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Daniel Stiernon

La Vision d'Isaïe de Nicomédie


In: Revue des études byzantines, tome 35, 1977. pp. 5-42.

Résumé
REB 35 1977Francep. 5-42
D. Stiernon, La Vision d'Isaïe de Nicomédie. — Une tradition hagiographique assez suspecte (BHG 1731, 1734) fait intervenir un
saint Isaïe, reclus de Nicomédie, dans le mariage de Théophile et de Théodora (821 ?) et dans le rétablissement des images
(842-843). De la vie de ce thaumaturge n'a été transmis, à partir du XIIe siècle, qu'un seul extrait (BHG 2208), relatif à l'efficacité
posthume de la liturgie eucharistique, plus précisément de la célébration continue de quarante messes quotidiennes, réplique
byzantine du trentain grégorien. Ce curieux document est introduit, édité, traduit et commenté.

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Stiernon Daniel. La Vision d'Isaïe de Nicomédie. In: Revue des études byzantines, tome 35, 1977. pp. 5-42.

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1977_num_35_1_2064
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE

Daniel STIERNON

II y a 260 ans Montfaucon signalait dans le codex CCCI ohm XXVII


de la bibliothèque de Coislin une pièce de liturgiis datis in Ecclesiis Christi
inscrite au compte d'un saint Isaïe moine et prêtre reclus dans la tour de
Nicomédie1. Depuis lors, les catalogues de manuscrits2 et plus spécialement
les bollandistes, ces admirables sourciers hagiographiques3, ont consi
dérablement vieilli et élargi la tradition de ce curieux opusculum4. Il ne
s'agit pas précisément d'un sermo de liturgiis5, mais d'un extrait — le
seul découvert jusqu'à ce jour — de la Vie du reclus Isaïe de Nicomédie,
sous forme de «récit utile à l'âme», comme le caractérisait justement

1. B. Montfaucon, Bibliotheca Coisliniana olim Segueriana, Paris 1715, p. 416.


2. R. Nares, A Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, III,
Londres 1808, p. 291 (ce témoin tardif en langue vulgaire se rattache à la tradition du
Nomocanon de Malaxos, dont la fortune mérite un traitement spécial : voir ci-dessous
p. 22) ; H. Stevenson, Codices manuscripti graeci Reginae Svecorum et PU PP. II, Rome
1888, p. 34; V. Vasiljev, Zametki ο nekotorych greceskich rukopisjach zitii svjatych
na Sinae, VV 14, 1907, p. 304, n° 23. Pour les inventaires des jeunes témoins « grecs»
(surtout athonites) et pour les catalogues plus récents, voir ci-dessous p. 13-18.
3. Catalogus codicum hagiographicorum graecorum bibliothecae Vaticanae, Bruxelles
1899, p. 237; C. Van de Vorst et H. Delehaye, Catalogus codicum hagiographicorum
graecorum Germaniae, Belgii, Angliae, Bruxelles 1913, p. 272, n° 4 (JLondin. Addit. 28270) ;
F. Halkin, Glanes modenaises et brescianes d'hagiographie grecque, Studi bizantini e
neoellenici 9, 1957, p. 223 ; BHG 2208.
4. Coislin. 301, f. [1].
5. Il est présenté ainsi par R. Nares (ci-dessus n. 2), par H. Omont, Inventaire sommaire
des manuscrits grecs de la bibliothèque nationale, III, Paris 1888, p. 175, et, en dépendance
de ce dernier, par A. Ehrhard, dans K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen
Litteratur, Munich 1897, p. 160.
6 D. STIERNON

Mgr L. Petit dans une notice toujours valable6, qui, malheureusement


inattentive au plus ancien témoin connu7, n'éprouvait aucune difficulté
à rapprocher cet Isaïe d'un homonyme du xme siècle8. L'incompatibilité
n'a pas échappé au P. Vitalien Laurent9 que je n'avais plus qu'à suivre,
non sans commettre une bévue en déduisant du silence observé par mes
doctes confrères que le mystérieux reclus de Nicomédie était «inconnu
par ailleurs»10. Je voudrais réparer ici cet impair avant de publier l'extrait
en question que le P. Halkin intitule à bon escient Visio de missarum
stipendio (BHG 2208).
Le reclus de Nicomédie
Isaïe et le mariage de Theodora. L'espèce de concours de beauté11 auquel
donna lieu, en 821 semble-t-il, la recherche par Théophile d'une épouse
digne de son cœur et de la couronne12 fit comparaître devant l'empereur
une jolie fille, qui, selon la version fantaisiste de l'auteur de la Vita sanctae
Theodorae imperatricis (BHG 1731)13, n'était autre que ladite Theodora.
Au moment de la restitution de la pomme — séquence décisive du tour
noi14 — , la jeune Paphlagonienne, avantagée sur ses six rivales et sommée

6. DTC 8, 1924, col. 81.


7. Le Londin. Addit. 28270 datant de 1111, signalé dès 1913 par les bollandistes (ci-
dessus n. 3).
8. L. Petit, Isaïe, moine et auteur ascétique, DTC 8, col. 81. Sans doute sous cette
influence, le reclus de Nicomédie a été attribué « à la période nicéenne » par H.-G. Beck,
Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, Munich 1959, p. 700.
9. Isafe de Nicomédie, Catholicisme 6, col. 148.
10. Isaïe de Nicomédie, Dictionnaire de spiritualité 7, col. 2083.
11. La thèse de Mlle M. H. Fourmy, Les concours de beauté dans V empire byzantin,
Bruxelles 1935 (cf. Byz. 25-27, 1955-1957, p. 828 n. 2), n'a pas été publiée. Depuis l'article
de L. Bréhier, Concours de beauté à Byzance, Le Correspondant 3, 1937, fasc. 1, p. 3-12,
on consultera, outre les travaux signalés à la note suivante, Ph. Koukoulès, Βυζαντινών
βίος και πολιτισμός, IV, Athènes 1951, p. 120-123 ; H. Hunger, Die Schönheitskon
kurrenz in « Belthandos and Chrysantza » und die Brautschau am byzantinischen Kaiser
hof,Byz. 35, 1965, p. 150-158.
12. Sur l'historicité de cet épisode, voir notamment Ph. P. Bourboulis, Studies in the
History of Modem Greek Story Motives, Thessalonique 1953, p. 3-14 ; I. Rochow, Studien
zu der Person, den Werken und dem Nachleben der Dichterin Kassia, Berlin 1967, p. 5-19.
13. Βίος σύν έγκωμίφ της αγίας και μακαρίας Θεοδώρας της βασιλίδος [Messan.
gr. 30, sept. 1307, f. 227; cf. Vatican, gr. 2014, xne s., f. 136V (om. και μακ.)]. L'édition
de Regel (ci-dessous n. 15) a Βίος καΐ συνεγκώμιον malgré le συνεγκωμίφ du Londin.
Addit. 28270 de 1111.
14. J. Psichari, Cassia et la pomme d'or, Annuaire de l'Ecole pratique des hautes études,
Section des sciences historiques et philologiques, Paris 1910, p. 5-53 ; repris dans J. Psi
chari, Quelques travaux de linguistique, de philologie et de littérature hellénistiques 1884-
1928, 1, Paris 1930, p. 951-992; A. R. Littlewood, The Symbolism of the Apple in Byzant
ineLiterature, JOB 23, 1974, p. 33-59 (47-48).
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMEDIE 7

par Théophile de donner une explication moins hermétique de la présence


en sa possession de deux pommes, raconta que, sur la route du retour
de sa province natale à Constantinople (une route troublée par des voix
persifleuses), elle avait fait une merveilleuse et prophétique rencontre :
« Informée au sujet d'un saint homme reclus dans la tour de Nicomédie
(car partout était fameuse sa grande et vertueuse politeia)15, lorsque je fus
arrivée à cet endroit, je montai vers le saint éclairée par une étoile comme
celle des mages à Bethléem. Là donc, j'eus l'honneur de saluer Isaïe.
M 'ayant regardée, ce saint et trois fois bienheureux homme dit : Aie
confiance, ma fille. Ne te laisse pas envahir par la tristesse à cause de
l'incident pénible qui t'est survenu en chemin. Car un ange de gloire du
Seigneur te couronne16 impératrice des chrétiens et la main du Seigneur
est sur ta tête. Rends la pomme que je te donne avec celle que tu recevras
des mains de l'empereur. Ainsi, tandis que celles qui se sont moquées de
toi sont chassées lamentablement des portes du palais, toi..., revêtue de
pourpre dans la salle d'or, tu es placée, au-dessus de toutes les femmes17,
sur le trône impérial»18.
Quoi qu'il en soit du caractère légendaire de cet épisode19, la Vita
Theodorae fait l'éloge, plus loin, des « saints et trois fois bienheureux
pères» qui avaient prédit le rétablissement de la paix après la tempête
iconoclaste : « Ioannikios, dis-je, et Arsakios, Isaïe et Méthode »20. Il faut
recourir à un autre document de la même veine pour identifier cet Isaïe
et le reclus de Nicomédie : YAbsolutio Theophili (BHG 1732-1734).
Isaïe et les Iconodoules. L'énigmatique personnage intervient ici parmi
les leaders de l'iconodoulie, ces « hommes admirables et pieux, pleins de
zèle et de sagesse divine » qui avaient résisté à la persécution de l'empereur
Théophile : le patriarche Nicéphore, Théodore higoumène των Στουδίου,
Méthode l'Homologète (le futur patriarche), «Isaïe, le très admirable

15. ΚαΙ μαθουσα (μαθών cod. omnes) περί τίνος αγίου ανδρός έγκεκλεισμένου
έν τω της Νικομηδείας πύργω" πανταχού γάρ έφημίζετο ή μεγάλη καΐ ενάρετος
αύτοΰ πολιτεία (W. Regel, Analecta Byzantino-Russica, Saint-Pétersbourg 1891,
p. 419"24).
16. στέφει τε (ibidem, p. 429); στέφει σε {Vatican, gr. 2014, f. 139; Messan. gr. 30,
f. 228, col. 2).
17. πάντων (των add. Vatican, gr. 2014 et Messan. gr. 30) γυναικών (cod.
omnes).
18. W. Regel, op. cit., p. 419-5e. Ce passage est reproduit dans I. Rochow, op. cit.,
p. 14-16.
19. Ph. P. Bourboulis, op. cit., p. 3-14.
20. W. Regel, op. cit., p. 1227"29 (Vatican, gr. 2014, f. 141 ; Messan. gr. 30, f. 230*,
col. 2).
8 D.

reclus de Nicomédie plein de grâce et comblé de vérité»21, Ioannikios


(éloge amplifié), Michel le Syncelle, Théophane le Confesseur de Grand-
Champ, les frères Graptoi, Théodore et Théophane, « les trois fois heureux
et trois fois bienheureux homologètes »22 et bien d'autres23. Le même
hagiographe, après avoir raconté la mort de Théophile, la déposition de
Jean le Grammairien et l'élection de Méthode, introduit l'épisode du
rétablissement de l'orthodoxie par un récit singulier24. Le « grand ascète »
saint Arsakios apparaît au « grand Ioannikios », qui « philosophait dans
les montagnes de l'Olympe», pour lui ordonner, au nom de Dieu (le
Dieu du Carmel qui envoya Elie à Israël), de se rendre « à la tour de
Saint-Diomède à Nicomédie auprès de l'excellent serviteur de Dieu Isaïe »2 5,
afin de prendre (et d'apprendre de lui) les mesures voulues par Dieu et
convenables à l'Eglise pour les annoncer ensuite à la basilissa Theodora
et au patriarche Méthode. Arsakios et Ioannikios se dirigent tous deux,
en traversant l'Olympe de Bithynie, vers la métropole de cette province et
parviennent, au milieu de la nuit, « à la tour de Nicomédie, auprès du
serviteur de Dieu Isaïe »26. Ils restent trois jours près de lui, s'encourageant
mutuellement par de saintes prières. Après le troisième jour, le Saint Esprit
parla aux deux ermites « par la bouche du très saint Isaïe. Voici ce que dit
le Seigneur : Le jour est venu où c'en est fini des ennemis de mes images.
Placés aux côtés de l'impératrice Theodora, vous entendrez une voix
crier : Ioannikios et Arsakios, dites au patriarche Méthode : Dépose tous
les (prêtres) sacrilèges et offre-moi avec les anges un sacrifice de louange
en vénérant avec la croix l'image de ma face. » Telle est la « prophétie »
que le « très saint Isaïe » communiqua aux « pères » (Ioannikios et
Arsakios). Ceux-ci prirent congé du reclus et, une fois arrivés à Constan-

21. Ησαΐας φημί ό θαυμαστότατος, ό εν Νικομήδεια έγκλειστος ών, [ό πλήρης


χάριτος και αληθείας πεπληρωμένος] (F. Combefis, Historia haeresis monotheli-
tarum... diversorum item antiqua... graeca opuscula = Gmeco-latinae Patrum bibliothecae
novum auctarium, II, Paris 1648, col. 719β). L'éloge placé entre crochets est tiré de cer
tains manuscrits qui ont cette insertion, comme le Vatican, gr. 1595 (xme s.), f. 191 v,
col. 2, et le Coislin. 304 (xive s.), f. 141 v.
22. Eloge tiré du Paris, gr. 789 (xie s.), f. 353, col. 1.
23. Cette liste est reprise de la Vita Theodorae (W. Regel, op. cit., p. 7 2 5-86), où toutefois
Ioannikios se trouve en tête et Isaïe n'est pas mentionné. Dans une recension de la Diègèsis
de Théophile, Isaïe et Ioannikios précèdent tous les autres, parmi lesquels manque Michel
le Syncelle (Vallicell. Β 34, xne s., f. 149, col. 2).
24. F. Combefis, op. cit., II, col. 727-729.
25. έν τφ πύργφ Νικομήδειας τοϋ αγίου Διομήδους προς τόν έκλεκτόν αύτοΰ
θεράποντα Ήσαΐαν (ibidem, col. 728).
26. έν τφ πύργοι Νικομήδειας παρεγένοντο προς τδν δοϋλον τοϋ Θεοϋ Ήσαΐαν
(ibidem, col. 728).
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 9

tinople, rapportèrent au patriarche Méthode et aux autres « prêtres »


orthodoxes, aux moines, aux confesseurs et au «plérôme» de l'Eglise ce
que leur avait dit le « très saint Isaïe »27.
Plus loin, lorsqu'il rassemble à Sainte-Sophie, pour la grande agrypnia
en vue de l'absolution de Théophile, «les métropolites et les évêques,
les prêtres et les diacres, les moines et les ermites, les stylites et les reclus »,
l'hagiographe a soin de ne pas nommer Isaïe, qu'il a laissé dans sa tour
de Nicomédie, et il énumère, après «le grand thaumaturge Ioannikios
avec le très saint Arsakios »28, Théodore Stoudite, Théophane le Confess
eur29, Michel le Syncelle30, Théodore et Théophane Graptos, « métrop
olite de Nicée»31.
L'historien est fort tenté de considérer le reclus Isaïe et l'hésychaste
Arsakios comme des « êtres de légende » ou tout au moins comme « des
personnages suspects»32. Les autres sources hagiographiques — et elles
ne manquent pas pour cette époque — , notamment la Vie de saint Ioan
nikios, les ignorent tous deux et « ce serait la plus désespérée des suppos
itions »33 d'identifier l'un ou l'autre avec Isaac le Thaumaturge commé
moré par le Synodikon. De même les synaxaires ne nous ont rien transmis
à leur sujet, et leur nom est absent des ménologes connus34. Georges de
Nicomédie n'a pas célébré ce reclus qu'on nous dit fameux en 821 et qu'on
peut estimer mort à l'époque où Georges occupait cette métropole (860-

27. W. Regel, op. cit., p. 24-26. A part les derniers mots, ce passage de la Diègèsis
de Théophile manque dans les manuscrits utilisés par Regel, qui a comblé la lacune en
reproduisant, avec quelques inexactitudes, l'édition du P. Combefis.
28. F. Combefis, op. cit., col. 732. Cf. Paris, gr. 789 (xie s.), f. 364, col. 2 ; Vatican, gr.
1595 (xne s.), f. 196 v, col. 2 ; Paris, gr. 1181A (xme s.), f. 141, col. 2, et la plupart des autres
manuscrits parisiens ; de même Matrit. BN 086 (xive s.), édité par W. Regel, {op. cit.,
p. 32 23). Par contre, la mention d 'Arsakios est absente du Londin. Addit. 28270 (ibidem,
p. 32) et du Coislin. 304 (xive s.), f. 146.
29. Omis à bon escient (+818) par le Paris, gr. 789 (xie s.), Coislin. 304 (xive s.) et
Paris, gr. 1556 (xive-xve s.), f. 235 v.
30. Absent de même des manuscrits susdits et, en outre, par télescopage (Théophane
Homologète, Syncelle et Hagiopolite), des manuscrits suivants, tous du xrve s. : Paris, gr.
771, f. 62 v; Coislin. 285, f. 285 v (Théophane le Confesseur y est qualifié de reclus);
Matrit. BN 086 (W. Regel, loc. cit.).
31. Omise par le seul Coislin. 285, cette titulature aberrante figure partout ailleurs.
La répétition du mot όμολογητής a induit le copiste du Vallicell. Β 34 (xne s.) à sauter
directement de Théodore (dont la qualité d'higoumène de Stoudios a été la première
victime de l'amputation) à [Michel] le syncelle, l'hagiopolite (f. 152, col. 2).
32. J. Gouillard, Le Synodikon de l'orthodoxie. Edition et commentaire, TM 2,
1967, p. 124.
33. Ibidem, p. 145.
34. F. Combefis prétend le contraire (pp. cit., col. 744e n. 4), mais en référence apparem
ment à un « synaxaire » factice forgé par Baronius.
10 D. STIERNON

