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Goethe! Lorsque Johann Wolfgang Goethe naquit le 28 aoiit 1749 a Francfort-sur-le-Main, la ville comp- tait 30 000 habitants. La population de Berlin, la plus forte concentration urbaine de I'Empire alle- mand, s’élevait & 126 000 habitants, a une époque ou Paris et Londres dépassaient déja chacune les 500000. Ces chiffres sont caractéristiques de la situation politique oii se trouvait alors l’Allemagne, car, dans toute l'Europe, la révolution bourgeoise a ét€ tributaire des grandes villes. Il est d’autre part caractéristique de Goethe qu’il ait toute sa vie répu- gné & séjourner dans les grandes villes. Ait ne se rendit jamais 4 Berlin’, et, adulte, ne retourna 1. N.d. T.: Cet article répond a une commande de l'Encyclopé- die sovigrique, dont Benjamin fait état dans une lettre du mois dlavril 1926. Aprés beaucoup de complications (que Benjamin ten- tera notamment de régler au cours de son séjour a Moscou en décembre 1926 — janvier 1927), le texte sera achevé au mois doctobre 1928. Les responsables soviétiques n’en retiendront fina- Jement qu'une version abrégée et totalement défigurée. Une publ ation partielle en allemand eut lieu dans la Literarische Welt du 7 décembre 1928 (7° année, n° 49), sous le titre «Goethes Politik und Naturanschaung» (« Goethe: ses idées politiques et sa concep- tion de la nature»). (PR) 2. N..T.: Erreur de Benjamin: Goethe séjourna a Berlin du 16 ‘au 20 mai 1778. (PR) 60 Euvres is et 4 contrecceur dans sa ville natale de Passa la plus grande partie de sa vie dans une petite ville résidentielle de 6000 habe tants, et ne connut de prés que les deux centres urbains qu’étaient, en Italie, Rome et Naples L’émergence de la nouvelle bourgeo Nain allait étre le représentant culturel et, pour un temps, le porte-parole politique, se dessine claire, ment dans son arbre généalogique. Les ancétres miles de Goethe se dégagent progressivement des milieux artisanaux, grand-pere était maréchal-ferrant, son grand-pére d'abord tailleur, puis aubergiste, son pere, Johann Caspar Goethe, d’abord simple avocat. Il accéda bientét au titre de Conseiller impérial, et lorsqu'il obtint la main de Katharina sab ‘extor, la fille du maire de Francfort, s‘assura di ivement une place parmi les premiéres familles de la ville. Sa jeunesse passée dans une maison patricienne d'une ville impériale renforga dans I'écrivain un trait héréditaire spécifiquement rhéno-franconi: n, fait de réserve a I'égard de tout engagement poli- tique et d’un sens d’autant plus marqué pour tout ce Qui, individuellement, pouvait lui convenir et lui Profiter. L'étroitesse du cercle familial — Goethe n’avait qu'une sceur, Cornelia — lui permit de se Concentrer de bonne heure sur lui-méme. Néan- moins, les idées qui avaient cours dans la maison Parentale lui interdisaient naturellement d’envie Leipzig, et @ vingt-et-un ans, dans ‘a comme étudiant a Strasbourg. C'est a Strasbourg que prend clairement forme le milieu culturel d’od sortiront les ceuvres de jeunesse Goethe ee the. Goethe et Klinger! viennent de Franc- thea Buses et Leisewitz? du centre de I'Allemagne, VoB* et Claudius* du Holstein, Lenz® de Livonie: Goethe est issu d’une famille patricienne, Claudius ‘un milieu bourgeois, Holtei’, Schubart® et Lenz des fils de professeurs ou de pasteurs, Maler er®, Klinger et Schiller des fils de petits-bour- geois, VoR le petit-fils d'un serf, Christian et Fritz von Stolberg'®, enfin, portent le titre de comte — mais tous joignent leurs efforts pour faire surgir . N. d. T.: Friedrich Maximilian von Klinger (1752-1831 de sa pidce Sturm tnd Drang (1776) titre éole romantic lex également = ots et descente aux eM a Gout Augen Bees Ta) oe gue ‘i alae. (PR) oe Nat Pokaan hat Lisenie (1752-1806, ater drama que. (PR) STN dT: Johann Heinrich VoB (175-1825, érud t pote, lucteur d'Homere. (PR) St NcaLT. Mavdes Cheadius (1760-1815, auteur de eis sa riques e ies Iyriques d'inspiration populaire A a ee auteur dramatique, son czuvre exprime de fortes preoccupations seus, Som desi Gl smbra dan Ia foie on 177) nsparad chner la nouvelle qui porte son nom. PE d. Tu Holy thodwg Helaneh Chceeoh, 17481776), ete lyrique. (PR) MENT 6 ‘musicien, connut 9.N 4. Peedich Mul eintre et podte, tres inspiré par fement Vauteur dune Vie de Faust 62 uvres par des voies idéologiques le «nouveau» en Alle- magne. La faiblesse fatale de ce mouvement révolu- tionnaire spécifiquement allemand est de n'avoir pas pu se réconcilier avec les mots d’ordre primitifs de l’émancipation bourgeoise, des Lumiéres. La masse bourgeoise, les «esprits éclairés », restérent coupés de leur avant-garde par un terrible fossé. Les révolu- tionnaires allemands ne voulaient rien savoir des Lumiéres, les représentants allemands des Lumiéres n’étaient pas révolutionnaires. Les uns organisérent leurs idées autour de la révélation, de la langue, dela société, les autres autour de la théorie de la raison et de l'Etat. Goethe reprit plus tard la part négative de chacun de ces mouvements: avec les Lumiéres, il s'opposa aux bouleversements sociaux, avec le Sturm und Drang, il se dressa contre I'Etat. Cette fracture au sein de la bourgeoisie allemande l’empé- cha de se mettre, idéologiquement, au diapason de l'Occident, et Goethe, qui allait plus tard s'intéresser de pres a Voltaire et Diderot, ne fut jamais plus fermé a Vesprit francais que durant sa période strasbour- geoise. Particulirement révélatrice est sa réaction face au Systéme de la nature, le célébre manifeste du matérialiste francais d’Holbach, oit souffle déja l’air mordant de la Révolution francaise. Cet ouvrage lui parut «si gris, si cimmérien’, si funébre», qu'il recula devant lui comme devant un spectre. Il lui apparut comme «la véritable quintessence de la sénilité, plat, voire parfaitement insipide». Ce «triste crépuscule athée» lui paraissait vide et creux?. Il réagissait par 1. N.d.T.: Allusion a Homére (Odyssée, XI, 14 sqq.: «La se trou- vent la ville et le pays des Cimmériens, / couverts d'un voile de Dbrouillard; sur eux jamais le soleil ne fait descendre ses rayons...» {trad. Ph, Jacottet, Librairie F. Maspero, Paris, 1982)). (PR) 2. N.d. T.: Sur ce passage, cf. Goethe, Poésie et Vérité (IIL, 11), trad. P. du Colombier, Paris, Aubier, 1941, p. 314 sq. (trad. mod, eR) Goethe 63 1 en artiste créateur, mais aussi en fils de patricien francfortois. Goethe donna par la suite au Sturm und Drang ses deux plus puissants manifestes, Gdtz et Werther. Mais c'est 4 Johann Gottfried Herder que le mouvement doit sa forme universelle, dans laquelle il s‘organise en une véritable vision du monde. Dans sa correspondance et ses entretiens avec Goethe, Hamann et Merck', Herder fournit les mots d’ordre du mouvement: Ie «génie original», «la langue: révélation de l'esprit national», «le chant: premier langage de la nature», «l’unité de I'histoire géolo- gique et de l'histoire humaine ». Dans ces années-la, Herder préparait sa grande anthologie des Chansons de tous les peuples, qui couvrait l'ensemble du globe, de la Laponie jusqu’a Madagascar, et devait profon- dément influencer Goethe. Car dans ses poésies Iyriques de jeunesse le renouvellement de la forme du lied par Ia chanson populaire s’allie A la grande libération opérée par le «Géttinger Hainbund». «VoR ouvrit a la littérature les paysans des polders. I pourchassa dans les Lettres les formes convention- nelles du rococo, avec la fourche a fumicr, le fléau et ce dialecte bas-saxon qui n’éte plus qu’a demi la cas- quette devant son seigneur.» Mais dans la mesure ou, chez Vo8, la description constitue encore la tona- lité fondamentale de la poésie lyrique (de méme que, chez Klopstock, le mouvement hymnique reste fondé sur la rhétorique), c’est seulement avec les poémes strasbourgeois de Goethe («Bienvenue et adieu», «Un ruban décoré», «Chant de mai», «Rose de la bruyére») que I’on peut dire que la poésie lyrique allemande s'est affranchie de la description, de Vintention didactique, de I’action. Cet affranchisse- 1. N. d. T.: Johann Heinrich Merck (1741-1791), écrivain alle- mand, critique redouté, exerga une influence sur Herder et Goethe. Tl aurait servi de modele pour le Méphistophélés de Faust. (PR) 64 uvres ment, il est vrai, ne pouvait représenter qu'un stade précaire et transitoire, au-dela duquel il allait au xaxe siécle conduire la poésie lyrique allemande vers son déclin; aussi Goethe, a la fin de sa vie, en limitera-t-il délibérément la portée dans le Divan oriental-occidental. Avec Herder il publia en 1773 le manifeste Du caractére et de Uart allemands, dans lequel figurait son étude sur Erwin von Steinbach, le constructeur de la cathédrale de Strasbourg. C'est ce texte qui devait ensuite rendre le classicisme fana- tique de Goethe si scandaleux pour les romantiques, au moment od ils redécouvriront l'art gothique. Dans le méme horizon créatif s‘inscrit en 1772 Gétz von Berlichingen. Cet ouvrage fait clairement apparaitre la fracture au sein de la bourgeoisie alle- mande. Les villes et les cours, représentant un prin- cipe rationnel grossiérement travesti en réalisme politique, doivent incarner ici la troupe des parti- sans sans esprit des Lumiéres, auxquels le Siurm und Drang s'oppose en la personne du chef des pay- sans révoltés. On pourrait étre tenté de voir dans ce livre, qui prend pour arriére-plan historique la guerre des paysans en Allemagne, une profession de foi authentiquement révolutionnaire. I] n’en est rien, car ce qui se fait jour dans le soulévement de Gétz ce sont fondamentalement les tourments de la caste des chevaliers impériaux, de l’ancienne classe dominante, face au pouvoir émergeant des princes. Si Gétz lutte et tombe, c'est d’abord pour lui-méme, pour sa classe ensuite. L’'idée centrale de la piéce n'est pas la révolte, mais l'inertie. L’action entreprise par Gétz est une chevaleresque régression, elle est, pour le dire de facon plus aimable et distinguée, un geste de grand seigneur, I’expression d'un élan indi- viduel, rien de comparable aux menées brutales des brigands incendiaires. On voit ici se mettre en place le mécanisme qui deviendra typique de toute Goethe 65 rt recor Goethe: comme auteur dramatique, il x irs a la séduction qu’e SI iu lee ae le qu exercent sur u es révolutionnaires, i s‘écarter du sujet, soit lai n ouvrage ale ae , Soit laisser son ouvrage a I'é fragment. Le premi Gora von bee - Le premier cas est celui de G6i lichingen et dE, Sui de La Fal igmont, le second celui d naturelle. Combien Goeth remier drawe, e, dés ce premier di se soustrayait fondamentalement a [ie evolw. sous ment a l’énergie révol tionnaire du Sturm und Di ien ne le monte re rang, rien ne le mont plus clairement que la com, does Blu clarement au Paraison avec les piéces t eurs de sa génération. En 1774, 1 bublia Le Précepteur ou les Avantages d'une dducn privée’, ot sont crament mises en L conditions sociales qui régissai nte Gpodue ns itions gissaient & cette 6 création littéraire, et qui é aoa ne restérent pas non ph sans effets sur I’évolution d pi geo, le Goethe. La b i sic allemande était loin d' paiesatte abr e in d’étre assez pui Pouvoir entretenir par ses pro} pes ine cae laires, a servir de préceptcur a de nobles proprié- i 7 Z c ropri \aires terriens et & accompagner de jeunes princes car seules les ceuvres