descartes affirmait de sa recherche solitaire. Le peu que j'ai appris, disait Descartes, n'est presque rien en comparaison de-ce que je ne désespére pas de pouvoir apprendre : «car c'est quasi le ‘méme d® ceux gui découvrirent peu 4 peu la vérité dans les sciences, que de ceux qui, commengant & devenir riches, ont moins de peine a faire de grandes acquisitions, qu’ils n'ont cu auparavant, étant plus pauvres, & en faire de beaucoup moindres » (pp. 66-67). Leibniz répéte la comparaison, mais ajoute : « Or quand on ne sait pas ce qu’on a et ne saurait s’en servir au beaoin, sent autant que ei on était dans Vindigence, et c'est Id Ja posture olt les hommes se trouvent a présent °». Non pas.un homme : les hommes. Ils ont entassé des riches- 1 BVI ps 57. 2. Sbid., pp. 158-159. 3: bid. p. 159. 324 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ses : mais en désordre, Ce qui se trouve de bon dans les auteurs est « couvert et obscurci par le désordre, par la répé- tition et par la multitude des inutilités..1» On ne rencontre pas seulement chez les auteurs « une infinité de belles pen- sées et observations utiles »; il y en a « encore bien phia gui se trouvent dispersées parmi les hommes dans la pratique de chaque profession *» : c'est méme la — et jusque dans les jeux des enfants — que, non enregistrée, se cache « la meilleure Partie de notre trésor §», Inventorions d’abord ces richesses, Pour en former une Encyclopédie, Rassembler, ordonner, doit étre la premitre tiche. Du méme coup, nous inversons Te mouvement trop déductif de la méthode cartésienne. Les définitions empiriques restant « provisionnelles », la science des faits ne peut paitic que du probable : il n'y a, en Physique, que la science des principes — Ia mécanique rationnelle, comme on I'appellera — qui puisse procéder avec une cert tude toute mathématique *. La méthode de I'Encyclopédie ne saurait donc que s'opposer & la méthode du Discours, qui se Yeut assurer d’une certitude définitive : elle imiterait plutét la méthode de la morale provisoire. Il faut agir. Nous n’avons as les premiers principes des choses qui nous permettraient de déduire la Physique par une méthode parfaite. Tl est rare ‘que nous puissions fournir une démonstration achevée. Par conséquent, «il faut se servir par provision d’un succedaneum de cette grande Méthode », et « ce ne sera que peu & peu & diverses reprises et par le travail de plusieurs, qu’on viendra a ces Elements démonstratifs de toutes les connaissances hhumaines ® ». En effet, puisque le monde est rationnel, la science se construira selon un ordre des raisons, des plus simples aux plus complexes : seulement, ces raisons, nous avons i les dégager en suivant la voie inductive, et elles nous sont imposées par les choses et non pas des idées soi-disant évidentes. Aussi, Leibniz invoque-t-il moins volontiers les Tongues chaines de raisons, que la chaine des démonstrations : « Lordre scientifique parfait est celui ot les propositions sont rangées suivant leurs démonstrations les plus simples, et de manitre qu’elles naissent les unes des autres, mais cet ordre n’est pas connu d’abord, et il se découvre de plus en plus & mesure que la science se perfectionne. On peut méme lire que Jes sciences s'abrégent en s’augmentant, qui est un 2 Bid, p. x78. Tait be a8 £ Ch plus loin, chap. vit 5.P. Vit, p28. REVOLUTION ET TRADITION 125, paradoxe véritable, car plus on découvre des vérités et plus on fest en état dy remarquer une suite réglée et de se faire des propositions toujours plus universelles dont les autres ne sont que des exemples ou corollaires, de sorte qu'il se pourra faire qu’un grand volume de ceux qui nous ont précédé se réduira avec le temps A deux ou trois théses genérales *, IL y a li déja, Popposition du xvme sidcle encyclopédiste & Descartes. Ne déduisons pas a priori. Observons. Rassem- bblons les vérités acquises. Dépouillons-les des ornements, formulons-les avec la netteté des géométres. Alors nous pour- rons « les ranger selon V'ordre de leur dépendance et des sujets ». Bien mieux : « leur liaison y parattrait d’elle-méme bientét,... insensiblement on formerait des Eléments de toutes Jes connaissances que les hommes ont <éji arqnises, qui niiraient pas moins & la postérité que ceux d’Euclide, et les passeraient méme incomparablement... » et l'on découvrirait tout d’une vue toute cette région d’esprit dja peuplée... 9» ‘Ainsi, toujours, 4 la révolution eartésienne Leibniz ne cesse dobjecter les exigences de I’évolution. Pour Descartes, un seul génie peut tout abattre, puis reconstruire en suivant Yordre des raisons. Pour Leibniz, le sujet connaissant est Vhumanité tout entire, non plus formellement, en tant que Ja raison métaphysique est universelle et la chose du monde a mieux partagée, mais objectivement, dans limmanence de Phistoire : loin de le restreindre & Tesprit d'un homme, on doit le définir par la République de tous les esprits, passés, présents et & venir, du savant dans son poéle jusqu’a Yenfant qui joue a laimant ou A V'arquebuse®, en passant pat les artisans, les charlatans, les voyageurs, ete: Le méme espoir conciliateur qui réve dorganisation ‘fédéraliste des églises cet dee Etats inepire chez Leibniz la méthode du progrés scientifique. Voila léclectisme. Diplomate, juriste, adminis- trateur, et non grand chef d’armée qui, ayant eu I'heur de son été en cing ou six batailles, croit n’avoir plus besoin d’en gagner que deux ou trois autres semblables pour venir entie~ Fement au bout de ses desseins (p. 67). La méthode cartésienne ‘est une méthode de libre arbitre qui se pose en commence- ment absolu, La méthode leibnizienne est celle de la liberté morale soumise au monde des idées et, par 1, au monde historique qui en est expression temporelle :.elle ne veut pas renverser, elle cherche 4 perfectionner. 1. Bic 2. Ibid., p. 158. 3. Tbid,, p. x81. . 180. 126 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Nous risquerons-nous & répondre 4 Ja question posée au début de ce chapitre? Cette réponse peut surprendre. Car ill arrive que le contempteur du passé et de la tradition, Descar- tes, devient celui auquel I’histoire de la philosophie doit Je plus, en sorte que sans lui la philosophie de I'Histoire ‘se congoit difficilement. Sans le mépris de Descartes pour THistoire, Leibniz n’aurait sans doute pas la place, au moins de précurseur, qui Iui est accordée dans la philosophie de THistoice. En effet, le résultat de la révolution cartésienne a bien été, Hegel en faisait la remarque, de mettre en évidence le déve- Joppement autonome de la philosophie. Autonome? Cela veut dire que la philosophic se sépare de la théologie. Le monde reconstruit & partir du seul Cogito n’a plus & exprimer le monde intelligible. La philosophie ne s'occupe plus que des essences existantes. Que vienne Locke, lecteur de Des- cartes, et nous aurons affaire seulement & des idées humaines. A Ja transcendance divine qui réglait jusque-la Varchitec- tonique de I’univers et, surtout, le cours de I'Histoire, succéde Yimmanence de esprit humain A la fois dans la vision du monde et dans la suite des progrés des peuples. En méme temps que la philosophie se sépare de la théologie, elle trouve dans les mathématiques le modéle de sa certitude. Que on approche la proclamation de Hegel saluant en Déscartes le héros qui a libéré la philosophie, de I’étude ot Léon Brunsch- wieg salue en ce méme Descartes le héros qui a libéré de la Jogique d’Aristote la déduction mathématique : toutes deux aboutissent la méme constatation, il faut dater du cartésia- nisme Ic développement autonome de la philosophic. Au vrai, le sens du mot philosophie n’est plus le méme: Hegel le lit en allemand, en post-kantien, tourné vers la métaphysiques Brunschwieg le lit en frangais, en héritier lointain de Fonte- nelle, et, plus proche d’Auguste Comte, tourné vers I’épisté- rologe: Mais Yambiguté est dans Descartes, deven, avec Kant, le philosophe du Cogito, comme il était surtout, pour ‘ses contemporains, le philosophe des Princi Or, on peut dire que Ie philosophe des et de Ia Géométrie 4 contribué plus qu'un autre & répandre Pidée du Progrés des sciences, La Querelle des Anciens et des Moder nes est son ceuvre. Tous les partisans des modernes sont cartésiens; tous ils s'appuient sur les progrés de la science. Cette science, ils la congoivent, selon les legons de Descartes, triomphante de l'empirisme, qui donne des faits sans raisons, REVOLUTION ET TRADITION 127 cet du conceptualisme, qui donne des raisons sans faits, grace 4 Tusage des mathématiques. Rien ne convenait davantage que histoire des mathématiques & imposer l'image d'un Progrés rationnel. D'autre part, ce progrés ne peut étre que synthétique comme le raisonnement du géométre, et en ce gpl neat plus contenu analyiquement dane une idée de ew. ‘Ainsi Descartes se trouve-t-il & Porigine des innombrables ‘Tableawx ou Esquisses des progrés de I'esprit humain qui, de Fontenelle A Condorcet, se succéderont tout au long du xvur® siécle, Esprit humain? La philosophie elle-méme, Ces tableaux ou esquisses ne nous peignent ni des princes ni des batailles; mais des philosophes et des découvertes. Un nouveau genre se précise, avec maladresse farfois, comme dane cette Histoire critique de la Philosophie par Boureau-Des- Jandes, disciple de Fontenelle, dont la Correspondance de Grimm écrira encore méchamment, en mai 1757 : « c'est Ja meilleure que nous ayons, parce que c'est la seule », sou vent avec intelligence, comme le Traité des systémes de Condillac. De toutes parts, sous influence principale de Descartes, les histoires des sectes s'effacent devant des hiistoires de plus en plus systématiques de Ia philosophie. Et cet esprit philosophique passe de Ia science, et des sys~ ‘ttmes, aux Essais sur les meeurs. Historien, Leibniz est jugé trés diversement par les spéci listes, méme sur des points particuliers? : de l'admiration, chez ‘Devillé, on passe & la condamnation, chez Fueter. Il ne nous a pis Iaissé un exposé d’ensemble de ses vues sur Phistoire de notre globe et de Phumanité — pas plus, d'ail- leurs, qu'il ne nous a Jaissé Ie grand ouvrage de Scientia infiniti oi il Ot exposé Te calcul intégral et sa philosuphie mathématique, Par profession, il a da se consacrer avant tout aux Généalogies et aux Chronologies, pour I’établissement des droits de la Maison princitre de Brunschwick, ou & des controverses sur Thistoire ecclésiastique pour mener les discussions politico-religieuses sur la réunion des églis Saluerons-nous en lui un précurseur de Voltaire et de Hume *? Bat Laon atl og Vidée Sinise économique? Ou xepond Davilé, pp, 600-010. Non, replique Conzey p. 40. "eam 'p Gor avant listove d'dngeie de Hume ex Tsar sur ier Movurs de Woltace, les, Armater Imperit sont dak soiree fa civilisation ot de la 20ci%e, en méme temps qu'une ire des princes et den Etats; de phis’ Lefbniz y 4 ecuaié lew ddans le Gétail et dune manitre extique :l a donné une uyre ae, 6-16 aodt 1694, ibid, p. 249 — « je ne Vou dais pas dire pour cela que nous voyons tout en Dieu. C'est comme sion disait que lea yeux voient les objets dans les rayons du soleil», say Mee de Comntione, did. «.. respondentes ad id ipsum quod in Deo perciperemus.. 14. A Amauld, septeinbre-octobre. 1687, P. TI, p. 112 : « Lier pression est commune a toutes les formes, et c'est un genre dont Ia perception naturelle, Ie sentiment animal, ct la comnasanceintele [ectuelle sont des expices. » 5, Au P. Mesland, 2 mai 1644, A.'T. IV, pp. 110 89, ('amecom- parde & la cite). — Quid st Ideo, P. Vii, p.'263. 6. Elementa... p. 128: Idea est differentia cogitationum ratione object... ». Cette modification ne réculte pas seulement de union Ame-corps, elle a lieu in ipsis cogizationibus. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 143 cogitantur est méme un fait premier que Descartes aurait da ranger & cdté du cogito, — premier, car si les identiques négatives (A n’est pas non-A) se soumettent au principe de contradiction, les disparates (A n’est pas B) se peuvent «assurer indépendamment de toute preuve ou de la réduction 4 Toppesition ou au principe de contradiction * », Enfin, Tidée, dans le rapport 4 I'idée qu’elle représente a une réclité objective adéquate ou inadéquate : et pas plus pour Descartes que pour Leibniz, on ne saurait toujours distin- guer clairement la sphére des significations et celle des objets, "Mais pour objet immédiat de notre connaissance que soit Vidée-expression, elle ne présente aucun des caractires qui rendent évidente l'idée cartésienne, Les conditions de Pévi- dence cartésienne exigent que T'idée soit passive, actuelle- ment présente, instantanée, donc saisissable par un acte simple de esprit, et — nous étudierons & part ce dernier caractére — tout’ fait distinguée de imagination. En effet, un quasi-dualisme sépare, chez Descartes, de Yentendement passif la volonté active. Connaitre, ce n'est pas agir, ainsi que l'enseigne Aristote, c'est vir’. L'idée offre une passivité comparable 4 celle de Pempreinte dans la tire, & celle, surtout, d'un ubjet de vision (tableau, image *). Elle laisse Pactivité de Vintuitus ou de Ia volonté aussi libre que Pactivité du regard. Il n’y a aucune proportion fonction- nelle entre la passion de Vidée et I'action de Ja volonté qui s'opposent absolument comme le repos (absolu) au mouve- ment. Tournons-nous vers Leibniz. S'il note, contre Spinoza, ideae non agunt. Mens agit, cest aussitdt’ pour expliquer 1, H, Henmsorrst : Die Methode, der Brkenntnis bei Descartes snd Leni ote 2, pp, 227238. L'uteurvétre & P. Vy DP. 2 3B, VIT, pp. 228, 296 sa.5 COUTURAT, p. 193. . 3435 Tha, ~"Bour Bescasten, voir Jean Whi Tableau de la ix losophie frangaise (Fontaine, £4, 1946), pp. 229-290 + pour Des~ cartes, Hidée est tantét Vobjet méme, théorie qui donne naissance ia. conception d’Amnauld, de Berkeley et répond_ sux afirmations de" James, de Berguon, des empirico-criticates, des néo-réalistes; tantbt la téalité objective. et Ta représentation méme, séparée de objet, et c'est la théorie de Malebranche, Pannonce de Vintention= nalité phénoménologique ou du séalisme critique américain. AVOIr nai « exprimé les deux conceptions fondamentales et antinomiques, du réalsme, c'est encore une des grandcurs de Descartes, pire ce vee Taroees «Ee rationalione de Descartes, pp 4 . J, Laronre : Le rationaliome de PB. 2, 25, 3 ic BE Mittens foes et Prine et 380 — Med: Hh Ter Passions, ae. 17-20. 144 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES que toutes les ames pergoivent le méme monde! : Tidée a Ia passivité d'une expressio. Or Vexpression garde avec Yexprimé un rapport soumis au principe de continuité inconnu 2 Descartes. Entre expression et exprimé régne la méme relation fonctionnelle qu’entre perceptio et appetitio A toute variation de l'une correspond une variation pro portionnée de l'autre, et réciproquement, ce qui revient & dire que la perception est active, L’idée n’est plus l'objet absolu- ment passif — le repos n’étant, du reste, pour Leibniz, qu'un mouvement « embryonné » — d'une intuition gui ne peut étre.qu’actuelle. Elle est Ia faculté de penser un objet Jorsque Voccasion en est donnée : Idea enim nobis. non in quodam cogitandi actu, sed facultate consistit, et ideam rei habere dicimur, etsi de ea non cogitemus, modo’ data occasione de ea cogitare possimus®, Au théme acte-puissance, venti @’Aristote, s'allie le thme du Ménon : Leibniz ne parle plus de Vidée autrement que du souvenir et la rattache au monde intelligible par Ia réminiscence’, Insistons sur activité de Pidée. Des « deux vérités géné- tales absolues, c’est-a-dire qui parlent de lexistence actuelle des choses, Pune que nous pensons, autre qu'il y a une grande variété dans nos pensées », Descartes a négligé Ia seconde « dans ordre de ses méditations * », Cependant, il suit de cette variété qu'il y a, hors de moi qui pense, autre chose que moi §, Pas plus que I’état d’un mobile, en repos ou fen mouvement, ne change sans raison — c’est le principe d'inertie, — pas davantage « cette variété de pensées ne sau- rait venir de ce qui pense, puisqu’une méme chose seule ne saurait étre cause des changements qui sont en elle® », . A propos de Ethique, Livre 11, pro. rs0-158 ‘ panes B Higa, Liyge Tl, prop. X11. PT, pp. 1g0cst. , Lee thémes sont, en réalité, plus nombreue. A Paris, Leibniz 4 Skcouver Fie de'fonction én'mathématique, Techirshaae Ik arte de Spinoza qu'il rencontre en novembre 1676. Il it PEthigue— par ex I, det. 4, expliestion ‘'¢ Dice, ptias concepturm usm perceptionem, quia perceptionis nomen indicare videtur, Mente ab objecto pati; at concepts actionem Mentis exprimere videtuz. >= Le Quid sit Idea fait écho la rencontre avee Spinoza. ‘4. A Foucher, 1676 (9, loc. cit. §. A la difference de Leibniz, Descartes : 19 prend le seu! Cogito pour veh promlbra, Ta sardd des pester eka exons gee Prouver Fexistence du monde extéricur, qu’d ia fin dea Médizationt 2° In varitas n'intervient alors quiaprés le sentiment de contrainte; Alla contrainte — écrit M, Guenourn, Dercarteta., t. 11, p. 104 — Ja révtlation de Vexistence des chotes matércles; i a diversité des qualité, In révélation eertaine de Vexistence dee diftérences dans LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 145 Cette critique nous raméne au probléme deT’un et du multiple, Leibniz le résout en deux temps. D'abord, la variation des sees exige comme cause une multiplicité agissant sur Pame pensante qui est un plicit térieure 4 Punité. Mais la perception. exp Tunité et, dans le systime achevé, V'idéalisation de espace rendant Ia causalité idéale, on peut dire que la monade tire tout de son propre fonds : cette fois, I'unité implique Ia multiplicité, Comme la moindre variation dans l’univers Sexprime dans toutes les substances par une variation proportionnée & leur point de vue; et comme cette variation Proportionne en chaque monade’ appetitio et perceptio, le Tapport du Cogito aux cogitata est d'une tout autre nature thee Leibniz que chez Descartes, Il ne suffit pas d’invaquer Vintentionnalité du Cogito, fait-ce sous le nom de « perspec tivisme! » : Arnauld y a recours sans étre pour cela leib- nnizien ®; et Husserl se reconnatt mieux en Descartes que dans Leibniz®, Le sens que prend Vintentionnalité dans le con- texte de la Monadologie se définit par la doctrine de expres- sion, qui lie, avec Pexactitude d'une fonction analytique, ‘appetitio & perceptio, cogito & cogitata, Le jugement ne garde plus l'indépendance que lui attribuait ‘Descartes, L'idée devient au jugement ce que la perception est a ’appétition. Tis ne font qu'un. Le volontarisme cartésien distingue, dans Je doute, ce qui concerne Vintellect et ce qui concerne la volontéé, il note que dune grande lumiére dans V'intellect suit une grande propension dans Ia volonté *: mais le libre arbitre peut toujours résister A cette propension & croire et maitriser le jugement. L’intellectualisme leibnizien tient « que juger nest pas proprement un acte de volonté », encore « que la volouté peut contribuer beaucoup at jugement * ». Avoir une idée et juger sont fonction l'un de Vautre : & idée de simple monade, jugement de simple monade; & idée de monade x. D. Manas, op, cit., Binleitung, §3,p-317 1d-p.485,—Renvoie a Bieranes Genus Gi to) 15718, 18) 26, 30 de la Monadalogie. 2. A. Anwauta : Des uraies et des fausses idées, chao. Uh Pe 381. (Gures phil. A, €d, C. Jourdain, Paris, 1843) «Comme done il ese clair que fe pense, il est clair au ‘ cal Que ie as aunt que je penne avelgue chose car Ja pensée est essentiellement cela. » ‘3. Lvintersubjectivité husserlienne est plus proche de Kant que de Leibniz, 4. A Buitendiick, x643 (2), A. TATV, p. 62, §. Au P. (Mesland], 2 mai'1644, ibid., p. 116. F 6. A 'Foucher (1686) P. T., p. 384. Cf. Animad. J, artic. 32-355 39) 753 1, 146 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES intellectuelle, jugement intellectuel ?; le degré de clarté est Te méme pour Vidée ot Pour le jugement, en sorte qu’ l'idée inconsciente correspond un jugement inconscient, par exem- ple dans le plaisir de la musique: dont les rapports déter- ‘minent en nous un calcul imperceptible? On pourrait employer Ja formule kantienne : penser, c'est juger. Mais en un autre sens. Car pour Leibniz comme pour tous les philosophes pré-kantiens, le jugement constate, il ne constitue pas les choses, C’est en cet autre sens qu’il faut traduire Cassirer lorsque, contre Descartes coupable davoir fait de Pidée une representation passive, il félicite Leibniz d’avoir ramené & leur source, le jugement, les déterminations de la représen- tation et du concept * Cette source fait I’activité de Vidée. Liidée a un mouvement, une direction, Si j'énumére par ordre les sections du cdne, je ne manguerai pas d'aboutir & Ja connaissance des hyperboles opposées, bien que je nen eusse pas d’abord Vidée. Il y a donc en moi quelque chose qui non seulement me conduit 4 cette idée, mais encore qui Pexprime ¢. Ce qui ad rem ducat, formule qui n’a rien de Kkantien, est 1a facultas cogitandi, 'c'est-i-dire judicandi 8, Ce qui rem exprimat est la facultas recipiendi par ol se définit Ja passivité de Tidée exprimant la multiplicité infinie des monades, dans les propositions existentielles, ou celle des Idées du monde intelligible, dans les propositions essen- tielles. Ainsi Vidée selon Leibniz ne s'offre pas a V’évidence comme I'dée selon Descartes, A la passivité objectale de 3. Nova Methodut.: § 31, loc. cit. p. 176. Par opposition aux animaus, « hominiimaginatio nunquin est ane aligua reflexione > RASS oir NE. 1, 11, 1, 4, 10; Med de Cogn. js Be Cassiner : op. cit, p. 376 : « Bei Descartes selbst hat sick dic Tdce nus cineinInstnsent der Erkenmens icin passes ‘Vorstellungsbild verwandelt, Dagegen hatte Leibniz” Logik damit egonnen, die festen Bestimmtheiten der Voretelling und des Begrifis auf ihren Ursprung im Urteil zurickauleiten, » L’auteur renvoie la Correspondance avec de Volder, P. II, pp. 172, 184, ou avec Woll, p36, et conclut quily'a chte Leiba un appro: fondissement du ‘Cogito cartésien. — Mais, objecte D. ‘MAnNKE, $2. cit» B. 366, Leibniz ne parle pas de Vactivité de Pesprit au sens Kantion ob Fentend Cassie, sondern in metaphysiech-realistischen 4 Quid se Idea, B, VIE, p. 263. — NBT, 1,5, ; Si teaprit « reval’ Quo a simple capstie de recevoie exkeet Tame eres hl ep, wea ee se cole qu’ i cge de reevoir det figures‘ a table rae de N.ELT, 1, 5,P. V, p76. t pas la source des vérités nécesoaizes % LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 147 cette derniéce stoppose Vactivite expressive et judicatoire de la premigre. Das lors, Pactualisation de lidée'n’est plus Ja méme chez nos philosophes. Chez Descartes, c'est un contenu de pensée qu'elle vise et elle n'est pas plus for- melle que Pactivité du regard; chez Leibniz, c'est une forme Ge pensée qu’elle organise et elle devient unalytique. En effet, chez Descartes, Vidée est_déja 1a, dans l’entendement, jmmuable, définitive : il suffit de se tourner vers elle, de Ia considérer comme il faut, de la débarrasser de ce qui n’est pas elle, Ia confusion qui vient du corps. Lactualisation, eeuvre non de lentendement mais de la volonté, consiste & accommoder l'attention sur l'idée : cependant, Vidée n'est pour rien dans la prise de conscience dont elle est objet; tn 20), telle qu'elle se manifestera A I’évidence, elle ne com- porte ‘rien dinconscient. Chez Leibniz, actualisation, Bien que la volonté y contribue, est 'euvre de l'entende- ‘ment out s'exprime un archétype divin; la confusion ne pro- vient plus du corps, substance étrangére & l'esprit, mais de Ja limitation inhérente & toute créature, elle est essentielle 2 tout contenu de pensée; et comme, enfin, Vidée, ayant fa source dans le jugement, est dynamique, elle s’actualise, non toujours sans effort et attention de notre part, mais Aelle-méme, cest-A-dire selon sa propre loi analytique. On comprend donc que Leibniz s'oppose & Descartes et sur Vinconscient et sur P'innéité. En Locke, il a décelé, & juste titre, un lecteur de Descartes : A travers Locke, examen attentif des textes le démontrerait, les Nouveaux Essais cher- chent atteindre le cartésianisme® Y a-t-il place pour 1 P.Y, p. 78 tg. souvent Ja diffiultéguil v4 dans Ja formac tion expresse des vérités dépend de celle qu’ll y a dans la formation ‘expresse des idées »; et, p. 72: * Lraperception de ce qui est en nous dépend d'une attention et d'un ordre... »5 ete. 2, A seul titre indication, que Yon reprenne, P. V, pp. 4t~ 46, les cing premitres pages de la Préface, qui posent le’ probléme our conduire, p. 45, & affirmation du virtuel et, par 18, p. 46, de Tinconecient. P. 4r, Leibniz. se réclame de Platon + (of, depuis le séjour A Paris, Platon sert d’objection contre Descartes, Par'ie théone Gu monde’ ineligible, par le savoir-éminiscence, Bar Hexigence dele fnalté.P. 43, ia rtérence A saint Paul, Rom, Be fg leprae p. Say a0 trouve set A, TT, p. 1453 apsia, de Jokes Stalin + comme des inca Fae corte du fas», rappelle. Copilationer Priv aut inno sina sine tn iiosophig educuntur, per irsaginationer & poets Exeutintur magieque elucent. »P. 43) on ne it pas dane Pm Tes {oe de is ranons | eve ouvert, comune Pedie du préteur te Ii sur B28 Sfinim's semble fare écho'a tin fragment, Ax'T., XI, p. 685, Shnoté par Leibniz de le fapon suivante # © non “bis per 448 “LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES une doctrine de Vinconscient chez Descartes? Oui, au dire de Jean Laporte : il tient compte des pensées auxquelles on. ne réfléchit pas, s’évanouissant sans laisser aucun souvenir, et « ressemblent fort aux « petites perceptions » de Leibniz »; 4 ce subconscient s'ajouterait V'inconscient proprement dit, 4 savoir — outre certaines facultés de l’ame, en tant qu'unie au corps, par exemple celle de diriger les esprits animaux — des facuités de ame seule : les habitudes et la mémoire intellectuelles, tout le fonds inné de notre esprit, Nous aurions done affaire d'une part A des idées inconscientes, autre part & des facultés inconscientes. A propos de ces facultés, Descartes, aprés avoir affirmé « ... qu'il n'y @ rien dans notre esprit dont nous n’ayons connaissance x, ‘ne pré- cise-t-il pas : © ce que jai entendu des opétations, et lui (Arnauld) le nie des puissances », en remarquant « que nous avons bien une actuelle connaissance des actes ou des opéra- tions de notre esprit, mais non pas toujours de ses facultés, si ce n'est en puissance... »? Cependant, des idées passives ‘ne sauraient étre inconscientes que selon I’acception négative ‘ot: 'on emploie le mot pour un objet hors du champ mental, dont on ne prend pas conscience : un tel inapergu n'est pas Vimperceptible de chaque gouttelette infinitésimale de la vague. Quant aux facultés en puissance, identifier sur ce point Descartes 4 Leibniz, ce serait oublier que I’inconscient dynamique de la philosophie leibnizienne ne peut étre congu que par !a doctrine de expression ®, le rappel de Pidée au sein ales a atorninoeaaames! sya soe get lun ment oes nae dei SE orn te Veni comet eee ne Sree pe eto sue | i, i En cere ctan tate Angee ah nono eeiiea ep aacitia, cat een eg métaphore fameuse d’Arnauld, Des vraies et des fausses idées, chap. xv, sur la figure de saint Augustin que le sculpteur devrait tirer du Marbre indifferent, et Dise, Meth. p. 17, aa aujet des Vong Sag le nh Pe Mah a ee oe malaisé de les en séparer, que de tirer une Diane ou une Minerve Guns demi ne po ee meh apn reo ata, " AE se ranch cone didactic coe ee re aa tao eo gr maa en tn M. Koynré : Un mystique protestant, Maitre Valentin Wee Paris, 1930, pp.”a1, 32 et note 1); Descartes (ef. chap. vit, en théorie de 8, See ean ee ee, atisation de Vidée d’expression, c’est-a-dire dans l’exac~ IA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 149 jugement, le principe de continuité, qui sont ignorés de PEscartes, Disilleurs, Leibniz généralse lo virtuel & toutes les idées et vérités innées, parce que, contre Descartes, il se réclame de la réminiscence platonicienne qu’il fonde sur une Jogique incréée : elles nous sont « innées comme des incli. nations, des dispositions, des habitudes ou des virtualités naturelles, et non pas comme des actions, quoique ces vir- fualités soient toujours accompagnées de quelques actions souvent insensibles qui y répondent »; c'est ainsi que « toute Parithmétique et toute la géométrie sont innées, et sont en nous d’une maniére virtuelle? », En résumé, si nous consi- dérons l'idée en nous, il appartient & sa nature d’expression envelopper toujours quelque confusion ou inconscience inhérente & Ia limitation, comme il appartient & eon dyna- misme de nous engager dans une régression 4 l’infini : nous ‘commengons & soupsonner que l'évidence, chez Leibniz, ya déserter le contenu pour passer & la forme. Nous n’avons encore fait qu’en amorcer la preuve. Liintuition cartésienne exige un esprit intuitif. A stricte- ment parler, Leibniz nous le rappelait tout a I’heure, ce pri- vildge est réservé & Dieu : Dieu seul pense tota simul Pessence du cercle, que nous ne pouvons penser que par partics. IL est vrai que Descartes en transposant & Phomme un sens du mot idée que la scolastique employait seulement pour Dieu, tendait 4 diviniser notre connaissance. Pourtant, nous ne sommes pas éternels, nous vivons dans le temps. Pour que Pintuition, pour qu’un acte absolument simple de Pesprit, sans lequel s’éparpillerait I’évidence, devint possible, il fallait donc le limiter 4 un instant indivisible. Nous étuc rons dans un prochain chapitre la théorie cartésienne du temps. Mais chacun suit comment Descartes a lié indissolu- blement entre elles les trois notions de vérité, d’instant et @intuition : ion mesure Vinstant, Vinstant mesure Vactuel, Pactuel mesure le vrai dont je puis répondre avant méme d’avoir prouvé existence de Dieu; et, réciproquement, si Yon se place dans Ia perspective du réalisme, instant mesure ['intuition, actuel mesure instant, c’est-a-dire que le temps est discontinu, et il ny a de vrai que Pactuel. titude de fonction analytique qui lie par un rapport réglé et cons ‘tant expression & Pexprimé. Parla, la théorie de expression devient ‘un argument contre Varbitraire que Leibniz impute & Descartes dans le rapport de nos idées a celles de Dieu — cf, au P. Des Bosses, septembre 1706, PII, p- 314 — ou le rapport de nos perceptions 1. NE, Préface, P.'V, p. 453 1, 1 §, ibid, p. 73+ 150 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES De toute facon, Mévidence implique une doctrine indivisibles dont chacun, pris & part, f Au contraire, Leibniz, 4 peine a-t-il découvert son calcul que — dailleurs, dans esprit du livre IV de la Physique @Aristote? — i interprite instant en diftérentielle, ‘co qui rend le temps continu 2, Par conséquent, Dieu conserve Ie privilége de Ja véritable intuition, Cest-i-dire capable de fonder le vrai et d’étre fondé sur le vrai. Notre intuition n’a pas la portée ontologique que prétend lui accorder Des- cartes. Sa simplicité a seulement une portée psychologique. ‘Liévidence & Ia cartésienne ne peut étre qu'une apparence. Revenons a V'idée, Nous laissons toujours de cété Pidée existentielle qui importe moins & une critique de l’évidence. Abordons, pour I'analyser, le contenu de I'idée rationnelle. ‘Une remarque se présente tout de suite. Descartes a exclu Je monde intelligible; Leibniz ne se borne pas a maintenir ce monde, il fait plus, il en mathématise Ie rapport 4 notre entendement par Ia théorie de expression. Qu’en résulte- til? Que limplicite ne peut avoir exactement le méme sens pour nos deux philosophes. Ce que contient P'idée en Diew du cercle ou du triangle ne s'exnrime pas, chez Descartes, dans Vidée que j’ai du cercle ou du triangle : par conséquent, Vidée divine peut contenir des propriétés qui non seulement ne nous seront jamais révélées, mais encore qui n’aient aucune espice de rapport avec lidée que Dieu a imprimée dans notre entendement. Dés lors, on peut se demander si limplicite n’a pas surtout une signification synthétique. Le théoréme sur Ia somme des angles est contenu dans I'idée évidente q ai du triangle : mais ne peut y étre contenu qu'aprés avoi trouvé le théor’me. Le théoréme de Pythagore est, aussi contenu dans Vidée que j'ai du triangle rectangle "encore faut-il que je connaisse ce théoréme; mais une fois que jc Te connais, je ne peux plus penser 4 la propriété énoncée par ce théoréme en la niant du triangle rectangle, alors guiinversement je puis avoir Vidée distincte d'un triangle rectangle sans penser au carré de I'hypoténuse®. En bref, @une figure aussi simple que le triangle nous ne pouvons avoir une connaissance adéquate : « Quand méme nous démon- trerione tous leo attributs que nous pouvons convevoir, néanmoins, dans mille ans, si vous voulez, un autre mathé- woe aimabs. 2, Voir, dans Courcrat, Op, op, so46or, le Pacidius Phila eth Nous svone analysé cet opuscule dans note Labn's a it 3: Wames Reponses, loe. et, pp. tya170. TA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 152 maticien y découvrira plus de propriétés que nous, si bien {que nous ne sommes jamais sirs d’avoir compris tout ce que Von y pouvait comprendre... »1. Entendu_positivement ainsi qu'il convient, par exemple, quand il s'agit de Pinfini de Dieu que nous ne devons pas enncevoir comme négation de limite, et, en général, chaque fois qu'il s'agit dune connais- sance vraiment actuelle, c’est-A-dire évidente, le mot com- prendre chez Descartes zetrouve le sens synthétique de I’éty- ‘mologie (com-prehendere) : il signifie « voir ensemble ». Or nous ne pouvons « voir ensemble » tous les éléments de Ta moindre chose : nous n’en avons jamais le concept adé- quat®. La méme affirmation, dans les mémes termes, sera reprise par Leibniz. Seulement, chez Leibniz, comprendre signifie analyser * et, surtout, puisque T'idée que Dicu a du triangle s'exprime en moi, il faut que soient contenues analy- tiquement dans cette expression toutes les propriétés du triangle et que, connues ou inconnues, connaissables ou inconnaissables par nous, elles y aient toutes leur effet : et c'est pourquoi I’idée se définit par le pouvoir de « retro ver », selon la lecon du Ménon, des propriétés du triangle, yuand l'occasion en est donnée. De cette conception résulte ez Leibniz une exigence d’analyse plus impérieuse que chez Descartes. Sais-je si, en poursuivant T'analyse, je ne décou- vrirai pas un caractére qui, & lui seul, m’obligera & changer espace le défini £? Aussi est-ce un des thémes de la critique leibnizienne que de reprocher & Descartes de ne pas avoir poussé assez loin V'analyse, Par exemple, & propos de Vidée, soi-disant évidente, de l'étendue. Significativement, dés le premier contact avec Malebranche, la discussion, 4 ce propos, achoppe sur l'emploi d’un des principes d'évidence carté- siens : deux choses réellement distinctes peuvent étre enten- dues parfaitement I’une sans autre. Ce principe, Leibniz ‘commence par le traduire en langage de logicien — entendre parfaitement une chose, c'est entendre tous les réquisits suffisants & la constituer — pour contester ensuite que tous les. réquisits de l'une des deux choses distinctes puissent toujours étre entendus sans les réquisits de autre ®. Alors done qu’il aura air de répéter aprés Descartes que les hommes ne sauraicnt sana doute donner un exemple parfait (perfer~ tum) de connaissance adéquate, celui des nombres ne faisant 1, Baran ave Burman 8. B58 2. Quintae Resp., A. T. VII, p. 365- 5 Bie Gogh Roi et Raivon $6 35, 59, 66. ONE Tih vn.3d, PV. pp aor-ase EA Malebranche (Paris), Pe Y, pp. 322-323. 152 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES gue fort approcher (oalde ad eam accedit) d'une analyse ad finem usque producta }, ce sera dans une tout autre perspec- tive, L'idée du nombre ne nous offre qu’un exemple approché dabord parce que la définition euclidienne de lunité numé- rique (Einsheit), sur laquelle nous reviendrons, n'a de sens que par Tidée ‘de tout et d'unité métaphysique (Einkeit). Bova parce que, Tidés lant une exmeseons ik ya plu sicurs expressions ‘d'une méme essence divine : Pintuition que nous avons de x n’est plus la méme selon que nous le Pensons comme unité réputée simple, ou selon Pégalité i i+ "4 + 3 + .u5 Ia premitre pensée porte, ou semble Porter, sur le contenu de Iidée, et semble donc justi- fier la régle cartésienne de I'évidenve, 12 seconde pensée concerne une genise, son évidence est celle d'une opération Jogique distincte. Le contraste des deux évidences est plus frappant encore lorsqu’on passe du désordre confus ‘des décimales de x & ordre distinct proposé par la série de 7 — + =: +.» Cependant, continue Descartes, ‘une « connaissance entidre et parfaite » de Ia chose, privil de Dien, n'est pas requise pour en avoir Pidéc ie distincte : il suffit de la concevoir assez distinctement pour savoir qu’elle est compléte?. Certes, précise Descartes, ces expli- cations intéressent la connaissance des substances par leurs attributs etnon celle des modes comme sont les figures, mades de Pétendue®; néanmoins il les applique, par analogie, aux idées du cercle et du triangle rectangle. De méme done que, conformément 4 ordre des raisons, je puis concevoir le genre sans l'espéce, mais non V'inverse, de méme je puis concevoir aisément (facile) la figure sans penser ati cercle bien que l'intellection de 12 figure en général ne soit incte que rapportée & quelque figure particuliére — mais. non Vinverse. Si au lieu d’une idée générale je pars de Vidée distincte d’une figure tel le triangle rectangle, je le congois Aistinctement sans le théoréme de Pythagere, encore ue 4, Mel de Con PIV, 94g —N- Mxem, PV; p73 efuMlbed Gun? Dip tet N. Bla, PV, pags guint acaba tli, laure es ecm) ec 3 She peace arden wom dotnet ot EE eae REE Soren pp sae LS eRe Cogs GEO PBI Oe le iy far ag Sd fli eh 3. Ibid.,-p. 174; ibid., p. 224. ees LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 153 ce théoréme une fois connu, je ne pourrais, en le niant, avoir une idée distincte du triangle rectangle +. En résumé, «je ne nie point qu’il n'y ait des choses en Dieu que nous nientendons pas, ainsi qu'il y a méme en un triangle plu- sieurs propriétés que jamais aucun Mathématicien ne con- naitra, bien que tous he laissent pas pour cela de savoir ce qu’est un triangle ». Leibniz n'accorde-t-il pas tout cela? Ti ne dit pas que pour connaitre parfaitement® une chose, il faut en connaitre tous les réquisits, il dit qu'il faut en connaitre « tous les réquisits suffisants & la constituer » Si, comme Venseigne Aristote, nous ne pouvons connaitre parfaitement une substance individuelle, c'est que, le nombre de ses prédicats devenant infini, il y a une telle disproportion. entre infin’ et le fini, que nonk ne saurions déterminer quels prédicats et en quel nombre suffisent a en constituer Ta définition, Dans Ja pratique, la science n’en demande pas tant, et il n'est pas toujours besoin d’achever I'analyse pour démontrer des théorémes *, Mais, justement, cette remarque a si peu un sens cartésien que c'est Descartes qu'elle atteint a travers Pascal. Car I’ 3 sceptique de Pascal — on ne peut tout définir jusqu’a la demnitre analyse, c'est-a-dire jusqu’a la dernitre évidence — n’a de valeur que si Von identifie, avec Descartes, la certitude & l’évidence, Mais si Ia certitude se dissocie de I’évidence cartésienne, alors il suffit de savoir que les caractéres inclus dans une définition imparfaite ne sont pas contradictoires et appartiennent réelle- ment au défini, pour déduire avec certitude, 4 condition de ne comprendre rien de plus dans la définition que ce que nous y avons mis®, Au reste, revenons. Descartes explique 4 Mersenne que, sans avoir & en connaitre toutes les propriétés, les mathématiciens ne laisscnt pas de savoir ce que c'est qu'un triangle. Mais ils le savent par une de ces intuitions si claires qu’on les obscurcirait & les vouloir trop définir. Et pourquoi? Parce que cette intuition embrasse des natures simples. Or, une nature simple est, pour Descartes, absolu- ment primitive. En. effet, bien que Dieu ne me révele pas x. Ibid, pp. 173-176; tid. pp. 223-227. 2, A Aterennd, 31 decembre 1640, Ac 7. TH, p. 274 — Cf fe. 3. € Pajoute ce mot parfaitement, explique-t-il a Malebranche, lo ita pr a2, parce aye fe le erois conforme & votre sentiment. ¢ “¢. Elemeita Dhl, op. eit, p. 108 + « Non est semper opus re90~ Iutione ad ultima pro demonstrandis theorematibus. » Cf. P- 72, Da 104. 5. ciadestous, p. 162, au sujet de Pascal. 154 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES tout ce que contient pour lui une notion, du moins serait-il contraire A la vérité divine — et, par li, & économie de tout le cartésianisme — que ce qu’il m’en révéle, il ne me Je dévoile pas tel qu'il est. Sans ce dévoilement, dans leur vérité absolue, des natutes simples, I’évidence perdrait sa ‘verité métaphysique. Leibniz n’a pas besoin, pour assurer sa certitude, de remonter & I'intuition de termes absolument primitifs, if suffit que les « indéfinibles » soient primitifs quoad nos. La théorie de expression ne s'appuie pas sur la croyance a la véracité divine, elle s'appuie sur la croyance en une logique incréée. I suffit que nous convenions avec Dieu dans les mémes rapports. Ce qui importe ce n'est plus I'in- tuition du terme, ‘mais de la relation, Ainsi pouvons-nous dire : nous connaiesons tous leo termes d’unc aéric, dés que Nous conndissons la loi de la série; si les infinitésimales sont imaginaires, leurs rapports, qui ne le sont pas, peuvent déterminer le réel #; les rapports entre nos idées sont com- parables & ceux qui régnent entre inassignables*. Nous navons plus & remonter & des termes absolument primitifs dont le contenu ontologique nous serait garanti par Ia véra- cité divine : ceux auxquels nous nous arrétons sont primitifs «A notre égard *», « négativement » parce que nous ne pouvons pas discerner « jusqu’ici » s'ils sont vraiment indécomposa- bles, Le distinct n'est pas absolu. En géométrie, force nous est de « supposer », « postuler », Ia droite et le cercle — tout au plus définirons-nous le cercle & partir de la droite et du mouvement de rotation : mais ni I’étendue, ni le mou- vement ne sont des notions simples ®, En arithmétique, la notion de nombre ne fait qu’approcher d’une connaissance adéquate. Le simple, c’est le non-complexe et, par suite’, devant quoi I'énonciation du jugement conscient devient impossible. L’analyse des concepts jusqu’aux notions abso- lument primitives, concues par soi, échappe au pouvoir de Thomme®, Il n'y a que Vidée de Dieu, sans laquelle nous ne EW johenn Beran ea ieee hi 2 inn Bernoulli, 7 juin 1698, M. ill, p. 499. Beir Huyghons, MUL pe 237. Be # Courunat, Op, p. 176 «ily a de certains termes primitifs, sinon absolument, ad moins & noire énard, > _ 5+ dbid, p. 187. « Les premiers termes indéfinibles ne se peuvent sistment reconnaitre de ‘nous, que comme les nombres premiers, won me saurait discerner fusqicl quem extavant Ia Givi ‘mime les termes irrésolubles ne se sauraient bien connalt ‘que négativement et comme par provision. » 6. dbid., p. 43% = . Wid, p. 512. ‘Mids, p. 514. P. IV, p. 425, Cf, Covrunar, Log, 198-199. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 155 penserions rien, qui soit Index sui: cependant, nous ne ‘connaissons assez distinctement ni comment les essences des choses créées émanent de Dieu, ni comment les idées en nous de ces choses émanent de I'idée que Dieu en a, et en cela consisterait l'analyse ultime, la connaissance adé~ ‘quate de toute chose *, Une fois de plus — repensée comme progrés a V'infini, ce A quoi le nouveau calcul n'a pu que contribuer — la dialectique platonicienne de la réminiscence aboutit & la condamnation de I’évidence cartésienne. Que substituer & cette évidence? Il faut remplacer I'idée — notre idée — par son expression : & savoir sa définition *. De l'idée, Vévidence doit étre transférée 4 la proposition (la définition celle-méme) qui énonce* la vérité — traduire : la non-contra~ diction — de Pidée. Cette énonciation formule un jugement, au lieu de montrer une idée qui soit comme un fabieau ‘ou une image. « Il est vrai que j'ai attribué aussi la vérité aux idées en disant que les sdées sont vraies ou fausses; mais alors je Y'entends en effet de la vérité des propositions qui affirmient 1a possibilité de objet de l'idée *. » En contre-épreuve des faiblesses de l'évidence dans I'ana- lyse des idées, Leibniz en découvre les faiblesses dans la synthése qui doit garantir 'idée vraie. Encore un leitmotiv de Ia critique lesbnizienne, Dieu seul est esprit intuitif. Engagés comme nous le sommes dans la divisibilité du temps, ous ne pouvons pas surmonter, de maniére infaillible, les défauts de la mémoire ni de attention ® : Descartes a sou- levé ici une difficulté que sa théorie inacceptable du temps ni, par conséquent, le quatriéme précepte de sa méthode ne permettent de résoudre. D'une idée un peu composée il mest donc impossible de garantir la cohérence par lintuition. Je puis avoir des composants, pris un & uu, une idée elaive. Mais Descartes a cru & tort qu'une idée dont tous les com- posants étaient clairs constituait nécessairement une idée 1, Courunat, Op., p. 13. P. IV, ibid. . 2.P. I, p. 205 ¢'* Demonstrationes sutem Geometricae non minus manifestae’eseent somnianti quam vigilanti, si contingeret somnianter in eas incidere; itaque non pendent a sensuum fide, Sed ab iis sive definitionibus, quae nihil aliud sunt quam idea yum expressions. > : ff i ‘3. Elementa Phil... p. 76: ¢ Declaratio autem illa verbis facta tin : SNE W, v, 811, PV. 98: — Coumunas, Opps 1 ogitable corapost ou complexe «eat quod involve enuntiat She vaieatonem, au negatonti, eram aut Salsa 3 — 4 Foucher (1686), Bly p. 388. 5 anima 1, 156 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES distincte %, Prenons une & une les idées : « quelque chose », «plus grand », « étre pensé », «non, « pouvoir », Chacune est claire, En résulte-t-t! que I’idée qui les rassemble : « quelque chose dont plus grande ne puisse étre pensée » soit une idée distincte*? D'ailleurs, comment par intuition aurions- nous l'idée positive d'une chose négative telle que « dont plus grande ne puisse étre pensée® »? Ainsi nous n’avons as l'idée de Dieu, i! faudrait démontrer qu'elle n’est pas contradictoire : nous ne pouvons facilement juger de la possibilité d'une chose & partir de Ja cogitabilité de ses réquisits, quand nous les avons pensés un a un et réunis ensuite en un tout 4. Le critére ou principe de I’évidence est done irrecevable. Pour Leibniz, ’évidence des idées ne peut étre que subjec- tive, psychologique et non logique. Nous n’avons pas les idées de Dieu, seul esprit vraiment intuitif. Nous n'avons méme pas cette vision en Dieu, dont parle Malebranche. La véra- cité divine garantit-elle nos idées? Dicu peut permettre le ‘Malin Génie comme il permet le mal sans en étre auteur; supposée infallible notre nature primitive, il a permis qu'elle soit corrompue et soumise.a I'erreur par le péché originel; le choix du meilleur des mondes possibles exigeait ‘sans doute, pour le moins dommageable des maux possibles, que nous soyons trompés®. En tout cas, la faiblesse de esprit humain, née du défaut de attention ou de la mémoire, ne peut jamais étre supprimée, Le vice radical de I'évidence est d’étre une’ vision, et non pas une opération. Le réve méme est évident®. Aussi bien en philosophic qu’en reli- gion, la vision fait des visionnaires? : « ... cette lumiére non sufct ad distinctum conceptum, quod pistes ej st clare, nit laa etry clara st pose oot ung inter te, Ita qut dit maximam veloctatemes = 2 Elemente Phil : Silly B82 Tal Sativa quomodo ai vutmaziml feu qo mayis copia non putes? » 4 leid, pe 6s ne 8 E Anil, 5, 4346,11 1. € Culbert sémaais ndimodam manifesta videntur», P. IV, pp. 388,331, By credeatum p. 195 tea teria eter tl ld tose quam visionem, i joco ut ie ferent acre ala guts he een pont prin pium eorum gus vstonand appellant » PIV, pe ged; BIL Bp. 16gat0s,-—'ll va sane dite que Descartes oppone; que ne pis so, Ts deg area erigenc,« Vone'qui par det famitre pairele et aure qui vient de la frice vine 9 1 Resp, ALT TR (Ap, ps 116; 1 proteate conte fee Ashées guy se plas 4: bon esprit, ne veulent se rendse sua Févidents dela tion EA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 157 prétendue est sujette A caution ? »; « Si Euclide avait voulu se contenter du bénéfice de la vision ou de l'opinion de Yévidence, il aurait assumé bien des choses sans démons- tration, au grand dommage de la science dont il a compris Ja nature mieux que plusieurs ne le croient *. » Opinion de Vévidence? En effet, on ne c’entend plus : Malebranche na pas de ame Vidée distincte que prétend en avoir Des- cartes, On donne trop « & son imagination sous prétexte une intellection claire et distincte », et Arnauld, la-dessus, critique & juste titre Malebranche ‘, On se dérobe en rabi- chant la piemitre régle du Discours (ad regulam illam recan- tatam'). A s'y trop fier, Descartes a manqué la vraie Analyse sathématique °, il a pris pour distincte V'idée du mouvement local 7, il s'est laissé entrainer & des lacunes dans ses énumé- rations, & des sophismes, 2 des contradictions °, il a présenté pour distinet le clair (par exemple, l'idée d’étendue) et pour clair le confus. Il n’a pas apergu qu’avec des idées claires ‘on pouvait composer un concept qui ne soit pas distinct, qui fat méme contradictoire comme Vidée du plus grand nombre ou de la plus grande vitesse. ‘Mais, objectera-t-on avec Jean Laporte, Descartes n’a-t-il pas répondu par avance que « tout criterium qu’on voudra substituer & Tevideue rumbirra & Pévidence® »? Et si Yon refuse le criterium de Descartes, ne restaure-t-on pas, comme le voudrait Spinola, évéque de Thina, le principe dautorité}°?.A Pun et & Pautre Leibniz répond qu'il échappe a la fois & Pautorité, au scepticisme, & l’évidence cartésienne, en ramenant la certitude A une evidence formelle. Qu’on A. T. IV, p. 346, tout en reconnaissant que I'évidence naturelle ous touche! davantage que calle de la foi. Hupgles, x0, oetebre 3042, AT UL, Be g80. 1./At, F, de C,1, p. 59. —P. I, p. 301. 2 BLA, ps a8. PAL pc aay p. 4g, ete, — P. IV, p. 328. 1 a Arana ule 686 BE . £ Courunan Op, p. 189. — NE, Ih ty, hin ¢ certains cartée sichs, ints habiles Callous, ont coutsime de’se retrancher dan les dee guile prétendent avele » A drnauld, tid, p. 62. @ BWV, p. sor. 7. Gourimin'Op., p. 509. & Sanaa, 1 7,8) $85 47-48, 9, Ope cee Bias. ; ie Yo. Covrdnst, Op p.383. D’ot sauront-noss, demandait Spinoly quiies premisses sont videntes ai ce neat pale consensus omnia Noa evans gue pos TaN. ly 3 Biv p68 oe he fonde pes la gerade des princes innés aur ie coBsentement Universe » —~ Descartes le disait tusni Merzenne le 16 octobre 13639, au Sujet de Herbert de Chetbary, A. Tif, pp. 597-598 51, 35 dy 40-44, 54-55, 59, 63 158 LEIBNIZ. CRITIQUE DE DESCARTES ne s'abuse pas & certaines formules : « ... les vérités innées, prises pour la lumitre naturelle de la raison, portent leurs caractéres avec elles comme la géométrie, car elles sont enveloppées dans les principes immédiats... } »; car « porter eurs caractéres avec elles » ne signifi tien d'autre que «porter leur épreuve avec elles * », c'est-A-dire n’avoir besoin ni de la ¢ confirmation » du consentement universel®, ni de la vérification par une expérience externe, mais permettre la preuve de non-contradiction. L’évidence formelle a liew des les principes de la déduction. Sont done évidentes par s0i les propositions qui, si on les supprime, la vérité est supprimée *, Et Leibniz résume le sens de ses Meditationes de Cognitione, Veritate et Ideis : « La vraie marque d'une notion claire et distinete d’un objet est le moyen qu'on a d'en connaitre beaucoup de vérités par des preuves a priori... »Dés lors, la forme ou disposition du raisonne- ment « est cause de 'évidence »: « ... je soutiens qu’afin de raisonner avec évidence partout, il faut garder quelque for- malité constante ®. » L’évidence se change en « une certitude Tumineuse », quand on ne doute point «& cause de la liaison qu’on voit entre les idées?. ». Elle proctde des premiers Principes : celui d'identité, pour les vérités de raison; je per- gois du divers, pour les vérités de fait. A mettre ces prin- cipes en’ doute, rien ne résisterait au doute®, Ils concernent Ja réflexion sur la forme de la pensée : aussi les nomme-t-on réfigchis, indirects, ou formels, par opposition aux directs 2 BLY, p. 90. 2 Courant OP, ps 154 Feo ain. " ‘ourunir, ‘Of p. r8p : en pee oe evidentia ext, quibus sublais omnibus, sublata est veritas, = 5 Fell tt 4 Vs po, Le renwal au dicoura. ai dans ies Actes de"Leipng' fan sig + prouve que ce.neet seulement «parfois» que Leibni,« apres Malebranche ee Spinczs » Sogaire ce cxtere de Tide ce” contrasement 4 fa note de een Laronre, op city p. 145:-—Au reste, avant mame de connatee Spinoza ni Malcbrancte, vers 608-1665, Letoni éervat sc DOR sont. pepe Andipelsequuntur ‘Theoremats seu Terms Ho cbimoney se Vie p67. TV, paps. Covrunar’ Opn p. 235 : «Porro distincta cogi- tables dat Ordinain re ex pulenrtadind ds comtans bat coum Oho Phil altud quam selato plurium eistnetvas Bt confano eer, can Pluie quidem adsunt, sed non eat silo quodvs « qoons distne Poel 7.1, E-IV, xt 10,P. V, p. 425. Ce texte a rtenu Patten ae oR BIN, 5 TEN, Bedi Ce tae ete Nt on (Listetine, 188), 3. Covrunss, Ops b. ahs. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 159 gui dépendent de la matitre du raisonnement 1, Diailleurs, fhotre pensée peut, sans perdre de cette évidence, rester aveugle ou symbolique. Il suflit d'accepter les termes hypo- thétiquement. L’épreuve s’en fera par la démonstration. ex oncessis, qui réduit A Pabsurde 'hypothése contradictoire. {a démunstiation n’a besoin, insiste Leibniz, que des prin- cipes réfléchis, indirects ou formels : « Et ainsi cesse cette ddiffculté qui tourmente tout le monde, sur la maniére dont nous sommes assurés des principes ‘eux-mémes & partir desquels les démonstrations sont conduites ®. » E Ta certitude se trouve donc bien désolidarisée de I'évi- dence cartésienne. Tout définir, tout démontrer : seule Yévidence formelle, — nous dirions : axiomatique — assure la démonstration. A Pidée selon Descartes, que garantirait Vintuition, Leibniz préfére le concept selon Aristote ou saint Thomas, que doit déterminer une définition, ce que les géometres font aussi lorsqu'ils construisent leurs figures. « Les régles d’Aristote et des Géométres valent micux® > que celles de Descartes. ote Deseartes, écrit Leibuiz & Pubbé cartésien Joan Calloia, ‘est un de ceux qui sont allés le plus loin en Métaphysique, mais je ne comprends pas comment il a pu svarréter en si beau chemin, si ce n'est que se sentant porté 2 autre chose, il a voulu se débarrasser au plus tot de ces matitres abstraites, mais par Ia le travail des fondements ayant été interrompu, tout 'édifice de sa philosophie s’en est ressenti et méme sa Géométrie # », Parmi les matiéres abstraites dont Descartes 2 voulu se débarrasser au plus tét, interrompant le travail des fondements méme en Géométrie, Leibniz met en cause les recherches logiques sur la définition, Intuitionisme et formalisme ouvrent ici des perspectives si diverses que méme Jes formules analogues y sont irréductibles A une simple difference de terminologie® : Descartes, inspirat-il directe- 1 Ibid, p. 184. 22 Aninad. Y, 43246. A Fran Gallois fin octobre 1682, R. TT, 1) p- $29. Jean Lavon, p. eit, pr go. ll et ral ue LaTbna, qu agipie on voce A chigut pate ~ i'r pa, dane Tx Jats comine Gano le Journal des eavants — prévicnt, dans les N. Be fieg 4B. Vey ps 237 outume'de sure fet Te Langage Ue M. Bebearte. i'n en suit pas Pespet 160 ‘LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES, ment son successeur, ne le « prépare » pas, I'un ne devait pas conduire a autre, Ce que Descartes préparait, c'était Ja voie des mathématiciens qui jugent presque ridicule le critique des axiomes4+; ce que Leibniz préparait, c’étatt la voie de V’axiomatique. Tandis que I'évidence des idées est lun retour aux choses mémes pour Descartes, Leibniz la juge subjective, incapable de déterminer l'idée vrae par des cnitéres valables pour tous, et, par conséquent, impuissante A guider 'analyse et la synthése vraiment méthodiques : & ces défauts de Vévidence cartésienne remédiera une bonne doctrine de la définition. Dans cette opposition, il faut, uné fois de plus, observer Vattitude contraire adoptée par nos philosophes’& l'égard de Fenseignement scolastique, Pour Descartes, In définition scolastique est stérile comme le syllogisme : de une il ne parle pas autrement que de autre. Ce mode de détinition est verbal, il nous apprend le sens d'un mot — par exemple, que vérité dénote 1a conformité de la pensée avec l'objet ou 1a possibilité, pour ce dernier, de servir d’objet A des pensées véritables, — il ne nous apprend rien sur la nature du défini c'est pourquoi si 'on veut définir en cette sorte les choses « qui sont fort simples et qui se connaissent naturellement, comme sont la figure, la grandeur, le mouvement, le lieu, le temps, etc. », con les obscurcit et on s'embarrasse! ». On mapprend rien 'du mouvement Iui-méme en le détinissant : ‘actus entis in potentia prout in potentia, mots magiques dont la force occuite dépasse a capacité humaine 4, alors que le mouvement est plus aisé & concevoir que la ligne des géo- mitres. Ou encore, chercher une définition de Ia lumiére «au sens de I'Ecole, per genus et differentiam », c'est former 1, D’Alembert, par exemple, qui éerit : © Un mathématicien moderne, célébre’ de son. vivant en Allemagne comme philosophe, commence ses éléments de géométrie par ce théortme, que la partie tt plus petite que le tout et le prouve par un raisonnement si obscur, quil ne tiendrait qu’au lecteur d'en douter. » Eléments de Philo sophie (Coueres, Pars, Bat, pat) i 2, Clétait aussi le jugement dHyperaspitts écrivant & Descartes, Juillet 1641, A. T. Ili, p. 402 :«... nego satis accurate Methodum a fe trade fuse, qu gus aire post an aliquid clare perpicat Beene sma en fatssant eqoultelapeuce de Desearea— et ste quant de la compromettre en prenant pour exemples les myst Heino Denarten dep 426, be diopenvetal de repondre, 3, A Mersenne, 16 octobre 1639, A. TT. Il, p. 397. — A quoi Leibniz, objecte :'ces notions ne sont pas ausst distinctes que Des cartes Pimagine. — Dise. Méza. XII; A Foucher, P. 1, P. 3923 De ipta natura, E, p. 155 b. 4 did. — Reg., XU. A. 'T. X, p. 426. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 161 «des difficultés superfives », « des difficultés en paroles,,olt fin'y ena point du tout en effet? ». Et ainsi du reste. D'ail- Jeurs, la définition scolastique nous engage dans un laby- inthe pour nous sans issue : car animal et raisonnable ne sont pas termes moins obscurs que lomme ; dés lors, qu’est-ce fabord quanimal? un vivant doué de sensibilité? mais un ‘civant? un corps animé? mais un corps? une substance cor- porelle? Les questions se ramifient 4 Vinstar d'un, arbre Pinéalogique, Penquéte tourne a la battologie*. Aust, lors- Gue Descartes, tirant de T'idée innée ce qui était contenue én clle — comme, de l'idée du triangle, le théoréme sur la somme de ses angles, de l'idée de Dieu existence divine, ete. SMprétend agir ainsi & la maniére d'Aristote selon qui le Jnode de démonetration le plus parfait de tous consiste 4 prendre la vraie définition de la chose pour moyen terme*, Hi ne faudrait pas s’abuser : ce n'est pas & Ja définition aris totélicienne qu'il pense, mais & son mode de définition intuitive; car, proteste-t-il, « je ne manque pas d’expliquer tous les termes de ma profession, lorsque les occasions s’en présentent, bien que j'aie encore plus de soin d’enseigner Jes choses », Ia vérité des choses s'apprenant plus vite que tous Jes termes « étrangers », c’est-A-dire : barbares — dont Jes autres se servent pour expliquer « Jers opinions touchant Tes mémes difficultés »; et s'il enseigne, Tui aussi, les termes qui lui sont « inutiles » — ceux de TEcole:-— c’est pour les faire entendre « en leur vrai sens ¢», le sens intuitif. Descartes niinvoque Pessence que montrée intuitivement dans son ‘contenu; Leibniz, contre Descartes — il y a 18 un des thémes fondamentaux de sa critique — n’accepte dinvoquer I'es- sence que démontrée par la définition réclle : la définition ‘par Tessexce, comme ona trouve chez Descartes, 1 « anivre ‘pas la voie °» & la définition de I’essence, comme on Ia trouve 1. A Morin 12 septembre 163% A.T- 1, pp. 366:367. 2 Recherche dela Verte, A. PX, pp, sn5-st6, dans la suite scien an, done Lain, gal avi fea, de" Techimbaus sone 1676) ane copie de ce Dialogue en francais, nous spprend re re 107 oe oe sicars abide bs Stn dy Med Ih MIRA), p20. AA Mebsdanes 6 juin x64, A. T. UT, p. 383. $A Regt janvier” 3642, dans a ‘pol afc St, p dap. Lrexprestion 2 «. ‘Aisi Tes termes qui me. sont, inutile apna ealams, ou bien exige de trad ‘hues segomime nous le fanons. Ie Faun, op ely ly appendice n° 2y P.325: 162, LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES chez Leibniz, 'une ne répond pas « en somme » & Ia seconde 4, et plutot suivrions-nous ici Cassirer quand il note que chez Descartes géométre les propriétés ne résultent pas d'elles- mémes de la définition, & I'inverse de ce qui a lieu chez Leibniz? N’est-ce point ce que nous venons de reconnaitre touchant Ia détermination de I'idée claire ‘chez chacun de ros philosophes #? Sans cette différence, la définition leibni- zienne de Pessence d'un nombre par: une série serait-elle pensable? Bref, la définition formelle est stérile pour Des- cartes : elle est done au moins inutile, ce qui revient, allons- nous voir, & exclure toute technique de Ja définition. Avec Leibniz, nous repartons de la Logique qui s'en- seigne dans les Ecoles. Non qu'il s’en tienne-a elle sur I'art de définir. Sans parler de logiciens aujourd'hui délaissés, tel Jungius dont il fait I'égal de Descartes, il pratique Hobbes, Pascal, Spinoza, qui, tous, en: insistant sur l’importance de a définition génétique, Paident & forger sa doctrine’ de la définition réelie. Aw nominalisme de Hobbes, faisant arbi- traire la définition, il oppose comme & Descartes — puisque, si Vidée n'est pas Pexpression d’un archétype, on retombe dans un arbitraire analogue & celui de. Hobbes? — son réalisme platonicien : la définition réelle d’un abstrait pent étre libre — choisie entre plusieurs expressions possibles de son essence en Dieu — elle n'est jamais arbitraire, Au pytthonisme de Pascal argumentant sur notre impuissance 4 tout définir, il répond en substituant & analyse des concepts celle des vérités *, substitution qui se congoit dés que l'idée 3, Hannsquix, La oatologique cartéienne difendue contre 1a critique de Leibniz, Rev. Met. Mor., 1896, pp. 438-439. S'appule 2 Reponcet, A. T. 1X (A), p. 118, Vil, p. #54) la nature de Diew est possible, car ¢ nulla impossibilitas ex parte conceptus ‘eperiatur, sed contra omnia, quae in isto naturae concept complece ‘imur, ita inter se connexa Sint, ut implicare nobis videatur aliquid ex is ed Deum non pertinere, poten exam egari pombe esse Ut tres anguli trianguli sint aequales duobus rectis, vel ut ille, qui ‘ogita, exisat... Ici encore la possbilité est alms par l'évidence, alle n'est pas prouvée. Leibniz ne pouvait done slen contenter, ion, comment admettre que, connaissant — et il le connaiseait — ge asaage des Quatritmes Réjones ailleurs conn alors de tous, il puisse cependant entamer une Dolémiaue publique contre Des: alte aur fe postbiite de Videe de Dicus © note conte Ds 2. Of ci-dessus, p. 158, n. 5. 3: N- Bl, 303, B. Ve 345. 4 Covrunar, opp. 220: «De discrimine” inter conceptus imperfectos et’ perfectos, ubi- occurritur difficultati Pascal de Resolutione contintata et ostenditur ed perfectas demonstrationes Neritaeum non requir perfectos coneeptus serum.» Ch Lae P. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 163 Jive de Descartes se trouve remplacée par 'idée-jugement. Paris, Tschimbaus lui explique sans’ doute les. principes de sa future Medicina Mentis (1687) : la définition est un juge- ‘ment, c’est-A-dire une combinaison valable d’éléments pro- duite par activité intellectuelle; de l'analyse des concepts et des définitiuns naissent les axiomes, de In cynthéeo des définitions naissent Jes théorémes; la définition génétique permet de lier Pa priori avec Va posteriori+, En tout cas, Hl est Yami de Spinoza. Le de Intellectus Emendatione ne sera publié, dans les ceuvres posthumes, qu’en 1677. Leibniz Y trouvera’ que concevoir affirmativement c'est juger, que Teconcept est la définition vraie — conceptus rei sive definitio— que la définition vraie est causale et que les propriétés de Ta chose peuvent en étre déduites *, En joignant Ia legon des modernes & celle des mathématiques Leibniz dépassera, dans in doctrine de la definition réelle ou génétique, le point de yue traditionnel de Pextension-compréhension, du genre~ tspice. Mais il ne Ie supprimera pas. I nfoubliera jamais Ja legon d’Aristote ni des dialecticiens. D’Aristote il retient : Ta vision directe des idées divines nous échappe; notre pensée s'exerce dans la continuité du temps; le concept est assimilable & un aombre; A toute variation des éléments #¥pond une variation de quiddité, ce yue le principe de continuité, qui a'une fonction logique de détermination 3, reprend 2 sa maniére; la definition réelle est causale; 'idée exprime par son dynamisme la cause motrice qu’est par aii Tidée divine’, Des dialecticiens, il garde Phabitude 1. Sur-‘Tschienhaus, analyse de Medicina Mentis... dans Ucber- weg, t HT, p. 342-344 — Cassinen : Das Erkenntnisproblem, t. IT, Dex fy 4.08. Au sujet de expression # eonceptu, ret sive ieji- nia oe eat. fr te dec ecient Is pkileophie de Spinoza (ati, 1905) commentait une tlle expres spr rarbrend pace gue nots wanmes abies 4 consider la aktniten come in ump exe ies, man TE, TE 15, pose dra qe Tides vrai ct Pessence correspondanie ns so EE aruds simples 1 8i indivisible gue seit une idée vewe, elle ‘eateme, em reccuf fs pte toad evens, — Aleta i thdove de, Ventre introdult une, vue c st nfonaianiame, cant ano Ventendement vin, meme les ‘pelong inccmalttes elven sont’exptimer pous former in monde inteligibe. a nde Scmonan Leis ond th tof iroting Alin, oe ‘Pour Aristote: ) Les intllgibles en soi, dans le xéaoe Ey siditesr eae oe rear eet Hint gut don Fitions tautologiques :"ceci est cecls 8) fea inteligibles,en_ nous, dont ia ‘pensée seserce dans la comtinute auccesive da 82mP% 364 ‘LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES constante d’analyser les « difficultés », selon le terme de ‘Descartes, par dichotomies : par exemple, alors que l'auteur des Principes décrit en psychologue ou, si Yon préfére, en phénoménologue, les degrés de clarté sous lesquels Tidée se manifeste, il est sensible que Leibniz — dans les Med. de Cognitione, dans le Plan de la science générale (Cout. Op., PP. 219-221), dans les NV. E., etc. — proctde par combina~ ‘pire? et selon la dichotomie : Obscur Chair { confus onfus | inadéquat ; ; distinct | Ag | incomplet complet Aussi Descartes et Leibniz usent-ils, pour la définition, de méthodes fort difirentes. Il doivent, 'abord, I'an ef autre, déterminer le défini. Ils doivent, ensuite, savoir quel genre de définition en résulte. En ce qui concerne Descartes, plus porté & conclure du connaitre & Vétre que de V'étre au connaitre’, c'est une ‘dee, prise dans ses qualiésintinséques, qui ext & defini, bien davantage que lobjet dont elle provient : en contraste, Leibniz pense & reconnaitre l'objet, cherche les signes suf- fisants ad rem repraesentatam agnoscendam’. Défnir une idée revient & I'éclaircir entitrement. A cet effet; aucune technique de logicien ne semble requise : il suffit de « consi- bisitrmaed divisibles. a accident mens bls oe ce oe oe nee Tn 2 eee ae eee nfm ee 3pm, Son la dome oud sttibes) qui permet la défi- ales cro is oe acelin oa age Pe oe ee eaten ater (eee) ae et a ec Fe Repel ay been ie Becker lye gin Se rl rns eet le Satan aS Ir"Ghision de It deiniton nallant pas a Finfing; fe nombre cot foxtie cate muse’ (00 Hp. fyb se) Bete Hepes ree ae ge lt aegis Seman ba See See sien te quid ae Resets Sees oy Sa ada a ae ae pope ied seas 610 Ts Ls eu pa See Seeks ReneS cane, cree fe Ca Aitte Pain 2948) wp. yarg®. Robisn :'De anima, cha. E Vol eSdessus py Pignn se 2 Brine. 1,45, AL. Eee MSE 05 A Tip wt alte Copter gn eas Memorg ewe ire a ea omy LAY fe ant Arges Sie Démonstrations catholiques, R. VI, x. P. 490, Leibniz. pren eg tr ee op et nous pensons essence pat TA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 165 dérer Vidée comme il faut » avet un esprit attentif; qu’on Sentraine sur des exemples, « car cela s'apprend mieux ides exemples que par des régles ». Cependant, il y a jen. une méthode — la méthode cartésienne elle-méme — dans cet éclaircissement de Vidée. Elle consiste & dépouiller Te défini de ce qui ne Iui est pas essentiel. Comment? En remontant analytiquement. du conditionné & la condition. Puis-je concevoir C sans D, mais non D sans C?. Alors, D n'est pas essentiel A C. Mais, & son tour, puis-je conce- voir B sans C, etc.? Ce mouvement, de proche en proche, jusqu’a Tessence de T'idée est le mouvement méme de Analyse mathématique, car il ne considére la décomposition que par accident il ne se soucie point de genre et différence Spéclfique, vu inclusion, Une fois parvenu aux principes clairs et distincts, lorsque je redescends la chaine de condition 4 conditionné, je retrouve les attributs ou prédicats B, C, D, etc. qui n'dlaient pas essentiels & la compréhension de la pulre essence : par exemple, que le triangle a ses angles égaux & deux droits. Or, ce mouvement de synthése n’est pas ‘moins mathématique en son espéce que l’analyse dont il est Ja réciproque. Sculement, nous I'avons vu plus haut?, une fois que pai retrouvé B,'C, D, ... je puis dire qu’ils sont contenus idée, Comme il en va de méme, lorsque, & partir des principes de la Physique, j'invente Ja définition des Quatre éléments et des choses qui en résultent par leurs combinaisons, on voit que’ cette inclusion aprés. coup ne change en rien Ta nature mathématique de la synthése carté- sienne. On voit aussi que la possibilité des idées fondamen- tales — par exemple, de la droite, du lieu, du mouvement, du triangle, etc. — n’a d’autre preuve quiintuitive : on la eonstate par Une inspection de Vesprit, on n'a point & en démontrer la non-contradiction, elle ne se rattache point, comme pour, Spinoza et Leibniz, une activité intellectuelle intrinséque & Pidée. ‘Lui aussi Leibniz définit en employant analyse et synthése. Mais c'est la théorie de inclusion qui commande sa méthode et cette théorie change Je sens des mots. Pour lever toute ambiguité, réservons ici « analyse ».et « synthtse » pour Aésigner les_monvements de conditionné & conditior Finverse, qui ne s'intéressent que’par accident & Vextension et 2 la comprehension des termes; et nous n’emploierons que Tes mots « décomposition », « composition » pour désigner 1. Secondes Répanses, Demande VI, A. 'T. 1X (A), Pe 327- 2, Ciedessus, pp. 150 84. 166 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES analyse expérimentale, Or Tanalyse A laquelle provide abord Leibniz est bien une décomposition qui compose le défini des signes ou caractéres suffisants pour le reconmiattre : cette alliance de la décomposition & la composition étant celle, précisément, qui lie dans un rapport inverse, extension & ‘compréhension. Ce point de vue de l’extension — compréhen- sion saffirme nettement dans les directives de Penquéte énumérer les caractéres — ingrédients ou réquisits? — suffisants pour Teconnaitre l'objet. Il y a donc & mettre en compte le nombre des caractéres et leur suffsance. Le De Cognitione parle des notae suficientes, tandis que les Nou- veaus Essais, en accord avec Locke, insistent sur le nombre, Plus je resserre extension d’un terme — plusje le spécifie — plus sa compithension eaige de caracttres suffisants : ainsi, Je nombre “de caractéres suffisants pour définir le. genre (la béte mouchetée) sans confusion et cbscurité, devient insuf- fisant pour définir l’espéce (le Iéopard, la panthére, le lynx); ‘a limite nous ne pourrons jamais déferminer species infimas, définir les individus *. A définir d’aprés le nombre de carac- ‘tres suflisants pour reconnaitre l'objet, Leibniz espére cor- rriger la subjectivité de T'évidence cartésienne : d’abord, ces caractires sont tirés de Pobjet ott chacun peut les recon- naitre, et non de V’idée que chacun peut s’en faire; ensuite, Je nombre de ces caractizes offre une échelle de graduation ous mesurer a, clarté de Vide, au lieu den abandonner estimation au jugement si variable des individus. Cette échelle de graduation qu’établit le De Cognitione, les Nou- veaus Essais la retracent. Obscure est done Pidée sans carac- téres suffisants pour reconnaitre objet qu'elle représente: Claire, celle qu'un caractére « distinguant » au moins per- met de discerner d’avec les autres. Muis cette idée claire est confuse, indéfinissable — une qualité sensible, le je ne sais quai esthétique — lorsque incapable de déméler les caractéres. suffisants, je les confonds. Pour que la définition soit possible il faut que j'énumére séparément les caracttres — alors mon idée est distincte, comme celle que les essayeurs d'or ont de Por, celle que nous avons de la grandeur, du nombre, des figures, de Vespoir, de la crainte, etc, Cependant, le 1. Courunar, Op. p. 2§8 : « Repisitum est quod definitionem ingredi potest 2. L'Euay Il, xx-x, 7, 8 donne comme premitze eause de confu ion : 1° Vidée made up of too small a number of simples ideas. 2° le désordre dans la composition de Tidée, though the particulars ‘that made up any idea are in number enough 3: NEM, xxx, 7,2, P. V, pp. 238) 236. LA CRITIQUE DES QUATRE PREcEPTES 167 distinct méme a des degrés. En effet, les caractéres, séparé~ gent énumérables, qui composent Pidée distincte peuvent @tze, si 'on combine les critéres que nous avons analysés, soit clairs-confus, soit clairs-distincts : et, cela, tous ou en. fe. Une idée sera done plus ou moins inadéquate ou fdequate * selon qu'elle renferme plus vu swvins de caractizes lairs-confus (la connaissance que le chimiste a de Yor) ow de caractéres clairs-distincts (12 connaissance du nombre en approche fort). Enfin, pourrait-on dire, une idée adéquate fest plus ou moins incompléte selon que ses ingrédients dis- tincts expriment plus ou moins enti¢rement les. prédicats — en nombre plus ou moins infini — de Vobjet qu'elle représente? : mais notre science n'en demande pas tant, et, pour savnir qu'une chose est complete, il n'est pas nécessaire Ge Ia connaitre complétement, c'est pourquoi la définition ‘se-contente de caractéres sufisants. Encore, pour n’étre pas seulement nominale, ne doit-elle pas proposer un simple aggregatum notarum’, Lagrégat, dans le vocabulaire de Leibniz, renvoie & Papparence, au phénoméne. Apparence? Illusion, peut-étre, Pour étre sir d'avoir affaire & une idée yraie, on doit prouver qu'une véritable .unité constitue Vassemblage des. caractéres. Connaitre véritablement, l'es- sence d'une chose, c'est en conuaitie la possibilité logique * ou, si Pon préfére, montrer qu’elle n’est pas contradictoire. Ce précepte établit V’insulfisance des définitions cartésiennes °. ‘TTandis que, chez Descartes, T'idée différe de essence en ce que essence est l'idée revétue de sa valeur objective x. Qu encore, de In combinsivon de obscur et du clair, att te Confus ! ote dair-contus, le clair-lair = distinct, Ie distinet= Conf foadeguat, fe Gcedisince = asset 3 Aina Gava’ To po git; Dieu « habet in suo intlleto notionem vel idearn Pet possbilis perfctssimam omnes vertates rea Petrum continentem, quarum realitas cbjectiva totam Pet tam ve enim ca Courunat, Pid, Ps 230.0 ; EB iPoye s juilét rz, &a. eit, p. 140 : « Esentiam non cat i peat ila cxpsut olin im Acts Er forum, ubi de Verte et Tdeis »- 1 Foushers 1686, P. Ty pp. 384=38. — A Malebranche, 2670. p.,fgay; av mujer den ddhnicions de Descartes dans les Réon Gus’ Sijsvonr 2 1 A Fagard des definitions dont i se set, Jo faa Getie emargue générale, qu'on ne peut pas faire de demonstrations eactes, sane etre assuré que lee dchnitons qui servent de base ce dethontrations sone posites, » — Fase dss, Tui 8 propes GaP. Noth, « que Pon dor sojours ddinir ls chose avant que de Gherchera'elles sont posubles ou non » Eutrey, gran shwvieg, «Il, pp. 184-185. 168 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES garantie par la véracité divine, chez Leibniz Vessence est Fidée garantie par la preuve de non-contradiction. Et com= ment 2 lieu cette preuve? De deux manitres?. On peut chercher A démontrer Ja compatibilité des composants de la notion’, par exemple la compatibilité des attributs divins* : fen adoptant cette maniére on demeure placé dans Ja pers pective de linclusion, On peut aussi démontrer la! compati- bilité par la cause possible ou actuelle selon qu'on traite d'une chose possible ou actuelle®. Bien que Ton puisse concevoir l'essence d’une chose — par exemple, de I'ellipse — sans concevoir un mode déterminé de génération, pour- tant, sans un tel mode, on ne saurait la concevoir parfaite- ment . C'est ainsi que, dans l'étude de la nature, « plus on approfondira In génération des eapéces et plus on suivra ians les arrangements les conditions qui y sont requises, plus on approchera de l'ordre naturel. — Et si nous avions la pénétration de quelques génies supérieurs et connaissions assez les choses, peut-ttre y trouverions-nous des attributs fixes pour chaque espéce...? » : mais Leibniz, parce qu'il n'est que préformiste, ne s'évade pas pour cela’ de la consi- dérition genre-espece, et, méme la génération -d'individu A individu entre, par la doctrine de 'emboitement des germes, dans une logique de inclusion. kn mathématiques, rien n’empéche ‘de continuer & parler de genres et d'espéces, mais comme, ici, la moindre différence importe, tant de rigueur introduit'dans un nouveau monde : les cercles — u les paraboles — étant parfaitement semblables, sont d’un seul genre, d'une seule espéce; les ellipses — ou les hyper- doles — sont d'une infinité d'espéces rangées sous un seul genre; les ovales & trois foyers offrent une infinité de genres et une infinite d'espices®, Par suite ‘de cette rigueur, 2. Gumnourr, of. cit. tI, p: 381. 2. Nous laissons ici de cété ia considération de V'a priori et de Ya posteriori : nous y reviendrons tout & Theure. 3 COUTURAT, Op., P. 375, P. 374 2 € «$i dico A = ERG, non taatum sete debeo EF, 6 ding ese posi, sed exam inter “Pv, Bp 6-263. §, A De Volder, 6 juillet 1701, P. Tl, p. 225. — Leibniz identi, P. Vit, p. 310, définitons réclics 4 défnitions causales + « Teague dsinones "Suse, quae generaionem ze continent, reals 6. Thi. TN, EU yh 3a BV, pp, 289-200. Wid. "—"Au’ Landerave’ Ernst’ von Hessen-Rheinfels, P. Th, P. 131-7 « Car dans la physique, quand une chose engendre son semblable, on dit qu’ils sont d'une mtme espéce, mais dant Ia LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 169 « un mathématicien peut connattre exactement Ia nature d'un ennéagone ou d'un décagone, parce qu'il a Te moyen de les fabriquer et de les examiner, quoiqu'il ne puisse point les discerner 4 la vue ? », Une mauvaise définition mathém: tique est celle qui ne nous donne pas la génération du défini, teoinme si nous définissions le cercle par la propriété de Tare capable * ou la parabole par la réflexion dans un foyer des rayons paralléles & une certaine droite, Une bonne défini- tion nous fait, au contraire, connaitre, par sa génération, la possibilité du défini — ainsi : le cercle par rotation d'un segment — et « c'est pourquoi nos idées enferment un juge- ment », Or, ici nous allons échapper aux considérations du genre et de l'espice. En effet, la possibilité de l'idée n'est plus que par conséquence 1a’ possibilité d'un contenu de pensée; par principe, elle est la possibilité d’un acte de pensée. ‘Avec Ia découverte de Ia série de = Leibniz découvrait qu'une définition, en un nombre fini de mots, pouvait déter~ miner un infini; et, comme Vécrit Cassirer, la définition génétique allait trouver son accomplissement dans T'infi- nitésimal ®, Du principe de position qui fonde la géométrie classique & laquelle Descartes reste fiddle, on passait au incipe de transition qui fonde analyse leibnizienne.: Si le premier, traitant des homogénes, pouvait encore se plier & une logique per genus et differentiam, le second, traitant des homogones — qui vient de yewdpat et non de yeyvouat — échappait & cette logique : qui dirait que la nuit est une espéce de jour? Par la théorie de la définition génétique, Leibniz revient & Panalyse et & la synthése mathématiques. Par des voies opposées A celles suivies par Descartes, il rejoint son prédéccsscur. Voices opposées, en effet, que celles de Fintuitionisme et celles du formalisme. Descartes invoque- 1u sujet de Pidée de Dieu °? rézaphysique ou dans la plométrie specie diferre dicere potsumus TyuseSedgue aifcensan fabene in nouone in se expen eonase Shere dase Blips» RB ney 1a BV af Be earn a ets 5 RB a to BV, Be 4D feck tad £ Bat Brkeruoniproben, «Th, pp. 154-35 ‘ & Deustimer Repmves, ArT: 1X) pert: encore qu’il ne seen aan’ de fe pre eee rn eres oute os choses qui sont contnes dana ee conespt AEE Neture divine, soiene telément connezee entre eles, quil 170, LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES C'est précisément sur ce point que Leibniz fait porter sa critique Ja plus tenace. Descartes affirme-t-il que le mouve- ment est plus aisé & concevoir que Ja ligne des géométres? Ii n’en tire, méme en géométrie, aucune théorie de définition constructive. Et pourtant il sait bien que les courbes se définissent par des mouvements réglés. Sculement, c’cst 1A quill achoppe, II exclut de sa géométrie les courbes mécani- ques parce qu’elles sont décrites par des mouvements séparés — de rotation et de translation — et que ces mouvements mont entre eux aucun rapport quion puisse mesurer avec exactitude — il dira : la proportion entre les courbes et les droites n’étant pas connaissable par 'homme?, Ainsi, entre Ia construction réglée et T'intelligibilité il n'y a pas équiva- ence pour Descartes. Cependant sa Physique sera génétique car, remarque-t-il, la nature des choses est bien plus aisée 2 concevoir lorsqu‘on les voit naitre peu 4 peu en cette sorte, que lorsqu’on ne les considére que toutes faites? : mais il ne donne aucune régle de définition génétique et Leibniz lui reprochera d’écrire un roman de physique, de tomber dans V'imaginaire *. ‘Ainsi dans la détermination de I'idée_ nos philosophes suivent des méthodes différentes. Congoivent-ils pareille- anent les sortes de définitions? Leibniz distingue la définition nominale et 12 définition réelle. La définition nominale est la simple énumération des caracttres suffisants ®, Cette définition est empirique. On peut, avec Hannequin ®, lui faire correspondre, chez Descartes, toute notion qui n’a pas son objet dans une essence réelle; cest-i-dire claire et distincte. Avec M. Gueroult ? nous semble y avoir contradiction & dire quil y en ait quelqu’une ‘Gui n'apparticnne pas a la nature de Dieu... » Passage invoqué par Havneguin, fo it, pour afemer que les notions qui ont une Estene rele répondet la dfintion resi de Lainiz x. Géométrie, Livre It, A.'T. VI, pp. 388-399, P. 412. 2. Ausel bien, la simplcité deo "vies, toute mécanique chez Descartes, ne sera-t-elle pas du méme ordre — nous le verrons, chap. vi que la simplicité fnalate des voies chez Leibniz. Et rappéllerons-nous avec Mf. Gusnovts : Malebranche, tl, p. 280, fandie quo la cimplicité deo voles reste extrinatque & Pouvrage pout Malebranche, Lelbnis ia rend intonstque : ceateledire “quelle entre dans la défnition de essence. ‘3. Prine. II, 45- 4 Voir cicdtstov, chap. vit £ De Copnitione, B.1V, p. 423. 