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LE FINANCEMENT DE LA PME EN FINANCE ISLAMIQUE


Halsaâ BENZHA – Ribh Finance

Résumé Après avoir dépassé le dogme de l’inéluctabilité


Le financement de l’activité marchande de l’intérêt dans les transactions bancaires, la
et productive est au cœur de la finance finance islamique moderne a prouvé sa capacité
islamique dont il constitue la raison à exister et à durer, en créant de nouveaux outils
d’être. Pourtant, malgré les succès financiers faisant prévaloir les concepts de par-
récents enregistrés par la finance isla- ticipation, de prise de risque, d’implication dans
mique et son rythme de croissance spec- les opérations de production et de réponse aux
taculaire, le financement de la PME est exigences globales du métier bancaire.
aujourd’hui délaissé par les banques L’Histoire est un éternel renouvellement et après
islamiques au profit du financement de la avoir donné à la civilisation occidentale les chif-
consommation et des fonds de placement. fres arabes et les fondements de l’algèbre, l’Islam
Après avoir abordé la spécificité des lui offre aujourd’hui les bases d’une finance
besoins financiers de la PME et présenté éthique qui canalise les excès du capitalisme
les outils mis à sa disposition par la sauvage et de l’économie dématérialisée.
finance islamique, cet article constate
que la réconciliation avec l’esprit
d’entreprise constitue aujourd’hui l’un Caractéristiques de
des principaux défis à relever par les la finance islamique
banques islamiques. moderne : des principes
d’investissements éthiques
Introduction et socialement responsables
Historiquement, le commerce a toujours été La finance islamique est une finance qui se veut
intimement lié à l’Islam. C’est à la Mecque, équitable, favorisant l’investissement, le dévelop-
centre commercial millénaire, que le Prophète pement et le partage des risques, et encourageant
Mohammed – qui fut lui-même marchand – l’initiative tant privée que publique. Les activités
commença à prêcher l’Islam. C’est également à de finance islamique, encore émergentes, sont en
travers le contact avec les marchands musulmans forte croissance et en pleine diversification.
que beaucoup de peuples d’Afrique et d’Asie Les banques islamiques sont régies par des
embrassèrent l’Islam. conseils de surveillance – Charia Supervisory
L’Islam régit tous les aspects de la vie du musul- Boards – qui veillent à la conformité des activités
man, y compris la sphère économique. Le musul- de la banque avec les principes fondateurs de la
man trouve dans la Charia – droit fondamental finance islamique définis par la Charia, dont les
édicté par le Coran et les enseignements du plus importants sont :
Prophète (Hadiths) – les règles de bases qui
régissent des thèmes aussi variés que la fiscalité, e L’interdiction de l’intérêt
les dépenses publiques, l’intérêt, la propriété (riba, terme qui désigne à la fois
foncière, les ressources naturelles ou encore les l’intérêt et l’usure)
salaires. L’Islam encourage le profit mais interdit le
LIslam dans sa vision sociale universelle proscrit paiement d’intérêts. Le profit symbolise une
les intérêts et l’usure dénommés Riba parce que entreprise fructueuse et la création d’une valeur
favorisant la concentration de la richesse entre les ajoutée par l’utilisation d’actifs productifs, tandis
mains des nantis. La prospérité de l’individu ne que les intérêts représentent un coût qui est dû
doit pas résulter d’un « enrichissement sans quelle que soit l’issue de l’entreprise et, qui peut
cause » – l’argent générant l’argent – mais elle générer une destruction de valeur si l’activité
doit être le résultat d’un effort et d’une activité génère des pertes. Les comptes ouverts au sein de
génératrice de valeur ajoutée. De ce fait, la banques islamiques ne sont pas sujets à des taux
finance islamique est une finance essentiellement d’intérêt. Le principe utilisé est celui du partage
entrepreneuriale qui valorise le travail et l’inves- de risques et de profits. Ainsi si la performance
tissement, et récuse la rente, la spéculation et la d’une banque islamique est bonne, les profits
consommation excessive. sont redistribués à des taux déjà agréés. D’un
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autre côté, une mauvaise performance d’une e La matérialité des échanges


banque islamique se répercute au niveau des ou la nécessité d’un actif
comptes clients. sous-jacent
Une opération financière doit reposer sur des
e Le partage des profits et biens réels et les transactions bancaires « halal »
des pertes doivent correspondre à des échanges tangibles.