expressé u x € ‘pressément autorisée: " oe ministériel étaient protégées contre la Sproduction dans les pays de l'Empire allemand 74, aprés que Goethe eut é1é appelé A Wear Int, auprés de la Cour supreme de Empire, parment jouffrances du jeune Werther. Ce livre fut peut- 1. N.d.T.: Jakob Michael Reinhold faa Meapadilae iold Lenz, Le Précepteur, Le Nou. Liarche 157245 Soldats. trad. René Girard et Jodl Lefebvre, Paris, 66 Euvres étre le plus grand succes littéraire de tous les temps. Goethe, ici, réalise Vimage parfaite du créateur de génie. Sien effet le grand écrivain est celui qui d’em- blée fait de son monde intérieur une affaire publique, et qui reprend tous les problémes du temps pour en faire des problémes de son univers personnel, de sa propre sphére d’expérience et de pensée, alors Goethe, dans ses ceuvres de jeunesse, représente ce type avec une perfection qui n’avait jamais été atteinte avant lui. Dans Les Souffrances de Werther, la bourgeoisie de l’époque voyait sa pathologie caracté- risée d'une maniére a la fois perspicace et flatteuse, tout autant que celle d’aujourd’hui dans la théorie freudienne. Goethe entreméla le récit de son amour malheureux pour Lotte Buff, la fiancée d'un de ses amis, avec les aventures amoureuses d’un jeune litté- rateur dont le suicide avait fait un certain bruit. Dans les états d’ame de Werther, le mal du siécle déploie toutes ses nuances. Werther n'est pas seulement Yamoureux décu qui, dans sa détresse, se tourne vers la nature comme aucun amoureux ne l’avait plus fait depuis la Nowvelle Héloise de Rousseau; c’est aussi le bourgeois dont la fierté se meurtrit aux bornes de sa classe, et qui demande & étre reconnu au nom des droits de l'homme, voire de sa simple réalité de créature. En lui, Goethe fait entendre pour la derniére fois avant longtemps l'élément révolu- tionnaire dans sa jeunesse. Si, rendant compte d'un roman de Wieland, il avait écrit: «Les nymphes de marbre, les fleurs, les vases, les tapisseries bariolées sur les tables de cette petite nation, quel haut degré de raffinement ne présupposent-ils pas? Quelle inéga- lité de rangs, quelle pénurie, oi s’étalent tant de plai- sirs; quelle pauvreté, ot s’étalent tant de biens'» 1. N.d.T.: Goethe, Schriften zur Literatur (« Rezensionen in die Frankfurter gelehrien Anzeigen der Jahre 1772 und 1773. 16. Der Goethe 67 — le ton est désormais un peu plus tempéré: «Ilya beaucoup @ dire en faveur des régles, comme a la louange des lois de la société!.» Dans Werther, la bourgeoisie trouve le demi-dieu qui se sacrifie pour elle. Elle se sent sauvée, sans avoir été libérée: d’ott la protestation de Lessing qui, avec une conscience indéfectible de son appartenance de classe, aurait voulu voir s’affirmer la fierté bourgeoise face a la noblesse, et réclamait de Werther une conclusion eynique?. Apres les complications inextricables de son amour pour Charlotte Buff, la perspective d'un mariage bourgeois avec une fille de Francfort, belle, remar- quable et considérée, pouvait apparaitre 4 Goethe comme une solution. «Un rare décret de l’étre tout puissant qui régne sur nous a donc voulu que, dans le cours de mon aventureuse carriére, j'ai appris méme ce que peut ressentir un fiancé>,» Mais ses fiangailles avec Lili Schénemann ne furent qu'un épisode tumultueux dans une lutte de plus de trente ans contre le mariage. Que cette femme ait sans doute été la plus remarquable, certainement la plus libre de toutes celles qui entrérent dans le cercle intime de Goethe, cela ne put en derniére instance qu'accroitre les réticences de I’écrivain & contracter avec elle une liaison. I prit la fuite en mai 1775 et partit pour Ia Suisse en compagnie du comte Stolberg. Ce voyage fut marqué par la rencontre goldne Spiegel [...]»), in Samuliche Werke, édition du Jubilé en 40 tomes, éd. Eduard von der Hellen, Stuttgart-Berl 1902 sqq.. t. XXXVL, 1, p. 33. (PR) 1. N.d. T.: Les Souffrances due jeune Werther, trad. B. Groetbuy- sen, in Goethe, Romans, Paris, Gallimard, Bibliothéque de la Pléiade, 1954, p. 12 sq. (PR) 2. N.d, T.: Gotthold Ephraim Lessing, lettre du 26 cee ea 1g, lettre du 26 octobre 1774 3. N.d. T.: Poésie et Vérité (IV, 17) (trad., op. cit., p. 449). (PR) i 68 Euvres avec Lavater. Dans la théorie physiognomonique de ce dernier, qui faisait alors sensation dans toute l'Europe, Goethe retrouvait quelque chose de I'es- prit dans lequel il abordait lui-méme l'étude de la nature. Par la suite, pourtant, il s’irrita du lien étroit que Lavater établissait entre l'étude du monde des créatures et sa foi piétiste. Sur le chemin du retour, Goethe fit par hasard la connaissance du prince héritier, le futur duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar. Celui-ci l'invita & sa cour, et Goethe ne tarda pas a s’exécuter. Ce ne devait @tre qu’une visite, il y resta toute sa vie. Goethe arriva 4 Weimar le 7 novembre 1775. Avant la fin de l'année, il était nommé conseiller de léga- tion, ayant siége et voix au Conscil d’Etat. Goethe lui-méme s'est rendu compte dés le début qu’en entrant au service du duc Charles-Auguste, il s'im- posait une sujétion qui allait étre lourde de consé- quences pour toute sa vie. Deux considérations étaient intervenues dans cette décision. A une époque ou J'agitation politique s'emparait de plus en plus de la bourgeoisie allemande, sa position lui permet- tait d'abord de toucher du doigt cette réalité-la. Son intégration a un rang élevé de l'appareil adminis- tratif, d’autre part, le soustrayait a la nécessité de choisir son camp. Malgré les tiraillements intérieurs qu'elle lui infligeait, cette position donnait 4 son action et A son personnage une assise au moins extérieure. A quel prix il allait devoir payer cette sécurité, Goethe aurait pu s’en rendre compte — si son indéfectible lucidité ne lui avait déja ouvert les yeux la-dessus — par les réactions interrogatives, ‘décues, indignées de ses amis. Klopstock, Wieland méme, comme plus tard Herder, furent heurtés par la largesse avec laquelle Goethe répondait aux exi- gences de sa charge et, plus encore, a celles que lui imposaient le mode de vie et la personnalité du Goethe 69 grand-duc. Car Goethe, I’auteur de Gérz et de Wer- ther, représentait la fronde bourgeoise. Son nom esait aan plus lourd que les tendances poli- ques, a cette époque, n’avaient guére d’autre expression qu’individuelle. Au xvimr sigcle, l'auteur reas encore prophéte, et ses écrits n’étaient que : spostille d'un Evangile qui semblait se traduire de {p acon la plus complete dans sa vie elle-méme. eimar, Goethe perdit l'immense autorité person. nelle que lui avaient conférée ses premiers écrite disons plutot: ses premiers messages. Mais comme 7 2 pei de lui que des choses extraordinaires, les légendes les plus absurdes virent le jour. On i que Goethe s’enivrait quotidiennement d'eau- le-vie, que Herder préchait en bottes et en €perons. & apres la messe, faisait a cheval trois fois le tour < église — est ainsi qu’on s'imaginait l'activité des génies dans les premiers mois 4 Weimar. Plus ese que la base réelle que pouvaient avoir ic telles exagérations, fut I’amitié entre Goethe et Charles-Auguste, dont les fondements furent jetés a cette époque, et qui devait plus tard garantir Ia régence intellectuelle et littéraire de Goethe: la pre- igre, depuis Voltaire, qui s'étendit & ensemble le l'Europe. «En ce qui concerne le jugement du monde», écrivait A cette époque le jeune Charles. Auguste, alors Agé de dix-neuf ans, « qui pourrait voir dun mauvais ceil que j'introduise le Dr Goethe dans ma premiére assemblée, sans qu'il ait été ni fonc- tionnaire, ni professeur, ni conseiller de la Chambre ou du gouvernement, cela n'y change rien.» Les souffrances et les tiraillements que Goethe endura pendant ces premigres années 4 Weimar trouvérent leur expression et un aliment supplé- pata dans son amour pour Charlotte von Stein. lettres qu'il lui adresse dans les années 1776. 1786 montrent, sur le plan du style, le passage pro- | | 10 Euvres gressif de la premiére prose de Goethe — cette prose révolutionnaire qui entendait «priver la langue de ses priviléges » — au large rythme apaisé qui roe dans les lettres dictées en Italie, & V'intention de la méme destinatrice, en 1786-1788. Sur le plan du contenu, elles constituent la principale source pour qui veut connaitre les difficultés que rencontra le jeune écrivain face aux affaires administratives et avant tout a la vie mondaine de la cour. Car Goethe n’avait pas dans tous les domaines la méme erect apprendre cet art, et «épia sur ce qu ‘on appelle les gens du monde le secret de leur talent lo» Tl n’aurait pu trouver plus dure école que cette rela- tion hautement exposée dans le microcosme dune petite ville de province. A quoi s’ajoute le fait aue Charlotte von Stein, méme dans les années ot oC communiqua si profondément avec l’univers de Goethe, ne bouscula jamais & cause de lui les codes de bienséance de la société de cour. Il fallut des années & Goethe, avant que cette femme ne prenne dans sa vie la place inébranlable et bienfaisante avi permettra a l’écrivain de fondre son image dans ia figure d’Iphigénie et d’Eléonore d’Este, aimée du Tasse. C'est grace a Charlotte que Goethe put s‘implanter & Weimar, et qu'il s'y implanta de cette maniére. Elle lui fit découvrir non seulement Ia cour, mais aussi la ville et la région. A cété de ses rapports de service, Goethe rédigeait toujours bn notes rapides ou plus développées a l'intention de Madame von Stein, oi, comme dans toutes ses lettres d’amour, il déployait la palette entire de ses dons et de ses activités, SOE EE ae ment comme dessinateur, peintre, jardinier, archi- 1, N.d. T.: Lettre & Charlotte von Stein du 1% jenvier 1780. (PR) Goethe nm tecte, etc. Quand Riemer! raconte comment Goethe, en 1779, sillonna pendant un mois et demi le duché, le jour inspectant les grandes routes, sélectionnant dans les services administratifs les jeunes gens aptes au service militaire, le soir et la nuit se reposant dans les petites auberges et travaillant a son [phigé- nie, il décrit en miniature ce que fut I’existence de Goethe durant toute cette période critique, exposée Amille dangers. Sur le plan littéraire, ces années virent naitre La Vocation théatrale de Wilhelm Meister, Stella, Cla- vigo, Les Lettres de Werther écrites de Suisse, Torquato Tasso et avant tout une grande partie de ses plus puissants poémes lyriques: « Voyage d’hiver dans le Harz», «A la lune», «Le pécheur», «Seul celui qui connait le désir», «Au-dessus de tous les sommets», «Secrets». Goethe, a cette époque, travaille aussi a Faust, posant méme le fondement intérieur de cer- taines parties du second Faust, puisque ce sont les expériences faites durant ces premiéres années a Weimar qui alimenteront le nihilisme politique cra ment exposé dans le deuxiéme acte. Goethe écrit en 1781: «Notre monde moral et politique est miné par des couloirs, des caves et des cloaques souterrains, comme une grande ville A la cohésion de laquelle personne ne pense ni réfléchit, pas plus qu’aux conditions de vie de ses habitants; sauf que celui qui en est quelque peu informé sera beaucoup moins étonné si un jour le terrain s’effondre ici ou la, si sou- dain une fumée [...] s’éléve ou des voix étranges se font entendre2, » Chaque effort que faisait Goethe pour