867). Dans Vekphrasis de sa ville natale, Maxime Planude ne souffle mot


d'Isaïe. Exaltant saint Diomède comme le gardien et le fondement de
Nicomédie35, il ne dit rien non plus d'un sanctuaire que ce martyr aurait
eu là-bas, de sorte qu'on n'ose pas certifier que se trouvait à Nicomédie le
monastère de Saint-Diomède, où se retira en 1260 le patriarche démission
naire Arsène Autôreianos36. Ainsi donc, même la tour de Saint-Diomède,
où la Diègèsis de Théophile place la réclusion d 'Isaïe, manque de contrefort.
Dans ce brouillard les fantomatiques Arsakios et Isaïe feraient dès lors
figure de revenants. Pour Arsakios, la légende disposait d'un prototype en
la lointaine personne du confesseur de Nicomédie évoqué par Sozomène37.
Quant à notre Isaïe, il serait né d'une symbiose où se confondent le martyr
Isaac de Nicomédie et l'abbé Isaïe, célèbre pourvoyeur d'apophtegmes.
Imaginaire ou non, Isaïe mène une vie calfeutrée qu'on a rapprochée du
stylitisme, cette claustration en plein vent38. La réclusion monastique39
dans une tour n'a rien d'insolite. Signalons, au hasard, le « merveilleux
vieillard» Longin, qui vécut «reclus, comme dans une ruche, dans une
cellule de la Tour de l'admirable David » à Jérusalem40, et, à une époque
contemporaine de celle d'Isaïe, saint Grégoire le Décapolite, qui, à
Syracuse, εφ' ένΐ της πόλεως πύργω κατάκλειστον εαυτόν ποιεί41. La
Vision qu'on va lire n'apporte, du point de vue biographique, aucun
élément nouveau. Que le saint homme eût des dévots à Nicomédie n'a
rien de surprenant, s'il est vrai que la politeia du reclus jouissait d'une
renommée universelle. L'argument scripturaire qu'il invoque pour persuader
son client de coucher les prêtres sur son testament donnerait une piètre
idée de sa familiarité avec la littérature apostolique (un texte célèbre de
saint Jacques attribué à saint Paul), s'il ne fallait pas plutôt imputer l'erreur
à l'hagiographe, un clerc, bien sûr, probablement bithynien. Qui donc, en
effet, sinon un plumitif de Nicomédie, avait intérêt à inventer des person-

35. M. Treu, Maximi monachi Planudis epistulae, Breslau 1890, p. 191.


36. R. Janin, Les églises et les monastères des grands centres byzantins, Paris 1975,
p. 89.
37. Hist. eccl. iv, 16. On pourrait encore le considérer comme un précurseur du reclus
Isaïe en le voyant s'établir, pour y « philosopher » et jouer au prophète, « dans la citadelle
de Nicomédie, dans une tour de l'enceinte fortifiée » (Bidez-Hansen, Berlin 1960, p. 1601 ;
cf. p. 1607·17-ΐ8;Ρ(?67,1156).
38. H. Delehaye, Les saints sty Utes, Bruxelles 1923 (réimpr. 1962), p. cxxxvm.
39. A.-J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne, Paris 1959, p. 295-298.
40. Théodore de Pétra, Vie de saint Théodosios 5 : H. Usener, Der heilige Theodosios,
Leipzig 1890, p. 1310-12; trad. A.-J. Festugière, Les moines de Palestine (Les moines
d'Orient, III/3), Paris 1963, p. 109.
41. F. Dvornik, La vie de saint Grégoire Décapolite et les Slaves macédoniens au IXe
siècle, Paris 1926, § 12, p. 561618; cf. p. 22.
LA VISION D'ISAÏB DE NICOMÉDIE 11

nages pour leur confier, ainsi que saint Ioannikios (dont l'historicité semble
solidement établie), un rôle prééminent et prophétique dans l'œuvre de
restauration de l'orthodoxie en 843 ? Un conteur édifiant, à chercher
probablement parmi les hiéromoines sans grand talent littéraire, mais très
habiles à mettre le merveilleux au service des émoluments sacerdotaux,
puisque tel est finalement le but intéressé de la Visio de missarum stipendio,
que les premiers témoins présentent comme un extrait d'une Vita Isaiae
inclusi, dont on peut se demander si, à l'instar de son héros, elle exista
jamais42.
La tradition manuscrite de la Vision
L = Londin. Addit. 28270. Copié par « l'humble Nicolas le calligraphe »
le 3 août 6619, ind. 4 (= 1111), le codex est présenté dans le colophon
comme τό νέον παράδεισον43. Mais le recueil ainsi intitulé (f. 28) est
précédé de la Vie de l'impératrice Theodora (f. 1-16V) {BHG 1731), de
l'absolution de Théophile (f. 16V-25V) {BHG 1732 et 1735), enfin de notre
texte (f. 25V-27V)44. C'est le seul cas, à ma connaissance, où la Vision
a été transmise à la suite de la Vie de Theodora et des documents relatifs
à la légende de l'empereur Théophile, auxquels il se rattache idéalement
et par la faveur accordée à Isaïe de Nicomédie. A vrai dire, la Vita Theodorae
imp. n'a pas eu la faveur des copistes. Outre le Londin. Addit. 28270, unique
témoin de l'édition de Regel, mentionnons le Vatican, gr. 2014 (xiie s.)45
signalé par H. Delehaye46. La Vita y est mutilée47. Il est possible qu'à

42. Le recours à un reclus pour éclairer le mystère de l'au-delà et, singulièrement,


le sort éternel d'un riche frappé de mort subite, pourrait être inspiré du récit de Georges
le Moine (De Boor, p. 748 1417 ; PG 110, 928-929).
43. K. Lake et S. Lake, Dated Greek Minuscule Manuscripts to the Year 1200, I.
Manuscripts in Venice, Oxford and London, Boston 1934, p. 16, n° 76 (pi. 134).
44. M. Richard, Inventaire des manuscrits grecs du British Museum. I. Fonds Shane,
Additional, Egerton, Cottonian et Stowe, Paris 1952, p. 49.
45. Dom J. Leroy, que j'ai consulté, croit ce manuscrit de la fin du xne siècle et en estime
l'écriture dérivée de celle de Reggio. L'origine italo-grecque du codex me semble confi
rméepar des traces d'écriture latine visibles au bas du f. 78 v (fin du cahier 17) : au-dessus
d'une note escamotée par la rognure, on peut lire, renversée (donc primitivement elle
se lisait sous les traces évanescentes), l'exhortation psalmique confitemini domino. Le
copiste grec aurait dès lors remployé un feuillet manipulé précédemment par une main
latine.
46. Ad catalogum codicum hagiographicorun graecorum bibliothecae Vaticanae
supplementum, An. Boll 21, 1902, p. 15 (date : xie s.).
47. Le texte s'interrompt après παλάτιον καταλαβόντες (W. Regel, op. cit., p. 274) en
raison de la chute des folios [144-148]. Seul s'est conservé le premier feuillet du dernier
quaternion (signé KE' = f. 142) ; la signature suivante, aujourd'hui illisible, devait
figurer au f. 143V (en réalité 149V). Les folios manquants correspondent aux folios 10-15
du Londin. Addit. 28270.
12 D. βΉΕΙΙΝΟΝ

l'origine ce témoin si malmené ait possédé lui aussi notre texte. En tout
cas, celui-ci ne fait pas suite à la Vie de Theodora contenue dans le Messan.
gr. 30 copié le 2 septembre 1308 au monastère du Saint-Sauveur de
Messine48. Quant au renvoi au Vatican, gr. 1987 (xe-xie s.) inséré dans la
table d'un catalogue imprimé49, il aurait dû être placé sous le nom de
Theodora Alexandrina. En revanche, le récit de l'Absolution de Théophile
a connu un franc succès, mais sans entraîner pour autant la transmission
de l'extrait de la Vie d'Isaïe de Nicomédie. Nous avons déjà constaté que,
curieusement, le Londin. Addit. 28270 reproduit une recension de YAbsolutio
où ne figure pas le passage concernant l'intervention d'Isaïe dans la
campagne victorieuse des iconodoules50. Ce ne me semble pas une raison
suffisante pour écarter l'hypothèse d'un rapport étroit entre l'hagiographe
responsable de la Vie de Theodora et de la Diègèsis Théophilou et l'auteur
de l'évanescente Vie d'Isaïe de Nicomédie. Dès lors, cette dernière Vie,
à supposer qu'elle ait existé intégralement, ne serait pas antérieure au
xe
siècle, époque à laquelle paraît remonter la légende de l'absolution
posthume de l'empereur iconomaque51. Quoi qu'il en soit, 1'έκ του βίου
que j'édite sera le plus souvent transmis parmi des « récits utiles à l'âme »
et se rattache désormais aux textes qui suivent dans le Londin. Addit.
28270 et constituent, nous l'avons vu, un Novus Paradisus ou recueil de
traits édifiants tirés de Jean Moschus, d'Anastase le Sinaïte52 et d'autres.
D'une calligraphie parfaite, troublée seulement par les itacismes, cette copie
nous servira de base pour l'établissement du texte53. La formule δέσπ(οτα)
εύ(λόγησ)ο(ν) qui conclut Yintitulatio indique que le récit était utilisé
comme lecture à l'office canonial. Le copiste, qui a bien indiqué que la

48. H. (Delehaye), Catalogus codicum hagiographicorum graecorum monasterii


S. Salvatoris nunc bibliothecae Universitatis Messanensis, An. Boll. 23, 1904, p. 46,
n° 36. Une copie du xvne s., exécutée à l'intention des bollandistes, se trouve aujourd'hui
à la bibliothèque royale de Bruxelles sous le n° multiple 8590-8600 (C. Van de Vorst et
H. Delehaye, Catalogus codicum hagiographicorum graecorum Germaniae, Belgii, Angliae,
Bruxelles 1903, p. 217, cod. 271).
49. Catalogus codicum hagiographicorum graecorum bibliothecae Vaticanae, Bruxelles
1899, p. 319.
50. Comble de malheur : par suite de la chute de folio dans le modèle utilisé, la majeure
partie de ce passage manque également dans le Matrit. BN 086, f. 13-22V (cf. f. 17 r"v),
de toute façon défectueux dont s'est servi Regel.
51. J. Gouillard, art. cit., TM 2, 1967, p. 127, 132.
52. BHG 1450 1 ; cf. F. Nau, Le texte grec des récits utiles à l'âme d'Anastase le Sinaïte,
Oriens christianus 3, 1903, p. 57 ; P. Canart, Nouveaux récits du moine Anastase, Actes
du XIIe Congrès international d'Etudes Byzantines, II, Belgrade 1964, p. 268.
53. J'ai normalisé la transcription. L'édition de Regel, qui, pour les textes précédents,
relève en apparat les bévues du copiste, permet de se faire une idée de la fréquence des
accidents.
LA VISION D'iSAÏE DE NICOMÉDIE 13

Vie de Theodora se lisait le dimanche de l'orthodoxie (f. 1), ne précise


pas le jour réservé à la commémoraison d'Isaïe de Nicomédie.
S = Scorial. Ω III 14. Manuscrit «restauré» (= copié) grâce au «frère
Ignace, humble moine du grand monastère du Sauveur de 1'άκροτήριον
(= du Phare) de Messine»; sa naissance eut lieu άπο χώρας Καστέλλου,
l'an 6793 ind. 13 (1285-1286)54. On date habituellement de cette année
le codex en question et non la naissance d'Ignace, introduite ici comme
une incise. L"Ex του βίου (titre comme dans L, mais ajoute γενομένου
πύργου) s'y trouve transcrit, f. 218V-219V, comme dernière pièce d'un
Novus Paradisus (f. 149V-219V), qui fait suite aux Questions d'Anastase
le Sinaïte (f. 1-130)55 et à une collection de sentences scripturaires et
patristiques (f. 130M42). Il est suivi lui-même du De virginitate de saint
Grégoire de Nysse (f. 219V-246V). Bien que l'environnement diffère, le
texte est quasi identique à celui de L. L'ordonnance de ce Novus Paradisus
est à rapprocher des récits édifiants contenus dans le Vatican, gr. 2014,
dont nous avons dit qu'il pouvait contenir, à la suite du dossier hagio
graphique relatif à Theodora et à Théophile, l'extrait de la Vie d'Isaïe.
Enfin, la commune provenance du Scorial. Ω III 14 et du Messan. gr. 30
(peut-être aussi du Vatican, gr. 2014) signifie que le monastère du Saint-
Sauveur de Messine possédait, sinon dans le même manuscrit, du moins
dans sa bibliothèque, les deux documents que L a rapprochés : la Vie de
Theodora et notre Vision.
A = Athen. 513, du xme s.56, f. 226V-228V : miscellanée de sermons
patristiques (Ephrem et Jean Chrysostome) et de nèptika57 ; plusieurs se
lisent également dans S58. Cette recension est à rapprocher du manuscrit
suivant et du Coislin. 301 (C). Elle est la première à transmettre notre
récit, non plus comme l'extrait de la Vie d'Isaïe, mais comme un dit de ce
reclus : Του όσιου πατρός ημών Ήσαίου μοναχού πρεσβυτέρου και
εγκλείστου πύργου Νικομήδειας, περί των διδομένων λειτουργικών τοις
ιερεΰσιν εν ταΐς του Χρίστου έκκλησίαις. Elle nous fournit, dans le titre

54. G. De Andres, Catälogo de los codices griegos de la Real Biblioteca de El Escortai,


ΙΠ, Madrid 1967, p. 195.
55. Certaines se retrouvent dans L.
56. D'après I. et A. I. Sakkélion, Κατάλογος των χειρογράφων της εθνικής βιβλιο
θήκης της 'Ελλάδος, Athènes 1892, ρ. 101.
57. Les pièces les plus intéressantes sont signalées par le P. Halkin, Auctarium BHG,
voir index codicologique. Notre texte suit la Vie de sainte Anastasie patrie. {BHG 79)
et précède un récit qui commence ex abrupto (f. 228V) : "Αλλοτε πάλιν ήλθον εις το
κελλίον αύτοΰ καΐ εδρον έστικότα εις εύχήν.
58. Auctarium BHG, nos 1317e, 1442g, 1442r, 1448nb, 1450ib, 1450kb.
14 D. δΉΕΙΙΝΟΝ

même, la leçon originale (λειτουργικών, et non λειτουργιών, adopté par


l'ensemble des témoins) conforme au corps du récit.
Β = Athen 531. Le catalogue, très sommaire, de Sakkélion le date égal
ement du xme siècle59 et permet tout juste de savoir qu'il s'agit, en grande
partie, de « mélanges ascétiques » et tout d'abord des Ascétiques de Basile
de Césarée (f. 1-85V)60. Dans l'exemplaire de ce catalogue possédé par notre
bibliothèque de Rome, L. Petit61 a noté en marge de la description de ce
manuscrit : « f. 100 symbole de Nicée et autres semblables ; f. 110 συνοδικόν
βφλίον ; f. lllv Isaïe de Nicomédie sur messes; f. 179 contre Arméniens
suite; f. 180 demande du patr. Xiphilin au moine Grégoire Trochos et
réponse sur moines». Documents que Sakkélion désigne généralement
sous le nom de κανονικού διατάξεις. Suivent un discours de Germain de
Constantinople à l'hypatos Marinos περί δρων ζωής (éd. A. Mai, Scrip-
torum veterum nova collectio, I, Rome 1825 = PG 98, 89-132), deux traités
antilatins dirigés contre les azymes et le Filioque et un autre non identifié.
A propos de l'entourage immédiat de notre texte, l'examen photographique
du f. lllv révèle que le Synodikon est une liste de titres assez disparates
numérotés jusqu'à 97. Le folio susdit énumère les dix derniers numéros en
référence notamment à des œuvres des Pères de l'Eglise (Eusèbe, Hésychius,
Basile de Césarée, Maxime le Confesseur, Jean Damascene, Hippolyte)
et à la législation de Justinien. En voici la fin : ^ζ' (=97) κεφάλαια του
ναυτικού νόμου. Espace blanc, puis ν"'· (50 ou νέον ?) κανονάριον
διαγορεΰον περί πάντων λεπτομερώς των παθών και τών τούτοις προσφορών
έπιτιμίων, περί τε της αγίας κοινωνίας, βρωμάτων τε και πομάτων και
ευχών λίαν συμπαθέστατον62. Repéré en marge par un astérisque, le lemme
του οσίου... Ήσαΐου (comme A) s'enchaîne ici sur la même ligne (f. 11 lv
circa medium). L. Petit en a donné la traduction latine63. On remarquera
que ce titre est le seul de tous les témoins à expliciter la fine pointe du récit,
car il ajoute : και δτι πολλά ισχύει ή αναίμακτος και άγια προσφορά

59. Op. cit., ρ. 104-105.


60. J. Gribomont, Histoire du texte des ascétiques de S. Basile, Louvain 1953, p. 20.
61. En marge du codex A, Mgr Petit, alors intéressé surtout par la littérature apophteg-
matique, s'est contenté d'écrire : « Nul ».
62. Œuvre attribuée à Jean, moine et diacre, ou à Jean le Jeûneur. Cf. J. Morin,
Commentarius historicus de disciplina in administratione sacramenti poenitentiae, Venise
1702, p. 633-645 ; J. B. Pitra, Spicilegium Solesmense, IV, Paris 1858 (rééd. Graz 1965),
p. 436-438.
63. DTC 8, col. 81. En traduisant « «rc/zipresbyteri », notre savant confrère s'est
laissé abuser par l'abréviation (μον)αχ(οΰ). Le résumé de la Vision que donne Mgr
Petit s'inspire de cette recension, sur quelques points singulière.
LA VISION D'iSAÏE DE NICOMÉDIE 15

υπέρ αφέσεως αμαρτιών προσλειμένη Θεώ. Le texte lui-même de la


Vision commence après un alinéa et se signale par des variantes qui le plus
souvent l'apparentent à A et C. A la suite d'Isaïe (f. 112), on lit, sans solu
tion de continuité, le lemme : περί των κεκανονισμένων νηστειών έκ τε
των θείων γραφών και τών παραδόσεων υπό τών άγιων πατέρων τύπων έκ
μέρους εκλογή. Ce recueil d'extraits sur les jeûnes « canonisés » contient,
comme on peut le voir grâce aux indications marginales, des textes pris
aux Canons apostoliques, à la Didascalie des apôtres, à l'Histoire lausiaque,
à saint Nicon (de la Montagne Noire), à (Jean) le Jeûneur, au Pré spirituel
(Moschos), à Basile le Grand (f. 112r~v). La chaîne continue au f. 113 sans
aucune note marginale (pour signaler les auteurs cités), l'extrait de saint
Basile étant suivi d'une citation de Jean de Nikè, lettre au katholikos de
Grande Arménie traitant du jeûne des Arméniens, et d'autres extraits
sur le même sujet. Remarquable par sa longueur après le simple pinax
qui la précède et la manière de rhapsodie sur le jeûne qui la suit, la Vision
se situe donc dans un cadre nomocanonique. Par la suite elle sera retenue
par les compilateurs de nomocanon du genre ψυχωφελής.
V = Vatican, gr. 733, du xive s., II, f. 350-352. Recueil de récits édifiants
et d 'œuvres ascétiques : Evergètes, apophtegmes, écrits patristiques. A
noter aux f. 3OOv-3O5 l'opuscule attribué ici à Macaire d'Alexandrie sur la
mémoire des défunts {BHG 999v) et, plus près de la Vision, des récits tirés
de divers « livrets »64 et se rapportant au jugement des âmes (f. 338-346v).
Tout juste avant notre texte un apophtegme sur l'humilité (f. 349 r-v), à la
fin duquel on lit : πλήρωμα πάντων. Puis (autre main qui sera celle de notre
récit) : μεγάλως ώφέλημαι δ*ντως ταύτην εύπόνως τήν βίβλον άναγνούς*
ψυχωφελή γαρ και σωτήρια κεφάλαια αυτή περιέχης. Immédiatement
après l'extrait de la Vie d'Isaïe (Έν τω βίω του πατρός ημών Ήσαίου
εγκλείστου περί τών λειτουργιών), dont les variantes, toutes mineures,
se retrouvent en R, se lit BGH 1445x (f. 353-354v), à quoi fait suite (f.
354v-356), de (Nicéphore) Blemmyde un extrait (περί της τών ασκητών
τροφής) du traité περί αρετής και ασκήσεως65.

