INTERNATIONAL Focus - Présidence UE

Bilan de la présidence belge de l’UE

Le pragmatisme l’emporte sur la forfanterie

Il a neigé des félicitations sur la
présidence belge de l’UE ces
dernières semaines. Un éloge
récurrent avait trait à l’approche
très pragmatique de notre pays,
qui a rendu possibles des pro-
grès concrets dans de nombreux
dossiers. Une panoplie de sujets
ont été passés en revue ces six
derniers mois. Nous en soumet-
tons quatre, chers aux entrepre-
neurs, à Didier Seeuws et Peter
Van Kemseke, diplomates bel-
ges de premier plan auprès de
l’Union européenne. Leur bilan.
© DAniel Rys

Didier Seeuws : “Le but est d’éviter, dans le futur, que l’Union monétaire soit surprise par le déraillement
économique d’un État membre”

Brevet unique de l'Union européenne
Les entrepreneurs qui déposent une demande de brevet de l'UE
aujourd’hui doivent passer par un processus onéreux et complexe
pour ce dépôt dans les différents États membres. Les frais liés aux
traductions et aux procédures juridiques sont jusqu’à 15 fois plus
élevés que pour un brevet aux États-Unis. Ceci affecte la compé-
titivité des entreprises dans notre pays et freine l’innovation.
Peter Van Kemseke : “À l’heure actuelle, 13 pays (la Belgique
adhérera probablement en janvier) ont déjà rejoint le groupe en
faveur du régime linguistique limité. Grâce à cette solution, une
entreprise peut, par le biais d’une seule procédure uniformisée et
dans une seule langue (parmi les 3),
déposer valablement un brevet dans tous
les États membres de l’Union.”

Didier Seeuws : “La validation d’un brevet coûte

actuellement près de 20.000 EUR dans la moitié “
L’obstacle le plus difficile, le plus
émotionnel, vers un brevet unique
des États membres, somme dont la majeure partie
est destinée à couvrir les frais de traduction. Il exis- a été franchi” Didier Seeuws
tait déjà un accord politique à propos d’un brevet
unique dans tous les États membres, mais les dispositions concer- Gouvernance économique
nant la traduction devaient encore être réglées à part. La propo- plus efficace
sition de la Commission européenne de ne plus utiliser que les L’Europe entend former un bloc écono-
trois langues de l’Office européen des Brevets (anglais, français, mique plus solide dans le monde. Cet ob-
allemand) s’est heurtée, en particulier, à l’opposition de l’Espagne jectif requiert une gouvernance économique de qualité devant
et de l’Italie. Mais, grâce à la procédure de la ‘collaboration ren- conduire à une Europe économiquement et financièrement sta-
forcée’ – dans le cadre de laquelle un groupe d’États membres ble. Un groupe de travail spécial, dirigé par Herman Van Rompuy,
prend l’initiative et cherche un accord en plus petit comité –, un président du Conseil européen, a publié en octobre le rapport
brevet unique de l'UE pourrait devenir opérationnel au cours de 'Strengthening economic governance in the EU'.
cette législature de la Commission. Outre un accord sur le régime
linguistique, le règlement général et le règlement des litiges Ce rapport repose sur cinq lignes de force :
devaient encore être mis au point. Mais l’obstacle le plus difficile, 1. Une plus grande discipline budgétaire grâce à un Pacte de sta-
le plus émotionnel, a été franchi.” bilité et de croissance renforcé prévoyant des sanctions semi-