Cette nécessité constitue l’un des points forts de
Le principe de justice sociale de la Charia suppose l’économie islamique au regard de l’économie
que l’emprunteur et le prêteur partagent de façon dématérialisée : l’évaluation des risques est
équitable aussi bien les gains que les pertes, et que incomparablement meilleure sur un capital
le processus de création et de distribution des matérialisé.
richesses dans l’économie soit représentatif de la
productivité réelle. e Le choix des investissements
Un aspect important de la banque islamique
e L’interdiction de l’incertitude réside dans les critères de choix des investisse-
« gharar » et donc de ment, et l’interdiction des actifs illicites comme
la spéculation le tabac, l’alcool, l’industrie du sexe, les jeux
d’argent et toute entreprise dont le levier finan-
Le hasard (Al-Gharar) désigne les activités qui cier (rapport du capital à l’endettement) est
présentent un élément d’incertitude, d’ambi- considéré comme excessif.
guïté ou de dol. Dans un échange commercial, il
se réfère à une tromperie ou à une ignorance e Des délais de remboursement
entachant le contrat, notamment l’incertitude adaptables
sur l’objet de la transaction, sa quantité, son prix, Si le débiteur est en difficulté, la Charia impose
ou s’il sera possible de livrer ou non. L’élément au prêteur de lui laisser du temps : « A celui qui
d’incertitude ne pouvant jamais être totalement est dans la gêne, accordez un sursis jusqu’à ce
éliminé dans une transaction, le « gharar » est qu’il soit dans l’aisance... » Coran, chapitre 2,
considéré comme normal s’il n’est pas excessif et verset 280. Ceci interdit en principe l’imposition
s’il ne constitue pas un élément fondamental de de pénalités de retards de remboursement. Tou-
la transaction. Par exemple, les contrats d’assu- tefois, le financement peut être assortit d’un gage
rance traditionnels sont la plupart du temps ou d’une hypothèque (Rahn) que la banque est
considérés contraires à la Charia car le montant habilitée à réaliser en cas d’insolvabilité de son
du remboursement est incertain et dépend de la client. Mais que faire en cas de mauvaise foi
survenance d’évènements spécifiques dans le collective des clients ? Pour contenir ces risques,
futur. Selon le principe de la certitude contrac- les banques islamiques appliquent la loi des
tuelle, les droits et obligations des parties doivent grands nombres. Elles calculent le coût moyen
être clairement établis. des retards de paiements constatés parmi
l’ensemble de leur clientèle et l’imputent au coût
e L’interdiction de la du financement.
spéculation (Al-Maysir) ou Les banques islamiques s’imposent aujourd’hui
toute forme d’arrangement aux côtés des banques classiques, y compris
entre parties où le droit auprès d’emprunteurs non musulmans, non dans
des contractants dépend une approche de conflit et de lutte, mais de
d’un événement aléatoire partenariat et d’action commune. Elles se pré-
C’est notamment ce principe que l’on retrouve sentent en tant que « finance éthique » particu-
dans les jeux de hasard et les paris. La spéculation lièrement sécurisée pour l’emprunteur à l’abri des
est interdite car elle divertit les individus d’acti- troubles financiers liés à la dématérialisation de
vités productives et favorise éventuellement l’argent (LBO, techniques de titrisation, etc.).