8. Lae. ct 7. Descartes, T, pp. 313-315. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES x7 on citera des définitions par énumération empirique, par exemple celle de la pensée, ou de l'idée, Cependant, ce ne sont pas IA des définitions empiriques dans le sens ot l’en- tend Leibniz. Elles proctdent, en effet, par énumération complete, non certes de toutes les propriétés de l'ime, puis- ‘que nous cn découvrons par Ia suite celle de mouvoir les esprits animaux, par exemple — qui n’apparaissent_ pas diane fa défnition, mais de tous les attributs essentels, Cotte énumération compléte n'est possible, comme en mathéma- tique, qu’a partir d’une essence : essence de lame une fois obtenue par lexclusion de celle du corps, cette ame peut @tre décrite, en un dénombrement entier ott je sois assuré de ne rien omettre, conformément au quatriéme précepte du Discours, en la considérant, chaque fois sous les deux aspects actif et passif, d’abord en elle-méme, puis dans son union avec le corps. Ainsi entendre, vouloir, imaginer, sentir est la méme chose que penser. Le Traité des Passions, de Vart. 17 & Vart. 27, révéle mieux qu’un autre texte la nature mathématique de ces dénombrements entiers. Cest pourquoi cette définition empirique, ou réputée telle, est parfaite dés Porigine, 4 la manitre d’une définition mathématique, elle n'est pas « provisionnelle » comme la définition empirique selon Leibuiz. En d'autres termes, mises & part les natures simples que la distinction d’évidence suffit & définir, la défi- nition chez Descartes est toujours déductive. Elle ne s’ins- talle jamais au niveau de Vessayeur d'or, du chimiste. Une énumération compléte n'est pas une énumération de carac- teres suffsants, Aussi la fameuse analyse du morceau de cire ne constitue en rien une analyse d’un morceau de cire : ce quielle définit est 1a substance corporelle et non point Ia substance physique de la cire. Il semble que le dualisme et le précepte d’évidence isolent du monde rationnel le monde sensible et, ne laissant plus subsister aucune communication’ entre la définition réelle et la définition empirique, en viennent A rejeter cette derniére. Chez Leibniz, au contraire, la défini- tion nominale peut étre prise pour réelle, lorsque l’expérience nous assure @ posterior’ que le défini est réel®, La science expérimentale ‘ne saurait toujours contester Mautorité. des sens. D’ailleurs, nous le savons, la raison n'est pas insulaire. Lorsque Ie savant tient pour réelle la définition nominale, x, Deusibmes Réponses, A. T-TK (A), p- 205, id. Med. It, Princ. Sy Sj. Dise, Meta., XXIV (exemple du vit-argent). — Covrunat, Op., pp. 432; 220. x2 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES il se fie &la convergence des témoignages tet des expériences' Et selon le degré de cette convergence, il s’éléve de l'incertain au probable, et-du probable raisonnable 4 Ia probabilité rationelle, Mais Descartes vite le probable’ Cependant, méme chez Leibniz, la définition réelle ne stobtient pas’2 la limite de la définition nominale : Ya priort et I’a posteriori ne sont pas du méme ordre, Il suffit de donner 1a cause — n’oublions pas que nous parlons la: langue du xv® siécle — pour passer & I'a priori, et Yon peut parfois donner cette cause quand la définition nominale est impossi ble : il n'y a pas de définition nominale possible du plaisir ou du vert, nous en donnons pourtant une définition réelle par la cause, la conscience d’un accroissement de perfection, Te mélange du bleu ct du jaune 4, Dans Ics matiéres purement rationnelles, cette définition causale devient génétique, cons- tructive. On peut lui faire correspondre chez Descartes Ia définition par essence. Mais ou bien cette essence se mani feste & Vintuitus mentis, et nous retrouvons le conflit intui tionisme contre formalisme; ou bien cette essence est cons~ truite ‘déductivement a partir d’éléments. simples — par exemple, dans les Principes IV, lair, § 45, V'eau, § 48, le feu § 80, définis Par ‘une combinaison de molécules différentes, et Cest en prolongeant cette déduction constructive que Yon aurait da parvenir 4 définir Ja cire — et, cette fois, le confit s'institue entre l’imagination du géométre qui veut en quelque sorte voir l’essence, et Ja pensée aveugle de 'ana- lyste qui s'attache & la composition des forces, la force demeu- rant en soi invisible. Au résultat, rien que ne laissit prévoir la critique de Pévi- dence. La clarté de Vidée se détermine pour Descartes par les degrés d’unc certitude intuitive qui rend Ia définition inutile et la considére comme stérile. Elle se détermine pour Leibniz par la définition, soit nominale qui estime le nombre de caractires suffisants, soit réelle qui donne la gentse de essence; et la définition est doublement utile, parce qu’elie permet d’échapper aux variations subjectives de Pévidence, et parce qu'elle est féconde, « le plus puissant instrument dont l'homme se puisse servir pour arriver & x. De Cognitione, P. IV, p. 422. Nous ne pouvons que désigner Jes qualités confuses A cet qui sont capables de les percevolr Sz C08 in rom praesentem ducendo, atque ut idem videant,olfaciant ‘aut gustent efficiendo... » 2. ninad, I, 4. i, 3. Cf. chap. 4 A Wolf ar LA CRITIQUE DPS QUATRE PRECEPTES 173 Ia connaissance des essences et des vérités éternelles », «c'est par la qu’on invente et qu’on démontre », « enfin si les défi nitions ne sont pas principes des vérités, elles sont principes de lexpression des vérités, c’est-A-dire les définitions sont principes des propositions »; et « puisqu’une équation en Chet n'est qu’tne espéce de la définition », sans doute ne tient-il_qu’d nous, en remontant au genre, de fonder une algebre de la pensée +, Mais ici, pour mieux confronter nos auteurs, nous avons & examiner de quelle manire ils congoi- vent les rapports de Tidée avec imagination et avec le langage. Leibniz, comme Descartes, oppose les idées pures « aux fantémes des sens® », Pidée du chiliogone & son image® = Ia géométrie de laveugle et celle du paralytique « se rencon- trent et s'accordent, et méme reviennent aux mémes idées, juoiqu’il n'y ait point d'images communes ‘». Avee Descartes, il professe que « les idées intellectuelles qui sont lz source des vérités nécessaires, ne viennent point des sens » et que, du reste, « il y a des idées qui sont dues & la réflexion de Pesprit lorsqu'il réliéchit sur Iui-méme® ». Pour tui aussi, le distinct reléve de l'entendement, le confus est lié au.sen- sible® : les « caractéres de lumiére interne seraient toujours éclatants dans l'entendement et donneraient de la chaleur dans la volonté, si les perceptions confuses des sens ne s’em- paraient pas de notre attention 7, De méme que, pour Des- cartes, seule importe Ia justesse du raisonnement en géomé~ trie of les démonstrations, si elles sont in au peed des figures, ne donnent pas le pourquoi et le comment, de invention ®, de méme, pour Leibniz, les sensations seules: ne sauraient donner quelque raiton de a liaison des per ceptions ®. . es ‘Cependant, les rapports de V'idée & imagination ne 1 A B Marit ult 676, BM, pp. 270-276 2 NEL 1, 5,P-V, p.7- * Bbid. Th, wok, 13, BL V, p. 242¢ Disc. Meta, xoxrvensvys of iti, ps 363, Es pe 482 (propo do Malebranche) répéee 3 Hal, 20 a08¢ 1708) 6d. 44) MMl, p. 26, VII, B. 207, B. 254 WN. Bit tx § 2, p 24 bey, pirT i, u, P. V, p. 1095 ete. 1i, 20, P. Vp. 91. ALT. VI, p. 3893 Reg. IV, A.'T. Xs ps 75+ EL xt 14, P. Ve ps 2305 1¥, 1. B. VY, p. 338. 7 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES: stexpliquent pas de la méme maniére par le dualisme carté- sien et par le monisme leibnizien. Pour Descartes, la sensation résulte de I'effet mécanique des mouvements qui, par les sens externes, se communiquent au sens commun — la glande pinéale — d’oit les esprits animaux les impriment dans les plis du cerveau® Tl n'y a aucune resemblance entre ces mouvements et les qualités sensibles qu’ils émeuvent. En inversant la direction des esprits animaux, I’éme a pouvoir de s'appliquer aux espéces ou traces du sens commun ou du cerveau, et de se former ainsi une © idée »; mais ces traces Iui restent, pourrait-on dire, extérieures, parce que la puissance spirituelle est dune autre nature que la force matérielle®. En regard de P'ame immatérielle, « "imagination ellesméme, avec les idéex qui existent en elle, n'est qu'un vrai corps réel, étendu et figuré », Ce duatisme signifie que « si lentendement s'occupe de choses qui n'ont rien de corporel ou de semblable au corps, il ne peut étre aidé par ces facultés [sens, mémoire, imagi- nation), et qu’au contraire pour ne pas étre entravé par elles, il doit carter les sens et, autant que possible, dépouiller Fimagination de toute impression distincte. Mais si lenten- dement se propose d’examiner quelque chose qui puisse tre rapporté aut corps, c'est dans imagination qu’il faut en former Hidée Ia plus distincte possible; et pour le faire plus aisément, il faut montrer aux sens externes la chose méme que cette idée représente 4», S'agit-il de s'occuper de ce qui, par excellence, n'a rien de corporel, Dieu? « Je fermerai maintenant les yeux, je boucherai mes oreilles, je détournerai tous mes sens, j'eflacerai méme de ma pensée toutes les images des choses corporelles, ou du moins, parce qu’ peine cela se peut-il faire, je les réputerai comme vaines et comme fausses...° ». S'agit-il de traiter du monde, tel que la science Te congoit dans sa vérité? Celui-la aura le mieux philosophé qui aura pu assimiler le plus heureusement les choses cher~ cchées & celles connues par les sens *. S’agit-il de mathéma- tiques ? Leurs objets se présentent comme des mixtes.“Tantot 1, Reg, XI, A,X, p. 412, 2. Ve Resp. AT. Vii, ps 387 1" Ad imaginationem vero, quae non nisi de rebus corporels esse potest, opus quidem csse specie {quae sit verum corpus, et ad quam mens se applicet, sed non quae in mente recipiatur, »'— Id. Reg. XI. 3. Reg. XIV, AnT. X, pe date 4 Reg, XI, A. T. X, p. 416. 5: Med, It, diout. . Cogitationes privatae, A. T. X, pp. 218-219. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 175 la figure, étendue, le mouvement, etc., seront rangés parmi les choses purement matérielles 1, et tantét parmi les notions ‘qui se peuvent connaitre « par l'entendement seul », quoique «« beaucoup mieux par l'entendement aidé de imagination *», U n’appartient qua l'entendement pur d’abstraire ces notions innées des choses sous lesquelfes, dans I’union oft nous vivons de Time avec le corps, elles se présentent & nous’. Il n'y a rien de plus facile & connattre que ies natures simples : il suff avoir des yeux pour apercevoir tend, un homme dasis ou debout, ete. Le difficile « est pour les séparer les tunes des autres, et, en fixant son attention, avoir Vintuition de chacune séparément » : certaines personnes n’arrivent pas a distinguer nettement qu’entre un homme assis ou bout seule a changé Ia position &, C'est que, dans I'abstrac- tion, la nature de l'esprit s'oppose A Ia nature corporelle. A Pinertie de Ia matigre et, par 18, de imagination sensorielle, elle doit opposer activité de’ V'imagination combinatrice, volontaire®. Mais cette imagination volontaire ne saurait combiner que ce que l'abstraction a deja divisé; et comme elle ne change évidemment pas la nature matérielle des esprits animaux qu'elle dirige, ni des traces qu’ils utilisent ou quills frayent, elle ne saurait peindre non plus une image plus nette que celle de la perception passive. Aussi facilement qu’on pergoit un triangle, aussi facilement on 'imagine; aussi confusément qu’on pergoit un chiliogone, aussi confu- sément on I'imagine. Aucune contention d'esprit ne peut dépasser les limites que limagination matérielle impose 4 Vimagination qui a sa source dans la yolonté. Mais nous allons y revenir. | ‘Chez Leibniz, plus de dualisme, Le dualisme — celui dont nous purluns dans harmonic préétablic, -- le dualisme nest que d'apparence, et cette apparence est fondée sur Pimagination, Qu’est-ce done que imagination? L'expres- sion d'une multiplicité infinie dans lunité d’une substance finie, Dicu s'exprime la fois dans le monde et dans nos pensées : cest pourquoi nos pensées expriment & Ia fois Diew et le monde. Nous participons doublement aux Idées 3. Reg. XU, A. T.%, Pe A1y. 2. A Elisabeth, 28 juin 1643, A. ‘T. TL, p. 691. 3. Reg. XII, A. T. X, p. 418; XIV, p. 444; Med. I, Av (85; 9. 24 «0 ae je ne saris pas méme concevoir par imaging tion ee que c'est que cette cire et quill n'y a que mon enten ‘seul gui le congoive... »; V* Resp., A. T. VII, p. 399- 4, Reg. XIl, A. T. X, p. 425. 5: Tre des Passions, art. 19, 20. 176 LEIDNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de Dieu géométre — Cum Deus caleulat et cogitationem exercet (fit Mundus — : en percevant le monde oii s’exerce la mathé~ ‘matique divine, le mécanisme métaphysique qui en.a été Yorigine 3; en tournant notre esprit vers la source du monde intelligible dont nous pouvons avoir réminiscence. Mais, Percevants ou concevants, nous ne pensons toujours qu’en exprimant une multiplicité infinie. Ainsi l'idée de I'étendue implique la double infinité de la projection intermonadique et de leurs rapports de coexistence actuelle ou possible. Liimagination ne survient plus & I’ime par son union avec une substance étrangére, ainsi que le voudrait Descartes : elle est inhérente & I'esprit, elle est donc intellectuelle. Dés lors, comme nous 'avons vu, une intuition & la Descartes, tout 4 fait dégagée des sens et de la mémoire, devient impos- sible en fait et en droit. Des sens? Certes, Descartes avoue bien « qu’a peine cela se peut-il faire »; mais le dualisme postule que cela devrait se pouvoir faire. Alors que, pour Leibniz, « c'est par une admirable économie de la nature que nous ne saurions avoir des pensées abstraites qui n’aient point besoin de quelque chose de sensible, quand ce ne serait que des caractéres tels que sont les figures des lettres et les sons... ? 2. Cette aimirahle éeanamie est le parallélisme de 'harmonie préétablie. Pas davantage, I'intuition ne saurait étre sans mémoire, car conscience c'est mémoire : « conscienti est nostrarum actionum memoria », et si Yon admettait le doute de Descartes sur Ia déduction, il faudrait le pousser jusqu’a Vintuition de idee présente ®. L'obscurcissement de l’idée par limagination n'est done pas le méme selon Descartes et selon Leibniz. Selon Descartes, en effet, Pimage participe du néant esprit quest Ie corps. Elle projette sur 'idée cette obscu- rité du sentiment, qui, n’étant pas de nature intellectuelle, resterait inanalysable méme pour un esprit infini, et marque en nous ce qui est le plus éminemment subjectif *. Si elle x. De renum originatone radicals P. VI, p. 304. 2.NE lyr -V, p. 745 ll, 50, 75, BW 19 periuad qu le kien of es Ate ete Et jamais ‘sana sensations, comme ils ne saursient raisonner sane srneteres oy wl Wolf, Z0\aout 1705, Cd. tity pr ga. Bien que essence de Ia’ pensée ne soit pas Timagination ou les sens © je dlemeure accord cependant que lessens externes nous sont néors- ea pour pense cu ious en svins Cu sult, mows Re penserlons pas > PV p. 497, 4. Boo., p. 58; NEW, 2,8, P. Vp. 340. #,Ce Gtisounr : Davertesw' 11, Bp f04 #90, Pe 134 sy p.Sas. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 37 est complexe, elle entraine la contention — « de laquelle je fhe me sera point pour concevoir ? » — que réclame 'appli- ‘cation de 'ime & ce qui n'est pas elle. Par cette obscurité, elle voile l'évidence. Par cette contention particuliére, elle fatigue lattention. Elle est done un risque d’erreur. Méme quand elle ne trompe pas, elle peut borner l'entendement, car elle l'attache « A ces démonstrations superficielles, que Ton trouve plus souvent par hasard que par méthode, et qui sladressent aux yeux et 4 Pimagination plus qu’a lentende- ‘ment, au point de se déshabituer en quelque sorte de I'usage de la raison méme; et en méme temps rien n'est plus compli- qué que de dégager par une méthode les difficultés nouvelles lui sont cachées par la confusion des nombres » et des figures * Teibniz, lui, a'aboutit A dea remarques analogues qu’. pastir d'une théorie de Pimagination pour qui V'obscurité du sent ment, résoluble a linfini parce que intellectuelle, consiste en jugements enveloppés. L’idée distincte se peut comparer & tine machine artiReielle dont nous connaistons les rouages, Vidée confuse & une machine naturelle — un organisme — gui enveloppe des organes a Vinfini; ou encore, I'idée dis: tincte & une droite, Pidée confuse & une courbe tant que nous n’en possédons pas Péquation distincte, intelligible *, Il n'est pas tout & fait exact de rapporter directement, avec M. Gue- roult 4, 'obscurité de Fimagination & la faiblesse de notre esprit. Elle dépend directement de notre limitation de créa~ ture, limitation que nous ne pouvons pas modifier, car elle est déterminée par le « point de vue » immuable que Diew nous a assigné dans l'économie de I'univers. Mais de ce point de vue, dans les bornes de cette limitation, il dépend de nous d'user plus ou moins bien des forces que comporte la faiblesse de notre esprit. En d'autres termes, il dépend de nous de pousser I'analyse du confus plus loin que d’abord i ne le semble possible ou souhaitable. Descartes se contente des définitions d’Euclide, par exemple de la. droite, prise pourtant de l'expérience des sens. Or, « ces sortes d'images ne sont qu'idées confuses; et celui qui ne connait Ia ligne droite que par ce moyen ne sera pas capable d’en rien démon~ trerS ». La théorie leibnizienne de l'imagination dévoile autres perspectives que celle de Descartes. Met Vie & Te 1X Op. 38 , AT. X, p. 375. Joh, Bernoulli, x**'mars 1699, M. IT, p. s7- 'M. V, p. 195, Pp. 200-20 178 «LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Diailleurs, il arrive que imagination contribue & I’éclair- cissement de Vidée. ‘L’ime est unie au corps, nous dit Descartes. Ce qui n’appartient pas A son essence, quand on Ia considére isolé~ ment, Iui devient naturel quand on a considére dans cette union. Il lui devient aussi naturel, par conséquent aussi facile dimaginer que de sentir et percevoir, bien que cela ne soit pas nécessaire & sa nature séparée. L’image peut done étre une aide naturelle. I n'y a rien de plus aisé & connaitre que les natures simples qui se rapportent & la matiére — éten- due, figure, mouvement, etc. — et qui nous sont manifes~ tées par Pimagination. En outre, ne savons-nous pas que Tintellection de Tétendue en général est moins distincte que rapportée & une figure, l'intellection de la figure en géné- ral, moins distincte que rapportée & quelque figure parti culiére +? Il suffit de ne pas excéder les limites que ’imagi- nation matérielle impose & T'imagination qui a sa source dans Ia volonté. Pourvu qu'elle soit simple, une figure peut nous aider A déméler ces notions mixtes « qu'on applique indistinctement aux choses corporelles et aux choses, spi tuelles ? », comme l'existence, 'unité, la durée, les axiomes, et, d'une fagon générale, tout ce qui touche la grandeur. De toutes les sortes de grandeurs, la plus claire pour nous est celle qui s‘offre aux yeux. Sa particularité nous rend pré~ sent ce qui dans Ia généralité de la notion pourrait nous demeurer confus : elle n’en trahit pas Vessentiel; elle en éclaire la raison’; elle soulage Vattention; elle nous montre ce que es mots ne peuvent nous montrer. Ainsi, « nous pouvons et nous devons nous'servir du secours de Iimagination : car pour lors, quoique Pentendement ne fasse nettement attention qu’a’ ce qui est désigné par le mot, Pimagination doit néanmoins se faire une idée vraie de Ia chose, afin que Tentendement puisse au besoin se tourner vers les autres conditions de cette chose non exprimées par le mot et ne Jamais croire inconsidérément quielles ont été exclues ® ». ‘Aux figures simples et, en particulier, & la plus simple de toutes, la droite, nous pouvons rapporter les grandeurs soit continues, soit numériques : « ... pour faire comprendre toutes les différences des sapports, l'esprit humain ne peut rien trouver de plus simple», Aucun secours — entendement, x. Voir Re 3: Ct chap. i, pp. 39-40. 4: Reg. XIV, ATX, p. 445. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 179 imagination, sens, mémoire — ne doit étre négligé, pourvu {qu’on sache s'en servir, « soit pour avoir I'intuition distincte des propositions simples, soit pour bien comparer les choses ‘given cherche avec celles que 'on connait, afin de les décou- vrir, soit pour trouver les choses qui doivent étze comparées centre elles, de telle sorte qu’on.n/oublie aucun des moyens qui sont au pouvoir de homme? », Allons plus loin. Une courbe peut étre décrite par ’équation de ses coordonnées. ‘Ainsi, imagination de la courbe et des droites sera encore plus simplifige quand on leur substituera une formule litté- rale qui donne la loi de la courbe, et des lettres qui symbo- lisent la mesure des coordonnées. ” 1 faut aller plus loin encore. On ne se passe pas de V'ima~ ination, Le Cogito Iui-méme ne va pas sans un sentiment de penser aussi inanalysable qu'une qualité sensible ®. Les mathématiques, traitant de magno et parvo, toto et parte, ‘figura et situ, sont la Logique de Vimagination3. Et pour~ ‘ant, cette imagination, il faut la dépasser si 'on veut par- venir & la pure intelligibilité et au réel qu’elle commande. A la pure intelligibilité? Un Euclide n'y atteint pas lors- qu'il nous donne une vision ou imagination sensible pour une définition véritable, cest-A-dire rationnelle. Au réel? ‘Le mécanisme cartésien I'imagine sous les aspects de I’étendue fet du mouvement local; ce ne sont li que phénoménes; fon doit remonter a la force et au mouvement-processus. ‘Ainsi, praeter pure mathematica et imaginationt subjecta, est-on amené & admettre quaedam metaphysica solaque mente perceptibilia*, Borné par V'intuition euclidienne, Descartes n’a retenu de la Logique de l'imagination que ce qui touche Ja quantité (grandeur, égalité), il a négligé ce qui touche la qualité (forme, similitude) :' sa Mathesis n'est done pas tuniversalis, et son Analyse est « plutdt I’Analyse des nombres te 1. XII, p. 420; Reg. XV, XVI. — Ne pas fatiguer I'is i ati ATP. Ares Re ey A ofoin | fous te caloalatours amc te ad Neer cnn ent pt piaeccp erga p een pare SAREE ISS es eatin, Ga "08 Be Ei notan § 35 lcs p17 « Cogito ot ates ae er eens ml ite ee dehocipoam contre, ea Rae ee at ad texte? 3. Couturat, Op. p. 348 : Logicam imaginationis, p._ $5 Scientia rerum imaginabilium. (Cf. Coururat, Log, PP. 295392) “4. Specimen Dynamicum..., M. VI, B. 241} ‘Sur ce qui passe oh Eon hie x80 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES que des lignes? >, Son imagination reste prisonniéxe de la , done d'une analyse imparfaite, que doit parfaire "Analysis Situ. Au surplus, ces mathématiques manquent de Pauxiliaire qui, sans représenter la force ou le mouvement rocessus, du moins I'exprimerait. Cet intermédiaire est Finfintsimale qui prend naiseance dans Vimagination et se dérobe devant elle, comme le prouvera le désarroi de Berkeley. Au total, voici le dilemme : nous ne pouvons penser sans imagination; la pure intelligibilité et le réel quelle organise sont au-dela de imagination. Il n'est qu’une fagon d’échapper au dilemme : dépasser I'imagination en s’appuyant sur elle, La dépasser sera possible, si nous avons compris « combien il faut distinguer Jes images des idées exactes, qui consistent dans les définitions * », et si nous n’avons pas oublié que les définitions sont les expressions de V'idée. Or, une expression est sensible : par exemple, nous ne voyons pas la force, mais nous percevons ses effets. Nous pouvons done nous appuyer sur Pimagination. Nous emploierons surtout des lettres, & la manitre de V'algébre et de Ia logique formelle, parce qu’elles n’ont aucun rapport de resemblance avec le signi- ‘fié : rien done dans leur simplicité qui, soit susceptible de noue égarer comme ill arrive aux figures du géométre. Nous irons plus loin que Descartes qui n’assigne d’autre fonction ces lettres que de symboliser une grandeur : elle désignera pour nous n'importe quelle idée simple, mathématique ou non. Ainsi, nous généraliserons & toute espéce de proposi- tion ce que Descartes, parce qu’il s'est désintéressé des doctrines de la définition formelle, n'a pu que limiter au traitement des courbes : si, comme Leibniz l’écrit & Mariotte *, Téquation n’est qu'une espéce de la définition, nous allons faire de la définition une équation. Comme cette équation « exprimera » Vidée, elle nous montrera les enjointures du concept, de la proposition, sur lesquelles peut se guider un écuyer tranchant, au lieu de nous abandonner sans régle A 1. De ortu, progres et natura zebrae.:., Mi VII, a costae On Bit ae a ‘ae 2rd fero¢. Bodoowen, Mz Vs pe age: Teh bi sucingn celcchors sits mo bora oa Naegen, Silo ei boats as Setar acacia pehake ot ey ee ee fetes sal'tp EleneSis cameras deporte somes, a Ice ube de Elesacn colerene Spepaems gemeen, Mit Be hen eek let pes elas Huon, alles, was imaginationi distinctae unterworffen. » 30 Ne E. Il, 1%, 8, P. V, pe 124. Ghee sin. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 181 évidence cartésienne. Elle nous fournira un « fil palpable *», Cependant, la manitre axiomatique dont Leibniz cherche & dépasser.Fimagination en s'appuyant sur. elle ne saurait Sentendre si l'on n’oppose pas sa théorie du langage a celle de Descartes. oe ‘On ne voit pas les animaux, dit “Descartes, capables de « composer » des signes pour les faire servir en toutes sortes, de rencontres? : ils peuvent imiter les sons, ils n'imitent Ja parole’; ils nous manifestent leurs passions, non Hes pensées il n'y a rien dans leurs cris, leurs gestes, qui ne se puissc rapporter A une impulsion naturelle § et, par consequent, mécanique. Mais si la faculté de la parole reléve Ge la raison seule, les langues sont de convention. Sans doute, hous aussi, & la manigre des animaux, nous avons des « dic- tions qui signifient naturellement... et les voix qu’on jens, criant ou riant, sont semblables en toutes langues. Mais Torsque je vois le ciel ou Ja terre, cela ne m’oblige point & les nomimer plutdt d'une fagon que d'une autre; et Je crois ‘que ce serait le méme, encore que nous eussions Is justice originelle® ». Point de langue adamique dont les notres seraient dérivées, Descartes parait méme rejeter la filiation des langues et l'enseignement de l’étymologie : le peuple, qui ‘compose Jes langues, s’est-il assujetti aux réveries du lin guiste?? Des enfants « n’apprendront point & parler tout seuls, sinon peut-étre quelques mots qu’ils inventeront, mais qui ne seront ni meilleurs, ni plus propres que les notres; au contraire, les nétres ayant été ainsi inventés au ‘commencement, ont été depuis et sont tons les jours corrigés et adoucis par usage qui fait plus en semblables choses, que ne saurait faire l'entendement d’un bon esprit 8», Plutdt que corruptions d'une langue adamique, nos langues sont le perfectionnement, par le peuple et Pusage, de balbutiements primitifs, Une langue adamique ou naturelle supposerait 1. Bop, p. 82, — Descartes, Reg. V. A. TV, p. 280, compare oa otiodelaa fi ge Rote hers flim. 2 Dise. Meth, A. T. Vi, pp. 56-37. 4 ad, A Mersenne, Sorulice 0, A. TIT, p. r2t. 4. Au M® de Newcastle, 23 novembre 1646, A. ‘T. IV, p. 575+ A Morag tersen 164 TW BIS. & 4 Metsem, 18 atcembre 2629, A. 1, pe 103. 7. A Mersenne, janvier 1630, A. ely pe 112. 8. Au méme, 4 mars 1630, ibid., p. 126+ 182, LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ‘quelque ressemblance de nos paroles avec les choses qu’elles signifient : et elles ne leur ressemblent pas davantage que la sensation au mouvement qui la provoque #. A ce point indé~ pendantes des mots nos pensées, « qu’aprés avoir oui un discours dont nous aurons fort bien compris le sens, nous ne pourrons pas dire en quelle langue il aura été prononcé? », et qu'un Francais, un Allemand peuvent penser la méme chose®, Du reste, ‘une méme chose est explicable par des paroles différentes, et A une idée simple ne correspond pas nécessairement un terme simple, Ainsi, « l'assemblage qui se fait dans le raisonnement n'est pas celui des noms, mais bien celui des choses signifiges par les noms; et je m’étonne que le contraire puisse venir en esprit de personne », par exemple de Hobbes qui rend la vérité aussi conventionnelle que les mots ®, Le dualisme cartésien va ranger du cété de Tame les pensées et idées, du cété de Ia matiére les mots *. En droit, Ia conception par l'entendement seul, de ce morceau de cire par exemple, devrait étre muette : mais, tant notre esprit a de faiblesse, « encore que sans parler je considére tout cela en moi-méme, les paroles toutefois m'arrétent, ct je suis presque trompé par les termes du langage ordinaire; ‘car nous disons que nous voyons la méme cire, si on nous la présente, et non pas que nous jugeons que c'est la méme...? 2, En fait, les choses intellectuelles « ont coutume d’étre jointes & certains noms qui, étant corporels, font que nous en avons aussi le souvenir ® », Dés lors, « .., nous ne saurions rien aprimer pat nos paroles, lorsque nous entendons ce que nous disons, que de cela méme il ne soit certain que nous avons en nous Vidée de la chose qui est signifige par nos paroles * », Rejetés du cdté du corps, les mots nous exposent aux risques x. Tr. Lumitre, A. T. XI, p. 4. — Et & Burman, aucune parenté entre Jes lettres R, E, X et a signification de REX, A. TV, p. 150. 2. Ibid. 3. Troisitmes Réponses, A. 'T. 1X (A), p. 4 A Mersenne, 22 juillet 1641, A. Hit, p. 417. § Troiiomes Réponsr, A. T. 1K (A), p. 139+ + Matzenancue : Rech. Vérité, HL, ¥, dang tn passage supprimé Gd. G. Lewis, t, 1, p. 112) montre Vanalogie entre union aime- corps et Ie lien d’habitude idée-mot. 2s Mod. It, A. 'T. IX (A), p. 25, et Yon devrait « avole honte de tite dea oossbons de douter des formes et des termes de parler du vulgaire.. 8 4 Kote, sont 1641, 8. I, ptas. 9, A Mersenne, juillet'1641, A. 'T. Til, 'p. 393. Cf. IV* Resp. A. T. VIL, p. 222.7 a dépouiller Ta substance de tous ses attributs nous’en détruisons toute la connaissance et, par suite, « ce que ‘ous en dirions ne consisterait qu’en paroles... 139. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 183 de l'imagination, lorsque « nous attachons nos pensées & des paroles gui ne les expriment pas exactement ! », comme les Termes de la scolastique qui nous « remplissent seulement de doutes et de nuages? » : par bonheur I'évidence, le raison~ nnement naturel dispensent de « définir & la fagon de I'Ecole » es notions claires. d'elles-mémes*, Cependant T'imagina- tion est aussi une aide. Il y a des mots plus conformes que autres & la nature de la chose qu’ils désignent : « infini, » est malencontreux, car il suggtre une négation de la limita tion, et I’étre infini « ... pourrait étre appelé plus proprement Vétre trés ample (ens amplissimum) si nous voulions que tous lea noms soient conformes Aa nature de chaque chose |» surquoi ne pas le vouloir ? Ce serait Ia angus . Sse tnecon dependeat «de ln vale Philosophie »— carte sienne — qui, « tant pour composer les mots primitifs de cette langue que pour leurs caractéres », procéderait « par le moyen de Tordre, cest-A-dire établissant un ordre entre toutes les pensées qui peuvent entrer dans l'esprit humain, de méme quill y en a un établi entre les nombres... »; mais, cette entreprise suppose qu'on ait « bien expliqué quelles sont les idées simples qui sont en imagination des hommes desquelles se compose tout ce quiils pensent, et que cela fat regu par tout le monde »*; Descartes ne la croit pas réalisable. Leibniz lui consacre sa vie. Il aborde différem- ent 1a question du langage. Oui, la facut de parler est un des avantages de la nature humaine &, les idées intellectuelles ne viennent ni des sens, ni des mots qui en conservent la mémoire, aident notre attention aux choses, permettent de « raisonner & part soi », mais qui ne décident pas d’elles comme le croit le nomina- Time de Hobbes’. Oui, il entre de Varbitraire, au moins apparent, dans nos paroles. Mais entre limmuabilité des notions qui forment la raison humaine et la variabilité des langues, Leibniz découvre le méme rapport qu’entre la logique éternelle et le cours de Histoire, Rien n’a lieu sans 1 in, 3 74 2 ee tice a, aT. Up 400 2 Aken SE oP ea ep £4 Reta SRR LE s, i Rie ate AIS eh Yatra te id fit pag tal ie Pe a hPa ae aH a9gF ll, Vs 10,'p. 282; Dialogues de connextone inter res et verba, Yili p. 190. Courunat, Op.,p. 220, 38 LEIBNIZ. CRITIQUE DE DESCARTES raison : la signification des mots doit avoir ses raisons +, Descartes ne voyait que contiguité sans resemblance entre signe et signifié, comme entre stimulus et sensation; or, «il doit y avoir quelque rapport naturel entre quelques traces du cerveau et ce qu’on appelle les intellections pures », et quelque 1apport muturel entre les mots et ces intellections, ‘Si nous avions la langue adamique « dans sa pureté, ou assez conservée pour étre reconnaissable, il faudrait qu'il y pardt les raisons des, connexions soit physiques, soit d'une institu- tion arbitraire, sage et digne du premier auteur? » : arbi- traire, ici, signifie libre, libre motivé, et, motivé, fidéle & Vobjet exprimé. Dans nos langues dérivatives on reconnait des connexions physiques qui perpétuent « quelque chose de primitif » : et Leibniz d'invaquer les onomatopées, A Ia maniére de Cratyle ¢, de parler « d’instinct naturel » ot Des- artes ne dénongait que contiguité rélexe. Si nos langues n’ont pas conservé, de V'adamique, lordre naturel « com- mun aux anges et aux hommes, et & toutes les intelligences en général », elles nous donnent « pour ainsi dire l'istoire de nos découvertes® ». Apr’s les onomatopées et autres dic- tions instinctives, les prépositions et particules dévoilent leur raison dans l'analogie des choses sensibles et insensibles : elles ¢ sont toutes prises du lieu, de la distance et du mouve- ment, et transférées depuis & toute sorte de changements, ordres, suites, différences, convenances ® » Ces particules passent dans les cas des noms et dans les flexions des verbes 7 es mots, fussent-ils arbitraires et pris de langues diffé= rentes, comme lucifer et phosphore, expriment une relation dlidées 8, Caractéres verbaux et caractéres des choses peuvent se correspondre, de méme que les mots peuvent exactement traduire les connexions ’une pensée, la définition n’étant rien d’autre que la signification signifiée, significatio signi- fieata®. En définitive, le discours. grammatical exprime le discours logique!*. Le progrés de la philologie comparée 1. EAM 1 3, op. 260, 2 Rae, toh B19 is 1, 1b. 260, Sur fa langue adarnique, appelée par NaturSprache, cf By p. 162.7 TPM? PS Ne ibid pps aborteas 1B. BC 1, 5 poe 355-236. apa 4 P77 be 9. De Stilo philosphico Nizolit, § vit, Ey p, 60 b. 10. Consilium de Literis instaurandis condendaque Encyclopaedia, K, 1 p. 50: Hace autem argumenta coneladunt partin vf syllo: LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 185 aura done « des usages trés grands tant pour la connaissance des choses, puisque les noms souvent répondent & leurs propriétés (comme I’on voit par les dénominations des plantes chez de différents peuples), que pour la connaissance de notre esprit et de la merveilleuse variété de ses opérations...? »: © w. une analyse exacte de la signification des mots ferat connaitre mieux que toute autre choseles opérations del’enten- dement? », La langue est « le meilleur miroir de esprit humain? », « le vrai miroir de la raison » et, ajoute Leibniz, ¢ ld ot elle fleurit véritablement, 1a se produisent aussi des hommes de génie ¢ ». Chaque ay est un « point de vue » sur Histoire — cest pourquoi «les étymclogies bien enten- dues seraient curieuses et de conséquence », qui nous rensei- gneraicnt sur Vorigine, les migrations, les filiations des peuples® — en méme temps qu'un point de vue sur la Taison universelle — c'est ainsi « qu'il n’existe pas en Europe de langue plus propre que la germanique 4 l'épreuve et & examen des inventions philosophiques pour une langue vivante : elle est, pour le réel, & l'envi de toutes les autres, Ia plus dense et ia plus parfaite.... la plus impropre & expr mer des fictions, en tout cas plus impropre que le francais, Titalien et autres rejetons du latin...° », A l'intérieur d’une méme langue il y a done, pour exprimer la méme chose, des termes qui éclairent, d’autres qui obscurcissent : et, & propos de ces derniers, Descartes n’a pas toujours tort d’attaquer le vocabulaire scolastique ?. Que d'une méme essence plu- sieurs expressions soient possibles ne doit pas nous les faire dédaigner au profit d'une soi-disant intuition d’évidence. ‘Au contraire, ces expressions sont autant de points de vue smorum, partim vi consequentiarum grammaticarum, quae scilicet jorum veeabulorum, particularum, afixarum, ct’ flexionum jeatione nascuntur. BN. E. Illy 16, 5-9, Pe 317. 2. Ibid, WH, ‘at, 6, Pe 313. FB cvlcg 8 2: RIG Aja Ds Conf. § 66, « que les Mystéres regoivent une explication nécessaire aa NE Tin on 2p, 2595.2, 5-0, p31 & De Sido Nisoith,®§ 152°" Chater, Sert-mab 1698. — On econnatt ih des thimes des TV* et Vs Dizenrs la mation aller onde. Cr mae acl Las ol langue sland ev, Ger Pranigue, aveljuin s947. <> Sura comparsion de Lefbniz avec Hlenddy x suriut, avec W. V. Humbold, cf B. Cassiasn ? Phi 95 8B. 103 Pid, § 19, §8 : cobseuntas sernper aliqua in Technicis ». — De Copniionen, B. WY, Be 422. i : i 186 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES sur essence : par exemple, si nous considérons a* et que nous posions tantot a = 6 + ¢, tantét a= d—e, la formule a? = bt + ct + 2.b¢ exprime le rapport du tout, @, aux par- ties 6, ¢, et la formule at = d+ et — ade exprime le rap- port dela partie, a, au tout, d, et A la différence d — a. Cette variété d’ « expressions » permet en quelque sorte de dénuder la chose dont on parle : sans elle on ne compren- drait plus la fécondité de la tautologie mathématique. _Si le langage exprime notre pensée au liew de ne soute- nir avec elle que des relations extrinséques et arbitraires, le projet de langue universelle s'ouvre sur de nouvelles pers- pectives. Leibniz a annoté la réponse de Descartes 4 Mersenne sur ce projet. Il objecte : « Cependant, quoique cette langue dépende de ia vraie philosophie, elle ‘ne dépend pas de sa fection. C’est-i-dire cette langue peut étre établie, quoique 1a philosophie ne soit pas parfaite : et & mesure que la science des hommes croitra, cette Iangue croitra aussi? », C'est que Leibniz, contre Descartes, maintient Ia théorie d'un monde intelligible qui s’exprimait parfaitement dans la langue adamique dont la réminiscence pourrait nous rapprocher; autre part, il n'isole pas de ce monde intelligible ou raison universelle les progrés de Pesprit humain, c'est-A-dire I'His- toire. Descartes consulte seulement son intuition, aussi Ponctuelle que possible, des idées claires et distinctes : ainsi se tourne-t-il vers des contenus de pensée, la structu de Ia raison ne T'intéresse guére, et, symétriquement, s'il traite du langage, c'est pour en retenir les mots plutét que Ja grammaire, le’ parallélisme logico-grammatical ne retient pas son attention. Par Locke et Berkeley, il prépare cet empi- Tisme pour lequel 1a mathématique nouvelle ne sera just fide « que si les symboles correspondent au contenu de Pexpérience concréte, aux images sensibles * », A l'inverse, Je crésteur du calcul infinitésimal refuse expressément, contre Descartes §, de lier la validité du langage & T'intuition d'une idée® : notre pensée peut étre aveugle ou symbolique. 3 dasa at ditientdean itonam, BT : Accented driihmedieay Tnfnitorun, R. M2, p, 228 2 ex. de ct lid ats ede fg, ingen fructis, non quod ova dicantur, sed quod rev Bu ethitense ment =" Sees oe eS ae ‘3. CouTumAt, Op. ps, 28; Log, pp. 36-57. & EoGmunccavice”.' Zee diaper S35, & Gideeus, p18, nf 9. Late & Mrersenne, A. TT, p. 393. shade Cem BIT, gag ence vem aut eerie amb witai cbnorium est; quod ajunt allqu, non posse nos de reali cere, inteligendo quod. dicimus, quin ejus habeas Scan LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 187 C’est que, si nous n’avons pas les Idées de Dieu, raison uni- yerselle, nous convenons avec hui dans les mémes rapports. Cette convenance s'exprime dans le parallélisme logico- grammatical. Au surplus, toute langue contient en elle des progris de Pesprit humain. Ainsi une relation dialectique Stinstaure, pour Leibniz, entre le langage ct la pensée. Il peut forger des mots et des définitions & partir de I'analyse logique; il peut, inversement, faire précéder I'analyse logique de analyse grammaticale, Ses projets d’Encyclopédie commencent par Grammatica, seu ars intelligendi, et, remarque Foucher de Careil, « c’est la méthode contraire a celle de Port-Royal? », done de Descartes. Aussi, loin que la consti- tution de la langue universelle présuppose I'achévement de Ta philosophie, elle contribuera son achévement, elle pro gressera en méme temps que la science. Ce faisant, «elle sera d'un secours merveilleux et pour se servir de ce que nous savons, et pour voir ce qui nous manque, et pour inventer des moyens d’y arriver, mais surtout pour examiner les contro- verses dans es matitres qui dépendent du raisonnement. Car alors raisonner et calculer sera Ia méme chose? ». Ce secours merveilleux, nous voyons en quoi il consiste. Descartes invoque l’évidence de Vidée passive, sans prendre garde que l'idée a sa source dans le jugement et que nos pen- ‘sées sont ¢ trop vagues et trop volatiles » dans les matiéres ol imagination ne nous aide point & A Vidée — c’est-A- dire & un jugement qui, & son tour, pourrait devenir trop vague ou trop volatil — il faut substituer expression de Tidée, & savoir : le définition. Par l'ordre de ses mots ® ou de ses caractéres, Ia définition devrait exprimer l'ordre des caractéres connus du défini, en étre comme la projection. Entre les caractéres de la définition et ceux du defini, il peut y avoir une resemblance concréte, ainsi que dans les idéogrammes, mais cela n’est pas nécessaire : le mot ¢ jaune » n'est pas jaune, le symbole x ou y n'est pas une longueur. La ressemblance essentielle est dans V'imitation de Vordre. ‘Lordre varie selon le point de vue, et c'est pourquoi d’une |, Courunar, Log, p. 74. Sur Vinfuence d’Aristote & ce sujet, iid, p37 ‘a! Mamotre.., 1, p. 48 3. Couruna®, Op., p, 38, 4 AL Gallo, septembre (2) 1677, R. Th, 1, pp. 380-38". $.