renforcer 1, N. d. T.: Friedrich Wilhelm Riemer (1774-1845), familier de la maison de Goethe & Weimar, il participa a l'édition de ses écrits Posthumes et publia des Confidences sur Goethe (Mitteilungen tiber Goethe, 1841). (PR) : 2. N.d.T.: Lettre a Lavater du 22 juin 1781. (PR) 7 Euvres sition a Weimar |'éloignait davantage du cercle damis et du milieu créateur dans lesquels il avait débuté a Strasbourg et 4 Wetzlar. L’autorité incom- parable qui l’auréolait 4 son arrivée 4 Weimar et qu'il avait su faire valoir face au duc, reposait sur sa position dirigeante parmi les membres du Sturm und Drang. Mais dans une ville de province ae Weimar, un tel mouvement ne pouvait prendre pi durablement et ne généra que de tumultueuses extra- vagances sans lendemain. De cela aussi, Goethe prit conscience d’emblée, et il s'opposa a toutes les oa tatives visant a ressusciter l’esprit de Sasbeure Weimar. Lorsque Lenz y parut en 1776 et ai ne 4 la cour les maniéres échevelées du Sturm “ Drang, Goethe le fit expulser. C’était un aoe le sagesse politique — mais plus encore une dé! fense instinctive contre I'impulsivité sans bornes et le pathos qui avaient marqué le style de vie de sa jeu- nesse, et qu'il ne se sentait pas en mesure d’ assumer & la longue. Goethe avait vu dans ces malieux les ravages que pouvait provoquer le culte débri 7 génie, et il avait été profondément ébranlé Par : fréquentation de telles personnalités; c’est cc don Wieland témoigne a cette époque lorsqu’il écrit ane ami qu'il ne voudrait pas gagner la gloire de Go he au prix des soulflrances physiques qu'il avait di endurer. Aussi l’écrivain recourut-il par la suite aux moyens les plus rigoureux pour ménager cette sen- sibilité constitutionnelle. A voir combien Goethe s'est donné de mal pour se tenir a l’écart Scan tendances — de toutes les tendances nationalistes, par exemple, et de la plupart des tendances ar al tiques —, on se convainc qu'il devait redouter 7 étre directement contaminé. Lui-méme impute 2 cette constitution particuliére le fait qu’il n’ait jamais it d'ceuvre tragique. 7 : ous que Ta vie de Goethe A Weimar tendait Goethe B vers un certain équilibre — sur un plan extérieur, son intégration dans la société de cour s'acheva en 1782 avec son anoblissement —, la ville lui devenait plus insupportable. Son impatience prit la forme d'une mauvaise humeur pathologique a l’égard de Allemagne. Ti disait vouloir composer une ceuvre que les Allemands hajraient. Sa répugnance allait encore plus loin. Aprés deux années d’engouement juvénile pour l'art gothique, les paysages allemands, la chevalerie allemande, Goethe, A partir de l'age de vingt-cing ans, découvrit et cultiva au plus profond de lui-méme, d’abord de facon obscure et confuse, puis de plus en plus clairement au cours des dix années suivantes, une aversion pour le climat, les paysages, l'histoire, la politique et le caractére de sa nation. Il entretint avec passion et étaya par un sys- teme argumenté cet état d’esprit qui déboucha en 1786 sur son brusque départ pour I'Italie. Il a lui. méme présenté ce voyage comme une fuite. I] était travaillé par tant de superstitions et de tensions qu'il n’osa souffler mot de son projet A personne. Durant ce voyage de deux ans qui le conduisit jus- qu’en Sicile, en passant par Vérone, Venise, Fer- rare, Rome’ et Naples, deux décisions mirirent en lui. D'une part Goethe renonca a lespoir réguliére- ment renfloué de consacrer sa vie aux beaux-arts, S'il n’avait pas pris conscience de ce qu'il représen. tait aux yeux de la nation, si pendant longtemps il ne voulut pas quitter le réle du dilettante, cela tenait en partie a ses doutes quant a la destination de son génie; de 1a aussi les tatonnements et les mal- adresses qui ponctuent son travail littéraire. Ce génie portait trop souvent les traits du talent pour que l’écrivain en eit la tache facilitée Le grand art de la Renaissance italienne, que Goethe, sous l'in- fluence de Winckelmann, ne distinguait pas rigou- reusement de celui de l’Antiquité, fit naitre en lui, 74 Eves une part, la certitude qu’il n’était pas né pour étre peintre, d’autre part, cette théorie esthétique d’un classicisme borné, qui représente peut-étre le seul domaine od Goethe se montrait plutét en retard qu’en avance sur son temps. Sur un autre plan encore, Goethe se retrouva Iui-méme. A propos de la cour de Weimar, il écrit aux siens: « M'étant entié- rement débarrassé de I'illusion que la belle semence qui mérit dans ma vie et dans celle de mes amis doive étre semée sur ce terrain, et que ces joyaux célestes puissent étre sertis dans les couronnes ter- restres de ces princes, j'ai retrouvé Ie bonheur de ma jeunesse.» : C'est en Italie que Goethe tira d’une premitre ver- sion en prose la version définitive, en vers, d’Iphigé- nie. L'année suivante, en 1787, il acheva Egmont. Cette piéce n'est pas un drame politique, mais une caractérologie du tribun allemand, tel que Goethe, comme avocat de la bourgeoisie, aurait a la rigueur pul'incarner. Mais cette image de l'homme du peuple intrépide s'éléve dans une trop sublime clarté, et c’est dans la bouche de Guillaume d’Orange et du duc d’Albe que les réalités politiques trouvent leur expression la plus netie. La fantasmagoric finale — «La Liberté en habit céleste, baignée de lumiére, sige sur un nuage» — montre l'idée prétendument politique d’Egmont sous son vrai jour, comme une simple inspiration poétique. Du mouvement révolu- tionnaire de libération qui éclata aux Pays-Bas en 1566 sous la conduite du comte Egmont, ]’écrivain ne pouvait prendre qu'une vue étroitement bornée: du fait d’abord de son tempérament personnel et du milieu social oi s‘inscrivait son travail créateur, l'un 1. N.d.T.: Ce n'est pas en Italie que Goethe écrivit ces phrases, mais & Weimar, alors qu'il s était brievement dégagé de ses fone- tions & la cour (a Knebel le 21 novembre 1782). (PR) i | Goethe 5 et l'autre indissolublement liés aux notions conser- vatrices de tradition et de hiérarchie, mais aussi a cause de son attitude fondamentalement anarchiste et de son incapacité & reconnaitre le réle historique de I'Etat. Pour Goethe, l'histoire représente une suite interminable de formes de domination et de culture, dans lesquelles les grandes individualités, César comme Napoléon, Shakespeare comme Vol. taire, fournissent les seuls points d'appui. Il n'a jamais pu adhérer & aucun mouvement national ou social. Certes, nous ne possédons de lui aucune prise de position fondamentale et structurée sur ces pro- blémes, mais telle est bien la doctrine qui ressort de ses entretiens avec I’historien Luden!, ainsi que des Années de pélerinage de Wilhelm Meister et de Faust. Ces convictions déterminent également sa rela- tion avec l’auteur dramatique qu’est Schiller. Pour celui-ci, le probléme de I’Etat a toujours été central. L'Etat dans sa relation avec Vindividu fournit la matigre de ses drames de jeunesse, I'Etat rapporté au détenteur du pouvoir celle de ses ceuvres de matu rité. Le ressort des drames goethéens n’est pas le conflit, mais le développement. — La principale ceuvre lyrique de la période italienne de Goethe, ce sont les Elegies romaines, qui recueillent avec une précision et une perfection formelle dignes de l’Anti- quité le souvenir de maintes nuits d’amour romaines. La pente sensuelle toujours plus marquée de son caractére l'amena a se recentrer sur lui-méme et A restreindre désormais son champ d'action. Encore en Italie, Goethe adressa au duc une lettre qui est un chef-d'ceuvre de style diplomatique, pour obtenir d'etre libéré de toutes ses fonctions administratives et politiques. Sa demande fut acceptée, et si Goethe 1. N. d. T.: Heinrich Luden (1780-1847), historien allemand, professeur a Iéna, représentant du libéralisme national. (PR) 6 uvres néanmoins ne put retrouver que par de longs détours le chemin d'une production littéraire soutenue, la cause principale doit en étre cherchée dans ses rapports conflictuels avec la Révolution francaise. Pour comprendre ce débat intérieur, il faut envi- sager — comme dans toutes les prises de position dispersées, décousues, obscures que lui inspire la politique — moins la somme de ses improvisations théoriques que leur fonction. Il ne fait aucun doute que Goethe, fort des expé- riences qu’il avait faites comme conseiller de léga- tion bien avant le déclenchement de la Révolution francaise, ait tenu pour hautement problématique le despotisme éclairé du xvur siécle. S'il n’a toutefois pas pu se réconcilier avec la Révolution, ce n'est pas seulement en raison de son attachement profond au régime féodal, ni seulement parce qu'il refusait par principe toute remise en cause violente de la vie publique, mais avant tout parce qu’il lui répugnait, qu'il lui était méme impossible de réfléchir sur un plan fondamental aux questions que pose la vie poli- tique. S'il ne s'est jamais exprimé sur les «limites de l’action de I’Etat» d'une maniére aussi claire que, par exemple, Wilhelm von Humboldt, c'est parce qu'il poussait le nihilisme politique si loin qu'il n’au- rait osé en parler autrement qu’a mots couverts. I] suffit de dire que le programme que Napoléon mit plus tard en ceuvre, lorsqu’il chercha 4 démembrer le peuple allemand en différents groupes ethniques, n’avait aux yeux de Goethe rien de monstrucux, qui voyait au contraire dans cette totale désintégra- tion la forme extérieure d’une communauté dans laquelle les grands individus pourraient délimiter un champ d'influence — & I'intérieur duquel ils pourraient régner en patriarches, et, par-dela les siécles et les frontiéres nationales, s’envoyer leurs signaux spirituels. On a dit avec raison que I’Alle- Goethe 7 magne de Napoléon aurait été i incarnation ene aul pou Goethe, dene roman et francais, le terrain d'action le plus apna prié. Mais sa relation avec la Révolution est gale. ment marquée par l’extréme sensibilité, l’émotion pathologique avec Jesquelles il réagissait aux grands Politiques de son temps. Certains épi- eee de la Révolution francaise touchaient Vécri. in comme des épreuves personnelles, de sorte qu'ordonner d'une facon fondamentale et sur de Purs principes le monde du politique lui paraissait aussi impossible que de vouloir régler de cette maniére la vie privée d'un individu Particulier. deérait as, 8 Minstar de Lessing, comme le combat- 7 Hgarde des classes bourgeoi i plutét comme leur émissaire, leur ambassadeas auprés du féodalisme allemand et des princes. Cest a partir des conflits induits par cette position repré- oe que s'expliquent ses éternelles tergiversa- boneeas . grand représentant de la littérature pours classique — laquelle constituait le seul ‘itre incontestable dont pouvait se Prévaloir le peuple allemand pour Prendte rang parmi les nations culti, monde moderne — ne in i culture bourgeoise autrement ‘que dave te cok a 7 Brat féodal sublimé. Si Goethe rejeta la Revo. “ion Irangaise, ce ne fut certes pas point de vue féodal — a partir deTidee potter eat que toute culture, y compris la culture bourgeoise, ne pouvait prospérer qu’a l'ombre et sous la protec. Hon d'un pouvoir absolu —, mais aussi du point de vue de la petite-bourgeoisie, c'est-a-dire du simple particulier qui cherche craintivement a prémunir son existence contre les bouleversements politiques 8 ures qui se produisent a