l’accumulation de richesses sans effort. Il est aussi En théorie, la finance « halal » possède un point
considéré comme immoral que l’un fasse un fort, celui d’être orientée essentiellement vers
profit au détriment de l’autre. l’investissement productif. A titre d’exemple,
dans un pays comme la Turquie, les banques
islamiques engagent de façon directe relative-
e L’interdiction du profit ment plus de ressources que les banques classi-
certain ques dans les transactions économiques et com-
Un prêteur devrait courir un risque pour merciales. Alors que les banques islamiques
percevoir une rémunération sur son capital en turques allouent 80 à 85 % de leurs actifs à des
fonction du succès incertain de l’investissement activités productives, les banques classiques n’en
final. affectent que 40 %.
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La banque, dans la finance islamique, constitue financier, économique, commercial, technique


un débouché pour l’épargne et un vecteur et organisationnel. Comme les dossiers présen-
d’investissement dans une logique participative : tés renferment rarement tous ces éléments, les
la banque islamique préférera s’associer avec ses banques islamiques se sont dotées de départe-
clients dans des opérations rentables plutôt que ments d’étude de projets et de suivi. La banque
de leur prêter ses fonds. L’accent mis sur la prise islamique dispose d’une panoplie de modèles et
de participation affecte la nature même des d’outils de financement (Moudarabah, Moucha-
techniques bancaires utilisées et implique l’exis- rakah, Mourabahah, Ijarah etc.) pour l’évalua-
tence d’un service structuré pour l’évaluation des tion du dossier et le montage du financement.
projets. Dans un financement de type Moudarabah, la
La banque islamique établit un véritable lien de banque peut prendre en charge le financement
confiance avec l’entreprise à laquelle elle alloue total de l’investissement – en intervenant
un capital – et non une dette. Intervenant en tant comme associé. Ce type de financement
que banque d’affaires, la banque islamique convient parfaitement aux PME qui démarrent
n’hésitera pas à prendre part au capital d’une pour obtenir les fonds nécessaires à la mise en
entreprise de production en tant qu’associée aussi place de l’investissement.
bien dans l’investissement que dans la gestion. La rentabilité. C’est l’élément primordial en
Dans ce cas précis, la banque partage les risques finance islamique. En effet, pour une banque
avec le client en participant selon un pourcentage islamique, ce qui importe le plus, c’est la renta-
convenu dans les profits comme dans les pertes. bilité de la PME à financer dans la mesure où la
rémunération de la banque dépend quasi exclu-
sivement de cette rentabilité. Le partage des
La spécificité des besoins profits entre la PME et la banque traduit le fait
financiers de la pme que le bénéfice n’est que le fruit de la symbiose
Bien que leur typologie soit très variable d’un du travail et du capital.
pays à l’autre, en fonction du niveau de déve- Le risque. L’octroi de crédits aux des PME est
loppement, les PME ont une caractéristique généralement assorti d’un risque élevé, en raison
commune : le caractère personnel et familial de notamment du risque d’insolvabilité et du carac-
l’entreprise. Pour cette raison, toutes les PME tère fragile des garanties offertes par les PME. Au
n’envisagent pas identiquement l’intervention de niveau des banques islamiques, le problème des
la banque. Pour certaines, cette dernière est garanties se pose toutefois avec moins d’acuité
indispensable ; c’est le cas des PME en démar- que pour les banques classiques. Par exemple,
rage, celles qui rencontrent des difficultés de dans le cadre d’un prêt de Mourabahah, il est
croissance ou qui ont besoin d’un soutien externe fréquent qu’en plus des garanties classiques
pour se restructurer. Pour d’autres, l’intervention (hypothèque, aval ou nantissement) il soit exigé
de la banque est moins indispensable ou n’est pas une tierce détention, pour couvrir le risque
souhaitée du tout. Elles manifestent un fort désir encouru au niveau de l’opération d’achat-revente
d’autonomie et d’indépendance, d’autant plus avec marge.