@ Mariotte, juillet 1676, R Thr, p. 271: «car les noms sont eS eopices de caractires». — CE. Charactentca geometrieg, 0 2008 1679, M. V, p. 14% seq, qui commence par défini : « Characters ‘Sunt res quaedam, quil “dliarum rerum inter se relationes expri- Muntur, ef quarum facilior est quam illarum tractatio. » 188 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES méme chose il peut y avoir plusieurs définitions, pourvu quielles soient compossibles, « comme Ja méme structure ou la méme ville peut étre représentée par différentes scéno- graphies suivant Jes différents c6tés dont on la regarde? ». Ty a pourtant une définition qui doit étre la clef des autres *, I serait & souhaiter que les définitions pussent étre de deux termes :« cela sans doute abrégerait beaucoup; et toutes les divisions pourraient étre réduites 4 des dichotomies, qui sont la meilleure espéce, et servent beaucoup pour l'invention, Te jugement et la mémoire? ». Mais la définition la plus Parfaite est celle qui permet de construire le défini, car, au lieu dexprimer Vextérieur et Veffet, elle exprime essence interne, Porigine, et ainsi montre la possibilité du défini, Dus tous les cas, on tichera que les définitious soient «palpables et ramenées par le moyen des caractéres & quelque chose de sensible »4, sans craindre que ces caractéres nous Gloignent des choses puisqu’ils nous feront, au contraire, pénétrer dans leur intimité*, La caractéristique, « dont ce que nous appelons 'Algébre, ou i'Analyse, n'est qu'une branche fort petite », donne « les paroles aux langues, les lettres aux paroles, les chiffres & I’Arithmétique, les notes & Ja Musique; c'est elle qui nous apprend le secret de fixer le raisonnement, et de l'obliger a laisser comme des traces visibles sur le papier en petit volume, pour étre examiné & Ioisirs est enfin elle qui nous fait rattomner & peu de fai, cen mettant des caractéres a Ia place des choses, pour désem~ barrasser 'imagination ® », Le calcul infinitésimal est son ceuvre; il nous offre des vérités «.. sans aucun effort d'ima- nation, qui souvent ne réussit que par hasard, et il nous donne sur Archindde lea erantiate due Viete cf Desomtea nous avaient donnés sur Appolonius». Ainsi, Leibniz peut répéter la formule de Hobbes: penser et calculer sont Ia 1M. EME, my, a5. 2. A Oldenburg, 1673 (2), R. Th, rp. 240 + « Tpsum eujusque rename lav rit Gain qué deren di, coir, Src done debent, » — COUTURAT, Leg Be 77. SNe Beth go nn a anx "= Comparer, Reg. XU, A. T. X, p. 41 « Mique hhzec omnis ita coneipere multum juvat, cur nihil facile sab denstim cadat quam figuras tangitur enim’et videtue se M. VIL, p. 6o, « ut incorporalia velut manu tangat.» “ochirthaus, 1678, M. IV, p. 40x 2.« Nemo vereri debet re: characterum eontemplatio nos a'rebus abducat, imo contra ad rerum dueet, » 6. Coururat, Op., pp. 98-99. Cf. p. 152. pg Moreton, 2 veptembre 16g, Gare: de Huygens, t. X, LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 189 méme chose. Avec Hobbes il soutient Vimportance des noms et des caractéres dont la combinaison est lige & tout raisonnement : contre lui, par Ia double théorie de I’ « expres~ sion » et de la définition réelle, il distingue mot et concept, i prouve que la vérité ne dépend pas des noms. Avec Des- ceattes, contre Hobbes, il refuse de réduire I'intellectuel au verbal : contre Descartes, il ne place pas la nécessité ration- nelle dans ’évidence des idées, mais dans Ia forme du pos- sible et du compossible, et il tend I’usage de Ja Caractéris~ tique du quantitatif au’ qualitatif. te Si Pon passe de la définition aux axiomes, bien entendu, crest Ia méme évidence qui, pour Descartes, garantit Ti vraie et les notions communes, tandis que, pour Leibniz, est la méme formalité qui démontre possible Je défini et qui s’applique aux axiomes. i ‘Les axiomes, pour Descartes, sont des vérités éternelles *; ce serait done parler de Dieu comme d’un Jupiter ou d'un Saturne, que de nier qu'il aurait pu les eréer différentes. Cette exclusion du monde intelligible signifie que, confiants cen la véracité divine, nous devons nous en tenir & nos idées, les considérer comme il faut, et, dans chaque cas, constater ce qu’elles nous apprennent. Rien de moins formaliste que cette attitude. Au surplus, ne Youblions pas, Descartes rde pour modéle V’évidence, non critiquée, des Eléments PBuclele, partie la plus coneréte des matnématiques, et des mathématiques relativement plus simples que celles dont s'occupera Leibniz. Enfin, on notera que le but, sans cesse proclamé, de Descartes est de devenir « plus savant », ce qui Ie rend beaucoup plis sensible & la découverte qu’a Ia for- salité de la démonstration. A quoi bon définir, 3 Ia maniére de I’Ecole, la figure, la grandeur, le mouvement, le lieu, etc.? Ce serait introduire des difficultés en paroles, ot il n'y en a point en effet : cela ne nous apprendrait rien. A quoi bon formuler & la manitre de Ecole impossibile est idem simul esse et non esse et vouloir y réduire toutes les autres propositions? Voila « qui cst de bien peu d’importance, et ne nous rend de rien plus savants » et c'est assez. qu’un pre~ mier principe « puisse servir 3... trouver plusieurs » propo sitions ®. Au reste, il y aun si grand nombre de vérités pre~ 1. A Burman, A. 'T.V, p. 167. 2. A Clerselier, juin-julllet 1646, A. T. IV, p- 444- 190 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES mires qu’il serait malaisé de les dénombrer : « mais aussi ‘n’est-il pas nécessaire, parce que nous ne saurions manquer de les savoir lorsque l'occasion se présente de penser & elles, ft que nous n’avons pas de préjugés qui nous aveuglent ? » Quelle occasion? Des idées nctuelles. L’axiome ne va pat, si I'on peut dire, au-devant des idées; il ne conduit pas elles. Il ne se manifeste que lorsqu’elles sont déja 1a. Il est Ja constatation intuitive de leurs liens. A priori: matériel, conclut justement Jean Laporte®. Par conséquent, les axiomes ‘n'ont pas de réle méthodologique séparable de Paperception des idées. Or, pour Leibniz, que nous ayons aire & des, vtits éternelles en prouve la formalité : car, une fois encore, les idées de Diew nous échappent, dont les nétres sont expres ion, mais nous convenons avec lui dans les mémes rapports la théorie de l’expression ne signifie pas ici autre chose). formalité nous est donnée avant les idées elles-mémes : elle est cette nécessité logique qui, méme enveloppée dans imagination, ad rem ducat. Il va importer dautant plus @expliciter les axiomes, que la mathématique de Pinfini propose des dffcultés insolubles — bien plus’: souvent rene ‘ducs insolubles — intuition cuclidicnne. Enfin, si nous voulons devenir plus savants, 1a Combinatoire, qui est la méthode d'invention, aura été préparée par l'Analyse, Cest-A-dire par les démonstrations les plus exactes. La cri- tique des axiomes ne s'impose pas moins que celle des dé: nitions. Dire « Cela se voit », « Cela est évident », toutes les experiences le confirment» ete pas renoner i a ator ité de la science. Faut-il, comme nous employons pour marcher nos muscles et nos tendons sans les connaitre, employer pour penser en philosophe les principes inns sans les rendre explicites*? Les anes qui ne prennent aucu détour vers leur fourrage savent-ils que Ia droite est le plus court chemin 4? Quelle que soit la certitude expérimentale, «le défaut le plus général, et dont Euclide méme n'est pas exempt, c'est qu'on suppose des axiomes qu'on pourrait x. Prine, , 49. 2. Op. cite pe 133. 3.,N. B. il, 1, 20, P. V, p. 69. Cf. & Mariotte, loc, cit. p. 279 : Jes définitions’ sont « principes de connaissance et je mets en ‘que c'est par la qu'on invente et qu'on démontre. On me dira que cela ne se reconnait pas. Qu'importe? Les hommes ne savent pas toujours ce qu'ils font, Ils savent fort bien se mettre en équilibre pour se garder de tomber, quoiqu'ils ne sachent pas ce que c'est ‘que centre de gravite, » ‘4. Animad. §, 1, Pe TV, p. 355. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 191 démontrer », car « ce défaut nuit & la perfection de l'esprit et c'est la principale raison pourquoi la synthése des géometres, ne peut étre changée encore en analyse ? ». Euclide n’en est pas exempt, lui qui nous donne de la droite une image pour définition ®, Faute de définitions et de preuve, on en arrive & mettre en doute un axiome. Ainsi, dans la querelle sur Tangle de contingence, on a cru pouvoir douter que la partie soit moindre que le tout, parce qu'on croyait avoir démontré que Je plus grand angle de contingence est toujours moindre que le plus petit angle rectiligne : Leibniz résoudra, pour sa part, le probléme en distinguant — en 1686 —V'angle (recti- igne) de contact de langle osculateur (formé par une droite et une courbe), et en faisant intervenir la considération des Uivers ordies de grandeurs infinitésimales dans les degrés de courbure®. Mis en éveil par ce probléme dis 1676, Leibniz s'attache & démontrer que le tout est plus grand que Ja partie 5, que si des quantités égales on ajoute des quantités égales on obtient des sommes égales ¢, et il ne cesse de féli- citer ennemi de Descartes, Roberval, d’avoir cherché, aussi, & résoudre les axiomes. Cette critique le met sur Ja voie ‘de I'Analysis Situs et de la Caractéristique géomé- trique?. Contrairement & ce que prétendait Descartes en propres termes, les axiomes sont d'un grand usage. Encore faut-il en faire un bon usage et ne pas imiter Descartes, dans sa malencontreuse mise en forme des Réponses aux Secondes Objections : il y prend pour évidents « tempus Praesens a proxime praecedenti non pendere », « quicquid est perfectionis in re, est in prima ejus causa », « res cogitans si norit cogitationes, quibus careat, eas sibi statim dabit si sint in sua potestate », sans démontrer ni la possibilité de chacun de ces axiomes, ni leur compossibilité*. Il est x. Coupunan, Op. po, rfon61 2. N. EIV, x he 4 Vapi 433. — Cf. M. I, pp. 196, 199; II, p24, Vip 17 140, 185; Vii, p35 3 hedltati oot de natera‘angud contacts et otcilin, Mi. VI ppr'g26-320.— Sur ce probleme, MONTUCLA, op city tT, PAB EP shetout, M_ Castors op ec Il, ps 71s 490-3, S15-Si7, $391 638, 7553 + IID, pp. 23-24. aos ‘4. Jos. E. Hormann : Das Opus Geometricum a S. Vincentio nd seike Envaairhung auf Levins (Aohandtangen 4, preuss. Akad. de ‘Wins, rout nes, Berlin, 1992), p. 9. — Da mime: Entictnar= rrdhchteen D7. 5. M. V, pp. 395-396, M. VI,'p. 35, passim. 6. M.V, p. 156; M. VII, p. 2743 P. III, p. 258.— Cf. Coururar, ag, p. 288 80° 7. Coururat, Op., p. 539; Log., p. 183, p- 204+ 8. A Malebranche (1679), P. I, p. 338. 192 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES vrai, comme Je remarquait l’auteur des Principes, que le nombre des axiomes est infini 1, mais il ne fallait pas mépriser, ‘comme il le fait dans sa lettre 4 Clerselier, effort des Scolas- tiques pour les réduire. Car si les axiomes se démontrent, est qu’ils se subordonnent au principe supréme des démons- trations : le principe d’identité. Démontrés, les axiomes s¢ résolvent en définitions , Et ainsi toute certitude logique ne devrait avoir d'autres hypothéses que le principe d’iden- tité et les définitions. Les postulats se rangent aussi parmi les principes. Des- cartes n’en dit rien en mathématiques; et les « demandes » par lesquelles, pour imiter les géométres, il commence son abrégé des taisons gui prouvent existence de Dieu, « mentrent pas — remarque Leibniz — dans la démonstra- tion » et ne servent « qu’A préparer Pesprit » du lecteur elles relévent de la rhétorique et non de la logique. S'il parle de « supposition », c'est en physique. Alors-elle devient une hypothése énoneée sur la cause et qui sera prouvée a paste- riori par la concomitance des effets. Lasupposition d’unecause, réalité physique, n'est pas la supposition d’une idée, réalité dale, et Leibniz marque la diftrence lorsque, traitant du Postulatum d’Archiméde — Ia balance reste en équilibre pour des poids égaux des deux parts de Ia balance —, il ne se contente plus d’invoquer le principe d’identité, il y ajoute le principe de raison suffisante 4. D’ailleurs, usage hypo- thético-déductif des suppositions en physique se distingue ‘encore en ceci de son usage purement mathématique : Des- cartes ne les admet jamais comme fausses pour établir une démonstration par Fabsurde, mais seulement pour mieux faire comprendre la genése, et par li la structure, des phé~ noménes *, Pour Leibniz, le postulat est une proposition contestable °, parce que non’ démontrée. Comme nous ‘ne pouvons pas tout démontrer, nous nous arrétons & des termes « indéfi- nibles 2, comparables & des nombres premiers ?. Certes, en £. Govrvten, 0 our Conring B. nim alivd est analysis quam substituere implica in lacum compscitorum. sive prinetia {in focum dertatorum, id et theoremata Tezlvere in debnkiones et ‘Stiomata, et af opun esse axomata ipsa denigue in deftiones. = 3A Malcronce, to. et Be we Fi 4 Govromn, Op. p. 5102 B Vil, pp. gor, 309, 356. £ Prine, I age APE EK @), pas” 8 &: Ronnser, pts. Z,CoUreni OB p. 1875 8.G. Wagner, Ep. 425 by ef Py p. sr. TA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 193 poussant I'analyse jusqu’aux « indéfinibles » absolus, nous retrouverions le probléme des disparates, qui échappent & toute réduction formelle 1 Mais quoad nos, les indémon- trables sont des hypothéses dans le sens oi I'entendait Pla~ ton? Et, de méme que nous ne discernons « jusqu’ici » les termes premiers qu'en essayant la division, mais que peut- @tre un jour on en découvrira la loi, de méme les indémor trables « jusqu’ici » pourront peut-étre un jour étre soumis a analyse. En tout cas, c'est ce que les mathématiciens doivent tenter de faire quand il s'agit de théorémes non démontrés, comme les demandes d’Euclide sur la droite, les paralléles, le cercle. Le postulat a un usage Iégitime, car si les géométres avaient voulu différer de découvrir des théo- rémes ou des problémes , tant qu’ils n’auraient pas démontré axjomes et postulats, nous n’aurions sans doute aucune géo~ meétrie aujourd'hui, Il est done aussi légitime d’uti des postulats pour le progrés de la science, que d’entre- prendre de résliser une langue universelle avant — contrai- rement A ce qu’affirmait Descartes — lachévement de la vraie philosophie. Mais lorsque la synthése des géométres est assez avancée, il faut alors se proposer de la changer en analyse. En vue d’ensemble, on apercoit comment s’organise Ia ue des quatre préceptes que recommande le Discours. Leibniz rejette l’évidence cartésienne. Il voudrait, pour sa part, ne recevoir jamais aucune chose pour vraie qu'il ne la Connit formellemient étre telle, c’est-I-dire ne_comprendre rien de plus en ses jugements que ce qu’tine définition réelle lui présenterait comme possible. Dans les sciences empi rigues, on se contentera de 'numération des caractéres ‘suffisants et d’une possibilité @ posteriori dont la certitude morale ne fera que croitre avec la convergence des expé- riences, Dans tous les cas, nos pensées sont trop subjectives 1. H. Hersorny fe city p27, note, win ‘ 2. E. Caseinan, L°Syet, pp. 119-170. tnvoque 1, B. 203 et compare avec Phédon, 100, 10r, 167 b, Rép., 510 b, $11 b, 533 ond. 3. Ler Bléments d'Euclide, par le P. .-Claude Frangois Mintzr Décuattes (Paris, M. DC. XC) avertissent, p. 15 : « Nous avons deux sortes de Propositions; quelques-unes ne font que considérer tune vérité, sana descendre & Ja pratique; et nous les appelons théo~ Himes, Les autres nous proposent quelque chose & faire; et on lea appelle Problémes. » 4. Aninad. I, 1, P. IV, p. 355: 194 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES et volatiles pour servir de critére A une science objective, communicable 4 chacun. Qu’on les remplace par leurs expressions. Le role des définitions est d'exposer aux yeux de tous, per aggregatum notarum, les composants du défini et sa composition. Pour n’avoir pas suivi cette voie et s'en étre tenu a Pévi- dence, Descartes, dans son second précepte, ne nous donne pas les moyens de faire l'analyse et de la poursuivre assez Join. Comment nous y prendre, en effet, pour diviser cha- cune des difficultés que nous examinons « en autant de par- celles qu'il se pourrait et qu'il serait requis pour les mieux résoudre », si aucune définition ne nous montre les articula- tions de la difficulté+? La perception prétendue claire et distincte est trop sujette a illusions, et pour désabuser M. Tschirnhaus, « autrefois bien plus cartésien quiil n'est & présent », « ... je lui ai fait voir qu'on ne saurait fonder sur aucun raisonnement, avant que de savoir si la notion est Possible, en quoi M. Descartes a manqué*. » C’est la défi- nition qui est la clef de analyse. Une caractéristique univer~ selle permettrait de Valgébriser. imagination elle~ méme se trouverait formalisée. Nous échapperions & la fois aux illusions de P'évidence et & celles de imagination’, La caractéristique, en poussant ’analyse plus loin que Nalgebre, démontre « par exemple que Intersection de deux surfaces sphériques est un cercle, et autres choses sem- lables, sans employer Vimagination * », et elle pousse l'ana- lyse plus loin que 'algébre de Descartes, en remplagant (Gans Ia théorie des déterminants) les paramétres littéraux par des paramétres numériques®. Avoir des moyens pour 1. A Jean Gallois, septembre (?) 1677, R. I, 1, p. 381 : « .. il sae let sapere te Et aca SSUES Gage eee Rese aa — Elementa..., p. 106. 7 seiraseset APT 1» . D, Mannie : ‘Neue Einbicke.., ob. cits, pp. 13-15. Leibniz Bec teres cetera is Bates tae eee Sane et ieee, SEE, us es res eee Un a Seo yn eae ea ies Grr oe Se ci a REstie pcs tenia Mauer ioe recat mara atte sgn tects ooh otineg sea tionistes (Brouwer, Weyl). fe 5. A L’Hospital, 28 avril 1693, M. Il, pp. 239-240, cf. p. 245. LA CRITIQUE DES QUATRE FRECEPTES — 195 porter plus loin 'analyse, revient & avoir des moyens pour rendre les démonstrations plus parfaites, car « la démonstra~ tion n'est rien autre qu'une chaine de diniions — catena definitionum — ou, au lieu des définitions, des propositions dgja démontrées & partir des définitions, ou de principes bien déterminés. L’analyse n’est, en effet, que 1a résolution du défini en définition, de Ia proposition en sa démonstra~ ion, du probléme en ses affections * », Toute démonstration d'une proposition donnée — telle que 2 + 2 = 4 —a lieu analytiquement en substituant, en vertu du principe d’iden- tité, la définition (2 = 1+ 1, ete.) au défini (2, etc.)* Si tout raisonnement pouvait s‘algébriser, nous’ pourrions finir les « disputes » par un : Calculemus/ Nous ne pouvons toujours pousser Panalyce juequ’aux premiers possibles —"e aussi ne Test-il pas nécessaire pour la science® » — du moins sommes-nous assurés, parce que nous avons suivi Tes « marques » des définitions, de ne pas nous étre égarés dans une analyse illusoire. Dis lors, nous pouvons corriger le troisiéme précepte. Descartes dit, qu'une fois qu’on a obtenu par le second précepte les idées simples conformes au premier précepte, i faut, autant que cela est possible, suivre Pordre naturel des raisons; et cet ordre, il le définit comme progressant des objets les plus simples aux plus composés. Mais, de méme qu'il ne nous donnait pas de signes palpables pour mener & bien analyse, de méme, et par conséquent, il ne nous donne pas ici filum certum artis inveniendi‘, Au reste, on ne peut séparer analyse et synthése : car s'il est vrai que l'analyse prépare la synthase §, il faut aussi que la synthése soit menée assez loin pour se pouvoir changer en analyse ®. En effet, Wane put nous avons besoin, pour les synthétioer, dele” ments simples — les définitions — d'autre part, si nous navons pas synthétisé suffisamment d’éléments simples nous ne saurons analyser. Cela veut dire qu'un ordre ne peut apparaitre que par une multiplicité suffisante & sa mani- festation, et c'est alors que la synthése peut se changer en analyse : comme si je prolonge la suite des carrés, 1, 4 9, 16, 25, . je ne manquerai pas d'observer que la différence successive des termes forme la suite des impairs 1. 3. 5. 7. + 1. A Conring, 3 janvier 1678, P. I, p. 185-186. 2 MEW to, Pe Vepea0e 3B thr fe £8 Vil p's $ Courcatr, “Op. pe 5 8: tna, pe 380. 196 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ete. 4. Mais cet ordre, m'apparaissant, me révéle sa loi, et je puis maintenant engendrer une nouvelle suite per genesin sive synthesin ®. Au surplus, la synthése releve de l'art combi- natoire® qui, méme quand nous ne voyons pas comment les objets se précédent naturellement les uns les autres, ne nous abandonne pas au hasard d'une « supposition », mais nous enseigne ses régles d'arrangements, permutations, combi- naisons. D'autre part, le deuxiéme précepte nayant fait que diviser la difficulté pour la mieux résoudre, la résolution elle- méme semble n'appartenir qu’au troisiéme précepte. Mais Ja démonstration peut étre analytique autant que synthé~ tique. De plus, en nous élevant comme par degrés juscu’a la connaissance des objets les plus composés, le troisitme précepte assimile synthése A invention, En’ réalité, are d'inventer est un genre dont les espéces sont Vanalyse et Ia synthése &, Pour étre plus précis, il y aurait & distinguer entre Vinvention d'une preuve pour une découverte donnée, et Vinvention directe de la découverte : la premiere, qui reléve de I’analyse, étant plus facile que la seconde S. Pour inventer, il faut, outre la sagacité naturelle, trouver le point de vue d’ot une idée s'éclaire, comme la perception confuse d'un tas de cailloux devient distincte quand il se trouve réparti en structures simples et cela est quelquefois difficile 8 ILfaut apprendre 4 combiner entre elles les définitions, comme, ‘entre cux, les éléments de ces définitions pour en produire de nouvelles : soit de a la définition composée des caractéres bed, soit be = I, bd = m, ed = n; il en résulte que a= Id = me = nb?, Mais la synthése reste difficile : « On arrive souvent a de belles vérités par la synthése, en allant du simple au composé; mais lorsqu’il s'agit de trouver justement le moyen de faize Ce qui se propose, Ia synthése ne suffit pas ordinai- Fement, et souvent ce serait la mer & boire, que de vouloir faire toutes les combinaisons requises, quoiqu’on puisse souvent s'y aider par la méthode des exclusions, qui retranche une bonne partie des combinaisons inutiles, et souvent la Nature n'admet point d'autre méthode. Mais on n'a pas 1 iP tos : ot Leib ! 2. P. Vil, p. 206 : oli Leibniz emploie Vexpression pour montrer comment IAigebre peut étre synthétique en prenant un exemple ‘gui parait emprunté a la Géonidirie de Descartes 1 a formation des Squations par un produit de facteurs lindaires 3B. VIL, p. 477. & P. VIL, p. 206. & Mlb p- 223: 8. B 1V, m, 207,P. V, pp. 348-049. 7 B.'M, xx0%, 8, P. V,'p.'239- 7. Covtunsr, Op, p. 58. LA CRITIQUE DES QUATRE PRECEPTES 197 toujours les moyens de bien suivre celle-ci. C'est done & Analyse de nous donner un fil dans ce labyrinthe, lorsque cela se peut, car il des cas oi la nature méme de la question exige qu'on alle titonner partout, les abrégés n’étant pas toujours possibles?, » Ainsi, l'art d’inventer, comme lalgébre *, comporte analyse et synthése. Or, Leibniz ne pouvait s' ¢empé- cher de rire » en voyant Malebranche croire « dans I’analyse et généralement dans Vart d'inventer » que V'algtbre était «cla plus sublime des sciences . » A travers Malebranche c'est Descartes qui est atteint, dont la méthode n’apprend pas le Yéritable art d'inventer. : Le quatritme et dernier précepte nous engage & vétifier sila division de la difficulté et sa résolution n'ont rien omis Il demande un dénombrcment entier de tous leo, éléments, un aun, du probleme, et de tous les maillons, un & un, de la chaine des raisons. Enfin, il nous promet, a force de revues générales, de contracter 1a déduction en intuition et d’échap- per ainsi, autant que cela est possible, aux faiblesses de la mémboire, Pour Leibniz, nous le savons, il n'y a qu'un moyen aéchapper autant que possible aux faiblesses de la mémoire utiliser les raccourcis ou abrégés que constituent les signes 4; ce moyen ne nous sauverait point du doute cartésien dans toute sa rigueur. Le maximum de certitude auquel nous soyons en droit de prétendre est celui que la preuve par 9 donne en arithmétique. Encore cette prétention n’est-clle soutenable que si nous formalisons le discours au liew de nous fier & la trop douteuse lumiére de lévidence. Du méme coup, nous serions mieux armés pour procéder i des énumérations complétes. Nous trouverons une aide dans Part combinatoire, En tout cas, nous risquerons moins de 2M BLIV, uy 2-7 350% 3. Bopentanty : Der Briefwecheel det G. W. Leibnis, F348, 4. Bopemann : Die Leibniz-Handschriften... p. 58. P. 1V, p. 327- 5 Blementa..p- 106 ge que Je congoiscarement ct dstintes ment, comment fire sssuré que je continuerai 4 le concevoir ainsi? Supposons quej'éerive ma démonstration en procédant per continuas aequationum identicarum Catenas : «unde tamen certus suim caleulo finito me id semper fecisve, rev enna a fide weniotiae meae pendch uae fallax. Postum repetere caiculum, unde si idem redit quod 'a_probabilitas, sed mon. certitudo; mec si caleulum in bam’ absoluta inde haberi potest certitudo, quoniam nec absolute quidem certi sumus de existentiaullius cartse. Et si saepe repetam, singulae repetitiones ultatibua subjects, ‘quamvis ipsae repetitionum consensus magnum argumentum, ets ‘omnia verssimilia tantum 198 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES SD iasiseniantiansai seat Ante fulr & ce demir précept, que Descartes nly a il Iu oe Descartes et Leihniz prennent tone deme pour modéle les mathématiques; tous deux ils n’en retiennent — et nous découvrirons 1a une de leurs faiblesses communes *— que ce qui fait la certitude de leur méthode. En un sens, on peut dire, et Leibniz Iui-méme le dit, que le réve d'une Caracté- ristique universelle par od se pourrait combiner I'alphabet des pensées humaines, éaie jusgu'au plus intime la pro- fondeur de l’analyse cartésienne. endant ils tirent, cha- cun, une image différente de leur modéle. Descartes, fidéle Ala mathématique clasique, reste hostile & la logique tra- ditionnelle; Leibniz, infidéle 4 la mathématique classique, défend la fogique traditionnelle. Ils en viennent A s'écarter si loin Pun de Vautre, que Leibniz n’hésite pas & traiter de bouffonnerie le doute méthodique®, Nous allons voir com- ment, en cux, esprit arithmétique s‘oppose & celui de Ia géométrie, et la logique de Vinfini & celle du fini. 1. Voir cidessus, p. 157, note 8, 2, Chapt, chap. ws” 3. Bontoates, ids pp. $2553. CHAPITRE IV GEOMETRISME CARTESIEN ET ARITHMETISME LEIBNIZIEN Descartes n’aime pas I'arithmétique? ot il faut, selon lui, moins de génie et plus d’opiniatreté qu’en géométrie *. A-til affaire 4'un probléme d’analyse numérique : montrer jue 120 est le double de la somme de ses parties aliquotes? Il se moque de le savoir’, et se flatte encore en 1639, de n'avoir appris que depuis un an la signification du mot aliquote*. A Vanalyse numérique, dans laquelle il répugne de s’engager, il substitue le plus possible, dans lesprit de analyse indéterminée de Diophante 5, la sienne propre, ce qui veut dire Palgébre. Mais méme dans l'algébre, ce qui frappe le plus, fait observer Gaston Milhaud, « c'est & quel point Descartes s‘éloigne des méthodes algébriques qui aboutissent & des formules numériques calculables. »; Tinconnue représente pour lui, au lieu d’un nombre, une ongueur, et « sil s'agissait d'équations du second degré, on devine qu'il saurait les résoudre par des constructions on n’interviendraient que la régle et le compas?. » On ne s'étonne plus de ne pas rencontrer, dans l'histoire des mathé- x. Tout en Tui attribuant, bien entendu, nous Vavons vu plus hhaut, 1a méme certitude qu'a la géométrie. Voir, par ex,, Reg. Il, I. 2. A Mersenne, 31 mars 1638, A. T.I1,p-91 id, octobre-noverbre 163i, A. Te, pe 2304 3:4 Mersehey ecicbre-noverbre, 1631, ibid. Frenicle, 9 janvier 1630, A. T. Il, p. 473 E Bien que beecartes semble dédaignet Bachet. — A Mersenne, 26? mars 1638, A. T. IL, p. 30 — qui avait fait connaitre Vanalyse indéterminée de" Diophante = Problemes plaisants et ddlectables. Récréations arithmétiques (1613); Diophanti. Alesandrini Arithmeti ‘orum Libri VI (3631). 6, A Mersenne, 13 juillet 1638, A. T. Tl, p. 259, 15 novembre 1638, A. Te Il, pe 427. 1. Descartes ‘savant, B. 42. 200 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES matiques, le nom de Descartes au chapitre de I'arithmé- tique. "Tout change avec Leibniz. C'est dans la science des nombres qu'il voit le premier et le plus sir modéle de la ‘Scientia generalis ¥; Schrmalenbach ira jusqu’a vouloir réduire le leibnizianisme & un conflit entré un arithmétisme ot s‘exprimeraient calvinisme et pluralisme, et un géométrisme a résonances mystiques et monistes, 'Ce géométrisme, & Vadmettre, serait, en tout cas, plus tardif et moins profond que Varithmétisme, Loin de prétendre que Leibniz fit, plus que Descartes, doué pour Varithmétique, peut-étre faut-il, au contraire®, imputer au retard de son initiation mathématique V'intérét qui Pattache, dts sa jeunesse, au miécanisine du calcul dléinentaire : est que cet intérél est moins d'un mathématicien que d’un logicien. Sur les bancs de la Nicolai-Schule, Leibniz avait appris d’Aristote que la définition est une sorte de nombre — divisible en indivi- sibles — et qu'un élément (}, wovds) de plus ou de moins changeait la définition ou le nombre ; d’Aristote, il avait pu, a Leipzig, rapprocher les hypothéses de Bacon sur la combi- naison des formes velut litterae alphabeti®, puis, & Iéna, x, Cassiner : Das Br) ¢ isproblem, t. My p. 14t 3 « Das erste und sichere Analogon far die ‘Konzeption der « Scientia Generalis» sicht Leibniz in der Wissenchaft de Zahlen vor sich. » 2. ScHMALENEACH : Lebnix (Munchen 1921). Critique de cette thése en D. Manne : Leibnizens Synthese Halle, 1925, ch. 111, enchainements mathématiques s'est développée en notre philosophe, scour cece fae ree ns Ehecpi Sei gcuSe etary tat ods clotivement gtendue — Leibniz, m&me dans les années ultericuzes, rest venu A bout qu’avee peine et les fautes de caleul ne sont zien Ge rare en ses publications, Il montre avec tne entire clarté que fe dressage purement formel ne se laisse acquérir que dans les fant de jesse, Toutefi, cette Icing Fa contain invent fans cesse de nouvelles Echappatoires et dentichir par cela meme in ecience de nouvelles ih ob Fesprit de capacité moyenne er Jahige Durchichnitskopf) fie parvent sans pelne au resultat, Ise rendait pleinement compte de eette eirconstance et connaissait sa force ele ne résidait pao dane fe formel, mais dans la deduction rofondémenteaboréetTendro déciat Le i encore, le eos ‘une mécanisation du pur technique; de ly de fongues années, fs lutte pour une machine'A calculer applicable sux quatre sorted de ale, machine qui était deb préve dans an t8te, avant que Leibniz ne vine A Pars, et qui n'a pu €tre relisée quvavee tant de 4. GE plus haut, p. 16 Pep GE plus hawt, p. 363, 2. £ De Bogm Iti, Wy an GkOMETRISME CARTESIEN 201 « lea paralléles entre compter ct raisonner » sur lesquels ‘son maitre Weigel établissait sa « Morale arithmétique * », sans parler de la Computatio sive Logica de Hobbes, citée avec éloge ds le de Arte et dont le titre au moins, & défeut de content précis?, a-certainement é€é un excitant pour esprit du jeune philosophe. On sait avec quelle opiniatreté — peut-dtre lopiniatreté que Descartes abandonne dédai- gneusement aux calculateurs — Leibniz va_s'obstiner, toute sa vie, a la construction de sa machine arithmétique. Dis 1666, avec Ia Disputatio arithmetica de Complexionibus, mais surtout avec le De Arte Combinatoria, s'affirme en lui Tarithmétisme qui le distingue de Descartes. Et que de richesses déja! Le de Arte donne son nom et fonde presque® Ja combinatoire : on y trouve un traité des permutations (cariationes) — en particulier, des permutations circulaires et des combinaisons (complexiones), qui nous ouvre la yoie du calcul des probabilités; on y trouve, en germe, deux importantes notions qui seront développées par Gauss, Ia congruence et le determinant, notions dont, au reste, Leibniz tirera les premitres conséquences dans ses recherches analyse indéterminée sur les équations linéaires 4. Citons encore la numération dyadique par laquelle Leibniz espérait faciliter la découverte des propriétés des nombres : elle lui permet de résoudre des problémes de V'arithmétique de Dio- phante; il en tire des réflexions sur la preuve par 9 — dont tun équivalent, dans la caractéristique, abrégerait et rempla- cerait le quatritme précepte de Descartes — et sur les théo rémes de divisibilité, etc. §. Noublions pas non plus, dans le domaine de Parithmétique pratique, l'application des loga- 2, Thod § 384. Cf. plus loin, p. 23%, ot E Woe‘ iy poi de’ ovronis, Zor, Anpedice I. * Tendis que M. Caxton, Vorlonngen.. Illy pp. 44253, sists ut les précurseurs de Leibniz — Tartagi Buteo, sre tout Pascal — WIELEITNER, Geschichte der M., p. 94, écrit : « Die elgentliche wissenschaftliche Begriindung der Lehre von den Kom- inationen und Permutationen gab erst Leibniz mit seiner Disser= tatio de Arte combinatoria i,j. 1666. » de, ces du GAME Cree Til lane te congruence, A, propos recherches, — ML VIL, 5-6 et lettres au Marquis de T Hospital 28 avril 1693, M. II, pp. 239-24 — « Leibniz — note Wieleinter, Fe ar erktante tueh die Wichtgeet dieser Behandlungswese, Bievie man sieht, den Grund sur Bnistshng der Lehre von de ‘Detetmiganten lees vollotindi, hat sie aber che weer ausge- aut. » (Le mot « determinant » est de Gauss.) Cf. aT, Logsy PP. 4G "Sovruaar, Lor, App. IT. 202, LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES rithmes au calcul des intéréts composés et au calcul des rentes +, De I’Art combinatoire 4 la Caractéristique, I'inspi mn arithmétique conduira Leibniz 4 dépasser le point de vue quantitatif de I’égal et de l’inégal auquel se limite Descartes, au point de yue qualitatif du semblable et du dissemblable; et ce sera encore par I'Arithmetica infinitorum qu'il passera de l’analyse cartésieane & I’analyse de 'infinitésimal, en sorte que le géométrisme reste subordonné chez lui a ’arith- métisme, Enfin, d'une maniére générale, Leibniz n'indique- il pas lui-méme la part de larithmétisme dans son opposi- tion 4 Descartes? «Si, eneeffet, Descartes avait vu la fagon de constituer une philosophie rationnelle aussi clairement et irréfragablement que Parithenilqan, nlest-il pas crayahle quill edt suivi une autre voie, plutdt que Ia sienne, pour constituer une secte (ce qu'il ambitionnait tellement!) : » cette voie — Ia Caractéristique — pourra seule mener une secte & exercer sur la raison, geometrico ritu, un empire qui ne s'éeroulerait qu’avec un retour de la barbarie 8, Geometrico ritu? C’est-A-dire, avant tout : arithmetico ritu. Ainsi, & origine des méthodes, nous avons bien affaire 2 une oppo- jon d’arithmétisme géométrisme, que nous avons ici & préciser en cherchant de quelle maniére Descartes, d’abord, puis Leibniz ont concu le nombre. * Dis le départ opposition est nette. Avec Ia tradition, Leibniz procéde de Idire au connaitre «il ne pratique pas Io doute; le monde est dé et il agit de sever de sa plura- lité & Punité qui en compose Pordre. Descartes pratique le doute. La certitude ne commence qu’avec le Cogito qui porte en lui la régle d’évidence®, Le mouvement ne peut done avoir lieu que du connaitre & V’étre, de 'unité du Cogito la pluralité dont il instituera ordre. Certes, le doute n'est possible que si l'on a déja Vidée de vérité ¢: mais autre chose 1. Meditatio juridico-mathematica de interusurio simplice (Acta, 3683), M. VII, ‘pp. 125-132. ‘Texte utilisé par BRUNSCHVICO, les Bupet« pp. 205 St, pulr meire en évidence ie contraste technique de Palgibre et de analyse — traduisons : de In méthode de Des- ‘cartes et de la méthode de Leibniz, 2. P. VII, p. 187. 3. Discowrs, 1V° partie, A. T. VI, p. 33. — Med. A. 'T. VII, p. 35 (IX, p. 27). 4: Reg. BIL & T. X, p. 420... ex. gr, si Socrates dict se dubitare de ornibus, hine necessario sequitur : ergo hoc saltem GfomérRisME cARTESIEN 203 est de douter lorsqu’on cherche encore un critére de la vérité, autre chose lorsqu’on le posséde. Avant le Cogito qui donne ce critére tout est douteux, d'un doute existentiel appuyé sur It déception de lexpérience sensible et du raisonnement smathématique, en sorte que seule la rencontre d’une exis- tence indubitable — celle du Cogito — pourra y mettre fin. Alors, seulement,’ le doute existentiel, quoique métho- dique, découvrant le critére'de la vérité, se convertit en doute logique. Ainsi, avant le Cogito, ni Ia pluralité sensible, ni méme Ia pluralité des cogitata n’ont encore d’étre véri- table : pour pouvoir dire : cil est certain que je pense une diversité , il faut d’abord étre certain du Je pense, la multi- plicité des cogitata ne peut étre fondée que sur Punité du Cogito. Leibniz, lui, suit la route inverse : est sur Punité du cosmos (qui implique un ordre) quill fonde la mul plicité des cogitata, et il confond doute méthodique et doute logique. Aussi croit-il pouvoir adresser & Descartes le double reproche de ne pas s’en tenir au doute et de négliger a cété du Cogito, cette autre vérité premitze : a me varia cogi- tantur ® Du connaitre & I'étre, Descartes doit passer par Diew qui garantit lexistence du monde : mais la doctrine de Ia création des vérités éternelles — si scandaleuse pour Leibniz — ruine Ja théorie du monde intelligible et, corrélativement, la notion méme de cosmos. Ce qui est garanti, c'est seulement l’exis- tence du monde, mais le monde n'est pas donné & notre connaissance, il est 4 recréer et nous n’en possédons que Ia matitre. Impossible, par conséquent, de suivre un ordre des choses : il faudra snivre, 4 la fagon d’Euclide, Pordre des raisons. Impossible de considérer un universel platonicien 8, ‘ou encore d’abstraire & la maniére d’Aristote et de Ia Scolas- tique, puisque nous n’allons plus des choses & 'idée mais de Pidée aux choses : abstraction ne peut consister qu’ consi- intelligit quod dubitat; verum vel falsumy ee. nnexa sont 1. Cf. Gurroutr : Descartes, t. I, p. 132 ‘sq. Dans'la mesure oi, dlanats premitre Me dahlartpane shapes Sent. que comme des conditions nécersnices du contenu des objets fepréasntés et non comme des conditions formeiles de Ia pence Ou de la représentation de ces objets, elles deviennent vulnerables fy gout di Nalin Cite. corre, sue pln dt Com jperont a le certitude absolue’ (bien. que’ subjective) du Com fo. 2. M.VIL,p. 18, Cour., Op..p. 360. N.E.IV. 1, + ®. V, 348): 3. Giisos, Index, n° 470, p.306 sa. 204 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES dérer nos idées selon tel ou tel aspect, bref & les diviser, pour les recomposer ensuite selon lordre de leurs liaisons nécessaires. Si abstraction n'est plus celle d’Aristote, lidée cartésienne différe du concept aristotélien : Descartes ne saurait, comme le fait Leibniz qui part de ce concept, voir dans lés mathématiques qui lui servent de modéle une pro= motion de la logique traditionnelle. Et si, d'autre part, abstraction ne consiste plus & extraire une forme commune 4 une multiplicité — Ia triangularité de tous les triangles — mais A diviser une idée singuliére — & discerner dans Vidée du triangle « 1a connaissance de T'angle, de Ja ligne, du nombre 3, de Ia figure, de étendue, etc... »— abstraire et géngralger nese confondent plus pour Descartes comme pour ibniz®, En d'autres termes, pour Descartes, I’idée intui- tive est une réalité singuliére qui, diversement considérée, explicite des aspects différents — langle, la ligne, le nombre 3, Ja figure, etc. — implication n’étant rien d’autre que la liaison nécessaire de ces aspects; ce que présente l'idée, ainsi comprise, c'est lunité de son étre et la liaison, par le mouve- ‘ment continu de Pintuitus, de ses divers aspects, ce n'est pas, & premiére vue, la considération de extension? — c'est-2- dire de la répétition du méme. Peut-étre saisit-on ici, & sa racine, Vopposition du géométrisme cartésien 4 Varithmé- tisme leibnizien, Mais poursuivons. Pour mieux analyser Te géométrisme de Descartes, nous avons & passer de Punité du Cogito & la multiplicité de ses cogitata, puis de cette mul- tiplicité au nombre *. ‘Or, Punité du Cogito enveloppe une multiplicité de fone- tions. Cette force « purement spirituelle » qui connait « est une» : bien que l'on puisse dire, mais seulement par analo- gie®, que « c'est tantt Ie cachet et tantét la cire qu'elle imite 2, « c'est une seule et méme force qui, si elle s'applique avec imagination au sens commun, est dite voir, toucher, si elle s'applique A Pimagination seule en’ tant que celle-ci est couverte de figures variées, elle est dite se souve- nir; si elle s'applique & imagination pour créer de nouvelles 1. Reg. XII, A. T,X, . 422. 2, Lavonts': Le Probleme ‘de’ U-Abstraction, p. 7. Cf. plus loin, P. 239% 3. Ni, done, de Ia comprthension. 