64. Il faudrait compléter ici R. Devreesse, Codices Vaticani graeci. ΠΙ. Codices 604-
866, Cité du Vatican 1950, p. 240, qui ne signale qu'un seul liber asceticus. Il y en a au
moins trois : f. 338V έν βιβλιδαρίω τινί περί τών έξ αγνοίας ήμίν πεπραγμένων... το έν τη
θεία κλίμακι γεγραμμένον περί Στεφάνου ; f. 340 εις έτερον δέ γέγραπται βιβλιδαρίον ;
f. 341ν τοιγαροϋν και έν τοις μεγάλοις πατράσι γέγραπται 6τι ό μέγας βντως Άγάθων ;
f. 342 και άλλο που πάλιν έν έτέρω βιβλιδαρίφ εΰρομεν γεγραμμένον οΰτως (suit BHG
1444J).
65. 'Επιτομή λογικής, III, Leipzig 1784, ρ. 134-135.
16 D. STIERNON

R = Regin. gr. 57, f. 478-479, copié en 6867 (= 1358-1359)66. Collection


de pièces disparates, surtout canoniques. L'extrait de la Vie d'Isaïe (Έκ
του βίου, le reste comme V) suit le curieux traité de Léon le Sage sur la
culture des vertus67 et précède des canonica varia. L'environnement diffère
donc de V, qui semble cependant avoir servi de modèle pour notre
texte. La correction apportée dans la citation de l'épître de saint
Jacques (ligne 17 de l'édition) trahit la postériorité de R par rapport
à V, qui serait dès lors antérieur à 1358. Précédemment (f. 461M62) une
taxis archiépiscopale rapproche ce manuscrit, mais sur ce point seulement,
du Mutin.
Ε = Mutin. (Modena) Estais, gr. 124 (seu α S 7 ; olim III D 5), f. 168r~v.
Ce manuscrit, estimé du xve s. pour cette partie68, contient de même des
textes de tout genre : lexicographique (Théodose le moine et membra
disjecta de la même espèce), poétique (Léon le Sage), polémique (Photius
contre le Filioque), dogmatique (décret du concile de Florence), hagio
graphique {BHG 1705, 2036d, 880c, 1128f), des éléments d'un De officiis
et de 1'Έκθεσις νέα (f. 6V, 13M6, 167V, 169, 172V)69. La Vision suit préc
isément un extrait de cette dernière œuvre et précède, transcrit par une main
encore plus négligée, un écrit attribué à Théodore Stoudite (περί των
τριών τεσσαρακοστών) et un sermon pseudochrysostomien sur l'Annonciat
ion {BHG 1128f). Ce témoin offre une recension insolite, annoncée déjà
par le lemme introductif (Έκ των του Ίσαΐου θαυμάτων εν πόλει Νικομήδ
ειας περί των λειτουργιών τών διδομένων τοις ίερεΰσιν εν ταΐς έκκλησίαις),
qu'on peut considérer comme une version retractata du récit, tantôt amputé,
tantôt glosé.
D = Athen. 257, f. 209 r"v, du xve s. Selon la description rudimentaire
du catalogue, ce manuscrit contient aussi des préceptes « neptiques » tirés
de divers « Pères ascétiques »70. Le P. Halkin y a signalé des pièces appa-

66. H. Stevenson, Codices manuscripti graeci Reginae Svecorum et PU PP. II bibliothe-


cae Vaticanae, Rome 1888, p. 48-51. Le descripteur intitule notre texte de officiis liturgicis
(p. 50). Pour la date, inscrite tout juste après notre texte (f. 479r), voir A. Turyn, Codices
graeci Vaticani saeculis XIII et XIV scripti annorumque notis instructif Cité du Vatican
1964, p. 154-156.
67. J. Grosdidier de Matons, Trois études sur Léon VI, TM 5, 1973, p. 206-228.
68. V. Puntoni, Indice dei codici greci délia Biblioteca Estense di Modena, Studi
italiani di filologia classica 4, 1896, p. 465. Des indications chronologiques (1454-1455)
au f. 169, qui fait suite à la Vision. D'autres parties du manuscrit sont du xive siècle.
69. J. Darrouzès, Recherches sur les offikia de VEglise byzantine, Paris 1970, p. 548,
56929 ; Idem, REB 27, 1969, p. 50, § 26-29 ; p. 52-53.
70. I. Sakkélion et A. I. Sakkélion, op. cit., p. 46.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 17

remment inédites71. La vision porte le numéro 53 d'une collection de récits


dont je ne suis pas en mesure de dire la consistance. Il s'insère en tout cas
dans un certain contexte, puisqu'il vient après BHG 1474t, que l'éditeur,
d'après deux manuscrits de Paris, considère comme « un apophtegme sur
le purgatoire »72. On y recommande en effet l'offrande in animarum solatium,
objet précisément du récit d'Isaïe de Nicomédie. Le texte qui suit ce récit
est tiré des Ερωτήσεις και αποκρίσεις d'Anastase le Sinaïte, non pas la
question 22 qui aurait parfait le contexte (de l 'efficacité des liturgies en
suffrages pour les défunts)73, mais la question 2074. Non moins que Ε cette
recension D, introduite par le lemme : Έκ του βίου του οσίου πατρός
ημών e Ησαίου πρεσβυτέρου Νικομήδειας περί λειτουργικών τών διδομένων
τοις ίερεΰσιν, se signale par la grande liberté avec laquelle le copiste
a remanié son modèle, dans le but en général d'éclairer les passages abscons
ou trop succincts du récit original.
C = Coislin. 301 (xve-xvie s.), f. 275. Témoin connu depuis longtemps76,
il est d'une lecture malaisée. Notre texte a été copié sur un feuillet ajouté
en tête d'un manuscrit déjà constitué (BHG 1371z), après le début d'une
homélie de saint Epiphane sur l'ensevelissement du Seigneur. Nette dépen
dance de A.
Ρ = Regin. gr. 44 (xvie s.)77, f. 192. Ce manuscrit reproduit, après un
traité sur les sept sacrements et des feuillets blancs (f. 186-189), divers
«récits utiles à l'âme» (f. 189-1 93 v). Placé ici également dans un contexte
d'outre-tombe et sous le titre : e Ησαίου πρεσβυτέρου του εγκλείστου εις τόν
της Νικομήδειας πύργον περί τών λειτουργιών ταΐς έκκλησίαις διδομένων
τοις Ιερεΰσιν, la Vision s'intercale avec bonheur entre BHG 1322e, 131 8y et

71. F. 204v-207 (Auctarium BHG, 618b); f. 213-214V {Amt. 1450zr); f. 215-216V


(Auct. 1317d) ; f. 217-218 (Auct. 1444gb) ; f. 218r-v (Auct. 649f) ; f. 225-226 v (BHG 1474u) ;
f. 226v-228 (Auct. 1318nb); f. 238V-242V (BHG 1450v); f. 258-261 (BHG 999n); f. ?
(Auct. 1318c, 1444c, 1450a). Le codex se termine par la Vie du pape saint Sylvestre
(BHG 1628-1630), dont s'est inspiré, nous le verrons, l'auteur de la Vie d'Isaïe de
Nicomédie.
72. M. Jugœ, Mémorial Louis Petit, Paris 1948, p. 245. Se lit également dans le Vatican,
gr. 2014, f. llv-13, le Scorial. Ω III 41, f. 156M57V signalés ci-dessus, et le plus ancien
Athon. Philothéou 52 (xie s.), f. 107-110v (M. Richard, An. Boll. 93, 1975, p. 153 154).
73. PG 89, 536e.
74. PG 89, 517e.
75. R. Devreesse, Le fonds Coislin, Paris 1945, p. 285 (xve s.) ; A. Ehrhard, Überlie
ferung und Bestand der hagiographischen und homiletischen Literatur der griechischen
Kirche, Leipzig-Berlin 1952, p. 957 (xvie s.); F. Halkin, Manuscrits grecs de Paris.
Inventaire hagiographique, Bruxelles 1968, p. 272.
76. Ci-dessus n. 1.
77. H. Stevenson, op. cit., p. 32-35.
18 D. STIERNON

BHG 1449h, 1318w. Ces trois derniers récits figurent aussi dans le manusc
rit suivant.
M = Marcian. gr. II, 101 (an. 1592), f. 122M2478. Avec ce manuscrit,
de contenu homilétique et hagiographique, notre texte réapparaît dans un
lot beaucoup plus important de διηγήσεις ψυχωφελείς79 attribués à Paul
de Monembasie, entre BHG 1175 et BHG 1450q. En voici le titre :
Του όσιου πατρός ημών Ήσαΐου εγκλείστου του πύργου Νικομήδειας
διήγησις περί τών λειτουργικών τών διδομένων εν ταις έκκλησίαις του
Θεού τοις ίερευσιν εύλόγησον πάτερ.
Τ = Sina.it. 530 (xve-xvie s.), f. 146-147v8° ; de contenu très varié. La
Vision s'insère entre la synaxe du martyr Zôtikos et BHG 801 d. Ce témoin
nous a été inaccessible, comme le suivant. La collation ne concerne que le
lemme d'après Vasiljev sans tenir compte d'une mauvaise lecture dans
l'incipit.
Y = Athon. Esphigménou 267, xvie s., de contenu canonique81.
Dans un recueil d'apophtegmata Patrum contenu dans Athon. Karakallou
64, XVe s., Lambros signale un λόγος του Ήσαίου του εγκλείστου82.
Il pourrait s'agir de notre texte.
Le Nomocanon de Malaxos. C'est assurément au remarquable compilat
eur qu'est Manuel Malaxos que la Vision sur les messes doit d'avoir été
le plus souvent reproduite par les copistes et même éditée. A cet auteur
revient encore le mérite d'avoir placé le récit dans un ensemble cohérent
relatif aux suffrages liturgiques pour les morts et les vivants,
a) En grec littéraire. Le Nomocanon de Malaxos, composé d'abord en
λογία γλώσση, remonte à 1561 et est conservé dans quatre manuscrits :
l'ancien Kolybas 8 (à l'Académie d'Athènes), Athon. Iviron 287, Bucarest
Académie roumaine 278 (olim 209) et Vatican, gr. 2590. Etablie sur cette
base, l'édition princeps est en préparation1. N'ayant pu obtenir une repro-

78. E. Mioni, Bibliothecae Divi Marci Venetiarum codices graeci manuscripti, I, 1,


Rome 1967, p. 300. Notre texte a été copié par la main plus récente (fin du xvie s.)
précisée par un autre scribe (f. 214r-v), qui a noté la date du 10 février de l'année
7X1000 + 5X20 (= 7100).
79. Plusieurs se lisent déjà dans le Vatican, gr. 2014 et dans YAthen. 513.
80. A. Vasiljev, VV 14, 1907, p. 304, n° 23. Ce manuscrit a été dépouillé par F.
Halkin, Auctarium BHG (index codicologique).
81. S. P. Lampros, Catalogue of the Greek Manuscripts on Mount Athos, I, Camb
ridge 1895, p. 195, cod. 2280, n° 12.
82. Ibidem, p. 135, cod. 1577.
1. A. Siphonios-Karapas, M. A. Tourtoglou, S. N. Troïanos, Μανουήλ Μαλαξου
Νομοκάνων, Έπετηρις Κέντρου Έρεύνης 'Ιστορίας τον 'Ελληνικού Δικαίου της
'Ακαδημίας 'Αθηνών 16-17, 1969-1970, ρ. 1-39. Les chapitres édités ici à titre d'essai
concernent les fiançailles.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 19

duction du manuscrit athénien, je me suis limité à l'examen du Vatican,


gr. 2590, dont les titres qui nous intéressent correspondent à ceux du Kolybas
8 décrits par K. I. Dyobouniotès2. Malaxos y a rattaché notre texte à la
série des képhalaia qui, dans le cadre de la discipline sacramentaire, traitent,
après le baptême, de la « divine hiérourgia », et plus précisément il l'a
glissé dans un des chapitres consacrés à la valeur des liturgies célébrées en
faveur des défunts. Il y a d'abord le chapitre 246 intitulé : Περί ποια
αμαρτήματα συγχωρούνται μετά θάνατον δια των λειτουργιών και ευχών και
έλεημοσυνών [των γινομένων υπέρ τών κεκοιμημένων ]3, auquel répond
l'autorité du Pseudo-Denys PAréopagite4. Ensuite, sous le chapitre 127 ainsi
intitulé : "Οτι αί εύρισκόμεναι ψυχαί εις την κόλασιν λαμβάνουσιν
έλευθερίαν και άφεσιν δια προσφορών και έλεημοσυνών5, le compilateur
groupe six pièces :
1) Le récit, encore inédit, de oblationïbus et eleemosynis ad subîevandos
mortuos utilissimis6 .
2) Un texte de Jean le Jeûneur7.
3) La question-réponse 34 des Ζητήματα pseudo-athanasiens à l'archonte
Antiochos8.
4) Un texte de Nicéphore (Kallistos) Xanthopoulos9.

2. Ό νομοκάνων τον Μανουηλ Μαλαξον, Athènes 1916, p. 28-54.


3. Cette finale manque dans le Vatican, gr. 2590, 1, f. 68, col. 1 (pagination au timbre
compteur qui ne correspond à aucune des deux paginations anciennes).
4. Anastase le Sinaïte, 'Ερωτήσεις και αποκρίσεις, 22 : PG 89, 536D.
5. Vatican, gr. 2590, I, f. 68, col. 1.
6. BHG 1449d avec autre des. : Άβακούμ εν τφ λάκφ του Δανιήλ και έτέροις
δοξάζοντα καΐ αίνοΰντα του Χρίστου... δτι αύτφ πρέπει... {Vatican, gr. 2590, Ι, f. 69,
col. 1). A la différence des morceaux suivants, il n'y a pas ici, dans le Vatican., de rubrique
marginale révélant l'auteur. Celui-ci est indiqué dans le Vatican, gr. 573, f. 81 (Paul
de Monembasie). Autres témoins recensés par A. Kominis, Paolo di Monembasia, Byz.
29-30, 1959-1960, p. 240, n° n. Invité à la table du patriarche Théodoret d'Antioche,
un clochard qui mange de la main gauche explique comment il a eu la main droite
« fétidifiée » en la plongeant dans « l'abîme de boue nauséabonde » pour en arracher
sa défunte mère, coupable de s'être livrée à la prostitution après son jeune veuvage.
Ce fils unique, une fois sa mère décédée, avait, pour sauver l'âme de la chère pécheresse,
distribué «aux églises et aux indigents» tout l'argent acquis par l'illicite commerce
maternel. Il avait ensuite beaucoup peiné, prié, bourlingué, avant de recevoir, au fond
de la Thébaïde, l'assurance du salut de sa mère. C'est l'anecdote à laquelle se réfère
L. Allatius, De libris ecclesiasticis Graecorum, I, Paris 1645, p. 127. Il n'y a donc pas
lieu de considérer cette allusion comme se rapportant à un autre récit de Paul de Monemb
asie (A. Kominis, art. cit., p. 248, n° xviii).
7. Inc. Αί λειτουργίαι, αδελφοί, είσΐ συγχώρησις.
8. PG 28, 617^-s.
9. Inc. Ελεημοσύνη δέ και λειτουργίαι μεγάλην.
20 D. STIERNON

5) Trois récits tirés des «Dialogues» de saint Grégoire le Grand10.