facile à sauvegarder qu’elles disposent d’une
bonne liquidité financière. De façon générale, les problèmes liés au finan-
cement bancaire des PME restent similaires
La demande de financement des PME naissantes d’une institution à l’autre, qu’elle soit classique
nécessite des crédits longs car il s’agit de financer ou islamique. Toutefois, il ressort que les pro-
des investissements qui s’amortissent sur un long duits offerts par les banques islamiques pour-
ou moyen terme ; le développement des PME ne raient être particulièrement adaptés aux besoins
peut donc se faire qu’avec une politique basée sur des petites et moyennes entreprises, et ce, pour
des ressources longues. Les banques commercia- quatre raisons :
les ont toujours privilégié le financement à court
terme ou continuent d’exiger des garanties e La faiblesse des PME en fonds propres est bien
importantes parce que leurs principales ressour- connue et constitue un obstacle majeur à l’accès
ces proviennent des dépôts à vue ou à terme. au crédit bancaire ; or, le financement islami-
L’approche du marché des PME par les institu- que peut contourner le problème de l’apport en
tions financières islamiques, peut être analysée fonds propres puisque la banque islamique
selon trois critères : l’investissement, la rentabilité intervient en tant que partenaire et non en tant
et le risque. que bailleur de fonds.
L’investissement. La banque islamique exige de e L’endettement excessif résultant de cette fai-
tout promoteur d’un projet la présentation blesse en fonds propres entraîne des frais finan-
d’une étude de faisabilité qui doit, en principe, ciers importants et met en péril l’équilibre
fournir des renseignements sur les aspects financier de la PME ; or le financement isla-
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mique basé sur le principe du partage des pertes La Moucharakah se réalise suivant l’une des deux
et des profits ne permet pas l’imposition d’inté- formules ci-après :
rêts fixes. La Moucharakah définitive
e Au niveau bancaire, la gestion de bon nombre
de PME est loin de créer la confiance ; or le « La banque participe au financement du projet
financement islamique conçoit la relation Ban- de façon durable et perçoit régulièrement sa part
que – PME plutôt à long terme, dans un des bénéfices en sa qualité d’associé coproprié-
partenariat avec notamment un rôle actif de la taire. Il s’agit en l’occurrence pour la banque d’un
banque dans la gestion de l’affaire. emploi à long ou moyen terme de ses ressources
stables (fonds propres, dépôts participatifs affec-
e Au niveau du suivi et du recouvrement, les tés et non affectés...). L’apport de la banque peut
banques islamiques sont supposées disposer de revêtir la forme d’une prise de participation dans
structures de suivi pour contrôler les travaux des sociétés déjà existantes, d’un concours à
relatifs à la réalisation de l’investissement, l’augmentation de leur capital social ou la contri-
d’une part, et à l’exploitation proprement dite bution dans la formation du capital de sociétés
de la PME, d’autre part. nouvelles (achat ou souscription d’actions ou de
parts sociales). Ce type de Moucharakah corres-
Les instruments de finance pond dans les pratiques bancaires classiques aux
placements stables que les banques effectuent soit
islamique destinés à la pme pour aider à la formation d’entreprises ou tout
Les principaux outils utilisés par la finance isla- simplement pour s’assurer le contrôle d’entrepri-
mique moderne en direction de la PME peuvent ses existantes.
être répartis en instruments participatifs et en La Moucharakah dégressive
instruments de dette.