l’entour. Mais que ce soit dans le sens du féodalisme ou dans celui de la petite-bour- geoisie, ce refus n’était ni absolu, ni sans équivoque. C’est ce qui explique que, parmi les ceuvres travers lesquelles il essaya dix années durant de s’expliquer avec la Révolution frangaise, pas une seule ne put acquérir une place centrale dans l'ensemble de sa production. Entre 1792 et 1802, Goethe ne compose pas moins de sept ceuvres dans lesquelles il tente inlas- sablement de tirer de la Révolution francaise une formule irréfutable ou une image définitive. II ‘agit d’abord soit d’écrits secondaires — qui, avec Le Grand Cophte et Les Révoliés, marquent l'étiage de toute la production de Goethe —, soit — avec La Fille naturelle — d'une tentative qui était condam- née a rester a ]'état de fragment. C’est dans deux ceuvres qui chacune & sa maniére réussissent a trai- ter la Revolution pour ainsi dire en bagatelle! que Goethe se rapproche le plus du but recherché. Her- mann et Dorothée utilise ces événements historiques comme un arriére-plan ténébreux, qui fait ressortir tout le charme d’une idylle provinciale allemande, tandis que Goupil le Renard dissout le pathos de la Révolution dans une satire en vers, qui trés signi- ficativement se replie sur la forme médiévale de l'épopée animale. Toile de fond d'un tableau moral dans la premiére, la Révolution apparait dans la seconde de ces ceuvres comme une affaire d’Etat comique, un interméde dans l'histoire animale de Vhumanité. L'écrivain s’affranchit ainsi des traces de ressentiment qui sont encore perceptibles dans les précédentes tentatives de traitement de ce maté- riau, en particulier dans les Entretiens d'émigrés alle- mands. Mais que l'histoire & hauteur véritablement 1. N.d.T.: En francais dans le texte. (PR) Goethe 79 ee s'organise autour du monarque — telle est lam axime hiérarchique, féodale, qui garde le der- IS Cette partie de I'ceuvre. tant, c'est Précisément Ja figure du roi tat La bille fone a oh lui le Thoas d'fphigénie, le roi comme UGarbllon de Ta Revenge ois dans Te iment entrance «Revolution, se trouve ineluctable: wis, problemes pol tiques auxquels la production a ethe se trouva confrontée d; demizre déconnie du aun siécle le déterminoeers y verses échappatoires. Si refuge fut l'étude des sei ature Soa g ‘ciences de la nature. Schill ne s'est pas trompé sur la bade qui e ; part de dérobade qui entrait dans les activités scientifiques de Goethe en & Korner! en 1787: «L'esprit 2 modelé tous ceux qui font partie de cercle, Un fer épris Philosophique pour toute spé- ute recherche, & quoi s'ajoute u 2 In atta- chement a la nature poussé jusqu’a Palfectaion 4 a ~~ ses cing sens — en un mot, une certaine licité puérile de la raison les caractén: toute la secte qui Pentoure ici. On melee ecu ‘oure ici. On préfére cueilli os ae bi Pratiquer la minéralogie, que se perdre péculations. L’idéc peut étre sais ; I saine bonne, mais on peut aussi beaucoup exagérer. » Ces ar aux ce n’étaient pas faits pour rendre is réceptif aux événements politi ne comprenait l'histoire que ¢ seoie cia: relle, pour autant qu'elle western Hee pee ete elle, qu'elle restait liée a la créa tant g ture. Cest pourquoi la pédagogie, telle qu'il la développa 1. N. d. T.: Christian Gottfrie tionnaire allemand. proche sini ce Sern respondance suivie (4 volumes), (PR) t (1756-1831), haut fone , avec qui il eut une cor- 80 Euvres plus tard dans Les Années de pélerinage de Wilhelm Meister, fut le poste le plus avancé qu'il parvint & occuper sur le terrain de l'histoire. Cet intérét pour les sciences de la nature s‘opposait a la politique, mais également a la théologic; en lui, le spinozisme anticlérical de l’écrivain a trouvé son expression la plus féconde. Quand il prend position contre les €crits piétistes de son ancien ami Jacobi, pour qui la nature dissimule Dicu, Goethe retient avant tout de Spinoza l’'idée que la nature, comme I'esprit, est un aspect manifeste du divin. C'est cela qu'il vise lorsqu’il écrit 4 Jacobi: «Toi, Dieu t’a puni par la métaphysique [...], moi, il m’a béni par la phy- sique'.» — Le concept sous lequel Goethe expose les révélations que lui apporte le monde physique, est le «phénoméne originaire». 1 est initialement apparu dans le cadre de ses études de botanique et d’anatomie. En 1784, Goethe découvre que les os craniens résultent de la transformation des premiers éléments de la colonne vertébrale; l'année suivante il met en évidence le processus de la «métamor- phose des plantes», qui fait dériver tous les organes des plantes, depuis les racines jusqu’a l’étamine, de la forme foliacée. I parvient ainsi 4 concevoir une «plante originaire», que Schiller, dans son célébre premier entretien avec |'écrivain, définit. comme une «idée», mais a laquelle Goethe ne veut pas refu- ser toute réalité sensible. Les études scientifiques de Goethe tiennent dans l'ensemble de son ceuvre la place qu’occupe souvent, chez des artistes de moindre envergure, l’esthétique. On ne peut com- prendre cet aspect de la création goethéenne que si Yon garde présent a l’esprit qu’a la différence de presque tous les intellectuels de cette €poque, il n’a jamais fait sa paix avec la «belle apparence». Ce 1. N.d.T,; Lettre a Jacobi du 5 mai 1786. (PR) Goethe 81 aon pas l'esthétique, mais Vobservation de la nature g ‘ut permet de concilier la littérature et la poli- fiaue, Mais c'est Précisément Pour cette raison it se confirmer sur ce pl: i devant certaines im: i ‘le domaine eke ‘S innovations, dans le domaine tech- pigue comme dans le domaine politique. Au seuil oa €poque qui Sera celle des sciences de la Sion oh le aoc oltza si prodigicusement la préci- = c le champ des perceptions sensibles, il en : fan encore une fois aux anciennes formes d’étude de ja nature: «L homme en lui-méme, pour autant Se sert sainement de ses sens, est i le plus puis- sant et le plus exact des appareils c'observation Rayglate qui puisse exister, et le grand malheur ne 1ee osiaue moderne consiste précisément en ce pe des experiences sont, Pour ainsi dire dissociées + que l'on réduit [...] la nature & ies ce eee instruments artificiels!.» La destinas Premiére et naturelle de la science, , atur ice, selon Goethe st de Permettre & Vhomme de se rendre compte & 1 € Ses actes et de sa pensée. La mation du monde par la tech ‘est pes vial nde pz nique n’est pas vrai- ment son affaire, bien que, dams sa Vieillesse, il cidité l’immense por- ee - ce mouvement. La connaissance de la nature Ha 8 ses yeux de Plus haute utilité que de donner vie. I tire de cette conception i reux pragmatisme: « i est £6 a seul est eux pr 2 Ce qui est fécond, cela seul est. Goethe appartient 4 la fami la famille de ces grands espri ri pour lesquels, fondamentalement, Vart ‘existe pas comme réalité isolée. La théorie du phénomene br 1. N. d. T.: Goethe, Maximen und Refle . , lexionen, 6d. Mas Weimar, Verlag der Goethe-Gesellechale, 1907 foe ey 2Nod Te Ve c rent), (BR), VETS STAHL du pokme «Vermachinis» (eTestac 82 Euvres ginaire, en tant que connaissance Scena ee tituait pour lui en méme temps la vérital + os rie de art, tout comme la philosophie scol astique pour Dante et les arts techniques pour Diirer. ae tement parler, seules ses découvertes en er oe de botanique renouvelérent les perspectives la science. On s'accorde également a reconnaitre Vimportance de ses écrits sur lostéologie, fae mise en évidence de I’os intermaxillaire, au n a cependant pas une découverte. Sa Météoro! ogi, en revanche, ne suscita pas un grand écho, tan fa é - les plus vives contestations s’élevérent contre le Traité des couleurs — qui représentait pour Goet the le couronnement de son ceuvre scientifique, pet a étre méme, d’aprés certaines de ses secretions a son ceuvre tout entiére. La discussion aol ce texte, qui constitue le document le plus fourni de la science goethéenne de la nature, a ét€ récemment relan- cée. Le Traité des couleurs s'oppose font ee & optique newtonienne. L’antithése fon a nt dont procéde la polémique parfois extrémement : pre que Goethe soutint des années durant, ae bi Ie point suivant: pour Newton la lumiére F anche résulte de la combinaison de lumiéres on la dis que Goethe y voit la nature Ja plus simple, a plus indivisible, la plus homogéne que nous cone 7 juaires coborées's Le Tui des couleurs ent lumitres colorées'.» Le Traité « sage les couleurs comme des métamorphoses de. i lumiére, comme des phénoménes qui se fear a ja dans la lutte de Ja lumiére avec l'obscurité. Ou Vidée de métamorphose, la notion bores 7 est ici pour Goethe celle de la polarité, qui traverse toutes ses recherches. L’obscurité n’est as ne simple absence de lumiére — sans quoi nous 1. N.d.T.: Lettre a Jacobi du 15 juillet 1793. (PR) Goethe 83 sée 4 la lumiére. Dans le cadre de cette problé- matique, il s'avise a la fin de sa vie que l’animal et la plante se sont peut-étre développés A partir de leur état originaire sous I'action de la lumiére et de Vobscurité. Un trait caractéristique de ces tra, vaux scientifiques est que Goethe, ici, se montre aussi Ouvert & l'esprit de I’école romantique qu'il sen démarque dans son esthétique. — L’orientation Philosophique de Goethe se comprend beaucoup moins a partir de son ceuvre littéraire que de ses écrits scientifiques. Spinoza est resté pour lui, depuis Villumination de jeunesse consignée dans le célébre fragment « Nature», le saint patron de ses études de morphologie. C'est a travers elles qu'il put par la suite se confronter & Kant. Alors que Goethe reste hermétiquement fermé a la grande ceuvre critique — la Critique de la raison pure — et tout autant a la Critique de la raison pratique — c'est-a-dire A Véthique kantienne —, il nourrissait pour la Critique de la faculté de juger la plus grande admiration. Dans cette ceuvre, en effet, Kant rejeite V'explication téléo- logique de la nature sur laquelle s'appuyait encore la philosophie des Lumieres, le déisme. Goethe devait lerejoindre sur ce point, ses propres recherches dans le domaine de l'anatomie et de la botanique ayant amené sur des positions trés avancées dans l’attaque menée par la science bourgeoise contre I'approche ‘éléologique. La definition que Kant donne del'orga- nique, comme une finalité dont la fin ne se trouve pas au-dehors, mais a I’intérieur méme de la créa- ture, correspondait aux conceptions de Goethe. Les deux hommes s’accordaient pour penser que I'unité du beau, y compris du beau naturel, est indépen- dante de toute fin. Plus Goethe eut a souffrir des répercussions de la situation européenne, plus il chercha a donner un 84 GEuvres fondement solide a sa vie privée. C’est ainsi que I ‘on doit s’expliquer qu’il ait mis fin, peu ae ae ’Ttalie, a lation avec son retour d’Ttalie, a sa rel ne ton i i future femme, Christian Stein. Sa liaison avec sa e _ i é éme Epoque, constit Vulpius, rencontrée a la mi Saale i é it un grave scandale p. See Games Wel Il ne faudrait pour- société bourgeoise de Weimar. drat pour. voir dans cette liaison avec une fil peuple, ouvritre dans un atelier floral, le témoignage rune particulié desprit de l'écri d'une particuliére ouverture d’esp rivain i inisation de sa vie p) sur le plan social. Dans l'organis aay ait aucune maxim vée non plus, Goethe ne suivait aucune maxime, it pas de révolutionnaire. Christic Gabord mere que sa petite