A. LE SEXE ET LES RUPTURES MODERNES
Linégalité entre les sexes
et Pégalité entre les homm
Le tournant des Lumiéres
Sylvie Steinberg”
Le 9 aruwatne ay I, Jean-Pierre André Amar répond, au nom du
Comité de sareté générale, 2 la question de savoir si les femmes peu
vent exercer tne fonetion politique. Son discours est destin & just
fier le décret qui interdit les clubs de femmes et confirme leur exclu
sion du droit de cité, deja édicté par les deux Constitutions de 1791
3. Lorateur met en doute leur capacité a exercer des droits
politiques puis s'interroge sur leur aptitude a animer des associations
politiques. Enfin, vient, en point d'orgue de sa démonstration, ce
double portrait de Phumanité
homme est fort, robuste, né avec une grande énergie, de Vaudace et
du courage: il brave les perils. 'intempérie des saisons par sa cons!
tution: i résiste & tous les éléments, il est propre aux arts, aux tra
que exclusivement destiné &
‘vaux pénibles ; et comme il est pr
agriculture, au commerce, & la navigation, aux voyages. & la guerre
tout ce qui exige de la force. de intelligence, de la capacité. de
méme il paraft seul propre aux méditations profondes et sérieuses qui
texigent une grande contention d'esprit et de longues études quil n'est
dela Renaissance de Rov vent 2001inggalité entre Tes sexes et Iégalité entre les horames
pas donné aux femmes de suivre. Quel est le earactére propre de la
Pe me? Les morurs et la nature méme lui ont assigné ses fonctio
temmencer l'éducation des hommes, préparer Vesprit et le eur des
SRfante aux vertus publiques, les diriger de bonne heure vers le bien,
Glever leur me et les instruire dans le culte politique de la liberté
{elles sont leurs fonctions, apr’s les soins du ménage ; la femme est
Maturellement destinge a faire aimer la vertu. Quand elles auront
empl tous ces devoirs elles auront bien mérité de la patrie!
En produisant, en octobre 1793, le discours le plus argumenté sur le
statut civique des femmes, Amar enracine le refus des conventionnels
@accorder aux femmes le droit de participer & la souveraineté natio-
tale dane des différences de nature, qui les empécheraient de se
neler en quoi que ce soit aux affaires publiques, sinon en élevant
Jeurs enfants & la vertu.
Ce raisonnement se heurte & une contradiction majeure qu’ont sou-
lignée d'emblée les {éministes révolutionnaires : si la loi corre les
inggalités de nature entre les hommes, comment ne pas envisager
quelle corrige aussi les inégalités de nature entre Vhomme et Ia
femme ? Comment concilier la pensée des droits de homme et V'affir-
mation d'Amar, que «la Nature, qui a pos¢ ces limites a l'homme,
‘Commande impérieusement et ne regoit aucune loi » ? Tel est le para~
doxe que les défenscurs des femmes des années 1789-1798 n'ont pas
manqué de relever. Ainsi Condorcet note-t-il, en juillet 1790
Il serait difficile de prouver que les femmes sont incapables dexercer
les droits de cité. Pourquoi des étres exposés a des grossesses, et &
des indispositions passagéres, ne pourraient-ils exercer des droits
dont on n'a jamais imaging priver des gens qui s’enshument
fisément ? En admettant dans les hommes une supériorité d'esprit
{qui ne soit pas la suite nécessaire de la différence d'éducation (ce qui
est rien moins que prouvé, et ce qui devrait l'étre, pour pouvoir,
sans injustice, priver les femmes d'un droit naturel), cette supériorité
ne peut consister qu'en deux points. On dit qu'aucune femme n'a fait
de découverte importante dans les sciences, n'a donné de preuves de
igénie dans les arts, dans les lettres, etc. ; mais, sans doute, on ne pré-
fendra point n’accorder le droit de cité qu'aux seuls hommes de
igénie. On ajoute qu’aucune femme n’a la méme étendue de connais-