Pour assumer sa vocation de vecteur de dévelop- La banque participe au financement d’un projet
pement dans une logique de partage des bénéfices avec l’intention de se retirer progressivement du
et des pertes, la finance islamique moderne a projet après son désintéressement total par le
perfectionné des instruments participatifs tels promoteur. Ce dernier versera, à intervalle régu-
que la Moucharakah et la Moudarabah. Basés sur lier à la banque la partie de bénéfices lui revenant
la moralité du client, la relation de confiance et comme il peut réserver une partie ou la totalité de
la rentabilité du projet, ces financements parti- sa propre part pour rembourser l’apport en
cipatifs supposent une connaissance parfaite du capital de la banque. Après la récupération de la
marché et des clients futurs associés. totalité de son capital et des bénéfices qui lui
échoient, la banque se retire du projet. Cette
De ce fait, si en théorie, les instruments partici- formule s’apparente aux participations tempo-
patifs sont privilégiés par la finance islamique, raires dans le banking classique. »
dans la pratique beaucoup de banques islamiques
tendent à commercialiser en priorité des instru- La Moucharakah constitue le mode de finance-
ments de dette ou de quasi-dette, principalement ment le plus adapté au besoin des cycles de
la Mourabahah et l’Ijarah. Cette tendance s’expli- création et de développement des entreprises
que par la contrainte de la gestion du risque et des aussi bien pour ce qui est de la constitution et/ou
conditions du refinancement qui s’effectue géné- augmentation du capital que l’acquisition et/ou
ralement via des ressources de dépôt à court et la rénovation des équipements. Aussi, la Mou-
moyen terme. Toutefois, en finance islamique, charakah est-elle très sollicitée par les promoteurs
les instruments de dette et de quasi-dette procè- pour la création de petites et moyennes entre-
dent également d’une logique de profit et non prises sous forme de sociétés de diverses formes
d’intérêts bancaires. (SPA, SARL, SNC...).
e La Moucharakah (association), contrat de prise Chacune des deux parties doit accepter le prin-
de participation dans lequel la banque et son cipe de la participation aux pertes et profits de
client participent ensemble au financement l’entreprise financée. Toute convention visant à
d’un projet. Le droit de propriété est réparti en garantir à l’une des parties la récupération de son
proportion de la contribution de chaque partie, concours indépendamment des résultats de
et les bénéfices sont partagés selon un accord l’opération est nulle et non avenue. A cet égard,
convenu. Concernant le partage des profits, la banque n’a le droit de réclamer le rembourse-
deux thèses sont développées : soit la libre ment de son apport que dans les cas de violation
répartition des bénéfices selon la convention par son partenaire d’une clause quelconque du
(thèse des Ecoles Hambalite ou Hanafite) ; soit contrat Moucharakah, de négligences graves dans
la répartition des bénéfices en fonction de la la gestion de l’affaire, et des cas de mauvaise foi,
mise de chacun (thèse des Ecoles Malékité et dissimulation, abus de confiance et autres actes
Chafite). similaires. La banque peut requérir de son par-
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tenaire la constitution de garanties mais elle ne Pour être en conformité avec la Charia, le
peut les faire jouer que dans l’un des cas susmen- financeur du cycle de production doit d’abord
tionnés. acheter et prendre possession des produits ou des
La clé de répartition des bénéfices entre les deux équipements avant de les revendre à l’industriel
parties doit être explicitement arrêtée lors de la avec une marge. Ceci est consigné dans un
conclusion du contrat afin d’éviter toute cause de contrat impliquant les trois parties prenantes : la
litige. Si la part de chaque partie dans les béné- banque, le client et le fournisseur. Cette « trian-
fices est librement négociable, le partage des gulation » de l’opération de financement est
pertes éventuelles doit se faire dans les mêmes censée non seulement garantir la destination du
proportions de partage des bénéfices conformé- prêt mais aussi et surtout impliquer le prêteur
ment au principe « le gain en contrepartie de la dans l’évaluation de son client donc de sa prise de
perte ». risque effective.
e La Moudarabah (commandite), contrat par e Le Salam, contrat d’achat comportant la livrai-
lequel la banque ou un investisseur apporte des son différée de marchandises payées au comp-
capitaux à un entrepreneur moyennant un tant (principe inverse de la Mourabahah). La
partage des bénéfices entre les parties selon une banque intervient en qualité d’acquéreur d’une
répartition convenue à l’avance. En cas de marchandise qui sera livrée à terme par un
pertes, celles-ci sont supportées par la banque client qui bénéficie d’un paiement comptant
seule, sauf si l’entrepreneur (Moudareb) est immédiat. Cela permet au client de disposer de
reconnu coupable de faute, négligence ou liquidités pour financer son cycle de produc-
violation des conditions convenues. S’il y a eu tion.
