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'L'Alchimiste': parcours initiatique par James Burty DAVID 3 3 PREFACE Ce livre est né d'une rencontre dans la grande salle imposante du Conseil Exécutif de ! UNESCO a Paris. Représentant mon pays & ce Conseil, j'avais, dans un discours sur la Jeunesse et I'Avenir, cité plusieurs extraits de I'Alchimiste. Tout juste aprés mon intervention, le délégué de la Mission Permanente du Brésil & I' UNESCO vint me rejoindre pour me dire combien grande fut sa joie de m'avoir entendu faire référence au livre de son ami, Paolo Coelho. Rendez-vous fut pris pour la pause-café pour en parler plus longuement. Dans la salle des pas-perdus, j‘eus l'occasion d'expliquer a son Excellence, le Représentant du Brésil, la profonde impression que l'Alchimiste avait laissée dans mes réflexions personnelles. Je lui fis comprendre que cheminement de Santiago, ce berger andalou, devrait susciter en nous le besoin d’aller jusqu’au bout de nos réves pour découvrir Yessentiel. Les débats que nous venions d'entamer au Conseil Exécutif de I'UNESCO avaient effectivement démontré comment les conflits et les incompréhensions étaient souvent provoqués par un attachement presque pathologique au paraitre, niant ainsi ce qui constitue la force méme des hommes :|’étre intérieur, notre substance commune. Cette conversation se poursuivit le lendemain en vue de me permettre d'entrer en contact avec une collaboratrice de Paolo Coelho & Barcelone. Puis avec Paolo Coelho lui-méme. 2 Des mois auparavant, je m’étais livré & des réflexions profondes et soutenue sur l'Alchimiste. Javais constitué des notes abondantes pour les partager a certains initiés. Comme Santiago, j'ai moi aussi porté attention aux "signes" qui jalonnent le chemin. Ma rencontre avec le Représentant du Brésil, les correspondances avec Paolo Coelho & Rio de Janeiro et avec Mme Authunes a Barcelone furent des signes d'encouragement pour mener cet ouvrage a terme. J'ai lu l'Alchimiste pour la premitre fois le jour de la féte de Vindépendance de mon pays. Un 12 mars. Je n'ai fermé le livre que pour Participer aux cérémonies officielles. Sinon toute cette journée, combien symbolique et vivante, je devais la passer en faisant le parcours initiatique avec Santiago. Les cours de psychanalyse si magistralement prodigués A l'Université de Bordeaux par le Professeur Claude-Gilbert Dubois, me revinrent 4 l'esprit. Ses exposés sur Jung et les rapports de ce psychanalyste avec l'alchimie constituaient déja a I’époque pour moi de véritables invitations a la découverte de soi. Si le theme de I'Alchimiste accroche encore aujourd'hui dans un monde oii la science semble s'imposer en maitre c'est que nous avons pris conscience que nous mourons de soif tout prés de la source. Dans l'espace du dedans, insuffisamment exploré car vérouillé de l'extérieur, jaillissent des richesses infinies. C’est le lieu de tous les possibles. L'aire du miracle Le "langage du monde” n’est pas mort. II faut retrouver cette disposition intérieure qui permet de traduire ce langage afin d'accéder a la connaissance de soi. A l'instar de S antiago, j'ai voulu écouter ce merveilleux discours qui vient du fond des ages. Du fond de l'ame J.B.D. ICTION L'Alchimiste de Paolo Coelho est une véritable invitation au voyage. Notre ame n’est-elle pas une trois-mats cherchant son Icarie, écrit Baudelaire? Avec Paolo Coelho nous hissons les voiles. Cet auteur brésilien nous dérange dans nos certitudes, bouscule notre logique mathématicienne et, & l'aide d'un récit de voyage initiatique, nous rappelle qu'il existe un fascinant discours qui est malheureusement souvent étouffé par les bruits et les fureurs du monde extérieur. C'est le discours de la communion avec I'ame du monde. "Te crois beaucoup 2 la rébellion intérieure’, disait Paolo Coelho dans une interview accordée au Courrier de UNESCO en mars 1998. Sans cette insurrection pour remettre en cause l'impérialisme des dogmes, les illusions idéologiques et les discours insuffisants de la raison, lexistence humaine se réduirait 4 un parcours absurde de la naissance a la mort. L'Alchimiste nous offre les instruments de cette rébellion. Llauteur révéle des caches secr®tes au fond de l'ame, élabore des stratégies de refus contre des croyances imposées, efface les frontiéres entre le visible et linvisible, rompt les amarres pour partir vers ailleurs et nous indique le lieu du trésor. Par contre, la pédagogie du conditionnement vise 4 mater notre cOté rebelle et a mettre les hommes au rythme de l'idéologie dominante. Paolo Coelho nous pousse & d'autres audaces : croire & limpossible, méme si cela devait ébranler les fondements de la logique. Diailleurs c'est & travers le désert que son personnage Santiago fait le vide en lui pour ré-apprendre a vivre. Il faut oser s e mettre en route, comme Santiago, pour découvrir quill existe ailleurs (dans un fond impersonnel en soi) un univers ou |'étre réconcilie les opposés et les ambivalences dans un élan libérateur. La, lindividu et I'universel se rencontrent. En nous permettant de pousser les portes de impossible, l'Alchimiste nous ouvre du méme coup des perspectives d'un avenir insoupgonné. L’acte libérateur commence précisément par ce geste interdit. Parcourir l'espace du dedans “Mais les vrais voyageurs sont ceux-la seuls qui partent Pour partir; coeurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s'écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours: Allons!” Le Voyage, Charles Baudelaire Lavie est un voyage. Certains hommes, tels des somnambules prennent la route sans distinguer les signes qui jalonnent le chemin. Leur marche mécanique et ‘in-signifiante’ les conduit loin de lessentiel. Pourtant l'avenir est plein de promesses. Seuls ceux qui voyagent 2 l'instar de Santiago, courant le monde en toute liberté, découvrent finalement le trésor au pied de la Pyramide. Le voyage devient destin pour ces pélerins qui savent lire les signes indicateurs. Véritable alphabet de la vie, ces signes font de chaque étape une conquéte sur le superficiel et l'absurde, La vie n'a de sens que si elle est vécue comme une quéte perpétuelle, comme un devenir. Ce besoin de la quéte nait d'un questionnement, d'un profond désir de découvrir une existence plus authentique que celle aui est imposée par la naissance et les conditionnements. Cette voie place le voyageur dans la perspective des transformations intérieures progressives. 7 Trop d'étres humains traversent la vie en somnambules, disions-nous. "Combien d’hommes endormis"! regrette St. Exupéry dans Terre des Hommes. IIs n’ont pas la capacité de s'étonner et de déranger les habitudes qui sédentarisent leur Ame et leur conscience. Prisonniers des murs invisibles, ils finissent par s'accommoder la routine, aux préjugés, au confort illusoire du quotidien et s ent fatalement au bord du chemin. Santiago, lui, nous invite & une attitude plus audacieuse. “Nous devons étre toujours préts, songe-t-il, 2 affronter les surprises du temps.” Clest ce risque de I'émerveillement et de la provocation qui métamorphose la banalité de la vie en destin. Pour parvenir aux Pyramides, il faut tout d'abord étre déterminé a se mettre en route. Le voyage donne & Santiago un surcroit de conscience. Jusqu’a lage de seize ans, il avait fréquenté le séminaire, étudiant le latin, espagnol et la théologie pour entrer dans les ordres afin de plaire a ses parents. "Ses parents auraient voulu faire de lui un prétre, motif de fierté pour une humble famille paysanne qui travaillait tout juste pour la nourriture et l'eau, comme ses moutons”. Accepter le chemin tracé par les autres, méme par les siens, aurait contraint cet adolescent & vivre sa vie par procuration, a faire de son existence une projection du désir d'autrui. Or, la vraie vie commence par une rupture. Elle est déracinement, partance. Santiago confirme sa passion de la liberté A Melchisédec, Roi de Salem : "On voulait faire de moi un prétre, et j'ai décidé d’étre berger Dans cette déclaration avec un accent de révolte, le "On voulait” est sciemment placé en antinomie A ‘j’ai décidé. Une fagon pour cet adolescent d'affirmer et d'assumer la pris en charge de sa propre vie. Cette liberté de décision élimine du méme coup I'accaparement de sa vie par autrui. I] faut étre capable de choisir son propre destin. Etre homme, écrit Saint Exupéry, cest étre responsable. Or, la responsabilité repose fondamentalement sur des valeurs d'autonomie. I] est essentiel de se mettre en état de disponibilité pour faire le trajet vers d'autres étapes. Chacune d’elles est une rupture, un nouveau départ. Toute naissance, qu'elle soit physique ou spirituelle, est séparation, acte fondateur d'autonomie. Cette exigence d'une autre vie ne s‘établit pas sans risque et sans souffrance. Otto Rank, psychanalyste, parle avec raison du traumatisme de la naissance. D’une part une douleur accompagne cette rupture; de l'autre une dynamique (souvent violente) assure le passage a l'étape suivante. La formidable aventure de I'existence ne commence-t-elle pas elle aussi par une rupture? L'enfant qui nait es! sectionné du cordon ombilical pour vivre saliberté d’@tre. Plus tard, cest le sevrage. Puis, il traverse la vie par étapes successives : puberté, adolescence, vie d'adulte .... La vie est done une invitation constante au voyage. Pourtant certains se contentent du sur- place ou de faux-départs. Le risque du voyage est réel mais seuls triomphent ceux qui osent. Et Santiago ose. "Un beau soir, en allant voir sa famille, il s‘était armé de courage et avait dit 2 son pere qu’il ne voulait pas étre curé. Il voulait voyager”. Ila certainement fallu du “courage” & Santiago pour prendre le risque de rompre les amarres, bouleverser sa vie et se remettre en cause. Il sera berger et non curé car “seuls les bergers peuvent voir du pays". Une véritable provocation du destin. Le pére, sentant l'appel du destin pour Santiago, lui donne sa bénédiction et le laisse partir sur le chemin de la vie. Santiago part alors a la rencontre de sa Légende Personnelle. Il s'en va pour "connaitre le monde", son réve d’enfance, mais c'est surtout exploration de Iespace du dedans, expression chére a d'Henri Michaux qu'il entreprend. La route jusqu'aux Pyramides traverse le territoire de l'ame. Santiago se cherche en voyageant. Il s'enrichit au contact des autres et de lui-méme. Les frontidres géographiques et l'espace intérieur se confondent et se superposent. La route menant de la vieille église aux Pyramides devient donc chemin de la vie. Ce voyage est initiatique. Il engage celui qui l'entreprend sur le sentier du devenir et transforme magiquement les territoires connus en espaces de tous les possibles. A linstar de Santiago, nous sommes tous a la recherche d'un "trésor" - qu'il s'agisse du paradis perdu, de la réconciliation avec soi- méme, d'un état de bonheur, d'un réve. La démarche du berger andalou dans I'Alchimiste nous permet done de réfléchir sur l'importance du voyage et de laquéte. Nous pénétrons avec Santiago, comme des chevaliers d'autrefois ou des pélerins de légende, dans des lieux mythiques afin de découvrir le royaume secret en soi. Si l'objet de la quéte differe d'individu en individu selon son niveau de conscience, il convient de souligner que la démarche initiatique, elle, demeure inchangée depuis la nuit des temps. Le voyageur en quéte de lui-méme doit pouvoir se libérer d'un destin imposé par les autres. I] ne peut plus s‘installer dans T'illusion des certitudes. “Comment peut-on aller chercher Dieu au séminaire?” se demande Santiago, le berger andalou. Habituellement, cest dans un tel moule que se pétrissent les convictions au point oii le sacré a été confondu avec les institutions religieuses. Aussi la question du berger, loin de constituer une hérésie, est fondamentale. L'expérience de I'Universel ne peut étre enfermée dans des limites institutionnelles et dans des dogmes figés. "Tout le monde croit savoir exactement comment nous devrions vivre”. Cette absurde prétention, décriée dans I'Alchimiste, momifie I'ame. La Vérité est toujours un au-dela, Tobjet d'une quéte perpétuelle. Sous les eaux dormantes des certitudes, bien des courants s'agitent. Trop d’hommes s‘embarquent sur les flots de la vie en faisant naivement confiance a ces. eaux de surface. Liillusion du superficiel est dangereuse. I] est donc essentiel de se défaire des habitudes 11 et de remettre en cause les enseignements qui risquent d’anesthésier la conscience. La condition humaine serait une effroyable prison si I'homme ne ressentait pas au fond de lui-méme un élan, souvent irrésistible, de liberté. Il éprouve alors le besoin de dépasser son moi limité, de bousculer les notions qui le conditionnent et de rompre les amarres pour partir en quéte du renouveau. C'est dans ce contexte que les hellénistes considéraient la philosophie comme I'exercice de la mort et de la nouvelle naissance. Nous comprenons ainsi le geste de Santiago quand il prend la décision de briser les liens avec les institutions familiale et religieuse. Non pas qu'il les dédaigne mais il aspire plutét a les découvrir autrement, refusant précisément le poids et la sclérose des institutions. Tel l'albatros de Baudelaire, l'homme ne se sent réellement a l'aise que dans les espaces infinis. L'existence sur le pont du navire est étriquée, médiocre, invivable. La, on ne reconnait plus ce Dieu transcendant que "les cieux des cieux ne peuvent contenir", pour reprendre les paroles du prophéte d'Israél. Sur ce pont, on a banalisé et désacralisé la notion du sacré en l'enfermant dans des institutions figées. Le véritable temple a construire cest celui du coeur et de la conscience. Parce que l'homme est constamment inspiré par le désir de lailleurs, la quéte devient une démarche essentielle de son existence. On comprend ainsi pourquoi Santiago choisit non pas le chemin des séminaires mais celui du désert. Un voyage qui le méne dans un espace inconnu et infini: celui du dedans. II rejoint dans ce voyage tous ces héros mythiques la recherche des trésors: la patrie pour Ulysse, le toison d’or pour Jason, le Graal pour Perceval, le feu pour Prométhée ou l'immortalité pour Gilgamesh. Santiago comprend qu'il doit se libérer d'un moule pré- eeaeeEeEeEeEeu 12 fabriqué qui ne le convient plus. C'est le voyage qui va donner un sens a sa vie. Mais avant de prendre la route, il lui faut se défaire de son passé, le remettre en question afin de vivre une autre expérience, plus riche, plus libératrice. Le récit de voyage de Santiago nous ouvre des possibilités infinies. Nous découvrons avec lui des territoires interdits. Nous découvrons également que rien n'est absolument figé et définitif. Les certitudes renforcées par l'impérialisme cartésien et les convictions qui excluent celles des autres nous enferment invariablement dans des espaces restreints. Nous nous retrouvons alors dans une situation semblable & celle des prisonniers de la caverne de Platon, confondant ombre et réalité, Pour échapper aux limitations qui transforment notre condition d’homme en inacceptable scandale, il faut absolument faire éclater les frontires et rompre les amarres. Lautréamont disait : ‘Je suis le fils de I’homme et de la femme, d’aprés ce qu'on m’a dit. Ca m’étonne (...) je croyais étre davantage!" 11 s'agit de réinventer sa vie, de reconstruire I’étre qu'on est, comme I'écrivait Artaud. La vie est en effet bien plus riche que cette caricature que nous imposent la routine et les institutions figées. "Je suis un aventurier en quéte d'un trésor". C'est ainsi que se présente Santiago. Par définition, 'aventurier c'est celui qui refuse le confort et les programmes précongus pour laisser éclater en lui 'enthousiasme et Vélan vers l'infini du possible. Il préfére la violence des parois brisées a la paix d'une existence tide et banalisé Il préfere le risque du voyage au repos du conformisme. La vie authentique est infiniment plus vaste que les 13 limites imposées par le champ de la conscience et les exigences de la raison L'homme conserve dans le tréfonds de son étre la nostalgie d'un état mythique. L'expérience humaine était alors vécue comme totalité, indivisible et universelle. L'Alchimiste enseigne & Santiago les secrets de cette expérience : Taccés a la vie immédiate, profonde et authentique, la relation avec les états Primordiaux. Pour atteindre cet instant privilégié ow s'abolissent les contradictions dans le jeu libre et illimité de correspondances, il faut comme lécrit Henri Michaux, "se Parcourir" traverser le "sol venu du dedans". La, les gisements demeurent trés souvent inexploités En nous faisant suivre Santiago pas & pas dans son périple jusqu'aux Pyramides, Paolo Coelho nous permet également, sur le plan des analogies, d'entrer dans les royaumes secret de I'ame. Les pérégrinations du berger prennent alors une autre signification : celle d'une initiation. Le voyage initiatique commence toujours par une remise en question, done par une transgression de ces certitudes finalement qui sclérosent I'existence. Ce n'est pas une coincidence que la valeur étymologique du mot ‘transgresser" nous raméne a l'idée du voyage. "Transgressio”, “transgredi” signifient, au sens premier, ‘franchir’, ‘aller au- dela’ Dans 'Alchimiste, le marchand de pop-corn est a l'opposé méme du voyageur. Il a pris racine et s'est installé dans la routine. Pour lui, I'école de la vie a été plutét une école-caserne. Aucune ouverture sur des 14 univers infinis. Réves étouffés. Désirs bloqués. Le vieillard de I'Alchimiste le décrit ainsi: "Cet homme aussi a toujours voulu voyager quand il était enfant. Mais il a préféré acheter une petite carriole pour vendre du pop-corn, amasser de Vargent durant des années. Quand il sera vieux, il ira passer un mois en Afrique. Il n’a jamais compris qu'on a toujours la possibilité de faire ce que l'on réve. Cet homme "a toujours voulu voyager mais (...). Un ‘mais’ de ré ‘ance qui a étouffé ses réves. La vraie vie est ailleurs, disait Rimbaud. L'embarquement est toujours immédiat. La plupart des mythes et légendes évoquent des récits de voyage. L’ailleurs appelle et interpelle. Les nomades des temps anciens savaient par intuition qu'il fallait reprendre sans cesse le chemin du lointain pays. Aujourd'hui encore, on sent l'attrait des dépliants touristiques qui créent ce sentiment d'évasion, d'exotisme et d'enchantement. Nous nous surprenons a réver de liberté devant les affiches publicitaires du bleu des océans infinis, de ces plages dorées par le soleil ou de ces vertes montagnes dont le sommet enveloppé de nuages, donne l'impression de forcer la porte du ciel. Les fles lointaines, les déplacements interplanétaires, les voyages qui ménent au centre de la Terre, a vingt mille lieues sous les mers, ou dans le merveilleux pays d’Alice continuent a exercer sur nous la magie du dépaysement. Le Paradis n'est pas irrémédiablement perdu. Depuis I'exil de I'Eden, les hommes ont toujours préservé la nostalgie du "jardin secret”, Il est en soi ce jardin qu'il faut découvrir, défricher et apprendre a cultiver. Les alchimistes, eux, utilisent la métaphose du métal pour enseigner que I'or est secr8tement caché dans le plomb. Nous sommes 15 appelés a découvrir cette féerie intérieure qui permet au métal précieux de se libérer de la matiére vile. Le marchand de pop-corn, lui, s'est contenté de l'ordinaire, et de la facilité, renongant a la tentation de impossible. Il s'est installé, préférant acheter, vendre, amasser de l'argent” et attendre finalement le poids des ages pour s’évader pendant un mois en Afrique. Le choix facile. Toute une vie gaspillée cependant. Il croit avoir tout compris de la vie: son code social, son air de respectabilité, les biens matériels et le monde des apparences. “Les marchands de pop-corn ont un toit & eux, tandis que les bergers dorment ii la belle étoile” Ceux-ci dorment en plein air pour se remettre en route plus facilement. Les marchands de pop-corn, eux, s'installent, plagant ainsi dans I'aire de la mort. Seuls ceux qui revendiquent le droit a la liberté peuvent forcer les portes de l'infini. Is se event et partent. "LBve-toi, prends ton lit et marche”, dit Jésus au paralytique. Et le miracle s'accomplit. Le passage 3 la vie s‘organise selon un ordre précis : se lever et marcher. Une fagon également d'enseigner que la vie est mouvement, cheminement. L'installation paralyse. C'est pourquoi le miraculé des Evangiles n’a plus besoin de lit. Une nouvelle vie commence pour lui. Nous ne sommes pas éloignés de la définition méme de Vinitiation. ‘Initier’ vient de la racine latine qui signifie ‘commencer’. Le voyage initiatique commence aux portes dusacré. Le profane &ymologiquement (pro-fanum : hors du temple) commence sa quéte du 16 mysttre aux portes du temple. Il doit entrer dans laire du sacré et du secret Pour accomplir son voyage. Ce n'est pas un hasard que Santiago commence son trajet “devant une vieille église abandonnée". La, les images de la mort (mort symbolique, mort du "vieil homme - pour reprendre une expression Paulinienne) défilent. En voici quelques-unes : "le jour déclinait ....."; "une église abandonnée ....”; "le toit écroulé "; "la porte en ruines (.. ail s‘allongea” Le grain de blé doit mourir pour que jaillisse la vie, Ne peut done participer a la vie abondante que celui qui accepte de mourir a soi- méme. Crest lA tout le miracle de l'alchimie. Diailleurs, a la fin du roman, apres le long voyage vers la découverte du trésor (ce trésor intérieur) le chef rappelle que ce fut le trajet de la mort a la vie : "Tu ne vas pas mourir, dit-il & Santiago. Tu vas vivre...” 