6) La Vision sous le titre rubrique : Περί των διδομένων λειτουργιών
τοις ίερευσι εν ταΐς του Θεού έκκλησίαις. Rubrique marginale : του όσιου
Ήσαίου μοναχού πρεσβυτέρου και έγλείστου. Texte dérivé de la recen
sionAC11.
Les chapitres suivants traitent encore des offrandes liturgiques, des merides,
des suffrages et mémoires des défunts en référence à Syméon de Thessalo-
nique (chap. 248, 249, 252), Nicéphore Xanthopoulos (chap. 250, 251,
253) et Macaire d'Alexandrie (chap. 251)12.
b) En grec populaire. Bientôt après (1561), Manuel Malaxos traduisit
son Nomocanon εν καθομιλουμένη. Les centaines de copies existantes ont
découragé jusqu'à ce jour tous les éditeurs grecs13. A l'orthodoxie roumaine
revient le mérite d'avoir publié le texte d'abord (et depuis longtemps)
en version roumaine14 et, de nos jours, en grec d'après un seul manuscrit,
Bucarest Académie roumaine 30715. A en juger d'après ce témoin et quelques
autres16, Malaxos ne s'est pas contenté de transposer εις κοινήν φράσιν

10. Dialogorum liber, rv, 55 (Histoire du prêtre [de Centumcellae = Civitavecchia]


que saint Grégoire tenait de Félix, évêque de Porto : PL 77, 415D-42(M) et 57 (Un pri
sonnier est libéré grâce au sacrificium offert par son épouse : PL 77, 423^"B). Malaxos
présente une recension plus longue, autant que le permet de la lire le texte délavé du
Vatican, gr. 2590, I, f. 69, col. 2-69v, où a fait naufrage également le troisième récit
(même chapitre) sur l'extraordinaire sauvetage du marin Baraca (col. 423ß-426^).
11. Vatican, gr. 2590, 1, f. 69v-70, col. 2 (plim f. 65v-66 ; 67v-68) (sigle X). Les premières
lignes sont très abîmées par l'humidité.
12. Vatican, gr. 2590, I, f. 69\ col. 2-70v, col. 2.
13. L'édition critique par D. S. Gkinès et N. I. Pantazopoulos est dite « sous presse»
(Byzantina 6, 1974, p. 431).
14. îndreptarea legii eu Dumnezeu care are toatâ judecata arhiereascà si împaràteascà
de toate vine preotesti si mirene§ti, Tärgoviste 7160 (= 1652). Plusieurs fois rééditée :
cf. C. A. Spulber, îndreptarea legii. Le code valaque de 1652. 1. Histoire, Bucarest 1938,
p. iv. Dernière édition : Bucarest 1962 (note suivante).
15. Nomocanonul lui Manuil Malaxos (dupa manuscrisul grecesc din 1613 aflat în
Biblioteca Academiei R.P.R. sub nr 307), dans îndreptarea legii. 1652 (Adunarea
izvoarelor vechiului drept romînesc Vu), Bucarest 1962, p. 635-929. L'édition du texte
grec et de la traduction roumaine sont l'œuvre de V. Grecu et de Gh. Cronj.
16. Le Borgia gr. 11 (an. 1640) et Archivio S. Pietro C 150, ainsi que les manuscrits
dont la table des chapitres a été publiée : L. Sgoutas, Νομοκάνων Μιχαήλ (! ) Μαλαξου,
Θέμις 7, Athènes 1856, p. 240-241 ; Zacharias von Lingenthal, Die Handbücher
des geistlichen Rechtes aus den Zeiten des untergehenden byzantinischen Reiches und
der türkischen Herrschaft, Mémoires de ΓAcadémie impériale des sciences de Saint-
Pétersbourg, VIIe série, t. 28, n° 7, 1881, p. 15 ; X. E. Sidéridès, Περί τίνος αντ
ιγράφου του νομοκάνονος τοϋ Μανουήλ Μαλαξοϋ, Ό εν Κωνσταντινουπό^ 'Ελληνικός
φιλολογικός σύλλογος 30, 1908, ρ. 198 ; S. Eustratiadès, Κατάλογος των εν τχι μονί}
Βλατέων ( Τβαονς-Μοναστήρι) άποκειμένων κωδίκων, Thessalonique 1918, ρ. 58. Voir
aussi le titre des chapitres (avec des développements) dans J. Papp-Szilâgyi, Enchi
ridion juris Ecclesiae orientalis catholicae2, Oradea Mare 1880, p. 48-49.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 21

son œuvre originale. Il l'a retravaillée. Pour ce qui est des chapitres qui nous
intéressent, le compilateur y a introduit une nouvelle division, en dépeçant
notamment le chap. 247. Voici en détail la présentation des képhalaia dont
la numérotation varie d'après les manuscrits :
1) Texte de Denys PAréopagite (chap. 246 Kolybas-Vaticari)11 .
2) Récits 1 et 2 tirés des Dialogues de Grégoire le Grand (chap. 247,
n° 5 de Kolyb. -Vatic.)18.
3) La Vision introduite par le lemme : Περί των διδομένων λειτουργιών
τών ιερέων δια τα σαρανταριά δια ζωντανούς και δια άποθαμένους·
[τα σαρανταριά δια τους ζωντανούς]19.
La nouveauté concerne surtout le texte lui-même, dont Malaxos a camouflé
l'origine20. S'il explicite dans le titre la référence aux quarante liturgies
(sarantarid), le compilateur élimine au cours du récit l'allusion aux liturgies
apostoliques21 et introduit une autre histoire édifiante soi-disant tirée du
Patérikon22, dont la conclusion reproduit celle de la Vision d'Isaïe23.
On en reparlera à propos des quarante liturgies24. Le Nomocanon de

17. Chap. 132/158 (Bucarest), 127 (Sgoutas, Borgia), 134 (Arch. S. P.), 184 (Zach.
von Ling.), 207 (Vlat.); deest in cod. Sidéridès.
18. Chap. 133/159 (Bucarest), 128 (Sgoutas et Borgia), 114 (Sidéridès) etc. Le hiéro-
moine Pierre qui pose la question au pape (dans la tradition latine il est simple diacre)
est devenu, dans la traduction roumaine (mauvaise lecture de l'abréviation de preoj ?),
rien moins que patriarche ! L'erreur remonte à l'édition princeps de la îndreptarea legii,
Targoviçte 1652, p. 128; éd. Bucarest 1962, p. 165.
19. Chap. 134/160 (Bucarest, éd. p. 765-769), 129 (Sgoutas et Borgia, f. 97M01),
115 (Sidéridès), 136 (Arch. S. P., f. 104M06), 186 (Zacharias von Lingenthal), 209
(Vlat.). [ ] add. Sgoutas et quidam alii codd.
20. Dans le Borgia gr. 11, f. 97V, on lit, en marge de l'inc. de notre Vision : τών θείων
διδασκάλων. De même dans Bucarest 307, qui ajoute θαυμαστή διήγησις δια τα σαραν
ταριά τών ζωντανών (ρ. 765). Il n'y a rien dans Archiv. S. Pietro C 150. La référence
à Isaïe de Nicomédie figure peut-être dans quelque manuscrit athonite ou athénien.
En tout cas, Sidéridès mentionne Isaïe parmi les sources du Nomocanon en référence
au chap. 115 (Περί τίνος, ρ. 195).
21. Ci-dessous p. 2741-29S0.
22. Après l'équivalent quelque peu glosé du passage édité ci-dessous p. 2951-57,
on lit dans Bucarest 307 : Έκ του πατερικοΰ θαυμασία (θαυμαστή Borgia)
διήγησις· δια τα σαρανταριά τών άπεθαμένων (άπο- Borgia)' περί δέ τα σαρανταριά
δπου γίνονται δια τους άπεθαμένους (άπο- Borgia), να ακούσετε" εξηγούνται εις το
πατερικόν, δτι ένας γέροντας Ιερεύς του Θεοΰ τοΰ υψίστου εΐχεν έναν καλόγηρον
ύποτακτικον καί ποτέ τον λόγον αύτοΰ δέν τόν έκαμνε (îndreptarea legii, p. 767 ; cf.
Borgia, f. 99). Dans le manuscrit de Sidéridès, ce récit, qui constitue le chap. 116 du
Nomocanon de Malaxos, est introduit par : 'Ακούσατε καΐ δια τα σαρανταριά δπου
γίνονται δια τους άποθαμένους (art. cit., p. 198).
23. Avec quelques variantes. Voir ci-dessous p. 2959s·.
24. Ci-dessous p. 35.
22 D. STIERNON

Malaxos se poursuit par un chapitre sur les merides25, un autre sur la commé-
moraison des défunts les 3e, 9e et 40e jours (εις τα σαράντα) après la mort
sous le nom du « saint et théophore Alexandre »26, enfin un titre analogue
annonçant un texte de Nicéphore Xanthopoulos27.
Cet ensemble de morceaux « funéraires » subsiste aussi à part du Nomo·
canon de Malaxos, en tout ou en partie, dans cet ordre ou dans un ordre
différent, mais toujours en grec vulgaire, dans divers manuscrits de basse
époque (athonites surtout), postérieurs à la constitution du recueil de Malax
os. Ainsi dans YAthon. Pantéléimon 801 (août 1612)28, Dionysiou 299
(an. 1635)29, S. Anne 20 (an. 1642)30, dans le Lesbos Leimon 216 (an. 1669)31,
YAthon. Dionysiou 241 (xviie s.)32, S. Paul 22 (xvne s.)33, le Métochion S.
Sépulcre 62-796 (xvne s.)34 et YAthon. Iviron 906 (xvme s.)35. Dans ce
dossier isolé du Nomocanon le lemme Περί των διδομένων λειτουργιών
των Ιερέων δια σαρανταριά est rarement anonyme36; le plus souvent
figure le nom de saint Isaïe, moine, prêtre et reclus; une fois, il est dit
simplement abba Isaïe37.
Isolé de ce contexte, le récit se lit encore, en grec vulgaire, dans un manusc
rit de Londres, Harleian 5734 (ca an. 1580), f. 28-29 v 38. La recension est

25. Chap. 135/161 (Bucarest), 130 (Sgoutas) etc., en correspondance du chap. 250
de la rédaction primitive (Kolybas et Vatican, gr. 2590).
26. Chap. 136/162 (Bucarest), correspondant au chap. 251 de la recension en grec
ancien (Kolybas- Vatican, gr. 2590), qui attribue le texte à Macaire d'Alexandrie (d'autres
témoins disent généralement d'Egypte). Pour l'attribution à ce mystérieux Alexandre
(appelé aussi ascète), voir le Vindob. theol. 333 du XIe s. (Auct. BHG 999w).
27. Chap. 137/163 (Bucarest) = chap. 250 (Kolybas- Vatican.).
28. S. P. Lampros, Catalogue... Athos, II, p. 436, n° 6308 (9-14).
29. Ibidem, 1, p. 408, n° 3833 (16, 22-26).
30. Ibidem, I, p. 16, n° 101 (24-31). Gérasimos Mikragiannanitès, Κατάλογος
χειρογράφων κωδίκων... της βιβλιοθήκης... της αγίας Θεομήτορος "Αννης, EEBS 29,
1959, ρ. 184-185.
31. Α. Ι. Papadopoulos-Kérameus, Κατάλογος των έν τη βιβλιοθήκη της εν Λέσβω...
τοϋ Λειμώνος μονής... χειρογράφων, Ό εν ΚΠόλει ελληνικός φιλολογικός Σύλλογος.
Μαυρογορδάτειος βιβλιοθήκη. Παράρτημα τοΰ ΙΕ' τόμου, 1884, ρ. 108-109, η° 5-8.
32. S. P. Lampros, op. cit., I, p. 382, n° 3775 (4, 7, 8).
33. Ibidem, p. 23, n° 149 (22-27).
34. A. I. Papadopoulos-Kérameus, Ίεροσολνμιτική βιβλιοθήκη, V, Petrograd 1915,
p. 285; MB, I, p. 288, 295.
35. S. P. Lampros, op. cit., II, p. 236, n° 906 (13-17).
36. Il l'est dans Dionysiou 241. Dans Iviron 906, la Vision est annoncée comme un
Διδασκάλων εξαίσια διήγησις (f. 96V), tout comme dans la rédaction en grec vulgaire
du Nomocanon de Malaxos.
37. Athon. S. Paul 22.
38. R. Nares, A Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, III,
Londres 1808, p. 291. Le descripteur intitule le morceau sermo de liturgiis. Cependant
le texte est introduit uniquement par le nom de saint Isaïe, moine, prêtre et reclus.
LA VISION D ISAIE DE NICOMEDIE 23

apparentée à celle de Malaxos39, mais le texte ne va pas au delà de δτι πολύ


δύναμιν έχει ή αναίμακτος θυσία 6που προσφέρεται εις Θεόν40. Voir
aussi Athon. Koutloumous 157 (xvne s.)41 et S. Paul 49 (an. 1751)42.
La présente édition reproduit L. Bien que les autres témoins accessibles
aient été collationnés, l'apparat critique n'enregistre que les variantes plus
significatives, celles en particulier qui sont évoquées dans le commentaire.
Il ne tient aucun compte évidemment de la recension en grec plus simple.
Voici la liste des manuscrits analysés ci-dessus et cités dans l'apparat du
texte grec.
A = Athen. 513, f. 226V-228V Ρ = Regin. gr. 44, f. 192r"v
Β = Athen. 531, f. lllv-112 R = Regin. gr. 57, f. 478-479
C = Coislin. 301, f. 2rv S = Scorial. Ω III 14, f. 218V-219V
D = Athen. 257, f. 208-209v Τ = Sinait. 530, f. 146-147V
Ε = Mutin. Estens. gr. 124, f. 168rv V = Vatican, gr. 733, f. 350-353
L = Londin. Addit. 28270, f. 25v-27^ X = Vatican, gr. 2590, I, f. 69v-70
M = Marcian. gr. II, 101, f. 122M24 Y = Athon. Esphigménou 267

39. Noter toutefois les incipit divergents : Ένας άρχων εύρίσκετον (Bucarest 307,
éd. cit., p. 765); Άπόθενεν ένας #ρχων (Harleian 5734).
40. Cf. Bucarest 307, éd. cit., p. 766. L'éd. ci-après p. 2952-53.
41. S. P. Lampros, op. cit., I, p. 289, n° 3230 (11-12). Le n° 11 : του οσίου μοναχού
Ήσαΐου (sans indication de folio) doit être relié au lemme suivant (le n° 12 est donc
à éliminer) : περί των διδομένων λειτουργιών των ιερέων δια τα σαρανταριά. Corriger
aussi l'indication finale qui laisse entendre que ce n° 11 est en grec plus classique.
42. Ibidem, p. 25, n° 176 (3). Le lemme περί τ. διδομ. est ici anonyme comme dans
le Nomocanon en grec vulgaire de Malaxos.
24 d. stiernon

Extrait de la Vie de notre saint Père Isaïe, moine, prêtre


ET RECLUS DE LA TOUR DE NlCOMÉDIE. Au SUJET DES LeïTOURGIKA1
DONNÉS AUX PRÊTRES DANS LES ÉGLISES DE DlEU. SEIGNEUR, BÉNIS.

Sur le point de mourir subitement, un archonte de Nicomédie recommanda


à sa femme de distribuer sa fortune aux pauvres et aux orphelins et, en outre,
d'affranchir les serviteurs et de leur accorder des legs2; mais il l'engagea à ne
pas donner de leitourgika aux prêtres. Or, après avoir invoqué notre saint Père
Isaïe, le malade recouvra la santé. S 'étant levé, il alla trouver le saint. A la vue
de l'archonte, Isaïe fut rempli de joie et rendit gloire à la divine miséricorde.
Puis, ayant ordonné au visiteur de s'asseoir, il lui demanda quand le mal l'avait
quitté. L'archonte lui répondit : « A l'heure où j'ai invoqué ta précieuse et sainte
prière». Informé par l'Esprit de ce qui concernait sa maladie, le saint lui dit :
« Mon fils, as-tu donné aux prêtres des leitourgika pour le salut de ton âme ? »
L'autre répondit : « Non, révérend Père. Quel avantage aurais-je pu tirer de
tels dons, sinon assurément la perte de ce que l'on a donné ? » Notre saint père
Isaïe lui dit : « Ne dis pas cela, mon fils. Car Paul, le grand apôtre du Seigneur
et le grand prédicateur de l'Eglise, écrit dans une lettre : Quelqu'un parmi vous
est-il malade ? Qu'il appelle les presbytres de l'Eglise et qu'ils prient sur lui après
l'avoir oint d'huile. Et Dieu et la prière de la foi sauveront le patient, et le Seigneur
le relèvera. Et s'il a commis des péchés, ils lui seront remis»3. Voilà ce que le
saint lui dit et bien d'autres choses à titre d'enseignements et d'avertissements.
Il lui dit encore : « Mon fils et frère, spirituellement ta main droite, c'est ton âme,
et ta main gauche, c'est ton intelligence»4. Et, sur-le-champ, il lui ordonna,

1. L'adjectif substantive leitourgikon au sens de «taxe à payer pour service rendu»


est attesté par des registres de comptabilité sur papyrus du ne siècle (Liddell-Scott-
Jones s.v.). Lampe {A Patristic Greek Lexicon, s.v.) ne signale aucun texte où ce vocable
désigne, comme ici, l'honoraire de messe. Il est remarquable que seulement quatre
témoins (ABMT) ont, dans le lemme, transmis correctement ce mot, sacrifié par les
autres au profit de λειτουργιών, alors que tous les manuscrits ont, dans le corps du récit,
adopté partout (cinq fois) la leçon exacte.
2. Legata : donations testamentaires codifiées par le droit romain classique (R.
Monnier, Manuel élémentaire de droit romain, 1, Paris 1947, p. 519-559). Ces libéralités
(dons aux pauvres, libertés et legs) sont un lieu commun de la charité chrétienne. Voir
le testament de saint Grégoire de Nazianze {PG 37, 389-391) et, à l'époque d'Isaïe de
Nicomédie, les dispositions prises par saint Théodore Stoudite et les membres de sa
famille au moment de renoncer à la vie du monde [Michel le Stoudite, Vie de saint
Théodore (BHG 1754) : PG 99, 24H].
3. On ne prête qu'aux riches, et les lettres pauliniennes le sont tellement au regard
de l'unique épître de saint Jacques. Mais il s'agit en l'occurrence d'un texte archi-
connu, tant de fois cité comme référence singulière pour le sacrement des malades qu'on
mesure aisément les limites du bagage scripturaire de notre « biographe » et les scrupules
(ou l'ignorance) des copistes de la Vision, dont la plupart se sont abstenus de corriger
la bévue. Il y a peut-être d'autres exemples hagiographiques d'une confusion si évidente.
LA VISION D'iSAÏE DE NICOMÉDIE 25

Έκ του βίου του οσίου πατρός ημών Ήσαΐου μοναχού πρεσβυτέρου


και εγκλείστου του πύργου Νικομήδειας περί των λειτουργικών τών
διδομένων τοις ίερεΰσιν εν ταΐς έκκλησίαις του Θεοΰ. Δέσποτα εύλόγησον.