amie. Cone, liaison i é ment plus que marquable par son développement plu r son ‘origine Bien que Goethe n a SEE ae é r , ni peut-éire essayé de combler | te citron de niveau qui les séparait, bien que Chis: tiane ne dat pas seulement, par son origine, eral quer la société petite-bourgeoise ae i i ter de: i, par son mode de vie, hew pits plus ibres 6 plus einen, bien que Ta fate eon fat prise au pied de Ia lettre uct Sex parteraires Goethe ennoblit cette aes ’il avait choisie en dét ec elle la femme qu'il avait a pa position, si difficile en ace une owe eae é d'ame; en térable et une belle fermeté e oe i "Egli 7, quinze ans aprés leur union par l'Eglise en 1807, ans ap ral il i t la société a reco rencontre, il obligea la cour et A i avec Madame von ‘itre la mére de son fils. Mais avec Stein, c'est seulement apres des années de profonde aversion que se dessina une pale réconciliai ion En 1790, Goethe fut nommé ministre d Etat charg: des cultes et de l’enseignement, quoi s'ajouta un an irecti éa la cour. tard la direction du théatre de la cour: s Eoaenile il déploya une activité inépuisable, qui s’étendit d'année en année. Toutes les institutions Goethe 85 scientifiques, tous les musées, I’ niversité d'Téna, les établissements d’enseignement technique, les cho- rales, I'Académie des beaux-arts, étaient du ressort direct de l'écrivain, dont Vinfluence s'exergait sou- Vent jusque dans les détails les plus infimes. Paralle. Iement a quoi il s’attachait aussi & faire de sa propre maison un centre culture} européen. Son activité de collectionneur s‘étendait bien au-dela des domaines ou le portaient ses intéréts de chercheur et d'ama- teur. Ses collections allaient donner naissance au musée Goethe de Weimar, avec sa galerie de pein. tures, ses salles de dessins, de faiences, de monnaies, danimaux naturalisés, d’os et de plantes, de miné- taux, de fossiles, pour ne rien dire de ses collections de livres et d'autographes. L’universalité de Goethe ne connaissait pas de bornes. Quand il ne pouvait acquérir la maitrise d'un art, il voulait au moins y avoir la compétence d'un amateur. En méme temps, ces collections formaient le cadre d'une existence qui de plus en plus se déroulait en Teprésentation sous les yeux de l'Europe entiére. Elles conféraient on outre l’écrivain I’autorité dont il avait besoin pour organiser le mécénat princier & une écheile que l’Alle- magne n’avait encore jamais connue. Avec Voltaire, un homme de lettres avait su pour la premiére fois s'assurer une autorité européenne, et défendre face aux princes le prestige de la bourgeoisie par un mode de vie aussi imposant sur le plan intellectucl gue sur le plan matériel. Gocthe, & cet égard, est le suecesseur direct de Voltaire. Sa position, comme celle de Voltaire, doit se comprendre sur un plan Politique. Et s'il rejeta la Révolution francaise, i! sut exploiter plus délibérément et avec plus de virtuosité que quiconque le surcroit de pouvoir qu’elle apportait alexistence de l'homme de lettres. Certes Ja situation financiére de Goethe ne peut se comparer a celle de Voltaire, qui, dans la seconde moitié de sa vie, avait 86 Guvres is une fortune véritablement a eo pour comprendre la frappante opiniatreté fae a Fain faisait preuve en na Pe pas fea ea or qui se considera partir du tournant dv siécle pee le fondateur d'un patrimoine national ee «Durant toute cette décennie, ce cea qui inlassablement poussa Goethe a s' arrac Hath patti frees de l’action politique, mais aussi 4 | abs« pe conten lation de la nature, pour revenir @ la cr ye feraire. La premiere rencontre entre les deux Er i é yethe ihe denseuta dabord sane lft. Cela correspon Gait tout a fait a l'état d’esprit dans Ee ec hommes se trouvaient l'un ne “ ae aaa Jer était alors l’auteur qui, dans o omennan de re erieeey Carles avait traduit en formules tran i arlos, : Teaes'a conscience de son appartenance de classe: i i antit ate fer tematives faites par Goethe pour parvenir & une a enna eodérée, Tandis que le premier voulait cea Tutte des classes sur toute la ligne, le second s'était depuis longtemps ee solide Ce ae Gelaclasse bourgeoise restant en revanche Lea e iéfensive. Qu'il ait pu y avoir un compromis entre incense Qu tp See co Soe eer ciee de classe de la bourgeoisie alleman: fe & ait peu affermie. Ce compromis eut lieu sous signe de la philosophie kantienne. Dans i Lettres Sur l'éducation esthétique de l'homme, Schiller lus grand ich Cotta (1764-1832), le pl 7 on distaaat de Repogue, La maleon edition fone pa oe ‘encore aujourd'hui (Klett-Cotta). (PR) Goethe 87 appliqué a Vintérét esthétique les formulations radi- cales de la morale kantienne, en les privant de lear mordant aj igressif et en en faisant un instrument de construction historique. Cela permit une entente ou plus exactement un armistice avec Goethe. En rea, lité, le commerce entre les deux hommes devait toujours rester marqué par la réserve diplomatique gue ce compromis avait exigé d’eux. Avec un seru, pule presque anxicux, ils cantonnaient leur discus, sion aux problémes formels de Veeuvre littéraire. A cet égard, certes, elle marqua son époque. Leur correspondance constitue un document soigneuse. ment rédigé, soupesé dans ses moindres termes, qui, pour des raisons idéologiques, a toujours été tenuen plus haute estime que la correspondance plus pro- fonde, plus libre et plus vivante que Goethe entretint a la fin de sa vie avec Zelter'!. Le critique jeune- allemand Gutzkow a a juste titre parlé de la onde des «subtiles distinctions entre diverses tendances esthétiques, diverses théories artistiques» qui sans cesse reviennent dans cette correspondance; il a également raison d’en rendre responsable la criante dissonance que produit ici la rencontre de l'art et de Thistoire. Aussi les deux écrivains n'ont-ils pas tou- jours trouvé l'un chez l'autre beaucoup de compré- hension, méme pour leurs plus grandes csuvres. «fl était», dit Goethe A propos de Schiller en 1829, «comme tous ceux qui procédent trop de l'idée. Ii Wavait pas de repos, et n’arrivait jamais a finir Ld Il me fallait toujours tenir bon, écarter et préserver mes ceuvres et les siennes de telles influences?, » 1, N. d. T.: Karl Friedrich Zi di ‘lier (1758-1832), compositeur alle- mand. D'abord macon, ea a partir de 1800 l’Académie de chant de Berlin, avant d'accéder au poste de professeur a Teniree de ceite ville. Six volumes de correspondance avee Gesthe dont il fut ami depuis 1795. (PR) 2. Nd. T: Goethe a Eckermann le 23 mars 1829. (PR) 88 Euvres L'impulsion de Schiller profita d’abord aux bal- lades de Goethe («Le chercheur de trésor», «L’ap- prenti sorcier», «La fiancée de Corinthe », «Le diew et la bayadére»). Le manifeste officiel de leur alliance littéraire fut cependant les Xénies. L’almanach parut en 1795. Il prenait position contre les ennemis des Heures' de Schiller et contre le rationalisme vul- gaire, dont le cercle berlinois de Nicolai? était le foyer. Le coup porta. L'impact littéraire fut renforcé par |’intérét anecdotique: les deux écrivains assu- maient en effet collectivement la responsabilité de l'ensemble, sans révéler lequel était l’auteur de chaque distique particulier. Malgré toute la verve et Vélégance de l’attaque, il y avait dans ce procédé quelque chose de désespéré. Le temps de la popula- rité de Goethe était révolu, ct si son autorité s‘ac- crut de décennie en décennie, il ne devait jamais plus étre un auteur populaire. Le dernier Goethe, en particulier, nourrissait pour le public des lecteurs ce mépris prononcé qui distingue tous les écrivains classiques & l'exception de Wieland, et qui culmine dans certains passages de la correspondance avec Schiller. Goethe n'entretenait aucun rapport avec le public. «S'il exerga une puissante influence, il n'a jamais lui-méme vécu ou continué a vivre dans l'es- prit par lequel, a ses débuts, il enflamma le monde. » Tne savait pas ce qu'il apportait de positif a I’Alle- magne. Il a encore moins su s’accorder avec une direction ou une tendance quelconque. Sa tentative pour former avec Schiller un tel mouvement resta en définitive illusoire. C'est pour détruire cette illu- sion que le public allemand du xne siécle, & juste i, N. dT: Die Horen, revue publiée par Schiller de 1795 & 1798. (PR) 2. N. d. T.: Christoph Friedrich Nicolai (1733-1811), critique allemand et animateur de revues littéraires, représentant du déisme rationaliste des Lumiéres. (PR) Goethe 89 titre, a réguligrement cherché a oj ett gies cherché onpon: eden de Weimar sur la grande masse des Allemands n'est Pas passée par eux, mais par les revues de Bertuch et Wieland’, par I’Allgemeine Literarische Zeitung et le Teutscher Merkur. « Nous nous refusons», éerivit Goethe en 1795, «A appeler de nos veux les boule. versements qui pourraient en Allemagne ouvrir la voie & des ceuvres classiques?. » Ce bouleversement C'est I’émancipation de la bourgeoisie, qui se produi. en 1848, trop tard pour encore produire des ceuvres classiques. Le caractére allemand, 'esprit de Ja langue allemande:: telles étaient certes les cordes sur lesquelles Goethe jouait ses puissantes mélodies mais la caisse de résonance de cet instrument nétait pas I’Allemagne, c’était I'Europe de Napoléon. Goethe et Napoléon étaient habités par la méme vision: I'émancipation sociale de la bourgeoisie sous Ja forme politique du despotisme. C’était la '« impos. sible», I’«incommensurable », I’«insuffisant» qui les aiguillonnait au plus profond d’eux-mémes. Cette quéte conduisit Napoléon a sa perte. De Goethe au contraire on peut dire que, plus il avanca en ge, plus il conforma son existence a cette idée politique. il marqua délibérément sa vie du sceau de l'incom. mensurable et de l'insuffisant, et en fit le petit arché. type de son idée politique. S’il était possible de tracer de telles lignes de démarcation, on pourrait dire que lapoésie de Goethe symbolise la liberté civile au sein 1. N. d. T.: Rappelons que Christo 3 ph Martin Wieland (1733- 1813) avait, avant Goethe’ lat de Weimae une Aino Ae: mande», un centre culturel tourné vers humanisme liberal’ des Lumitres; Friedrich Justin Bertuch (1747-1822), éerivain et tra, ducer, était le cofondateur de Tallgemeine Lterarische Zeitung. 