Eances, la méme force de raison que certains hommes; mais qu’en
résulte--il? qu'excepté une classe peu nombreuse dhommes tres
Gclairés, 'égalité est entigre entre les femmes et le reste des
Ihommes ; que, cette petite classe mise & part, 'infériorité et la supé-
Florité se partagent également entre les sexes. Or, puisqu'll serait
complétement absurde de bomer & cette classe supérieure le droit de
cite, et la capacité d'etre chargé de fonctions publiques, pourquoi en
1. Git dane Paul Mare Duets Fenimes els Réoation. 1789-1794, Pars, Galina
Jutland 197 15S 50, ae ‘
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Linégalité entre les sexes et égalité entre les hommes
exclurait-on les femmes, plutot que ceux des hommes qui sont infé
icurs @ un grand nombre de femmes
Vargumentation est conceptuellement imparable : en aucun cas,
une indgalité de nature ne peut fonder le droit naturel. Tout ag
contraire, le droit naturel corrige les inégalités de la Nature, et si lee
hommes naissent inégaux dans la Nature (mais non en nature), ile
naissent libres et égaux en droit. Liarticle I de la Déclaration des
droits de la femme et de la citoyenne, rédigée par Olympe de Couges
en septembre 1791, proclame done logiquement que « la femme natt
libre et demeure égale a homme en droits® »
La longévité historique de 'exclusion des femmes du droit de vote
et les difficultés persistantes & leur intégration dans la démocratic
francaise obligent & s'interroger sur la teneur de cette contradiction
qui contrevient si fortement au principe d’égalité. Cependant, le para.
doxe n’a plus la méme acuité lorsqu’on quitte le plan juridique pour
envisager la notion d'égalité sous les autres acceptions quelle
emprunte a l’époque révolutionnaire. Légalité se décline aussi. dans
Ie domaine politique, sous la forme de la fraternité. Et de cette fraten
nite, les femmes sont exclues : selon Genevitve Fraisse, il s'agirait ici
de refuser l’égalité politique des sexes pour ne pas introduire une riva.
lite et une confusion entre 'amour (sentiment privé) et Famitié (centi,
iment public puisqu'l ressortt a Tamour de Vhumanité). Mais léga
lité a encore une autre acception : dans l'état de nature, ily @ identité
entre les hommes, tous égaux au regard de la raison et des « lois de la
Nature ». C'est ce qu’exprime l'article « Egalité naturelle » de 'Ency.
clopédie rédigée par le chevalier de Jaucourt : « Légalité naturelle oa
morale est donc fondée sur la constitution de la nature humaine com.
‘mune & tous les hommes qui naissent, eroissent, subsistent et meurent
de la meme maniére. » La pensée des Lumidres ancre dans la Nature
Tunité du genre humain, préalable nécessaire a son égalité juridique
ct politique qui sera restaurée dans le contrat social. Or, dans le mémne
temps, les savants du xvil* sidcle, et en premier lieu les médecine,
Philosophes des Lumigres®, inventent une « nature féminine » incom.
tmensurable & celle de Vhomme et la définissent & partir des nécessités
de Pespece et des lois de la reproduction,
2 Bai sur Padmision des fommes au droit de cit, para dans le Jo
urna de ts Socitéde
294 V a 3 ules 1750, cite par BM. Dae ter Femmes a Ral a Sh
S Texter leet dans Opinions de fommer de ta ele ea ender dee
Rasiation ue fem, 198). 4.62
‘4 Noir Genevieve Feiss, Mute de la raise. a cmocratie.
jae Pain Alinga, 1969, reed. Callimand, cll «Fel toa
fondemens de la diference Ses sexes ine fo Fe
(Goda ei, txtes rnin ct présente,
ral 1969, p 45-92
5. Nac Yronne Kriebieler,~ Lee médecine ct la “nature f
five Anmate Bs, 4, ulate 1976p 804-815 a ase
Ye puissance mantles dan fa Famille lo Panton
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