négligence de gestion par l’entrepreneur, la « Les règles de la Charia interdisent en principe
perte est supportée par les deux parties. L’entre- toute transaction commerciale dont l’objet est
preneur est seul responsable de la gestion de inexistant au moment de sa conclusion. Cepen-
l’affaire. La seule source de revenu possible dant, certaines pratiques commerciales, bien que
pour l’emprunteur est sa part de bénéfice (il ne ne répondant pas à cette condition, sont tolérées
perçoit aucun salaire). compte tenu de leur nécessité dans la vie des gens.
e La Mourabahah – produit vedette de la finance C’est le cas de la vente Salam qui a été autorisée
islamique actuelle – est un contrat d’achat et de par le Prophète dans le Hadith “celui qui pratique
revente dans lequel la banque achète à un le salam, qu’il le fasse pour un volume connu,
fournisseur un bien corporel à la demande de pour un poids connu et pour un délai connu”. »
son client, auquel elle revend le bien avec une e L’Istisna, contrat de financement avant livrai-
marge bénéficiaire. La banque achète le bien son et de crédit-bail par lequel la banque en
puis le revend au client par traites selon un prix qualité d’entrepreneur responsable de la réali-
ouvertement publié, entraînant des coûts et un sation des travaux s’oblige à exécuter des pro-
profit administratif. L’opération de crédit n’est duits finis (construction, réfection, aménage-
qu’un accessoire à l’opération commerciale. ment et finition d’équipements de production,
La Mourabaha ne peut avoir pour objet le de transport et de consommation sur com-
financement de biens qui n’existent pas à la date mande des utilisateurs et/ou des revendeurs)
du contrat. C’est une formule de financement moyennant une rémunération que l’autre par-
applicable au financement de marchandises pour tie s’engage à lui payer d’avance, de manière
les commerçants ou de matières premières pour fractionnée ou à terme.
les industriels. Elle peut également concerner L’Istisna est un contrat d’entreprise en vertu
l’équipement de moyenne taille, en fonction de duquel une partie (Moustasni) demande à une
la capacité de remboursement du client. Les autre (Sani) de lui réaliser un ouvrage moyennant
particuliers peuvent aussi en profiter pour se une rémunération payable d’avance, de manière
procurer des équipements domestiques de tout fractionnée ou à terme. Il s’agit d’une variante qui
genre (mobilier, électroménager...). s’apparente au contrat Salam à la différence que
e L’Ijara, contrat de crédit-bail par lequel une l’objet de la transaction porte sur la livraison, non
partie loue des biens durables (mobiliers ou pas de marchandises achetées en l’état, mais de
immobiliers) pour un loyer et une échéance produits finis ayant subi un processus de trans-
déterminés. Le propriétaire du bien (la banque) formation. La formule de l’Istisna peut revêtir
supporte tous les risques liés à la propriété. l’aspect d’une opération triangulaire faisant
L’Ijara peut prendre la forme d’un simple intervenir aux côtés de la banque, le maître de
contrat de bail (Ijara tachghilia) ou être accom- l’ouvrage et l’entrepreneur dans le cadre d’un
pagné d’un contrat permettant au preneur de double Istisna, offrant une solution de rempla-
bail d’acquérir le bien à la fin d’une période cement conforme aux préceptes de l’Islam à la
donnée (Ijara wa iqtinaa). technique des avances sur marché.