2. N. d. T.: Goethe, «Literarischer Sansculottismus», in lie Werke, op. ci, XXXVLp. M41 BR) em” Some | 90 Guwrres de cet Etat, tandis que l'organisation de son exis- tence privée correspond entitrement a la compo- sante despotique. En réalité, la vie comme I’ceuvre de l’écrivain montrent I'interaction de ces tendances inconciliables: sa vie, en associant la liberté de la transgression érotique 4 un rigoureux régime de «renoncement», son ceuvre, en esquissant une posi- tion dont la dialectique politique n’apparait nulle part plus clairement que dans le second Faust. C'est seulement dans ce cadre que l’on comprend com- ment Goethe, pendant ses trente derniéres années, a pu entigrement subordonner son existence aux caté- gories bureaucratiques de la compensation, de la médiation, de l’ajournement. Il n'y a pas de sens a vouloir juger son comportement sur un critére abstrait de moralité. C’est une telle abstraction qui rend si absurdes les attaques que Bérne, au nom de la Jeune-Allemagne, lanca contre Goethe. Les maximes et les traits les plus remarquables du mode de vie de |’écrivain, précisément, ne sont compré- hensibles qu’a partir de la position politique qu’ s'était forgée, dans laquelle il s'était projeté. Celle-ci présentait avec celle de Napoléon une affinité cachée, mais d’autant plus profonde, tellement déterminante que l'époque post-napoléonienne, la puissance qui avait renversé Napoléon, ne pouvait plus la com- prendre. Le fils de bonne famille grimpe |’échelle sociale, laisse tout derriére lui, devient I’héritier d'une révolution et d’une puissance devant laquelle tout tremble (Révolution francaise; Sturm und Drang), et & l'instant oi il a le plus profondément ébranlé l'ordre d'hier, par un coup d’Etat, fonde sa propre domination dans les formes mémes de l'ancien féodalisme (Empire; Weimar). Lhostilité de Goethe pour les guerres de libéra- tion, scandale insurmontable du point de vue de l'histoire bourgeoise de la littérature, semble parfai- Goethe 91 tement naturelle quand on la ray - posés politiques qui étaient les siens, Napcioee avant d’étre le fondateur de I'Empire européen, était aux yeux de l'écrivain "homme qui lui avait apporté un public européen. Lorsque Goethe, en 1815, se laissa finalement convaincre par Ifflend! décrire une piéce — Le Réveil d’Epiménide — pour célébrer entrée des troupes victorieuses 4 Berlin, il ne parvint a renier Napoléon qu’en se cantonnani A Vaspect chaotique, nocturne, de la puissance pri- mordiale qui, a travers cet homme, avait secoue 'Europe. Il n’avait aucune sympathie pour les vain. queurs. D'autre part, la douloureuse détermina, tion avec laquelle il chercha a se défendre contre Vesprit qui avait gagné I’Allemagne en 1813 traduit la méme idiosyncrasie qui lui rendait insupportable le séjour dans des chambres de malade ou la prox mité des mourants. Son aversion pour la condition soldatesque traduit certainement moins le rejet de 'a discipline militaire, fit-ce sous sa forme la plus rigoureuse, que la répugnance envers tout ce qui tend & dénaturer la figure humaine, depuis luni. forme jusqu’a la blessure. Ses nerfs furent mie 2 nude épreuve lorsqu'il dut, en 1792, accompagner le duc dans les rangs des armées alliées entrées en France. Goethe dépensa alors des trésors d'ingénio- sit€ pour se défendre des événements dont il était témoin et se réfugicr dans l'observation de la nature, les travaux d’optique et Ie dessin. Son livre sur Le Campagne de France est aussi important pour la Gonnaissance de Uécrivain, quril est faible et confus lans la discussion de: iti dans la diseus s événements de la politique orientation politique et européenne, voila ce qui 1. N. d. T.: August Wilhelm Iffl Z direct Theatre national de Berlin, PR) 1759-1814. direceur du wee 02 uvres caractérise les derniéres productions poétiques de Goethe. Mais c'est seulement aprés Ia mort de Schil- ler qu'il sentit ce sol inébranlable sous ses pieds. En revanche la grande ceuvre de prose qui aprés une longue pause fut encore remise en chantier et menée a bien sous I'influence directe de Schiller, les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister, est mar- quée par I'hésitation de Goethe a s'aventurer au-dela des avant-cours idéalistes de l'humanisme allemand, dou il devait ensuite parvenir 2 un humanisme cecuménique. L’idéal des Années d’apprentissage — la formation individuelle — et l'environnement social du héros — les comédiens — sont en effet rigoureusement ordonnés l'un a !’autre, ils sont tous deux des emblemes de cette sphére de pensée spéci- fiquement allemande de la «belle apparence» qui ne disait pas grand-chose a la bourgeoisie occiden- tale, alors en train d'accéder aux commandes. De fait, mettre des comédiens au centre de I’action, cétait presque une nécessité poétique pour un roman bourgeois allemand. Goethe esquivait ainsi toute réalité politiquement déterminée — il est vrai qu'il intégrera d’autant plus brutalement cet élé- ment dans la suite qu'il donnera vingt ans aprés a son roman de formation. Que I’écrivain ait ici pris pour héros un demi-artiste, cela assura & Wilhelm Meister, dans la situation qui était celle de I’Alle- magne & la fin du xvine siécle, son influence déci- sive. Il constitue le point de départ de tous les romans d’artiste du romantisme, depuis Henri d’Of- terdingen de Novalis et Sternbald de Tieck, jusqu’au Peintre Nolten de Mérike. Le style de l'ceuvre cor- respond & son contenu. «Nulle part ne se trahit la machinerie logique ou la lutte dialectique des idées avec le matériau: la prose de Goethe est une pers- pective de théatre, une piéce marement réfléchie, apprise, doucement chuchotée a l'agencement créa- Goethe 93 teur des idées. Les choses, chez lui, ne parlent pas elles-mémes, elles doivent s‘adresser a l’écrivain pour pouvoir prendre la parole. C’est pourquoi cette langue est claire, et en méme temps modeste, dis- tincte sans ostentation, diplomatique a lextréme! » _,dlest conforme a la nature des deux hommes que Vinfluence de Schiller se soit fait sentir dans le sins d'une incitation, d'une mise en forme de la produc, tion goethéenne, mais n’ait pas fondamentalement agi sur l'orientation de son travail. Si Goethe «est mis 4 composer des ballades, s'il a remis en chanticr Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister et le fragment de Faust, c'est peut-étre a Schiller qu'on le doit. Mais leur échange a propos de ces ceuvres por, lait presque toujours sur des questions de métien de technique littéraire. L'inspiration de Goethe ne s’en trouve nullement détournée. Il s’agissait d'une ami. tig avec l'homme et avec V'auteur Schiller, mais pas de cette amitié littéraire qu'on a trop souvent cra y voir. Goethe, pour autant, a pleinement mesure Ie charme extraordinaire et la puissance de la person. nalite de Schiller, et il leur a élevé un monument iprés la mort de ce i « Epil a“La apigs Ja mort de ce dernier, dans V«Epilogue a "La Aprés la mort de son ami, Goethe procéda a une réorganisation de ses relations personnelles. Il n'y avait désormais plus personne autour de lui dont le prestige pat de prés ou de loin rivaliser avec sa propre renomimée. A Weimar méme, il n'avait guere diinterlocuteur en qui il edt placé une confiance particuliére. En revanche, Zelter, le fondateur de TAcadémie de chant de Berlin, prit dans les pre. mieres décennies du nouveau sigcle de plus en plus d importance pour Goethe. Avec le temps, il devint pour I’écrivain une sorte d’ambassadeur qui le 1. N.d.T.: Citation non identifiée. (PR) 94 Guvres représentait dans la capitale prussienne. A Weimar méme Goethe rassembla progressivement toute une équipe d’assistants et de secrétaires, sans lesquels le formidable testament qu’il rédigea dans les trente derniéres années de sa vie n’aurait jamais pu étre mis en sGreté. Il placa pour finir sa vie entire, d'une maniére toute chinoise, sous la catégorie de Vécrit. C'est en ce sens qu'il faut envisager cette vaste agence de presse et de littérature qu’il consti- tua avec ses auxiliaires, depuis Eckermann, Riemer, Soret, Miller, jusqu’aux rédacteurs Krauter et John. Les Entretiens d'Eckermann avec Goethe sont deve- nus notre principale source concernant cette der- niére période, ainsi que l'un des meilleurs livres de prose de tout le xix siécle. Ce qui fascinait l'écrivain chez Eckermann, c’était peut-étre plus que tout ce gotit inconditionnel pour le positif, qui ne se trouve jamais chez les esprits supérieurs et seulement trés rarement méme chez les personnalités de moindre envergure. Goethe est resté étranger a la critique au sens étroit du terme. La stratégie artistique, pour laquelle il se passionne lui aussi par moments, prend chez lui des formes dictatoriales: elle passe par des manifestes, comme ceux qu'il rédige avec Herder et Schiller, et des préceptes, comme ceux qu'il adresse aux comédiens et aux artistes. Plus indépendant qu’Eckermann, mais pour cette raison aussi, il est vrai, moins exclusivement dévoué a l'écrivain, était le chancelier von Miiller. Ses Entretiens avec Goethe font également partie des documents qui ont forgé l'image de Goethe telle qu'elle fut transmise a la postérité. A ces deux per- sonnalités il faut adjoindre, non comme interlocu- teur de Goethe, mais comme l’auteur d’une vaste et pénétrante caractéristique de l’écrivain, le profes- seur de philologie ancienne Friedrich Riemer. Le premier texte important issu de cet organisme litté- | i Goethe 95 raire que s’était constitué l’écrivain vieillissant fut son autobiographie. Poésie et Vérité est une anticipa- tion de la derniére période de Goethe sous la forme d'une remémoration. C’est seulement dans le retour sur la jeunesse active de Goethe que se révéle Yun des principes les plus importants de cette vie. L’activité morale de Goethe repose en définitive sur un renversement positif du principe chrétien du repentir: «A toute chose dans ta vie efforce-toi de donner une suite.» «L’homme le plus heureux est celui qui peut mettre Ja fin de sa vie en rapport avec Ie commencement!.» Ce qui est 'ceuvre dans tout cela, c'est le besoin de faconner et de faire appa~ raitre dans sa vie l'image du monde auquel il s’était résigné dans sa jeunesse, le monde de I'insuffisance, du compromis, des contingences: de l'irrésolution érotique, de I'hésitation politique. C’est seulement sur cette base que le «renoncement » goethéen recoit son sens véritable, celui d'une terrible ambiguité: Goethe n’a pas seulement renoncé au plaisir, mais aussi @ la grandeur, & I'héroisme. C'est peut-Cire pour cette raison que I'autobiographie s'interrompt avant que le héros se soit fait une situation. Les événements mémorables des années ultérieures apparaissent dispersés dans le Voyage en Italie, la Campagne de France, les Annales. Dans les pages concernant les années 1750-1775, Goethe a inséré une série de caractéristiques des principaux contem- porains de sa jeunesse, de sorte que Giinther?, Lenz, Merck?, Herder sont en partie entrés dans l'histoire 1. N.d.T.: Goethe, Maximen und Reflexionen, o : 3 OP. cit., 1 140. (PI 2. N, d. T.: Johann Christian Giinther (1695-1723), le ius pee sonnel! des podtes du baroque allemand, n'est pas & strictement parler un «contemporain» de Goethe. (PR) aa NT Johann Heinrich Merck (17411791), éerivain et uubliciste allemand, fut 'ami nel rethe ir pzblicie, ‘ami personnel de Goethe’ partir de 96 Euvres de la littérature sous les traits que leur prétent les formules goethéennes. Mais dans ces descriptions, Goethe ne donne pas seulement vie A ccux q étaient alors ses amis ou ses concurrents: il met aussi en scéne sa propre dualité, telle qu'elle se détermine en termes d’affinité ou de conflit relative- ment a ceux-ci. Il obéit par la au méme besoin qui le pousse dans ses ceuvres dramatiques & opposer, avec Egmont et le prince d’Orange, "homme du peuple et homme de cour, avec le Tasse et Antonio, le poete et le courtisan, avec Prométhée et Epime thée, l'homme créateur et le réveur plaintif, avec Faust et Méphisto tous ces personages a la fois, comme autant de composantes de sa propre per- ene de ce premier cercle de collaborateurs dévoués, un cercle plus large se forma dans les der- niéres années. On y trouve le Suisse Heinrich Meyer, esprit réfiéchi d'orientation Figoureusement néo-classique, qui fut la caution de Goethe dans le domaine des beaux-arts et son auxiliaire dans la rédaction des Propylées, puis dans la direction de