'citout est symbole. Il appartient au voyageur de faire jaillir le Véritable sens de la vie & travers sa démarche initiatique. Jakob Bohme rappelle la direction d'un tel voyage : "Va de ton homme extérieur dans Vintérieur”, Processus d'individuation vers le Soi, explique Jung. Transformation du plomb en or, ajoutent les alchimistes, Des téndbres de la caverne & la lumiére, enseigne Platon, Du péché & la rédemption exhortent les Evangiles. Ces enseignements, fondamentalement les mémes, invitent "homme a se laisser envahir totalement par ce torrent qui gronde souvent dans les profondeurs de son me. Baptéme intérieur qui le place dans une Perspective nouvelle : celle du sacré (dans son sens fort et profond), insaisissable par les sens et l'entendement. 17 Dans L'Alchimiste, le lieu privilégié de cet enseignement, est le désert. Le vieil homme explique a Santiago que "Ia tradition nous dit de crotre aux messages du désert (car) tout ce que nous savons, c'est le désert qui nous a enseign Paradoxalement, c'est dans le vide infini du désert que homme parvient a faire l'expérience de la Plénitude. La rencontre du Rien et du Tout devient alors un moment extraordinaire, un dévoilement du destin. Crest la riche expérience que fait Moise lors de son long périple de quarante ans dans le désert. Dans ce lieu sans frontitres, il apprend a connaitre la toute-puissance de Yaveh, a forger le destin d'une nation et & émerger dans l'histoire d'Israél comme une figure mythique. Le sable, les dunes et le vent ont été pour ce patriarche un langage initiatique. “Les hommes du désert ont I'habitude des signes”, dit le chamelier de l'Alchimiste. Avant d'arriver & ce niveau de conscience, le voyageur du désert doit tout d'abord apprendre & affronter les épreuves sans nombre: les mirages, labsence de référence, le découragement, la soif et I'isolement. Moise, lui méme, a un certain moment, refuse de guider le peuple d'Israél travers le désert dans l'apprentissage de la liberté. I s‘énerve, frappe trois fois le rocher par impatience et brise les Tables de la Loi dans un acces de colére devant l'idolatrie de son peuple. Mais le désert, c'est également I'aréne oti l'étre, aux prises avec lui-méme, découvre la grandeur de Dieu : la manne, le buisson ardent, la source jaillissant du rocher .... Le miracle est permanent dans ce lieu des transformations. 18 Chaque grain de sable est un instant de création, écrit Paolo Coelho. La rien narréte les regards. L'immensité de ces espaces renvoie a l'homme la dimension infinie de son étre. Celui qui affronte le désert doit tout abandonner : son confort, ses certitudes, ses attaches ..... ses brebis, le Dieu des séminaires, comme le fait Santiago. Il entre dans un royaume oi les codes sociaux et les signes habituels n'existent pas. Dans ce vide effrayant qui provoque le vertige, le voyageur ré-apprend a étre et & se structurer par rapport au néant et au silence. La, loreille apprend a écouter le silence, les yeux a voir le vide et la conscience & comprendre le langage du monde. Le voyageur retourne aux sources, au moment oi, comme le précise la Genése, la terre était informe et vide. Comme au commencement du monde. Mais également comme au moment de la mort. On retrouve & travers I'épreuve du désert tout le parcours initiatique de la mort a la vie, du dépouillement a l'épanouissement, du Néant a la Plénitude. Il n'existe aucun panneau indicateur dans ce lieu car chacun est invité A suivre sa propre piste, & s'engager dans une quéte tout a fait personnelle. La certitude des autoroutes y est totalement absente. Personne d'autre que le voyageur lui-méme ne connait la route. Paolo Coelho, en parlant de Légende Personnelle, souligne bien que cet itinéraire a travers le désert est non-programmé, C'est pourquoi Santiago se met a l'écoute des signes, des messages et des guides pour arriver jusquaux Pyramides. Le voyage de ce berger andalou n'est indiqué dans aucun guide touristique. Il n'est organisé par aucune agence. Il est tatonnement, recherche, enseignement et découverte. De méme, le voyage 19 dans le désert du dedans ne dépend ni des dogmes ni d'institutions. Il répond aux exigences du coeur. C'est la réponse que donne Atoum A Osiris dans Ie Livre des Morts. Toutes les traditions ont fait du désert le lieu de rencontre avec le sacré et le miraculeux car 1a Dieu se révéle sans intermédiaire. La également, homme apprend a creuser le puits de son atre pour faire jaillir cette Eau vive qui fleurit les déserts, Le désert convie donc a un véritable apprentissage. I] exige que le voyageur fasse le vide en lui-méme, quil se dépouille de son moi et ote ses sandales, a I'instar de Moise, car le lieu sur lequel il se tient est saint Lespace quill traverse est celui de la quéte et de la rencontre. Cest, pieds nus, prosterné, front sur le sable, devant le buisson ardent que ce prince égyptien se livre et se délivre. Ilse livre totalement & Yaveh qui lui ordonne de défier le roi d'Egypte et de libérer les Israélites. Il se délivre aussi de son Passé de prince, de son Moi pétri de la grandeur et des splendeurs du palais. Quand il se rel8ve au pied du buisson ardent pour entendre la voix de ce Dieu qui s'impose comme le "Je suis", Moise est un atre métamorphosé. Il est 4 la fois le Libéré et le Libérateur. Le désert, ce lieu de la nudité, du vide et du silence est également celui de la découverte de soi et de la re-naissance. L'épreuve du désert, constate-t-on, a une dimension initiatique par excellence. Elle bouscule et empoigne l'homme, le contraignant, face & l'autorité du silence, & écouter la voix intérieure. 20 En affrontant le désert, Santiago apprend une lecon essentielle: "Plonge-toi donc plutét dans le désert, dit I'Alchimiste, Il sert tila compréhension du monde aussi bien que n'importe quelle autre chose sur terre”. Le désert, matrice des grandes révélations, invite en effet le voyageur a plonger a I'intérieur de Iui-méme et a ramener la perle qui y est caché. Tout comme Nicodéme, perplexe, a demandé a Jésus de lui expliquer comment faire pour rentrer dans le sein maternel et naitre de nouveau, le jeune berger interroge ainsi l'Alchimiste :"Comment dois-je faire pour me plonger au sein du déserf? C'est vers la direction de son coeur quiil faut voyager répond celui-ci. Un voyage qui permet a l'étre d’éprouver en lui-méme toutes les possibilités que lui offre sa condition d'homme. Possibilités aussi vastes et infinies que le désert. Il existe en chacun de nous le désir d’éternité et la passion d'une vie de lailleurs. L'émotion profonde qui nous saisit face & l'inexplicable témoigne de cette vie cachée mais devinée et souvent intensément ressentie. Une vie transcendante que nous détruisons trop souvent dans le mensonge de la durée et de l'espace Profane. L'Alchimiste, lui, enseigne que "chaque instant de quéte est un instant de rencontre avec Dieu et avec |'Eternité". Une intuition de l'instant, pour citer le titre d'un ouvrage de Gaston Bachelard. L'expérience du voyage initiatique commence par la découverte de cette rencontre avec une autre dimension del'étre. "C'est justement la possibilité de réaliser un réve qui rend la vie intéressante", songe Santiago. Paradoxalement, le réve nous réveille de notre torpeur et nous permet de nous saisir comme totalité; En franchissant ce seuil interdit par la raison, nous désorganisons le monde prosaique et familier qui nous emmure. C'est notre 21 condition humaine que nous remettons ainsi en cause. Le point de départ de cette démarche repose sur le refus de se réconcilier avec des limitations inacceptables. L'instant devient alors éternité. Le réve se prolonge dans le réel. L'espace prend des dimensions sans limites. L'absurde retrouve un sens. On se souvient de Paul Eluard qui voulait "construire un monde i la taille immense de l'homme". Levons I'ancre pour cet ailleurs. Paolo Coelho utilise la métaphore du "flee de ia vie" pour nous embarquer vers des horizons toujours plus éloignés, toujours plus ouverts sur l'infini. Nous hissons ainsi les voiles avec Ulysse, Sinbad, Robinson Crusoé. Les voyages d’Ulysse par exemple et les nombreuses années qu'il passe a affronter les épreuves font de lui un héros qui continue a nourrir notre imagination. Les cyclopes, les breuvages magiques, les tempétes déchainées par le trident de Poséidon sont autant de signes qui révélent A Ulysse le secret de l'épreuve et du dépassement. Apres avoir vaincu la tempéte, il retrouve nu sur la plage et sombre dans le sommeil. Episode hautement symbolique. C'est un étre totalement métamorphosé qui sort de l'eau. Il est dénudé - comme pour reprendre une nouvelle vie. Le voyage initiatique conduit a la naissance de homme nouveau. La méme épreuve d'un voyage difficile conduit Robinson Crusoé sur une fle oit il sectionne tout lien avec sa vie antérieure. I] construit un autre monde a la dimension de ses réves. Les eaux qui ont provoqué la fois le naufrage et la nouvelle naissance de Robinson nous rappellent celles du liquide amniotique et du baptéme. 22 L'eau nous invite a pénétrer dans I'univers secret de la fécondation et de la gestation. Considérée comme la ‘materia prima’, elle s'impose dans toutes les cultures et les cosmogonies comme le fluide de la vie. Selon Plutarque, "les Egyptiens appelaient I'Eau la mere du monde, parce qu'elle semait dans l’Air les principes fécondants dont elle avait é imprégnée par le Soleil". Cette matrice primordiale prépare la naissance (physique) ou la nouvelle naissance (celle de I'ame). Parce qu'elle est informelle par nature, elle contient potentiellement toute forme de vie. Mais elle peut également détruire par la puissance qu'elle dégage au moment d'une tempéte ou sous effet d'une action dissolvante par exemple. Symboliquement, la mort par l'eau débouche sur une transformation. Cest le début d'une vie régénérée, car le néophyte en quéte diinfini retourne aux eaux originelles, se purifie et reprend le cycle de la vie La Gendse rapporte que la Terre et la race humaine ont elles aussi 6té régénérées par le déluge. Destruction et régénération. Mort et vie. Liancien disparait pour permettre une vie nouvelle de s'épanouir. Le rite de l'eau accompagne tout voyage initiatique. Dans certaines cérémonies, le nouveau-né regoit l'eau baptismale sur le front et dans d'autres, le néophyte adulte est plongé dans un tombeau liquide. Quand il en émerge, il nait 4 une vie purifiée. Chez les Esséniens, le baptéme prend une dimension cosmique évidente. En effet, chez cette secte contemporaine a Jésus, le baptistére avait douze cétés représentant le cycle du zodiaque. Ainsi le baptéme était une immersion, une intégration dans le cosmos. L'homme devenait alors un avec I'univers. 23 Aujourd'hui encore, le croyant qui entre dans l'espace sacré d'un temple ou d'une mosquée se régénére a travers le symbolisme de l'eau. Lun en se signant avec l'eau bénite; l'autre en ayant recours a I'ablution. Dans d’autres traditions, le bain est purificateur. Dans les eaux du Ganges en Inde, les dévots retrouvent le contact avec la conscience supréme en se plongeant dans cette rivigre qui coule constamment pour se perdre dans ia fini de l'océan, rappelant ainsi le mouvement toujours renouvelé de la vie qui finalement s'identifie dans le flot d'un infini cosmique. Chez les Japonais, cest un bain rituel plus au moins semblable que l'on retrouve dans la cérémonie du ‘misogi’. En évoquant le voyage sur ce "flenve de la vie", 'Alchimiste nous rappelle la réflexion d'un autre visionnair: Platon. Celui-ci écrivait fleuve est une voie de communication entre le visible et I'invisible”. Face au miroir de l'eau, Narcisse était si fasciné par le reflet visible de sa propre beauté qu'un jour il se noya dans le lac. Il meurt et renait fleur. Ainsi commence "Alchimiste. C'est dans les profondeurs invisibles du lac que se travaille la métamorphose de Narcisse en fleur. L'eau nous invite au voyage & Vintérieur de soi, dans les profondeurs abyssales de l'étre. Les héros mythiques des mers nous font toujours réver A ces lointains pays des légendes. "Notre dime est un trois-miits cherchant son Icarie", écrit Baudelaire. Voila pourquoi nous sommes toujours préts a nous embarquer avec Ulysses, Sinbad, Robinson Crusoe ..... Nous retrouvons dans leurs fabuleuses aventures sur les océans, celles que nous entreprenons dans notre univers onirique. C'est par I'Eau que tout (re)commence. 24 Les lieux de I'initiation et les signes qui suscitent I'éveil de la conscience sont multiples. Parfois, lors des voyages initiatiques, la rencontre avec I'Ineffable s'effectue sur la fleuve, a travers les mers ou dans les gouffres de locéan (comme Jonas par exemple). Parfois c'est a travers les foréts, ces "grands bois qui effraient comme des cathédrales” pour citer Baudelaire. Contes et fables, mythes et récits ott la forét est évoquée s'organisent autour du méme théme essentiel. C st le passage obscur ot le voyageur se perd pour mieux se retrouver. L'obscurité de la forét Venvironne. Il ne voit nile ciel qui est caché par les branches et les feuilles, ni le chemin qui méne hors des ténabres car les arbres brouillent constamment toute piste vers la sortie. Nous pensons a la réflexion de Dante dans la Divine Comédi: 1u commencement du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forét si obscure que la voie droite était perdue”. Cette forét chez Dante conduit vers la vie de l'au-dela. C'est le passage de cette vie a une autre vie. Espace des ténébres, la forét est donc apparentée au pays des morts. La mort initiatique est toujours un passage obligé vers la vie abondante. Dans ce lieu secret et difficile, le voyageur subit les épreuves de Terrance, des rencontres avec les loups, les ogres, les sorciers, les fées, les gnomes, de la végétation impénétrable.... La mésaventure de Chaperon Rouge, l'angoisse du Petit Poucet et de ses fréres dans la forét ont & jamais captivé notre imagination. Nous avons tous partagé les craintes de voyage de ces personnages de contes. 25 Nous avons également ressenti avec eux le bonheur de leur triomphe - sur le loup dans le cas de Chaperon Rouge ou au moment des retrouvailles dans Le Petit Poucet. Le voyage dans |e labyrinthe de la forét leur a permis de se réaliser. Comme dans le labyrinthe, une avancée en forét parfois égare le voyageur et parfois le rapproche de la destination. Seul celui qui sait persévérer malgré les impasses et les circumambulations parvient & la plénitude de soi. Dans un passage-phare sur les épreuves du voyage et les dispositions intérieures du voyageur, Paolo Coelho écrit: “Les animaux étaient épuisés, et les hommes de plus en plus silencieux. Le silence était plus impressionnant la nuit, lorsqu’un chameau qui blatérait (...) faisait maintenant peur 2 tout le monde : ce pouvait étre le signe d'une attaque. Pourtant, le chamelier ne semblait pas s'émouvoir outre mesure de la menace de guerre. “Je suis vivant”, dit-il au jeune homme, tout en mangeant une poignée de dattes, dans la nuit sans lune et sans feux de camp. 'Et pendant que je mange, je ne fais rien d'autre que manger. Quand je marcherai, je marcherai, c'est tout. s'il faut un jour me battre, n'importe quel jour en vaut un autre pour mourir", 26 Tout est dit dans ce passage. L'épuisement et la peur cOtoient la détermination de marcher. La conscience de la vie ("Je suis vivant") cOtoie celle dela mort ("n'importe quel jour en vaut un autre pour mourir”) Voila que la vie et la mort se retrouvent, se complatent jusqu’a devenir "une méme réalité, comme le jour et la nuit", pour citer Marc de Smedt dans lintroduction 4 La mort est une autre naissance. En effet, tout voyage symbolique fait revivre le cycle de la vie et de la mort. Des rites précis invitent l'initié 4 entreprendre le trajet au coeur méme des mystéres de I'existence. "O mort oit est ta victoire? O mort, cit est ton aiguillon?” écrit Saint Paul comme pour narguer la mort. La vie, la vraie - celle qui se trouve de l'autre cdté du désespoir, comme le soulignent l'Alchimiste et Jean-Paul Sartre dans Les Mouches - est un passage perpétuel de l'instant a I'éternité. Il faut naitre de nouveau, exhorte le Christ, c'est-a-dire passer de la vie imposée par la naissance & la vie assumée en pleine liberté. C'est cette foi en la vie toujours recommencée qui permet de vaincre les obstacles et refaire le monde. "Il n'avait pas un sou en poche, mais il avait foi en la vie” - voila '’élan intérieur qui inspire la démarche du berger. Sophocle et Platon considéraient que seuls les initiés qui avaient bu le breuvage sacré aux cérémonies d'Eleusis pouvaient prétendre recevoir la Vision de l'immortalité. L'initiation entraine le néophyte tout d'abord dans le royaume des morts avant de le faire renaitre & une vie plus abondante. Une vie enrichie par I'intelligence du coeur. Qu’on se souvienne de l'exhortation de l'Alchimiste au berger: "Ecoute ton coeur. II 27 connait toute chose, parce qu’il vient de !'Ame du Monde, et qu'un jour il y retournera”, C'est en effet le seul moyen d'appréhender le jaillissement de la Vie - celle qui est réellement digne d’étre vécue. Le voyage de la vie profane & la vie du temple est un combat. Ce rest pas sans raison que les rites initiatiques sont qualifiés d’épreuves - “L'Epreuve du Conquérant", précise l'Alchimiste a Santiago. Ailleurs, le Le vieux, parlant au berger, évoque "les Guerriers de la lumitre". cheminement vers la lumitre ne s'effectue jamais sans obstacle. C'est la lutte de Jacob. Le combat avec I'ange toute la nuit. Un corps a corps qui dure jusqu’a la victoire finale. II s‘agit en effet de conquéte comme le rappelle le chamelier ; "... tout homme est capable de conquérir ce qu'il veut et qui lui est néce re”. Cette parole est divine précise l'homme du désert. A Vissue du combat, Jacob regoit un nom nouveau: celui du vainqueur: "Ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israél, car tu as lutté avec Diew et avec les hommes, et tu as été oainqueur". Plus qu'un changement de nom, c'est le début d'une vie illuminée. "J'ai vu Dieu face 2 face”, dit-il. Linstant et I'Eternité se sont rencontrés et confondus. Le profane qui frappe & la porte du temple magonnique est, hui aussi, appelé a subir les épreuves - celles de la descente au centre de la Terre et de laveuglement sous le bandeau, celle du feu et du sang, celle des armes et del'humilité. Le néophyte triomphant (car il a toujours la liberté de renoncer avant d’entreprendre I'étape suivante) devient alors un initié, accédant aux secrets du temple. Ce n'est certes pas une coincidence que 28 dans le vocabulaire magonnique épreuve et voyage partagent la méme signification. Se comporter en conquérant est un art de vivre, un mode d’étre. Une fagon de retrouver le sens véritable de la vie, (de sa vie), de se créer constamment. “Plus on s’approche de son réve, plus la Légende Personnelle devient la véritable raison de vivre, pense Santiago. Les grands mythes nous offrent de nombreuses variantes de héros qui passent par les épreuves initiatiques pour renaitre a une vie de plénitude. Les douze travaux d'Héraclés par exemple sont trés connus. Chacune de ces épreuves lui révéle l'enseignement de la progression intérieure, de I'éveil d'une conscience plus lucide. Face & cette vaste conspiration d'obstadles, ce héros de la mythologie grecque s'éprouve et se réalise pleinement jusqu’a devenir le symbole méme de la force. Héraclés, comme tout initié, entreprend également le voyage & Vintérieur de la Terre jusqu'au royaume des morts & la poursuite de Cerbére. Puis, il remonte des enfers pour livrer d'autres combats contre la Mort. Il arrache Alceste, la femme du roi Adméte, & la Mort. Une autre épreuve Vattend. Bralé par une tunique qu'il ne parvient pas a ter, il s‘offre en sacrifice. Ayant fait dresser un biicher funéraire, il s'appréte & s'immoler mais Zeus intervient et l'emporte vers I'immortalité - étape supréme de Vinitié. On retrouve le méme schéma de ce voyage dans d'autres cultures. BE FReTEREeHRE SE EBESBEEBEEBEEEESBEEEBEESEEEE & 29 Chez les Egyptiens, Osiris, victime de la jalousie de son frere, Seth, est jeté dans les eaux du Nil a l'intérieur d'un cercueil. Commence alors le voyage vers une autre vie (l'eau du Nil - nous rappelle l'eau primordiale). Isis, soeur et épouse d’Osiris, retrouve le corps et le cache dans les marais. Mais Seth le repre et le dép&ce en quatorze morceaux. Nouvelle épreuve : la descente vers le séjour des morts. Cette fois encore, Isis parvient & sauver Osiris. Elle rassemble les morceaux des corps, sauf le pénis, de son frére-époux, lui insuffle la vie et s'allongeant sur lui congoit Horus, leur fils. La vie triomphe alors de la mort. C'est le but méme de tout voyage initiatique. On pourrait également évoquer le cheminement similaire de Dionysos qui descend dans le Royaume des Morts & la recherche de sa mére Sémélec. II doit lui aussi passer par I'épreuve de la mort afin de renaitre A une vie plus abondante. C'est dans la chair de Dionysos que le cep de la vigne est coupée a chaque fois que vient 'hiver. Ce dépecage nous rappelle la mort symbolique d'Osiris. Comme le pharaon, Dionysos renait. A chaque printemps, la vie reprend a nouveau. Dionysos accepte de se mesurer & la mort. Il triomphe et accéde a l'éternité. "En général, la mort fait que l'on devient plus attentif 2 la vie”, dit l'Alchimiste. C'est pourquoi la démarche initiatique vise a dépasser cet antagonisme vie-mort. Le néophyte, & travers les épreuves du voyage, se reconstruit et se renouvelle sans relache. I] sait que sa quéte débouchera sur une autre BReEeSeESSeE SESE SE SESE SB SB SE SB SS SB SS S&S ee 2 | 30 réalité car la mort ne peut étre la finalité de la vie. IJ le sait non pas par raisonnement mais par intuition. En vivant pleinement le symbolisme du voyage, il se place dans la perspective de I'éternité et communie avec le mysttre méme de la vie. Quand le voyageur ouvre son coeur et sa conscience aux richesses de la Vie il participe aux fonctions créatrices de TUnivers. "La vie attire la vie”, explique I'Alchimiste. Au berger qui ne parvient pas a rencontrer la vie dans le désert, l'Alchimiste insiste sur un paradoxe : "Montre-moi la vie dans le désert”, Cet espace du vide, de la stérilité et d'absence de vie est pour I'Alchimiste le creuset initiatique d’oi jaillira la vie. On ne peut saisir I'insaisissable qu'avec son coeur. L'appel de I'Alchimiste 4 Santiago prend une valeur prophétique. "Ecoute ton coeur, dit-il. I! connait toute chose parce qu'il vient de l’Ame du Monde, et qu'un jour il yretournera”. Mais ce coeur est "difficile entendre", avoue le berger. C'est un “coeur agité” et "traitre" qui le retient, 'empéchant de continuer le voyage La vie - la vraie - est une construction permanente, un combat de tous les instants. La voie vers le dépassement et la réalisation de soi est difficile. C'est un chemin couvert de ronces et d’épines. Les Evangiles précisent que peu I'empruntent précisément & cause des difficultés qui le jalonnent. Saint Paul évoque l'image de I'athléte et celle du soldat pour décrire l'attitude de celui qui aspire a orienter sa vie vers l'essentiel. La sanctification, écrit-il, est I'ceuvre de toute une vie. La construction de I'étre 31 est une oeuvre toujours en chantier, Construire, lutter, conquérir - ce sont IA quelques unes des métaphores pauliniennes qui évoquent ce combat. L'épreuve du chrétien prend parfois I'allure d'une course olympique. Ne savez-vous pas que ceux qui courent dans le stade courent tous? mais qu'un seul remporte le prix? Parfois encore, cest l'image d'un pugilat que l'ap6tre évoque. Dans d'autres épitres, c'est celle du soldat. Il a lui- méme, dit-il, "combattu” le bon combat, ayant ceint ses reins de la ceinture de la vérité, revétu la cuirasse de la justice, mis les chaussures du zéle, pris le bouclier de la foi, porté le casque du salut et I'épée de ‘Esprit. Cette évocation du soldat précise bien que la vie n'est pas un long fleuve tranquille sur lequel on se laisse bercer avec nonchalance. Saint Paul, tel le chef d'une armée, appelle les chrétiens au combat : "Je vous exhorte, freres, i combattre avec moi". Il décrit ainsi la nature de cette attaque : “Nous ne combattons pas selon la chair. Car les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles”. Nous sommes dans un registre autre que celui de la raison discursive et des causes relatives. Ce combat engage l'homme dans sa dimension invisible et éternelle. Il 'engage sur le chemin qui conduit au mystére profond de la vie. Santiago comprend ce miracle a la fin de son voyage: “Et le jeune homme se plongea dans I’ Ame du Monde, et vit que l’Ame du Monde faisait partie de !’Ame de Dieu, et vit que l'Ame de Dieu était sa propre ame. Et qu’il pouvait, des lors, réaliser des miracles”. Le mystere fait irruption dans le quotidien. Santiago entre alors dans l'espace du sacré. Il dépasse la connaissance conceptuelle et Tembrigadement des sens pour participer @ une différente dimension d’étre. Siil est une aventure qui semble depuis toujours illustrer cette démarche, est bien celle de la quéte du Graal. La légende de la Table Ronde nous entraine dans un voyage fascinant, plein de défis et de hardiesse, La forét de Paimpont, haut-lieu du mysttre et de féerie est aussi celui de I'épopée et du combat. C'est une aventure qui n'a ni commencement ni fin. Personne ne peut retracer avec certitude les origines du Graal; elle remonte aux temps anciens, Personne n'a jamais conquis l'objet de la quéte; il s'éloigne a chaque fois qu'on pense l'approprier. Ce qui compte cest la quéte, le voyage et la vision du Graal au-dela des considérations historiques. Bref, c'est le rituel initiatique qui nous intéresse bien plus que les recherches historico- littéraires pour savoir si la légende remonte a I'époque arthurienne, & la tradition celto-nordique, ot a la période anté-diluvienne. De méme, personne ne chercherait sur une carte du monde oit se situent ces terres perdues dans les glaces du Nord qui ont inspiré de nombreuses légendes de voyage et d'expédition. La, le héros Tristan, blessé au cours de son voyage, s'est laissé dériver au gré des flots pour atteindre les rives de I'Eternelle Jeunesse - évocation du Paradis Perdu. La, ont habité les Titans, ces géants qui ont nourri limagination des pottes de IAntiquité. Ces terres de légende ont également nourri des traditions alchimiques. La quéte du Graal - cette recherche de l'état matriciel - est souvent représentée par les voyages et les épreuves des chevaliers errants de la Table Ronde. Ceux-ci traversent le monde, se soumettent aux épreuves 33 de la route, pansent leurs blessures, se relévent et inlassablement prennent le chemin de la Terre Sainte. Le symbolisme de cette Jérusalem terrestre renvoie au temple intérieur, celui de l'ame. Santiago, lui, cherche le chemin de Egypte non pas géographique mais intemporelle. Nous sentons bien ala lecture de l'Alchimiste que le cheminement de Santiago vers les Pyramides n'est que prétexte pour nous faire voyager dans des mondes paralléles. Nous participons ainsi & Vaventure la plus merveilleuse qui soit : la quéte du sens profond de la vie. Chaque avancée de ces voyageurs de Iégende est une étape de plus sur le chemin de laffranchissement intérieur. Santiago aurait pu avoir eu une vie stéréotypée et stérile s'il n’avait pas écouté ses r8ves. C'est cette voix venue “dailleurs" qui, comme l'arrivée du Prince charmant dans La Belle-au-Bois Dormant, I'a réveillé pour le mettre en route. Sous le charme de ce réve il va rencontrer la gitane, puis le vieux roi, Fatima, I'Alchimiste ..... D&s lors, chaque étape du voyage est vécue comme une transformation intérieure. Santiago, qui a failli se retrouver cloitré, bloqué dans les dogmes de séminariste s'ouvre graduellement au véritable mystére de l'univers. IL commence a respirer au rythme de I'Ame du Monde. Et le miracle s'opere. En lui travaille l'alchimie d'une perpétuelle création. Son déplacement a travers le désert mythique a eu pour but de le relier avec lui-méme (avec ce teésor quil a toujours porté au fond de lui) et avec le monde. A travers les Ages, les hommes ont entrepris des voyages initiatiques précisément pour retrouver cette harmonie perdue avec l'univers. Tout le rituel du voyage et des cérémonies dans la loge magonnique (elle méme construite selon le mod?le de l'ordre cosmique) met l'initié en relation avec l'infini. Cette mémoire de I'éternité n'est jamais absolument effacée. Il suffit & l'initié de 34 savoir lire | ignes qui le raménent a l'état primordial. A l'instar du Petit Poucet qui suit les cailloux jetés dans la forét obscure pour regagner la demeure familiale. Nous portons tous au fond de nous des espaces enchantés Droit ce réve d'aventures et de voyage qui nous habite. Nous cherchons lévasion, l'ailleurs, pour mieux nous retrouver et devenir finalement ce que nous sommes. Le voyage raméne I'initié aux origines, cest-a-dire a l'Age d'Or, aux temps bénis de I'harmonie entre les étres et I'Univers. C'est le mythe de!'éternel retour. L'Eden retrouvé. Dans I'Alchimiste, le voyage de Santiago suit cette méme structure cyclique. Nous en reparlons plus loin. Il revient cependant au point d'origine avec toute la richesse d'un étre transformé. Pour ce libérer d'un destin morne, inacceptable et révoltant, l'homme sait intuitivement quill doit prendre le chemin du voyage intérieur. Tout autre cheminement nest qu'égarement. Le parcours de Santiago nous intéresse au méme titre que Vaventure du chevalier en quéte du Graal ou le voyage du pélerin de Compostelle. Chacun de ces déplacements éclaire la conscience et ouvre des portes sur l'infini. C'est surtout le sens caché de ces voyages et le symbolisme aui jalonnent le parcours qui invitent A un autre niveau de conscience. II ne s'agit pas d'un simple récit d’aventures mais d'une évocation initiatique répondant a une structure qui permet précisément a la conscience d’accéder & I'universel. Nous ne pouvons lire L'Alchimiste autrement. L'homme moderne a plus que jamais besoin de se ressourcer et de redécouvrir l'essentiel. Les idéologies et les dogmes, la religion conceptuelle et le messianisme technologique ont poussé les hommes & la dérive, tels des bateaux ivres, sur Tocéan déchainé de civilisations fatiguées, Test devenu familier aujourd'hui de décliner l'identité des étres humains Par rapport a la race, a la couleur de I'épiderme, au taux de croissance nationale, A des regroupements géographiques et aux blocs économiques. Pourtant écrit Saint Jean Damascéne, “chaque personne contient l’unité par sa relation aux autres non moins que par sa relation ht soi-méme”. C'est cette méme leon d'unité qu'enseigne I'Alchimiste A Santiago tout au long du voyage Des valeurs illusoires ont tellement voilé la Tradition (a ne pas confondre ici avec des valeurs dépassées) que le fondement commun de la conscience humaine a été oublié. On préfére compter le nombre de puits que de savoir quiils sont tous alimentés par la méme eau souterraine. On préfére conquérir l'espace sidéral que de comprendre que dans le mot ‘univers’ existe une constante invitation ‘vers I’Un’, vers I'Harmonie, et la Totalité’. Le voyage de Santiago nous raméne a l'essentiel. C'est pour cela que I'Alchimiste a eu le succés que l'on sait. Face au vide de l'ame et au malaise dans la civilisation, pour reprendre le titre d'un ouvrage de Sigmund Freud, les hommes ont besoin de retrouver des valeurs authentiques et éternelles. Cette découverte Passe impérativement par une initiation. Sur ce chemin en effet, de nombreux signes se présentent mais ils demeurent arbitraires, stériles et incompréhensibles s'ils ne sont pas vécus intérieurement. Santiago est appelé & devenir vent, faucon, désert, pierre .... et finalement "porter Dieu en Iui”. Quand Ia distance et les contradictions 36 sont abolies, l'initié découvre alors le trésor : 'identité commune de toutes choses, comme I'a enseigné le vieillard de I'Alchimiste. La fin du voyage est toujours une invitation a d'autres départs. J arrive", dit Santiago a la fin du récit en réponse au message du vent qui lui apporte le parfum et le murmure du baiser de Fatima. 37 L'Alchimie: une quéte de soi "Transformez-vous de pierres mortes en vivantes pierres philosophales” Dorn, cité par Jung “Ars Regia" - art royal. C'est ainsi que les maitres des forges ont désigné l'alchimie, Métaux vils transmués en métaux nobles. Métamorphose, mais surtout métaphore d'un devenir. Ce plomb (état chaotique) qui devient or (harmonie, “immortalité", selon les textes post- védiques) rappelle d'autres miracles: celui de l'eau changée en vin, du chaos primordial en oeuvre de création, du moi en Soi. C'est dans sa relation avec la transfiguration de I'ame qu'il faut comprendre l'art de I'alchimie, ce processus de croissance vers la perfection. Il s'agit d'une voie mystérieuse et miraculeuse que I'initié emprunte pour retrouver I'état originel. C'est tout le secret du cheminement intérieur. N’ sst-ce pas d’ailleurs le voyage qui donne un sens a la vie de Santiago? "Tout ce que tu avais besoin de savoir, c'est le voyage qui te I’a enseigné, dit I’ Alchimiste au berger. Une sorte de seconde naissance. Toutes les traditions alchimiques soulignent cette méme démarche. Hermés Trimégiste, pre de l'alchimie, déclare dans le Livre des De Sept Chapitres : "L'oeuvre alchimique est avec vous, chez vous et en vous. la cabale juive au yoga indien, de la gnose hellénique a la nouvelle naissance chrétienne, du taoisme a I'épreuve maconnique, c'est la méme révélation d'un voyage a I'intérieur de soi qui est enseignée. LA se cache le 38 ‘trésor’ (un terme qui revient & plusieurs reprises dans l'Alchimiste) qu'il faut découvrir tout au long d'un parcours initiatique. C'est aux Pyramides que Santiago regoit la révélation. Enfin la lumitre. Enfin l'or, le trésor. Il ne s'agit pas ici de ruée vers l'or ou de l'accaparement de ce métal précieux par des moyens détournés. La démarche de la quéte est essentielle. C'est une recherche spirituelle qui prend appui sur la métaphore du travail secret des minerais dans l'utérus de la Terre ou des fourneaux des alchimistes. La métamorphose est une myst®re qui ne peut se comprendre qu'intuitivement a travers un rituel initiatique. Le trésor (Trés-Or, comme on parlerait du Trés-Saint : ymbole de perfection et d'immortalité; présence du sacré) ne se dévoile qu'au terme d'un long parcours intérieur. Le temple n'est-il pas en soi? L'homme moderne a perdu le sens du sacré et le chemin du royaume intérieur. La lecon de I'Alchimiste vient précisément nous rappeler, & travers une trés longue tradition ésotérique, le mythe et le mystére de la métallurgie. Paolo Coelho a raison de nous mettre de nouveau a l'écoute de parole venue du fond de la conscience. Le désert que traverse Santiago I'éloigne d'une existence conditionnée et creuse. C'est presque un lieu de purgatoire qui le raméne a l'essentiel, Voir avec le coeur. Vivre au rythme du souffle du Monde. Tout ce mystére est renfermé dans Tart de l'alchimie. La transmutation des minerais en or dans le ventre de la Terre-Mére renvoie métaphoriquement a l'expérience spirituelle de la nouvelle naissance. Il est utile de mentionner ici que dans de nombreuses civilisations, 'inauguration d'une mine est toujours marquée par des 39 cérémonies et des rituels qui conférent au travail soutérrain un caractére sacré. On n'entre pas dans les entrailles de la Terre comme on le ferait dans un super-marché. La se cache le secret (ou le sacré) de la gestation des minerais. La nature est mystérieusement au travail et seule une participation rituelle A ce processus permet I'accés a cet aire sacré. C'est dans cette méme disposition intérieure que les alchimistes s'approchent des fourneaux qui transmuent les métaux & travers de secrétes fusions. Cet “art royal" permet aux hommes de collaborer artificiellement a l'oeuvre de la Nature. Selon Mircea Eliade le fourneau est symboliquement assimilé a la matrice. Une image s'impose donc continuellement - celle de la gestation et de la naissance. II s'agit bien entendu de la naissance spirituelle de la découverte de Soi. C'est dans ce sens également que I'Alchimiste de Paolo Coelho ouvre des perspectives universelles. En se mettant A I’écoute du langage du monde, Santiago comprend le sens de I'Harmonie qui régit Tunivers. Il comprend surtout qu'au fond de son étre palpite un coeur qui veut lui parler. Un coeur qu'il n’arrivera jamais & faire taire, comme l'explique I'Alchimiste. Les préoccupations quotidienne et la routine étouffent trop souvent ce message venu du dedans. Eparpillé par le jeu des illusions, I’étre humain ne parvient pas a se rassembler et encore moins & saisir le mystére de I'harmonie universelle. Santiago apprend, tout au long de son voyage, 4 découvrir le sens caché de l'existence. "Mais tu es un Dieu qui te caches,” disait le prophete E ie. Le berger andalou passe derritre le voile pour ‘voir’ avec son coeur. La tradition alchimique est en effet un hymne a l'unité, "Tout est une seule et unique chose", enseigne le vieillard & Santiago. Il est édifiant de noter que des traditions les plus diverses attestent I'expérience des 40 transmutations alchimiques. De I'Egypte ala Chine, de la Gréce a I'Inde, de Babylone a Byzance, c'est le méme principe magico-religieux de la recherche de I'or que nous retrouvons. Cette tradition n'a pas disparu méme de nos jours. Les survivances conceptuelles se retrouvent dans la psychanalyse (Freud, Jung), dans les réflexions littéraires (Bachelard, Yourcenar [dans l'Oeuvre au Noir par exemple]) et dans les traités scientifiques (Darwin, Theilard de Chardin). Dans toutes ces traditions lor (le trés-or) symbolise la perfection, l'immortalité, le moyen de participer & la nature des dieux, la sublimation. Nous sommes la dans un double registre : celui d'une métamorphose naturelle de tous les métaux en or et celui du miracle de la métamorphose de I’étre intérieur, certains alchimistes n’hésitent méme pas & parler des transformations physiques "lorsque la poudre dorée entre dans les cing entrailles" comme I'écrivent les alchimistes chinois. Ainsi peut-on lire: “Les dents tombées repoussent @ leur place. Le vieillard ramolli est de nouveau un jeune homme plein de désirs; La vielle femme ruinée est de nouveau jeune fille” Chaque étape de la transmutation est une véritable conquéte du vil au sublime, de I’épais au subtil, du profane au sacré, de l'éparpillement a la communion. L'initié doit tout d'abord découvrir le principe constructeur (la pierre philosophale) avant d’accomplir ce Grand Oeuvre. L'Alchimiste, hui, “connait les pouvoirs de la Nature", rappelle Paolo Coelho. Tout le défi consiste a réaliser I'harmonie & l'intérieur de soi-méme tout d'abord afin de découvrir le secret de la création. Quand I'initié devient BEeEeBEBEHEESEE SSESBEEBESBSEESBSE SEE SE & 41 pierre vivante, il batit le temple de l'Esprit et participe ainsi a la création cosmique. "Détruisez ce temple (en pierres mortes) et je le rebitirai en trois jours (avec des pierres vivantes)", lance le Christ comme un défi a ceux qui s'attachent a la forme figée de la matitre. Il est lui-méme pierre angulaire. On réint&gre ici l'expérience alchimique. La pierre vit. Rejetée par les batisseurs, elle est devenue pierre fondamentale de la construction. Ce symbolisme minéralogique éclaire la vie de l'Esprit. Le dessein alchimique ne s'arréte certes pas 4 l'art métallique. Dans une perspective spirituelle, la perfectibilité des métaux sert d’analogie a la régénération de I'étre humain. Comme le plomb se transforme en or sous effet de la pierre philosophale, comme I'or passe par le feu pour se purifier, de méme homme doit-il constamment se défaire des scories de son moi pour tendre vers la réalisation d'une conscience supérieure. Ainsi comprise, l'alchimie ouvre a homme les voies de la sagesse. La fonction transcendante d'un tel processus passe par le mystére d'un travail secret. Comprend-on réellement la puissance de vie qui transforme ce grain de sénevé dont parlent les Evangiles en arbre dont les branches s'étendent pour abriter les oiseaux? Comprend-on la chenille qui devient papillon? L'ovule fertilisée qui devient foetus? La nature qui refleurit aprés I'hiver? Le chaos qui s‘organise en cosmos? Le mystére du devenir intérieur? La mort qui génére la vie et la vie qui transcende la mort? On pourrait ainsi continuer indéfiniment a s'émerveiller devant le secret et la réalisation du Grand Oeuvre. Toutes ces manifestations de la vie sont animées d'une méme pulsation. Tout est unique, enseigne I'Alchimiste. C'est le méme mouvement qui se répercute du minéral 8 la plante, de la plante a l'homme, de l'homme au Cosmos. Pour comprendre cette correspondance 42 permanente, il est essentiel de lire le monde différemment, d'accéder au sens allégorique et d’établir une relation magique avec le rythme de Tunivers. Il faut découvrir ce mystérieux langage de la connaissance intuitive: Le "La langage du monde", comme le rappelle Santiago qui remercie son Maitre de le lui avoir révélé. Ailleurs I'Alchimiste parle de ce langage comme celui “de la vie”. La connaissance de ce mystére passe par intelligence du coeur, par une compréhension qui identifie l'homme & Yobjet de son savoir. Toute une ré-éducation a effectuer. C'est pourquoi T'Alchimiste initie Santiago sur la voie menant aux Pyramides. "Souviens-toi de ce que je t’ai dit, rappelle 'Alchimiste au berger : Le monde n'est que la partie visible de Dieu. Et!’Alchimie, c'est simplement amener la perfection spirituelle sur le plan matériel”. Comment saisir un tel mystre si le coeur ne rend pas Vesprit réceptif? L'initiation, c'est recommencer a vivre autrement. Santiago part du désordre ("église abandonnée”, “toit écroulé", “porte en ruine") pour retrouver I'harmonie. Inspiré par un réve, encouragé par une vieille gitane, guidé par les nombreux signes qui traversent sa route, entrainé vers les mysttres de la vie par I'Alchimiste, Santiago entreprend le voyage de son propre devenir. Il réalise ainsi sa Légende Personnelle. Le parcours alchimique est un passage perpétuel vers un état supérieur. "Tous les jours ont été lumineux parce que je savais que chaque heure faisait partie du réve de trouver (le trésor)” affirme le berger. “Pendant que je cherchais mon trésor, j'ai découvert en chemin des choses que je n’aurais jamais songé rencontré si je n‘avais eu le courage de tenter des choses impossibles aux bergers”. 