4. La distinction eujet-objet, cogito-cogitatum est constante dana Yanalyse cartésienne, Voir début Reg. Xl, Med, lif, 5. Au contraire, vient de préciser Descartes, Reg. XII, A. T. X, 1.41, ce nest pas par analogie que lea sens extemnes ne aentent que Par passion, comme la cire regoit la figure d'un cachet, Géomérrisme caRTési=N 205 , elle est dite imaginer ou se représenter; si enfin je seule elle est dite comprendre.» ». Cette rmult- plicité de fonctions ne se révéle que pour autant que la pen- sée s'applique 4 quelque objet : penser, c'est toujours penser quelque chose. Dans cette application, la pensée découvre Ala fois ces objets et, en elle, « par une lumidre innée », ces choses « purement spirituelles » que sont « la connaissance, Ie doute, 'ignorance, action de la volonté qu’on peut appeler volition, et autres choses semblables...? ». Ainsi, lorsque Ia pensée se pense elle-méme, elle a la connaissance innée de son unité et de la multiplicité de ses actes : nous sommes au niveau des notions primitives. Encore, & ce niveau, devons- nous distinguer. Comme la connaissance du Cogito préctde la connaissance véritable des cogitata, c'est la piemitie evi- demment qui fonde la seconde dans ordre des raisons : Je un est ici absolu, et le multiple, relatif a Pun, Les exi- gences du doute méthiodique nous imposent de nous élever 4 cet ordre. En rejetant ces exigences, Leibniz peut compter Jes données de Vintuition sensible parmi les vérités primi- tives 4, c'est-A-dire fonder en raison ordre de nos décou- vertes, ou Vhistoire de nos pensées, en sorte que le multiple peut précéder l'un dans la connaissance valable. ‘Tournons-nous, maintenant vers les cogitata. Penser, crest toujours penser. quelque chose. Mais telle est, pour Descartes, la supériorité de ce qui se pense sur ce qui est pensé, qu'il institue entre eux, au sein du cogito, une sorte de dualisme qui transpose cefui du mécanisme matériel et de l'activité spirituelle : les idées deviennent passives. Cette sorte de dualisme signifie que les idées ne contiennent en elles rien en puissance, que lexplicitation n'est aucunement Te passage d'une puissance & Pacte, mais seulement I'éclai cissement progressif et varié des idées par 'intuition qui, comme la sagesse humaine, «ne recoit pas plus de changement de ces objets que la lumitre du soleil de la variété des choses qu'elle éclaire * ». Ainsi, toute chose — sauf Dieu — doit étre 4 la mesure de intuition et mesurée par elle; et comme Yintuition est libre, aussi bien de sa direction que de son mouvernent, c'est elle, dans sa liberté souveraine, qui déci- dera dn réel, ot de la réalité cut pensé, Ea dehors des notions 1. Ibid, pp. 415-416. eA 1, A. T. X, pp. 381-382. 4 Cotiz,, Op, p. 380. 5. Reg. 1, A. TE. %, p. 360. 206 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES primitives qui ne laissent plus prise & I'abstraction, ne sera it ible + ce qui peut se lier par un mou- tuition, Chez Leibniz il n'y a plus cette sorte de dualisme, mais dépendance réciprogue, fonctionnelle (au sens mathématique), entre le cogito et les cogitata activité spirituelle n'est plus transcendante & I'idée, elle h devient immanente; T'idée est dynamique, elle s'actualise et, comme elle envelope Tinfini, Lintuitif cesse d’étre la mesure de toutes choses. Revenons aux cogitata. On y découvre, avec Descartes, une double multiplicité : 1a multiplicité concréte des idées cn tant qu’elles sont pensées ou pensables l'une sans l'autre; la multiplicité abstraite de Vidée; la premiere, réelle, renvoie 2 la rari essendi, 1a seconde coucerne les anodes, les diverses facons dont nous considérons une chose, elle renvoie & la ratio cognoscendi, Nous disions : pensées ou pensables. Souvent, en effet, nous considérons comme simple ce qui ne est pas — par exemple, l'idée de triangle — parce que nous Je comprenons no intuitu : mais si nous poussons l'analyse, nous apercevons que les idées entiérement pensables une sans 'autre sont en fort petit nombre : lorequ’elles sont pen- sée d'un ftre, et non d'un mode, elles se raménent & trois : la matiére, Vesprit et leur union. Ainsi, toute multiplicité coneréte a pour support immédiat une idée d’étre : Ia matiére, Pesprit ou leur union. La multiplicité abstraite des modes est-elle séparée de ce support? Evidemment pas, pour Des- cartes : puisque Pabstrait est une manitre de considérer un étre pensé — finalement une maniére de penser une pensée—, Te croire séparable du concret ce serait séparer la pensée d'elle-méme, prendre A la lettre V'analogie du cachet-cire, et tomber enfin dans 'erreur de « ceux qui attribuent aux nombres des propriétés merveilleuses et des qualités illu- res, auxquelles certes ils n’ajouteraient pas tant de foi, siils ne concevaient pas le nombre comme distinct de la chose nombrée. +» Nous devons toujours penser Pabstrait dans le sujet dont il est le mode, pour en avoir V’intuition la plus distincte possible. Cela veut dire que essence est insépa- rable du type méme d’existence impliquée dans essence ® 3. Reg., XIV, A. T., X, pp. 445-445. 2 Defcon tenes de bea inp igus on existence ontclogiqe, comme Vessence du triangle implique son czistence. géométrique. CE'Entretien avee Burman, eur Med. V, A. "P. V, p. 360 1 © Sic {iam omnes demonstatonesmathematicorum ferent cra vera fentia et objects, et sic totum et universum Matheseos objectum, et quiequid illa'in eo considerat, est verum et reale ens, t habet ‘Yeramac realem naturam, non minus quam objectum ipsius Physices.» GHoMETRISME CARTESIEN 207 A la double multiplicité — coneréte, abstraite — des cogitata, va, par conséquent, correspondre une double conti- nuité : celle de Iétre que Pon considére, celle de intuitus yui le considare. La premiére renvoie soit A l/homogénéité Pétendue, soit & l'unité de l’esprit, soit enfin 4 union substantielle, c’est-A-dire & imagination humaine qui par- ticipe de létendue et de I’esprit. La seconde continuité renvoie aux liaisons entre choses matérielles, ou entre choses apirituelles, enfin & ces liaisons générales qui s'appliquent @ la fois, par Vimagination, aux choses matérielles et aux choses spirituelles, ou aussi bien aux unes qu’aux autres quand on les prend isolément. Ces liaisons ne se révélent Gue selon Ia fagon dont ‘on considire les choses et elles nen sont pas sépardes : abstraites done, tout eu restant réelles, Au total, Pinventaire des notions innées, primitives comprend : celles des trois étres ou substances; et les mixtes comme les notions de l’étre, du nombre, de la durée, etc., qui concernent les.liaisons, et c'est pourquoi la régle XII y adjoignait les axiomes, ¢ notions mixtes, qui sont comme des liens destinés & unir entre elles d’autres natures simples ct sur Pévidence desquelles repose la conclusion dle tout raison~ nement » 2. On pourrait concevair que le monde n’existe pas, puisqu’il n'y a pas de liaison nécessaire entre 1a substance ensante et la substance étendue : du méme coup disparat- trait union de 'ame et du corps. Mais la pensée ne saurait concevoir qu'elle n’existe pas tandis qu’elle pense. Elle trouverait donc toujours en. elle ces notions mixtes —,ou universaux — parmi lesquelles figure le nombre. Liidée de nombre est donc innée, a prior, et il ne faut pas hésiter & dire qu'elle est une catégorie inhérente & la Pensée d’un esprit fini. Pas plus. presses notion mathéma- tique, elle ne saurait advenir de Vexpérience impart Pimparfait n’étant qu’une négation du parfait *; au contraire, pour pouvoir applique & tout® elle doit ere antrieure toute expérience sensible, Cependant, ect argument. pla- tonicien ne nous raméne pas 4 T'intuition d’un monde intel- ligible : Vidée de nombre n’étant_qu’éminemment et non ormellement contenue en celle de Dieu * — aussi ne pour 1. A. T. X, p. 419. =i = pet, b. ‘'T. VII, p. 382, et V, p. 162. Cf. Reg. Il, A. T. "3 Bar'et Prise. 1, pp. 48 ot 59, les universaux «se font de, cela sei que nous nous servons dune méme idée pour penser plusieurs ‘choses particulidres qui ont entre elles un certain rapport “spe quacdam in ides Def formaliter contineri, ut eopnitionem et Potentiam, slia tantum eminenter, ut numerum et longitudinem... * 208 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES rons-nous décider sur Pexistence du plus grand nombre? — ce n'est pas de V'idée de Dieu que nous pouvons la tirer, bien que Dieu lui-méme en soit la cause. Ainsi « le nombre que nous considérons en général, sans faire réflexion sur aucune chose créée, n'est point ‘hors de notre % non plus que les autres universaux ; il entre, avant la preuve de Pexistence de Dieu, parmi les idées que j’ai pu tirer de moi-méme : « ... quand je pense que je suis maintenant et que je me ressouviens dutre cela d'avoir été autrefois, et que je concois plusieurs diverses pensées dont je connais Te nombre, alors j'acquiers en moi les idées de Ja durée et du nombre, laquelle, par aprés, je puis transférer & toutes les autres choses que je voudrai », Méme dans I'hypothése du colipsicme, il me ouffirait de conaidérer réflexivement mea pensées et ses opérations pour y trouver lidée du nombre, et Descartes précise par quelle chaine de raisons a priori substantia, duratio, ordo, numerus‘, chaque terme étant le réquisit du terme suivant. Dabord, substantia, le moi fini et pensant, ayant par cela méme le pouvoir d’ « amplifier » ‘ses perfections, par exemple sa connaissance et 6a puissance ® et Ja faculté de lier ses idées. Duratio, puisque mon imper- fection m’engage dans la durée, succession objective et condi- tion de Ménumération*. Ordo : Vordre logique qui me A. 'T. VIL, p. 137. On se rappelle, par Ia définition IV, des Il Resp. Gia, p. Bs) Soc eles memes choses sont cites tie formallement dans les objets des idées, quand celles sont en eux telles que nous Jes concevons ce qui nlest pius fe eas pour éminemment. — ‘Malebranche, au ‘contrtize, convertira le nombre en archetype étemel. 3. A Mersenne, mars 1642, A, T. IIL, p. g44-545. € .. woe me rmandez comme un axiome qui vienne dé mol gue You ce que nous concevont clairement est ou existe; ce qui nrest Mullement de mol, nals seulement que tout co qué ‘nous aperccvons clairement est visi et ainsi qu'il existe, si nous apercevons quil ne pulsse ne pas exister; ou bien qu'il peut exister si nous percevons que son exis tence soit posbie. Cat bien que tz abject de Tidée doive avoir une ‘eause-réelle, il n'est pas toujours Desoin que cette cause le ccontienne formaliter, roais seulement eminenter. » A eee 3 AGL 4s. Tan. § 38 dike, ohh atone) A, VE, Pp. 43-44 substantia, duratio, numerus (id. A. T. V, p. 338). EAE BG 3 ‘ Langue 60). Er Descartes, pour Armauld, ‘ici tamen non’ posect duratio Géoméraisme cARTESIEN 209 permet dans une succession de distinguer le réel et Pimagi- naire. Par ces trois requisits, le nombre qui concerne l’en- tendement pur? est possible. Ainsi donc, au sein encore du solipsisme et sans invoquer T’étendue, Descartes aurait distingué une multitudo arithmétique qui semble indépen- dante de la magnitude géométrique : n’était-ce pas d’aile leurs ce qu’annongait la Régle XIV, lorsqu’elle proposait différentes fgures pour exprimer les multtudins (fe nombre triangulaire, la généalogie : pére — fils et fille) et les magni- tudines continues *? Pourtant, s'il va de soi que pour Descartes, comme pour tout le monde, Varithmétique ne se confond pas avec la géométrie, il n’en résulte pas si vite que la notion mathé- matigue du nombre puisse étre ici indépendante de T'intuition de Pétendue, A ne considérer® que de pures pensées, elles ne sont plusieurs que par ce qui les distingue, les rend diver- ses, clest-a-dire, précisément, par ce qui les oppose aux unités arithmétiques, identiques, additionnables, divisibles, ete. : une synthése du divers dans Punité d’aperception pro- pose I'idée du multiple, elle ne donne pas ipso facto celle du nombre mathématique. Ou bien Descartes ne remarque pas le probléme ou le juge sans intérét : en ce cas, autant avouer que I'on ne trouve pas chez notre philosophe une conception véritablement arithmétique du nombre ¢, Ou bien, remarquant le probleme, il le suppose résolu par 'innéité * : en ce cas, lidée d’étendue n’étant pas moins innée que celle mentis humanae tota simul, quemadmodum duratio Dei; quis Funifeste cognoscitur_succeisio in cogitationibus ‘nostrs, qui in cogitationibus divinis pula potest admitti. >. 1 Regus, 24 mai 1640, A. T. Til, p. 66 + « Neque video cur Derceptionem universal magis'ad! imaginationem quam ad intellectum pertinere. go enim illam soli intellectal tibuo, qui ideam ex se ipsa singularem ad mules refert. + 2. A. T. X, pp. 430-481 « multitudinem sive numerum » P. 453. 3. Liidée de nombre se classe parmi lee notions primitives qui ne’Sont pas, 2 proprement parler, dea natures, mais des modes OW preys 8 conser isdparbls du nombre. Ch Prin 885, "4. Rien de moins cartésien que cette pensée de Pascal : « Les nombres iinitene espace, qui sont de nature at différente, » 's. Ce gue semblent prouver dea textes comme celui que nous avons cite, Med. I, A. T. VI, pp. 44-45, ou par. « plusieurs iverses pensées dont je connais' Ie nombre’ » j'aequiers’ en mot Vidée de nombre, De rhéme, Princ. I, § 39, quand nous universa~ lisons Vidée de deux que nous remarquons en deux pierrea — ad hoe tantum quod dio sine attendimus — puis deux oiseaus, deux arbres, ete. 210 LEIBNIZ CRITIQU DE DESCARTES du monde, n’admettant avec elle, en tant que « fagon de penser », « aucune différence ou inégalité # », ce serait, cepen- dant, introduire entre elles une inégalité que de vouloir le nombre concerner d’abord les choses spiritvelles, puis les choses matérielles, et cette inégalité se concevrait d’autant moins que I'objet par excellence de la Mathématique, ce n'est pas Ia substance pensante mais la substance étendue’, ‘Quand Descartes, imaginant les idées des choses qui existent peut-étre hors de lui, mais seulement en tant qu’elles sont en sa pensée, cite en premier lieu I’étendue, et ajoute : « De plus, je puis nombrer en elle plusieurs parties (numero in a varias partes)... * », cela veut dire que « quelque partie que nous puissions déterminer (en elle) par la pensée doit €tre récllement distincte de ses autres parties ® ». Avec l'idée innée de I’étendue, voici I'idée innée de parties réellement distinctes — partes extra partes — homogtnes et identiques, totalisables, et nous pouvons commencer de parler d’une notion mathématique du nombre, Pour que cette notion restit arithmétique, il edt fallu que Tunité fit elle-méme définie comme I’élément d'un ensemble, la fagon d’Buclide, et non par le rapport d'une ligne & une autre, comme fera aussi Newton, c’est-A-dire par tine mesure géométrique®, La mesure étant « la division en plusieurs Parties égales », I'unité « d’emprunt » est ¢ cette nature commune A laquelle doivent participer toutes les choses que l'on compose entre elles »; elle permet de ramener ad multitudinem, c'est-A-dire au nombre (multitudinem sive mume~ rum) es grandeurs continues; et Pordre dans lequel on dispose cette multitudinem unitatum va permettre, & son tour, la mesure indirecte des grandeurs?. Ainsi comprise, Tunité est lige a Ia divisibilité en parties égales. Or, seule la durée et Pétendue sont divisibles®. Toutes deux 'seront 1. Qu’on croie, avec J. Laporte, Op. cit., pp. 128 sq., ou que l'on nig avec Contour, LT p-rahy quel Bictendue napparaiooe faves Turion de latest du Gps 2. Med. UL. a 5: Hive que Descartes érumie : « Reisen, ate, ratio, magnitude, numenes et univereahe omnie TA ET. pe ayo, Ba corte Ae Gite ees crams de TIN Ps 2m: Sampocen que en pure tathcoes objecram Ad. Vs ps s8et ei AE NTs » peat &. Prine V, $60 « , Uramouamgue ejus parte a n tione definite? ATVI pase 1» Reg. , '. X; PP. 447-448, 449, 451-542. VIE, pp. 48nao. H Resp Bids p. 005. Prine I, § an. A. Te ih Aint Re Tid es Brin § a. cog GkOMETRISME CARTHSIEN amr nécessaires : dans ordre des raisons Descartes place tou jours duratio avant numerus, et si le nombre est mesure, il ‘exige, 4 la fois, pour se constituer, le successif et le simultané, Te décompte et le compte, la sommation et la somme, le distributif et le collectif, V'ordinal et le cardinal. D'autre part T’étendue peut seule nous offrir l'idée vraiment distincte de Tégalité. Sur ces bases — la divisibilité de I’étendue et, nous allons le voir, Ia division de la durée, — nous pouvons suivre la constitution mathématique du nombre chez Des- cartes. Repartons done de la mesure. Pour mesurer, il faut d’abord savoir ce qu'on mesure. Acce que l'on mesure, Descartes donne l’appellation générale de dimension : « Par dimension nous n’entendons rien autre chose que le mode et Ie rapport sous Iequel un sujet quel- conque est jugé mesurable, en sorte que non seulement la Iongueur, la largeur et la profondeur sont des dimensions du corps, mais la pesanteur est la dimension suivant laquelle es sujets sont pesés, la vitesse esta dimension du mouvement, et ainsi d’une infinité d'autres choses de cette sorte? ». En autres termes, toute dimension est une grandeur (magnitudo) — A savoir tout ce qui, de méme nature, comporte le plus ‘ou le moins et, par suite ’égalité? — mais une grandeur considérée avec un projet de mesure. Or, si toute dimension est grandeur, toute grandeur n’est pas mesurable. Par exemple, Ta qualité sensible est une grandeur : mais, « bien qu’une chose puisse étre dite plus ou moins blanche qu'une autre, ‘un son plus ou moins aigu, et ainsi du reste, nous ne pouvons néanmoins déterminer exactement si ce plus ou ce moins est en proportion double ou triple, sauf par une certaine analogie avec I'étendue d'un corps figuré* ». Nous voici ramenés a I’étendue par une analogie — une proportion mathématique — qui, elle-méme, reltve tout entiére de Vintuition de I’étendue : par exemple, l'étude du son se trouve ramenée a celle des cordes vibrantes, et celle-ci & Vanalyse de rapports mathématiques. Il n'y a done de direc- tement mesurable que létendue. Or, la quantité se confond ave Ia substance matérielle — materia sive quantitas® — 1, Reg. XIV, A. T. X, pp. 440-448. ie eats ; 4 3 Re Rid Tica, pags. La difeence ents les couleurs vient des différentes proportions entre mouvements droits et circulaires. Fe tee AcE St, p. 5 Fic pilotophes de cole ee get: ALTE 3, p. 36 cs philosophes de Eco ne doivent pas ausst trouver trange, si je suppose que Ie quantité 212 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES dont I'essence est I’étendue. Il semble done que pour Des- cartes le quantitatif méme du nombre se géométrise? : on ne trouve pas & la base de ses réflexions sur le nombre des individualités substantielles — unités pythagoriciennes, atomes, monades — qui fassent naitre le concept d'ensemble @unités; on retrouve toujours unc opération constructive avec des segments-unités. Je puis additionner unc longueur & elle-méme, et consta- ter le résultat : mais, ce pouvoir, lui-méme d’ot vient-il? Que jfaie additionné trois fois cette longueur A elle-méme : je vois bien qu’elle a pour mesure 3a, mais comment sais-je que je V'si reportée 3 fois? Revenons & la racine de toute connaissance : le Cogito. « Il n’est pas vrai, explique Des- cartes 4 Burman, que notre esprit ne puisse concevoir qu’une seule chose en méme temps...; il est faux aussi qu'une pensée se fasse en un instant... » : tout se passe pour l’intuition comme pour la perception sensible : « il est impossible de voir plus d’un seul objet & 1a fois distinctement », mais c'est une condition requise de la part des organes extérieurs que de faire qu’on « apergoive le plus d’objets qu'il est possible en méme temps... en sorte que cette commodité d’en voir cependant confusément plusieurs autres, n'est principale- ment utile qu’afin de savoir vers quel cOté il faudra, par apres, tourner ses, yeux pour regurder eel dentre eux quvon vyoudra considérer® », Ainsi, i y a un champ mental. ment ce champ est-il possible? Par la durée. Une conscience prisonniére de V'instant n’aurait & la fois qu'une idée et ne pourrait ni rattacher I’une a l'autre ses idées successives, ni persévérer dans la méme idée, et cette derniére impui de la matidze que j'ai décrit, ne dffere non plus de sa substance que le nombre fait des choses nombrées ». Cf. Gilson. Index, V° Matisre, BP gferu7 Ceique de Letinis dans une note sur Thomas Anglus, LEB atop aye tiep metre rere ye ead ‘artes; par fa distinction de étendue intelligible en Diew et de Téten- ‘Sue sensible, aductions faussent Ia pensée de Descartes en rendant quantitas indifféremment pour grandeur (par ex. Prine. I, {8 exupin (lid 9), eto u matnido par quanti, ete. (ad, roy des Regulae). ’ 1. La Reg. XIV est significative, Pgs loraque Des ide chercher quiduid in arithimetiel ct geo poureuit :« Hic ergo versamur circa objec I plane aliud in eo considerantes practer ipsam extensionem, ebstinentesque de industria ‘a vocabulo quantitate, ‘quia tam subtiles sunt quidam Philosophi, ut illam quoque ab |, P, 148. 3. Diopir. APT Vt, p. 363. GEoMETRISME CARTISIEN 213 sance la rendrait incapable de réflexion +, Dans ce champ, il est impossible de voir plus d'un seul objet & la fois distine= tement : cette partic distincte, prise dans I'étendue, c'est le point’; prise dans la durée, c'est V'instant. En effet, est distinct ce qui est présent & Pesprit, et ce qui est présent & Tesprit c'est ce qui est en acte’, Le champ mental aussi est bien présent & mon esprit, ‘mais confusément, ce -qui signifie : moins présent, moins actuel. Lorsque mon attention, ayant distingué le point A, se déplace vers le point B pour le distinguer & son tour, le point A perd de sa présence : voili la conscience du passé. Mais je n’ai pu diriger mon attention vers B que parce que j'avais Ia « commodité » de Yapercevoir confusément, tandis que je distinguais A, il pouvait gagner en présence : voill Ia conscience du futur. ‘On comprend done comment le temps nous apparait et comment nous le divisons. I apparatt comme présence dans ‘un champ d'absence relative. La division se fait par l'actuel, car, méme dans Péternité, n'est en acte que le présent qui est ainsi séparé dit passé et du futur : quand donc jfexisterais de toute éternité, « ma durée aurait cependant des parties séparées (sejunctae) » dépendantes de Dieu‘. En somme, Vinstant est pris dans W’éternel, comme le point dans I’éten- due; et de méme que le point engendre Ia ligne, de meme Vinstant engendre la durée; ou, encore, de méme que je ne distingue qu’un point au milieu de points plus confus, de méme je ne distingue un instant qu’au milieu d’instants plus ‘confus — et c'est pourquoi il n'est pas vrai que je ne puisse concevoir qu’une chose en méme temps. Descartes souligne cette analogie de ta durée avec I'étendue lorsqu'il explique que Ia pensée est « étendue et divisible quant & Ia durée, parce que sa durée peut étve divisée en patties; mmis elle West pas toutefois divisible quant 4 sa nature, ‘parce que celle-ci demeure sans étendue §. » Seulement Métendue est Pessence d'une matidre tout entiére en acte alors qu’en la durée seul le présent est actuel : la divisibilité de Pétendue est virtuelle, mais la division du temps est réelle, en ce sens ‘que passé et futur glissent dans le non-étre de erreur ou de ignorance, en ce sens qu’ils n'ont plus ou quiils n’ont 1. A. Burman, A, T.Y, p. 149. . . zz Point = partic AT. Tl,'p. x4r, Portis distinctes, Prine. T "3. A Burman, A. T. V, ps 155 © »« cum solum unica pars simul six, scilicet pracsena 4 A Burman, AT. V, p. 155. 5. Toid,'p. 148. 214 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES pas encore la plénitude d’étre qui n'appartient qu’a Ia pré- sence et & Ia présence 4 esprit, mesure de l’étre. Ainsi, comme la suite des raisons: substantia, duratio, ordo, numerus, invite & le faire, s'il fallait chercher un arithmétisme en Des- cartes, ce serait du cété de la durée et non de I’étendue, Mais ect arithmétiome n’aurait rien de commun avec celui de Leibniz, fondé sur Mexistence simultanée — réelle ou pos- sible — de véritables individualités. Et Yon remarquera encore, chez Descartes, que la divisibilité de T'étendue, si c'est /homogénéité de 1a matitre qui la rend possible, demeure offerte au libre arbitre qui, choisissant de diriger Pintuition sur telle partie ou telle autre, décide des intervalles qu'il veut considérer : au contraire, Ia division de la durée est lige A ma finitude, elle est en acte, je n’ai que la liberté de choisir les unités de temps, converttionnelles, qui me per- mettent de la mesurer. Enfin, par suite de ma finitude, je ne puis penser & In fois qu’un petit nombre de choses, embrasser qu'un petit nombre d'instants : aussi la déduction devra-t-elle étre garantie par Dieu. Entre les instants pré- sents et pascés, entre ’étre des uns et le néant des autres, Je ne puis établir une comparaison, Au contraire, de I’éten- due, je puis, d'une seule intuition, saisir toa’ simul une infinité de points dans la ligne : et comme Dime trace cette ligne dans imagination, la comparaison des grandeurs se présente, dans 'étendue, de la maniére la i nous avons aussi, parmi les notions primit 5, celles de Végal et de inégal *. Or, Ia conscience de la durée est celle d'un : d'abord-ensuite-maintenant. Supposons, dans ordre temporel, ia méme idée qui se présente & la’ comparaison, par exemple, la méme ligne ou des lignes égales : j’aurai Ia conscience d’un : d’abord, ensuite-encore, maintenant-encore : autrement dit, dun : chague fois. Cependant, ce nest pas assez pour que ce chaque fois, — ce d’abord, cet ensuite- encore, ce maintenant-encore — se puisse traduire : pre mitrement, deuxitmement, troisitmement. Que manque-t-il & cette succession pour prendre valeur ordinale? La réponse de Descartes n'est pas douteuse : il manque le projet d'une mesure. Ti y manque V'idée daddition. D'od viendra-t-clle? 1. Reg. XIV,A.T.X, p. 448 . 2, Burman, A. T. V, 8. 162, Par opposition aux images de la sen= sation, les images de Timagination sont peintes s.. a mente sine ‘bjectis externis et tanquam clausis fenestrs ». Gir enim mens facile posst tres lineas formare in cerebro 3. Reg. XIV, A.'T-X, p-439- GEoméTRISME CARTESIEN 215 Ouvrons le Compendium Musicae, Le paralilisme est frappant, comme I'a remarqué M. Jean Wabl3, entre l'nstar tus de la perception musicale et Tuo intuit des Regula, Le plaisir musical exige que Fobjet sonore ne soit pas trop compliqué cest pourquoi les rapports de. sons’ doivent Gtre dana une proportion arithmétique et non. géométrique. La raison en est que, dans la progression arithmétique, il yaoi chose remarquesculement des dienes Partout égales, en sorte que Ia proportion des lignes s'y Gistingue plus facilement (facilius orulis distinguitur) que ans Ie proportion des lignes en rapport géométrique ob fens. soit perpétuellement déroutés et trompés (detipi)*. Le temps sonore consistera donc en parties égales — les plus facilement pergues — ou en parties dont la proportion ne depassera pas le double ow le triple®, © Alors, en effet, pene ant que nous entendons les deux premiers membres (de Ja phrase mélodique), nous les concevons instar unius ; pen- dant que nous entendons le trositme, nous le lions encore aux premiers, de telle sorte que se fait une proportion triple; puis, pendant que nous entendons le quatriéme, nous Te liona au troisitme, de sorte que nous les concevons instar amis; enfin nous Hons & nouveau les deux premiers ux deux derniers, de telle sorte que nous concevous ensemble ces quatre membres intar unius, Et ainsi notre imagination procéde-t-elle jusqu’a la fin ot, en définitive, elle congoit tout le chant comme un tout formé (conflatum) de nombreux membres égaux A cette liaison sensible répond, dit cote de la connaissance, une liaison comparable. Sans doute faut-il transposer: du sensible T'intelligible nous remontons de Tordre de la durée a ordre des raisons, conforme Pa priorisme de Descartes §. Du point de vue logique, d'abord- ensuite-maintenant devient.ceci-or-done. Dans la succession empirique, il ne saurait y avoir contradiction, les choses wétant pas contradictoires entre elles,- parce que toutes peuvent exister : « C’est le contraire dans les idées, parce quiici nous joignons des choses différentes : séparément, elles ne sont pas contradictoires; mai, en les joignant, nous Ben faisons qu'une, et c'est ainsi que nat Ia contradiction *» 1 Du rile de Vide @nstant dans la Philosophie de Descartes Paris, "g2e}, B.S. 3 That op. 9298. |. Ibid., p. 94. On pense au plaisir musical, calcul inconscient, aon rr ak ois. : a Be ples hat 208 09, & A Burman, BEV, pr tbr, 216 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES — et Descartes de préciser que, méme claires séparément, des idées contradictoires jointes ensemble forment une idée « fort obscure » parce que hous concevons « fort obscurément » leur conjonction et leur unité2, Ainsi, comparer deux idées, c'est les considérer sous un certain rapport pour les fondre (le confiare du Compendiuon) en une troisiéme : et d’autant moins sont-elles contradictoires, d’autant plus restent-clles claires jointes ensemble, d’autant plus concevons-nous clai rement leur conjonetion et unité, Soient deux segments égaux il n'y a rien, selon Descartes, qui frappe plus facilement les yeux ou l'esprit, et, par conséquent, dans 'union de I’ame et du corps, qui se représente plus aieément & imagination, qu'une égalité ou différence arithmétique, Nous avons le jouvoir de comparer ces deux segmente et de lea conjoindre. Jerconsidice done d'alord le segment a, pour en former Pidée distincte, ensuite le segment & que jfembrassais dans Je méme champ mental, et maintenant je constate le résultat de opération additive. Tl est trés évident que cette opération n'est pas contradictoire : Ia ligne n’est pas une chose, elle est une création de l'esprit; je congois distinctement tour A tour a et 6, et, tout aussi distinctement leur conjonction et unité, ce qui est le signe du non contradictoire, Assurément, Ta suite'de mes actes constitue bien, ici, une suite logique : ceci-or-donc *, Toutefois, cette opération reste subordonnée A Tintuition de Pétendue, cest-d-dire d'une réalité différente de la pensée : la matiére, 1a quantité (materia sive quantitas). Ty a dans le résultat de mon opération et dans la conscience ‘que j'en prends, un effet qui ne provient pas de Ia seule Jogique. Mon addition n'est pas une association logique de concepta, Parla logique seule, je naurais que : @abord 2, enouite 8, maintenant a er 6, Ce n'est que par la quantité, clest-i-dire par I'étendue, que ce ef se transforme en +. Sia er b font a+ b, c'est que Ia liaison logique et est prise dans a liaison partes extra partes de l’étendue. Aussi, dans a + by apergois-je distinctement, juxtaposés, a et b. Et comme a = b, je puis traduire : a ef a font a + a, Le d’abord a, ensuite encoré a, maintenant a et a devient : une fois a, encore tune fois a font deux fois a; Vordre de succession se’ change ordinate par T'intuition de I’étendue et parce que cette étendue se trouve ici considérée sous le rapport 1. Tid. 2, Reg. XIV, A. 'T. X, pp. 439-440. « Sed quia, ut saepe jam rmonvimt, syllogimonim furmie mi javant ad rerum veststem Pereipiendam.., on peut rejeter oes forme Gfométrisme caRTésteNn 217 de la mesure. Ainsi 'apparition de ordinal dépend de I'in~ tuition de la quantité étendue; mais, réciproquement, la connaissance de la quantité d’étendue, en d'autres termes Ja mesure, c’est-A-dire, finalement, le nombre cardinal, dépend de la succession ordinale. ‘La discoutinuité du nombre traduit le « chaque fois » de Ja succession ordinale.. En effet, comment mesuré-je? Je prends une ligne-unité, je la transporte, dans une direction déterminée, de telle sorte que son extrémité A s’applique A lextrémité B de sa trace : et ainsi de suite. A chaque fois, par conséquent, je coupe ce mouvement de transport, d’un instant de repos. Or le repos, selon Descartes, n'est pas, ‘comme selon Leibniz, la limite d’un mouvement infiniment retardé : il est Ia négation du mouvement. Il y a done dis- continuité réelle dans le mouvement de transport. Une semblable discontinuité avait déja déterminé fa ligne-unité AB, puisqu'une ligne est la figure engendrée par le déplace- ‘ment continu d’un point. Un point? Descartes, de méme quill s‘irrite contre les philosophes assez subtils pour dis- tinguer de M'étendue la quantité+, refuse de répondre* ou ne répond qu’avec un haussement d’épaule® & ceux qui veulent distinguer entre point et partie: c'est assez’ dire que le point désigne — nous allons revenir sur le sens de’ ce verbe — une partie de I’étendue et, done, une partie de quantité. Dés lors, la continuité de points déterminée par une ligne détermine une quantité. Le nombre est quantité diserdte parce que le repos qui arréte le mouvement par lequel il est engendré, est la négation méme du continu de ce mou- vement. La continuité géométrique conduit, par la mesure, & la discontinuité numérique, On doit savoir, « qu’au moyen dune unité d’emprunt les grandeurs continues peuvent @tre ramenées a la pluralité (2d multitudinem), parfois tout entiéres et toujours au moins en partie; la pluralité des unités (multitudinem unitatum) peut ensuite étre disposée dans un ordre tel, que la difficulté, qui était relative & la connaissance de la mesure, ne dépende plus enfin que de la considération de Yordre...4», Qu'au moyen d’une unité d’emprunt, le continu puisse se ramener 4 la pluralité, nous avons vu com- ment : cette pluralité est le total des « chaque fois » de la 1. Reg, XIV, A. T. X, p. 442 2A. T, Il, ps 433+ AL TUL, p. 143. 4 Reg. XIV, 2 A.'T. X, pp. 451-452. 218, LEIDNIZ CRITIQUE DE DESCARTES mesure. Que, réciproquement, la pluralité nous raméne & Ja continuité, il est facile de le concevoir. Et, d’abord, par Vintuition de I’étendue. La longueur mesurée, done divisée en unités AB, expose maintenant la succession : Ay — (By, A.) — (By, As) — (Ry, A,) — ete. En quoi consiste chaque fiaison (B, Ay.,)? Les points ou parties d’étendue, B, A se trouvent contigus. Mais le contigu, pour Descartes, ne se distingue pas du continu : « Lorsque deux corps se touchent ‘smutuellement, une et Ja méme est l’extrémité de l'un et de autre, iaquelle n'est une partie d’aucun des deux, mais le méme mode de I’un et de l’autr », Dés lors, peu importe ‘A Descartes comment les autres définissent continu et contigu : « pour moi, répond-il 4 Burman, j'appelle continus deux corps dont les surfaces sont jointes sans intermédiaire, si bien que, quand ils se meuvent tous deux, c'est d’un seul et méme mouvement, et ils s'arrétent aussi tous deux ensemble. Ceux qui se comportent autrement, ne sont que contigus », Tl est donc clair que chaque fois que je transporte Ia ligne- unité, tous ses points sont continus; et clair encore que si B, Ansa sont contigus, Ia longueur totale A,B, est conti- nue. S17 est la longueur totale, je peux la considérer comme formée, de 7 unités qui se suivent contindment, ou, par ‘exemple, d’une suite de 3 unités ayant une extrémité com- mune avec une suite de 4 unités. Par conséquent, « si je dis : quatre et trois font sept, cette composition est nécessaire, Parce que nous ne pouvons pas penser sept sans y inclure confusément le nombre trois et le nombre quatre® », de Ja méme fagon que je ne puis penser la figure sans I'étendue, Je mouvement sans la durée, etc. Nous pouvions craindre, tout & Pheure, en nous représentant l'extrémité commune de deux lignes, de confondre idée et image: Kn fait, le mou- ‘vement représenté, c'est I'ame qui le trace dans I'imagina~ tion : c'est un mouvement de pensée, et c'est méme, pour préciser, un mouvement ininterrompu de pensée, sans quoi nous n’aurions plus affaire A une de ces liaisons nécessaires ‘qui assurent la certitude, Sans doute, en reportant les unités, & chaque fois, nous interrompions le mouvement représenté; mais, A chaque fois, aussi bien, nous savions que nous repre~ niyns le méme mouvement, la contiguité de deux extrémités €tablissant la continuité et, par 1a, unissant instar unius toute unité nouvelle aux précédentes. Du reste, revenons 1 ALT. VI, p43. EAT vp et 5 Re WATS, p. aan. cfomérrisme carTésien 219 sur cette contiguité, sur cette extrémité commune qui n'est tune partie ni d'une unité, ni de autre, mais un mode de Tune et de l'autre : elle est le liew de leur contact’ 1, clest-a- dire la situation * par rapport & laquelle — et réciproquement elles se situent elles-mémes l'une a Dégard de l'autre. Le Jieu, bien qu'il désigne un point de I'étendue, n'est pas, comme le point, une partie de l'étendue : c'est une pure relation, « cette nature simple et connue par elle-méme (naturam simplicem et per se notam), en raison de laquelle on dit qu'une chose est ici ou 18; cette nature consiste tout entidre dans un certain rapport de l'objet, qu’on dit étre en tn lieu, avec les parties de Vespace extérieur...* ». Crest méme par cette simplicité de nature, que le mouvement Tocal, défini par le passage d’un lieu de espace & un autre, sera d'une conception si aisée* que Descartes le déclarera plus aisé 2 concevoir que les lignes des Géometres* » ‘Lorsque, done, nous tragons une ligne, fit-ce dans l'imagi- nation §, c'est par un mouvement ininterrompu de la pensée entre deux lieux, natures simples : le mouvement est, plus daisé & concevoir que les lignes des géométres parce qu’elles Je supposent, sont moins primitives que lui, plus complexes par conséquent, et, en effet, elles exigent, jointe au mouve- ment, la considération des parties de l’éteridue. Si puissante est la liaison, pour Descartes, entre la continuité du tracé de la ligne et la continuité du mouvement de la pensée, qu'il croit seulement recevables en sa Géométrie les courbes ne supposant ren, pour étre traces, «sinon que deux ou plu: sieurs lignes puissent étre mues l’une par l'autre... », qu’on Puisse « imaginer étre décrites par un mouvement continu, ou par plusieurs qui s’entre-suivent, et dont les derniers 1. Car Ia superficie « ne différe en rien du locus Aristotelicus ‘des Ecoles, ni de toutes les superficies que considérent les géométres, ‘excepte en imagination de ceux qui ne les concoivent pas comme fe doivent, et qui supposent que superficies corporis ambientis get ang pate du cons ctronjacent >: Mersnne, 23 juin 2641, A. T. Ith, p. 387. ‘a, Prine. IT, §8, p. 453 13, p. 473 14) P. 48. CE. VIT, p. 434, UL, p. 387, 3. Reg. XML, p. 433- 3. Reg, Rt, posse _ & Le Monde, Xt, p. 4o. Et, p, 39, Ia nature du mouvement ext jugée par les Géométres « plus simple et plus intelligible que celle {Gd Ieuts superficies et de leur lignes; anal qu’ perait en ce quis one expla alge pa Ie moutement dan pot, In wupettcie par eelui d'une ligme >. ‘aaa 6. L. BxUxscivico ‘parleait ici d'une « sorte d'imagination rioris, Les Blapes, p-223- 220 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES soient exactement réglés par ceux qui les précédent, car par ce moyen on peut toujours avoir une connaissance exacte de leur mesure » : ce qui revient & exclure — & tort, comme Je montrera Leibniz — les courbes, comme la spirale, la quadratrice et semblables — bref, les transcendantes —'e & cause qu’on les imagine décrites par deux mouvements séparés, et qui n'ont entre eux aucun rapport qu’on puisse mesurer exactement...1 ». La continuité du tracé dépend, selon Descartes, de la continuité du mouvement de la pensée, Crest-A-dire de Vordre, et c'est i cette correspondance que se rattache la possibilité de « mesurer exactement » par nom= bre arithmétique, rationnel ou irrationnel* Il résulte de cette conception — et c'est, avec Pexclusion des transcendantes, une autre conséquence capitale — que Jes mathématiques ne peuvent étre Ia science de l'ordre ou de la mesure, elles ne peuvent étre que la science de ordre ‘par la mesure, En effet, par sa référence & espace, ordre ‘mathématique se distingue de ordre de la pensée pure, en ce sens qu'une fois trouvé, ses parties ne se rattachent ‘pas les unes aux autres par elles-mémes », mais par ’ « inter~ ire d'un troisiéme terme » : entre deux idées A et B je sais quel ordre existe « aana rien considérer d’autre que les deux extrémes; mais je ne sais pas quel est le rapport de grandeur entre deux et trois, si je ne considére un troi- siéme terme, & savoir 'unité, qui est la commune mesure des deux autres ¢ ». Sans la considération de I’unité qui les engendre par un mouvement continu et ininterrompu de a pensée, les nombres sont discontinus; il faut donc revenir Ia considération de l'unité pour rétablir le mouvement ininterrompu de pensée, qui restitue la continuité logique. Mais attention! lordre logique seul n'implique pas |’inter- médiaire d'un troisiéme terme; de lui-méme, sans V'intui tion de I’étendue, il ne conduirait pas 4 idée de mesure. Dans cette perspective, les mathématiques ne sauraient étre une promotion de la logique ni du concept (puisque Vidée met déji en paralléie + le nombre ms A Tes droites ¢t les gaan Gee eR ee ae milés a ste secant ctométrisMe carTésieN 221 cartésienne n'est ‘pas le concept), ni méme, a strictement parler, de 1a logique cartésienne. Les. mathématiques ont Teur domaine propre : Vétendue, et, par li, leur logique re : intuition par troisiéme terme. Dans cette autono- ie de la Mathématique, les longues chaines de raisons dont les géométres ont coutume de se servir, donnent occasion A Descartes de remarquer la certitude qui s'attache 4 un mouvement continu et ininterrompu de la pensée. Ot retrou- ver ce mouvement en dehors des Mathématiques? Une fois suspendue Pintuition du troisiéme terme dans Pétendue, ce ne peut étre qu’en Ia liaison immédiate de deux termes, telle qu'elle apparait & l’épreuve irrécusable du Cogito, Ainsi, tout en lui servant de modeéle, Vordre mathématique ne se confond pas avec ordre logique, mais il fait prendre cons~ cience de la vraie nature de cet ordre ott les idées, aussi istinctes que les choses mathématiques, doivent, comme elles, se lier, non plus & la fagon des concepts dans le syllo- gisme, mais de maniére aussi concréte qu’on enchaine des unités pour former un tout continu, Si les mathématiques ne sont pas une promotion de la logique, ai leur ordre et inséparable de la mesure, Descartes ne saurait réver, comme Leibniz-par exemple, d'une Analysis Situs qui ne considé- rerait plus que lordre sans la mesure *. Etcela, pour Leibniz, signifie encore que Descartes limite les mathématiques il reste prisonnier du nombre dont il n’apergoit pas In véri- table théorie en voyant en lui seulement T'instrument de la ‘mesure au lieu d’y reconnaitre le modéle de la Combinatoire et de ce qu’on appellera la Logique des classes; et, prisonnier du nombre géométrisé, il demeure borné a intuition de Pétendue. D’oi la fagon dont va se poser pour lui le probléme du plus grand nombre. +, Par son intuitionisme mathématique, Descartes se rappro- cherait aujourd’hui de Brouwer, Weyl, Lebesgue ou Borel. 