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e Le Khard hassan : prêt gratuit exceptionnel D’autres raisons justifient la préférence des ban-
accordé, en général, à un client fidèle qui ques islamiques pour les instruments de dette
rencontre des difficultés. La banque ne prend parmi lesquelles :
pas de profits et le client ne rembourse que le e la simplicité de mise en œuvre : contrairement
principal qui lui a été accordé. Ce produit ne aux instruments participatifs les instruments de
représente qu’à peine 1 % des emplois des dette ne nécessitent pas le recours aux registres
banques islamiques. comptables du client ; en effet, compte tenu de
la faible taille des projets financés, la majorité
d’entre eux ne dispose pas de comptabilité ;
Pour la creation e les instruments de dette offrent formellement
d’un modèle une meilleure prédictibilité des flux financiers
de microfinance islamique escomptés par l’opération de financement ;
L’attribution du Prix Nobel de la paix 2006 au e la banque écarte le risque de mauvaise foi du
Dr. Muhammad Yunus et de la Grameen Bank client qui pourrait produire une fausse comp-
du Bangladesh traduit la récente prise de cons- tabilité ;
cience du potentiel de la microfinance dans le e le coût d’implémentation du financement par
cadre de programmes de développement éthi- dette est nettement inférieur à celui du finan-
ques et socialement responsables. La finance cement participatif.
islamique se réclamant des mêmes principes de Même ci ces contraintes sont réelles, la microfi-
responsabilité sociale et de développement, la nance islamique se doit d’adopter davantage les
question qui se pose naturellement est de situer formules de financement qui intègrent le prin-
la fiance islamique par rapport à la microfinance. cipe de partage des pertes et profits – Moucha-
« La Microfinance est un véritable levier de rakah et Moudarabah – avec le cas échéant une
réduction de la pauvreté. Il implique la mise en mutualisation du risque ; la viabilité du système
place de services financiers pour les personnes à étant fondée sur la relation de confiance et de
revenus modestes et les démunies qui, à cause de responsabilité réciproque.
leur position économique, sont exclues du sys-
tème financier classique. La mise en place de
services financiers pour les personnes à revenus Les defis a relever par
modestes, permet d’élever le revenu familial et la la finance islamique en
sécurité économique, de réunir des fonds et de
réduire la vulnérabilité ; de créer une demande matiere de financement
pour d’autres articles et services (notamment la des pme
nourriture, l’éducation, et la santé) ; et de sti- Le principal défi qui se pose aujourd’hui aux
muler les économies locales. » banques islamiques réside dans la tentation
La Microfinance et le financement islamique ont d’imiter les banques traditionnelles en évitant de
beaucoup de points en commun. L’Islam prendre des risques et en recherchant systémati-
s’appuie sur les facteurs éthiques, moraux, quement la sécurité dans le placement de leurs
sociaux, et religieux pour défendre l’égalité et fonds, perdant ainsi leur raison d’être et vidant
l’équité, pour le bien de toute la société. Les leur action de sa dimension éthique et solidaire
principes incitant à l’esprit d’entreprise, la répar- orientée vers le développement.
tition des risques, les droits et devoirs de chacun, Les banques islamiques doivent remettre en cause
les droits de propriété, et l’inviolabilité des leur positionnement d’intermédiaire financier
contrats sont tous inclus dans la Charia. calqué sur le modèle occidental et qui a généré des
Dans ce contexte, pourquoi la finance islamique modes de financement hybrides entre le prêt et
n’est elle pas plus manifestement présente dans le l’investissement, qui cherchent à garantir simul-
domaine de la microfinance ? Les outils islami- tanément le capital et son rendement.