'Αποθνήσκων τις άρχων εξαίφνης εν τη Νικομήδεια επέτρεψε τη συμβίω


5 αύτου του διανεΐμαι τήν ούσίαν αύτου πτωχοΐς και ορφανοϊς, ίτι δε ελευθερίας
και λεγάτα τοις οίκέταις παρασχεΐν λειτουργικά δε ίερεΰσιν μη έπιδοΰναι.
"Οθεν τήν του όσιου πατρός ημών ευχή ν έπικαλεσάμενος ό ασθενών άνέλαβεν
πάλιν τήν ύγείαν αύτοΰ · και άναστας ήλθεν πρδς τον δσιον. Τοΰτον 6 άγιος
ίδών και χαράς πλησθείς τον φιλάνθρωπον Θεόν έδόξασεν. ΕΙθ9 οοτως
f. 26 καθεσθήναι αυτόν | κελεύσας, έπηρώτησεν πότε της νόσου απηλλάγη.
Του δε είρηκότος" ώς κατ' αυτήν τήν ώραν τοΰ αυτόν έπικαλέσασθαι τήν
τιμίαν και άγίαν αύτοΰ εύχήν. "Εγνω τφ πνεύματι ό όσιος τα παρακολουθή-
σαντα εν τη άρρωστία αύτοΰ καί φησιν προς αυτόν *Αρά γε, τέκνον, δέδωκας
ίερεΰσιν λειτουργικά υπέρ ψυχικής σου σωτηρίας ; Ό δέ αποκριθείς είπεν
15 Ουχί, πάτερ σεβάσμιε* τί γαρ καί εϊχον ώφεληθήναι εάν άρα καί δέδωκα
αύτοΐς ; ουδέν άλλο πάντως ή στέρησιν τών δοθέντων. Ό δέ δσιος πατήρ
ημών c Ησαΐας λέγει αύτώ" Μή οοτως λέγε, τέκνον. Παΰλος γαρ ό μέγας
τοΰ Κυρίου απόστολος καί ρήτωρ της 'Εκκλησίας έπιστέλλων γράφει'
'Ασθενεί τις εν ύμΐν προσκαλεσάσθω τους πρεσβυτέρους της 'Εκκλησίας
20 καϊ προσευξάσθωσαν επ αυτόν άλείψαντες αυτόν έλαίφ, κα\ 6 Θεός και
ή ευχή της πίστεως σώσει τον κάμνοντα, και εγερεΐ αυτόν ο Κύριος' καν
αμαρτίας fj πεποιηκώς, άφεθήσεται αύτφ. Ταΰτα ειπών ό δσιος καί ετέρα
πλείονα, διδάξας τε καί νουθετήσας αυτόν, εΐπεν προς αυτόν Τέκνον καί
f. 26ν αδελφέ, ή νοητή σου δεξιά ή ψυχή σού εστίν, ή δέ αριστερά ή διάνοι|ά σου.
25 Καί ευθέως έκέλευσεν αύτω δια τήν άπιστίαν αύτοΰ έπιδουναι εν νόμισμα

Codex : Londin. Addit. 28270, f. 25V-27V


2 λειτουργικών ABDMT : λειτουργιών L et reliqui omnes 4 'Αποθνήσκων
τις : άποθνήσκοντι ό LS 17-18 Παϋλος - απόστολος : 'Ιάκωβος γάρ ό θεάδελφος Α
Ιάκωβος ό άδελφόθεος CX 18 καί ρήτωρ της Εκκλησίας om. CX 22-24 Ταϋτα -
δεξιά : περί δέ μή γνώτο ή δεξιά σου της δεξιάς τό Ιργον, λέγω σοι, 6τι ή δεξιά σου D
25-27 Καί - αύτοϋ : δια δέ πίστωσιν περισσωτέραν ήτησεν τινά ίερέαν λαβείν êv
νόμισμα καί προσκαλεσάμενος ένα τινά Ιερέαν ευλαβής δέδωκεν αύτφ ειπών λάβε τοΰτο
καί ποίησον υπέρ τοϋ άρχοντος τοϋδε λειτουργίας τεσσαράκοντα D
19-22 Jacques 5, 14-16 24 cf. Matthieu 20, 23

4. Mot à mot : «ta rationnelle droite» ou «ton âme raisonnable». Apophtegme


(transmis ainsi par presque tous les témoins) dont j'ignore l'origine et saisis mal le sens.
Celui-ci est partiellement éclairé par D, qui introduit la sentence par un recours à
Matthieu 6,3 : [Quand tu fais l'aumône], «que ta main gauche (corriger δεξιά en
αριστερά) ignore l'œuvre de ta main droite».
26 D. STIERNON

à cause de son manque de foi, de donner un nomisma comme leitourgika en


guise d'attestation5. L'archonte fit le don à un prêtre et retourna chez lui.
On célèbre les liturgies. Au bout de quarante jours, l'archonte est réveillé de
son sommeil. Soudain, les portes s'ouvrent et voici que pénètrent des hommes
à cheval, jeunes et beaux, pareils à des anges. Vingt se placent à sa droite et vingt à
sa gauche. En les voyant, l'homme est frappé de crainte par leur aspect extra
ordinaire et terrible. Il leur dit : « Mes seigneurs et maîtres, pourquoi êtes-vous
entrés chez un homme pécheur?» Les cavaliers lui répondent : «Nous, les
quarante que tu vois, nous sommes les liturgies spirituelles6 qui ont été célébrées
pour toi au Dieu philanthrope. C'est lui qui nous envoie pour t 'escorter dans
la sainte Eglise7. Entre donc sans hésiter et avec joie. Car voilà : par les mains
des prêtres, les quarante anaphores que nous sommes ont été assignées par toi
pour l'union et la paix des empereurs »8. Voilà ce qu'ils dirent et lui rapportèrent.
Et ils se dérobèrent à ses regards.
Alors cet archonte, illuminé par cette sainte apparition, se rappela9 les trois
anaphores du saint apôtre Barthélémy grâce auxquelles il sortit de l'abîme de
la mer avec sa châsse de fer. De même, (il se rappela) les quarante anaphores
du saint apôtre Philippe, grâce auxquelles, alors que frappé de stupeur10 par
l'épée de feu qui lui interdisait l'entrée, l'archange Michel le prit par la main
pour l'introduire au paradis. Et encore, (il se rappela) cette grande anaphore

5. Nous sommes mal renseignés sur le tarif des mnèmosynai ou intentions de messe
à Byzance (voir P. Lemerle, Autour d'un prostagma inédit de Manuel II, Studi bizantini
e neoellenici 9, 1957, p. 273 n. 2). Le nomisma donné par l'archonte de Nicomédie ne
couvrait certainement pas les frais du « quarantain » sous-entendu. Une réponse synodale
émanant du «premier» concile de Constantinople (859?) à l'adresse du patriarche
d'Antioche s'élève contre un abus : le prêtre auquel on a fourni de modestes honoraires
liturgiques célèbre plusieurs messes par jour (pour arrondir son budget), ce qui est
contraire à la discipline apostolique. Même lorsque l'honoraire versé pour une liturgie
est égal seulement ou inférieur à dix nomismata, il est interdit de biner (I. B. Pitra,
luris ecclesiastici graecorum historia et monumenîa, II, Rome 1868, p. 147).
6. Sur ces quarante liturgies, voir ci-dessous, p. 30-36.
7. Pourquoi cette entrée solennelle dans l'Eglise (ou l'église) ? L'archonte en aurait-il
été exclu à cause de son manque de confiance à l'égard de l'efficacité de la messe et du
peu de cas qu'il avait fait des prêtres dans son testament ? Ou faut-il supposer que ce
notable, si généreux envers les pauvres, les orphelins et la domesticité, n'était pas « pra
tiquant » ? L'idée sous-jacente à cette escorte serait plutôt l'introduction dans le paradis ;
l'archonte n'étant pas mort, le narrateur a trouvé une formule boiteuse de remplacement.
D, pour la rendre intelligible, élimine le réveil en sursaut et affirme que «l'archonte
se préparait à se rendre à l'église» au moment où les cavaliers lui apparaissent.
8. Littéralement, selon la leçon la plus généralement admise par les copistes : « pour
l'union de la situation pacifique des empereurs». S'accuse ici la démarche bancale que
le récit prête à l'archonte, ce moribond revenu à la santé sans avoir voulu assurer le
salut de son âme par des offrandes sacerdotales. Isaïe, son guérisseur, lui avait arraché
un nomisma à titre de rachat et d'assurance. D fait intervenir « au plus haut (des deux) »
un « stratège de choix » (S. Michel) et oriente les liturgies « vers l'union de la situation
de l'empire en vue de la paix ». RV ajoutent : « et pour la rémission de tes péchés ».
LA VISION D'iSAÏE DE NICOMÉDIE 27

λειτουργικά χάριν πληροφορίας* θ και δεδωκώς πρεσβυτέρω τινί, έπορεύθη


εις τον οίκον αύτοΰ.
Και δη των λειτουργιών τελεσθεισών μετά τεσσαράκοντα ημέρας ανέστη
άπο του ΰπνου. Και ιδού άφνω των θυρών άνεωχθεισών, εισήλθον άνδρες
30 έφιπποι, ωραίοι και άγγελόμορφοι, είκοσι εκ δεξιών αύτοΰ και ε'ίκοσι εξ
ευωνύμων αύτοΰ. Τούτους ίδών ό άνθρωπος και καταπλανείς επί τη έξαισίω
αυτών και φοβερά οπτασία, λέγει προς αυτούς* Κύριοι μου και δεσπόται,
Ενα τί οίκίαν άμαρτωλοΰ ανθρώπου εισήλθατε ; Οι δέ προς αυτόν ειπον
Ήμεΐς οι τεσσαράκοντα ους όρας, αϊ λειτουργίαι σοΰ έσμεν αί ψυχικαί
35 αί γενόμεναι υπέρ σοΰ προς τον φιλάνθρωπον Θεόν και άπεστάλημεν παρ'
αύτοΰ όψικεΰσαί σε εν τη άγια εκκλησία* είσελθε οΰν άδιστάκτως μετά
χαράς. 'Ιδού γαρ δια πρεσβυτικών χειρών άπεκληρώθημέν σοι αί τεσσαρά
κοντα άναφοραί εις ενωσιν ειρηνικής καταστάσεως βασιλέων. Ταΰτα είπόντες
καΐ προσομιλήσαντες αύτφ, διέστησαν άπο τών 6ψεων αύτοΰ.
f. 27 Τότε ό άρχων εκείνος | έλλαμφθείς υπό της άγιας εκείνης άποκαλύψεως,
ύπεμνήσθη τάς τρεις αναφοράς τοΰ άγιου αποστόλου Βαρθολομαίου, δι' ών
τοΰ άβυσσίου πόντου έξήλθεν μετά της σιδηράς λάρνακος* ομοίως και τοΰ
άγιου αποστόλου Φιλίππου τάς τεσσαράκοντα δι' ών θαμβουμένω αύτφ
υπό της φλογίνης ρομφαίας και κωλυομένω την ε'ίσοδον ό αρχάγγελος
45 Μιχαήλ χειραγωγήσας είσήγαγεν τοΰτον εις τον παράδεισον ετι δέ και
τήν μεγάλην έκείνην άναφοράν και λειτουργίαν ην ό τρισμακάριος και

26 λειτουργικά : λειτουργικόν ABE δια λειτουργίας C 28-29 Kai - ΰπνου : ô δέ


τοΰτο λαβών καΐ τάς λειτουργίας εν ταΐς κατά τάξιν ήμέραις τελεσθέντων εν μια εορτής
έπιστάσης καΐ του άρχοντος έτοιμαζομένου πορευθήναι έν τη εκκλησία D 28
σθεισών : τελεσθέντων DELS 29 άνεωχθεισών : άνεωχθέντων DLPS 38 έν
ύψίστοις ώσπερ άπό στρατηγού εκλεκτού post άναφοραί add. BDEM | ειρηνικής κατα
στάσεως βασιλέων (βασιλέως ΑΒΕΧ τοΰ βασιλέως C) : βασιλικής καταστάσεως προς
είρήνην D ειρηνικής καταστάσεως ΜΡ | και άφαίρεσιν τών αμαρτιών σου post βασιλέων
add. RV 43 θαμβουμένω αύτώ : θαμβουμένων αυτών L θαμβουμένων αύτφ BS
θαμβούμενος αυτός Μ θαμβούμενος αυτόν R θαμβούμενον αυτό V θαμβουμένου αύτφ Α
44 και κωλυομένω : κεκολυμένω (-κω-Χ) LSX καΐ κωλυομένω Β καΐ κολυόμενον RV
καΐ κωλυόμενος Μ 46-53 τρισμακάριος - Θεώ : τρισμακάρ ιστός και μέγας τοϋ
Κυρίου απόστολος Πέτρος ύψώσας είπε" τάδε λέγει ό Κύριος μου' άνοιχθήσονται αΕ πύλαι
αί χαλκαι αδται καΐ ούκ άνοιγήσονται ε*ως της συντέλειας τοϋ αιώνος* δθεν καΐ έκτοτε ό
δράκων δ τρόγων έ"να όίνθρωπον καθ' ήμέραν συνεκλεϊσθη καΐ κατεπόδη δια της σεβασμίας
καΐ αγίας αναφοράς της θείας προσκομιδίας και λειτουργίας τοϋ αγίου Πέτρου Ε
44-45 cf. Genèse 3, 24

Visiblement embarrassé par cette formule cryptique, Malaxos, dans la rédaction vulgaire
de son Nomocanon (non relevée dans l'apparat), écarte et la paix de l'empire et l'union
des empereurs. Il interprète ainsi : « Tu as été uni à Dieu et désigné pour recevoir sans
ambages le royaume des deux» (îndreptarea legii, Bucarest 1962, p. 766).
9. Sur l'évocation des «anaphores apostoliques», voir ci-dessous p. 36.
10. Cette phrase gauchement bâtie a déconcerté les copistes, comme le montre l'apparat.
28 D.

et liturgie que le trois fois bienheureux et saint Sylvestre, évêque de l'Eglise


romaine, célébra sur l'ordre du saint coryphée des apôtres Pierre, lorsqu'il voua
à la ruine éternelle, en fermant les portes de bronze, le cruel dragon, la bête
féroce qui lance du venin.
Tout cela lui revint en mémoire. Alors il fut parfaitement convaincu, selon
l'exhortation de notre saint Père Isaïe, que la sainte anaphore non sanglante
offerte au Dieu philanthrope est très efficace pour la rémission des péchés. Donc
cet archonte, pleinement confiant grâce à tout cela, grâce au miracle accompli
en sa faveur, grâce aux événements extraordinaires survenus, donna toute sa
fortune, par les mains fidèles et pieuses des prêtres, en leitourgika pour la rémission
de ses péchés. Et il dit ceci : En vérité, les liturgies et les dons offerts à Dieu
peuvent conduire l'âme de l'homme des enfers aux cieux et des ténèbres éternelles
à la bienheureuse et éternelle lumière11.
Que tous, laïcs et prêtres, écoutent cela comme étant écrit et accompli pour
notre utilité spirituelle, afin que les laïcs comprennent ainsi parfaitement quels
biens on s'attire de la part du Dieu philanthrope par le modeste versement d'un
peu d'argent fait entre les mains des prêtres. Quant à ceux qui reçoivent ces
leitourgika, qu'ils s'appliquent à célébrer les liturgies, non par esprit de lucre,
avec négligence et mépris, mais plutôt avec soin et d'un cœur contrit, sans
négliger aucune liturgie, car ils devront rendre compte de tout cela12 au Dieu
philanthrope au jour du jugement. A lui la gloire et la puissance pour les siècles
des siècles. Amen.