1. Comme_on le voit je encore, car ce troisigme terme, lunité, nia rien i voir avec celui du syllogisme, 2-'Malgré Vindication dans le de Soldorum Elementi (A. TX wp. 265-277) — retrguvde dane les papier de Leibnis — de k elation f ea\entre le monpbre de faces, de sommets et . Que signifient ces « pendant que... » qui additionnent & T'infini les = oe I r : yor ow sinon des « chaque fois que...?»? A chaque fois, 3, Bid, p. 445. 2a oS. . Tid p. 497. FA sats pinkve da monte sn Aussi tes‘pardeules primitives du monde sont-fies congue pat Deseats Gomme de 'untemenuse, Par ex Villy Bi ‘ne. IL, § 46 ¢ ¢ Supponemus omnem lam materi, x mundus adspectabilie est compcsitus, fuisee initio a, Deo divisam: dn partcalas quamproxime inter se aequales.. >. 1d. et plus précte spe a IV, Be 447- 7: Asli blen, dans Particle Zénon (d'Elée), Bayle remarquera-t-i 230 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES frenléve donc une partie finie, chaque fois plus petite, d’une trajectoire finie. La discontinuité des instants décompose, par soustraction d’éléments divisés, la ligne parcourue, Cette discontinuité ne se manifeste pas dans Ia ligne parce que, dans le méme instant qu'une pattie est retranchée & droite (par exemple) elle est ajoutée aux parties déji retranchées A gauche, lesquelles, selon Ja définition cartésienne, forment par leur’ contiguité une continuité indéfiniment ‘divisible. Est-ce la échapper & la captation de imagination, et n’est-ce pas plutét, en imaginant une ligne, cacher une division actuelle sous une divisibilité virtuelle? Pour vraiment éviter de diviser une quantité finie « par son imagination en des parties infinies? », il aurait fallu que Descartes : ou bien numérotit toue lee points de la ligne et qu'il se demandat si le dernier point supposé était pair ou impair ® — et alors il edt apergu, avec la continuité arithmétique, que l'ensemble des points d'un segment a la puissance du continu; ou bien, avec Leibniz fidéle & Aristote® et s'inspirant d’ailleurs de Grégoire de S.-Vincent §, qu'il renongat & la discontinuité des instants et que le pendant que... lui-méme fat infini- ment divisible. contre Aristote, et en fidéle interpréte de Descartes que, aucune partic du temps ne pouvant coexister & une autre, « .. chacune doit ister scule... D’ou il s'ensuit que le temps n'est pas divisible & Pinfini, et que la durée successive des choses est composée de moments proprement dits, dont chacun est simple et indivisible, parfaitement distinct du passé et du futur, et ne contient que le temps présent... Or, si yous posez une fois que le temps est indivi- sible, vous serez contraint dladmettre Objection de Zénon » (éd. the sign IV 9 7, nee) a 1. ll arrive dlailleurs que Descartes emploie le mot dimagination 14 of Fon attendrait celui d’entendement :«... et généralement nous Pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non pas qu’il ne peut faire ce que nous ne pou- ‘vons pas comprendre; car ce serait témérité de penser que notre imagi= nation a autant d’étendue que sa puissance. »d Mers.15 avril 1630, ALT. 1, p. 146. '2. A quoi revient, en somme, la démonstration que l'ensemble des points dun segraent de droite n'est pas dénombrable. Situons & tune extrémité, A, le point numéroté 1; A Pextrémité B, Te point numéroté 2. Puisons ensuite un 4 un, dans I'ordre naturel, tous les autres points de ensemble, en les portant alternativement & gauche et A droite, Nous obtenons arrangement : Ay 3, 5) 72. (an +> 1 2n (an — 2), .. 8, 6, 4 By Il doit done y avoir un point qui doit se trouver a droite de tous ‘es impairs et & gauche de tous les pairs. ‘Mais il est évident que ce point ne peut appartenir & l'ensemble, 3. Physique, Livre VI, chap. 1x. 4 Cf. plus'loin, p. 335, 336. ciomérrisme canTésten 231 o De Descartes A Leibniz, le modéle mathématique se trans- forme. Ce nest pas seulement qu’d prés d’un demi-sitcle de distance — 1630-1675 — la science a évolué; c'est surtout, et par Ik se caractérise leur contribution respective & cette Evolution, que chacun de nos philosophes aborde les mathéma- tiques avec un esprit différent. D’abord, le fond n'est plus Teméme. Descartes réagit contre la Scolastique. Il en inverse Yordre en allant du connaitre & Létre. Il en rejette labstrac~ tion et le vitalisme des formes. Il renouvelle la méthode cen slingpirant des géométres. Il méprise le syllogisme, I’Art de Lulle, les réveries de ceux qui attribuent aux nombres «des prupri¢tés meiveilleuses et des qualités illusvires » Il veut rendre les mathématiques indépendantes de la Logique aristotélicienne. Au contraire, Leibniz reste imprégné de Scolastique. Il en respecte ordre de I’étre au connaftre. IL en accepte la doctrine de abstraction et le vitalisme des formes, Sans doute, lui non plus, il n’attribue pas aux nombres des propriétés merveilleuses 1; cependant, par E. Weigel *, & Pépoque du de Arte, il céde A V'influence pythagorisante (Bisterfeld, Kepler, Nicolas de Cues, etc.) : en son harmonie vivante, le monde repose sur le nombre; le 1 est & l'image de cette unité harmonique; le 2 exprime séparation, discorde, antipathie ou contrariété, quelque chose comme, en musique, Ia dissonance d'un intervalle de seconde; le 3, dont la forme visible est le triangle, est réconciliation; le 4, premier carré, a pour figure le carré, dont les diagonales s'opposent (contra- dictoires), tandis que les cétés «ffrent les liaisons bilatérales du contraire et du subcontraire, de Palterne et du subal- terne®, On pourrait suivre dans le détail les traces de cette 1. « Sed cum vera arcani clavis oraretur, lapsi sunt curio~ resin futlia et superstioea, unde nata est Cablata qusedam vulga fis, a vera longe remota, et ineptiae multiplies cujusdam fall hominis Magiae, uibus’plenisunt libri, Taterea insita. mansit munis fran ereden mii inven posse ures cae racteribus et lingua quadam nova, quam aliqui Adamicam,,Jaco- Eis Bobemas de NatorsSpracke weese Pe VIL pease 2, Me Cavrron, Vorfenmgen... Ill, p. 40 ~~ juge séverement Weigel Aine! fasat Tluygend, dans dee annotations marginales a1 Journal des Spovans. Mais Leibnia en prend. la défense ©... Matheseos imperitum iniquum est, etst non satis peritus fries Analytieae profundioris. 4 Johann Bernoullt, 3: juillet (v. st) eR ee 2 iicmeh die pp. 2 94,— Heine L, Marzar: Die Gea henwelt des jungen Leibniz (dans : Beitrige zur Leibni ‘orschung, 1548) 232 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES influence pythagorisante : quril suffise de rappeler quel sens Indtaphysigue Ceibaiz devait attrbuer & on eysiame de numération dyadique, imago creations, puisque omnibus ex nihilo ducendis suffice unum, A ce pythagorisme pouvait se concilier, comme il le faisait chez Weigel, Varistotélisme de Pépoque. Si esprit est le miroir du réel, toute idée apparait vivante, étant l'actualisation d'une puissance, et tout vivant est comparable A une idée; si le nombre est quasi une figure incorporelle?, si les essences sont comme des nombres — estentiae rerum sunt sicut numeri* — variant pour tout attribut 6té ou ajouté, entrant dans des combinaisons diverses de figures, parallélement les espéces, qui constituent les figures corporelles, s‘ordonnent et se higrarchisent a la maniére des casenees. Aussi bien, remarque Brunschvicg, le eyllo- jame peut-il se situer dans ordre de V'étre, abstraction faite ie ordre de la connaissance; et alors, « il semble que les deux prémisses s'unissent comme des étres vivants et, par eur vertu génératrice, donnent naissance a Ja conclusion. Le systime des trois termes et des trois propositions co titue une sorte de vie organique, qui est paralléle & I'ex tence des choses et qui donne Ie moyen d’en comprendre la genése ¢ , Leibniz transposera en mécanisme métaphysique, exprimé par sa Dynamique, la « sorte de vie organique qu Aristote attribue au raisonnement; il révera d'une machine A penser comme d'une machine & calculer achevant le Grand Art de Lule, Sur un fond différent, le modéle mathématique se dessine différemment, Descartes rend les mathématiques auto- nomes. Ce qu'il cherche, ds le début, ce n’est pas leur corres pondance avec la logique de I’Ecole, il cherche la correspon- dance de 'Arithmétique et de la Géomeurie, juserivant en regard du nombre rationnel la droite et le cercle, du nombre irrationnel les courbes engendrées par un seul mouvernent x. Covrunar, Log., p. 474- 2 Dedrie,E, Ip. 3 Princ indioduds BWV, p. 26. . : ray Nyy Be Bw, dpe en Eager de op © ec, de Leinis (Quvies, 4. ‘Vsierand, t. Xl, pats és que ta raion metaphysique de Veustence sf olve ital ste tation mathemaive oa de donee tration, le syllogsme acquiert Une valeur, ane importance premitre, ek joult d'un enter priviltge d infilibiite en vertu de la forme Stale (vi formas)». Selon Et. SOURAV, ce serie, a contrate, le frouvement par of la conséquence désive du Principe Fmpoeé A Leibniz ea conception de V'existence (L inctauration philo= sophique, pe 108)- GfoméraisMe CARTESIEN 233 continu, du nombre « imaginaire » les courbes engendrées par différents mouvements!; ce qu’il trouve, cn. Ia géométrie analytique, la géométrie et Parithmétique des nombres indéterminés, ou algebre, c'est la science de Yordre par la mesure. Pour Leibniz, les mathématiques sont une promotion de la logique. S'il cherche une correspondance, Peat entre lettres ou formules et ‘concept, entre équation et jugement, entre opération et raisonnement *; ce qu'il trouve en subordonnant les mathématiques a la science des formes — et, dans cette science, Ia Combinatoire & Ia Logique? — c'est, en définitive, que la géométrie analytique de Descartes est une science de la mesure par 'ordre. Certes, on peut, avec Brunachvicg, dégager du leibnizianisme de fait un leib- nizianisme de droit qui rendrait autonomes lex mathéma- tiques; mais en fait, comme Pont montré Russel et Cou- turat, Leibniz ne les détache pas de In Logique de I'Ecole. « La logique vulgaire est, assurément, souvent défectueuse; ce qu’elle dit du genre et de la différence (genere et diffe- rentia) a bien besoin d’étre amélioré et Pon peut faire du genre une difference... »; toutefois, « la Mathématique pure ze montre rien qui soit contraire & la Logique, mais a inverse, de méme qu'elle lui emprunte beaucoup, de méme, en contre-partie, elle vient aussi A son secours et ui enseigne des exemples pour avertir les hommes... # Sur ce fond et sur ce dessin leibniziens du modéle mathé- matique, ce qui frappe du premier regard est la valeur pri- vilégige accordée 4 Parithmétique, par contraste avec le géométrisme cartésien. Il va de soi que ce contraste doit trouver sa justification dans une théorie du nombre diffé- ente de celle de Descartes. Abordons cette théorie en ne considérant d’abord que le seul cas du nombre enticr. Nous savons par od l’aborder, En effet, & 'Ego Cogito, il faut joindre, parmi les vérités premigres de fait, varia a me cogitantur, car « il n'est pas plus vrai ou certain que je pense, qu’il ne l’est que je pense Ceci ou cela »: je suis — et je suis affecté de diverses maniéres Ainsi le nombre sera-t-il en méme temps une affection 2. A Deechmann, 26 mare 1619, AT, X, p. 157, Par «imaginal» Descartes ne semble pas renvoyer & des ratines aeginairesy mais & des racines ou des équations ce degrésupericur a3 2: Courunat, Lag. p- 283. & 2 Gaba Wager, 1698, P. VE, t , 1658, P. VIL, p. 25. &. Anima. in Cartetum, ad. at.'7, Bars Y,.1V, p. 357. PT, pr a34-238- 234 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de ma pensée — affection par laquelle 1a multiplicité des substances ee réléchit dane Punité de la monade — et une action de ma pensée, par laquelle, réféchissant sur une mul- tiplicité, je Pembrasse tota simul pour en former une unité, ‘Tandis que, par cette affection, je suis tourné vers PEtre et, plus précisément, vers affection de I'Btre qu’est le nombre par cette action ou réflexion, je me retourne vers moi-méme, dans mon pouvoir d’abstraire et d’apercevoir des rapports. Ainsi, deux thémes vont se combiner dans cette théorie du nombre : celui de Pétre et du connaitre; celui de 1a multi- plicité dans l’unité et de l’unité dans la multiplicité *. Or Ia plénitude de Métre, excluant tout vide métaphy- sique ou physique, comporte pour Leibniz, une multplcité inhinie de substances qui s‘entr’expriment dans I'harmonic universelle. Quelle que soit leur identité générique (4’étre des substances) ou spécifique (d’étre de simples monades ‘ou des Esprits) possibles ou réelles, il n’en est pas deux iden- tiques : chacune est un ceci unique; en ce sens, on peut dire que la qualité est premigre. Leur nature commune consiste en force (tendance, appétition), expression de l'expansivité divine; par conséquent, la force occupe, sans discontinuité, Vespace exprimant I'Fmmensum divin.’ Aprés la qualité, c'est l'intensivité qui caractérise l’étre, ou, si l’on aime mieux, en termes d’étendue, l'expansivité. Enfin, on peut parler de quantité de deux manidres : Ia pluralité des monades est une quantité diseréte, non point parce qu’elles seraient séparées Jes unes des autres par quelque vide, mais par cela seul que chacune est distincte de autre; et les forces monadiques sont source de la quantité continue, non point parce qu’elles seraient égales en chaque monade ou pasteraient de l'une en Yautre, mais parce qu’elles expriment Pexpansum de la toute~ puissance dans I'mmensum divin, qu’on ne saurait concevoir discontinu ®. Mais ici il faut préciser. L’intensif n’est pas Ia yuantité. La quantité est un état, ce n’est pas une action, et état ou passivité ne peut, on’le devine, se trouver que dans le corrélatif de la force. Pris absolument, cet état est la imitation inhérente & toute idée de créature et, par consé~ quent, & toute eréature, c'est-A-dire, du méme coup, P'indi- ‘Yiduation, Ie situs qui proportionne Ia limitation de Ia subs+ tance au degré de réalité (ou : de perfection) qu'elle a dans le E Evol Sn Brunschvieg, Ia logique du réet Ee, pour parler avee Brunschvieg, la logiq Jogiae de Tide. res niaee® Sei 3: Sur inmenn, cf plus loin, p. 274. cfomérrisme caRrTEsiEN 235 monde récl ou possible. Pris physiquement, cet état est la ‘materia prima, ou force morte, base de la statique. Qu’on Tentende au sens absolu ou physique, il va de soi que cet état n'est pas une réalité A part : une substance inactive ne eerait pas, pour Leibniz, une substance, et la materia prima nest séparable que par abstraction de la materia secunda. Tl va également de soi que la passivité implique multiplicité : cn effet, toute limitation implique situation, qu’on pense & une idée — et la limitation prend le nom de définition — ow a une monade, c'est-A-dire & la situation dans un ordre Jogique ou a un situs spatial, ce situs n'étant déterminable jue par rapport & d'autres; d’ailleurs, action et la passion une monade ne se congoivent elles-mémes, dans I'harmonie universelle, que par rapport & Ia passion et & I'action d'autres monades. D'une seule monade on ne saurait tirer, ni la ‘quantité numérique, puisque 1 n'est un nombre, sil’on admet, avec Leibniz, que cest un nombre, que par rapport au moins & 2, ni a quantité étendue, puisque la monade est inétendue. Ainsi la quantité a bien comme conditions néces- saires : 19 In passivité des monades, qui s'exprime dans Pétendue; 2° et leur pluralité. Conséquences? Chez Des- cartes, nous avons vu, la quantité se confond avec la matiére, Materia sive quantitas *; la matiére est une substance; done, Ja quantité est substance. Mais chez Leibniz, Ia materia prima monadique, dont V'infinie répétition fonde la quantité Gtendue, n’est séparable que par abstraction; dés lors, Ja ‘quantité ne peut étre qu'un attribut, elle ne peut étre subs- tance : « .. sic certa magnitudo essentialis est datae mate- riae; et ita non est modus, ut sunt figura, vel motus; et tamen ‘magnitudo non est substantia, sed attributum? ». Chez Des- cartes, Ia divisibilité & T'infini’ de la matiére exclut en méme temps Ia réalité de 'atome, Pabstraction du point inétendu, Ja spiritualité de Ia monade, bref toute espéce d’élément der- nier : l'un de la substance étendue est le principe de la quan- tité, et, par conséquent, du multiple des particules que divise 1, L’unité « qu’on peut considérer comme le nombre primitif » PTET See ti 2, Le texte le plus clair ici, en tant qu'il s'oppose la distinction de la materia prima et de la materia secunda est s8ns finsi_que T'a relevé GILSON, Index, art, 273, PP. 170-17%, celui dui Traité de la Lumitre A.’T. XL, pp. 35-36, Les philosophes qut se souviennent « de leur matigre premidie, quiils savent étre assez malaisée i concevoir » trouvent étrange « que la quantité de 1s ‘atiare que j'ai déerite, ne différe non plus de sa substance, que le nombre fait des choses hombrées...». 3. A John Bernoulli, 29 juillet 1658, M. IIT, p. $22 236. «LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES Je mouvement. Chez Leibniz, la divisibilité 4 Pinfini de Ja matiére s'explique par Ia spiritualité de la monade, élé- ment dernier cette fois, distinct par soi, indivisible : ainsi, chaque monade est élément de Ia multiplicité des monades, sans pourtant que Ion puisse dire qu’elle en soit le principe, tune monade n’étant point substance, cause, mode ow attri- but d'une autre; et comme on ne saurait non plus tirer la quantité d'une seule monade mais seulement de leur coexis- tence, il faut conclure que le principe de la quantité, ce n'est plus Pun, c’est le multiple. Chez Descartes, les particules primitives présupposant la quantité comme toute figure ¥, leur multiplicité n’est qu’un mode de la materia sive quantitas ; chez Leibniz, au contraire, c'est une multiplicité réelle de substances que préouppose la quantité. Ainsi, le monde carté- sien ne comporte aucun arithmétisme réel : si, du cdté de Tétendue, nous ne trouvons pas d’éléments derniers, la dis- continuité des instants ne saurait davantage, par elle-méme, S'inscrire dans la quantité, puisque « nous ne concevons point gps la durée des choses qu. sont mues soit autre que celle jes choses qui,ne le sont point #», en sorte qu’en regard du ‘temps il n'y @ pas de différence entre le mouvement, qui divise la quantité, et le repos, qui ne la divise point. A l’inverse, Yarithmétisme est & la base du monde leibnizien, et c'est pourquoi la géométrie, science de Pétendue, y est subor- donnée a l’arithmétique *. Mais l’arithmétique, 4 son tour, se subordonne A la science des formes, ou de ordre, parce que ce qui distingue, dans Iétre, chaque monade, c'est qu'elle ‘est un ceci qui détermine son situs dans l’ordre de la Création : doit on comprend la tendance de Leibniz, contraire & lesprit de Deseartes, de ramener Ia eatégorie dt. nooby & celle du rovbv 4, En passant de Pétre au connattre, nous devons retrouver la structure de Pétre exprimée dans Ia connaissance. En ce x. « Ut quamvis figura non existat sine quantitate, potest tamen. sultari, hac non mutata. > Martane, 29 juillet 1640, A. T- Ill, poy. 2 Beh § sy | 4. Tpsneithcs Geometria seuscintiaextensonis raeussubordi- aidir' Abthmnctcne, quain exicosione, UE supra diy fepeTtio est seu multitudo...» P. IV, pp. 394-308 : ie 4. COUT, Op., Pe 9. tau. Fe tamen accuratius considerata vidi {pttedicaménta quanatis et qualiteds) mon esse nis merea remo tationes, quae ipsae per se nullam denominationem intrinsecam constsuan, adeoque fave selaonea tantom quae indigeene fun fento sat ex praedcarento qualita sex denominatone intrine seen seekdentals GfomérRisme cARTEsiEN 237 qui concerne le nombre, sa connaissance nous. est double- ment innée : directement, en tant que nous exprimons Diew et, indirectement, en tant que nous exprimons I’expression de Dieu qu’est le monde. Ainsi que Platon I’a montré, « les ‘yérités des nombres sont en nous », bien que leur connais- sanve uctuelle ne Te suit point. On pourrait donc se fabriquer T'Arithmétique et la Géométrie dans son cabinet « et méme 4 yeux clos, sans apprendre par la vue ni méme par l’attou- ‘chement les vérités dont on a besoin; quoiqu’il soit vrai qu’on. nrenvisagerait pas les idées, dont il s'agit, si Yon n'avait jamais rien vu ni touché? », Pour transposer ici la formule ‘kantienne, si la connaissance du nombre commence avec Pexpérienee, il n’en résulte pas qu'elle dérive de ’expérience. ‘Dans Phistoire de nos pensées, nous partons du sensible. Certes, la perception ne suffit pas : les animaux n’accédent pas Ala découverte du nombre. Dans I'absolu, elle n'est méme pas nécessaire, car Dieu congoit le nombre sans per- ception sensible. Mais pour nous elle est nécessaire : en fait, parce qu'elle nous « donne occasion » de penser au nombre; en droit, parce que perception et monade s'impliquent mutuel- ement sous la méme définition : multiplicité dans Punité. C’est pourquoi sur le plan de la réflexion pure, si l’on cherche les Initia rerum mathematicarum metaphysica®, aussi bien ue, sur le plan de l’observation, si ’on suit, comme dans les fouveaux Essais, Vhistoire de nos pensées, Venquéte sur le nombre est toujours abordée par des. considérations qui concernen erstence le temps et la durée, espace et ten ue. Liunité dans 1a multiplicité de Pharmonie universelle se réfiéchit en multiplicité dans P'unité de la monade. Voila la erception *. Que nous propose-t-elle? Etendue et durée : imultanéité et succession. Elle envelope V'infini dans sa limitation; nécessairement, elle enferme 1a confusion. Aussi Ja simultanéité de Pétendue pergue nous offre-t-elle dans le confusion la continuité, diffusion, comme la blancheur dans le lait, de la force, nature commune des monades coexistantes, Ta passivité qui résulte de la materia prima, et la qualité sen sible dont la source est Vinfinie variété individuelle des subs- tances, Grice 4 la distinction des qualités sensibles, nous Peteevons des corps, cestdire des. touts, eure partes, leurs situations respectives, et leurs intervalles. 1 NEL. y §.P.V, pp. 734. 2. M, VIL, p. 17. ® 7 3, © Car petception mvest la représentaton de Ia multitude dans Je timp.» A Bourgut, décerabre 1714, Bll, Pp. 57475: 238 Lereniz cniTIQUE DE Descartes ‘Mais ill ne suffit pas de percevoir?, A la réflexion seule il appartient de transformer cette affection de I’étendu et du multiple en conception de I’étendue et du nombre : elle seule peut dégager de cette multiplicité dans I'unité, l'unité dans Ja multiplicité par laquelle se définissent I'espéce, le genre, Yuniversel *, la relation et ’harmonie * — I'idéal qui ordonne Petre. Dans cet accés 4 Midéal, la découverte du nombre arithmétique va se trouver associée & celle de I’étendue géo- métrique, comme Pexprimé 4 Vexprimant, en sorte que le nombre sera comparable Aa Iigne, chaque nombre aura son situs enveloppant la qualité de son rang ordinal et sa quantité cardinale, comme la ligne ne s’expliquera que par le nombre, chaque point ayant son situs avec, sil s'agit d'une courbe, Ja qualité d’un angle de tangence et Ia quantité dont ce point définit la limite, ou, s'il s'agit dune droite, Ia qualité de Yidentique qui implique la quantité de la répétition de l'iden- tique. Revenons & Ja perception. Deux affections de I'étre s'y présentent : l'une, absolue, la qualité; Pautre, respective, Ja quantité 5. La qualité est ce qui se fait connaitre par soi : Qualitas autem est, quod in rebus cognosci potest, cum ingulatim obsercantur®, La quantité, “nous Pavons vu, ‘exige pluralité; elle consiste donc dans le rapport de chose & Partie, ou d'une chose & une autre, lorsque ces parties ou ces ‘choses sont unies pour former un tout? : en formule plus générale, Quantitas, seu Magnitudo est quod in rebus sola com- Praesentia (seu perceptione simultanea) cognosci potest ®. ‘Avec Vaperception de cette relation entre tout et partie, Tidée de la totalité est déja une idée du nombre ®, Mais au Point of nous en sommes de notre recherche, cette idée, méme claire, n'est pas encore distincte : nous avons pus encore les notions de parties identiques, ou unités arithmé- 1.4 wu car les expériences des sens ne donnent point des vérités absolument certaines... ni, qui, soient exemptes de tout danger dillusion, » N. B, IV, vir, 89, B. V, pp. 392-993. a. P.M, pe 307. 3. Groh, T., Do 13. 4 Wbids'p. 12. £ Be arte, PIV, p. 35. M. Vil, p. 19 et V, Be 153- 7. De Arte, B. WV, p. 35. * »» alia respectiva, eaque vel rei ad partem sam si habet, Cuiantitas, vel rei ad aliam rem, Relatio, esi Accuratius loquendo, ‘supponendopartem quasi a toto diversam, etiam quantitas rei at partem relatio est.» 8. M. VII, p. x8, V, p. 154. Cf. Courunar, Log., chap. vit, en particulier, § 11. '9- PIV, p. 36 ‘Totum ipsum (et ita Numerus vel Totalites. cfomérrisMe CARTESIEN 239 tiques, ni de addition, D'ailleurs, cette totalité, d’oi pro- vient-elle? Comment s'opére la synthése des parties, qui constitue un tout, en fait quelque chose de Un? A ces ques tions, le de Arte n’apporte encore qu'une réponse insuffisante : Ja définition de la synthtse — quicquid uno actu intellectus sett simul cogitamus — manque encore d'une doctrine de la connaissance élaborée; et dautre part, Ie nombre y est consi- déré, & la fois comme ensemble (Arithmétique), et comme mesure (Géométrie)! : lunité (unitas) y est Pabstrait de Yun (Unum) qui, lui-méme, est Vidée abstraite du Tout (totum), union dune pluralité, quoties plura simul tanquam Unum supponimus *. Avec la monadologie, Punité prend un autre sens et nous comprenons mieux quel travail d’abstrac- tion noua éléve au concept arithmétique du nombre. Et d’abord, il est clair, par sa seule définition, que la perception est d’elle-méme une synthése de la multiplicité dans Punité substantielle de la monade; en outre, nous savons, par Ia doctrine de l'innéité, que la perception enveloppe, pour un Esprit, [a connaissance de la relation. Dés lors, nous nous @loignons de Descartes. Chez Descartes, Ia réflexion m'implique aucun passage de la puissance 4 I'acte® : tout aut contraire chez Leibniz. Pour la réflexion cartésienne, abs- traire c'est exclure afin de remonter, de condition & condi- tion, jusqu’au. conditionnant le plus simple possible, et généraliser consiste 4 appliquer cette raison supérieure que la raison a dégagée : ainsi abstraire et généraliser ne se confondent pas, et la généralisation est ici d'origine mathéma- tique * Avec Leibniz nous revenons aux sources aristotéli- ciennes : abstraire est dégager le spécifique, et abstraction ne se sépare plus de Ia généralisation, puisque le spécifique ‘est une « possibilité de ressemblance »* et que la généralité « consiste dans Ia ressemblance » qui « est une réalité » 6, Bien entendu, la resemblance, au niveau de la perception, est la ressemblance sensible qui apparait dans I’étendue. Cette ressemblance est fondée dans la qualité inhérente & 1, En fait, Leibniz combine a l'influence superficielle de Des- cata = fat dana in tobene page allaion 4 PAnetytque atti: Sicnne — celle «'arixoe« tow! ap opus moses 6 EeTpTED > Met. B x 57 3-4. § Gutnotin becare.1, pp goon, aif J roe RTE, Probléme de |’ Abstraction, p. 7. — GUEROULT, ani, @, Gorn. 27 & N.E. III, v1, 32, P V, p. 203. Passim. Doak dae SV, beatae 240 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES chaque chose comparée, Cette qualité sensible, & son tour, est fondée en chaque chose sur une essence spécifique, rien n'empéchant ¢ les choses d’avoir des essences réelles indépendamment de Ventendement, et nous de les con naitre + », Mais de les connaitre comment? Par abstraction? ‘Oui ex non, Ici encore il faut consulter Aristote. Pour Leibniz comme pour Aristote, Ia connaissance de l'individu demeure interminable. Aussi, pour Aristote, le rapport de individu a Tespéce « est un lien immédiat, un acte indivisible d’intui~ tion », une atatnars®, Dés lors, reprend Leibniz, 'abstraction a liew ¢ plut6t en montant des espéces aux genres que des individus aux espéces® >, Ainsi, quand je pergois la ressem- blance spécifique, il agit moins dune abstraction, que de Vaperception, pliix ost moins claire, d'uine essence : je n'ai done pas 4 opérer expressément une synthése de comparai son pour former Tidée de l’espéce. Et c'est bien, en puis- sance au sein méme de intuition sensible, une intuition intellectuelle qui se montre : car, 4 coup s6r, la resemblance est une relation entre des termes en présence, et l'on sait que les relations « ont quelque chose de I'éire de raison » et Ton peut dire «que leur réalité, comme-celle des vérités Gternelles et des possibilités, vient de la supréme raison ¢». Par conséquent, avec Ia resemblance, dés laperception perceptive, nous discernons déja les composants fondamen- taux de la notion du nombre. D’abord, la Fessemblance exige une pluralité de choses comparées : elle envelope ainsi la quantité. D’autre part, puisque sont semblables Jes choses de méme qualité ®, c'est que nous saisissons dans le’ sem- blable Videntité : certes, Videntité pergue n'est encore que confusion, mais la réflexion peut 'abstraire de cette confu- sion et remonter A sa racing, le principe d'identité qui régne sur toutes les vérités nécessaires, Enfin, en nous proposant ala fois la grandeur, ou quantité, et 1a qualité spécifique, la ressemblance nous donne occasion de penser & Phomogé- nité, soit de létendue, soit du nombre : mais il n'est pas besoin de répéter que I'homogénéité percue ne serait, elle aussi, que confusion si Veffort réflexif ne parvenait, par Vaddition, & la défnir dans sa pore signification intelles- le. N, E.I, vt, 27. PY, p. 300. CE. Brunscxivrco, Htapes, p. 81. NE. UL, 1, 6, P. V, p. 268. NEM, xx, 1,. V, p. 210. ‘M. VIL; p. 9. ee ate GEomETRISME CARTESIEN 24r ‘Tout et partie, ressemblance et, dans la ressemblance, en ‘une aperception plus ou moins confuse, identité et homogé- néité, voila ce que nous avons trouvé avec la perception. Nous devons maintenant suivre le mouvement de réflexion qui, de cette alana. dont l’acte indivisible unit immédiatement Tindividu a l’espéce, s’éléve a I'abstraction du nombre : car jl nous manque encore, pour y parvenir, Vidée de l'unité arithmétique et celle de I'addition. Dans ce mouvement d’abstraction, nous passons de l’étendue, objet de perception, 4 T’espace, objet d’entendement : et l’étendue du géométre ne sera rien d’autre que I’étendue sensible rendue intelligible par lespace. Ainsi, comme Leibniz le répéte avec insistance dans un texte anticartésien 1 — qui s’adresse 4 Malebranche autant qu’a Descartes — il n’y 2 pas deux étendues, celle de Pespace et celle du corps, autrement dit il n'y a pas un espace substantiel et étendu que remplirait I'étendue de la matiére, mais l’espace est inétendu, n’étant que l’ordre des ‘coexistences, et I’étendue n’est elle-méme qu'une apparence relative a la diffusion ou répétition continue (continuam repe- titionem?) de la nature commune des monades, ou force. De méme, « lorsqu’en concevant plusieurs choses 4 la fois, on ‘congoit quelque chose de plus que le nombre, savoir, res nume- ratas,... cependant il n’y a point deux multitudes : Pune abs~ traite, savoir celle du nombre; l'autre concréte, savoir celle de la chose nombrée * », Formule d’apparence cartésienne, ‘mais, en réalité, contraire 4 l’esprit de Descartes, pour qui essence ne se sépare pas de lexistence, pour qui le nombre en général, sans faire réflexion sur aucune chose créée, nest point hors de notre pensée ¢ », I'Universel n’étant que la générs ion faisant suite & l’abstraction du nombre ®; alors que, pour Leibniz, il y a un monde intelligible correspondant & notre monde (parmi l’infinité des mondes intelligibles pos- sibles), que la réalité du nombre, comme de tout étre de rai- son, vient de Ia supréme raison, et que la généralisation et Vabstraction inséparables, expriment la double infinité du multiple dans l'unité (extension), de P'unité dans le multiple (compréhension). Plus bri¢vement, pour Leibniz, le nombre ‘est comme l'espace *, une réalité idéale — en quelque sorte 1. BT, 5. Vs ps 13. 2 Joh. Bera, 27 Sa, or, M. I, p68. tia Bre 1, § 38. ‘ Spatkig per se indcterminatum ad quascunque possibiles ones remem ext asa, ut unite muri, quam Prose {coin aciones seca pose. Pry pe 336+ Pate 242 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES tune figure incorporelle,disst dt le de Arce? — ow, mieux, métaphysique, ce qui fait de Parithmétique une statique de Yunivers, par laquelle on explore les puissances des choses ®, ‘Mais comment nous dégageons-nous de la confusion du sensible? Le formel d'une relation n’enveloppe pas la connais- sance de ce quiil peut y avoir d’obscur dans le sujet de cette relation : sinon, elle participerait de cette obscurité®, Ainsi, bien que la perception envelope toujours de lobscur, Ia réflexion peut en tirer le formel de la relation et se la rendre claire. Appliquons notre réflexion au formel de la ressem- Dlance. Leibniz regrette que personne n’ait défini « ce que Crest que semblable, et cependant avant que de avoir défini, on ne saurait donner des démonstrations naturelles de plu- sieurs propositions importantes de métaphysique et de muathé= matique. Aprés avoir bien cherché, j'ai trouvé que deux choses sont parfaitement semblables, lorsqu’on ne saurait les discer~ ner que per compraesentiam, par exemple, deux cercles iné~ gaux de méme matiére ne se sauraient discerner qu’en les Yoyant ensemble, car alors on voit bien que T'un est plus grand que autre ¢», En passant, parla réflexion, de la ressem- lance pergue & P'idée de la ressemblance nous apercevons qu’elle implique : Ia qualité, qui ne peut étre connue que par soi; la quantité qu’entraine toute co-présence; autrement dit, Ja resemblance présuppose T’espace, avec son mode, le Situs, et le temps, puisque la compracsentia doit s’offrir uno intuitu dans Vinstant ow par réduction ® & instant. Dés lors, «soient deux ceufs, 3 ce point semblables qu'un ange méme. ne puisse observer de différence, et pourtant qui nierait qu’il different? A tout le moins parce que l’un est : ceci, l'autre : ceci, c'est-A-dire par Vhaeccéité, ou par ce qu’ils sont l'un et Tautre, c’est-4-dire par le nombre. Mais & quoi voulons-nous en venir quand nous nombrons, c’est-i-dire quand nous x. © Quasi figura quaedam incorporea. 35° 2. Numerus quasi figura quaedam Netaphysiea, et Afitime- bean nae Statica universi, qua rerum potentiae explorantur. » ‘3. NE Ir fax, 8, P. 4 A Galloys (2677), Sine ext coe » De Arte, P. IV, Giant, Mit, p.i8o. ting Modu Tague non tantum quanti+ tain, god & quotes tavelotes A VAL Baek 6. € Vous me di i hui Hun (des cercles), demain Vag tana jes dcermern ben ane les avcirenaeog Ye cs que Cat encore le divceroer non per menor scl bet Zemnpraentam : parce gue yous aver a mesure da prover Pete Sent non pas darb i rele, cay on ine seurat rete les peane , ais danse meaue fstceell groves sur ane gle, oo fre chove. sally, cfomérnisme canTéstEN 243 isons CECI (car nombrer est la répétition de CECI) ? Quiest-ce ‘que CECI? ou la détermination ? Quoi? sinon la conscience (ensus) du temps et du lieu, c'est-A-dire du mouvement fou de la situation de la chose par rapport & nous, que nous fayons A désigner une chose déja déterminée, soit avec: une ie ‘de notre corps (par exemple, la main ou 'index), Soit avec une chose déja déterminge — ainsi : un baton ppointée vers la chose» : méme pour Dieu, il n'y a pas d’autre discrimen entre ces identiques que d’étre, au méme moment, celui-ci : ici, celui-la : 1A 2, C'est pourquoi les identiques sont substitvables. Ainsi parvenons-nous 4 la notion de Pidentique : des choses identiques sont des choses substi- tuables. Nous ne pouvons done déceler leur substitution mutuelie, si la substitution a liew& notre insu. Comme elles ne présentent, l'une par rapport & l'autre, aucune différence intrinséque, elles ne sont plus distinguables in comprae- sentia que par leur position, = ‘On appelle unités les constituants identiques d'une plura- Jité, La pluralité est grandeur. Nous avons donc affaire & deux espéces de grandeur, selon que ses constituants sont distincts ou non l'un de T’autre : la grandeur arithmétique et Ja grandeur géométrique. Par conséquent & deux esptces d'unité : arithmétique, géométrique. Mais il est évident que Tunité géométrique sera subordonnée & l'unité arithmétique, comme Iétendue & espace ou, si on aime mieux, comme Pinévitable confusion en nous’ de V'infinité des monades & Vordre de coexistence de ces monades elles-mémes. En effet, ‘la distinction précise des idées dans P’étendue ne consiste pas dans la grandeur, car pour reconnattre distinctement Ia Erandeur il fut reeousie atx nombres enters, o¥ aux autres ‘connus par le moyen des entiers; ainsi de la quantité continue il faut recourir & la quantité discréte pour avoir une connais- sance distinete de la grandeur * », Et si nous analysons Vidée 1. Confessio Philosophi, pp. 84-86 : « Sint duo ova, ita sibi similia ut ne Angelus quidem (2 hypethest summae siilitudinis) obser vare differentiamn possit, et differe tamen quis neget? Saltem eo ‘quod unum est hoe, alterum hoc, seu haeeceitate vel quod sunt unum ee alterum, geu munero, Sed quid volurmus nobis cum ‘numeramus, Seu cum dicimus Hoc (numerare enim est repetitum hoc). Quid est Hoc? seu determinatio? Quid? nisi_sensus temporis et loci, eeu ‘motus aut rei datac ad nos vel rem jam determinatam aut nostri (manus puta aut digiti quo demonstramus) vel rei jam, determina- tae, ut baculi, ad rein datam demonstrandam. » Meme idée reprise, M. VIL, p. 275. — Grua. T. 381, oi le «6 hoc = 1. 2. Cour, Op. p. sd, 3. Ne Esl, Xt, 4 PV, pe 142 244 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES de longueur, ou distance, nous jugeons que des choses sont plus proches ou plus éloignées les unes des autres, selon que plus ou moins d’intermédiaires sont co-requis pour compren- dre Vordre qui est entre elles. La grandeur étendue nest mesurable que par le moyen de Punité arithmétique; mais la grandeur arithmétique est autonome et ne reléve en sa mesure que de Punité arithmétique. Crest que cette unité arithmé tlque, supposant le distinct par soi da quali’), impose pat sot, absolue, simple, indivisible; on peut lui attribuer Ia défi- nition de I'individu *. L’unité étendue est, au contraire, rela tive et conventionnelle, elle présente un’ agrégat infiniment divisible, I est vrai que le point, pris comme indivisible, peut, Jui aussi, entrer dans la méme défnition que I'un et que Yindividu : mais, @abord, cette définition du point reste conventionnelle — ailleurs, Leibniz préférera le définir par la notion de limite* — et ensuite, cette définition pour laquelle Te point est locus simples, simplicissimus — seu locus nullius alterius loci *— peut bien en faire une unité de I’étendue mais n’en fait d’aucune maniére une unité d’étendue. D'un mot, si Yunité géométrique est une unité étendue, Punité arithmé- tique est une unité spatiale. Il convient ici d’insister. Ona compris que Punité (arithmétique) ne peut étre lori- gine de la grandeur (arithmétique). Puisque la grandeur napparalt, in compracsentia, que par Ia perception simultanée, sola compereption *, son arging ee trouve évidemment dana Ja pluralité. Mais il serait faux d’en conclure que Punité n'est pas une grandeur : car, pour parler avec Pascal, de méme uiune maison nest pas un néant de ville, cily @ bien dela ifférence entre n’étre pas une chose et en étré un néant ® », Loin d'exclure 'idée de grandeur, Pidée d’unité I'inclut : en cffet, Yunité n’est définissable que’par Pidentité qui implique pluralité, done la grandeur. Diailleurs, Leibniz associe trés expressément identité et inclusion ?. De toute nécessité, les idées de l'un et dé l'autre (ou des autres) s'ineluent mutuelle~ ment. Sans doute disons-nous qu'une chose est identique & _. 1: € propriora sibi aut remotiora censentur, prout ad: ordinem {nee psa intelligendl plura paucioraque eorrequirantur. »M. VIL, 2. CE Courunar, Log., chap. 1x, §9, p- 408. 3 GE plus loin, p 320. ‘ XE VII, p. 21. Courorar, Zag, :M. V, p. 154. . De esprit géométrique, petite éd, Oazid Sori geométraue, petite 63, Brunschvieg des Penses ot 7. Covtunar, Log., pp. 338, 345, 356 et 364. cfomérrisMe CARTESIEN 245 lle-méme, a est a: cependant il est clair que cette identité tne porte que sur la qualité, connaissable par soi, sans compré- sence, et, par conséquent, reconnaissable par soi, d’oi emploi ‘du mot « identique ». Ce n’est donc pas l'identité qui définit, Tunité arithmétique, et Leibniz le montre lui-méme en faisant voir que 'addition logique A + A = A ne se confond pas avec P'addition arithmétique, A+ A = 2A. Ainsi, liden- tte, qui a permis de définir Punité numérique enveloppe Paltérité. Or, cette altérité ne peut étre que spatiale, des iden- ‘tiques comprésents ne se distinguant que par la position, ou ‘ius, Mais nous savons, précisément, que le situs, mode de coexistence, enveloppe, par cela méme, quantité et qualité. TI stensuit que chacune des unités comprésentes®, comme chaque situs, enveloppe elle aussi quantité et qualité, D’od tune double identité : V'identité qualitative, par laquelle elles sont parfaitement semblables; l'identité quantitative, par Jaquelle elles sont parfaitement égales. La premitre signifie que la méme qualité, connue par soi, est reconnaissable dans cette unité-ci et dans cette unité-IA : elle a pour principe Test 1, La seconde identité signifie que la méme quantité, connue seulement par comprésence, se retrouve dans une unité et dans Pautre, car les situs ne peuvent étre de quantité différente : 1 = 1. Par cette double identité — et non par la premiére seule? — se définit homogénéité mathématique # 2 laquelle la perception sensible nous avait donné occasion de penser, d’une fagon encore confuse. ‘Désormais, nous pouvons comprendre cette affirmation de Leibniz, que si Punité n’est pas, comme nous venons de le voir, Vorigine de la grandeur, elle n’en est pas moins lorigine du nombre 5, Cela ne signifi pas seulement que, de méme que Ja partie est le réquisit du tout ® dans lequel elle est immédiate- 1. Ci. plus loin, 247 04 Siti pte ttle abuts per Letnis eux temes univertls, vole Covronamy Log. pp, 348-349. a egy fx simu nase HTomogencn, » M. VIE p 28 3. Hiomogenes sunt quibus dari possune sequal site inter se"Sunto Ar B, et post sumi L Bequale ipal A, et M sequale {poi By sic ut Let M similia tune Act 8 appellabuintur homogenea, HHomecenen esse quae per tensformationem.sibi edd possunt To. ss deve grandetrs sont Cour. Ops pp. tat similia, ue curva rectae. » M, Vil, homogtnes si on les peut ajouter, 142. La Meditatio de principio individus du 1° avril 1676 reprenait la definition dEuclide & propos des nombres infinis : « Si duo numeri infiniti sine homogenci, id est ut_unus certo numero finito multi- Plicatus alterum superet...» JAG., ZL, p. 54, 1d., P. VII, pp. 244-245+ B. IL, p. 300. PLL, p. 120. 