43 L'Alchimie spirituelle est un épanouissement de tous les instants, un profond désir de I'impossible et de l'irrationnel. La science d'aujourd'hui a réduit la connaissance A des démonstrations de laboratoire et A des explications mathématiques. Elle s'est, racornie en se limitant uniquement & l'observation et a la logique du monde extérieur. La science de I’ Alchimie, par contre, ouvre les champs de la connaissance et des “possibilités illimitées", pour reprendre une réflexion de Santiago. C'est une extraordinaire aventure. La littérature alchimique parle des élixirs de jeunesse éternelle, de longé é et d'immortalité. Le mystére du comte de Saint-Germain, la Fontaine de Jouvence, les iles des bienheureux (habités par des immortels), les puissances magiques entre l'homme et le Cosmos - ce sont 14 quelques aspects du mythe de la perfection tels qu’on les rencontre dans les écrits des alchimistes. “Le jeune homme découvrit que la partie liquide du Grand Ocuore était appelée Elixir de Longue Vie, et cet élixir non seulement guérissant toutes les maladies, mais empéchait aussi Ialchimiste de vieillir, lit-on dans 'Alchimiste. Les transformations qui s'operent dans l'ordre physique ne sont qu'un reflet du travail accompli dans le secret de I'ame. La légende de la Pierre philosophale n'a aucun pouvoir de séduction sur l'esprit rationnaliste. Lhomme moderne a malheureusement perdu le sens de la totalité. Il s'est exclu de ce ‘fond commun de l’humanité. IL faut retrouver les intuitions, I'instinct magique de homme primitif. "/’ai appris cette science de mes aieux, qui l'avaient apprise de leurs aieux, et ainsi de : a“ suite depuis la création du monde”, nous apprend I'Alchimiste. C'est pourquoi il connait le mystére des étoiles et du désert, le langage du vent et des oiseaux, le souffle de I'Ame du Monde et celle de Dieu. I connait également cette puissance de vie qui anime les minéraux, les végétaux et les humains également. Notre étre logique et conscient est bien trop limité pour saisir cet enchantement. Aussi, pour comprendre I'expérience initiatique de Santiago et lenseignement de l'alchimiste, le lecteur doit au préalable accepter de travailler sur lui-méme, de se laisser transmuer. [I lui faut apprendre en méme temps que le berger andalou, a jeter un regard neuf sur le monde. “Les alchimistes nous montrent que, lorsque nous cherchons a étre meilleurs que rrous ne le sommes, tout devient meilleur aussi autour de nous”. Cette pédagogie de léveil nous permet ainsi de vivre 4 un niveau différent du prosa que et du conditionnement de la routine. Cette démarche est une expérience vitale, Elle est un renversement des valeurs, une véritable subversion. "II existe un langage qui est au-delt des mots, découvre le berger au début méme de son voyage. Il ajoute, comme pour exprimer son désir : "Si je peux apprendre fi Aéchiffrer ce langage qui se passe de mots, je parviendrai i déchiffrer le monde". Afin d'accéder & cette voie la, Santiago devient un ‘hors-la-loi’. Il refuse Vimposture de la prédestination, les rgles étroites et orthodoxes de la logique, de la culture codifiée. "On a toujours la possibilité de faire ce que l'on réve" lit-on dans L'Alchimiste, Réver, c'est-a-dire se remettre en relation avec notre primitivité, retrouver ce "résidu archa; que” dont parle Freud Revivre la magie de sa préhistoire “En ce temps fa, toute la Science du Grand Oeuore pouoait s'inscrire sur une simple émeraude”, nous rappelle I'Alchimiste. BeeSBSSe SE SBS SB 82 83232 32832 82832 2 732 2 2 2 45 "En ce temps lt On pourrait tout aussi bien écrire : "I! était Nous voila dans le temps anhistorique. Hors du temps linéaire et profane. C'est & la rupture que nous convie Paolo Coelho. Rupture avec le Moi conditionné et fragmenté. Rupture avec une vie ‘sédentaire’ et abétissante. Toute rupture est une mort. Ce changement d'état permet & Tétre de se libérer et de s'ouvrir sur le sens véritable de la vie. Le principe alchimique soutient que la mort est le passage obligé vers la régénération. Nous avons oublié cette notion que la nature pourtant nous enseigne continuellement. La graine ne doit-elle pas mourir en terre pour que vive la plante? "L’Univers est fait en une langue que tout le monde peut entendre, mais que l'on a oubliée. Je cherche ce Langage Universel ....” dit I’ Anglais & Santiago. Ce langage oublié, seuls enfants le comprennent encore. L’Alchimiste le rappelle ainsi au jeune berger : "Nous n'en parlons gu'aux petits enfants”. Eux, au moins, sont encore capables d’émerveillement et de réves. Les baguettes magiques, la citrouille qui se transforme en carrosse, les animaux qui parlent, les fées qui se penchent sur les berceaux, le Prince Charmant qui réveille la Belle au Bois dormant d'un doux baiser, le Petit Poucet qui rentre chez lui aprés avoir erré dans I'obscurité de la forét - ce sont autant de situations fantastiques qui peuplent I'imaginaire enfantin. Elles permettent ainsi de recréer le monde, d’ouvrir l'accés & un au-dela du sens prosa que du monde. 46 "C'est un dréle d'exil d’étre exilé de son enfance” écrit Antoine de Saint Exupéry dans Lettres a sa mére. L'Alchimiste de Paolo Coelho nous raméne & ce pays mystérieux et enchanteur. Il utilise le langage universel des symboles, de l'imaginaire et des mythes. "N’oubliez pas le langage des signes”, exhorte le vieillard Lialchimie, comme les contes et les légendes, nous invite & la découverte des profondeurs de notre étre. La, linvraisemblance s'impose comme vérité. Une conversation entre I’Anglais et Santiago nous mene au coeur méme de ce mystérieux art métallurgique. Relisons cette conversation : "L’Alchimie est un travail sérieux. II est indispensable de suivre chaque phase de ce processus, comme les maitres l’ont enseigné Il n'est pas aisé de découvrir la Pierre Philosophale, dit V’Anglais. Les alchimistes restaient plusieurs années dans leurs laboratoires, t observer le feu que, dans leur for intérieur, ils en venaient peu ii peu ttabandonner toutes les vanités du monde. Alors, un beau jour, ils s‘apercevaient que la purification des métaux, en fin de compte, les avaient purifiés aux-mémes (...). pury De plus, reprit I’ Anglais, la Pierre philosophale posstde une propriété tout @ fait extraordinaire. Il suffit d’un tout petit fragment pour transformer de grandes quantités de vil métal en or”. a a Se Ss ese Ss Ss S&S Ss Ss SF st fF s&s = = + 62 lUerlUElUD 47 C'est presque un concentré de l'art de l'alchimie. La transmutation des métaux - du vil au précieux - correspond a la purification intérieure, apprend-t-on. Cette symbolique fait appel a notre pré-logique, a I'intuition. Ce processus de connaissance a été oublié, voire méprisé, par l'homme moderne. Le savoir aujourd'hui puise sa force de Vesprit d'analyse. Il est ainsi fragramenté et isolé du vaste monde souterrain de linconscient et du sacré. C'est parce que nous avons perdu ce sens de la totalité que la civilisation moderne connait de profonds malaises, comme l'explique notamment Sigmund Freud. Nous ne pouvons vivre sans nous réconcilier avec cette "pensée sauvage” qui jaillit des profondeurs cachées de notre étre. Thomas Paine écrit dans Le Sens Commun : "I! est en. notre pouvoir de recommencer le monde". Pour le faire, il faut abolir les frontiéres car la vie, dans son essence, est insécable. Toute 1a littérature alchimiste établit le lien mystérieux entre le macrocosme et le microcosme, entre le monde conscient et celui de Virrationnel que nous portons en nous. Pour que se réalise cette rencontre C"noces chymiques"), il est vital que le 'voyageur’ descende en lui-méme. Les alchimistes, ds la haute antiquité, ont compris que ces noces doivent étre vécues comme un "art d'amour”, c'est- dire en rapprochant les contraires afin que la vie soit plus féconde. On se souvient de lenseignement d’Hermés Trimégiste : "Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas; par ces choses se font les miracles d'une seule chose”. Cette loi d'analogie gouverne I'univers. Elle constitue également le principe fondamental de |'alchimie traditionnelle. Chimie et alchimie, physique et métaphysique, conscient et inconscient se répondent & la fagon des correspondances baudelairiennes. Il n'est donc | BEEEEEBE EEE 48 pas surprenant que l'art des métaux qui remonte a la haute antiquité entretient une relation étroite avec la vie de I'inconscient. Carl Jung n'a-t-il pas associé les deux notions en écrivant un ouvrage intitulé Psychologie et Alchimie? De méme que les alchimistes pénétrent dans les entrailles de la terre pour s'adonner a leur travail minier avec la matitre premiére qui sera, aprés épuration, transformée en or, ainsi l'homme doit-il descendre dans les sombres profondeurs de son inconscient pour travailler sur lui-méme. Cette régression est un voyage vers l'origine, vers la matidre premiére. Les enseignements alchimiques soulignent que la régénération est toujours accompagnée par une démarche vers | tat primordial. Retour aux entrailles. Renaissance. L'inscription V.I.T.R.LO.L. que l'on retrouve dans le cabinet-utérin maconnique exprime cette méme vérité essentielle. Le sens de ce sigle nous permet de retrouver le secret des initiés: Visita Interiora Terra Rectificando Inverries Occultum Lapidem (Visite l'Intérieur de la Terre, et en rectifiant tu découvriras la Pierre Cachée). Une voie symbolique qui raméne & l'intérieur de soi. C'est Par une expérience libératrice semblable que Paolo Coelho nous emmene au pays du songe et du mythe. Un voyage fantasmatique de la régression du Moi. Tout comme les métaux vils doivent absolument retourner a leur materia prima (état originel) pour devenir malléable et s'affranchir, ainsi |'étre doit-il se retrouver vers ses sources primordiales. Retour a |'état primitif comme dans un réve. "Nous sommes de cette étoffe méme dont les réves sont faits”, écrit Shakespeare dans La Tempéte, A l'intérieur de soi se trouve la pierre cachée, ce trésor que cherche Santiago. Il faut donc, descendre dans le monde souterrain, dans cette mine oi vivent les métaux a l'état brut. L'Alchimiste, transpose analogiquement cette métaphore de la mine pour 49 enseigner une démarche fondamentale. Morienus exhorte ainsi le Roi Khalid : "Haec enim res a te extrahitur; cujus etiam minera te existis” ("Cette chose, en effet, c'est de toi-méme qu’il faut l'extraire, car tu en es la mine"). Le récit de l'aventure de Santiago commence par un sommeil. Le berger étend sa cape sur le sol, s'allonge et s'endort. Et c'est en réve qu'il apersoit l'Egypte, les Pyramides, le trésor caché.... Dés le début du conte, Yauteur nous plonge dans le domaine de linconscient. Il n'est pas rare par exemple de voir des nuages oniriques sur des gravures alchimiques. La magie du réve nous relie 4 notre étre archa que, sauvage et fantasmatique, a cette partie insoumise aux codes sociaux. Les alchimistes savent qu'il faut, comme Jacob, placer la téte sur la pierre (Pierre philosophale, diraient-ils) et se laisser emporter par le songe. C'est alors que se déroule la vision de l'échelle. Jacob voit des anges monter et descendre une échelle dont le sommet touche le ciel (I'Idéal, le Surmoi) et le bas posé sur le sol (le terrain de l'inconscient). Rencontre du ciel et de la terre, du conscient et de linconscient, du Moi avec son passé archéologique. Voila le but de la quéte des initiés . C'est une voie de connaissance de l'étre. La gnose. Dans ce sens, l'alchimie est une ontologie. Il faut redécouvrir le langage oublié des instincts pour saisir les énigmes de I'alchimie. "Des livres bien étranges (qui) parlent de mercure et de sel, de dragons et de rois”, ditle berger en se référant & cet art royal. 'Etranges’ et intraduisibles, si c'est la pensée analytique qui intervient pour tenter de comprendre. Par contre, dévoilement du mystere si on ré-apprend a lire le Livre de la Vie. L'apprenti magon, au moment de la cérémonie qui marque son entrée dans le temple, récite : "Je ne sais ni lire ni écrire”. Un 50 dépouillement qui place l'initié dans un espace-temps différent de celui du profane. Le néophyte, ignorant les secrets, ré-apprend a voir et a comprendre le monde. Le rituel initiatique le place dans une situation de rupture et de quéte d'une nouvelle fagon de co-naitre. Cette voie de la connaissance (ou co-naissance, pour reprendre un terme claudelien) n'est jamais facile. Les voies d'accés d'un état & un autre sont mystérieuses, incompréhensibles, voire irrationnelles. C'est pourquoi I'initié qui entreprend le voyage vers I'accomplissement de son étre doit suivre le chemin indiqué par son guide, étape par étape (état par état pourrait-on dire en établissant I'analogie avec l'art de I'alchimie). Le métal et le mental participent aux mémes épreuves, aux mémes schémas de passage. Le "travail" de Santiago sur lui-méme ne se fait pas sans obstacles. Chez la gitane on voit ce berger nerveux et tremblant de frayeur. One voit également en pays étranger s'apitoyant sur lui-méme et pleurant car il est démuniet isolé. On prend conscience de ses pénibles pérégrinations dans le désert. On le sent triste quand il se sépare de Fatima. On mesure aussi l'ampleur de ses inquiétudes et de ses interrogations dans ses conversations avec I'Alchimiste. Tout comme il est indispensable de faire passer le métal par l'épreuve du feu avant de le transmuer, de méme faut-il que le mental affronte le feu de la purification. Ce travail invisible qui s‘opére dans le creuset de la vie désagrége toute fixité, celle du métal comme celle du Moi. BHREeSBEeBeHREeRBEHEeHREeEREHEEREHEEESE SB See 8 2 = 51 Au fur et & mesure que se poursuit la marche initiatique, la conscience s'éveille. Le voyageur comprend que la vie existe en surabondance au-dela des conditionnements, des habitudes et de la cristallisation du Moi. L'Alchimiste nous enseigne d’ailleurs que le sable est un instant de la Création, que la coquille contient la mer et que chaque jour qui passe est riche d’Eternité. Vision du devenir. Ouverture sur tous les possibles. C'est cela la révélation du désert. Une science qui permet l'homme de se délivrer de lui-méme a I'instar de J'or qui est libéré du plomb. L’étape finale de l'or n'est p: s le fruit du hasard. Le plomb contient ce métal précieux en puissance. "Le Royaume des cieux est en vou enseigne le Christ. L'homme est une étincelle de divinité, rappelle la philosophie hindoue. La pensée bouddhiste souligne que l'illumination vient du dedans. Tous ces états de perfection ultime sont potentiellement dans 'homme. Devenir ce que l'on est. Voila le miracle de l'alchimie. "Je veux que tu poursuives ta route en direction de ce que tu es venu chercher (..). Pars vers ta légende, demande Fatima a Santiago. Ce berger qui a d’ailleurs toujours porté le trésor des Pyramides dans son coeur entreprend une quéte ontologique. Ilretrouve finalement sa nature profonde, se réconciliant ainsi avec lui-méme tout d'abord. Puis avec I'Ame du Monde. L'Alchimiste de Paolo Coelho est sans aucun doute un puissant message adressé a 'homme contemporain. Déchiré par une science atomisée, séparé de son étre profond et cohérent, l'homme d'aujourd’hui a besoin d'outils pour étre présent & la Vie. Il est privé de mythes, de reptres intérieurs et de sens authentique de son existence. C'est pourquoi il s'est accroché A des idéologies passagéres qui I'ont souvent d'ailleurs 52 désillusionné. Avec l'effondrement des dogmes, la société semble traverser un passage & vide. L'Alchimiste nous raméne A I'essentiel en rappelant que, derritre les écrans de fumée, il existe des lois universelles, des lois d'harmonie qu'il convient de découvrir et de respecter. Pour revendiquer Yexistence autrement, de facon plus riche et plus significative, 'homme est donc appelé a se renouveler en s'appropriant des symboles qui lui permettent de se réconcilier avec lui-méme et avec le monde. Dans ce sens, Valchimie offre & linitié un enseignement qui lui ouvre l'accts a la mémoire du monde, aux messages de l'inconscient. Liunivers des alchimistes parait bien étrange au profane. On y voit des laboratoires et des fourneaux oi, dans le secret, des initiés produisent la matitre premiére par un processus de putréfaction et de distillation. La, dans ce monde hors du familier, se cétoient le dragon, Yaigle, le lion, le crapaud, le serpent, le salamandre et les monstres ailés. Ony parle le mystérieux langage de l'arbre cosmique, de la fontaine de Jouvence, des pommes de l'immortalité, de la rivitre purificatrice et du Ppuits de la vie. La, le sel, le soufre et le mercure prennent des significations abstraits. C'est un monde étrange comme cet inconscient qui nous habite, comme ces réves apparemment les plus insensés, comme ces traces mémorielles et ce langage héréditaire qu'est l'inconscient collectif. "Langage difficile & comprendre” avoue Santiago Le podte anglais William Blake commente ainsi ce qui se passe au-dela des frontitres du conscient: " Si les portes de la perception étaient nettoyées, tout apparaitrait tel qu'il est, infini”. L'Alchimiste de Paolo Coelho nous invite précisément A passer de l'autre cété du monde sensible et 53 observable. C'est 14 que, comme dans un réve nous 'voyons' la Pierre philosophale, l'Elixir de Longue Vie, la Table d'Emeraude, I'alchimiste agé de deux cents ans tenant un serpent par la queue, le travail secret du soufre et du mercure, des devins dévoilant l'avenir & l'aide de baguettes magiques Autant de signes qui nous rappellent qu'il existe une abondante vie de Vesprit. ‘Les Sages, souligne l'Alchimiste, ont compris que ce monde naturel n'est qu'une image et une copie du Paradis”. Comme les prisonniers de la Caverne de Platon qui avaient compris que les ombres sur la paroi n'étaient qu'un reflet de la Réalité. Nous devons a la psychanalyse d'avoir ouvert la voie a l'inconscient, cette vie cachée qui fagonne le ‘destin’ des hommes. Les enseignements des alchimistes sont eux aussi chargés de mysttres qui nous renvoient constamment au travail secret du devenir de l'étre: "Tout ce qui est sous et sur la face de la terre ne cesse de se transformer, car la terre est un étre vivan: t, et elle a une @me. Nous sommes une part de cette Ame, et nous savons rarement qu'elle travaille toujours en notre firweur”. Ce travail souterrain, invisible ne peut étre compris qu’a travers les symboles. L'Alchimiste de Paolo Coelho provoque ainsi la re- souvenance de notre passé ancestral et mythique. Des symboles et des pratiques venant d'un autre age nous rattrapent et bousculent nos certitudes scientifiques. Ce sont des signes qui nous raménent & nous-mémes comme ces cailloux qui dans les profondeurs de la forét ont ramené le Petit Poucet et ses fréres 4 la maison familiale. Les signes prennent vie, s'animent, se transforment en paraboles et - investis de la puissance de l'imaginaire - ouvrent miraculeusement les portes sur un monde magique, onirique Nous apprenons alors, comme un initié, a voir et A comprendre le monde autrement. Personne ne peut voir le Royaume sans naitre de nouveau. inaeuagageSgeeeeSBeHeHas ssf 'F::"*-»” - — Re-naitre, une nouvelle fagon d’étre. L'Alchimiste de Paolo Coelho vient nous rappeler avec une déconcertante simplicité que l'existence humaine n'est jamais réductible. I] existe toujours un au-dela du sens, une vie secréte d'une infinie profondeur. C'est le rayonnement du mystére. L'énigme de la destinée. Comment saisir ce mysttre? L’alchimiste nous donne la clef pour le décoder. Il s'agit de retrouver ce langage oublié des instincts: les symboles. L'univers de Paolo Coelho est peuplé précisément de ces signes emmagasinés dans Vinconscient depuis la nuit des temps. Des lois cachées se révélent a la lecture de l'Alchimiste: Le souffre est I'élément male, principe actif de l'alchimie. II féconde le mercure, élément femelle. Il le tue également pour le transmuer en composé d'immortalité: le cinabre. L'émeraude est la pierre du secret. C'est sur la table d'émeraude que les lois de la kabbale, dictées par Hermes Trimégiste, furent enregistrées. Elle symbolise la connaissance secréte. La pierre philosophale correspond a un état de perfection intérieure, d’accomplissement, de réalisation de l’étre. Le fer rappelle la brutalité et la méchanceté chez l'homme. Le plomb, premier échelon de l'initiation, fait prendre conscience que le profane doit disparaitre pour que vive I'homme nouveau. Lor est le symbole par excellence de l'illumination intérieure et de la Connaissance. La pyramide, demeure des morts, rappelle également la libération de l'ame, I'ascension vers une autre vie. Le réve ouvre la voie vers la connaissance de soi. La nuit, fille du Chaos, est le moment de la gestation de tous les possibles. C'est l'espace inconnu de I'inconscient. Lioeuf renferme le mystére et la puissance de la vie, Lioiseau, par son envol, nous invite la fois au dépassement et a l'introspection de I'espace intérieur. Ces symboles ne sont pas jetés péle-méle comme un fouillis. Ils sont porteurs de sens. Carl Jung, dans Psychologie et Alchimie et, plus tard, dans Mysterium Conjunctionis structure ce qui en apparence a l'air d'un véritable désordre. Il révéle ainsi la correspondance entre I'univers imaginaire des alchimistes et l'inconscient qui nourrit notre étre. "J'ai montré comment certains themes archétypaux récurrents dans Ualchimie surgissent dans les réves d’individus modernes qui ignorent tout de la littérature alchimique ( . Le monde des symboles alchimiques n'est pas une vieillerie du passé mais 56 entretient une relation des plus étroites et vivantes avec nos plus récentes découvertes en psychologie de I'inconscient.” Le Grand Oeuvre est un processus qui peut étre expliqué de diverses fagons: par la transmutation des métaux comme par le travail psychanalytique, par les contes initiatiques comme par la coloration des métaux, par le symbolise du voyage comme par celui de l'astrologie. Il faut savoir discerner les signes et saisir leur signification avec le coeur. Tout au long de son voyage, Santiago tend I'oreille pour écouter les mots du maitre - ceux-la méme qui viennent de la lignée de nos ancétres mais qui ont malheureusement disparu dans la confusion des raisonnements. L’alchimiste, lui, se fait ’écho de ce langage secret. I] fait découvrir a Santiago le sens de cet abécédaire. "I/ est normal, déclare l'alchimiste, d’avoir peur d’échanger contre un réve tout ce que l'on a déja réussi obtenir”. Est-ce parce que le réve fait surgir un autre ‘Je’ en soi que cela effraie? Cette crainte est cependant le commencement de la sagesse. Comme Santiago, nous somme appelés A abandonner nos brebis, & sacrifier les habitudes et les acquis, & renoncer aux facilités de la routine et 4 entrer en relation avec la vie psychique primitive. C'est dans ce dénuement - Vimage du néophyte qui entre dans le temple, & l'image du désert lui-méme - que se réalise la plénitude de I'étre. existe un surprenante fond commun de l'humanité dans les régions profondes de l'ame. “Hélas, constate Paolo Coelho dans une interview qu'il donne & Bahgat Elnadi et & Adel Rifaat pour le Courrier de I'UNESCO, beaucoup trahissent en chemin le réve qui les relie %1’ame du monde”. 