11. L'eschatologie ancienne à laquelle l'orthodoxie est restée substantiellement fidèle


ne considère pas comme définitif avant le jugement dernier le sort des pécheurs. La
prière de l'Eglise peut libérer ceux-ci des « enfers » (non de l'enfer éternel dont il n'est
pas question avant la résurrection finale). C'était l'accent adopté par l 'offertoire de
l'ancienne messe latine (Commun des défunts). Dans cette optique, la question du purgat
oireétait mal posée, et la controverse gréco-latine à ce sujet est regrettable. En tenant
compte de cette eschatologie archaïque, il est permis de souligner, avec Mgr Petit,
l'intérêt doctrinal de la Vision, mais non pas d'en tirer « argument » apologétique « contre
les Grecs eux-mêmes à propos du Purgatoire» (DTC 8, col. 81), du moins au sens
scholastique du mot.
12. Ou «de toutes celles-ci» (liturgies), en supposant qu'ici également le masculin
πάντων remplace le féminin πασών. Voir des exemples d'une pareille confusion plus
haut (ligne 28), dans la Vie de sainte Theodora imp. (W. Regel, Analecta, p. 419, 56) et
dans BHG 1449 (A. Kominis, Paolo di Monembasia, Byz. 29-30, 1959-1960, p. 239 n. 2).
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 29

άγιος Σίλβεστρος ό της 'Ρωμαίων επίσκοπος, δι* οπτασίας του αγίου και
κορυφαίου των αποστόλων Πέτρου είργάσατο, οτε και τόν δράκοντα το
χαλεπόν και ίοβόλον θηρίον δια της των χαλκών πυλών συμπήξεως αίωνίω
50 όλέθρω παραδέδωκεν.
Και τούτων εν μνήμη γενόμενος, έπείσθη ακριβώς κατά την του οσίου
πατρός ημών Ήσαίου παραίνεσιν δτι πολύ ισχύει ή αναίμακτος και αγία
αναφορά υπέρ αφέσεως αμαρτιών προαγόμενη τω φιλανθρώπω Θεώ. Έπί
τούτοις οδν πάσιν δ άρχων εκείνος πεισθείς ακριβώς άπό τε του εις αυτόν
55 γενομένου θαύματος, άπό τε τών δηλωθέντων παραδόξων πραγμάτων,
f. 27ν διέ|δωκε τήν ούσίαν αύτοΰ πάσαν δια πιστών και ευλαβών ιερέων εις λειτουρ
γικά υπέρ αφέσεως αμαρτιών αύτου, ειπών οοτως δτι μετά αληθείας δύνανται
αι προς Θεον γινόμεναι λειτουργίαι και εύποιΐαι άναγωγεΐν ψυχήν ανθρώπου
άπό τών καταχθονίων εις τα ουράνια και άπό του αιωνίου σκότους έπί
60 το μακάριον και αϊώνιον φώς.
Ταύτα άκουέτωσαν πάντες κοσμικοί τε και ιερείς ως γραφέντα και
πραχθέντα προς ψυχικήν ημών ώφέλειαν, και οι μεν κοσμικοί Οπως γινώ-
σκουσιν ακριβώς οϊων αγαθών παρά του φιλάνθρωπου Θεοΰ άξιοΰνται δια
της μικράς καταβολής του αργυρίου της γινομένης εν ταΐς χερσίν τών
65 ιερέων οι δέ ιερείς οι λαμβάνοντες τα τοιαύτα λειτουργικά, ινα μή ραθύμως
και άμελώς και καταφρονητικώς ταύτα έκτελουσιν δι' αίσχροκερδίαν,
άλλα μάλλον μετά προσοχής και συντετριμμένης καρδίας μηδεμίαν λειτουρ-
γίαν καταλιμπάνοντες, ως μέλλοντες υπέρ τούτων πάντων λόγον δούναι
τω φιλανθρώπω Θεφ εν ημέρα κρίσεως· δτι αύτώ ή δόξα και το κράτος
70 εις τους αιώνας τών αιώνων αμήν.

47 οπτασίας : επιστασίας ABCDMPX 61-62 πραχθέντα καΐ γραφέντα transp.


ABCMRVX 63-65 παραγγελία καλλίστη και λίαν ωφέλιμος in margine V
59-60 cf. I Pierre 2, 9
30 d. stiernon

Commentaire

Un récit de ce genre, merveilleux à souhait, appelle peu de remarques étendues.


On ne retiendra que deux points.
1. Des τεσσαρακοστά au «quarantaine. Le premier concerne les quarante
liturgies représentées par les quarante cavaliers dont l'apparition bouleversa
l'archonte. Enracinée dans l'eschatologie préchrétienne1, la tradition de la
μνημοσύνη au quarantième jour après la mort (τα τεσσαρακοστά) est attestée
explicitement dès l'âge d'or de la patristique2. Cette coutume a retenu l'attention
des compilateurs de la discipline liturgico-canonique3 et celle des législateurs
patentés4, celle surtout des hagiographes, anciens5, ou contemporains du reclus
Isaïe ou du moins de son éventuel biographe6. Pour justifier une telle pratique,
diverses motivations ont été invoquées : bibliques (embaumement de Jacob7,

1. W. H. Röscher, Die Zahl 40 in Glauben, Brauch und Schrifttum der Semiten,


Abhandlungen der philologisch-historischen Klasse der königlich Sächsischen Gesellschaft
der Wissenschaften 27, 1909, p. 93-138 (notamment p. 99-109, 121-124); Ε. Freistedt,
Altchristliche Totengedächtnistage und ihre Beziehung zum Jenseitsglauben und Totenkultus
der Antike, Münster in W. 1928 (rééd. 1971), p. 172-196 ; G. K. Spyridakès, Ό αριθμός
τεσσαράκοντα παρά τοις Βνζαντινοΐς καΐ νεωτέροις "Ελλησι, Athènes 1939, ρ. 17-32. Je
remercie fraternellement le P. G. Nowack qui m'a procuré une photocopie de cet ouvrage.
2. Ambroise de Milan, De obitu Theodosii, 3 (an. 395) : O. Faller, CSEL 73, Vienne
1955, p. 37212, 3736"7 (quadragesima) = PL 16, 14484.
3. Constitutions apostoliques, vni, 42, 3 : F. X. Funk, Didascalia et Constitutiones
apostolorum, I, Paderborn 1905 (rééd. 1959), p. 55222 (τεσσαρακοστά), p. 55320 {dies
quadragesimus).
4. Justinien, Novelles, 133, 3 : R. Schöll-G. Kroll, Corpus Iuris civilis, Berlin
1812, p. 67115"16 (είς τεσσαράκοντα) ; cf. Matthieu Blastarès, Syntagma alphabe-
ticum, M, 15 : PG 145, 57^ (τεσσαρακοστά). Les typika monastiques n'ignorent pas
non plus les mnèmosunai des défunts le 40e jour; cf. Grégoire Pakourianos (1084) :
L. Petit, Saint-Pétersbourg 1904, p. 4334 = M. Tarchni§vili, Louvain 1954, CSCO
143, p. 60, et CSCO 144, p. 37; Théotokos Kécharitôménè (avant 1118) : PG 127,
1088e; Saint-Mamas : S. Eustratiades, 'Ελληνικά 1, 1928, p. 29111; Elegmoi (1162) :
A. Dmitrievskij, Opisanie liturgiceskych rukopisej. I. Typika, Kiev 1895, p. 753 ; Mont-
Saint-Auxence (1280) : ibidem, p. 788 ; Saint-Sauveur de Messine : M. Arranz, Rome
1969, p. 289913; Saint-Sabas (remanié) : Venise 1615, p. 66.
5. Palladios, Histoire lausiaque, 21, 15 (BHG 1438) : A. Lurot, Paris 1912, p. 166 =
G. J. M. Bartelink et M. Barchiesi, Vérone 1975, p. 157 (τά τεσσαρακοστά) ; Vie de
sainte Melanie, 51 {BHG 1241) : D. Gorce {SC 90), Paris 1962, p. 238 (τεσσαρακοστά) ;
Théodosios de Pétra, Vie de saint Théodore {BHG 1776) : H. Usener, Leipzig 1890,
p. 2226 (τεσσερακοστά), 2324"25 (επί τεττεράκοντα... ημέρας) ; A.-J. Festugière, Les
moines d'Orient, III/3, Paris 1963, p. 114; Histoire de Barlaam et de Joasaph, 36, 25
{BHG 224) : PG 96, 1197s (τη τεσσαρακοστή ήμερα).
6. Vie de saint Evariste le Stoudite, 44 {BHG 2153) : C. Van de Vorst, An. Boll. 41,
1923, p. 323 4"5 (τεσσαρακοστή... ήμερα) ; Grègorios, Vie de saint Basile le Jeune
{BHG 264) : S. G. Vilinskij, Zapiski imp. Novorossiskago universiteta 7, 1911, p. 3120
(τα τεσσαρακοστά), 3121"22 (δια τεσσαράκοντα) ; Vie de saint Luc le Jeune {BHG
994) : PG 111, 449β (τεσσαρακοστά).
7. Ambroise de Milan (ci-dessus n. 2).
LA VISION D'iSAÏE DE NICOMÉDIE 31

deuil mosaïque8, de préférence ascension du Christ9), biologiques (parallélisme


entre le développement embryonnaire et la dissolution cadavérique)10, mathé
matiques (quatre éléments χ dix commandements) 1 1, eschatologiques évidemment :
durée des pérégrinations d'outre-tombe12, jalonnées de télonies13 ; mitigation des
tourments infernaux14 ou plus justement l'indispensable purification15 ou soula
gement posthume, ce qui est partout pour le moins supposé.
Nous retiendra davantage la coutume d'honorer la mémoire du défunt par la
célébration quotidienne d'une liturgie pendant les quarante jours immédiatement
postérieurs au décès ou à une période ultérieure. Cet usage est attesté pour la
première fois, dit-on16, par la Vie de sainte Theodora de Thessalonique rédigée

8. Constitutions apostoliques (ci-dessus n. 3).


9. Eustrate de Constantinople, Logos cmcitreptikos : L. Allatius, De utriusque
Ecclesiae occidentalis atque orientalis perpétua in dogmate de purgatorio consensione,
Rome 1655, p. 551-552 (cf. PG 127, 877ßC) ; Michel Glykas : A. Mai, Novae patrum
bibliothecae, VI, 2, Rome 1853, p. 534.
10. E. Freistedt, op. cit., p. 178-189.
11. Agapios Landos et Nicodème Haoiorite, Πηδάλιον, Athènes 1908, p. 263-264
(note).
12. (Pseudo-)Macaire d'Alexandrie (ou Macaire d'Egypte ou Alexandre
l'Ascète), Vision sur les fins dernières (BHG et Auctarium BHG 999w, 999r) : PG 34,
385-392 (388^-389^, 3924B) et Clavis Patrum graecorum 2400 ; cf. A. Van Lantschoot,
Révélations de Macaire et de Marc de Tarmaqa sur le sort de l'âme après la mort, Le
Muséon 63, 1950, p. 159-189 (168-176); (Pseudo-)Syméon Stylite le Jeune, Sermon
sur le sort de rame après la mort, 7 : A. Mai, Novae patrum bibliothecae, VIII, 2, Rome
1871, p. 116. Sur l 'inauthenticité syméonienne, cf. P. van de Ven, Les écrits de S. Siméon
Stylite le Jeune, Le Muséon 70, 1957, p. 1 n. 4; plus généralement, voir A. Recheis,
Engel Tod und Seelenreise, Rome 1958 ; G. Giambernardini, La sorte dei defunti nella
tradizione copia, Le Caire 1965, p. 64, 72, 135, 150-161 (Vision de Macaire).
13. Grègorios, Vie de saint Basile le Jeune : éd. cit. ci-dessus n. 6, p. 16-28. Cf. M.
Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, IV, Paris 1931, p. 26.
14. A la fin de Y Apocalypse de Paul (§ 44), le Seigneur accorde aux damnés un refri-
gerium éphémère en raison des oblations offertes par les amis humains (C. Tischendorf,
Apocalypses apocryphae, Leipzig 1866, p. 63 ; M. Erbetta, Lettere e apocalissi, Turin
1969, p. 377). Ces offrandes sont précisées (τά τρίτα καΐ τα εννέα και τα λοιπά [à
savoir τα τεσσαρακοστά] ) dans certaines recensions plus récentes de YApocalypse de
la très sainte Théotokos (A. Vassiliev, Anecdota graeco-byzantina, I, Moscou 1893,
p. 133).
15. Ainsi sainte Théophano (+893), quarante jours après sa sépulture (μετά την
τεσσαρακονθήμερον της καταθέσεως ταύτης ήμέραν), alors qu'elle avait «purifié la
souffrance de la passion terrestre », se trouva en présence de Dieu et en mesure d'accomp
lir des miracles : Vie de sainte Théophano impératrice, 24 (BHG 1794 : E. Kurtz,
Mémoires de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg, VIIIe série, ΙΠ, 2, 1898, p.
174"7).
16. Tel est l'avis de G. K. Spyridakès, op. cit., p. 33. Le premier à signaler ce témoin
est N. G. Polîtes, Λαογραφικά Σύμμεικτα, III, Athènes 1931, p. 348 (suite de la note 2),
qui réédite en le complétant (le témoignage en question figure précisément parmi les
additamentd) un article déjà vieux : Τα κατά τήν τελευτήν paru dans Παρθενών 2,
1872-1873, p. 1137-1144, 1193-1200.
32 D. STIERNON

par un autre Grègorios, « le plus humble des clercs » (BHG 1737), au cours de la
deuxième année qui suivit le décès de la sainte (+ 892). Celle-ci, à la mort de son
mari, avait fait célébrer chez elle les offices traditionnels du troisième et du neu
vième jour17. Lorsqu'elle mourut à son tour au monastère Saint-Etienne, sa
fille Théoctiste, higoumène de ladite monè, fit mieux encore : en fille authentique
de la bienheureuse défunte et « animée d'un amour divin pour la disparue »,
elle « invita sept prêtres18 très pieux à célébrer les τεσσαρακοστά offerts pour les
défunts selon la tradition de la sainte Eglise, demandant que chaque jour l'un
d'entre eux vienne au monastère pour y célébrer la divine liturgie» à l'intention
de feu sa mère19. L'« humble clerc Grègorios» invoque la tradition de l'Eglise.
Sans doute pense-t-il aux Constitutions apostoliques, qui enregistrent seulement les
τεσσαρακοστά en tant qu'office funèbre du quarantième jour20. Certes la coutume
de célébrer quarante messes consécutivement remonte moins haut.
Un texte attribué au « très saint Anastase » est introduit par le lemme : Περί
των μ' λειτουργιών τών άποιχομένων ; l'éditeur a traduit : De liturgiis in
quadragesimo die pro defunctis, tandis qu'il a rendu littéralement par quadragesima
sacrificia l'incipit : Και περί τών σαρρακοστών [cod.] λειτουργιών21. Ce texte
canonico-liturgique envisage le cas où les défunts à honorer par des suffrages
sont deux, trois ou plus encore. On n'est pas nécessairement obligé d'offrir la
liturgie pour chacun d'entre eux22; il est également permis de commémorer
l'ensemble (αμφότερους) dans une seule liturgie (εν μι^ λειτουργία). Il semble

17. Τα τρίτα καΐ ε"ννατα του ανδρός οϊκοι τελέσασα {Vie de sainte Theodora de
Thessalonique, 19 : évêque Arsenij, Èitie i podvigi Sv. Feodory Solunskoj, Jurev 1899,
p. 12; de même § 20, p. 12). Dans la Vita retractata (BHG 1738), il est dit simplement :
τα επιτάφια όσίως καΐ θεοφιλώς τελέσασα (Ε. Kurtz, Mémoire de Vacadémie impériale
de Saint-Pétersbourg, VIIIe série, VI, 1, 1902, p. 127).
18. On sait que la tradition byzantine confie idéalement à sept prêtres la collation de
Γεύχέλαιον ou sacrement des malades appelé pour cela, dès le moyen âge, το έπτα-
πάπαδον (M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, III, Paris 1930, p. 477,
480, 484).
19. Ποιεϊν τα κατά την παράδοσιν της αγίας Εκκλησίας υπέρ τών κατοιχομένων
γινόμενα τεσσαρακοστά αίτησαμένη καθ' ήμέραν ενα τούτων ένταΰθα παραγενόμενον
τήν θείαν έπιτελεΐν λειτουργίαν (Arsenij, op. cit., 46, p. 2633"36). La Vita retractata
élimine de même le terme technique τεσσαρακοστά et inverse la formule : τά... γινόμενα
υπέρ τών κατοιχομένων (Ε. Kurtz, op. cit., p. 2634). Je me suis assuré de l'omission
du mot dans le Palatin, gr. 211, f. 51V, base de l'édition de Kurtz.
20. Ci-dessus p. 30 n. 3. Le passage de l'un à l'autre usage a dû s'opérer comme
naturellement.
21. I. B. Pitra, Iuris ecclesiastici graecorum historia et monumenta, II, Rome 1868,
p. 277 (d'après le Barberin. gr. IV, 58, nunc 476, f. 7, du XIe s.).
22. Le binage étant exclu et aussi la multiplicité des autels dans une même église,
voire même la succession de plusieurs prêtres au même autel le même (quarantième)
jour, il ne reste plus que la dispersion des liturgies dans des églises différentes. C'est
pourquoi l'idéal se trouve dans le second élément de l'alternative (cumul des commémo-
raisons).
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 33

bien qu'il s'agisse ici des τεσσαρακοστά au sens traditionnel : on autorise, au


quarantième jour après la mort, d'unir le souvenir de plusieurs défunts dans une
seule et même commémoraison liturgique23.
Il doit y avoir un lien entre le service liturgique au quarantième jour et la célé
bration ininterrompue des quarante messes posthumes. L'usage du « quarantain »
byzantin est-il dépendant du trentain grégorien24, lui-même dérivé de la commém
oraison des défunts au trentième jour propre à la tradition latine et à une certaine
tradition orientale25 ? On croirait plutôt à une coutume indépendante, si l'on
considère que le « quarantain » est attesté très tôt par les sources arméniennes,
sans interférence possible de l'usage romain. C'est ainsi que le canon 18 du synode
de Parnaw (771) mentionne les « quadragésimes » (karasunk) ou agapes célé
brées en suffrages pour les défunts26. Dans un premier temps, Mgr Amaduni
pensait qu'il s'agissait des « prières et œuvres de bienfaisance accomplies en faveur
de l'âme du défunt le quarantième jour après la mort »27. Plus tard il dira que ce
canon vise les « quarantene ou série de 40 messes »28. Quoi qu'il en soit, en faveur
de celles-ci les témoignages ne manquent pas à l'époque postérieure. En l'an 297
des Arméniens (847-848), David évêque de Datev, en reconnaissance pour un don
princier fait au monastère dont il était Phigoumène, prescrit aux hiéromoines de
célébrer chaque année un «quarantain» pour le salut éternel du donateur29.
Un successeur, Hagog de Datev, agit de même en 920 30. En 943, dans un document
analogue, le donateur précise que le « quarantain » annuel commencera au temps