246 «LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ment contenue, ainsi Punité est le réquisit du nombre en Iequel elle est immédiatement contenue : en ce sens nous ne ferions que répéter la définition de la compraesentia qui sup- pose, bien entendu, les éléments dont elle est la présence simultanée; nous ne sortirions pas de la considération de la grandeur, et selon cette considération I'unité ne nous appa- raftrait que comme I'élément, le atoryetov de la grandew Mais cette conception aristotélicienne de I'unité, dont Leibni s'est d’abord contenté; ne suffit pas : il faut, avec Platon, la concevoir aussi comme le principe du nombre, son dpyi3. Si Leibniz peut d’abord écrire : Numerum definio unum, et unum ete. seu unitates®, lorsqu'il observera qu'une multiph cité de sensations ne permet de parler d’un corps que par la. congruence qui en fait un tout, il précisera : Ut! aliud est ternarius, aliud 1.1.1 est enim x “+ x + 1. Et adhue aliud est forma ternarii ab omnibus partibus...¢ », En nous proposant la ‘multiplicité dans Punité, Ia perception nous donne occasion de penser au nombre : avec cette pensée, c'est-A-dire cette réflexion, nous prenons conscience de ’unité dans la mul plicité, car Pidée de Punité d'une chose ne vient que de la réflexion 6, Nous avons bien alors une idée du’nombre, plus exactement du nombrable, mais pas encore du récultat du nombrement, & savoir le nombre lui-méme; nous pouvons énumérer 1 et 1 et I ete. — ou, comme dit la Confessio, « numerare enim est repetitum hoc »—mais nous n’avons pas 1+ 1+ 14, ete, Ce n'est done qu’avec Ia synthtse additive ‘que nous parvenons 4 Pessence du binaire, du ternaire, etc., c'est-a-dire & l'essence méme des nombres. Par I’unité de son essence chaque nombre est ce nombre, dissemblable de tous les autres. Cette essence est indivisible. On ne divise pas le sénaire, mais la grandeur qu'il représente. Cependant, cette essence ne se constitue qu’a partir des unités dont elle est la 1 Bidae sutachant A Acstote, Leib i é E Envse rattachant a Aristote, Leibnis sest toujours pos 4 fa théonte des scolstiques qui ont voula tier le nombre de Ia Givin ds conta BV, 3g Sula thf Aste eon Sppeion & cae de Pato, ct'G. Muutato, Ls Goon del (Paris, 1934), P. 349 $84, "3. An Jakob Thomasius, 20-30 avril 1669, R. Il, 1, p. 22. U2 5 av 1675, Inc, yp. 16. ET 1dd Gisteatet 2 Handi o capo’ nen’ wee, aside sail, avel 2076: Iaty Bt, ps 1301" Ala! repremnent les Ne Eel ely eit: [en BF san ae Eflesion, Selle de fa puisance et de Tuté gust vient de In name fourens's Ge gu revient wujours & di qua esp sal appar Sent Gaperecnr ies elation, ey pat hy Lane Géomérrisme caRTésiEn 247 synthése. Lorsque j’additionne les choses — aussi diverses au besoin que Dieu, Ange, Homme, Mouvement ! — et que je dis qu’elles font 4, Punité idéale de 4 n’entraine pas, évidem- ‘ment, que ces choses ne soient plus qu’une. Mais l’unité numérique releve, elle, du méme genre d’entité mentale que le nombre ; 4 n’cst pas d’unc autre nature que x. Ainsi, bicn que Ia synthése additive fasse, chaque fois, apparaitre une essence nouvelle, cette essence ne se distingue pas des unités qu'elle enveloppe comme du réel l'idéal. En outre, tout nombre n est &al An fois Punité, et, encore : 1 ( + 1) > m, D'un mot, du méme genre que Punité numérique, et obtenu par l'addition. de cette unité, toujours égale & elle-méme, le nombre doit se définir : ce qui est homogene a l’unité *, Reste A ginterroger sur cette synthése additive. Elle con- siste, répéte Leibniz’, & « prendre ensemble », « penser ensemble » les unités — tanquam unum, uno actu intellectus, disait le De Arte — pour en former un tout. Encore faut-il préciser, car toute conscience « prend ensemble » et ce ne serait ld que la définition de percevoir, apercevoir ou le rappel de cette vérité premitre : je pense du divers; au surplus, ce ne serait pas distinguer addition logique qui, elle aussi, prend ensemble (simul sumta ), de Paddition arithmétique. Or, ces deux additions ne sont pas du méme ordre : prendre deux fois les mémes cxufs ou leg mémes écus, ce n’est pas obtenir deux fois plus d’cufs ou d’écus ®. Dans I’addition logique (A -+ A = A) nous avons affaire 4 l’identité absolue (connue par soi, sans comprésence) : cette qualité intrinséque, fondement de Thétérogéne, est un ceci déterminé, elle est Videntique du méme. Dans V’addition arithmétique (A, + A = 2A), nous avons affaire 4 I'identité relative, de l'un a l'autre, dans l'ordre naturel, postéricure & la premiére ® : I'identique est ici une 1. De Arte, P. IV, p. 35. 2. A Wolf, 1x juillet 1715. « Numerum in genere, a frackim, surdum et transcendentem comprehendat, potuisses gtiam definire. Est scilicet nihil aliud quam Homogeneum unitati. Nempe si unitas respondeat rei A, numerus respondebit rei B, ‘quae sit homogenea ipsi A. » Cf. M: VII, p. 24. '3. Pense'le senaire qui sex unitates simul cogitat », Jac., El, . 190. « Les unités sont 3 part, et l'entendement les prend ensemble, ‘quelque dispersées qu’elles solent, 3,2. Vy ps isa, 4. « Si plura simul sumta coi jarium quodlibet dicitur inesse vel contineri in uno isto, ipsum ‘autem unum dicitur continent. »P. VII, p. 228. ‘VII, pp. 230, 237. Cf. Coururar, Log., p, 365- 248 «LEIBNIZ CRITIQUE DE DEscaRTEs relation extrinstque, fondement de I'homogine, située au niveau du genre le plus éloigné od il s’agit, non plus de telle ‘chose, mais de la chose en général 3, Des « choses » — Dieu, ange, homme, mouvement, corps, esprit. — ne sont donc itionnables, c’est-i-dire homogénes au sens mathématique que si l’abstraction, remontant au genre le plus éloigné, les raméne d’abord de Phétérogénéité & Phomogénéité logique. ‘Mais il faut, d’autre part, qu’elles soient disparates *. Dispa- rates sont les termes dont aucun n’est contenu dans I’autre®, Si des hétérogénes — comme corps et esprits — sont évidem- ment disparates, tous les disparates ne sont pas hétérogénes et ils peuvent tomber sub eodem genere, comme homme et la brute sous le genre « animal », for et'Pargent, sous le genre «métal * », Mais il est clair qu’aucune des unités homogénes de addition x + 1 + 1 + ... ne peut étre contenue dans une autre §, puisque nous ne pouvons les « prendre ensemble » ‘que parce qu’elles sont distinctes Tune de autre, quoiqu’elles aient mémes qualité et grandeur ou, d’un mot, qu’elles soient les mémes, c'est-A-dire substituables; et elles ne sont distinctes, Pune de autre que par la difigrence des situs qui les indivi~ duent et qui, du méme coup, sont insubstituables. Ainsi, les unités homogénes sont & Ia fois les mémes, ce qui les rend substituables, et disparates, ce qui les rend additionnables. A partir de ces deux notions — «le méme » et le « disparate ®» — Leibniz a tenté plusieurs fois, par l’inclusion, une définition ogique des nombres cardinaux : si a, B, substituables entre ‘eux, sont, chacun & chacun, substituables & m, m est un (par exemple, trilatére, tri-angle, une certaine figure; Pierre, dis ciple du Christ, disciple qui renie le Christ, un certain apétres Octavius, Auguste, un certain empereur); si a, 5, substitua- 1, Aina sexplique que nous puissions dice que des choses aussl héticogénes que Dieu, Ange, Homme, mouvement, sont Aue, par abstraction, ‘nous fes ramenona a Thomogene. Car des écdrogines, par excinple, corps et esprit, ne sont pas sans avoir quelque chose de commun, 4 savoir dete tous tes deux des sube Stancea: «non quod nif lis commune st, enim ambo sunt sub= 1 Cot, Op., B. 33. Operb. 47, B53. 4 Bid, 5 see os E Liaxlome le tue es deal & toutes sr parties priser ensemble a besoin de limitation, « ear if fast ajouter que cea parties ne doivent avoir ellesamémes de partes communes. > N. E. IV, Vil, 29, MVE Veep. 393. C8 M. Vi, 293. . C ‘A partir de recherches de Leibniz sur la défi- nition due semblable ». GHoMETRISME CARTESIEN 249 bles chacun & chacun & m ne sont pas substituables entre eux, cest-A-dire sont disparates, a et b sont deux ; si a, b,c... ete.» Ces tentatives n’ont de sens que par la notion de disparate, qui, elle-méme, n'a ici de sens qu’appuyée sur la notion de espace. Sans cela, nous retomberions sur I’addition logique. En celle-ci, le contenu peut étre inférieur ou égal au ‘conte- nant, tandis que le total arithmétique des unités ne peut €tre qu’égal & leur somme® : le couple contenant-conten ne siidentifie pas au couple tout-partie qui n’en est ‘qu'une espéce; le contenu n'est pas nécessairement homogtne au contenant, alors que la partie Test nécessairement au tout , par exemple le diamétre (longueur) n'est pas homogéne au cercle (surface) dans lequel il est contenu, et n’en est done pas une partie *, Dés lors, on peut dire « véritablement que toute la doctrine syllogistique pourrait étre démontrée par celle de continente et contento, du comprenant et du compris, ‘qui est différente de celle du tout et de la partie; car le tout ‘exctéde toujours la partie, mais le comprenant et le compris sont quelquefois égaux, comme il arrive dans les propositions réciproques * », Désormais nous pouvons ententire ce que signifie « prendre ensemble » des unités pour en former les nombres. Certes, V'intuition y suffit tant qu’il_s'agit des premiers nombres; elle s‘aveugle vite; surtout, Leibniz ne lui accorde pas la mnéme portée que Descartes, il la psycholo- tise, i la rabaisserait plutot au rang d’une expérience subjec- tive qui nous donne occasion de penser & Ia loi de formation des nombres. C'est cette loi — cette méme raison qui se conserve en passant d’un nombre au suivant — que nous avons A découvrir en nous interrogeant sur la synthése addi- tive, Nous partons d'une collection indéterminée d’unités, Sa détermination constitue un passage de puissance a acte, Ainsi la synthése additive contient — comme, en compréhen- sion, espéce son genre — la synthése syllogistique : I'intui= 1. P. Vib, py 225, Cour, Op. pp._239, 476. Covrunar, Log. po. gang [OE N. Be IVy nl, e's BV. 468) 2 tBallion logiqae, chez Leibniny se dittingue de ce qu'elle ext chez Boole ence qu'elle n'est pas disjonctive, mais comjonc= “B:VIl p. 299. Cotr., Log, p. abs, = Ce aul ext vrai de Fadai- eat ausel de ie maltplcstion logique { le contenant peut Ete’ supericur (or % argent < metal) ou gel (animal. Fain rable = homme) au contenu, 5. « Stretius forum ita sumitur, ut sit homogeneum part. Homo genen sunt quorury unun in sie altri, simon a, tari potest. > Cor, Gey a * B. Uii p. 239. EN ELS sat 8.2. Vs. abo. 250 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES tion des unités deviendrait ici comparable & l'alobnot¢ aristo- télicienne qui fait apercevoir espace dans les individus, et Ia liaison de ces unités nous renverrait & la « sorte de vie organique », ala vis metaphysica qui, nous disait Brunschvicg 3, ‘unit les prémisses du syllogisme pour engendrer la conclusion, Bref, la sommation des parties se range, pour Leibniz, sous les lois syllogistiques de continente et contento *. Cependant, cette sommation ne peut se définir que par sa différence spéci fique, et celle-ci se trouve dans intervention de lespace. La synthése additive est, spécifiquement, synthése spatiale. Liespace leibnizien n’est pas l'espace absolu, cartésien — ou. newtonien — qui n'exige aucune eynthése pour se constituer; iln’est pas davantagel’espace kantien, forme apriori subjective de Ia sensibilité irréductible & Tentendement’, L’espace leibnizien, idéal, relatif, est un rapport, un ordre de coexis- tences possibles ou réelles. Les unités sont comparables aux ‘Situs, Le Situs n'est qu'une abstraction si on le sépare de toute substance possible ou réelle, comme Punité si on la sépare dela chose nombrée, eete chose pouvantntre qu'un « caractére », un symbole imaginatif — tel le chiffre 1 — et, en fait, l’étant nccanairement 4 Les Situs, comme lunité, n’a de’sens que par la pluralité : étre de raison, il n'existe idéalement que par le rapport de Videntique a Tidentique, rapport indifférent a la distance, telle qu’elle apparait dans Vétendue 4, et & Vordre, puisque les identiques sont partout 1. Nous ne pensons pas seulement aux textes cités plus haut, , 342, mais auest Ta petite these de Bruwscurvice “Qua rations Aedes metaphyican sim gone ine demonsavent a 2. On se rappelle [Cour., Log., p. 62, 192] que Leibniz a considéré ly aac pam cnne EP yea ‘den es aren nombre seraient les apices, En sorte, joute-til, que « a Jeus progression Gia connie, elle servieatb nous deeouvae eon en géndni3 BM Vil pe tao nnn © mvs fs nombres "se Bien quill arrive & Kant — mais a Yoccasion d'une polé- mique — de se réclamer de oni : Metaphysische Ar gsertinde der Naturuisrontchaft, Ul, 4, Remaraue (ed, Castes WV Sr eee ami If te Remaraue GL Coa, tT, der vation Vermunfe.s meme édey Vis pp. tpt “4 fr calculiss significant sbsolutas vertates, Hempe connexion ach ie charceres smut ot fora ine dedacas, eas et ferum connexiones (quae characteripus quiowscangue aasumtis tactem manent) signifcanturs, PV paige ° far nee lla est monadum, propingaites aut diatantia spa vei absoluta, dicereque, este in puncto. conglobatay, aut ip pti semipatin, et quibasdam ‘eonibus anim nest ut ‘imaginari lit *r vellemus, quae tantum intelligi > PLM, pp. 4sorase. ei 6. ry Op., p. 255. P, VII, pp. 219, 236. Géomérarsme CARTESIEN 25% substituables. Par suite, Ia liaison de ces Situs, comme celle des unités, ne consiste que dans ce rapport apercu et sura- jouté par Tesprit +, rapport indivisible — car il n'est pas ‘composé de ses tersnes et il n’appartient pas non plus & aucun de ses termes ?— qui semble transposer sur le plan logique le ‘cinculum substantiale ontologique®. Le résultat de cette liaison des unités — prises ensemble tanquam unum — n'a rien de Tunité d'une substance simple, il est un agrégat * — comme espace ne serait ® qu'un agrégat de situs s'il était séparable des substances dont V’entr’expression fait du monde — réel (ou possible — une véritable unité. Pour passer d'un agrégat & Vagrégat immédiatement suivant — c'est-A-dire qui soit le requisit immédiat du second et, par 1a, Tui soit contenu §, nous ne pouvons que prendre une unité de plus, puisque chaque agrégat n'est composé que d’unités, que chacune de ces unités est indivisible et que la répétition la plus simple de Punité est « une fois » : il y a done entre l'agrégat pensé et Popération qui Pengendre une parfuite équivalence qui est le privilége de l'arithmétique. On voit, par conséquent, que, pour Leibniz, le nombre est & la fois le nom ou « caractére » qui désigne un ensemble, et Popération constructive de cet ensemble : et comme cette opération prouve que le défini est possible, le nombre est identique & sa définition réelle. Dire que r+ 1 = 2,2 + 1 = 3, etc, n'est rien d'autre? gue defini a 3, aut bien Leni pourratil donner une lémonstration analytique de 2-+ 2 = 4. Un nombre une fois défini — déterminé — son ordre de coexistence par rapport aux autres se trouve déterming, nous pouvons les ranger dans leur succession ordinale. Les unités « & part » ne différaient solo numero que parce qu'elles différaient solo 1. Répétonscle sles unités sont & part et entendement les prend ensemble, 3: N. B. Ih, xy, 10% & Clarke 1V, § 47, P. VIL, 40r- 3, Voir notre Leiimis, pp. 240 89. 4 Diune manidre générale, * mlttudo est aggregatum unites tum » Cor, Op P, 476. Et la Correspondance avee Des Bosses Aistingue neitement Pagrégat, dont le propre est de ae résoudre en Darcy, de unite dy abetanie Ips g07, $16. is Ciest ce que napergoit pas Schmalienbsch, lorequ’ll prétend ug Lainie are dere gue le monde eo uh agent (on P80), 6. Covr,, Op. p. $47. « .. Requisitum immediatum sive Conten- tum, et Reqirens immediatum, sive. Continen. 7, Sudo dite un ef deus ert oir nest que Ia GeRnition du terme ae trots | de sorte que de dire qu'un et deux est égald roiyestautant gq ature ‘hove est gle & ellesméme. » N. E. 1V, Vit, 10, OV, p. 393° 252 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES situ et leur identité vide les rendait inanalysables; ensemble, elles constituent un nombre analysable qui, vela méme, se préte & une diversité de points de vue ou, Yon aime mieux, dont la définition essentielle peut, par décom= position et combinaison des éléments qu'elle renferme, don aner lieu & d'autres definitions subalternes : ainsi, l'essence du_ sénairer + 1 + 1 + 1 + 1 + x engendre les propriétés: G= 343 532m £42 = a de la méme fajon que es choses’ tireit leur origine de Dieu, Chaque nombre, considéré en son essence ou par sa position dans la succes sion ordinale, envelope donc qualité en méme temps que. quantité : en dehors de la différence du plus et du moins, ‘tous les nombres sont dissemblables (pair-impair, triangu- aires, cared ahem, ot.) 4 ot ela « Tas dans les nombres ‘encore plus que dans les’ figures, car deux figures inégales peuvent étre parfaitement semblables l'une & Pautre, mais jamais deux nombres? >, Est-il besoin, avant d’aller plus loin, de souligner combien nous nous sommes éloignés de Descartes? Au vrai, Des cartes ne s'intéresse guére au nombre qui n’a pour lui qu'un réle dinstrument scientifique, alors qu'il joue un réle capi- tal dans 1a méthodologie et Hontologie Ieibniziennes. Aux quelques réflexions qu’on trouve chez Descartes sur le nombre. et qui offrent les él d’une théorie intuitioniste, mais allure presque empiriste, s'oppose, chez Leibniz, 1'élabo- ration logicienne d’une théorie trés complexe. Dans le nombre, Descartes ne voit qu’un rapport de mesure lié & 'étendue, Crest-A-dire & Vessence de la Materia sive Quantitas qui emplit espace absolu. Pour Leibniz, la théorie du nombre naturel nexige pas la considération de la mesure et prend fondement la pluralité des monades et I'espace idéal, relatif, inétendu, Ainsi, tandis que, chez Descartes, il n'y a pas, & strictement parler, de quantité arithmétique, mais seule- ment géométrique, chez Leibniz, au contraire, la quantité géométrique apparait comme expression de la quantité arihmetique, Lentier ext, pour Leibniz, agrégat duit ¢t le tout de cet agrégat, Cette doctrine leibnizienne ren- ferme, dune part, une théorie cardinale, orientée vers l'étre, vers le nombre-objet de pensée, pour laquelle Punité doit se concevoir comme élément (evoxzeZoy) d'un ensemble 1¢ Solo discrimine numeri, sew individui, itionis.. > M. VU, P27. eis ves oe 2. Jao EL, ps 130. COUT Of p. 258. SNE Re vee cfomérrisme caRTésten 253 qui présuppose la notion despace; dautre part, une théorie ordinale, orientée vers le connaitre, vers les opérations de Yesprit, pour laquelle Punité devient le principe (dpxh) de la formation du nombre. D’une part Aristote, et. de l'autre, Platon. Ainsi Ia quantité est un ensemble d’éléments, de ceci; mais comme le ceci enveloppe la qualité, 1a quantité devient le discernement du semblable, ce qui revient 4 dire que, contrairement aux perspectives du dualisme cartésien confondant quantité et matiére, la qualité est pour Leibniz us primitive que la quantité et tend a Vattirer a elle. Et, Bien entendy, le contraste entre nos deux auteurs quant at” tention qu’ils accordent 4 Ja notion de nombre et & la maniére dont ils le congoivent, se réfiéchit dans leurs rnathématiques et dans leurs méthodes. Mathématiques et méthode carté- siennes doivent peu A V’arithmétique, et presque tout & Tintuition de I’étendue et aux longues chaines de raisons des géomitres. Le nombre ne ser qu'd menurer; len cifes, jettres et symboles qui traduisent cette mesure ne sont que des signes plus ou moins commodes, mais aussi extrinséques ala chose nombrée (matérielle ou idéale) et & l’activité opéra~ toire, que le frangais ou que le bas-breton est extrinséque 4 Vobjet de pensée et & la pensée elle-méme. Mais Leibniz a de l'algorithme une conception plus moderne : les chiffres, lettres et symboles expriment & la fois le nombré et le nombre~ ment, c'est-i-dire soutiennent avec l'un et avec l'autre une relation intrinstque, en sorte que nous pouvons légitime- ‘ment raisonner sur les « caractéres, ». D’autre part, loin de starréter au seul aspect quantitatif des nombres,” Leibniz siintéresse surtout & leur aspect qualitatif : leur composition, leur structure, leur ordre de coexistence. Aussi bien, dés le De Arte, Leibniz médite-t-il sur la Combinatoire. Chaque partie d'un tout est située : situs est localitas partium. Ce ‘situs est dit absolu quand il marque l’ordre des parties dans le tout:abed,beda,cdab, dab c; relatif, s'il n’indique que la composition des parties les unes 4 Pégard des autres, ‘sans considération d’origine ou de fin, comme dans la suc- be Le situs absolti, ié & la définition de lordre — In illo prioritatis et posteriotatis ratio habetur ‘maxima, in hoc (= in situ relato) nulla — inaugure V’étude des arrangements ou permutations (cariabilitas ordinis) et celle cession circulaire a 1. On sait, que, dans Ja langue du xvut, « géomitre » signific ‘«mathématicien » au sens large | nous le prenons ici au sens restreint. 254 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES des combinaisons (cariabilitas complesionis 1). La variabilitas ordinis invite @ situer (= déterminer) les points par la seule considération de ordre, ce qui sera le propos de I'Analysis ‘Situs, Le calcul des combinaisons condulra, par la construe- tion des triangles arithmétique et harmonique, & étude des séries, Ala theorie des déterminants, aux recherches sur les Coefficients du développement du bindme, et sur les proba- Bilités. Ainsi le réve d'un Alphabet des’ pensées humaines se mathématise. La méditation sur le nombre inspire l'ana- lyse des concepts et leur composition, fait de la synthése la méthode d'invention par excellence, bref étend & tous les domaines le projet dune « combinatoire caractérstique » A laquelle les mathématiques tout entitres finiront par étre subordonnées, Et la méthode cartésienne n'apparaitra plus & Leibniz que comme un eas particulier de ea propre méthode, Cependant, nous n'avons jusqu'iei parlé que du nombre entier, dont la définition — une multitude d'unités — ne saurait s'appliquer au nombre. dans sa latitude comprenant Te rompu, le sourd et le transcendant®. Pour parvenir & une dfnition générale, on temarquera que, de tous les nombres, Ie principe c'est 'unité. Sans ce principe, nous ne formerions pas la notion de V'entier ni, par suite, du fractionnaire, de Pirrationnel ou d'un lant comme = ou 7 «Ia notion des nombres est résoluble enfin dans la notion de Tunité qui n'est plus résoluble, et qu'on peut considérer comme le nombre primitif », car «elle ne saurait avoir des parties dont la notion soit plus simple qu'elle >. Autrement dit, et nous avons ici la défnition générale, le nombre est ce gui est homogine & Vunité®. Déja Tunité elle-méme repré- gente le rapport d'égalité %. En outre, un rapport peut étre Be dre, Dione ME Vs p24 2 Cogrimin, Lag. App. It, . 3 NE. I 201, 4 P. ¥, p. 242" icy Lelbniz ne comprend dans « 1 late »'du nombre que le feactionnaire (le rompu), fe sourd (Pirratonned et le transcsndant, En 1679, se borat parfoly mt ffactionnare ce Tirrauonnel (MV, p. 192). En t714, il Enumére ‘Numerum in genere integrum, fractum, rationsler, eurdum, alum, transsendentem.-'M. Vit p-24- A quoil’oh pourra outer I nombres imasnire Vib p.'73), quali, ee aleés a A Bourget fda, rt fotione'defnist posse, ut aii 1d quod Homogencum ext Unit eu od abet A Unite, ut sea ad veo * SL VAD pe. Span 62 Uaitetem watem repeuscatare Rationcm scabs, » Ibid. si i GHomETRISME CARTESIEN 255, additionné & un entier et, comme un entier peut toujours stécrire 2 les rapports sont assimilables au genre dont les ationnels et Jes irrationnels seraient les espéces% Cette Aeanition par Thomogéne est générale: elle ne applique pas seulement i la selation de la partic au tout, qui définit Pentice fet qui se détermine par I'opération synthétique de addition, de la multiplication ow de F'élévation & une puissance; elle Sapplique aussi a la relation inverse du tout & la partie, (qui définit la fraction, de 14, tout incommensurable — et qui se détermine par l'opération analytique de Ia soustraction, de Ia division ou de l’extraction de la racine’. Seulement, dans cette relation inverse, analytique, tantdt nous parvenons 4 un dernier terme, tantét nous n'y parvenons pas, en sorte que certains rapports imitent les vérités nécessaires et d'autres les ‘vérités contingentes, grande lumidre pour Leibniz dans le probléme de la liberté & Dire : « Je nombre est ce qui est homogéne & Vunité », feat hire intervenit la considération de la grandeur. Dire Tunité est le principe du nombre, ce n'est aucunement en. ire la grandeur minima qui serait origine de la grandeur. Diabord, nous 'avons vu, il n'y a de grandeur que par la perception simultanée, la comprésence de plusieurs : l'ori- gine de la grandeur, ce n’est pas l'un mais le multiple. L'unité mest une grandeur que par sa relation & Ja pluralité dont elle constitue un élément. Nous n’avons pas d'abord la notion @'unité, puis celle d'une multitude d’unités : les deux notions stimpliquent Pune Pautre, celle de l'unité contenant en com- préhension la notion de multitude, et 1a notion de multitude, contenant en extension celle d’unité, Il n'est done pes pos- sible de concevoir 4 part l’unité seule; ct si c’était possible, elle ne serait plus qu'une qualité sans grandeur. Ensuite, maintenant que nous nous sommes élevés & la définition générale du nombre, existence du nombre rompu nous 1. « Rationes et Numeri res homogeneae sunt, addi potest ratio numero, ete., quod et ex sequationibus Algebraicis apparet. Ideo Rationes sunt genus, Numeri et Rationes [Radices] surdae sunt apeciea, » COUR, Ops P. 149. 4 ; ‘. « Alumorse eet, cujus ad snitater relatio ext quae inter partem et totum, vel totum et pertem, quare fractos etiam et surdos com- Prehendo, » M. V, p. 152 : 5. Tous lee nordbres © generantur per operationes quae sunt vel syntheticae (additio, multiplcatio, potestatis ex. radice excitati) yelazlpins (Pubs, dive, Extracto radi). » Mi VIb P 208, ‘4. De libertate, F. de Cx, Nl, pp. 179-180. as6 «LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES démontre que lunité ne peut étre la grandeur minima, puisque le rapport 1 tend vers 2éro quand m croft & V'infini, si bien que 'unité nous apparait comme 1a moyenne proportion nelle entre, quasi, le néant et Pinfini ®, Cependant, insistera-t-on, comment admettre, sans la traduire par tine longueur, sans sortir de larithmétique, que Trunité soit fractionnable? Simple, elle ne contient pas de parties; primitive, elle ne présuppose aucun conditionnant numérique : elle échappe done a Ia fois & I'analyse expéri- mentale et & Panalyse résolutoire. Sans doute. Seulement, gq, n'est la considérer que comme un objet de pense, une idée, un terme : c'est oublier que 'unité n'est pas une notion absolue mais relative (@ la pluralité), et Foublier serait confondre l'identité absolue de soi a soi avec l'identité rela~ tive de l'un & l'autre, origine de la grandeur. L'unité, savons~ nous, peut se comparer au Situs qui, sans étre une quantité, envelope pourtant quantité et qualité par sa relation aux autres situs. De ce deuxitme point de vue, lunité n'est plus un terme, elle devient une relation entre deux termes. Quelle’ relation? Un rapport (ratio), c’est-i-dire une relation de grandeure® qu’on représente pat une fraction 4 Ainsi tout 2. © y Unitatemque esse principium numeri, si rationes spectes seu’ prloritatem naturae, non si magnitudinem, nam, habeus fractiones, unitate utique minores in infinitum.’».A des Bosses, 14 février 1706, P. I, p. 300. 2. Bn efit Ft une quant infin, « adeoque unitate eae ‘mediam proportionalem inter nihilum vel quasi ¢t infinitum... > BE'VIE Pe 7g oe qua renvoic aux potters dincompersbie et A difcensilie, que nous aborderons plus loin. ut Rationem ‘vero dicere possums. formam comperstionis rerum secundum euam quantitatem. » COUT, OP. D. $65, Sager sammie wns determinate per seatonen ad aad fc, Bl pe 82. ‘4. « Ratio representatur per fractionem, re ad quam ratio est rapracsentate per unitatem. » COUr., ibid, p. 290, — ©. rationes, ‘quse ipees., ue numeros fractos concipio # M. VIL, p. 61. Dai arg, ce qui est dit de Tunité demeure vrai pour la fraction: elles ont, Pune et Pautre, un aspect qualitatif (ordinal) et un sspect quan- ‘tif cardinal). Sous le premier aspect, tout rapport est une chose Toure simple, indivisible; suus fe second, d est eompose, divisible + « Aussi, & proprement parler, le nombre ‘en abstrait est un rapport tout simple, nullement formé par Ia composition d'autres fractions, Susans ‘dans les choses dénombrées il se trouve de l'égalité entre Tee Getrmes xu ern» PIV, pape, Ces cote india it rapport qui ajoute aux Situs Ta continue qui sexprime dans Peétendue, Bll, P. 370 aes cioméraisme cantéstan 237 apport est un nombre et, réciproquement, tout nombre est un rapport ! exprimé ou sous-entendu (n ou %) : en parti- culier, Punité représente le rapport d’égalité : si a = 5, 37 1, En cessant de considérer le nombre comme un objet’ statique de pensée, un terme, pour le considérer comme un. ‘apport entre deux termes, nous passons 2 la définition opéra~ toire du nombre : Punité équivaut 4 « chaque fois », et c'est, nous l'avons dit, le privilége de Parithmétique que cette équivalence entre 'opération et son résultat, Les opérations arithmétiques ne sont rien d’autre que les méthodes — synthé- tiques ou analytiques — de traiter des rapports de nombres, qui déterminent des nombres, Il y avait contradiction 4 vouloir diviser un objet simple de pensée, parce que divisible ne pouvait alors signifier que décomposable, contzairement a la définition du simple. Mais si tout nombre — ct l'unité est un nombre pour Leibniz? — est un rapport, il ne peut plus y avoir contradiction & le divi- ser, puisque diviser signifie maintenant soumettre 3 'opération, arithmétique appelée division, et que cette opération elle- méme reprécente, par excellence, le rapport quantitatif. Nous sommes dans I'opératoire *. Or, les opérations mathé- matiques restent soumises A deux lois : la loi d’homogénéité et la loi de justice (ou de symétrie) qui rejoignent le principe de continuité §, En faisant varier, comme ces lois m'y auto- 1. Ch, cisdessus, p, 255, note 1: € Concedo, scilicet ut numeri, anit temporis. quae 6: ipsa non nisi ordines sunt seu relationes ad ossibilitatem aeternasque veritates rerum pertinentes, actualibus einde pro ze nata applicandae. »P, I, pp. 268-269. 2. Ch ciedeasus, ps 254, note 6. 3. Le premier auteur A avoir considéré x comme un nombre sezeit Prosdocimo de’ BexpowaNbs, dans Algoritius de integris (rare) qui a eu de nombreuses zééditions. : «cf Autrement diy a1 Funite formelle eat, en tant que simple, indivisible, Tunité matérielfe, en acte — nous traduic ra toire — ei elle, dviable, « Nee putnam est, unitate formalem fesse aggregatam fractionum, cw simplex sit ojus notio, conve- Eesilivus et inivistlibus, et indivisibiiam ll ae fractio. Etsi materilis unieas seu in actu exercito (sed in genere Sumts) apud Arthmetices ex duabus medietatibus, cum subjec- tm tram eps et,componsn tit + my ea ver aratia, ut valor grossi sit aggregatum valoris duorum semigros- sorum. > P. TT, p. 304. 5. M. Vil, p. 28, BD. 64-65. 258 “LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES risent, les termes du nombre-rapport e je passerai par tous Jes nombres et, en particulier, par 1 pour a = 6 ou Il existe done toujours un nombre : > © qui, additionné suffisamment de fois A Tui-méme, devienne égal ou suj Fear 1: Du point da vue optraisice cate mikon pore de dire que ; est une partie de 1 et, en vertu de l'axiome que Ja partie est moindre que Ie tout, jest ‘une quantité moindre que 'unité . Si ces parties, au lieu d’étre prises étaient inégales mais en progression ‘géométrique, la re de. leur série permettrait de concevoir lunité comme limite de Neursomme?: +4 +g + 3. Dans tous les cas, on ne voit pas comment « partie de P'unité » de x, pourrait se concevoir autrement qu’au sens opératoire comme « sus- ceptible d’étre additionné » ou, plus généralement, « déter- miné® », Il est vrai que Leibniz — et nous allons y revenir — recourt A 'étendue, mais c'est pour exprimer la division de Tunité et le nombre n'est pas pour lui, ainsi que pour Des- cartes, lié a I’étendue. Il met en paralléle, sans les confondre, la quantité arithmétique et 1a quantité étendue 4, ‘Mais, dira-t-on, l'une est discréte et autre continue, A coup str, le discret s'oppose au continu dans I'intuition 1. © Lrunité est divisible, mais elle n'est pas résoluble; car Jes fractions qui sont les parties de Tunite, ont des notions moine Simples, parce spelen nombres entiers (eho steples que Tusit) Entzent toujours dans len notions des fractions: Plusiese qui ent Philosophé en mathematiques sur le point et sur Tunite, 4e sont embrouillés faute. de diatinguer entre in Résolution en notions et It Division en paris. Les parties ne sont pas toujours plus simples ue le tous, quoigu'elles coient toujours moindres que le tows > A begga, ott 735, Pil 38s 2. Aisi, selon lee points de vues Muinté est un terme, um sym= hole, une option, tn Tepper, Ue mt me 3 Le sens operitoire de in ‘de Tunité, oa lisson, aa conting arithimélque, er son analog avec ia division de fend, sont rénumes en tne'phirace :« Uncle indehinitum ext guiddans: ut ‘mne continutim exer partes non sunt in acto, sed ro arbiaio Acepi possunt, aeque ut partes unitati seu fractiones » Be, p- ayo. it Par exemple: « Quemadmodua autem non datur Eletacatcrs Numnericum seu minima pare unite, vel miniroum: in Numer, des dtr ine minn, Du clanchr inelyLgn en t , cari potest in partes vel fractionnes, » Joh Domnall, 1698. Me IH, pps sagrsio. Cl Gaus, E998. Gfomirrisme CARTEsiEN 259 géométrique. Reste A savoir sls sont incompatibles pour Farithmétique et si, méme, l’arithmétique n’est pas la source de la conanuité géométrique. Partons du nombre entier — dob procédent les autres espéces — considéré d'abord comme objet de pensée. C'est un agrégat d’unités. Cette idée d’unités procéde de celle des étres +, c’est-A-dire, en dernier ressort, des monades. Les unités ne sont distinctes que par la qua~ lité, qui permet de les reconnaitre singulatim, et par leur ‘Situs Hans Pespace, qui permet de les discerner dans ine per~ ception sitmultanée. Or, nous sayons que 'espace est inétendu et nous tomberions dans le piége de l'imagination si nous disions que les monades, et, par conséquent, les situs, sont éparpillés dans I’espace ou englobés en un point *. Ainsi, les unites ne sont pas plus ou moins proches les unes des autres = le nombre est indifférent a I’étendue, il n’y a-pas, entre les nombres, d'intervalle étendu et Von ne peut méme pas parler de contiguité. Dés lors, que signifie : quantité dis- czéte? Rien dlautre que cee: « dont les paries sont di tinctes, déterminées, » Il n'y a pas plus de vide dans les nombres que dans espace. Nous le comprenons mieux en passant & la définition opéra- toire du nombre, La continuité opératoire est @abord, dune maniére générale, celle de la déduction : elle consiste dans le mouvement ininterrompu de pensée, mais tandis que Des- ‘cartes subordonne ce mouvement 4 Y'intuition et qu’il doit ‘concilier, par Dieu, le « chaque fois » de l'intuition, Vindivi- sible de I'instant & la continuité de la pensée, Leibniz main- tient les droite de la cogitatio caeca, rejette la ndtion d’instant indivisible et fait de la répétition de « chaque fois » I'actua- lisation d’une régle qui maintient la méme raison, c'est a-dire Ja méme relation indivisible. Dans ce mouvement de pensée, le dernier terme d'une zelation devient le premier terme de la relation ultérieure : et cest bien ce qui se produit lorsque nous engendrons les nombres continus en ajoutant ' af eeerltey oi A pon wt Bet Bnon tA ops Sothnee: A Set hes Best Leidem ease quod eat Ly Aiciur © fetume A (que B) pars » Cour, Opy Pe 97. 2. Cf. plus haut, p. 250, Be x numeris continuis Gas, sie eee differentibua) apiecuiios tury TM Wan pros. Gale i) eB 2, covt, Ob» 260 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ou une fraction continue, Nous parlions, pour Leibnis, d’actualisation d'une régle : en effet, dans toute opération régiée, la méme raison se conserve, en sorte que le «chaque fuis » de vette opération enferme virtuellement Ia répétition infinie* — et le virtuel n’est pas rien, ainsi que pour Descartes. Si c'est par le principe de similitude ou de méme raison que Leibniz explique Pinfini, inversement — remarque Couturat? — jl peut dire du principe de conti- nuité qu'il tire son origine de I'infini. Tout cela se retrouve dans les opérations mathématiques et s'y précise en premier lieu par la loi d’homogénéité qui représente en Arithmétique un véritable axiome de continnité *. Maia l'essentiel de la continuité nest pas tellement qu’on doive pouvoir parcourir tous les intermédiaires, c'est, avant tout, que la méme raison se conserve, qu’on ait affaire A une cause continue ® : ainsi peut-on considérer, instar continui, un agrégat d’états suc- cessifs ®. Il est clair que ces réfiexions sont applicables aux nombres : aux entiers dont la progression continue conserve la méme raison, comme A toute suite réglée, L’étude des séries convergentes, plus particulitrement, ne pouvait qu'a~ x. Inventé par Brouncker,« cest une sort de suite, qui s la forme d'une fraction, mais d'une fraction dont le dénominateur est un entier plus une fraction, celle-ei de méme, et ainsi a T'infini; ce gui Iu felt donner Te nom’ de fraction continue >. Montcla tl, p. 305. 2.'€.. parce quion voit que 1a méme raison eubsiste toujours considération de Vinfini vient de eelle de Ia similitade ow de iid méme raison, et son origine est la méme avec celle des vérités uuniverselles et nécessaires, » N. E. Il, XV1l, 3) P. Vy PP. 144-145. 3. Courunar, Log.. p. 228, note Tr. .# Patet etiam Homogenea esse quat ejusdem rei continuo incremento aut decremento generantur... Bt in universum in ‘Homogeneis locum habet illud axioma, quod transit continue ab xno extremo ad aliud tranire per ona intermedia...» ML VII, pe 283. 45. ©» possunt enim progressiones aliquae excogitari in quibus perpenio procedit talis interpolatio [intermediorum), ut tamen non posit inde conlartaliquod continuum ed neceste et ut eauma ‘ontinus intelligi posst, quae quovis momento operatur.:# M. Vil, . 287. Une fonction peut passer par tous lee intermédiaires wand tre pour cela une fonction continue, par ex. sin = pour = # 0, 6, Dans la transformation du cercle: en ellipses, « agaregatum omnjum’horum staryum seu omnium harum ellipsum instar ontinu potest condp, est omnes iste eipes non sib oppenan= fur, quandoquidem ne: simul cocxiatunt sed una tex ali. 16, P. 28s. ctométrisME CARTESIEN 26 mener Leibniz & découvrir dans PArithmétique Ia conti- snuité qu'une représentation atomistique du nombre ne laisse guére apercevoir encore dans le de Arte. Aussi, pour mettre mieux cette continuité en évidence, compléte-t-il la définition ceuclidienne des 2 « quorum scilicet unum ab alio substrahendo et residuum rursus a substracto idque semper continuando restat vel nihil vel quantitas dato minor 13, En_définitive, Yopposition arithmétique du discret au continu se raméne & celle qui‘ existe entre opération termi- nable et opération interminable, par 1 méme & opposition entre détermination des parties et indétermination des parties. I nya pas de milieu entre opération terminable et opération interminable : en ce sens; le discret est bien la négation du continu, Mais comme l’infini, source de la continuité, est Ia condition du fini, et comme le fini exprime l'infini, en ce sens le discret devient la limitation — la coupure — du continu. Or, précisément, l'étendue, expression de ‘espace fondé sur Finfinité des monades, nous offre une pluralité aux par- ties indistinctes, un continu dans lequel nous pouvons libre~ ment déterminer des parties. On voit que, pour Leibniz, en opposition & Descartes, le continu géométrique tire’son origine de Varithmétique, c’est-A-dire de la pluralité des substances dans Vinfinité de leurs relations # et que, du méme coup, l'expression du nombre par une longueur se trouve Justifide. Ainsi, « les nombres se représentent par les divi- sions du continu en parties égales », «... tout ce qui peut se prendre entre deux nombres entiers est proportionnel & la ligne, etl y a 18 aussi peu de minimum que dans le continu *», Les parties du continu étendu sont partes extra partes —par quoi il ce différencie du continu intensif ou qualitatif* — indéfinies * ou indéterminées, entendez : que nous pou- 1. M. VI, p. 283. 