57 Dans I'Alchimiste, Santiago retrouve ce grand souffle qui refait le monde. Qui refait son monde. La science de l'alchimie est précisément celle d'une perpétuelle création. Elle permet, comme le fait le guerrier de la lumiére (autre personage de Paolo Coelho), de siidentifier aux montagnes et aux ruisseaux, de voir une parcelle de son 4me dans les plantes, animaux et les oiseaux de la campagne. L'homme moderne, pris dans les rets de la toute-puissance de la technologie, a besoin de réve et d’expérience libératrice. Il invente des mondes artificiels et mécaniques mais ne parvient plus a se créer. Il laisse & la télév ion par exemple la responsabilité de réver pour lui, de lui imposer des images et l'évasion. Il est pourtant capable de transcendance. L'Alchimiste vient nous rappeler qu'il existe, au-dela de la banalité quotidienne une conscience supérieure qui permet de donner un sens nouveau a I'existence. Si I'alchimie exerce encore de nos jours un attrait si fascinant malgré les condamnations et les moqueries dont elle a été objet & travers les siécles, c'est qu'elle contient la Ppromesse d'un monde en devenir et la perspective diinfini. A propos de cette voie alchimique, Jung écrit : "Ce n'est pas moi qui me crée, j’adviens bien plutdt ® moi-méme". L'homme daujourd'hui a besoin de raison d’étre plus que de raison, de mythes et de légendes plus que de démonstrations scientifiques. I lui faut des reptres Pour retrouver le chemin de l'ame profonde. En "cédant & la fascination des tableaux et des mots, comme le souligne I'Alchimiste de Paolo Coelho, "homme a “oublié le langage du monde". Le retour & l'essentiel passe par la découverte de ce trésor caché qu'il porte au fond de son étre. 58 Avec Jung, la psychologie des profondeurs s'est appuyée sur des notions d'alchimie pour mieux nous faire comprendre ce qui s’opere dans cet espace infini que nous portons en nous. Ce n’est pas notre propos ici d’expliquer ou de justifier l'aspect scientifique du travail de laboratoire des alchimistes. Par contre, nous tenons & souligner que les réves les plus fous des alchimistes & travers les ages et leur fantasme du monde souterrain nous ont emmenés a découvrir des strates enfouies sous la conscience. Notre monde souterrain. Dans le laboratoire, l'alchimiste travaille sur la pierre et le sel, le mercure et le soufre, les distillations et les putréfactions mais il travaille essentiellement sur lui-méme. C'est son étre profond qui est la matire premitre qu'il vise & transmuer. Une belle legon quaujourd’hui encore la franc-magonnerie enseigne & travers le Cabinet de réflexion. Le néophyte est invité a réfléchir dans Tisolement au sein de la terre. Tout un scénario de l'imaginaire pour accéder aux contenus de Tinconscient. L’alchimie n‘aurait été qu'une expérience pseudo-scientifique ou relevant tout simplement du délire si les dimensions psychologique, philosophique et spirituelle n'étaient pas suffisamment soulignées. Daailleurs, dans histoire de la pensée occidentale, le sigcle des lumiéres, de tendance trop rationaliste, a marginalisé l'alchimie comme une vulgaire superstition. Le 19e sitcle industrielle, trop matérialiste, a également réduit Valchimie a l'insignifiance. Il a fallu attendre la psychanalyse pour réhabiliter l'alchimie. Freud, et surtout Jung, y ont décelé un contenu ‘irrationnel’ proche du langage de l'inconscient. Freud ne parle+t-il pas de refoulement, de fantasme, de parricide, de peur de castration, de désir d'inceste? Alchimie et psychanalyse trouvent Id des points de convergence. 59 Le travail sur le métal resemble étrangement au travail sur le mental. La voie de la transmutation prend alors une signification toute particulire. Elle devient une véritable révélation qui, non seulement réhabilite un vieux réve de fous devant leurs fourneaux, mais ouvre des perspectives de connaissance : !homme par rapport & lui-méme et al'univers. Lhhistoire de la création n'e: -elle pas animée par le méme souffle? Seul l'initié peut comprendre ce secret. On peut lire cette réflexion dans le Novum Lumen Chemicum : "Tout cela arrive sans que les gens du vulgaire voient quoi que ce soit alors que les yeux de l'esprit et de l'imagination les percoivent dans une vision authentique". En effet, le vulgaire et l'initié ne voient pas la vie de la méme facon. L'un se laisse manipuler par l'illusion des sens. L’autre comprend que la vie est plus riche, plus abondante, plus puissante dans son flux ible. mystérieux et inv L’Alchimiste nous apprend a découvrir qu'il est possible, & instar des métaux, de passer d'un état & un autre, de passer du vulgaire au voyant. Comme la coquille contient la mer, le grain de sable la création et Vinstant I'Eternité, comme la chenille contient le papillon, ainsi "homme porte-t-il au fond de lui-méme des possibilités infinies 4 la mesure du miracle de la vie. 60 Voyage au pays de la légende AT pray commencement pour en vertu accroistre C'est (disoit Apollon) soy-mesme se cognoistre Celuy qui se cognoist est seul maistre de soy Et sans avoir Royaume il est vraiment un Roy” Ronsard, pote du 168 siécle Santiago, le pauvre berger, n’a rien d'un roi. Il n'a ni Royaume ni trésor. Une gitane lui ouvre pourtant le chemin qui le méne vers les Pyramides d'Egypte ott se trouve un trésor caché. Santiago porte déja l'Egypte en lui. N’a-t-il pas révé a plusieurs reprises & ces Pyramides? Il est venu consulter cette vieille gitane pour interpréter ce qui lui a été révélé en songe. "Quand Dieu parle le langage du monde, je peux en faire l'interprétation”, ajoute cette devineresse. Etelle ajoute: "!'interprétation est celle-ci : tu dois aller jusqu ‘aux Pyramides d’Egypte (...) It-bas, tu trouveras un trésor qui fera de toi un homme riche”. Le voyage vers Egypte fera de Santiago un Roi sans royaume certes, mais possédant un trésor ineffable. L'Egypte existe tout d’abord en songe. Puis, elle se révéle apr’s l'épreuve du voyage comme lieu de la plénitude et de l'accomplissement Elle devient alors | space de la métamorphose. Ce jeune Andalou qui 61 avouait au Roi de Salem qu'il "ne savait pas ce que voulait dire Légende Personnelle” découvre aux pieds des Pyramides cette supréme vérité: "En vérité, la vie est généreuse pour celui qui vit sa Légende Personnelle”. Crest aux Pyramides - monuments aux morts mais également un rappel de 'immortalité - que Santiago a la révélation. Tl sourit comme illuminé aux Pyramides, "le coeur empli d'allégresse car “il avait trouvé le trésor". Une fagon de démontrer la transcendance et la puissance de la vie. Quand Santiago découvre le trésor, il n'est plus le méme. C'est un étre transformé. Dieu, estime-t-il, I'a conduit d'une "étrange facon” en Egypte sur une route “jalonné par les signes”. Pourquoi cette route méne-t-elle au pays de Pharaons? Tout d'abord, ne perdons pas de vue que l'art de l'alchimie fut fécondé par une heureuse rencontre de la magie de l'ancienne Egypte et de la pensée rationnelle de la Gréce antique. La chimie (ou plutdt la magie de la chimie) constituait un élément important de la vie religieuse des Egyptiens. Elle accompagnait tous les rituels de divination et de contact avec I'au-dela. C'est dans un liquide chimico-magique que les cadavres étaient plongés pour étre momifiés. Ce bain alchimique qui assurait le passage de la mort a limmortalité. Le défunt, immergé dans ce liquide divin, devenait ainsi, au méme titre qu'Osiris, un dieu. Transformer la mort en vie et le défunt en dieu relevent de la magie primitive. 62 Cette Egypte vue en songe, cette gitane qui dévoile l'avenir, ces Pyramides qui cachent un trésor ..... Nous voila propulsés dans un espace magique, mythique et éternelle. Paolo Coelho nous fait passer, A travers la quéte de Santiago, du récit A la égende. Pour qui veut comprendre cette Egypte-la, il faut absolument se défaire du raisonnement cartésien et de la logique conceptuelle. Nous entrons dis lors de plain-pied dans V'indémontrable. L'Alchimiste qui sait se transformer en vent par exemple nous raméne au monde des dieux, de la magie et & la pratique des init I nous faut saisir par intuition ce message qui vient de I'Egypte. Il ne s'agit pas ici de Egypte géographique mais de celle qui se révéle en réves et & laquelle on accéde en lisant les signes et en dialoguant avec "ame du désert". Nous prenons ainsi conscience que des liens invisibles, mais réels, unissent les étres et 'univers. Le voyage vers Egypte mythique nous conduit au coeur de ce mystére. Toutes les sciences initiatiques cherchent a rendre ce secret perceptible a travers la tradition symbolique. Ainsi quand Santiago ressent I'appel du sacré en songes, il commence tout d’abord & s'interroger et & interroger les autres. Tout comme le songe de Joseph, personage de l'Ancien Testament, le méne en Egypte celui de Santiago des milliers d'années plus tard le conduit au méme endroit. D'ailleurs l'auteur de I'Alchimiste dre: une rprenante comparaison : "IJ se nommait Joseph. C'était aussi, comme toi, un étranger en terre étrangere, et il devait avoir & peu prés ton age.” Quel lien mystérieux unit Joseph & Santiago? "La Tradition", explique le vieillard. Dans ce contexte, la tradition se référe & une valeur fondamentale, pétrie de symboles, enrichie par des mythes universels et ga Bae SBS #2 #2 S82 8S SB SF SS SS SBS SF SF SF SF SF fF FF = =| 63 inspirée par une sagesse éternelle. Cette vision spirituelle de homme nous permet de mieux comprendre Egypte légendaire, celle qui unit le dieux et les hommes dans un méme souffle immortel. La, l'histoire et la légende, le ciel et la terre, l'instant et I'éternité se rencontrent a tout jamais. Pour atteindre ce pays intemporel, il ne suffit pas de vouloir s'y rendre. Seul le songe, langage des dieux, peut inspirer ce voyage. L'Egypte devient révélation divine, chemin de la vie. Dans I'Egypte ancienne, tout est plein dames. Les prétres, initiés de la Maison de Vie, étaient placés sous la protection du dieu Thot et de la déesse Sechat. Ils pratiquaient des rites selon la Régle divine et ritualisaient ainsi I'harmonie magique entre létre et l'univers. La magie est un art de vivre, une force créatrice. Le vent, le soleil, le désert, les scarabées - tout s'anime, se change en signe et s'ouvre sur des réalités insoupgonnées. L’étre humain n'est plus isolé dans l'univers. Autour du pélerin du désert, le soleil reste songeur et se tait, le vent écoute et pousse un cri de satisfaction, le grain de sable raconte la merveilleuse histoire de la Création, la coquille attend avec passion que la mer vienne noyer le désert. Dans sa démarche vers les Pyramides, Santiago apprend que rien n'est inanimé. Tout vit. Tout participe au souffle de "!’Ame du Monde". C'est cela le mystére de la vie. Il n'est pas surprenant que le mot ‘myst2re’ tire son origine du grec ‘mystés’ qui signifie : initié. On comprend mieux ainsi I'importance de ce voyage vers I'Egypte, pays qui a légué au monde la science initiatique et Talchimie. L'esprit scientifique est aujourd'hui en rupture totale avec la science-mére, c'es ‘a-dire la Connaissance des mystéres du monde. Le eee eae ESE iia 64 champ scientifique a expulsé toute démarche de découverte intérieure, laissant ce domaine aux soins des théologiens ou des philosophes. Méme la psychanalyse pécherait par manque de rigueur dans la méthode. L'homme est ainsi morcelé, atomisé. Le voyage vers I'Egypte vise précisément a aller boire aux sources de la tradition, a retrouver le mystére enseigné dans la Maison de Vie. La, les initiés enseignent I'harmonie de homme et de l'univers & travers des symboles, ces alphabets sacrés qui permettent de transmettre une sagesse éternelle. Cette sagesse repose sur une vision unitive de la vie. Or homme moderne, lui, puise sa science de Tesprit analytique et fragmentaire, de l'observation du concret et de la raison triomphante. Pourtant, ajoute le berger, "s‘il m'y avait pas de sixiéme jour, Uhomme ne serait pas”. C'est en ce jour, sommet de la création, que Diew fait homme & son image, insufflant a la glaise une puissance de vie, donnant a la matiére une conscience. L'homme incarne alors tout le mystdre d'une relation sacrée. Sur le chemin de l'Egypte, Santiago ré- apprend a pénétrer au coeur de ce mystére. Les minéraux et les végétaux ne doivent pas étre les seuls & comprendre que tout est une seule et unique chose, comme I'explique le Soleil au berger dans une conversation. Lihomme aussi est appelé & "voir Ja Main qui a tout écrit”. Le parcours de Santiago vers I'Egypte ne reléve ni d'un dépaysement touristique ni d'un choix arbitraire. Il est une destination délibérée, un lieu d’initiation a l'instar de la loge pour le franc-magon. Cette marche (ou cette démarche) permet de s‘instruire et de se construire. Nous ne pouvons nous soustraire du mystére. La vie elle-méme est l'expression d'un mystére et pour la vivre pleinement, il est essentiel de rectifier '@tre. Crest ce que, par analogie, les alchimistes font avec les métaux. C'est 65 également la démarche du franc-magon dans le temple, cette aire symbolique qui reconstruit le cosmos et dans lequel linitié plonge pour vivre I'histoire de sa propre création. Autrement insondable, le mysttre se dévoile intuitivement a travers la quéte de l'espace intérieur. Les hommes initiés au désert ont, eux, le pouvoir de "pénétrer aisément I’ Ame du Monde”. Ce sont des "devins" qui savent utiliser la science des baguettes "pour pénétrer dans cet espace oit tout est déja écrit”. C'est l'espace du Verbe Primordial d’oit jaillit toute création! Seul celui qui voit et qui écoute avec son coeur peut percevoir cette supréme Réalité. "Personne ne peut fuir son coeur. C'est pourquoi il vaut mieux écouter ce qu'il dit”, explique I'Alchimiste & Santiago. Le coeur est pote, affirme St Exupéry, c' -a-dire capable de créer, de refaire le monde et, selon la croyance dans l'ancienne Egypte, capable méme de transcender la mort. Dans le désert le jeune berger apprend qu'en Egypte les scarabées sont le symbole de Dieu. Cet enseignement nous conduit a la Sagesse éternelle. La scarabée, placée sur le coeur de la momie, permet au défunt d'acoéder & I'au-dela et d'y retrouver un coeur qui bat pour l’éternité. C'est grace & la magie que la mort devient une autre naissance. De toutes les cultures de I'Antiquité, c'est surtout I'Egypte quinous a laissé une abondante réflexion sur la mort et 'au-dela. Le Pharaon, ayant dans ses veines non pas le sang mais de l'or fabriqué par les diewx, communie avec Tunivers de son vivant. Il ne perd pas cette puissance au moment de la mort. Par des rites sacrés, il ressuscite et accéde &l'immortalité. ailleurs la construction des Pyramides et tout le symbolisme de la re-naissance qui entoure ce monument démontrent & quel point la notion d'une vie infinie déterminent rituels, comportements et croyances dans l'Egypte 6 a pharaonique. Les écrits les plus anciens comme les Textes des Pyramides retrouvés a l'intérieur des Pyramides évoquent tout le rituel funéraire. On comprend mieux alors la signification du trésor que Santiago désensable. I faut passer par la Pyramide pour acoéder & une vie nouvelle. C'est 8 que passe Pharaon pour renaftre & une dimension cosmique. C'est la que passe ce berger andalou de I'Alchimiste pour accéder a la vie d'un étre réalisé. Quand au sommet de la dune Santiago contemple les pyramides d'Egypte, majestueuses, imposantes et illuminées, il est un étre nouveau. Il tombe a genoux et remercie Dieu “d’avoir cru 2 sa Légende Personnelle” . Apres un long voyage, riche en signes et en révélations, Egypte se livre alors comme destination, comme lieu de découverte de soi et du monde. Est-ce bien la destination ‘finale’ ou plutét une halte avant de redémarrer la quéte vers d'autres mystres et d'autres niveaux de conscience? La route est infinie. Elle passe néanmoins nécessairement par VEgypte de la Tradition. Nous voila maintenant avec Santiago au pays d'Isis et d'Osiris, des Pharaons et des Pyramides. Pour ce berger andalou, une autre vie Au commencement était Egypte .. | : commence. ! aS”: ~ — | Ce sont les notions de la magie et du sacré, de la découverte et de la réalisation de soi que découvre Santiago. Les messagers du désert Yavaient 4éja compris avant lui. LiEgypte qui se révéle aprés la traversée duu désert, cest le liew de la magie au quotidien. Dans cette terre de Jégendes od "homme communie constamment avec I'univers, les actes les plus familiers sont gacralisés, La physique vit en relation permanente avec la métaphysique. La matidre est réconclié A lesprit comme ce vieillard de lAlchimiste qui se métamorphose en pierre et qui roule aux pieds du prospecteur. Tout participe & la méme énergie créatrice, Toute 1a condition humaine est réghé par une force spirituelle qu'il faut apprendre & découvrir et & approprier- Dans 'Egypte ancienne, la science de 1a Maison de la Vie permettait Tinitié d’acquérir une vision unitive de l'ordre cosmique- On retrouve ce mame désir de vie authentique dans I'Alchimiste- Quand Santiago commence & comprendre le secret du langage du désert et du vent, celui du faucon et du sable, il dépasse les fragmentations illusoires de la connaissance isolées. Tl appréhende l'inintelligible et Vinexprimable : *['ai appr les secrets de I‘Alchimie, tans que je parcourais le monde avec toi, ['ai en moi les vents, les déserts, les océans, les étoiles et tout ce qui a été créé dans U'Univers”, dit-il 8 ’Alchimiste. I demande a celui-ci de lui apprendre & “parler des possibilités illimitées des hommes et des vents”. En dlautres mots, il demande a étre initié, & passer d'un monde & un autre - de la fragmentation du rationnel A 'harmonie du sacré. 68 Le chemin vers Egypte, cest justement celui qui méne au coeur des mystéres. Il n'existe dans I'Egypte de Thot, patron des magiciens, aucun cloisonnement. Etres et objets participent 4 la méme substance vitale. I] est essentiel pour réaliser pleinement sa vie, de comprendre ce lien mystérieux qui les unit. Toute la culture égyptienne a été construite dans cet esprit magico-religieux. La pensée humaine, ayant subi des transformations philosophiques et duelles en Grace (la science devenant alors ‘mathema’), le discours de la raison et de 'empirisme détréné la science sacrée. Impossible alors avec ce glissement de concevoir un homme se transformer en vent, un faucon en homme, un homme en désert et .... le plomb en or. La science, ayant expulsé la magie et le réve, n’a pas pour autant consolidé 'homme dans des certitudes. Levi-Strauss, dans une réflexion en octobre 1991 au journal Le Monde écrit: "Plus le savoir progresse, plus il comprend pourquoi il ne peut aboutir. Chaque fois que nous avons le sentiment d'avoir fait un certain progrés dans la connaissance, nous voyons qu'il suscite d'autres probldmes, et que le progrés suivant sera encore plus difficile. En avancant, la connaissance se convainc de son infirmité". C'est presque l'tre du soupgon. Paolo Coelho, lui, nous invite dans I'Alchimiste a retrouver un état mythique, a entreprendre un voyage vers l'Egypte en compagnie de Santiago afin de re-créer le monde (dans le sens teilhardien du terme, cest- a-dire retrouver I'unité de l'univers). C'est une démarche qui exige que nous portions un nouveau regard sur le monde. C'est la conscience et non la science (au sens de la dissection et I'analyse) qu'il faut reconquérir. Pour 69 “lire dans le vol de l’épervier”, pour comprendre ce que les oiseaux veulent conter & propos de I'Oasis, pour pouvoir immobiliser le serpent dans un cercle tracé sur le sol, pour saisir le rythme de 'l’Ame du Monde”, il faut renouer avec le mystére de la vie. "Tout est une seule et unique chose”, conclut Santiago au moment oit il se met A I'écoute de son coeur. Cette réalité est intuitive. Elle ne s'explique pas. Elle se vit comme un myst&re. "On n'a aucun besoin de comprendre ce qui se passe”, dit le jeune berger, “car tout se passe alors i1l'intérieur (de nous)". La science qui ne satisfait que la raison n'est ni rassurante ni convaincante. Et c'est pour cette raison que l'auteur de l'Alchimiste nous mene vers le pays de la magie et de la connaissance intuitive. Dans I'Egypte ancienne, linitié vit constamment en relation avecles forces magiques de l'univers. Pour lui, la crue du Nil, les récoltes, la chasse, la péche, les rayons de soleil, le scintillement des étoiles, les étapes de la vie, le passage de la mort & la résurrection - tout cela est vécu comme faisant partie d'un ordre magique. Toute I'Egypte ancienne baigne dans cette atmosphére de mystre et de magie. Pharaon a un pouvoir divin. Imhotep, Premier Ministre, est un puissant magicien. Des écrits magiques abondent pour montrer la voie vers l'état d'akh (la lumitre). Les Textes des Sarcophages, Le Livre des Morts, Le Livre des Deux Chemins, Les Livres d'heures, les Textes des Pyramides et bien d'autres écrits sacrés sont des invitations perpétuelles a rencontrer le mystére et la puissance de la vie. Des statues magiques et guérisseuses érigées ca et 1a protegent contre les morsures de serpents et des scorpions. Des magiciens avalent des papyrus contenant des formules magiques afin d’étre imprégnés de puissance. Ils parlent le langage de la nature et des bétes, communient avec l'invisible et 70 interprétent les hiéroglyphes sacrés. Le savoir, l'art, la religion, l'astrologie, la vie, lamort - tout en Egypte est magie. Tout est correspondance. L'initié est capable de percevoir ces mystérieuses relations. Charles Baudelaire, dans son potme 'Correspondances' évoque ainsi cette "profonde unité” : "La nature est un temple oit de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles; ) Comme de longs échos qui de loin se confondent Dans une ténébreuse et profonde unité, Vaste comme la nuit et comme la clarté, Les parfuums, les couleurs et les sons se répondent”, Paolo Coelho, lui, écrit dans I' Alchimiste : "Cette Chose Unique devait permettre aux alchimistes de comprendre tout ce qui existait sur terre, car elle était le langage grace auquel les choses communiquaient entre elles Nous retrouvons dans cette vision du monde un rappel de l'atmosphire de Egypte pharacnique Dans I'Egypte mythique, le temple s'étend aux quatre points cardinaux. C'est pourquoi la magie est omniprésente. Les paroles, les amulettes, les statuettes, la nourriture et les actes les plus quotidiens sont imprégnés de puissance magique. Les noms et les nombres sont mystérieux et sacrés également. Méme, l'amour, l'accouchement et la mort participent au mythe fondateur d'lsis et d'Osiris - donc a la magie r souveraine. Il est possible a l'initié en Egypte de s'approprier les forces créatrices, d'agir sur le destin et de refaire le monde. Pour Santiago, tous les signes du destin pointent vers l'Egypte. C'est le pays des sciences sacrées, des mythes, des réalités intemporelles et de la puissance primordiale. Chaque étape sur ce chemin initiatique lui fait prendre conscience de cil. Tessentiel et des valeurs fondamentales de la vie. C'est le chemin de "Et tout & coup, il me prenait par la main et me conduisait jusqu'aux Pyramides d'Egypte”. Presque un acte d'amour. Le berger est tout d’abord conduit en songe jusqu'aux monuments de I'alchimie par excellence: les Pyramides - lieu ott la mort se métamorphose en vie. Poursuivre le chemin jusqu’au bout de ses réves, est aller jusqu’a léveil (celui de la conscience). Le trésor caché se révle alors comme surgi du tréfonds de soi-méme. Le voile du Temple se déchire pour livrer le secret du Lieu Caché, Espace réservé strictement aux initiés. Samivel écrit dans Monastires de montagne :” Les montagnes ne sont pas I’Absolu mais elles le suggerent”. Ainsi sont les Pyramides, ces. montagnes de pierres érigées dans le désert avec un sens profond du mystére tant par leur architecture que par leur intention ésotérique. Elles suggérent un au-dela du temps, de l'espace et de la mort. Santiago, en voyant ces monuments, tombe "face sur le sable"._ Le mystére impose le sens du respect. La se trouve le trésor. La, I'instant devient éternel et le momifié immortel. 