ques basés sur le principe de partage des profits L’objectif stratégique de la finance islamique
et des pertes sont difficiles à implémenter dans le dépasse en effet le simple bannissement de l’inté-
contexte de la microfinance parce qu’ils nécessi- rêt : son but ultime est de participer au dévelop-
tent un engagement à long terme sous forme pement, à l’augmentation de la production de
d’une assistance technique et managériale qui en biens et services et à la création d’emplois. Le fait,
augmente le coût de mise en œuvre. Ceci expli- au plan théorique, de ne pas mettre suffisamment
que pourquoi la finance islamique privilégie les l’accent sur la règle « les profits doivent aller de
contrats de dette (principalement la Mouraba- pair avec les risques », et au plan pratique
hah) par rapport aux instruments participatifs d’ignorer totalement cette règle dans la plupart
(Moucharakah, Moudarabah). des opérations entreprises par les banques isla-
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miques, en recourant à des formules qui garan- que beaucoup des solutions proposées par des
tissent et le capital et le rendement, vont mani- banques islamiques qui maquillent leurs produits
festement à l’encontre de cet objectif ultime. pour leur donner un semblant de conformité à
« La finance islamique est aujourd’hui un marché l’Islam alors qu’il s’agit en fait d’usure. En
lucratif qui utilise des techniques sophistiquées acceptant de financer des projets avec un esprit de
visant à réaliser le même rendement que la partenaire et non d’usurier les banques islami-
finance traditionnelle. Elitiste, cette industrie ques à l’instar des institutions de capital-risque
cible avant tout les fortunes des pétromonarchies, occidentales permettront la concrétisation de
tandis que les classes moyennes et les PME projets innovants ou à fort potentiel de dévelop-
peinent à trouver des services bancaires respec- pement (startups), et créeront des millions
tant l’éthique islamique. » d’emplois. »
« La finance islamique est appelée à renouer avec
sa mission originelle de création d’opportunités
pour de larges couches sociales, la contribution Bibliographie
aux efforts de production et à la transformation Anouar Hassoune & Mohamed Damak, Les
des pauvres en forces vives de la société, grâce à habits neufs de la finance islamique, Standar &
la mise en œuvre de micro-entreprises produc- Poors, Mai 2007.
tives et commerciales reposant sur l’utilisation Lachemi Siagh, L’islam et le monde des affaires,
des facteurs de production disponibles dans Editions d’Organisation, 2003.
chaque environnement. L’intégration des non
nantis dans le cycle du profit et de la produc- Cheikh Saleh Kamel, Evolution des activités
tion nécessite de la part des banques islamiques bancaires islamiques, problèmes et perspectives,
d’étendre la portée des activités dont elles ont été Conférence donnée par l’auteur à l’occasion de la
les premières initiatrices c’est-à-dire les projets de réception donnée en son honneur en sa qualité de
“la famille productive”, du développement rural lauréat du Prix de la Banque Islamique de
intégré, du financement de l’artisanat et des Développement en « système bancaire islami-
personnes qualifiées et dotées d’expérience. Elle que » à Dejddha, le 20 octobre 1997.
nécessite également la réduction du volume de la Islam et argent, Conférence donnée à Paris par
garantie et de la caution exigée afin que le Moncef Cheikh-Rouhou, Professeur à HEC, le
financement puisse atteindre le maximum de 12 octobre 2007.
catégories et de couches sociales non nanties. » Pour une finance éthique accessible au grand
L’accès au financement est l’une des principales public, Tariq Ramadan
contraintes au développement des petites et Muhammad Saleem, Islamic Banking : A $300
moyennes entreprises. « Les banques islamiques billion Deception, Xlibris Corporation, 2006.
doivent abandonner leurs pratiques qui s’appa-
rente à l’usure et s’inspirer du modèle américain Le développement de la microfinance islamique :
du capital risque qui privilégie le partage de cadre et stratégies, Forum IFSD 2007
profits et des pertes – comme l’exige l’éthique Sajjad Chowdhry, Creating an Islamic Microfi-
islamique – au lieu des intérêts bancaires. En ce nance Model, Dinar Standar – bussiness stratégie
sens la pratique du capital-risque par les institu- for the Muslim World, Nov 2006.
tions financières américaines est plus “islamique” Banque Al Baraka d’Algérie

7 TFD 90 - Mars 2008

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