la revue Kunst und Altertum; le philologue Frie- drich August Wolf, qui montra que les épopées homériques sont I’ceuvre de toute une série de poétes inconnus, dont les récits ne furent que bien plus tard fondus ensemble et propagés sous le nom d’Homére. Cette découverte suscita en Goethe des sentiments partagés et Wolf fut par ce biais Tun de ceux qui, avec Schiller, le déterminérent & donner une suite a I'Zliade, cette Achileis qui devait rester & l'état de fragment. Un autre membre de ce a cercle fut Sulpiz Boisserée, le découvreur de la peinture médiévale allemande, I’exaltant avocat de Fart gothique, en tant que tel grand ami des roman- tiques et désigné par ceux-ci comme porte-parole de leurs convictions artistiques auprés de Goethe. Goethe 97 (Aprés des années d’efforts, il dut se contenter d'une demi-victoire, Goethe ayant finalement consenti a accueillir 4 la cour de Weimar une collection de plans et de documents relatifs a l'histoire et a la construction de la cathédrale de Cologne.) Toutes ces relations, comme une foule d'autres, sont I’ex- pression d'une universalité au nom de laquelle Goethe effaga délibérément les frontiéres entre I’ar- tiste, le chercheur et I’amateur: aucun genre poé- tique, aucun langage, ne pouvait gagner les faveurs du public allemand sans que Goethe aussitdt ne s'en occupat. Ce qu'il réalisa en tant que traducteur, auteur de récits de voyage, méme comme bio. graphe, comme expert et juge en matiére artistique, comme physicien, comme pédagogue, voire comme théologien, directeur de théatre, poéte de cour, homme du monde et ministre, tout contribua a accroitre sa réputation d’universalité. Le cadre de cette universalité fut cependant, de plus en plus, l'Europe, par opposition a I’Allemagne. Il voua une admiration passionnée aux grands esprits euro~ péens qui apparurent vers la fin de sa vie: Byron, Walter Scott, Manzoni; en Allemagne, en revanche, il encouragea plus d’une fois la médiocrité, et resta insensible au génie de ses contemporains Hélderlin, Kleist, Jean-Paul. En 1809, la méme année que Poésie et Vérité, parurent Les Affinités électives. Goethe, a l'époque ot il travaillait 4 ce roman, commencait 4 nouer des. liens solides avec la noblesse européenne, unc expé- rience qui lui mit sous les yeux l'image de ce public nouveau, fermement ancré dans le monde, qu'il avait déja voulu vingt ans plus tot, A Rome, prendre pour seul destinataire. C'est & ce public, a l’aristo- cratie siléso-polonaise, aux lords, aux émigrants, aux généraux prussiens qui fréquentaient les villes thermales de Boheme, le plus souvent autour de 98 Euvres Vimpératrice d’Autriche, que sont destinées Les Affi- nités électives. Cela n'empécha pas l'écrivain de jeter sur ces milieux un éclairage critique. Car ce livre dresse un tableau peu étoffé, mais extréme- ment pénétrant, du déclin de l'institution familiale dans ce qui était alors la classe supérieure. La puis- sance a laquelle succombe cette institution décli- nante n’est cependant pas la bourgeoisie, c’est la société féodale, restaurée dans son état primitif sous Yaspect des forces magiques du destin. Quinze ans plus t6t, dans le drame révolutionnaire Les Révoltés, Goethe faisait dire a son précepteur a propos de la noblesse: «Cette race turbulente ne peut cependant se défaire de la terreur secréte qui s'insinue dans toutes les forces vivantes de la nature, ni se dissi- muler les liens qui unissent a jamais la parole et I’ef- fet, l'action et ses suites'.» Ces mots, qui évoquent les ressorts magiques du monde patriarcal, consti- tuent Ie motif autour duquel se construit 4 présent Ie roman. C’est la méme facon de penser qui, dans Les Années de pélerinage de Wilhelm Meister, bloque les tentatives les plus résolues pour peindre l'image d'une bourgeoisie pleinement épanouie, et les raméne A une évocation des corporations mystiques du Moyen Age — la société secréte dans la tour. Goethe, qui donna au monde culturel de la bourgeoisie une universalité qu’aucun de ses prédécesseurs ou de ses successeurs n’attcignit jamais, ne pouvait se représenter ce monde autrement que sous la forme d’un Etat féodal sublimé. Et lorsque l’incurie de la restauration allemande, dans laquelle s'inscrivirent les vingt dernigres années de son activité, lui rendit V'Allemagne encore plus étrangére, ce {éodalisme de 1. N.d Ty: Les Révoliés, trad. J. Porchat, in Goethe, Théatre complei, éd. P. Grappin, Paris, Gallimard, Bibliotheque de la Pléiade, 1988, p. 933 sq. (trad. légerement modifiée). (PR) Goethe 99 réve recut d’Orient des traits patriarcaux. On vit alors poindre le Moyen Age oriental du Divan. En méme temps qu’il découvrait un nouveau type de lyrisme philosophique, ce livre offrait a la littéra- ture allemande et européenne la plus haute incar- nation poétique de l'amour de vieillesse. Ce n’étaient pas seulement des nécessités politiques qui ren- voyaient l’écrivain vers I'Orient. La puissanie florai- son que connut la passion érotique de Goethe dans son grand Age lui fit gotiter la vieillesse méme comme un renouvellement, voire comme un cos- tume, qui devait se confondre avec I’habit oriental sous lequel avait eu licu sa rencontre avec Marianne von Willemer. Le Divan chante le souvenir de cette bréve et enivrante féte. Goethe n'appréhendait 'his- toire, le passé, que dans la mesure oi il parvenait A les intégrer a sa propre existence. Dans la série de ses passions, Madame von Stein incarne l’Antiquité, Marianne von Willemer ]'Orient, Ulrike von Levet- zow, son dernier amour, la conjonction de ces figures avec les images des contes allemands de sa jeunesse. C’est ce que montre «L’élégie de Marien- bad», son ultime poéme d'amour. Goethe souligne Vaspect didactique de son dernier recueil poétique dans les notes relatives au Divan, ot, s'appuyant sur Hammer-Purgstall et Diez, il présente au public ses travaux d’orientaliste. Sous les cieux de I'Orient médiéval, parmi les princes et les vizirs, face aux somptueuses cours impériales, Goethe prend le masque de Hatem, le buveur vagabond et insou- ciant. II fait ainsi droit, sur le mode poétique, A ce trait caché de sa nature qu’il révéle un jour a Ecker- mann: «Les batiments et les salles magnifiques sont pour les princes et les riches. A vivre dans un tel cadre, on se sent apaisé... et l'on ne désire rien de plus. Cela est tout & fait contraire & ma nature. Dans un appartement somptueux, comme celui dont je 100 Euvres disposais 4 Karlsbad, je suis aussitét indolent et inactif. Un logis modeste, comme la mauvaise chambre of nous nous trouvons, un peu négligée, un peu tsigane, voila ce qu’il me faut: cela laisse & ma nature intérieure toute latitude de déployer mon activité et de tirer quelque chose de mon propre fonds!.» Dans la figure de Hatem, Goethe, réconcilié avec I'expérience de son age viril, laisse de nouveau libre cours au caractére instable, sauvage de sa jeu- nesse. Dans nombre de ces chants, l’écrivain, avec les moyens puissants dont il dispose, donne a la sagesse des mendiants, des buveurs ct des vagabonds la plus haute expression qu’elle ait jamais trouvée. Ce sont Les Années de pélerinage de Wilhelm Meis- ter qui font le plus vivement ressortir l'aspect didac- tique de la derniére période de Goethe. Ce roman, quill avait longtemps laissé de cété, avant de l'ache- ver a la hate, ce roman truffé d’inexactitudes et de contradictions fut pour finir une sorte d’entrepét, dans lequel l’écrivain faisait ranger par Eckermann le contenu de ses cahiers de notes. Les nombreuses nouvelles, les nombreux épisodes qui composent cet ouvrage ne sont reliés entre eux que de la maniére la plus lache. Le plus important est «La province pédagogique», une formation hybride extrémement remarquable, dans laquelle on peut voir la réponse de Goethe aux grandes ceuvres socialistes de Sis- mondi, Fourier, Saint-Simon, Owen, Bentham. II ne connaissait sans doute pas ces auteurs par une lecture directe, mais leur influence était assez forte parmi les contemporains pour pousser l’écrivain & essayer de concilier son orientation féodale avec la conception bourgeoise et pratique qui s‘affirmait de facon si vigoureuse dans leurs écrits. C'est 'idéal de V’éducation classique qui fait les frais de cette 1. N.d.T.: A Eckermann, le 23 mars 1829. (PR) Goethe 101 synthése. Goethe bat en retraite sur tous les fronts. I est extrémement caractéristique que I'agriculture constitue ici une matiére obligatoire, alors que pas un mot n’est dit de l'enseignement des langues mortes. Les «humanistes» des Années d’appren- tissage sont tous devenus praticiens et artisans Wilhelm est chirurgien, Jarno mineur, Philine cou- turiére. Goethe a repris de Pestalozzi l'idée de la formation professionnelle. L’éloge du travail manuel, déja entonné dans les Lettres de Werther écrites de Suisse, se fait & nouveau entendre ici. En ces années out les problémes de l'industrie commengaient a inté- resser les économistes, c’était une attitude passable- ment réactionnaire. Les idées socio-économiques auxquelles Goethe se rallie ici correspondent pour le reste & l'idéologie du philanthropisme bourgeois sous sa forme la plus utopiste. « Propriété et com- munauté» annonce une inscription a l'entrée du domaine modéle dirigé par I'oncle du roman. Une autre devise est: «De l'utile, en passant par le vrai, pour arriver au beau.» Il est caractéristique que le méme syncrétisme se manifeste dans lenseigne- ment religieux. Si Goethe, d'un cété, est un ennemi déclaré du christianisme, d’un autre cété, il res- pecte la religion comme la meilleure garantie de toute hiérarchie sociale. Il va ici jusqu’a se réconci- lier avec l'image de la Passion du Christ, qui pen- dant des décennies lui avait inspiré la plus vive répugnance. La figure de Macarie offre la meilleure expression de l’ordre social tel que Goethe le conce- vait, c’est-A-dire soumis 4 des normes patriarcales et cosmiques. Les expériences que lui ont apportées ses activités dans le domaine pratique et politique 1.N. d. Tus Les Années de voyage de Wilhelm Meister, trad. B. Briod, in Goethe, Romans, op. cit. p. 1000 et 997 (il sagit du roman appelé cirdessus et au t. I Les Années de pelerinage.