72 Ce n'est pas fortuitement que le chemin de l'initiation invite Santiago a fixer les regards "dans la direction des Pyramides”. Le récit de voyage de ce jeune berger andalou se termine au moment ou commence la plus belle aventure. Les Pyramides et Santiago échangent des sourires comme s'ils siattendaient l'un l'autre depuis toujours. Le trésor que découvre Santiago ne!'a-t-il pas porté en lui-méme? En allant a sa propre rencontre, il passe de l'autre c6té des illusions, des apparences et d'un semblant d’existence. La vraie vie commence en effet de l'autre cOté du miroir. Pour y accéder, il faut, comme Joseph, comme Santiago, écouter et croire 3 cette voix venue du dedans. Dans I'Epilogue de I'Alchimiste, Paolo Coelho écrit : S'i! n’aonit pas cru aux réves qui se répetent, il n’aurait pas rencontré la gitane, ni le roi, ni le voleur, ni...” Le songe a interpellé Santiago. Cette fois, ce sont les Pyramides qui l'invitent 4 une autre vie. Des sept merveilles du monde, seules les Pyramides continuent a défier le temps. Elles ont d’ailleurs été concues pour vaincre les limites de l'espace-temps et participer aux mysttres de I'Infini. Les égyptologues s‘accordent pour souligner la perfection de la géométrie de ces monuments, le respect du culte d'Isis et d'Osiris quills expriment, leur nature magico- scientifique, le lien sacré qu’ils entretiennent avec la position des étoiles et des symboles cosmiques. Les civilisations d'aujourd’hui continuent & s‘émouvoir devant leurs mystéres. a Dans I'Egypte antique, les Pyramides ne sont pas des monuments funéraires mais des palais de |'éternité. De 1a, les Ames des Pharaons entreprennent leur voyage vers le cosmos et l'immortalité. Elles se métamorphosent en étoiles, encore identifiables aujourd'hui selon la légende. C'est le culte de la résurrection, de la puissance de la vie sur les forces de la destruction. Les Pharaons le méritent bien car le mythe fondateur de cette civilisation soutient que les dieux ont, a l'origine, transfé: la carte du ciel en Egypte. Puis, ils ont exercé leur autorité dans ce royaume avant de céder le pouvoir aux Pharaons, leurs descendants directs. Aussi, c'est avec les honneurs réservés aux dieux que ces deniers sont momifiés, déposés dans les chambres secrétes des Pyramides, symbole utérin, avant de re-naitre dans le monde des étoiles. Le message essentiel des Pyramides, c'est précisément le passage des ténébres 3 la lumiére. Commence alors une vie nouvelle. La recherche de soi débouche invariablement sur la découverte du sens de la vie. Ainsi, Paolo Coelho, aprés avoir évoqué le récit de voyage de son héros, recommence l'histoire d'un homme nouveau dans son Epilogue. Premiére Partie Epilogue © Il se nommait Santiago Il se nommait Santiago. Le jour déclinait lorsqu’il arriva, avec son troupeau, devant une vielle église abandonnée. Le toit s’était éeroulé depuis bien longtemps et un énorme sycomore avait grandi & l'emplacement oit se trouvait autrefois la sacristie. Il décida de passer la nuit dans cet endroit. Il regarda au-dessus de lui et vit scintiller les étoiles au travers du toit & moitié effondré. II se leva et but une gorgée de vin. Il arriva i la petite église abandonnée alors que la nuit était défi tout pres de tomber. (...) Maintenant,il était la sans son troupeau. Le sycomore poussait toujours dans la sacristie, et l'on pouvait toujours apercevoir les étoiles au travers de la toiture i demi effondrée. Il se souvint qu'une fois il 6tait venu Tt avec ses brebis et qu'il aoait passé une nuit paisible, Vexception du réve qu'il avait fait Il resta longtemps t contempler le ciel. Il tira de sa besace une bouteille de vin, et en but. 4 a * Depuis, l’avant-veille, pourtant, "Me voici, Fatima, dit-il. |’arrive”. il n'avait pratiquement pas eu que d’autre sujet de conversation que cette jeune fille qui habitait Ia ville oit il allait arriver quatre jours plus tard, était la fille d’un commercant. Paradoxalement, I'Epilogue ne termine pas le récit. Ile recommence comme le démontre le rapprochement de textes que nous venons d’établir. C'est cependant le récit d'un étre nouveau qui commence. Santiago a été enrichi par le devenir et le cheminement intérieur. II s dirigé vers lorient pour se découvrir. Lorient, cest IA oi se lave le soleil. Une autre version de l'allégorie de la Caverne : le prisonnier se libtre des ombres chinoises, pale reflets de la Réalité, pour se tourner vers la darté du soleil. Dans son Apologie de Socrate, Platon écrit :"II ne méne pas la vie d'un homme celui qui ne s’interroge pas sur lui-méme”. Pour Santiago, le songe fut le déclencheur d'un itinéraire jusqu’au trésor intérieur. Chaque signe, chaque rencontre, chaque lecon de I’Alchimiste permet & ce jeune andalou de 76 s'engendrer continuellement, Il recrée ainsi histoire de sa propre destinée, s'unissant tout au long du voyage au rythme du mouvement intérieur qui Vanime. "C'est justement la possibilité de réaliser un réve qui rend la vie intéressante”,songe le berger avant de prendre la route en direction des Pyramides. Le réve, cest toute limmensité intérieure qut n'appartient ni au temps nia espace connus. Cest le champ du dépassement et de I’éternité. Le réve, cest la voie du possible. Dans cette terra incognita, tout (re)commence .- Liaccts a cette autre vie passe par I'intelligence du coeur, le pouvoir de ressentir intuitivement l'Ame du Monde. Toutes les nétamorphoses que rencontre Santiago sur le chemin de l'Egypte sont inexplicables en termes 'profanes'. Elles ne relevent pas de ordre du savoir mais plutot de intuitif, d'une mise en accord avec le mystére de l'acte eréateur. Santiago dépasse alors les limites de son individualité et pénvtre Ame du Monde. Aucune explication rationnelle ne peut rendre compte de cette expérience. Seule la démarche initiatique parvient & révéler ce miracle. Les signes qui jalonnent le chemin de Santiago sont des outils symboliques vers Taccomplissement de son étre - comme ces hiéroglyphe qu! indiquent des réalités intemporelles. Le berger andalou finalement découvre en Egypte le plus riche des trésors : la quintessence de la vie. Jamais aucun livre de science ne pourra expliquer ce mystére. Il doit étre véeu, ressenti, découvert par expérience intime. C'est cela la Légende Personnelle. Le message de I'Egypte mystique, audible aux initiés seulement invite ces demniers 4 mourir au monde des illusions pour renaitre a la vie de Vesprit, mourir au fragmentaire pour saisir 'harmonie universelle. L'Egypte dans I'Alchimiste est le lieu ott l'on renoue avec la source vivifiante du sacré. 78 A l'écoute du chant intérieur "Nous sommes faits de la méme étoffe que les réves”. Shakespeare, La Tempéte Les {€es ont déserté le monde moderne. L'esprit du temps privilégie plutot la science et la technologie. Avec la disparition des mythes et des légendes, la civilisation des gadjets a aussi perdu la fascination de Timaginaire. Les titres de nombreux ouvrages reflétent d'ailleurs cet état de malaise. L'Ere du soupcon, titre Nathalie Sarraute. Précis de décomposition, ajoute Cioran, Révolte contre le monde moderne, reprend Julius Evola. On aurait pu allonger la liste de ces termes qui indiquent un certain mal-étre. Les fées sont parties, emportant avec elles notre innocence mythique, nos intuitions, notre archaisme, voire une partie essentielle de notre étre. L'opposition raison-intuition provoque une brisure. Or I'étre profond, indivisible et universel, récuse toute opposition. En perpétuel devenir, il réunit par les symboles et les analogies l'univers tout entier. L'expérience de la plénitude est indispensable & l'équilibre de tout étre. L'homme ne vit pas de pain seulement . Le besoin de donner un sens a sa vie relave d'une réalité profonde et intime chez lui. La quéte du sens le 79 pousse a entreprendre le voyage a l'intérieur de Iui-méme. Un voyage effectué métaphoriquement. Par le souffle de imagination, il crée alors un univers infini et éternel. Au réve succédent les mythes, les contes, les invraisemblances et toutes les audaces de la magie enfantine. C'est par un réve que commence I'Alchimiste. C'est ainsi dailleurs que commence toute belle aventure. "Le réve est une seconde vie", lit- on dans Aurélia de Nerval. nous rend maitres d'un jeu de re-création. Comme si l'on prenait soudain conscience que l'existence ne peut etre réduite aux actes prosaiques, ritualisés et limités. Rien n'est effectivement figé. On peut inventer une autre vie peut s'inventer et avec elle l'avenir. Dans un entretien accordé au Nouvel Observateur en avril 1998, le Professeur Michel Jouvet fait la réflexion suivante :” Je réve, donc je serai". Une formule qui, comme le cogito de Descartes, établit les fondements de Yexistence. Avec une différence de temps de verbe cependant. Le ‘je suis’ de Descartes est remplacé par I'expression du devenir : "je serai”. Le réve se mue en destin. Il faut étre disposé a vivre dans l'invraisemblance et & froler la folie des mages. Ce n'est pas emmitouflé dans I'étroitesse du quotidien que l'on peut apprécier les contes des oiseaux ou accepter comme possible que Santiago se transforme en vent. "II est vraisemblable qu'il se produise de Vinvraisemblable”, écrit Aristote dans Poétique. Une réflexion qui bouscule les limites du réel et redéfinit la condition humaine. La vérité ne se trouve pas nécessairement dans le vérifiable. En effet, toute 'aventure de Santiago illustre cette quéte d'une vérité intérieure. Nous entrons dans une autre dimension qui abolit l'espace-temps mathématique, et les phénoménes de cause A effet. C'est l'univers de l'imaginaire. Commence alors un extraordinaire voyage. Nous passons d'un univers 4 un autre, de la réalité 80 terne du quotidien au monde fabuleux des contes, du connu au fantastique, de I'Histoire a la Légende. Le voyage de Santiago nous entraine dans des mondes divers, les uns plus merveilleux et plus mystérieux que les autres. Nous avons la nette impression que ces différents espaces s'enchevétrent, se complétent, bousculant ainsi nos repéres et les formes brutes de la perception de nos sens. Pour comprendre que ‘chaque jour porte en lui 1'Eternité’, pour "ressentir les vibrations de la Paix", pour entendre la mer dans Jes coquillages, pour lire les signes sur le sable du désert .... il faut bien quinterviennent d'autres facultés que celle de la raison. Ce sont ces facultés qui ajoutent une dimension a I’étre. Dans une interview donnée au magazine Courrier de UNESCO en mars 1998, Paolo Coelho explique ainsi sa démarche d’écrivain face a la condition humaine : ‘ll faut donner libre cours aa notre cété rebelle. Je crois beaucoup, dit-il, ala rébellion intérieure’. Poursuivant sa réflexion, il précise : 'D’oit vient cette rébellion? Je ne sais pas. C'est une force qui se libre en nous et qui, en retour, nous libere’. Cest précisément cette liberté qui permet &l'écrivain de créer un monde qui s’étire a l'infini. Acte démiurgique. Acte de reconstruction. Transformation du monde et de I’étre. Toujours dans son entretien avec le Courrier de I'UNESCO, Paolo Coelho évoque ses sentiments au moment de sa reconquéte du monde. Instant d'angoisse et d’euphorie 3 la fois: "A un moment donné, explique-teil, le jeune homme doit se transformer en vent. C'est une question de vie ou de mort. Il doit le faire. Comment décrire cela ? Moi-méme je ne me suis jamais transformé en vent. J'ai paniqué .... Puis je me suis dit : il faut plonger. Et je suis allé jusqu’au bout du livre’. Liauteur nous fait découvrir 81 ainsi une autre fagon d’étre. Presque une mutation. Le désir d'absolu exige la rupture des amarres. C'est dans cette disposition que l'Alchimiste a été concu. Le récit de voyage de Santiago appartient a l'ordre d'un vécu merveilleux. Le jeune berger ne cesse de se rendre disponible & une existence plus riche et plus profonde, a une vérité intérieure plus audacieuse. Pour découvrir ces "forces mystérieuses” dont parle Melchisédec, Santiago remonte aux sources matricielles. C'est également le retour a une vision de l'enfance. Des images et des métaphores viennent dire ce qui ne peut étre autrement expliqué. Nous entrons de plain-pied dans le monde de I'analogie et de la transcendance. Les lois de la science disparaissent pour permettre I'émergence d'un sens nouveau. Santiago se met alors dans le véritable flot de la vie. Il renonce & tout pour rechercher la connaissance véritable. Il abandonne brebis, carritre, vie sédentaire et confort. Une salutaire remise en cause. Santiago a compris que les systémes établis et sclérosés sont incapables de donner un sens profond ala vie. Paolo Coelho ouvre d'autres voies possibles par la magie des images et des paraboles, par la surprise de linvraisemblance et la mutation de la réalité. L'univers ainsi re-créé est en permanente gestation. Dans l'Alchimiste, I'auteur transgresse volontairement les ragles de la cohérence et de la raison. Il laisse agir la magie comme dans les contes de fées. Tout devient imaginable. 82 "Apprends-moi it étre vent pendant quelques instants” demanda le jeune homme a I'Alchimiste. La magie s'opére immédiatement. Santiago veut parler "des possibilités illimitées des hommes et du vent". Faire de l'extra- ordinaire une nouvelle facon de vivre. Comme au temps des origines. Diailleurs les personnages que nous rencontrons n‘appartiennent pas au monde contemporain. Ils viennent d'un age oui I'existence était encore enchantement et réve collectif. Ce sont eux qui rendent le merveilleux possible dans I'Alchimiste. Détenteurs d'une sagesse aujourd'hui oubliée, ils accompagnent Santiago dans son voyage initiatique. Melchisédec nous raméne presque au moment de la création du monde. Roi de Salem, prétre du Dieu d'Israél, il n'a selon les Epitres aux Hébreux de Saint Paul, “ni pore, mi mére, ni généalogie, ni commencement pour ses jours, ni fin pour sa vie". C'est une évocation de l'éternité. Insondable par la raison. Ce retour & la genése est également un retour a l'enfance de Vhumanité - moment mythique par excellence. La vieille gitane qui interpréte les songes de Santiago semble, elle, faire partie d'un conte d’autrefois. Nous laissons alors filer notre imagination au fond de cette maison oit la peur de cette mystérieuse race de gitans se méle a l'assurance que procure l'image du Sacré-Coeur de Jésus. "Tu es venu m'interroger sur les songes", dit la vieille au berger, telle une diseuse de bonne aventure préte a faire appel A quelque art divinatoire. Telle une fée également qui nous entraine dans son aire mystérieux, territoire réservé & ceux qui ont su garder leur ame d'enfant. Cette gitane, comume la vieille fée de histoire de La Belle au bois dormant, léve le voile sur l'avenir. Elle indique a Santiago le chemin de I'Egypte, ce pays 83 mythique. La-bas, le langage s'apparente & celui des réves. Cette rencontre magique avec la gitane nous transporte dans l'intemporel du conte. Dans ce monde sacralisé (rituel, pritre, icdne ...), tout devient imaginable. Autre personage : I'Alchimiste. C'est homme de tous les possibles. II surgit par enchantement et nous fait explorer les terres inconnues, espace du dedans ("Je voudrais te raconter une histoire & propos de réves”, dit-il au berger). En ouvrant la voie & un autre monde, "plus parfait” que celui que nous révélent nos sens et la raison, I'Alchimiste nous invite a découvrir les merveilles d'une autre vie : la vie révée, les "mondes nouveaux Ceux qui écrivent des traités, des interprétations et des études philosophiques passent souvent a cOté du sens véritable de l'existence humaine. C'est ce que I’Alchimiste enseigne a Santiago avant de lui montrer la voie vers la Légende Personnelle. Le destin de Santiago dépend de ces personnages hors du commun qui semblent surgir de la nuit des temps, du fond de notre imaginaire. Ce sont eux qui orientent sa vie en lui dévoilant au fur et a mesure la sagesse éternelle. Par un pouvoir magique, ils sont capables d'opérer des prodiges qui ne peuvent "étre compris par la seule raison”. Dailleurs le miracle est permanent dans I'Alchimiste. Il suffit de prononcer un mot: "Mektoub”, comme d'autres prononcent 'Sésame’ ou 'abracadabra’, pour que se produise I'émerveillement. Nos sociétés industrielles nous ont habitués a d'autres merveilles : les horizons infinis de l'informatique et de la technologie par exemple. La connaissance scientifique s'étend sans aucune limite parait-il. : | Nous aurions pu nous contenter du miracle de la technologie. Mais comme pour le Petit Prince de St. Exupéry, cest la rose qu'il faut entretenir, c'est le renard qu'il faut apprivoiser. Parler avec l'une et l'autre. Voir avec le coeur. “Les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le coeur," dit le Petit Prince. Les rigueurs de la logique sont incapables de créer ce que peuvent susciter les fées et les magiciens. Nous nous souviendrons de l'abandon du Petit Poucet dans la forét, de la métamorphose de la citrouille dans Cendrillon ou du baiser du Prince Charmant bien longtemps aprés que 'on aura oublié les formules mathématiques ou chimiques apprises en classe. L'homme a besoin de réve et de merveilleux. C'est cela qui explique I'étonnante survie des contes et des légendes qui ont nourri notre enfance, comme celle de plusieurs générations avant nous. L'Alchimiste nous a permis de redécouvrir la fascination et la permanence du merveilleux. Les contes de Perrault et ceux des freres Grimm, les évocations des Mille et Une Nuits et la légende de Merlin l'Enchanteur nous ont & jamais ensorcelés. La magie de ces histoires réside dans leur intemporalité. Elles continuent a émerveiller et & interpeller l'homme contemporain. Ces histoires dont la structure est organisée au rythme de la vie intérieure nous offrent des repéres dans le parcours initiatique. Santiago qui voyage au rythme de la respiration de Ame du Monde se découvre et se dépasse progressivement en cheminant avec des personnages de Iégende. Sa rencontre avec I'Alchimiste se passe comme dans un univers onirique. 85 “Soudain, il entendit comme un grondement et fut jeté brusquement @ terre, sous le choc d'une rafale de vent d’une violence inouie. L.'endroit fut envahi par un nuage de poussiére qui arriva presque & masquer le clair de lune. Devant lui, un cheval blanc de taille gigantesque se cabra, avec un hennissement effrayant. I distinguait & peine ce qui se passait mais, quand la poussiére se fut un peu dissipée, il ressentit une terreur qu'il n‘avait encore jamais éprounée. Montant le cheval, se tenait en face de lui un homme tout habillé de noir, avec un faucon sur l’épeule gauche. Il était coiffé d'un turban et un voile lui masquait tout le visage, ne laissant voir que les yeux. Il semblait étre le messager du désert, mais il avait davantage de présence que quiconque au monde. Létrange cavalier tira lors du fourreaux la grande épée ti lame courbe qui était accrochée i sa selle. L'acier entincela dans la clarté de la lune (...) Le jeune homme venait de rencontrer I'alchimiste (..) La soudaineté de l'apparition, 'apparence mystérieuse du personnage, la taille gigantesque du cheval, I'atmosphére d’effroi, le clair de lune - tout cela crée une ambiance hors du commun, envoitante. L'Alchimiste apparait magiquement. C'est I'émerveillement dans Vimmense théatre du désert. Une apparition comme celle des fées dans les contes. Ici, la baguette magique est remplacée par I'épée. Et comme les fées (du latin fata: déesse des destinées), l'Alchimiste ouvre les voies qui permettent a Santiago d’aller jusqu’au bout de son destin pour se réaliser. "L'inévitable a surgi au moment précis, comme écrit Paolo Coelho dans la Préface de La Cinquiéme Montagne”. L'inévitable est inexplicable. Il ne se 86 plie pas a l'exigence de la logique. Cela arrive tout simplement. La citrouille est métamorphosée en carrosse dans Cendrillon? Aucune explication 4 fournir. Ce geste magique n'est pourtant pas un non-sens. Le sommeil de cent ans de la Belle au bois dormant n'est pas un délire. Les prédictions de la fée doivent s'accomplir. C'est "inévitable". La fantaisie des événements n'est qu'apparente. Rien n'est laissé au hasard. "Certains événements sont placés dans nos existences pour nous reconduire vers I authentique chemin de notre légende Personnelle”, souligne Paolo Coelho dans La Cinquiéme Montagne. Des événements sont 'placés’, écrit 'auteur. ‘Inévitable’, rajoute- til. Le libre arbitre ne serait-il qu'une illusion? Ce débat est hors du champ de cette présente réflexion. Le merveilleux est précisément ce qui surprend (du latin ‘mirabilia’: choses étonnantes). En somme, I'auteur rapproche les situations apparemment contradictoires dans une unité dynamique. L'infaillibilité scientifique a suspendu le temps de la lecture de I'Alchimiste. Dans les contes, 4 minuit pile, le charme de la fée se dissipe. Cendrillon redevient elle-méme, alors que le carrosse et les chevaux reprennent leur nature d'origine. On ne se pose aucune question de cause a effet. Tout comme on accepte comme possible que le guérisseur auquel se référe Fatima dans I'Alchimiste "connait les secrets du monde (et) parle avec les djinns du désert (...) génies du Bien et du Mal". Etrange personnage, précise Paolo Coelho. Comme le magicien des contes. Il était une fois .... 