64 • JANVIER 2011
 Focus – Présidence UE INTERNATIONAL

automatiques (voir aussi l’interview avec Herman Van Rompuy à
la pp. 58 à 60).
2. Un nouveau mécanisme de contrôle pour la surveillance
macro-économique.
3. Le ‘semestre européen’, dans le cadre duquel les États mem-
bres présentent en mars de chaque année leur stratégie budgé-
taire et leur projet de réforme à la Commission européenne et au
Conseil, et les font évaluer par ceux-ci.
4. Le développement d’un mécanisme structurel en vue d’assu-
rer la stabilité de l’euro.
5. La réalisation de statistiques, d’analyses et d’éva-
luations plus performantes et fiables.
Didier Seeuws : “Le but est d’éviter, dans le futur,
que l’Union monétaire soit surprise par le déraille-
ment économique d’un État membre et aussi que
l’Europe puisse intervenir et redresser la barre
beaucoup plus rapidement. Jusqu’à aujourd’hui, il
n’est possible de réagir qu’après coup. L’instrument
du ‘semestre européen’ a pour grand mérite de
synchroniser les cycles de la politique budgétaire et
des projets de réforme, ce qui permet de mettre au
jour tout dysfonctionnement dans un État membre.
La gouvernance économique aura ces prochaines années un
énorme impact sur la croissance économique et financière des
États membres. Nous avons, en outre, à présent un mécanisme
de sanction bien ficelé, même si l’on est encore loin d’avoir dit le
dernier mot à ce sujet.”
Peter Van Kemseke : “L’European Stability Mechanism doit ren-
dre le fonds de prévoyance temporaire pour l’euro permanent,
par le biais d’une adaptation du Traité de Lisbonne. Il s’agit là
d’un signal rassurant à l’égard du marché, qui aura en outre un
effet fortement dissuasif sur les spéculateurs. Cette stabilité à
long terme profite certainement au climat d’entreprise.”
Délais de paiement uniformes
La crise financière a encore une fois démontré que les paiements
tardifs peuvent mettre les entreprises dans l’embarras. Les
PME, en particulier, souffrent du paiement tardif de comptes
débiteurs. Selon des sources européennes, un quart des failli-
tes de PME serait dû à des défauts de paiement.
Didier Seeuws : “La nouvelle directive sur les délais de paie-
ment harmonise les différents délais : 30 jours (dans certains cas
60 jours) pour les administrations publiques et 60 jours pour les
entreprises (transactions b2b). Les entreprises peuvent déroger
à ce délai sur une base contractuelle, moyennant une solide
motivation. On évite ainsi des abus ‘structurels’. Dès que le
Conseil adopte formellement la nouvelle règle, les États mem-
bres ont deux ans pour l’instaurer. Le délai de 30 jours doit être
d’usage au sein de l’UE au plus tard début 2013. Un intérêt de
retard légal de 8% s’applique en outre aux paiements tardifs.
Les entreprises dupées ont automatiquement droit à minimum
40 EUR de compensation pour les frais de recouvrement.”
Diplomatie économique
Un Service européen d’Action extérieure (EEAS) a été créé
dans le cadre du Traité de Lisbonne et regroupe de nombreux
services existants, sous la houlette de Catherine Ashton. Celle-ci
dirige au total 136 ambassades européennes, qu’elle souhaite
laisser s’exprimer d’une seule voix européenne. BUSINESSEU-
ROPE, qui regroupe 40 fédérations industrielles et patronales de
34 pays, demande une dimension économique compétitive à
l’intérieur de la politique étrangère européenne.
Didier Seeuws : “La diplomatie économique pour l’EEAS est à
tout le moins un bel objectif. La stratégie commerciale du com-
missaire De Gucht qui tend, entre autres, à des marchés plus
accessibles et à des échanges réciproques équita-
bles, bénéficie d’un grand crédit (ndlr : voir inter-
view avec Karel De Gucht dans le numéro de
décembre de Forward). Il y a déjà eu, lors de la pré-
sidence, un revirement radical dans la manière dont
il peut être fait obstacle aux instruments de poli-
tique commerciale (activités antidumping, antisub-
ventions, de sauvegarde, etc.) suite à la réforme de
la procédure de comitologie (*). Ceci n’est actuelle-
ment encore possible que par le biais d’une majori-
té qualifiée alors que, dans le passé, une simple
majorité suffisait.”
“trèsL’European Stability Mechanism a un effet
dissuasif sur les spéculateurs” Peter Van Kemseke
Peter Van Kemseke : “Sur le terrain, cela signifie par exemple
que des pays qui font du lobbying contre les activités antidum-
ping arrivent moins facilement à faire chanter les États membres
individuels. Bref, l’UE devient beaucoup plus compétitive. Il s’a-
git là d’une grande amélioration pour les entreprises qui sont
exposées à la concurrence internationale.” 
Johan Van Praet
(*) Que signifie comitologie ? Voir le glossaire sur www.europa.eu/
scadplus/glossary/comitology_fr.htm
Marché intérieur plus fort
L’un des fils d’Ariane de la présidence par le biais d’un péage. Le montant
belge était le renforcement du mar- du péage peut varier en fonction du
ché intérieur, concrétisé par une série moment de la journée.
de résultats (en plus des 4 déjà com- - La limitation de l’utilisation de six
mentés) qui renforceront la compétiti- catégories de substances dangereu-
vité de nos entreprises. Un aperçu : ses dans le matériel électrique et
électronique.
- Le traité de libre-échange avec la - Des informations obligatoires sur les
Corée du Sud. produits alimentaires à l’intention
- L’harmonisation de la manière dont du consommateur par le biais d’éti-
les produits de construction sont quettes uniformes.
commercialisés, conformément au - Des objectifs d’émission de
marquage CE (opérationnel en 2011). CO2 pour les camionnettes
- L’Eurovignette permettant aux États (max. 147 g/km d’ici 2020).
membres de porter en compte les - Un marquage de sécurité pour tous
‘frais externes’ causés par les ca- les médicaments sur prescription en
mions (pollution, nuisance sonore vue de lutter contre la fraude.
et, indirectement, encombrements) -…

JANVIER 2011 • 65