-). (PR) 102 Euvres n'ont pu ébranler ces convictions fondamentales, bien qu’elles les aient assez souvent contredites. Aussi Ia tentative visant a concilier ces expériences et ces convictions, et a les exprimer dans l’unité d'une ceuvre, était-elle condamnée & garder ce caractére fragmentaire que révéle la structure du roman. L’écrivain lui-méme manifeste d’ultimes réserves lorsqu’il situe en Amérique l'avenir plus heureux, plus harmonieux, qui attend ses person- nages. Ceux-ci, & la fin du roman, émigrent vers le Nouveau Monde. On a appelé cela «une fuite orga- nisée, & la maniére communiste ». Si Goethe, dans ses années de maturité, se déro- bait souvent aux exigences de la création littéraire pour chercher dans les travaux théoriques et les taches administratives un terrain od il pouvait s‘abandonner plus librement a ses penchants et a ses humeurs, la derniére période de sa vie est mar- quée par le phénomene inverse: le cercle immense de ses continuelles études touchant la philosophie naturelle, la mythologie, la littérature, l'art ou la philologie, ses anciennes activités dans le domaine des exploitations miniéres, des finances, de la direc- tion théatrale, de la franc-magonnerie, de la diplo- matie, tout cela se resserre concentriquement en une derniére et puissante ceuvre littéraire: la seconde partie de Faust. Goethe, d’aprés son propre témoi- gnage, a travaillé plus de soixante ans a l'ensemble. En 1775, il en avait apporté le premier fragment, le Faust primitif, avec lui a Weimar. Celui-ci contenait déja quelques-uns des traits principaux de l’ceuvre ultérieure; la figure de Marguerite, le pendant naif de cet archétype de l'homme sentimental qu’est Faust, mais aussi la fille de prolétaires, la fille-mére, V'infanticide qui sera condamnée a mort, a laquelle les podtes et les dramaturges du Sturm und Drang avaient depuis longtemps déja allumé le tison de Goethe 103 Jeur critique sociale; la figure de M i étai déja moins le diable de b doctrine chrcmeen sat Yesprit de la terre évoqué dans les traditions magiques et cabalistiques; Faust, enfin, Ie titan pri mitif, frére jumeau d'un Moise esquissé dans des textes de jeunesse, et qui voulait comme lui arra- cher au Dieu-nature le secret de la Création. Ce fragment primitif parut en 1790. En 1808, pour la premiére édition de ses ceuvres, Goethe livra a I’édi- teur Cotta la premiére partie de la pi¢ce dans son état définitif. L’action commence ici A se dessiner dans toute sa vigueur. Elle s'édifie sur le « Prologue dans le ciel», qui montre Dieu le Seigneur et Méphisto pariant entre eux l'ame de Faust. Dieu laisse carte blanche au diable pour conquérir Faust Or celui-ci conviendra de céder son Ame a ce diable officieux si un jour il doit dire a l'instant: «Reste donc! Tu me plais tant! Alors, tu peux m’entourer de liens! Alors je consens & m’anéantir! Alors la cloche des morts peut résonner, alors tu es libre de ton service. Que l'heure sone, que l'aiguille tombe gue le temps n’existe plus pour moi!.» Mais le pivot de Vceuvre est que I’élan impétueux, infatigable, de Faust vers l'absolu met en échec les séductions de Méphisto, tout le cercle des joies sensibles est rapidement parcouru sans que rien parvienne A retenir Faust: «Ainsi, je passe avec transport du désir a la jouissance, et, dans la jouissance, je regrette le désir?.» A mesure que l’action se déve. loppe, les désirs de Faust s’étendent plus résolu. ment dans l'infini. La premiére partie du drame s'achéve dans les cris de souffrance qui s’élévent du cachot de Marguerite. Cette Partie, prise en elle- 1 4 ee a Faust, premigre partie, v. 1700-1706 (trad. G. de 2..N-d. T.: Ibid., v. 3249 sq, (PR) 4 k 104 Guvres méme, compte parmi les plus sombres créations de Goethe. Et l'on a pu dire que l'histoire de Faust, pergue au xvie siécle comme une légende universelle et au xvme comme une tragédie universelle de la bourgeoisie allemande, traduit dans les deux cas T’échec de cette classe. Avec cette premiére partie s'achéve l’existence bourgeoise de Faust. Le décor politique de la seconde partie se compose de cours impériales et de palais antiques. Les contours de VAllemagne goethéenne, qui percent encore A tra- vers le Moyen Age romantique de la premiére par- tie, ont désormais disparu, et tout le formidable mouvement de pensée auquel nous introduit cette seconde partie est lié en derniére instance & une vocation du baroque allemand, qui est aussi le prisme A travers lequel l’écrivain voit I'Antiquité. Toute sa vie, Goethe a essayé de se représenter I’An- tiquité classique sous un jour non historique, pour ainsi dire suspendue dans le vide; dans cette fan- tasmagorie classico-romantique qu’est « Héléne» il esquisse maintenant une vision de l’Antiquité qui pour la premiére fois lui permet d'instaurer avec celle-ci, 4 travers le passé allemand, une relation personnelle. Autour de cette construction, qui forme le troisigme acte de la seconde partie, s’organisent les autres éléments de I’ceuvre. On ne soulignera jamais assez combien cette seconde partie — et particuligrement les scénes situées dans la cour impériale et dans le camp de l'armée — comporte d’apologie politique, d’enseignements politiques tirés de l’action jadis menée par Goethe a la cour de Wei- mar. Si ]’écrivain avait finalement dd capituler devant les intrigues d'une maitresse princiére et, avec une profonde résignation, renoncer a ses acti- vités ministérielles, il esquisse a la fin de sa vie le tableau d’une Allemagne idéale de l'age baroque, dans lequel il magnifie toutes les possibilités de Goethe 105 Taction politique, mais accentue aussi jusqu’au gro- tesque toutes ses insuffisances. Le mercantilisme, YAntiquité ct V'expérience mystique de la nature, c'est-a-dire l’accomplissement de I'Etat par la finance, de l'art par l’Antiquité, de la nature par Vexpérience, telle est la signature de l’époque qu'in- voque Goethe: l'age baroque européen. Et ce n'est pas en définitive par I’effet d'un douteux ressort esthétique, mais en vertu d'une intime nécessité politique qu’a la fin du V° acte, le ciel catholique s‘ouvre pour nous montrer Marguerite dans la troupe des pénitentes. Goethe était animé de vues trop profondes pour, dans sa régression utopique vers l'absolutisme, pouvoir se satisfaire de Yordre établi par les princes protestants du xvine siécle. Soret a eu, a propos de I'écrivain, ces paroles péné. trantes : «Goethe est libéral d'une maniére abstraite, mais dans la pratique il penche pour les principes ultra!.» Dans la situation od la vie de Faust trouve son couronnement, Goethe traduit l'esprit qui prési- dait a sa propre action: gagner du terrain sur la mer, mettre en ceuvre un processus que l'histoire prescrit & la nature, par lequel elle s'inscrit dans la nature, voila comment il se représentait l’efficacité historique, et toutes les formes politiques ne valaient au fond, a ses yeux, que dans la mesure oit elles per- mettaient de préserver, de garantir une efficacité de ce type. C'est dans une combinaison mystérieuse, utopique, entre d'une part une intervention et une création d’ordre agro-technique, et d’autre part un appareil politique absolutiste, que Goethe voyait la formule magique qui allait volatiliser la réalité des luttes sociales. Un suzerain régnant sur des domaines gérés selon les principes de l'économie 1, N.d.T.: Goethes Gespriiche, éd. F. von Biedermann, t. IV, Leip- 2ig, Biedermann, 1909, p. 298 (F. Soret, 19 septembre 1830). (PR) 106 Euvres bourgeoise, telle est l'image contradictoire dans laquelle se traduit le bonheur supréme de Faust. Goethe mourut le 22 mars 1832, peu aprés avoir terminé la seconde partie de Faust. A cette date, VEurope était lancée dans une dynamique d’indus- trialisation galopante. Goethe avait prévu cette évo- lution. I] écrivait ainsi a Zelter en 1825: «La richesse et la vitesse, voila ce que le monde admire et ce que chacun désire. Les chemins de fer, les cour- riers rapides, les bateaux & vapeur et toutes les faci- lités de communication possibles, voila ce que recherche le monde cultivé pour se sur-cultiver ct, ainsi, demeurer dans la médiocrité. L'accés général a la culture a du reste pour effet que se généralise une culture moyenne: c'est a cela que tendent les sociétés bibliques, les méthodes d’éducation lancas- tériennes', et tout le reste. C'est a vrai dire le siécle des esprits capables, des hommes vifs et entrepre- nants, qui, doués d’une certaine habileté, sentent leur supériorité sur la foule, méme s’ils ne sont pas ‘eux-mémes doués pour les choses supérieures. Res- tons fidéles autant que possible a I'esprit dans lequel nous sommes entrés dans la carrigre, nous serons avec peut-étre quelques autres les derniers représen- tants d'une époque qui ne reviendra pas de sit6t?. » Goethe savait qu'il n’exercerait qu'une influence limitée sur sa postérité immédiate, et, de fait, c'est vers Schiller que se tournera la bourgeoisie lorsque renaitra en elle I'espoir d’instaurer une démocratie allemande. Les premiéres protestations significa- tives, sur le plan littéraire, vinrent des parages de la Jeune-Allemagne. Ainsi Borne: «Goethe n’a jamais 1. Nid. T.: Le pédagogue anglais Joseph Lancaster (1778-1838) avait notamment introdvit un systéme d'aide mutuelle entre les éleves (Monitorsystem). (PR) 2. Nd. T.: A Zelter le 6 juin 1825. (PR) Goethe 107 flatté que l'égoisme et la dureté de cocur. C'est pour- quoi il est aimé des sans-ceeur. II a appris aux gens instruits comment étre instruit, libéral, dénué de pré- jugés, et néanmoins égocentrique; comment avoir tous les vices, sans leur grossiéreté, toutes les fai- blesses sans leur ridicule; comment garder l’esprit pur des saletés qu'on a dans le coeur, comment se comporter mal avec bienséance et comment enno- blir la matiére la plus indigne par une belle forme artistique. Parce qu’il leur a appris tout cela, les gens instruits le vénérent!. » Le centenaire de la naissance de Goethe, en 1849, fut célébré sans éclat, comparé & celui de Schiller, dix ans plus tard, qui donna lieu 4 une grande manifestation de la bourgeoisie alle- mande. La figure de Goethe ne passa au premier plan que dans les années 1870, aprés la fondation de l'Empire, lorsque I’Allemagne commenca a cher- cher des personages monumentaux capables d’in- carner son prestige national. Dates principales: fondation de la Société Goethe sous le parrainage de princes allemands; publication des ceuvres de Goethe dans I'édition dite de la grande-duchesse Sophie, marquée par I'influence de la cour; pro- pagation d'une image impérialiste de Goethe dans les universités allemandes. Mais en dépit de l’iné- puisable flot de littérature généré par les études goethéennes, la bourgeoisie n'est que trés imparfai- tement parvenue & utiliser cet esprit puissant pour ses propres fins — et encore moins, cela va sans dire, & pénétrer ses intentions. Toute ’ceuvre de Goethe est pleine de réticences envers cette classe. Et s'il y jeta les bases d'une grande littérature, il le fit en détournant le visage. Aussi est-il loin d’avoir eu |. N. d. T.: Ludwig Borne, Gesammelte Schriften, t. VI. Viem Tendler, 1868, p. 127 (Rritiker: « Gothe's Briefwechsel mit einem Tene, 1868 1's Briefwechsel mit einem 108 Euvres l'influence que méritait son génie, on peut méme dire qu’ily a délibérément renoncé. Il le fit pour don- ner A son propos une forme que la bourgeoisie jus- qu’a aujourd'hui n’est pas arrivée a dissoudre, parce qu'une telle forme pouvait rester sans effet, mais ne pouvait étre ni falsifiée ni galvaudée. Cette intransi- geance de I’écrivain envers le mode de pensée du bourgeois moyen prit un caractére d’actualité avec la réaction contre le naturalisme, qui mit ainsi en lumiére un nouvel aspect de la production goe- théenne. Dans le néoromantisme (Stefan George, Hugo von Hofmannsthal, Rudolf Borchardt) on vit pour la derniére fois des écrivains bourgeois de haut niveau tenter, sous la tutelle des autorités feodales affaiblies, de sauver au moins sur le plan culturel le front de classe de la bourgeoisie; ce mouvement donna aux études goethéennes une impulsion scien- tifique considérable (Konrad Burdach, Georg Sim- mel, Friedrich Gundolf), tournée avant tout vers le style et les ceuvres du dernier Goethe, que le xixe siécle avait négligés. CEuvres TOME IL Traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch. Traduit avec te concours du Centre national du Livre. Gallimard ZO66

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