23. Des τεσσαρακοστά il est encore question plus loin, lorsque le canoniste impose,
dans le cas de τεσσαρακοστά (sans article) pour les vivants, les mêmes lectures liturgiques
que pour les défunts (I. B. Pitra, op. cit., II, p. 278).
24. Grégoire le Grand, Dialogi, iv, 54 : PL 77, A2\BC. A noter que la célébration
du trentain (diebus triginta continuis) commence trente jours après la mort du moine Justus
et que Syméon de Thessalonique a transformé en « quarantain » le trentain grégorien :
Grégoire le Romain a délivré un frère de la damnation εν τεσσαράκοντα προσφέρων
ήμέραις υπέρ αύτοϋ (Περί τον τέλους ημών : PG 155, 688°). De son côté, Manuel
Malaxos n'a pas retenu dans son Nomocanon l'historiette du trentain grégorien jugée
sans doute trop latine ; il s'est contenté des trois récits qui encadrent l'aventure de Justus
(ci-dessus p. 20).
25. E. Freistedt, op. cit., p. 161-171.
26. A. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, X, 2, Rome 1838, p. 309, n° 18.
27. Codificazione canonica orientale. Fonti, VII. Disciplina armena, Cité du Vatican
1932, p. 631. Les sources canoniques arméniennes n'ignorent pas ce service funèbre le
quarantième jour : canons de Jean le Stylite et réponses du katholikos Sahak ou Isaac
(+703); cf. A. Mai, op. cit., X, 2, p. 302, n° 15.
28. G. Amaduni, Monachismo. Studio storico-canonico e fonti canoniche, Venise 1940,
p. 121, n° 191a. De même V. Hadzuni, La messe selon le rituel de FEglise arménienne
(en arm.), Venise 1936, p. 7.
29. G. Amaduni, op. cit., p. 166, n° 272a, qui renvoie à l'édition du sigillion episcopal :
St. Orbelian (+ après 1295), Histoire de la province de Sisagan (en arménien), I, Paris
1859, p. 259 ; cf. p. 180 n. 1. De même pour la plupart des documents suivants.
30. G. Amaduni, op. cit., p. 167, n° 273.
34 D. STIERNON

de la Transfiguration et se continuera sans interruption31. Un sigillion daté de


1084-1085 au nom de l'évêque de Datev Grégoire recommande, sous peine d'ana-
thème, de ne pas manquer un seul jour32. En Arménie toujours, le « quarantain »
enregistre une sorte d'escalade : deux33, quatre34 et même six par an35. Aussi
voit-on, dans la seconde moitié du xiie siècle, saint Nersès de Lampron, archevêque
de Tarse, réagir vigoureusement contre les abus auxquels donne lieu la comptab
ilisation des honoraires de messes. En particulier, il s'en prend à l'habitude qu'ont
prise les moines de faire célébrer après leur mort trois « quarantaine » ; ce qui les
oblige de leur vivant à s'occuper de recueillir l'argent nécessaire plutôt que de
travailler à leur sanctification personnelle36. Nersès voit dans le deuil des enfants
d'Israël à la mort de Moïse (Deut. 34,8, où il lit cependant « trente jours ») l'origine
mais aussi les limites du « quarantain » : le célébrer en dehors des quarante jours
qui suivent le décès et le multiplier « par trois ou quatre ou davantage » en prenant
comme point de départ un jour quelconque, c'est « s'écarter de la vérité et se
laisser prendre, comme beaucoup, à l'appât du gain»37.
Spyridakès affirme que la « large diffusion » des quarante liturgies est attestée
παλοαότερον par les dons testamentaires offerts aux églises à titre d'émoluments
destinés aux prêtres « afin qu'ils célèbrent τεσσαρακοντάκις pour le repos de l'âme
de quelqu'un ». Mais, après avoir mentionné en note quatre manuscrits athonites
de date récente38, il signale une donation, contre un sarantari, datant du 5 no-

31. G. Amaduni, op. cit., p. 167, n° 274. Dans le calendrier arménien le cycle liturgique
de la Transfiguration s'étend sur un maximum de sept semaines (donc 49 jours) à partir
du dimanche consacré à ce mystère (VIIIe dimanche de la Pentecôte) (V. Grumel, La
chronologie, Paris 1958, p. 330). D'autres testaments arméniens stipulent que le « quarant
ain » se célébrera au temps de Pâques (G. Amaduni, op. cit., p. 157, n° 254), ce qui est
conforme à l'usage byzantin qui réserve à la mémoire des défunts le temps compris entre
le lundi de Quasimodo et la Pentecôte.
32. G. Amaduni, op. cit., p. 172, n° 281.
33. Sigillion lapidaire du katholikos Constantin I (1220-1268), qui exige en outre, le
jour de la Purification, une liturgie à neuf autels de la cathédrale (G. Amaduni, op. cit.,
p. 161, n° 262; voir aussi p. 149, n° 237).
34. Testament du prince de Sounia, Grégoire Souphan (deuxième moitié du IXe s.)
en faveur de l'église de Qot érigée par lui (G. Amaduni, op. cit., p. 148, n° 231 ; V. Hadzu-
ni, op. cit., p. 7).
35. Sigillion du prince Vahram Bahlawouni daté de 1029 (G. Amaduni, op. cit., p. 156,
n°252).
36. Explication de la liturgie (en arménien), Venise 1847, p. 72-74. Cf. G. Amaduni,
op. cit., p. 30-31.
37. Explication de la liturgie, p. 78. Je remercie très vivement le P. Grégoire Petrowicz
du Pontificio Collegio Armeno d'avoir eu l'amabilité de me traduire le chapitre que
Narsès consacre au trafic scandaleux des karasunk. Je n'utilise ici qu'une mince partie de
cette traduction.
38. G. K. Spyridakès, op. cit., p. 33 n. 5. Par là, l'auteur renvoie globalement à
trois témoins (Dionysiou 241 et 299 et S. Anne 20) de la paraphrase néo-grecque de
notre texte.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 35

vembre 157239 et montre qu'à l'époque moderne40 l'usage des «quarantaine»


est largement répandu dans l'orthodoxie hellénique41. Il y est toujours en v
igueur42. Notre Vision, datable du xe s. et de toute façon antérieure au début du
xne, comble donc en partie le vide béant entre la Vie de sainte Theodora de Thes-
salonique et les témoignages des temps modernes. Sur le point précis des quarante
messes elle a recours au monde merveilleux, sans nous indiquer clairement que
l'archonte de Nicomédie a consenti l'aumône d'un « quarantain»43. Par contre,
dans le récit dont est farcie la Vision élaborée par Malaxos, les quarante liturgies
sont mieux étoffées et leur efficacité outre-tombe parfaitement soulignée. On
comprend que le compilateur naupliote, dans sa recension populaire du Nomo-
canon, l'ait préférée à l'historiette du fils sauveteur posthume de sa mère débauchée
{BHG 1449d). Mais résumons ce récit. Un γέρων, saint prêtre de surcroît, a sous
ses ordres un moine désobéissant, obstinément sourd aux objurgations de son
maître. Or l'insoumis vient à mourir impénitent, et son âme est jetée dans le
« fleuve de feu » de la fatale damnation. En rêve, le γέρων l'aperçoit dans les tour
ments et ne reste pas insensible à ses supplications pénitentes. Au réveil, il célèbre
la liturgie pendant vingt jours de suite à l'intention de son indocile υποτακτικός.
Après quoi, un nouveau rêve lui révèle que le malheureux se trouve encore dans la
fournaise, mais dégagé à mi-corps. Derechef le hiéromoine célèbre d'affilée vingt
liturgies quotidiennes au bout desquelles une troisième vision le remet en présence
du « fleuve de feu ». Son protégé n'y est plus. Les quarante messes l'en ont libéré44.
Le Nomocanon de Malaxos certifie que ce récit est tiré du Patérikon. Cette litt
érature n'a pas encore livré tous ses secrets. Le dépouillement auquel s'est appliqué
le P. Halkin n'a pas encore épingle un incipit qui prendrait le contrepied de BHG
1445i : Γέρων τις ιερεύς του Θεοΰ υψίστου είχεν μοναχον ύποτακτικόν
και... εις παρακοήν ηορ. On pourrait penser à une anecdote d'origine latine
liée aux visions du purgatoire dont était friand notre moyen âge occidental. Je
suis bien trop incompétent pour m'aventurer sur ce terrain brûlant45.
Les typika monastiques, en voie d'exploration, fournissent sur le « quaran-

39. Ibidem, p. 33. D'autres donations, plus récentes encore, contre un σαραντα-
λείτουργον : P. Nikolopoulos-N. Oikonomidès, 'Ιερά μονή Διονυσίου κατάλογος τοϋ
αρχείου, Σύμμεικτα 1, 1966, ρ. 305-306 (an. 1671, 1675).
40. Un texte transmis par le Paris, gr. 2419 (xve s.) fait état de l'exploitation de la célé
bration de la liturgie pendant quarante jours dans un but plus terre à terre que les suffra
gesen faveur des défunts. Il s'agit d'une recette magique περί έρωτος (A. Delatte,
Anecdota Atheniensia, I, Liège-Paris 1927, p. 45834 ; cf. G. K. Spyridakès, op. cit., p. 58).
41. Ibidem, p. 34-35.
42. L. Petit, La grande controverse des colybes, EO 2, 1898-1899, p. 326.
43. Sauf dans D. Voir ci-dessus apparat lignes 28-29.
44. îndreptarea legii. 1652, Bucarest 1962, p. 767-768.
45. Je n'ai rien trouvé dans M. Landau, Hölle und Fegfeuer im Volksglaube, Dichtung
und Kirchenlehre, Heidelberg 1909, auquel renvoie le plus souvent Ε. Fleischnack,
Fegfeuer. Die christliche Vorstellungen vom Geschick der Verstorbenen geschichtlich
dargestellt, Tübingen 1969.
36 D. STIERNON

tain » des témoignages moins magiques et plus solides que ceux des récits édifiants ;
ils peuvent servir à combler les lacunes de notre information à partir de l'an mil.
Le typikon du monastère de la Théotokos Εύεργέτις à Constantinople (vers
1054) ordonne que dans les ecténies il soit fait mémoire du moine mort récemment,
chaque jour à l'office de l'orthros, à la liturgie, aux vêpres jusqu'aux τεσσαρακοστά
du défunt et que chaque jour on offre pour lui une προσφορά46. La même ordon
nance quasi stéréotypée se retrouve dans la plupart des typika47. D'après celui de
N.-D. de Bonne Espérance, également à Constantinople (vers 1345), à la mort
d'une moniale, la liturgie se célèbre pendant quarante jours consécutifs pour le
repos de son âme ; ces jours-là on distribue aux pauvres une portion de nourr
iture48.
L'enquête est loin d'être exhaustive. Une recherche plus poussée permettrait
d'éclaircir certains points, comme par exemple l'apparition du mot σαραντα-
λείτουργον49.
2. Les anaphores apostoliques. Provoqué par la vision « cavalière » des quarante
liturgies, l'archonte de Nicomédie se rappelle les anaphores des apôtres Barthélémy
et Philippe et « la grande anaphore » du pape Sylvestre. De quoi s'agit-il ?
Saint Barthélémy, a) Les trois anaphores. A en juger d'après les textes édités,
ni la Passion de saint Barthélémy {BHG 227) ni le récit de la translation de ses
reliques à Lipari {BHG 229) ni aucun éloge {BHG 230-231) ne mentionnent les

46. Άλλα καΐ του νεωστι τελευτήσαντος καθ' έκάστην άνα πασαν σύναξιν όρθρου τε,
φημί, και λειτουργίας καΐ εσπερινού την άνάμνησιν γενέσθαι εν ταϊς έκτενέσι δεήσεσιν
άχρι των τεσσαρακοστών αύτοΰ, εν οΐς όσημέραι και προσφορά υπέρ αύτοϋ προσκομισθή-
σεται (Α. Dmitrievskij, op. cit., p. 647).
47. A Constantinople, Théotokos κεχαριτωμένη (avant 1118) : PG 127, 1088e; Saint-
Mamas (1159) : A. Dmitrievskij, op. cit., p. 708; S. Eustratiadès, Ελληνικά 1, 1928,
p. 29113"15, 293 4"7. A Messine, Saint-Sauveur (1131) : M. Arranz, Rome 1969, p. 440.
En Bithynie, Elegmoi (1162) : A. Dmitrievskij, op. cit., p. 754. A Jérusalem, Saint-Sabas
(typikon amplifié, xie-xne s.) : Venise 1615, p. 66; cf. L. Allatius, op. cit., p. 50. En
Chypre, Néophyte le Reclus (1210) : I. Tsiknopoulos, Κυπριακά τυπικά, Leucosie 1969,
p. 6010"15; cf. p. 854.
48. Επισκοπήσω ha μέχρι των τεσσαρακοστά ήμερων λειτουργήται υπέρ της ψυχής
αυτής λειτουργία καθ' έκάστην μία (Η. Delehaye, Deux typica byzantins de V époque des
Paléologues, Bruxelles 1921, p. 982426, 991). C'est ce que fit, selon le témoignage de
Macaire Chrysoképhalos, le hiéromoine Théolepte aussitôt après le décès de Mélétios
le Galésiote (21 janvier 1286) : έξ αυτής ημέρας της έκδημίας μέχρι τεσσαρακοστής
δλης, ακατάπαυστα λειτουργών ήν, καθ' έκάστην Θεώ τά μυστικά καΐ υπέρ αύτοϋ
δεήσεις ποιούμενος {Γρηγόριος ο Παλαμάς 5, 1921, p. 6238"11). Une curiosité : d'après la
diataxis de Michel Attaleiatès pour le monastère urbain du Christ Tout-Miséricordieux
(1077), à la mort d'un moine, son assistant (υπουργός) ne doit pas être chassé, mais
être mis en quarantaine (ha παραμένη... έπί ημέρας τεσσαράκοντα) dans le ptôchotro-
pheion (MM, V, p. 32079).
49. Un vocable de basse époque vraisemblablement. Il y a aussi le mot τεσσαραλει-
τούργημα (absent de G. K. Spyridakes, op. cit.), dont parle J. Goar (Εύχολόγων, Venise
1730, p. 541) à propos des peines canoniques infligées aux riches capables d'assurer les
frais de quarante messes consécutives.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 37

trois anaphores grâce auxquelles l'apôtre — c'est-à-dire sa dépouille — aurait


émergé de la mer50. La Passio latine (Pseudo-Abdias 8), modèle présumé de la
grecque, raconte qu'après que le roi « indien» Astyage eut fait décapiter l'apôtre
pourfendeur d'idoles, la foule accourut honorer le corps du martyr, qu'on déposa
dans la « grande et merveilleuse basilique » construite à sa mémoire. Au trentième
jour {tricesimo die) après cette déposition, le roi et ses prêtres tombent morts51.
La recension grecque du Mar dan. gr. 362 (an. 1279) éditée par Tischendorf
présente l'épisode autrement : après avoir fait exécuter Barthélémy, le roi ordonna
de jeter à la mer le corps de l'apôtre, qui fut transporté (par les flots) et vint échouer
sur l'île de Lipari. Au trentième jour du transfert marin, le roi et ses prêtres périrent
misérablement52. On a émis l'hypothèse que l'expression «trentième jour»
fait allusion au service funèbre (commémoration liturgique) traditionnel en Occi
dent et dans l'Orient syrien qui se célébrait le trentième jour après la mort53.
Il est toutefois difficile de tirer de là les trois anaphores évoquées par l'archonte
de Nicomédie. Il faudrait supposer que l'auteur de notre diègèsis a pris le chiffre
30 pour un 3 54 ou a interprété le tricesimo au sens de τα τρίτα. De toute façon,
la Passio n'établit pas de rapport direct entre l'éventuelle célébration du trentième
jour et le fait que l'apôtre-martyr ait échappé avec son cercueil à l'abîme de la mer.
A moins que le récit d'Isaïe nous autorise à soupçonner l'existence de quelque
apocryphe ou d'une source hagiographique où ces événements sont rapportés en
clair.
b) La châsse de fer. La recension vénitienne de la Passio précise qu'on déposa
le corps de saint Barthélémy εν βασιλική θήκη 5 5. On a le choix entre le sarco
phage impérial (en porphyre) et la châsse en métal précieux. Selon le récit de la
translation des reliques, l'apôtre fut déposé εν λάρνακι λίθινη, qui fut jetée à la
mer et navigua jusqu'à Lipari56. Dans l'éloge de Barthélémy par saint Théodore
Stoudite57 et par Joseph le skeuophylax58, la matière dont était faite l'urne