87 L'imaginaire fait réver. "Féerie intérieure", explique André Breton. "Donner % voir", commente Paul Eluard. "Ecouter son coeur”, ajoute l’Alchimiste. Cette voie de la magie permet a l'étre d’agrandir le champ de sa connaissance, de voyager en terres insolites et interdites. "Je est un autre”, dit Rimbaud. Cet ‘autre’ est trop souvent méconnu. II faut des passerelles pour I'exprimer, l'atteindre et le récupérer. La quéte et la conquéte de cette autre vie (la vraie selon les psychanalystes, les surréalistes, les alchimistes cause des moyens d'investigation traditionnels. Le secret du bonheur, ) passent par une véritable remise en explique le Sage des Sages dans I'Alchimiste, consiste non seulement & regarder les merveilles du monde mais surtout ne "jamais oublier les deux gouttes d’huile dans la cuiller”, cest-&-dire la substance essentielle qui éclaire Tame. Il existe, au-dela du sensible et du discursif, un monde riche en significations latentes. Il nous faut constamment repousser les frontitres du réel pour saisir intuitivement par exemple comment le vieillard se métamorphose en une pierre qui roule au pied du prospecteur. La puissance des images, des analogies et des audaces de I'imagination est d'un appui précieux pour saisir la mystérieuse opération de l'alchimie. Dans les contes, la magie de la métamorphose est souvent au centre méme de l'histoire. Passage d'un état a un autre - non pas arbitrairement mais porteur de signification profonde. Tout comme dans lalchimie. Tout comme dans les rites d'initiation également. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre l'interprétation que donnent Bruno Bettelheim et Marie-Louise Van Frantz aux contes qui, selon eux, facilitent la réalisation et l'intégration de la personnalité. Aussi, A part du sortilége que peuvent 88 produire les contes, c'est surtout leur capacité & révéler le chemin menant & la légende Personnelle qui constitue leur puissance et leur pérennité. Nous devons chercher dans I'Alchimiste cet effet de miroir qui refléte la profondeur de I’étre. N'est-ce pas par la légende de Narcisse se renvoyant sa propre image dans l'eau d'un lac que s‘ouvre le roman? Le lac, pendant longtemps indifférent & la beauté de ce jeune homme, laisse tout & coup exploser son chagrin : "Je pleure pour Narcisse parce que, chaque fois qu'il se penchait sur mes rives, je pouoais voir, au fond de ses yeux, le reflet de ma propre beaut La surface de l'eau ne refléterait donc pas seulement la beauté de ce jeune homme mais également celle du lac. Reflet de Narcisse dans le lac. Reflet du lac dans les yeux de Narcisse. Ce jeu du miroirs qui se réfléchissent a l'infini nous ouvre des voies insoupgonnées, mystérieuses. Crest ainsi que le lac-tombeau devient source de vie. Le lieu de la noyade de Narcisse donne naissance a une fleur. La mort est vaincue par la légende. Dés le Prologue, Paolo Coelho donne le ton. On ne finit pas de découvrir comme le fait Santiago, toutes les possibilités que nous offrent les univers cachés, Quelle assurance que de savoir qu’au-dela du paraitre existe une vie authentique en perpétuelle création! C'est cela le miracle de la vie. Dans l'Alchimiste, chaque étape du parcours reléve du merveilleux. C'est cela qui nous permet d’établir un air de famille avec les autres récits légendaires. Paolo Coelho lui-méme explique dans Le Courrier de I'UNESCO quill s'est inspiré d'un aspect des Mille et Une Nuits pour commencer a écrire 'Alchimiste: "Vous seriez étonnés d'apprendre que Vhistoire de l’Alchimiste se trouve dans les Mille et Une Nuits. C’est une toute petite histoire, de quelques lignes, sur un trésor caché qu'un héros va chercher loin de chez lui pour le retrouver finalement en [ui”. C'est en allant vers Yailleurs 89 que le hérosse retrouve. 'L’ailleurs’ est plus proche de nous que nous ne le pensions, Tout comme I'éternité qui se situe dans I'instant. Il faut avoir l'audace de faire ce réve merveilleux. C'est le philosophe Nietzsche qui disait :"Rien ne vous appartient plus en propre que vos réves. Sujet, forme, durée, acteur, spectateur - (....) vous étes tout vous-méme!” L'homme est un "réveur définil "nous disent les surréalistes. En lisant l'Alchimiste, nous avons effectivement impression d'entrer dans un monde onirique dans "l'arritre- plan inconscient de la conscience’, selon I'explication de Freud. Nous parvenons ainsi a la source absolue de la Iégende que nous portons en nous mais qui, en raison de faux sentiers que nous avons empruntés, ne peut plus nous émerveiller. Paolo Coelho ouvre toutes grandes les portes du réve, nous invitant a respirer au rythme de l'inconnaissable. Une nouvelle naissance. Nous traversons la frontigre en compagnie de Santiago. De l'autre odté du miroir, notre seul lien avec le monde connu ce sont les équivalences. C'est & Ja fois 1a rupture et I'analogie, dans l'esprit méme d'une parabole. Comment peut-on entrer dans le ventre de sa mire et naftre de nouveau demande Nicodéme a Jésus? Impossible d'expliquer ce mystére logiquement. Il faut recomposer, violer les lois de la déduction et briser les chaines causales. Somme toute, laisser agir la mystérieuse complicité qui sous-tend toute analogie. Le royaume des cieux est "semblable a ....". est ainsi que le Christ commence de nombreuses paraboles. La réalité vient au secours de I'invisible et le révéle. Les événements de la vie courante sont réorganisés quand ils passent de l'autre cOté du miroir. Le réve reprend la réalité et la réinvente. Il va méme la réhabiliter. Rien n'est étranger a rien. Nous retrouvons dans cet univers imaginaire des éléments qui nous 90 apparaissent familiers, Pourtant quelle différence! Quelle extraordinaire liberté! C'est presque de la provocation. Le passé et l'avenir se conjuguent au présent. Nous sommes projetés dans cette période Iégendaire oit le vent et le soleil parlent. Nous rencontrons dans l'Alchimiste "d'étranges personnages", comme cet Arabe, gé de plus de deux cents ans qui vit dans Toasis de Fayoum, comme le Roi de Salem, comme la gitane, comme l'Alchimiste. Nous feuilletons également les pages "des livres bien étranges” qui parent, entre autres, de dragons et de rois. Méme l'amour de Santiago pour Fatima commence par un réve ("Je t'aime parce que j’avais fait un réve"), dit le berger & sa bien-aimée. Ces événements, apparemment illogiques et aberrants, comportant un message. Tout d'abord ils remettent I’étre humain en contact avec lui-méme et Iui fait prendre conscience de sa nature originelle et instinctive. Mais au-dela de l'expérience individuelle, cet univers imaginaire est une voie éminemment symbolique. I] permet a l'individu de comprendre quill existe "de grandes forces qui dorment dans le fond commun de Uhumanité”. Les civilisations industrielles et post-industrielles ont tué le réve et expulser les fées. L'étrangeté, I'imaginaire et le mystére semblent appartenir A une autre époque - celle de l'ignorance et de la superstition, dit- on. La technologie ayant désacralisé et dépoétisé le monde, la science (telle qu’on la congoit aujourd'hui) n'a pas réussi a assurrer I'équilibre du psychisme humain ou a donner un sentiment de totalité a l’étre humain. Comme I'écrit Louis Aragon dans Le Paysan de Paris, certaines serrures ferment mal sur l'infini. Aussi, en libérant pleinement l'activité 91 métaphorique de l'esprit, pour reprendre une réflexion d’André Breton, nous retrouvons le rythme qui s’était malheureusement figé dans les formules mathématiques, ou coincé dans les engrenages des machines. Cette libération nous permet alors d'imaginer un monde second. Un monde sans frontiéres. Le guichetier de l'Alchimiste, se référant & Santiago parle de lui ences termes: "Encore un réveur". Une définition qui n'a rien de réducteur. Au contraire, toute la quéte de Santiago pour donner un sens a sa vie réhabilite la fonction créatrice de limaginaire. L'Alchimiste rappelle méme Ja part du réve dans la libération de toute une nation: “Il y a deux mille ans, dans un pays lointain, on jeta dans un puits et V'on vendit comme esclave un homme qui croyait aux songes. Des marchands (...) | Vachettrent et l'emmentrent en Egypte (..) Griice aux réves de vaches maigres et de vaches grasses qu oait faits le Pharaon, cet homme délivra l’Egypte de la famine”. ATinsu de l'individu se trame dans les profondeurs de son étre un travail alchimique. Images, symboles, fantasmes, archétypes tous participent mystérieusement a une démarche créatrice. Sybillins pour les non-initiés mais signes porteurs de sens pour ceux qui savent les décrypter étape par étape jusqu’a l'accomplissement de I'étre. Une autre fagon de définir la Légende Personnelle. "Avant de réaliser un réve, dit 'Alchimiste, } I’Ame du Monde veut toujours évaluer tout ce qui a été appris durant le parcours. Si elle agit ainsi, ce n'est pas par méchanceté & notre égard, c'est pour que nous 92 puissions, en méme temps que notre réve, conquérir également les lecons que nous apprenons en allant vers lui”. Le réve est une conquéte du sens profond. L’Alchimiste de Paolo Coelho, & la fois quéte et conquéte, se construit comme un réve. Chaque jour, Santiago dépasse les limites étroites de sa vie, se laissant entrainer par cette puissante image des Pyramides quill porte au fond de lui-méme. "Je n’arrive pas i rencontrer la vie dans le désert, dit Santiago. Je sais qu'elle existe”. C'est cela la force extraordinaire de la foi, ce grand réve d'infini. Croire sans voir. Croire malgré tout. Seuls le coeur et les réves peuvent ouvrir I'acc’s A l'espace non- historique de l’étre. L'instant primordial. Un instant qui, comme le mythe, rest ni vrai ni faux. [est tout simplement. C'est une expérience que connaissent ceux qui parviennent & "pénétrer I’Ame du Monde”. Paolo Coelho les appelle des "devins". Ces hommes vivent au quotidien la magie de Tintuition. "C'est dans le présent que réside le secret”, écrit Coelho. Ce secret est inscrit dans le tréfonds de notre étre comme une immense fresque symbolique sur la paroi d'une caverne. Le voyage dans cet espace souterrain, permet de découvrir des messages, essentiels "des signes du présent”, selon le devin de I'Alchimiste, comme des pitces d'un puzzle qu'il convient d'ajuster I'une & l'autre pour saisir le sens global de la fresque. Véritable "épreuve de l'obstination et du courage” que cette quéte graduelle d’authenticité. 93 L’Alchimiste s'inscrit dans la tradition d'une quéte mythique visant a réhabiliter une littérature qui révéle l'aventure de ‘ame humaine. Santiago partage avec le lecteur la confidence de son étre intérieur : ses doutes, ses craintes, ses illuminations, ses désirs, son réve, ses sentiments. L'Alchimiste sert de guide mais ne prend jamais la place du voyageur. Chaque étape de ce parcours symbolique permet de révéler le contenu inconscient du voyageur. Ce ne sont ni les déserts, ni les vents, ni les soleils, ni les hommes qui nous intéressent dans I'Alchimiste. Ceux-la ne savent pas pourquoi ils ont été créés, dit 'auteur. Seule compte "cette Main qui avait, elle, une raison pour tout cela”. Nous sommes donc appelés a 'voir' I'Invisible et 4 comprendre le miracle de la vie qui traverse et unit les étres et les choses. Les signes, ces panneaux indicateurs qui jalonnent le parcours de Santiago, renvoient a l'intérieur de la psyché. Le lecteur se lance ainsi constamment dans un travail de décryptage spirituel (au sens large du terme, non la définition étriquée que lui donnent les ecclésiastiques) de V'expérience initiatique de Santiago. Le monde n'est-il pas un cryptogramme qui demande & étre déchiffré dit André Breton? L'univers nest-il pas une écriture chiffrée, ajoute Novalis? A cela Lautréamont répond :"Il n’ya rien d’incompréhensible”. Depuis Freud, en effet, la réflexion littéraire (ou psychanalytique) ouvre la voie A un au-dela du contenu immédiat. Comme l'eau du puits jaillit des entrailles de la terre, ainsi cest dans l'indicible profondeur de I'ame que s'exprime les grandes vérités universelles. "Langage de la vie", nous dit l'Alchimiste. Pour découvrir le sens véritable de ce langage, il est indispensable de construire tout un systéme de correspondances comme pour les hiéroglyphes. C'est cela d'ailleurs qui servira de fil d’Ariane dans les épreuves initiatiques de Santiago. L'espace magique de notre monde intérieur est peuplé de mythes ancestraux. La plupart des hommes ne prennent jamais conscience de ce 'trésor’ caché. Ils vivent dans l'indifférence ou dans l'ignorance de cet héritage primitif et universel. Santiago, lui, A travers un voyage symbolique, se lance & une véritable archéologie de son étre. II descend dans les “enttrailles” de son @tre pour se découvrir. Que découvre-t-il? A la fois son histoire individuelle (sa Légende Personnelle) et celle de I'humanité (Le Langage du Monde). La psychanalyse, jungienne surtout, a démontré avec conviction que des mythes universels créés dans le creuset de I'inconscient des civilisations animent les profondeurs de 'ame. Ces scenes que I'on retrouve a travers les sigcles dans les contes comme dans des rituels symboliques, dans les. manifestations culturelles comme dans l'analyse des réves constituent notre héritage commun. Une véritable légende des siécles. Prenons par exemple ce serpent que I'Alchimiste sort des sables du désert. C'est une représentation zoomorphique que I'on retrouve depuis la création du monde. Tout d'abord au jardin d'Eden séduisant et tentant Eve. One voit présent dans le désert sous la forme d'un serpent d’airain élevé par Moise afin de guérir miraculeusement les Israélites souffrant de morsure. On le voit également dans d'autres cultures - en Inde, en Chine, dans la mythologie grecque, comme symbole de la médecine, comme représentation de l'infini (ce serpent mordant sa queue en forme de cercle ou d’oeuf illustrant la vie qui recommence indéfiniment) et jusque dans lérotisme des réves selon la psychanalyse freudienne. Parfois symbole du 95 Mal, parfois sacralisé, le serpent semble faire partie depuis toujours de la pensée profonde des hommes. Le naja que I'Alchimiste retire des sables du désert est @ la fois Eros et Thanatos, symbole de vie et de mort. Il est la vie que reconnait le cheval de I'Alchimiste mais il est aussi porteur de mort. Son venin peut tuer un homme en quelques minutes, précise le récit. Ce paradoxe n'est qu'apparent. Le schéme vie-et-mort réunit ce qui, par ‘coincidence’ (mot qui selon Paolo Coelho aurait d'ailleurs pu inspirer toute une encyclopédie a l'Anglais de I'Alchimiste) donne Vimpression d’étre conflictuel. Or, "Tout est Un" enseigne I'ésotérisme. Qu’on est loin de l'impérialisme des discours rationnels! La vie de l'ame relave elle, d'une entreprise magique et non de la rhétorique des docteurs de la loi: "Tune peux étre le vent, dit (Ie désert) au jeune homme. Nos natures sont différentes. Ce n'est pas vrai. J'ai en moi les vents, les déserts, les océans, les étoiles et tout ce qui a été créé dans I’Univers. Nous avons été faits de Ia méme Main, et nous avons la méme Ame”. Santiago appréhende la vie intuitivement. Il dépiste en Jui un monde merveilleux oi le relatif est aboli. Le serpent-vie et le serpent-mort participent au méme dynamisme psychique. Héradlite écrivait : "En nous, est la méme chose qui est vivante et morte, éveillée et endormie”. La prise de conscience d'une identité sans frontigre ouvre la voie sur la réalisation du Soi et sur I'Infini. Qui est cet étre qui porte en lui les déserts et les océans? Qui West ni exclusivement déserts ni totalement océans? Qui est tout la fois? Le jeune berger, initié aux secrets de l'Alchimiste, ne se pense plus comme une identité avec des contours précis et figés. Totalité sans bornes, il est capable d’étre un et multiple & la fois - obéissant A un appel venu du fond de lui-méme. Pour vivre cette vie-la, il doit mourir 4 lui-méme, & son moi Stroit et logicien. Vie et mort. Vie dans le désert. Nous retrouvons une fois de plus l'image de ce naja tiré des sables. On ne saurait évoquer ici (comme ailleurs dans l'Alchimiste) un dogmatisme pré-établi. Dans ce pays mystérieux que nous parcourons, seul prend de limportance le dynamisme des symboles. Comme dans les réves, ces. images s'imposent avec leur apparente contradiction, leur mysttre et leur pouvoir pédagogique. Les réves nous ouvrent les portes du sacré. Dieu ne parte-t-il pas en réve aux prophetes? II faut avoir la foi pour croire aux invraisemblances des mythes, ces patrimoines invisibles de I'humanité. Les légendes n'auraient jamais exercé une influence si fascinante et si durable si elles étaient congues par des esprits mathématiciens et rationalistes. 97 Liaire du sacré se situe hors de l'espace et du temps. On y péntre par des rites initiatiques qui réactualisent symboliquement le seénario mythique. “Que dois-je faire maintenant? demanda le jeune homme. - Continue de marcher dans la direction des Pyramids, dit l'Alchimiste; Ce voyage conduit aux Pyramides de la mort et de la renaissance. Des lieux oii s‘accomplissent I'initiation et le perfectionnement de soi. Nous passons, comme le dit Mircea Eliade, & une rupture de niveaux. L'expérience quotidienne se dépouille de son caractére profane et prend, par analogie, une autre dimension. Nous entrons alors dans le temps sacré et des lieux mythiques. Dans les contes et les légendes, ces lieux sont représentés par des foréts, des grottes, des mers..... Dans la Bible, ce sont I'Eden de la Genése et la Jérusalem céleste de l'Apocalypse. Dans la Grece antique, c'est 'Olympe des dieux. En Chine, c'est la Maison du Calendrier des empereurs divinisés. Dans I'Alchimiste, ce sont le désert, Egypte, les Pyramides. Voies royales qui nous font quitter la géographie profane pour entrer dans celle de l'ame. Cet étrange cavalier vétu de noir qui soudain surgit au milieu du sable, I'épée étincelant dans la clarté de la lune fait fonction de guide dans ce parcours initiatique. "Je vais te guider i travers le désert”, dit-il. On reconnait ce personnage. II est l'image-type de celui qui guide la déambulation rituelle du néophyte dans le temple magonnique. Il est également a l'image des anges, ces guides invisibles, qui peuplent le monde céleste. C'est aussi le Petit Prince de St. Exupéry qui accompagne le pilote dans le désert & la recherche de "I’essentiel, invisible pour les yeux". Dans un autre registre c'est la fée qui se penche sur le berceau pour tracer les voies du destin. Il faut user de ruse avec le réel pour le recréer et retrouver ainsi lerythme de notre monde intérieur. Le voyage de Santiago, rituel mille fois recommeneé, place le pélerin dans une perspective de découverte, de connaissance et de réalisation intérieure. Seule la rupture avec le temps historique et 'espace profane peut placer I'initié en correspondance harmonique avec le sacré, C'est le chemin de la Sagesse, Selon Jung, ce chemin assure la médiation entre le conscient et l'inconscient, établissant ainsi une relation entre ce qui est caché et ce qui est manifeste. Un tel voyage ne peut &tre effectué sans guide et sans reptres, Santiago a besoin de guide, d’enseignements et de signes. Chaque 6tape de son voyage est une avancée vers lui-méme, vers sa nature dit le Chef de la Caravane. Il lui est done indispensable, voire vital, de suivre les signes, s'y profonde. "Dans le désert, la désobéissance signifie la mort”, référer, s'y rattacher, comme Thésée dans le labyrinthe, pour se retrouver finalement. Il existe une "chaine mystérieuse qui unit une chose & une autre", pense le jeune berger. C'est le fil d’Ariane qui permet & Thésée d’aller vaincre le Minotaure et de retrouver sa voie. Ce fil magique unit chaque étape du palerinage. Le voyage dans le désert prend done un sens rituel. Le désert devient labyrinthe comme la forét que traversent le Petit Poucet et ses fréres. Comme celle oit s'engage le Prince Charmant pour découvrir la Belle au bois dormant. On peut s'y perdre ous'y retrouver. C'est le sens méme du labyrinthe. "Nous ne sommes que des voyageurs(...) Je suis un homme qui marche dans le désert et qui connait les 4toiles, dit l'Alchimiste au chef de guerre. Le désert-labyrinthe dans I'Alchimiste, c'est le lieu ott s'accomplit I'initiation. Lors de ses déplacements dans l'espace sacré l'initié redessine les contours du monde. Annick de Souzerelle dans L'Egypte intérieure, crit: "Le ciel extérieur, ‘Shamaim’ en hébreu, désigne aussi les cieux intérieurs que tout homme est appelé i épouser”. Ainsi la marche rituelle de Santiago (recommencée a chaque cérémonie initiatique) reconstruit son monde intérieur selon la géométrie et les mystéres du