2 On sembarrasse dans Je Inbyrinthe du continu ¢ faute de bien concevoir la nature de ia substance et de la matiere » Theod. Pref. § 7. B. Vi, p. 2. Leibniz associe constamment le solution au'il se ropose’dlapporter au probleme du continy i la solution SU sppore a probleme dei ibe. Ct. Gaon, a7 ‘ Cours Ops. rose 4 NE, Xi 4, PV, p. x42, — e ut nulla potest concipi Bigmentum Unitetsarithmeticee, sew nulla minima fracto, ite ree concipi poate elementum contingl, Omni enim posibilt divi diel ects Grae respondetsiqua diigo unitate ahbmetin. > Grong . 08s 14. 1Y) pdr, fg Goun, OB. 436. NEE, som, 6, PV, pp. 245-146 : COUT OPP. 377. 262, LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES ‘ons les déterminer & notre choix, ce qui distingue le continu du contigu }. Nous parlons de continu tant que nous n’avons pas déterminé les extrémités d'un segment, autrement nous parlons de discret*, Comme dailleurs l'opposition du discret au continu se raméne A celle d’opération terminable et d'opération interminable, la considération du temps, qu’im- plique cette opposition, jointe A celle de I’étendue, permet aussi de concevoir le continu par le mouvement? et de le soumettre en principe de transition. Que gagnons-nous & exprimer le nombre par la ligne ¢? De pouvoir nous représenter d'une fagon déterminge linter- minable. Par exemple, la suite des décimales de +/2 n'est pas terminable, mais li diagonale du carré x nous en donne une représentation déterminée. Dés lors, nous polvons exprimer clairement la continuité arithmétique. Construi~ sons le carré ayant pour cété la diagonale 1/2. A son tour, ce nouveau carté a pour diagonale 2, Il suffit de diviser 2 en autant de parties égales qu'on voudra et de lui appliquer +2 pour apercevoir que /2 est situable dans I’échelle en dega de toute erreur assignable : bien que 2 et +/2 soient incom- mensurables I'un & autre ils sont cependant homogénes ‘ou comparables °, D’ailleurs, sans la considération des lignes, nous n'aurions pas Ja connaissance d’un nombre transcen- dant comme = : et nous avons ici encore la preuve que Pex- pression du nombre par la ligne est fondée, puisque, au liew de nous contenter d'une suite, sans ordre distinct, de déci- males (indistincte decimales), nous pouvons faire apparaitre ici ordre d'une méme raison soit que nous exprimions i par la série =“7 + ral -+ ss Soit que, en accommodant Jes fractions & la nature de la chose, nous découvrions, en supposant le diamétre égal & z que Ia circonférence est 1, Indeterminate vero sunt partes continu, quia mullae jam sunt assignatae, sed pro. iubita ‘ensigns: possunt, ut. dastinguatur eontiqua, > Cour Opin. 4afetaa. | P ; 2. ¢ Continuum bi extremitates. partum non determinatae, ‘secus in discreto. » Cour., Op., p. 476. 3+ Cour., Op. p. 547. eer Tallis det, 2 Gue Panay lbnisienne juste on remare quant que c'est Ia seule ligne dont tous les points sont identiques, e'poines dune courbe eifférant l'un de autre par Tangle d¢ tengepa® gus embryonnent. Me Vit, pee aicye. céomérnisme cantésten 263 tat ++. 4 Tous les nombres réels — et 1 Jed nonabres qualfés — trouvent dane 'étendue leur expres sion. ‘Du méme coup, cette expression nous permet une tinction entre nombres réels et nombres imaginaires. Rien de plus étonnant que ces nombres imaginaires ott la puis- sance opératoire de V'esprit se manifeste & l'état pur. Bien ‘impossible, que par soi elles signifient quelque chose es expressions permettent ’exprimer des quanti «Elles ont ceci d’admirable que, dans le calcu, elles n'envelop- pent rien d’absurde ou de contradictoire et que cependant ‘elles ne peuvent étre présentées dans la nature des choses seu in concrétis®. » Et le plus étonnant est que, «si de telles quan~ ‘tités imaginaires n’étaient pas données dans le calcul il serait impossible d’instituer des calculs généraux, c’est-a- dire de trouver des valeurs communes aux possibles et aux impossibles, qui ne différent que par lexplication des lettres ¢ », Descartes — nous y reviendrons au chapitre sui- vant — savait bien que la théorie générale des équations exigeait les racines imaginaires : mais, d'une part, son intui- tionieme l’empéchait de voir l’utilité de ces racines dans Ic calcul ou, si l'on aime micux, leur réle algorithmique; autre part, son géométrisme excluant Ia notion de limite il ne saurait avoir, comme Leibniz, l’idée que le réel s’éva- nouit dans l'imaginaire ®, en sorte que le nombre réel pourra @tre considéré comme un cas particulier du nombre imagi- 3. M, VI, p. 37. 2 Leibniz alc tet, en souvent de sn premires dcouvetes parisiennes — ef lettre & Huygens, . 1net la réponse de Huygens, Ibid., 15 —V'égalité : 3 +V 1 V3 ‘Yb, exemple que Huygens «trouve si admizable, qu'il me répondit Guill yalicdedans quelque chose qui nous ext incomprehensible. > A Varignom, 2 fevrier 1702, M, IV, p- 93. Ck. M; I, 120, L. a Olden- brag, 27 aod 1676. — Sur Vorigine de cetie découverte, M. Vil, Peaectaa: ibis it, . 75, — Jao, BB: in imaginaiam quantitate, caja malls tech potest stds, » GE pe ae Me Vly pe 773° 5. Soit Ia\ tangente au sommet A. d'une circonférence, les rayons OA et OB paralitle A a tangente: Absisione d'un plat F de cette tangente (AF = 2), la perpendicalaire qui coupe la circon- rence en L et L’ et OBven MApi ns y Ta longueur FL ow P74: 264 «LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES naire. — Les infinitésimales se distinguent également des quantités rcelles et sont tout a fait comparables aux imagi- aires ; une longueur statique ne peut, en effet, représenter lune grandeur fluente. Et cependant, ici encore, « par. une . Nous aurons &y revenir, Imaginaires et infinitésimales ne sont pas des quanti- tés réelles, elles ne peuvent étre que des auxiliaires de calcul. En exprimant le nombre réel par It droits, nous ne chan~ ‘geons pas la définition générale du nombre : ce qui est homo- gene 4 l'unité, mais nous changeons de point de vue. Le nombre devient une mesure. Nous rejoignons Descartes. La grandeur étant ce qui dane Ia chose s’exprime par le nombre des parties déterminées, les quantités homogénes entre elles sont celles dont les grandeurs, en prenant la méme mesure our unité, peuvent étre expriinées par des nombres 2, D’oit il apparait que mesurer a beaucoup en commun avec la divi~ sion arithmétique®. Le de Arte associait & une conception atomistique ou euclidienne — le nombre, multitude d’unités — la conception cartésienne du nombre-mesure. Dans la théorie achevée, la réalité des substances fondant la phéno- meénalité de I’étendue, et I'étendue exprimant tout ensemble Vidéalité de T'espace, I'existence idéale des nombres réels fonde leur expression phénoménale dans T'intuition de I'éten- due, Pour Leibniz comme pour Descartes, dans l’histoire de nos pensées, létendue géométrique est abstraite (bien qu’autrement abstraite) de Pétendue sensible : mais, pour Descartes, ia continuité de I’étendue géométrique est réelle, elle découvre la propriété réclle d’une substance une, passive, materia sive quantitas, alors que, toujours, pour Leibniz, la continuité est idéale *, En regard de la continuité de la matiére, il y a bien, pour le dualisme cartésien, une continuité idéale, & savoir, comme chez Leibniz, la continuité opératoire du ‘mouvement ininterrompu de !a pensée : mais cette opération ne se situe jamais, 3 strictement parler, sur le plan de I'arith- métique. En effet, un tel plan n’existe que si’on peut partir 2M: VIL, p. 39, 273 2. M.VIL p77 3936 3. « Unde apparet, hanc operationem multum habere commune cum divisione Arithmeticorum, Mensuram esse ut divisiorem, mensuratum ut dividendum, et posse aliquid esse residuum, ai ‘Mensuraturn non exacte contineat mensuram. » COUr., Op, 496+ 4. «on peut dite en général que toute la continuité est une idéale... 3. M. IV, p.-93. Géoméraisme caRTéstEN 265 de 'unité arithmétique. Or, d’un coté Descartes ne médite pas sur Ia pluralité des substances spirituelles et a'aborde pas le probléme-de individuo : de V'intuition du Cogito en laquelle il saisit essence de 'esprit, il passe au dualisme ame-corps tu esprt-matiae et non au paralllisme leibnizien &mes-corps (ou dunes-matiére, D'un autre c6té, il rejette parmi les vaines subtilités la distinction entre 1a quantité et I'étendue?, ou centre le point et la partie? : dés lors, l’étendue ne peut com- porter d’unité dont la notion soit irrésoluble, ni dans le sens @ « infractionnable », puisque toute partie est indéfiniment fractionnable (argument contre ’atome), ni dans le sens de « primitif » selon Vordre analytique des raisons, puisque le primitif, le simple, c'est ici Punité (Einkeit) de la sub- stance matérielle, infinie ou indéfinie et qui, par 1A méme, stoppose & 'unité (Einsheit) arithmétique comme l'indéter- miné au déterming. En d'autres termes, indivisée, indéter~ sminée, l’étendue n’est pas en soi l'objet des mathématiques ¢, elle ne devient cet objet que divisée, déterminée, ou, concré- tement, par le mouvement — et cette division’ concerne Ia Physique — ou, idéalement, par la pensée — et cette division concerne les Mathématiques. Ainsi, d'une part négligeant de porter sa méditation sur la pluralité des substances spiri- ‘tuelles, d’autre part, identifiant quantité et étendue indéfinie, Descartes n'a jamais affaire & Punité arithmétique, Munité ne peut étre pour lui qu’unité de mesure : c'est la mesure qui constitue le nombre, qui numerum facit 8, La continuité opéra- toire ne s’applique pas, chez Descartes, & un objet arithmé- tique, mais géométrique. Pas plus que par son objet, elle ne se situe par sa forme sur le plan de T'arithmétique, car, cette forme, Descartes I’éleve au niveau de Ia théorie générale des 1. Voir Gomouts, Dee, 1, p- 232. _ 2 Volt Gatinentecque de industnd # vocabulo quantita, quia tam subiles sunt quidam Philosophy ‘ut liam quoque ab exten None distingering > Rage XIV, Ae 3 Pea Se ee ree me opis Concevoir ee quton entend. par les pls an obese tinged ae pati, coven: Tow gute subrlte de la Philnophies» A. Mferemne, 27 mat 2638, Ace, pute ce BP itece + The Method of Descartes (Oxford, 1952], pa fish's e'The teaton of promrtony beorech the two hotanes Bhat of intelligible extension and that of msgined (or sensible) extensor isthe relation of the indeterminate #0 the determinatede Bur df ahs sungte nature of extension. were not-Geferminated, not nade. ore concrete by ‘moves of measurement, Hnesy planes, Fautea, points, eter there could be stiedy speaking no mathere- Heal seionces seal. S Reg XIV, AT. X, ps 8. 266 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES proportioné, ot il découvre le secret de sa méthode en stabstrayant de la considération des chiffres et des figures 1, Addition, soustraction, multiplication, division — seules opé- rations requises par Descartes * — ne sont vraiment arithmé tiques que si elles traitent de nombres dont la notion se résolve en unités irrésolubles, Ce n'est pas le cas pour I'unité de mesure. Ainsi, tandis que chez Leibniz le nombre est la condition de la mesure, chez Descartes, & I'inverse, la mesure est Ia condition du nombre. Tandis que la méthode leibni- zienne doit son originalité & Varithmétique et, en particulier, Yidée de la Combinatoire & laquelle, contre ‘Tschirnhaus trop cartésien, il subordonne I'Algébre’, la méthode carté- sienne doit son originalité & examen des techniques du géomttre ot, pour Mauteur des Regulae, les Auciens ont d@ cacher le secret de leur Analyse, °, En le rattachant & Ja mesure, c'est dans I'application du nombre A l’étendue actuelle que Descartes, conformément & ‘son intuitionisme, s'interroge sur l'existence du plus grand nombre. Tl ne saurait a’agir pour lui que d'une existence actuelle. En effet, je ne puis affirmer que ce que je congois, actuellement : mon existence n’est certaine que dans |’ins- tant ott je la pense; l'idée vaut seulement par ce qu’elle est en. acte et non pas en puissance, seule I’actualité de sa réalité objective me permet de poser Pactualité de la réalité for- melle qu'elle représente. I en résulte que toute raison de juger se raméne & une intuition : une méme raison ne se conserve que recréée 4 chaque instant par une création conti- nuée analogue & celle de Dicu me recréant & chaque instant avec le monde. Dés lors, les principes formels sont vides et stériles s'ils prétendent conclure pour une intuition future ou possible : le futur n'est pas actuel et le possible pour mon entendement n'a lui-méme d’autre crittre que intuition effective. Tout ce que je congois clairement et distinctement comme possible ou impossible est réellement tel dans la Création actuelle; mais comme mon entendement fini n’cmbrasse pas tous les possibles, ce que je ne cunyois pas clairement et distinctement comme possible ou impossible x. Reg. XVI, A. T,X, p. 456. 2. Reg. XVI, ttre A.T. Xp. 461 .. quatuor tantum opera- tiones requiruntur. 3. A Tichiraha [s. d. 1678). M. IV, p. 459. GEOMETRISME CARTESIEN 267 peut étre réellement Pun ou Pautre dans la création actuelle, sans que j'aie le moyen de trancher Palternative. L’existe du plus grand nombre nous place dans ce dernier cas : je ne puis affirmer du monde ni qu'il est infini, puisque je n'ai pas de cette infinité une idée vraie et entiére comme de l'infinité divine, ni qu’il est fini, puisque je n’en concois pas les bornes; jelle dirai indéfini, En'résumé, ia seule base du jugement vrai est Fintuition qui saisit & la fois et sur le méme plan, comme natures simples, Pidée ou les idées et leurs liaisons nécessaires. Ainsi done le potentiel ne peut fonder de certitude; pas davan- tage le formel qui, sans intuition, reste vide; et, puisque mon. entendement créé ne congoit que des vérités éternelles créées, Vidéal ne se sépare pas non plus du réel, il ne s'applique pas A tous lea mondes posaibles, mais sculcment a tous les pos~ sibles de la Création actuelle connaissables par un enten- dement fini. En contraste, on trouve chez Leibniz le rejet de l'intuitionisme, Ia légitimité du potentiel introduite aussi bien dans l’idée que dans les opérations de l’esprit, d’ot la valeur du formalisme méme aveugle et la distinction du plan de idéal et du plan du réel, dont 1a méconnaissance embrouille tout et fait le labyrinthe de compositione continui !, Des lors, Ie probléme du plus grand nombre se pose pour lui autre~ ment qu’il ne se pose pour Descartes. II reconnait avec Des- cartes que intuition ne peut résoudre ce probléme : mais c’est pour en conclure que I'intuitionisme est un leurre oft nous risquons d’étre dupes des mots. Lorsque je pense « quelque chose dont une plus grande ne peut étre pensée », que pensé-je d'autre que, séparément, les idées de chacun des termes : «quelque chose », « plus grand », « penser », «non», « pouvoir 2? Séparément, c'est-i-dire : Pun aprés Tautre. Ce que je lie, dans Vintuition, ce ne sont pas les idées entre elles, mais seulement, aprés avoir eu séparément ces idées, leurs signes ou caractéres : « Nous avons les idées des simples, nous avons seulement les caractéres des composés » et c'est pourquoi nous ne pouvons facilement juger de la possibilité d’une chose par la possibilité de penser ses requisits, quand nous avons pensé chacun de ces requisits et que nous les avons réunis en un tout 8, Liintuition écartée, il ne reste plus pour Leib- niz que de prouver en forme que la notion du plus grand ombre est Contradictoire, Preuve, d'ailleure, multiple ot le nombre est considéré tantot en soi, tantét en son expression linéaire — tant6t comme multitude discréte dont les parties 1. PIV, p. gor. 2, Jacn, Ely PP. 4y 6 268 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES sont antérieures, prioritate logica, au tout, tantot comme rapport, c'est-A-dire tantOt comme objet de pensée, tant6t ‘comme opération de pensée; ou encore, tantot dans l'idéal, tantot dans le réel et, méme, avec les réflexions sur I'infini- tésimale, dans l'imaginaire. ‘Soit le nombre objet de pensée, ensemble fondé sur l'indivi- duation des unités par l'espace. Le plus grand nombre — Je nombre de tous les nombres — serait le nombre de toutes Jes unités +, Das la fin de 1672, Leibniz s’efforce du prouver arithmétiquement qu'il y a 1 une notion contradictoire * Ce plus grand nombre, N, serait défini par le dernier terme de Ia suite naturelle de tous les nombres, et il définirait lui- méme le nombre de tous les nombres de cette suite. Mainte- lant, nous pouvons toujours élever chacun des termes de la, ‘suite 4 une puissance queleonque : il y a donc autant de nombres A une n'e™e puissance que de nombres naturels, Cest-i-dire N. Et cependant — voici la contradiction qui Slate — la suite des nfemet puissances nest qu'une partie de la suite naturelle des nombres, car entre les mémes puis- sances de deux nombres successifs d'une suite nous pouvons toujours insérer d'autres nombres#. Il en résulterait que N est une partie de lui-méme, ce qui est absurde. Mais, notait Galilée, 1 n’est-il pas un nombre — et le seul — qui coin- ide avec toutes ses puissances? n’est-ce pas le nombre infini? Non, réplique Leibniz : r ne comprend ni les pairs, ni Jes ternaires, ni les triangulaires, ni les pyramidaux, etc... Et le seul cas ob légitimement ne joue plus l’axiome : « le ‘tout est plus grand que la partie » est 2éro. Zéro coincide avec toutes ses puissances, tous ses multiples et ses sommes : © + 0 = 0. Ce qui revient a dire que le nombre infini 1, « ..numerus autem omnium numerorum idem est cum numero omniuim unittum (semper enim nova unitas addita prionbus ovum numerum faci) et nuimerus omnium unitatum « numero maximo non differ. » CoUT., Op., p. 612. « Car le nombre le plus Brand de tous, ot bien le nombre de tous les nombres.» Dite, Met. 1, 3. Pour Jean Gatvors (in. 1672) + Accessio ad Arithmeticam aftr, RAL 1, pp 238-227. Cl. Tht Bly pp 442 Co 3 pp. 611-612. “y Bouries carrés«... quianeget, numero numerorum < omnium > coatinen numeram ‘mumerorum quedrarorum, qui inter omnes fhumeros reperiuneur * continen autem utique est partem ss, et tor minors ee i init nen mina am in ito inbitror verum...> COU®., Op. p. 612, D’aprés tout ce passage eon bra = Leibniz semble deveir 8 Galle Tidée que Pine fini n'est pas une somme de parties: car si le nombre des carrés Grait égal au, nombre de tous les nombres, il résulterait Pégalité ‘totum parti, quod est absurdum >. GfomérrIsME CARTESIEN 269 est impossible : il n’est ni un, ni tout, mais rien; égal & zéro, iI n'est pas. Cette démonstration arithmétique, Leibniz croit alors pouvoir la confirmer par une analogie tirée de ses pre- mitres études sur les séries. Une série géométrique fraction tot T 2 mire :1 + 3,43... apoursomme nt get ge 8 z rit ot gh Par exemple, rr 22 1 donc}, par r,t apt gts analogie: 1+ E454... =2-= 0, etcommer +141 ++ s+ constitue le nombre infini, celui-ci est égal & 0. Bient6t (1673) Leibniz contestera Végalité & = 0 sous le prétexte (dilleurs faux) que © devrait égaler 15 plus tard, dans l'Origo inventioni, il appellera conjecturales les sommes & ‘numérateur ou dénominateur zéro*; mais en définitive, il restera fidéle A sa démonstration de l’Accessio ad Arithme- ticam Infinitorum®, C’est que lessentiel consiste moins dans Pappareil numérique de la preuve, que dans le résultat logique: parler de tous les nombres ne signifie rien *, Certes, il n'y a encore la ni la notion d’ensemble, ni l'argument logique contre l'ensemble de tous les ensembles : au lieu de remar- quer que le nombre de tous les nombres étant un nombre se contiendrait soi-méme comme partie de « tous les nombres », Leibniz s'appuie sur Pimpossibilité de dire qu’il n'y a pas plus de nombres que, par exemple, de carrés 8. Mais le résul- tat logique est le méme : le nombre de tous les nombres est x, La somme des termes d'une progression géométrique étant si Yon admet I'analogie (qu'on ne doit pas admettre) Ape fT ° 2, Cf, Jos. E. Horann, H Vieternven, D. Mannne : Die Dilferenzenrechnung bei Leibniz (Berlin, 1931), p. 35. Et Jos. E. Hor- MANN: Die Entuncklingsgtchichte,.y D 12-13. ‘3. 4. Joh. Bernoulli [s. d. 1698} : « Sane ante multos annos tfavi, numerum seu multitudinem omnium contradictio- ee eee tate, “BE: p. Bo. 4 « Numerus omnium numerorum ett contradioriumy, seu leis, quia alioqui sequetur totum esse parti, seu ‘esse mlimeros, quot sunt numeri quadrati. » El, p. 8. on évidenment 270 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES contradictoire. Il est donc dja évident que le nombre infini ne peut pas exister en acte, comme le total achevé de toutes: les unités; il n'est ni un, ‘i tout? et nous n’avons jamais affaire qu’s 12 possibilité dun progressus in infinitum numérique. ‘Mais, par 18, nous passons & la définition opératoire du nombre et & la puissance de esprit capable de penser et de multiplier les relations. Le nombre, en tant que relation, nia de réalité (ct de possibilité) que pour autant qu’il est pret, Cest donc du co de Vesprit quil faut chercher la source de I'infinité numérique : d’une maniére plus précise, crest Vinfinité actuelle de Vesprit qui rend compte de V'infi- nité » virtuelle de toute suite numeérique®. Déji, entre des termes proposés, I'esprit peut multiplier & Pinfini les relu tions ¢ Et il peut engendrer & Pinfini des nombres, en conser= vant la méme raison d’une suite : et « c'est parce qu’on voit que la méme raison ‘subsiste toujours » que Yon s'éléve & Finfini § mais non pas & « Pabsurdité d’une idée actuelle d’un nombre infini * ». On n’atteint jamais P'infini, puisque tout terme de Ia suite est fini, et qu’on ne compose pas Vinfini avec du fini : ce qui établit Phypothése sur laquelle s’appuie In démonstration de PAccersia ?. Mais on pent tonjonra, par x. NE, I, xvt, P. V, p. 144, Infini syncatégorématique. 2, © Reiationum, quae sunt Entia, et tum vera, cum a nobis cogitantur, ut sunt ntimeri, Tinew seu distantiae, aliaque id genus, ser reflexionibus possunt realia, possibiliave nisi cum processus de is ‘que pour prouver Vexistence d'une infinité transcendante i la puis- sanee proprement umaine, et que Toriginalité de Leibniz est de Gonsidérer pour elesmime et de ite (PT, p68] ete remarque dde Leibniz « que c'est déji connattre Vinfini que de connaitre. que cette répétition [des longueurs bout & bout) peut toujours se faire » ‘Au contraire, J. » P. 122, 0. 3, apras avoir cité cette Phrase de la Lettre. 8 Remond, estime que Leibniz dit « exnctement » fee que dit Descartes loraqu’il invoque + cette faculté damplifier ‘toutes les perfections créées » que ‘nous tenons de Dieu. 4. Fl Thid. Bt GnwA, T., p. 266 + cut ol relatio ait inter a et B aeque relatio vocetur ¢, et’ consideretur ‘nova inter a et ¢, seque vocetur 4, et ita’ porro in infinitum... » aN Ee Rath 3 SE a considértion de Hnfin vient de cele lela simitirade ou de Ta raison... » B. Vy pp. 144-145. 6 Tod, 8, FV, Bu pe aaa ‘aisant, allusion & cette démonstration, EL. 40, L. poursuit, El, 42 :* ‘Tantum videtur probandum, quod Numerum fini- ‘torum numerus non potest esse infinitus, » Or, si Yon prend la cfomérrisME CARTESIEN an Yaddition d'une unité, obtenir un nombre plus grand + ‘enim nova unitas addita prioribus nooum numerum facit?, Des lors, aucune série —croissante ou décroissante Mine comporte, méme pour Dieu, de demier terme; la raison de cette série permet toujours d’ajouter un terme nou- ‘veau — et le nombre de termes est, nécessairement, entier- Cependant nous pouvons passer de Pentier au fractionnaire, ‘maintenant que nous considérons le nombre non plus, seule~ ment, comme objet de pensée, mais comme opération de Ia msée, plus précisément, comme exemple de Pactivité de Pesprit qui pose des rapports et qui les multiplie. De la Aéfinition restreinte du nombre — multitude d’unités — ‘qui ne s'applique qu’aux entiers, nous nous élevons & la défi- nition générale — ce qui est homogéne & I'unité : du méme coup, nous embrassons et Ia synthése et analyse, le discret, dans lequel les parties sont antérieures au tout; et, perpetuis reflexionibus, le continu, dans lequel elles hii sont posté- rieures, Pinfiniment grand et I'infiniment petit, Sans doute, 8i Ton pense au réel, il n’est pas évident que Fimpossibilité d'un maximum exclut Ja possibilité d’un minimum? : mais si T'on se rappelle que le nombre n’existe que par et pour Yesprit, on revient our Vinfini pouvoir de récurrence de esprit, et Pon voit qu’il n'y a pas de plus petit nombre, ‘ou fraction la plus petite de toutes, Ainsi lorsque aprés les premiers termes d'une série, nous écrivons : etc, nous dési- gnons la virtualité d'un progrés in infinitum? En résumé, soit que nous considérions le nombre comme un objectum de esprit, soit que nous le considérions comme opération de esprit, dans lea deux cas Pidée dun plus grand (ou plus petit) nombre se révéle contradictoire : elle infirme- rait, d'une part, PAxiome le tout est plus grand que la par- tie» et, d’autre part, Pinfini pouvoir de récurrence de lesprit qui, ayant fait une opération, se sait capable de la recommen- suite naturelle des nombres, le dernier terme considéré est le nombr ‘de tous les termes de la suite et ce nombre est, par hypothse, fini et ai Tron prend une autre progression, le dernier terme est plus ‘grand que le nombre des termes de la suite, mais néanmoins se Eouve em rapport fin aveg ox norabre, CE Ibid, pp. 70-72- 367. imales, L. écrit & Bernoulli ‘Interim fateor, cum aliud sit maximum ab infinito et {nfinite parvo, non hine statim refutari possbilitatem, hostrorum infinite parvorum. » M. IH, p. 526. = 3. «Nam cum dicitur ete in infinitum, iniclligitur ultimus nume; rut non esse quidem mumerorum maximus, is enim nullus, sed ‘esse tamen infinitus. » El, p. 80. 272. LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES cer indéfiniment. Descartes ne posait le probléme du plus grand nombre que par rapport au monde; Leibniz. repense Je probléme indépendamment de I’étendue mondaine et dans Ja seule sphere de I’esprit 1: Descartes concluait de la finitude de notre entendement & I’impossibilité de décider s'il existe ‘ou non un nombre maximum et, par suite, refusait d’appli- quer A cette existence le principe du tiers exclu : pour Leibniz, nous ne restons pas dans le doute, il est prouvé que la notion. du plus grand nombre est contradictoire, donc le plus grand nombre est impossible — car dans la sphére de Pesprit Vidée du nombre, c’est le nombre; il n'y a pas A invoquer la finitude de notre entendement puisque, méme pour Dieu, il n’y a pas de dernier terme numérique et, par suite, le prin= cipe du tiers exclu reste applicable & Vinfini numérique 3, ct Leibniz, eur ce point, se de suivre Volder ou Grégoire de Saint-Vincent prétendant : in infinito non habere locum Asioma, quod Totum sit majus parte®, Puisque le plus grand nombre est impossible, tout infini ‘quantitatif devient contradictoire, Si, 4 propos de quantité, fous invoquons encore I’infini, ce ne peut étre un infini de perfection‘, mais seulement — d’abord — l'interminé et, par JB, Vinddterming, bref un infini eyneatégorématique my ‘a pas de quantité dont on ne puisse concevoir plus ‘grande (ou plus petite). Par conséquent la quantité en général mest pas finie, en ce sens elle est infinie ®, Le nombre des 1, D'oilleurs, qu'on se rapporte encore aux, Remarques sur let Objections de Mt Foucher, Foucher na pas compris Te propléme de Ja composition et de ia rélité de fétendue — fondées sur les unités monadiques ~~ parce qu'il. congoit {étendve & la cartésienne, et fon conuime infiaite kdéale de repports dordre. T. TV, Pp. 490 34 Be ge RMD, art ity pp. to4-t05, Ruan Jes recherches les Element. ‘Loe. cit, M. III, p. 535. On se rappelle que Descartes ne se pas © de sépondce's ceux gui demendent si Ia mote dune igne infnie est infinie, et si le nombre infini est pair ou non pit ef autres choses semblable ‘quill n'y a que ceux qui s'izmae ginent que leur esprit est infint qui scmblent devoir examiner felles dificultés » Princ. T, § 26. “Avbitror enim fan esse uarondam notionum naturim, ut peerfectionia anque absalut et in suo quoque genere et numeri item motusnn » oUt Opy Br 61% s. « On ne tien tiser dans mon systéme, car tout y ook scl tn er damn sm. Wie tt rae dane a at Te tout est opposé su rien et Vinfini est opposé au fini. » Bon. TIT, p. 58. Il va eans dire que cette opposition est générale et ne s'applique SERS GtomfrrisMe caRTésien 273 monades existantes est-il fini ou infini? Leibniz hésite : it penche & croire que « toutes les formes qui ne pensent point ont été créées avec le monde »; « mais I’Ame raisonnable n’est créée que dans le temps de Ia formation de son corps » «dans la suite des temps » par Dieu qui en produit « conti nuellement... comme nous produisons nos pensées »}, Le surgissement dans le monde de nouvelles ames raison- nables qui, nécessairement, changeraient tout Yordre des ccoexistences actuelles, aurait dd conduire & la doctrine d’un univers en expansion; mais 'esthétique de Voptimisme se méle & trop de souvenirs du platonisme réputant l’éeipov indigne du divin et du beau 4, pour que Leibniz ne révat pas plutét d’un monde achevé, d’un Cosmos. En fait l'introduc- tion de l’infini dans la pensée moderne ruinait l'idée classique de Cosmos*. Leibniz tiche pourtant de concilier les deux théses : le monde est & la fois achevé et inachevable. Achevé dans Pentendement divin sous forme de possible, il enveloppe un maximum d’effets par un minimum de moyens, problé me de Combinatoire dont la géométrie infinitésimale ne nous donne qu'une expression : parfaitement —déterming (= achevé), un maximum engage Vinfinité des points idéaux et possibles § de objet étudié. ou, si l'on préfére, Pinfinité des valeurs possibles de la variable, c'est-a-dire Pinfinité du continu arithmétique, La conciliation de V'achevé et de Vinachevable semble encore pouvoir se faire en invoquant Péternité A Vinfinité de laquelle participe la durée intermi- nable du monde actuel : en effet, si une créature peut toujours fire surpass par une autre, celine peut o dre de Vunivers, Or juel se devant étendre par toute l’éternité, est un infini ®», je temps est un continu. Ni Pétendue, ni a durée ne comportent de minima. Leibniz généralise & Ia durée ce que Descartes n’affirmait que pour 'étendue. Diailleurs, espace et temps ne consistent plus pour Leibniz qu’en rapports 1. PIL, p. 117, 75 et Dise. Met, XIV. 2, Comme disait fort bien A. Rivaup—R. M. M. 1014, p. 119 — ¢ principe d’harmonie « apparait dés le début, non comme une simple loi lopique d’intelligibilite, mais comme une nécessité esthé- tique et morale », ‘2. Voyez, A, Kovné: Le problime de Vinfini au XVII° sitcle (Annuaize Ecoie Pratique Hautes;Etudes, année 1948-1040, pp. 62- 63), ie From the closed World fo the infinite Universe (Baltimore, 1957). 4. Ce dont témoigne la correction apportée au Tentamen Anago- cum, P. VIL, p. 272, par Théod., 1, §213. 's, Dans V'idéal le tout est antérieur A la partie, « parce que cette partie n'est que possible et idéale ».P. IV, p. 492. 6. Thiod, § 195. 274 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES idéaux, hétérogines & leurs constituants réels (les monades) : dés lors la division de la matidre peut tre poussée actuel- Jement A infini sans que I’on soit forcé, pour rendre possibles Jes phénoménes et les corps, comme dans Vhypothése d'un ‘espace substantiel, de s’arréter A quelque premier élément de matitre subtile?, Et c'est précisément parce que la divi- sion est interminable sur un minimum ou sur un zéro, que Pinfinité des corps pris ensemble it constituer une grandeur finie, de la méme fagon que les termes de la série ? ? § 3g “tn 00 Pon peut toujours assigner une fraction aussi petite qu’on voudra, ont une somme finie ‘A. cette conception de l'infini quantitatif, Leibniz croit pouvoir en ajouter une autre, tirée des considérations mathé~ matiques sur les grandeurs ‘de divers ordres, ou incompa- tables, qui n’oppose plus Pinfini 4 V’interminé. Si nous imagi- nons des créatures d’un autre monde infiniment petit, nous serons infinis en comparaison d’elles : en retour, nous pou- ons nous concevoir comme infiniment petits en comparaison @un autre monde qui serait d'une grandeur infinie, et pour- tant terminé: Unde patet infinitum aliud esse, ut certe vulgo sumimus, quam interminatum, Rectius hoc infinitum appella~ retur Immensum. Conséquences surprenantes : celui qui aurait vécu, ou aurait & vivre une infinité d’années, pourrait avoir commencé d’étre ou mourir un jour. N’en résulte-t-il pas qu'il y a un nombre infini? La nature du liquide ne sup- pose-t-elle pas une division actuelle ou un nombre infini de parties ? La réussite en géométrie de ’hypothése des infinis infnis (grands ou petits) augmente Ia probabilté qu existent effectivement 3. Vingt-deux ans plua tard, Leibniz répétera, avec plus de prudence encore, quill n’ose admettre sane démonstration indubitable, la réalité de ces infinis ter- 1. Cf. Cour., Op., p. 6r4,critiquant Prin, III, §46 : « Contentus, [Cartesius] dixisse materiam actu dividi in partes minores omnibus quae a nobis intelligi possunt, monet non esse neganda, quae demonstrate putat tametsi finita mens nostra non capiat quomodo fiant. < Sed aliud est explicare quomodo quid fia, aliud satisfacere ‘objectioni et evitare abrurditatem. » Mingtnts dismsion ava Joh. Bemoull Gott x69) en parc, 536: « At inquies : Si nulla est infinite exigua, ergo si sunt finitae (concedo); si singulae sunt finitae, ergo’ omnes simul ‘sumtae ‘conttituent magnitudinem infinitam. Hane -consequentiam non concedo; concederem si aliqua daretur finita, quae minor caseteacters omnibus, vel ceria mula ait majo , 3. © «hoc etiam atiget probabilitatem esse revera. » El, p. 36+ [Texte Gurr février 16761] céomérRIsME CARTESIEN 275 minés +, Nous reviendrons sur ces problémes. Du moins est: certain que Leibniz, en passant de l'infini sans bornes a Pi fini d’incomparable s’éléve 4 ce que Kant appellera le vrai concept transcendant de Vinfini, et qu’il tombe dans !"em- barras de la premiére antinomie ‘Mais, dira-t-on, ces conceptions de l'infini quantitatif ne reviennent-elles pas & I'indéfini de Descartes? Que nous n'ayons affaire qu’a une différence de mots, Leibniz ne le dit-iL pas lui-sméme? Il approuve Descartes d’avoir bien observé Pimportante distinction entre les choses en lesquelles des, bornes ne sont pas pensées : il lui reproche seulement de ne pas avoir assez expliquée et edit préféré, quant lui, parler diimmense que d’indéfini. Il importe de réserver le terme @infini & ce qui est absolu et un; immense ou indéfini dési- gnerait ce en quoi nous pensons un accroissement ininter- rompu ou que nous concevons comme formé d'une innom- brable multitude, bien que Vimmense ne soit réellement ni un Un ni un Tout. Par exemple ensemble de tous les corps, ‘ou monde, n’est pas un corps qui les comprenne tous : un corps infini n’existe pas. Aussi bien peut-on dire : «le monde ‘est immense », pourvu qu’on lexplique bien afin que per- sonne ne pense qu'il y a une substance corporelle infinie *. ‘Mais Leibniz n’évoquerait pas Yombre de Spinoza pour une préférence de vocabulaire — « immense » préférable & « indé- fini » — ou pour regretter seulement que Descartes ne se soit pas mieux expliqué : Popposition est plus profonde. On y 1. Mi IIT, pp. 490-s00. [A, Joh. Bernoulli, 7 juin 1608] Si 'on ‘admet la réalite de cet infini d’incomparable, il s"ensuit par ex. qu'il '¥.a« punctum in spatio,.ad quod hinc nullo unquam tempore assi- Enabil per monim aequahilem pervenisi possit. » . 2. © Der wahre (ansszendentale) Begriff der Unendlichke int, dass die successive Synthesis der Einheit in Durchmessung ines Quantum niemals vollendet sein kann. » Krit. R. V, Ed. Cas- SIRER, p. 310. Kant cite d’ailleurs Leibniz & propos de Pantithise. 3." Bene @, Cartesio animadversum, sed non satis, explicatum fest discrimen ingens inter ea, in quibus limites non intelliguntur ‘eu, ut ipse loquitur, inter infinitum et indefinitum, ut ego mallem inter infinitum et immensum. Infinitum dicere praestat id tantum, quod absolutum atque unum est, immensum seu indefinitum, in quo perpetui auctus intelliguntur seu quod coneipimus tanquam contlatum ex innumeris, etsi revera tale nec unum sit nec totum, Tea omnia corpora simtl nos quidem mundum appellamus, sed revera mundus non est unum quiddam, sed hoc tantum diei potest, uocunaue assumto corpore dari majus in mundo neque unquam perveniri ad corpus finitum, quod comprehendat omnia, Interim hee tale corpus infinitum datur. Itaque dici potest : mundum esse jmmensum, modo recte explicitur, ne quis putet ullam dari substan tiam corpoream infinitam. » BOD. TH, p. $6. 276 LEIBNIZ CRITIQUE DE DESCARTES trouve I'antagonisme des deux doctrines de 12 connaissance, ‘Chez Descartes, un Diew parfait et incompréhensible en sa toute-puissance; corrélativement une créature imparfaite, qentendement fini, dont les principes rationnels eréés ne sont valables que dans les limites de la perception claire et distincte; et ainsi, Ia séparation entre Vimpossibilité en soi et 'impossibilité pour nous 1, De l'autre cété, chez Leibniz, sun Dieu parfait et sans doute incompréhensible si l'on entend par Ii que nous ne pouvons le « comprendre », mais avec Iequel cependant nous convenons dans les mémes rapports parce qu’il n’a pas créé les vérités éternelles : en sorte que ce qui est impossible pour notre raison est réellement impos sible. De Ii, antagonisme se poursuit. Chez Descartes, la uotion de l'indéfini a pour base un géométrisme qui place 1é concept de Vinfini mathématique sous le double crittre de Tintuition de V'étendue et de la finitude de notre enten- dement : est indéfini ce en quoi « nous ne trouvons aucunes bornes », la décision sur ces limites échappant & la compé- tence du raisonnement pur, ce 4 quoi nous ne remarquons as de limites est, en définitive, ’étendue de la matiére, ow quantité, c’est-d-dire d'une substance une, formant un tout. Chez Leibniz, Ia notion d’immense a pour base un arithmé- tisme d’od T’on s’éléve au concept transcendantal de T'infini mathématique : la notion ne désigne plus seulement une étendue sans bornes, elle y ajoute la considération des divers ordres de grandeurs et par Ii de Pinassignable : Leibniz enri- chit un contenu mathématiquement trés pauvre en substi- tuant & 'image * de la limite Ia considération de la limite analytique ‘. Si la notion s'applique encore au phénoméne bien fondé de l’étendue, plus fondamentalement® elle s'applique done & la pluralité inassignable des mozades : elle ne concerne plus une substance matérielle une, formant un tout, mais une matiére qui se résout en répétition de sub- stances dont «T'amas..., A proprement parler, n’est pas un tout ® 2, cCest-A-dire ne constitue ni une seule substance ni » fl, chap. x. , parce que nous ne saurions imaginer a 1. Guénourr, Dese 2. Princ.,1, §'26 meena ‘prune que neh; concevions en mime tempe fen peut avoir une plus grande..; et parce que nots ne sturios Imaginer tant d'étoiles que Diew ‘n'en’puisse créer davantage. Ff. plus haut, p. 270, n, 3. Arinadeeron 19 26. ‘Infinitum actu in’ magnitudine mon aeque ostendi potest actin'muldtudine. » A der Bowes, 11237 tare 1966. . Il, pe yo4. 6. Théod., 195, P. VI, p. 232. —N. E. Il, xvi, x2... infinite de choses, c'est-aedire qu'il en a toujoursplusqu'onn'en peutassigner.» ctométnisMe caRTésteN 277 méme un substantié (substantiatum) organique comme le ‘corps d’un animal}, Et pourquoi? Comment pouvons-nous Paffirmer ? Parce que, cette fois, les questions d’infini tombent ‘sous Ia compétence du raisonnement pur : elles ne sont plus. subordonnées a Vintuition, ni arrétées aux bornes de notre entendement *, Nous pouvons démontrer quill n'y a pus @'idée d'un plus grand nombre, et par Ia que toute idée de quantité maxima (ligne, vitesse, etc.) est contradictoire : et comme il appartient 4 essence du nombre, de Ia ligne, d'un tout quel qu'il soit, d’étre borné, il est clair que l'indéfini ne peut étre, & strictement parler, un nombre, une ligne ou un ‘tout quel qu’il soit, mais la progression méme, 4 l'infini, au-dela de tout nombre ou de toute grandeur assignable * ‘Ainsi, Pindéfini qui, chez Descartes, renvoyait A une incerti- tude de la connaissance — je ne sais pas si le monde est borné — exprime chez Leibniz une certitude —le monde est non borné. Le jugement change de contenu et de modalité : ‘ot Descartes ayance une affirmation disjonctive (le monde est fini ou non fini), Leibniz énonce un jugement indéfini catégorique; od Descartes est assertorique, car il ne peut que constater absence out Ja présence de limites par intuition, Leibniz est, lui, apodictique. Enfin, tandis que les proposi~ tions relatives & Pindéfini sont, chez, Descartes, inséparables du Cogito dont elles expriment le doute ¢ (je ne sais pas si le monde est borné ou non), elles s'appliquent, chez Leibniz, immédiatement & Pactuel par leur affirmation apodictique °. Mais examinons cette application au réel. Descartes a inventé cette notion d'indéfini, afin de réserver & Dieu seul le nom te Thdods § 195. Ibid, A det Bosses, PMT, pp. 304-305. A Joh. Ber- noulli, M, Ti, p. 535... . ‘2 Btiamst nos fnitisimus, multa tamen de infinito possumus scire. Aliud est autem seire aliquid dere, aliud rem comprehendere, hoc est quicquid in ea latet in potestate habere. » Amimad., 1,§ 26. PIV, p. 360. a . 3. Brit’ p. 30%. —M. V, p. 386, Pinfni quantitatif n’est qu'une manitre de parler :« cum sclfcee plura adsunt, quam ullo rumero Comprchend: possunt, ‘numerum tamen ills’ rebus attribuermus ‘mnalogice, quem infinitum sppellamus » i Toi quod attinet, videmus earum rerum naturam nostras vitts cuperare, et nos gua finiti simu, lla comprehendere non Dposee; ef sic nostri respectu indefinita aut infinita sunt.» Burman 1, 26 des Prine. Leibniz en faisait c'aileurs Ie remarque dans la Theoria motus abstracti indefinitum er Cartesii non in re est, eed cogitante. M. VI, p. 67. : 5. Et Yon’a vu plus haut, p. 232, avec Brunschvieg, comment Ie Syllopisme peut se stuer dans Fordee de Wétre, abstraction, faite de Fordre dela connaissance.

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