50. Ci-dessus p. 27 38.


51. Passio sancti Bartholomaei apostoli, 9 : R. A. Lipsius-M. Bonnet, Acta apostolorum
apocrypha, II, 1, Leipzig 1898 (rééd. 1968), p. 149 (tricesimo die depositionis eius).
52. Ibidem, p. 14926 (τριακοστή ήμερα άπό της μετενέξεως τοϋ αποστόλου).
53. Ε. Freistedt, op. cit., p. 31-32. Bien que transmise par une source latine, la légende
du martyre de saint Barthélémy semble d'origine syriaque.
54. A savoir un lambda pour un gamma, ce qui est paléographiquement peu probable.
Une erreur mentale serait moins aléatoire.
55. R. A. Lipsius-M. Bonnet, op. cit., II, 1, p. 14923.
56. PG 105, 2\6A.
57. PG 99, 797e ; U. Westerbergh, Anastasius bibliothecarius. Sermo Theodori Studitae
de sancto Bartholomeo apostolo, Stockholm 1963, p. 4518 (κατά τοϋ ίαματουργοΰντος
λάρνακος), 4536, 461, 464, 4626.
58. Τήν θείαν τοϋ αποστόλου σορόν {Vatican, gr. 1667, f. 129V ; cf. PG 105, 14244).
Ce Joseph est sans aucun doute l'Hymnographe qui serait né, selon une récente hypothèse,
à Païenne plutôt qu'à Syracuse (REB 31, 1973, p. 249-250). Or, dans l'enkômion cité,
il éprouve le besoin de mentionner Syracuse sur l'itinéraire parcouru par la châsse (Vatican,
gr. 1667, f. 130 : PG 105, 1424e), tandis que la Translatio ne parle que de la Sicile en général.
38 D. STIERNON

funéraire n'est pas indiquée59. Le canon en l'honneur de l'apôtre édité sous le


nom de Théophane et qu'on voudrait attribuer à saint Joseph l'Hymnographe60
dit de même λίθινη εν λάρνακι61. Par contre, saint Grégoire de Tours assure
qu'on plaça le corps de l'apôtre in sarcophagum plumbeum, lequel fut jeté à la
mer62. C'est de là que procède à coup sûr la tradition consignée dans les syna-
xaires (BHG 2057), selon laquelle saint Barthélémy fut déposé εν μολύβδινη (var.
μολυβδίνω) λάρνακι63. Notre texte dérive sans doute de ce canal. Mais on ne
sait s'il faut attribuer à la liberté de l'auteur de la Vision ou à une source perdue la
préférence accordée au fer aux dépens du plomb. Quoi qu'il en soit, la suite du
récit suggère que, sur ce point des « anaphores » apostoliques, le déliquescent
hagiographe d'Isaïe de Nicomédie n'invente rien, mais puise dans le trésor en
combrant de la littérature apocryphe.
Saint Philippe. Les quarante anaphores de l'apôtre Philippe sont, elles, nettement
suggérées par un témoin de cette littérature. Pour avoir rendu le mal pour le mal
en maudissant les Phrygiens incrédules, l'apôtre de Hiérapolis se vit, selon les
fantastiques Actes de Philippe (BHG 1525-1526), réprimandé par le Seigneur qui
lui annonça une punition exemplaire. Au moment de sa mort, tandis que ses
compagnons d'apostolat seront admis tout de suite près du Christ en paradis,
σε δε κελεύσω άποκλεισθήναι έξω του παραδείσου έως ήμερων τεσσα-
ράκοντα, θαμβούμενον υπό φλογίνης [και στρεφόμενης] ρομφαίας... και
μετά τεσσαράκοντα ημέρας άποστελώ τον άρχάγγελόν μου Μιχαήλ, και
κρατήσει την ρομφαίαν την φυλάσσουσαν τον παράδεισον64. Alors seul
ement l'apôtre pourra contempler la gloire de Dieu. Au moment de subir le martyre
de la crucifixion, Philippe se souvient du châtiment qui l'attend : «Je devrai
passer quarante jours en tournant autour du paradis»65. Il recommande ensuite
à ses associés, Barthélémy et Mariamnè, de prier pour lui pendant quarante jours

59. Combefis prétend que Joseph et Théodore disent aussi έν λάρνακι λίθινη (PG
105, 214 η. 45). De Joseph il resterait à examiner le second Eloge de saint Barthélémy
(BHG 323b), que je n'ai pu lire dans le Vatican, gr. 984 (palimpseste) des ixe-xe siècles.
60. E. Mioni, I kontakia inediti di Giuseppe Innografo, Bollettino délia badia greca
di Grottaferrata 2, 1948, p. 96. E. Tômadakès propose de s'en tenir à l'attribution reçue
('Ιωσήφ δ 'Υμνογράφος. Βίος και έργον, Athènes 1971, ρ. 228). Noter cependant que
ce canon emprunte des éléments au premier enkômion de Joseph. L'hymnographe a
de toute façon composé un canon (inédit) en l'honneur de saint Barthélémy (E. Tômad
akès, op. cit., p. 168, n° 298).
61. Troisième strophe de la quatrième ode de l'orthros : Μηναία τοϋ δλου ένιαντον,
VI, Rome 1901, p. 496.
62. Liber in gloria martyrum (Miraculorum liber I), 34 (33) : W. Ardnt-B. Krusch,
MGH Scriptorum rerum Merovingicarum, VII, 2, p. 5104 (PL 71, 734B).
63. Synaxaire de Sirmond : H. Delehaye, Syn. CP, col. 7451-2 (et apparat synaxaires
S); Β. Latysev, Menologii anonymi byzantini, II, Petrograd 1912, p. 3530; PG 117,
493B; 105, 213s, 214 n. 15; Vatican, gr. 1191 (xm«5 s.), f. 143, col. 1.
64. Actes de Philippe, 137 : R. A. Lipsius-M. Bonnet, op. cit., II, 1, Leipzig 1898
(rééd. 1968), p. 69. Les mots entre crochets manquent dans certains manuscrits.
65. Ibidem, 139 : p. 7312.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 39

afin que le Seigneur lui pardonne sa vendetta66. Une vigne surgira de la terre
baignée par son sang. Barthélémy et sa diaconesse en boiront le vin et, le troisième
jour, ils devront élever leur amen vers le ciel et leur offrande sera complète67.
Après la mort de Philippe, Barthélémy et Mariamnè exécutent les ordres de
l'apôtre : επί ημέρας τεσσαράκοντα προσφέροντες προσφοράς αδιαλείπτως
προσευχόμενοι [var. δωδεκάκις της ημέρας]68. Au bout de quarante jours, le
Seigneur, sous les traits de Philippe, apparaît à Barthélémy et à Mariamnè et leur
annonce que le paradis lui (à Philippe) a été ouvert et qu'il est entré dans la « gloire
de Jésus»69. Dans un opuscule «Sur les trois carêmes» attribué au patriarche
d'Antioche Anastase, mais qui ne serait pas antérieur au patriarcat constantino-
politain de Nicolas III Grammatikos70, on invoque l'épisode de la quarantaine
de Philippe71 en faveur du jeûne quadragesimal. Pour ce faire le Pseudo- Anastase
prête à Philippe l'ordre donné à Barthélémy et à Mariamnè de dire à Jacques et
aux autres apôtres de jeûner et de prier pour lui (Philippe) pendant quarante
jours72. A part la liberté qu'il prend de transformer en anaphores les προσφοραί
de la légende apostolique, le «biographe» d'Isaïe de Nicomédie serre de plus
près le texte de l'apocryphe tel que l'ont transmis les témoins connus73, sans que
l'on puisse dire avec certitude que l'auteur du Martyre de Philippe (dont la compos
itionoriginelle remonte à 300-330) 74 soit l'inventeur du « quarantain » byzantin.
Du moins s'est-il prêté au rôle de précurseur de cet usage liturgique.
Saint Sylvestre. La Vision évoque enfin la « grande anaphore », la « grande
liturgie» que Sylvestre, évêque de Rome, célébra sur l'ordre de saint Pierre en vue
de l'emprisonnement du dragon75. Est bien connu l'épisode du dragon maléfique
qui nichait au Capitole dans un antre de la Roche Tarpéienne et que saint Sylvestre
jugula au profond soulagement des Romains. Il constitue une séquence de la
légendaire Vita Sylvestri qui attend encore, en latin (BHL 7725-7742 ; Clavis PL
2235) comme en grec (JBHG 1628-1630 ; Auctarium BHG iidem), une édition critique,
une Vie ou plutôt des Actes dont l'original latin, soumis à des rédactions diverses,

66. Ibidem, 143 : p. 838"9.


67. Ibidem, 147 : p. 885-6.
68. Ibidem : p. 887-9·13"14.
69. Ibidem, 148 : p. 89-90.
70. V. Grumel, Le jeûne de l'Assomption dans l'Eglise grecque, EO 32, 1933, p.
180-183.
71. Ούκ είσελεύση δέ, άλλα τεσσαράκοντα ημέρας Ιξω στήση λυπούμενος καΐ κωλυό
μενοςύπο της φλογίνης ρομφαίας (JPG 89, 1396e).
72. PG 89, 1397^'β. Cet opuscule pseudo-anastasien a été transmis, entre autres,
par le Regin. 57, f. 47-50, qui contient aussi notre Vision.
73. Le plus ancien témoin, fragmentaire il est vrai (à partir du passage cité à la note
65), semble être le manuscrit Bruxell. B.R. IV.459, palimpseste de la fin du vme ou du
ixe siècle (J. Noret, An. Boll. 92, 1974, p. 386).
74. Evidemment on ne peut attribuer à une si haute époque l'état actuel de
l'apocryphe.
75. Ci-dessus p. 2947-s°.
40 D. STIERNON

a subi l'intrusion d'éléments byzantins76. En ce qui nous concerne, trois détails


sont à noter.
a) Vanaphore papale. Dans la rédaction latine B77 d'où dérive la recension grec
que, saint Pierre apparaît en vision à Sylvestre et lui ordonne de prendre avec lui
trois prêtres et deux diacres (tous nommés) et, solo Christi sacramento refecti,
de descendre avec eux vers le dragon pour mettre celui-ci hors d'état de nuire.
Sylvestre obéit. En priant, il descend les cent cinquante marches78 qui conduisent
à l'entrée de la grotte et il exécute l'ordre de saint Pierre. Explicitement il n'est
pas question dans cette version originale de célébration liturgique, vaguement
impliquée dans la communion sacramentelle imposée par l'apôtre comme préala
ble à l'affrontement du monstre79. Il appartenait à la rédaction grecque éditée par
Combefis d'expliciter la célébration du sacrifice eucharistique en prélude à la
«draconienne» geste. En effet, elle met sur les lèvres de Pierre s 'adressant à
Sylvestre : πριν ή σε προς τον δράκοντα μετ' αυτών κατελθεΐν προσένεγκε
την άναίμακτον θυσίαν τω Θεω80.
b) Le dragon venimeux. La Vision qualifie le dragon de το χαλεπον και ίοβόλον
θηρίον81. La Vita revient avec complaisance sur le flatus draconis et sur le
venin de la terrible bête. Dans la recension grecque il est question du souffle
mortel (θανατηφόρο) άσθματι) du dragon qui infestait l'air (τον αέρα φθο-

76. R.-J. LOENERTZ, Actus Sylvestri. Genèse d'une légende, Revue d'histoire ecclé
siastique 70, 1975, p. 426-439, avec renvoi aux deux articles du même auteur sur le Consti-
tutum Constantini (p. 426 n. 2).
77. La plus ancienne et plus courte rédaction A est restée inconnue de la tradition
grecque; voir W. Levison, Konstantinische Schenkung und Silvester-Legende, Scritti
di storia e paleografia. Miscellanea Francesco Ehrle, II, Rome 1924, p. 224.
78. Dans les recensions grecques il y a trois cents (F. Combefis, Illustrium Christi
martyrum lecti triumphi, Paris 1660, p. 269) et même trois cent cinquante marches
{Vatican, gr. 2045, xie s., f. 49, col. 1 ; Ottob. gr. 415, xive s., f. 185M86 ; peut-être aussi
Vatican, gr. 2084, Xe s., f. 137, où πάντες = πέντε ?). Ce dernier manuscrit présente
la séquestration du dragon d'une manière notablement amplifiée.
79. B. Mombritius, Sanctuarium seu Vitae Sanctorum, II, Venise 1480, f. CCLXXXIIV
(2e éd., Paris 1910, p. 52943). L'apôtre lui demande encore, une fois le dragon muselé,
de prendre sur la confession de saint Pierre et de consommer un pain qu'il a spécia
lement préparé comme antidote (p. 5295455). Réédition de B. Mombritius par P. di Leo,
Ricerche sui falsi medioevali. I. // Constitutum Constantini, compilazione agiografica del
sec. VIII, Reggio Calabria 1974, p. 153-225 (l'épisode du dragon p. 214-217).
80. F. Combefis, op. cit., p. 271. Cette édition est basée sur le Paris, gr. 513 du Xe s.
Voir W. Levison, op. cit., p. 224-225. Variantes : ή om. Vatican, gr. 1638 (xie s.), f. 47\
col. 2 ; πριν είσέλθης εις τόν δράκοντα μετά τό κατελθειν Vatican, gr. 2084, Xe s., f. 141V ;
είσελθεϊν Ottob. gr. 415, f. 185V ; προσένεγκας τήν άναίμακτον τφ Θεφ θυσίαν Paris,
gr. 1448 (xe-xie s.), f. 3V, col. 2. Dans la Vie de saint Sylvestre attribuée à Jean Zonaras
par certains témoins (BHG 1633-1634), on lit : κάκεϊ (à l'entrée de la grotte) τήν άναί
μακτον λατρείαν προσαγαγεϊν τφ Θεφ (II testo greco del ΒΙΟΣ di S. Silvestro attribuito
al Metafraste, Roma e l'Oriente 6, 1913, p. 344); plus loin, Sylvestre exécute l'ordre
de Pierre : Ό 8έ κατά τήν έντολήν και τήν λατρείαν έτέλεσε (ibidem).
81. Ci-dessus p. 2949.
LA VISION D'ISAÏE DE NICOMÉDIE 41

ροποιον άποτελών)82; plus loin : άσθματος του φονίου θηρός83, ou encore :


ό δεινός και ολέθριος θήρ84. Le qualificatif ίοβόλον se lit, en substitution de
θανατηφόρος, dans la Vie attribuée à Jean Zonaras85. La Vision étant antérieure
à celui-ci, l'adjectif, banal au demeurant, a été librement introduit par notre
anonyme ou bien ce dernier s'inspire d'une recension inédite des Actes de Syl
vestre86.
c) Eternelle destruction. Selon le texte latin reçu, saint Pierre ordonna à Sylvestre
de bien cadenasser les portes d'airain qui fermaient l'entrée du repaire. Ces portes
non aperientur nisi in die iudicii81. La recension grecque dit de même : άχρι
της φοβέρας και φρικτής ημέρας της κρίσεως88. En parlant de « ruine
éternelle» (αίωνίω όλέθρω), la Vision interprète justement le caractère définitif
de la fermeture de la grotte maudite. Combefis lui donnerait raison, lui qui reproche
à Baronius d'oser croire qu'au jour du jugement les portes de l'antre se rouvri
ront89.
A moins d'espérer la découverte d'une source qu'il aurait servilement repro
duite, reconnaissons que l'auteur de la Vision sur le bien-fondé des leitourgika
a fait preuve d'une certaine originalité. Le mot σύμπηξις est de lui de même que
l'adjectif τρισμακάριος accordé au nom de Sylvestre, un pape que la tradition
byzantine entoure d'une enviable considération. L'auteur de la Vision mériterait
donc notre estime s'il ne finissait pas par déposséder les pauvres pour enrichir
les prêtres, oubliant l'instruction d'Isaïe de Nicomédie.
En conclusion, ce récit utile à l'âme a sans doute contribué à répandre et à

82. F. Combefis, op. cit., p. 269. Variante : φθοροποιών (άποτελών om.) Vatican, gr.
2045, f. 49, col. 2, et Ottob. gr. 415, f. 185V. A Nicomédie également un dragon sévissait
ainsi à la même époque (Sozomène, Historia ecclesiastica, iv, 16 : PG 67, 1157Λ).
83. F. Combefis, op. cit., p. 272. Variante : φωνιώδους Vatican, gr. 1638, f. 47V.
84. Ibidem, p. 272.
85. Roma e VOriente 6, 1913, p. 344.
86. On pourrait dire aussi que la Vie attribuée par certains témoins à Jean Zonaras
est antérieure au célèbre canoniste (xne s.) et la considérer dès lors comme une source
possible de la Vision. Mais dans cette hypothèse il faudrait expliquer pourquoi la Vision
ne suit plus ladite Vie quand il s'agit de préciser la matière (bronze) dont étaient faites
les portes de l'antre capitolin, détail qui se trouve, en dépendance des Actes latins, dans
la recension grecque éditée par F. Combefis (pp. cit., p. 271) et conforme aux autres
manuscrits (perpauci inter tantos) que j'ai collationnés.
87. B. Mombmtius, op. cit., éd. 1910, p. 52953.
88. F. Combefis, op. cit., p. 271-272. Variantes : μέχρι της συντέλειας τοϋ αιώνος
άχρι add. Ottob. gr. 415, f. 186 ; 2ως της άνεσπέρου καΐ φρικτής ημέρας της
κρίσεως (dans la Vie par Jean Zonaras : Roma e Γ Oriente 6, 1913, p. 344).
89. Les Actes grecs ont, à cet endroit, simplement μακάριος (F. Combefis, op. cit.,
p. 271) ou άγιος (Ottob. gr. 185, f. 185V). Le Vatican, gr. 2084, f. 141V, omet l'épithète
et la qualité d'évêque (omise également dans Γ Ottob. gr. 185). Quant à Ε (voir ci-dessus
apparat lignes 47-53), il élimine toute référence à saint Sylvestre (le qualificatif élogieux,
amplifié, est appliqué à saint Pierre) et prouve que le copiste a relu les Actes de Sylvestre
avant de retravailler la séquence de la Vision concernant l'anaphore romaine.
42 D. STIERNON

justifier l'usage byzantin des quarante messes consécutives. Il est intéressant de


noter enfin que Mélèce le Confesseur ne manque pas, dans le 176e degré (« Sur
les mémoires des défunts et de leur utilité ») de son Άλφαβηταλφαβητος, d'invo
querl'autorité du « sage» Isaïe de Nicomédie, non sans faire allusion aux ana-
phores des saints Philippe, Barthélémy et Sylvestre dans les termes mêmes de la
Vision, avec cette particularité que la « vénérable anaphore » papale est dite célé
brée avec du « pain fermenté », comme aussi la messe de saint Grégoire le Grand90.

90. Ό "Αθως, II, 8-9, 1928, p. 572-573.

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