macrocosme. C'est dans cet espace particulier que le monde visible se transforme en symboles de Tuniversel. Ainsi ce désert qui, sur le plan symbolique, devient labyrinthe permet a Santiago de se chercher et se retrouver. Comme Thésée. Ce personnage de la mythologie part de la périphérie vers le centre (du conscient vers les profondeurs de linconscient), puis fait le chemin inverse. Santiago parcourt le méme tracé initiatique. En se dirigeant vers les Pyramides, 14 od se trouve le trésor caché de son Ame, il parvient a 100 découvrir les richesses de son @tre et reprendre la vie autrement. Une nouvelle naissance, Pars vers ta légende, avait dit Fatima Santiago. Si je fais partie de ta légende, tu reviendras un jour. Effectivement, a la fin, aprés avoir traversé le désertlabyrinthe Pour atteindre le centre (la Pyramide, le trésor, le fond de son étre ....), Santiago, tel Thésée, revient: "Me voici, Fatima, dit-il. J'arrive." Hrevient transformé apres avoir accédé aux secrets initiatiques creusés au pied du sycomore - secrets de la maturation et de Taccomplissement Dans de nombreuses civilisations, le labyrinthe - sous des métaphores différentes - est une voie d'accés au séjour des morts, Ce n'est done pas une coincidence que Santiago lui aussi part vers la demeure des morts (Les Pyramides) pour renaftre 4 une vie accomplie. On retrouve 1 un vieux mythe illustré de multiples fagons. Enée de Virgile est condamné * passer par I'épreuve du labyrinthe jusqu’aux enfers. Il en ressort grace & unrameau d'or qui lui montre le chemin de la sortie. Le Prince Charmant, lui, quitte la foret-labyrinthe en conquérant sur le sommeil de la mort (Hypnos : sommeil et Thananatos : mort n’ont-ils pas des liens de parenté étroits?). Il réveille la nature endormie (morte depuis cent ans) et s'approprie de la Beauté (physique et spirituelle). Dans Les 101 Métamorphoses d’ Apulée, Lucius, initié aux mystéres d'Isis, explique qu'il a “approché des limites de la mort et foulé le seuil de Proserpine”. Aller vers la mort pour retrouver la vie. Voila un paradoxe que les mythes rendent accessible. Certaines vérités éternelles s'accommodent mal dans I'étroitesse du raisonnement. "Dans le désert il ya de la vie, dit le chamelier au jeune berger. Celui-ci attend que le désert prenne une coloration rosée dans la lumiére du couchant et ressent alors une “impérieuse envie d'aller jusque It-bas, pour voir si le silence pouvait répondre 2 ses interrogations”. La mort, prélude a la vie. Le désert, espace de vie. Le silence répondant aux interrogations. Ces contraires, apparemment irréconciliables, sommeillent en secret dans le coeur de tout homme. Linvitation au voyage conduit finalement le néophyte dans les profondeurs obscures de son inconscient pour accéder a la lumitre de I’étre. Les grands récits mythologiques et initiatiques sont pour la plupart organisés autour du théme d'un voyage avec ses épreuves, ses combats et ses victoires. De nombreux contes sont également construits sur des traversées (Le Petit Poucet, Le Petit Chaperon Rouge ....) Les pélerinages aussi. Dans Le Pélerin de Compostelle, Paolo Coelho écrit : "Je pensais seulement que dans deux jours jallais revivre, en plein XXe sitcle, un peu de la grande aventure humaine qui aoait ramené Ulysse de Troie, accompagné don Quichotte dans la Manche, mené Dante et Orphée aux enfers et Christophe Colomb jusqu'aux Amériques : Vaventure du voyage vers I'Inconnu". Somme toute, une histoire de I'étre au-dela des événements quotidien. En effet, ce nomadisme est une démarche vers la découverte de soi. Pour atteindre ce “cété secret” (autre expression de Coelho) de I'étre, il faut oser prendre la route, comme Santiago, jusqu’au bout de soi. Le chemin vers La Légende Personnelle n'est autre que celui de la quéte de la Sagesse. Dans I'Alchimiste, ce chemin (une traversée du désert a linstar des grands initiés) va d'une vieille église abandonnée au temple-Pyramide. On est saisi par l'impression du sacré qui se dégage de ce parcours. L'auteur déclenche des associations d'images en ouvrant des voies d'accés entre le récit d'un voyage et son corollaire symbolique. Le temple terrestre, n’est-il pas le reflet de celui qui existe de toute éternité? C'est la demeure de Dieu parmi les hommes, pour reprendre une image de I'Ancien Testament. Dans cette vieille église, Santiago contemple le scintillement des étoiles au travers du toit moitié effondré. Un véritable départ vers l'infini. Ce sentiment d’élévation fait naitre une métaphore de la transcendance. De a, un sens profond du sacré. Diailleurs, dés le début de I'Alchimiste, Paolo Coelho nous fait entrer dans la dimension non-historique du mythe (la légende de Narcisse) et du sacré. Toute architecture sacrée a une dimension cosmique. Sur une des colonnes du temple de Ramsés II, on peut lire la phrase suivante: "Ce temple est comme le ciel en toutes ses dispositions". Cette réflexion gravée dans la pierre repose sur une tradition ésotérique qui remonte aux temps les plus anciens. L'église visible, le sanctuaire, le temple-pyramide, la loge maconnique ont tous une correspondance invisible. L'Ancien Testament révéle lorigine céleste du prototype. Moise batit le sanctuaire selon des prescriptions bien définies par Yaveh. De 9 103 méme, Salomon construit-il le temple "d’aprés le modéle du tabernacle trés Saint préparé ds I'origine”. Le prophéte Ezéchiel également regoit de la bouche méme de I'Eternel la description et les mesures du temple & construire. Tout l'univers (le ciel et la terre) est engagé dans le symbolisme du temple. Au-dela de l'aspect structural de l'édifie, ce sont les pierres vivantes qui intéresse le 'grand Architecte de I'Univers' (expression gravée sur un pilier de la cathédrale de Notre-Dame de Paris). Ces pierres vivantes renvoient 8 l'image de homme en construction, en devenir. Il est beaucoup question de ‘pierre’ dans I'Alchimiste: pierre philosophale, pierres précieuses: !'Ourim et le Toumim. Puis, a la fin du voyage, les Pyramides construites pierre sur pierre ajustées dans le sens d'une élévation, d'une ascension vers l'immortalité. Dans de nombreuses traditions, homme nait de la pierre. La mythologie grecque par exemple raconte qu'aprés le déluge, Deucalion jette des pierres qui sont immédiatement métamorphosées en étres vivants. C'est d'un tombeau creusé dans le rocher que le Christ triomphe de la mort. La vie sort de la pierre. Comme l'eau (la vie elle-méme selon St. Exupéry) est sortie du rocher frappé par Moise dans le désert. Est-ce une coincidence que le guide du pélerin de Compostelle se nomme Petrus? Est-ce un hasard que cest sous une pierre que ce pdlerin cache le secret de son épée (le secret et le sacré se confondent dans le sublime de I'acte)? C'est ici le commencement de la Sagesse. Il s'agit de comprendre intuitivement comment la pierre brute peut devenir pierre 104 précieuse. Le verbe ‘devenir’ est utilisé a dessein, chaque étape étant une conquéte. Pour arriver aux Pyramides, Santiago doit gravir la dune jusqu'au sommet, De méme, le pdlerin doit "monter sans cesse" franchir des montagnes élevées "grimper plus haut" pour arriver sur les terres de Galice oi se trouve Saint-Jacques de Compostelle. C'est 1A que s'éveille le dieu endormi en soi, pour citer Paolo Coelho dans Le Pélerin de Compostelle. L'Alchimiste a su réveiller en nous la mémoire du monde. Dou son suceés d’ailleurs. L'homme moderne avait besoin de se re-souvenir, qu’au dela de la routine et du train-train quotidien, il existe une vérité fondamentale: le mythe. L'histoire commune de I'humanité. Paolo Coelho nous offre le plaisir de nous abreuver aux sources. Un acte de renaissance. 105 Sur le chemin de la vie “Le chemin vers Dieu (...) part de chacun d'entre nous. A nous de dénouer le fil Paolo Coelho, Courrier de I'UNESCO. Patriarches et Prophétes ont été des hommes du désert. De ce royaume infini des sables nous sont parvenus des discours porteurs de vérité, d'une sagesse de vie au-dela de l’étroitesse des institutions et de la rigueur des dogmes. Santiago "ne voulait pas étre curé, Il voulait voyager". En refusant Venfermement du prét-a-penser, ce jeune berger se place dans la perspective d'une quéte universelle. Pendant longtemps, trop d'hommes ont enfermé Dieu dans des institutions hiérarchisées, se sont exterminés en son nom et ont endormi la conscience de leurs semblables en leur niant la liberté de penser autrement. Guerres saintes, guerres de religion, fanatisme, intégrisme,, sectes - ce sont des expressions de division et de haine. Fausseté du discours. La Vie, elle, est universelle. Sans frontigre, sans préjugé. "Tout est Un", ne cesse de rappeler I'Alchimiste & Santiago. 106 Les trafiquants du salut, marchands du temple des temps modernes, ont tellement entretenu le commerce des pigeons et des brebis, des tourterelles et des veaux qu'ils ont réduit les vérités essentielles aux cérémonies et aux rituels du sacrifice. Il s'agit de redécouvrir la grande Tradition des Sages : celle qui nous permet de nous relier Univers. La correspondance dont parle Baudelaire dans Les Fleurs du Mal n'est pas seulement le fruit de limagination poétique. Les techniciens de l'environnement ont établi avec suffisamment d'autorité que Técosysttme dépend d'un équilibre perpétuel. La moindre gression contre un des maillons de cette chaine infinie a des répercussions sur l'ensemble du systéme. "Une chaine mystérieuse unit une chose 2 une autre" lit-on dans V'Alchimiste. Nous assistons d'ailleurs aujourd'hui 4 un branle-bas de combat & travers le monde pour retrouver le point d’harmonie entre les organismes vivants et les lois de lanature. N’est-ce pas la méme Main créatrice qui a tout organisé dans I'Univers? N'avons-nous pas la méme Ame? rappelle I'Alchimiste. Les légendes et les mythologies de toutes les traditions révélent elles aussi des préoccupations métaphysiques et des vérités essentielles communes a I'humanité toute entigre. Dans I'Alchimiste, la coquille contient la mer, comme la mer contient la coquille. L'Un et le Tout Participent a la méme entité. Nous nous souvenons de cette priére du Christ a l'unité parfaite : "Pere, qu’ils soient un, comme Toi et Moi nous sommes Un”. Le Christ réorganise le monde par la puissance de l'amour. Seul I'élan du coeur peut rapprocher les hommes au-dela des divisions artificielles. Comme le souligne St, Paul : il n'y a plus ni Grecs, ni Juifs, ni paiens, ni 107 Les barrires sont done renversées. Dans la philosophie hindoue également, I'Atma, parcelle de divinité qui anime la vie de l'homme est en tout point identique & Brahman, force universelle qui régit les univers. Dans V'Alchimiste, c'est le désert qui, une fois de plus, nous enseigne cette legon de vision sans frontitres I suffit de contempler un simple grain de sable, et tu verras en lui toutes les merveilles de la Création”. L'homme nouveau doit naitre. Pour préparer la voie a cet avénement, il faut, a l'instar de Jean-Baptiste, aller dans le désert et appeler les hommes & la conversion, cest-a-dire au changement de vie et de vision. Paolo Coelho erée un espace exceptionnel oi, dans la fraternité, se c6toient I'andalou, le gitan, I'Arabe et l'Anglais. Ov l'infiniment petit (le sable) ouvre sur l'infiniment grand (toute la création). Ou l'expérience féconde de la Légende Personnelle révéle & l'individu le rythme du Souffle universel. Oi le vent, le soleil et l'ciseau parlent le "langage du Monde". Ou Vinstant devient Eternité. Ony retrouve le sacré que connaissent si bien les chamans, les magiciens, les sorciers et les animistes. Blasphéme pour les uns. Infantilisme pour les autres. Pourtant l'enfant, lui, dans l'innocence de sa vision du monde (comme I'évoque si bien le podte anglais, William Blake) est magicien par nature. Sa spontanéité, sa capacité de transformer le monde a la mesure de son imagination, de commander les événements a son gré et de vivre son réve immédiatement ont un air de parenté avec la puissance du sorcier. II croit et la chose arrive. Or I'Evangile appelle Thomme a devenir comme des petits enfants pour entrer dans le royaume des cieux. Le "devenir" passe par une renaissance. 108 Nous nous souvenons de cette conversation entre Jésus et Nicodéme, ce notable juif solidement attaché aux lois cérémonielles et 2 son appartenance & la lignée d'Abraham. Cela suffit, croit celui-ci, pour assurer le salut. L'homme de Nazareth, lui, propose une autre voie: "En vérité, je te le dis, personne ne peut voir le royaume de Dieu s‘il ne nait de nouveau”. Nicodéme, se placant a l'extérieur, c'est-a-dire sur le plan strictement rationnel et théologique (dans le sens séminariste du terme), oppose le réalisme des sens a I'invitation de Jésus: "Comment un homme, étant déja vieux, peut-il naitre 4 nouveau? Peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mre pour naitre encore?” Selon le Nazaréen, l'invisible est possible. Pour étre de nouveau, il faut naitre de nouveau. La vie de I'Esprit implique un changement radical, engageant I'étre tout entier. Sur le chemin de la vie, il est essentiel de se dépasser constamment, de se reconquérir. L'acte libérateur se fonde sur cette exigence.. C'est ce qui permet d’établir de nouveaux rapports avec Soi et avec le monde. "Fie-toi i ton coeur" enseigne |' Alchimiste. Le nouvel humanisme vise précisément a retrouver cette voie oubliée, A se mette a l'écoute du monde qui, selon I'Alchimiste, enseigne plus d'un langage. Pendant trop longtemps, l'homme a écouté les chants des sirénes, se laissant parfois attiré par la science et parfois par des idéologies. Parfois méme par des croyances de chapelle. Dot de nombreux naufrages: croisades, intégrismes, vague-a-l'ame, vide intérieur ..... 109 L'Alchimiste nous propose une vision différente du monde et de l'existence. D'une certaine fagon, nous nous retrouvons aux premiers jours de Ihumanité. Une re-naissance de I'Histoire. En ce temps la..... Les animaux parlaient. La nature enseignait. Les dieux conversaient avec les hommes. Les créatures célestes prenaient pour épouses les filles des hommes. L'homme, et I'univers vivaient en intimité, Puis vint La Chute. Le dialogue entre Dieu et homme se transforma en peur, en honte et en conflit. La Genése souligne ainsi cette crainte d'Adam: "L’Eternel Dieu appela l'homme, et lui dit: Oii es-tu? I! répondit: J'ai entendu ta voix dans le jardin, et j’ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis cach: Liharmonie est brisée. C'est I'affrontement entre l'homme et I'Ame de l'Univers. Une réflexion attribuée & André Malraux a fait l'objet de nombreuses dissertations:"Le 2le sidcle sera spirituel ou ne sera pas", Dans cet esprit, I'Alchimiste, vaste parabole au demeurant, nous présente une parole fondatrice de l'identité de l'homme nouveau. Désormais I'humanisme se définit comme une démarche visant a replacer I'homme en relation avec l'univers, & retrouver le sens du sacré et des merveilles de la genése du monde. Cette définition enrichie confére A Thomme une dimension cosmique. II ne s'agit pas ici d'une extension des 110 facultés cognitives mais bien d'une initiation qui permet de saisir Tuniversel. A la fin de son voyage Santiago comprend le mystére de 'unité dressence. “Alors le jeune homme se tourna vers la Main qui avait tout écrit. Et, au lieu de dire le moindre mot, il sentit que I’Univers demeurait silencieux, et demeura silencieux de méme (....) Dans le silence qui s’ensuivit, il comprit que le désert, le vent, le soleil cherchaient aussi les signes que cette Main avait écrits (.....). Il savait que ces signes étaient dispersés sur la Terre et dans I’Espace, qu'ils n’avaient en apparence aucune raison d’étre, que ni les déserts, ni les vents, ni les soleils, ni les hommes enfin ne savaient pourquoi ils avaient été créés. Mais cette Main aoait, elle, une raison pour tout cela, et elle seule était capable d'opérer des miracles, de transformer des océans en déserts, et des hommes en vent. Parcequ'elle seule comprenait qu'un dessein supérieur poussait |’ Univers jusqu’t un point oit les six jours de la création se transformeraient en Grand Oeuore.” Un voyage qui permet I'accts & un autre niveau de conscience. Nous comprenons ainsi mieux le recours aux symboles de Valchimie. Cette littérature hermétique, basée essentiellement sur des métaphores de la transformation et de I’Eveil, raconte mystérieusement Témergence de 'homme nouveau. Du plomb a lor. Du profane au Sacré. Le temps et I'espace prennent également d'autres perspectives. L'instant et I'Eternité se confondent. Nous assistons 4 une métamorphose profonde de Yétre et du monde. Les réves de l'homme prennent appui sur les forces de T'univers pour se réaliser. Une véritable conspiration, précise Paolo Coelho. Tout est alors indifférencié car tout provient de la méme "Main", c'est-a-dire d'une essence commune. Cette ultime co-naissance de Santiago réveille en lui I'intuition de l'Absolu: "J'ai appris que le monde posséde une Ame, et celui qui lll pourra comprendre cette ame comprendra le langage des choses”. A ce moment du miracle, il n'existe ni connaissant ni connu. Les deux participent a la méme conscience. Le profane ne connait pas cette voie de la connaissance unitive. vit dans un monde éparpillé, démoli par la raison et 'analyse qui, elles, exercent un pouvoir de séparation. Dans Les Confessions, St. Augustin Scrit:"Les hommes voyagent pour contempler les cimes montagneuses et les vagues de la mer, les larges fleuves et le vaste océan, et ils passent sans se voir eux-mémes qui constituent le miracle supréme”. L'Alchimiste propose un prolongement A cette démarche d'inspiration socratique. L'homme doit retrouver cet instinct primitif qui le rend capable d'une participation-reflexe aux forces de lunivers. Pénétrer dans l'arritre-monde, comme I'écrit Raymond Abellio. N'est-ce pas dans ce sens principalement que nous sommes appelés a comprendre le récit de Santiago? Rien n'est fortuit. Tout a un sens; "Il n’existe pas de coincidence" dit I' Anglais dans I'Alchimiste. Tout participe & un réseau de correspondances universelles qui de toute évidence échappe au non-initié. La vie est indivisible. C'est la grande lecon qu'enseigne I'Alchimiste aux hommes. Il est indispensable de repenser la connaissance. Un défi a relever dans un monde oii le savoir académique a remplacé l'expérience initiatique. L'Alchimiste nous propose dans ce sens une nouvelle relation entre I’étre et le monde. La connaissance devient élan de ré-création. "Tout évolue dans I’Univers”, lit-on sous la plume de Paolo Coelho. Les astro- physiciens ne nieraient pas cela. Ils sont eux, habitués a constater Texpansion de l'univers physique. Or, ce qui existe dans le monde physique ESOS 112 est en correspondance avec le monde de l'esprit. Tout comme le trésor enfoui A proximité des Pyramides renvoie & celui que Santiago porte depuis toujours dans les profondeurs cachées de son étre. L'Alchimiste nous fait re-découvrir cette loi des correspondances invisibles enseignée par les hermétistes. Cet enseignement a été oublié ou méconnu au point od la connaissance initiatique a disparu pour faire place & la construction intellectuelle. Et 'homme s'en est enorgueilli, ignorant ainsi la magie des signes. Repoussée par la science comme une vulgaire superstition ou, au mieux, comme de la pure fantaisie, c'est cette vision magique du monde que nous retrouvons dans I'Alchimiste. "homme moderne se trouve confronté 4 sa propre histoire, "plongé au coeur de l'immensité et de la puissance des éléments". L'Histoire de I'humanité reprend son souffle et repart. La caravane se remet en marche (pour puiser une image forte du voyage de Santiago dans le désert). Le jeune berger andalou voit devant lui "unt monde nouveau" et un astre lui indique le chemin. Paolo Coelho précise que cet astre brille "dans le Ciel du petit matin". C'est le monde qui recommence. Aussi merveilleux, aussi légendaire que le premier matin du monde. Dans I'Egypte ancienne, chaque matin rappelle la victoire de la lumi&re sur les ténébres, de lordre sur le chaos. Ainsi se renouvelle quotidiennement la création. Le chaos initial contient potentiellement tous les possibles. Comme la Terre, informe et vide, avant la création. Comme I'Ame du Monde qui contient I'essence de toutes les créatures, C'est la matigre premiére. Un nouvel ordre est sur le point de naitre. L'Esprit se meut Ace moment la au-dessus des Eaux, pour reprendre l'image de la Gendse SS 113 biblique. Eau amniotique contenant les débuts de la vie. Eaux mercurielles de l'inconscient collectif, pour reprendre la métaphore hermético- alchimiste. Eau du baptéme par immersion qui renvoie retour au sein maternel et de l'émergence d'une vie nouvelle. Toutes ces allusions témoignent qu'une autre vie est possible. Rappelons nous de la conversation de Santiago avec la gitane. Le jeune berger, ayant été conduit en réve jusqu'aux Pyramides d'Egypte consulte cette vieille bonne femme pour en avoir l'interprétation. "Je n’en avais entendu parler, mais si c'est un enfant qui te les a montrées, c'est qu elles existent en effet”. L'enfant recrée le monde, non seulement par la force et la magie de son imagination mais aussi par l'espoir qu'il suscite. L'avenir appartient alenfant. Il est la parole vraie qu'il faut écouter, le réve qui se réalise. Le roi de Salem se référe a cette époque dela vie oii " tout est clair, tout est possible”. Dans sa dédicace du Petit Prince, St. Exupéry écrit: "Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants". 11 précise dans le méme souffle que "peu d’entre elles s'en souviennent”. Est-ce un paradis perdu & tout jamais? Pas forcément. L’Alchimiste, lui, tient a ne parler qu'aux petits enfants. C'est l'age oi, selon le roi de Salem, on n'a pas peur de réver. On ne voit pas seulement avec les yeux a cet Age d'or. TN ’™ “

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