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LE FABULEUX DESTIN DE L’ARTICLE 3 COMMUN AUX CONVENTION DE GENEVE

Jean Baptiste HARELIMANA


Faculté de droit, Université Jean Moulin Lyon3
Courriel : jbapteharely@yahoo.com

Résume : Le droit international humanitaire est depuis une vingtaine d’années traversé par l’irruption à grande
vitesse de nouveaux modes de conflictualité dit conflits armés non-internationaux. L’extension du DIH à ces
derniers s’est longtemps heurté au principe de la souveraineté des États peu enclins à reconnaitre le statut de
combattant à des insurgés. Ces conflits internes, dont parfois les horreurs dépassent celles des guerres
internationales posent de questions complexes et pratiques relatifs à la protection juridique des personnes et des
biens. Enclave surnommé à juste titre par la plupart de théoriciens comme une « mini-convention », l’ article3,
épicentre de protection des personnes dans des conflits internes, a largement dépassé le statut minimaliste pour
acquérir une stature internationale ; Il donne une idée de ce que recoupe le principe d’Humanité, cher à Henry
Dunant. Alors que sur la scène procédurale internationale, encombrée par un archipel de textes en augmentation
constante, semble se célébrer le triomphe de la coutume et de sa force performative de l’article3. Le présent
article vise avoir comment la jurisprudence et coutume unanimement reconnu comme un puissant promoteur de
la criminalisation secondaire des prohibitions qui figurent au célèbre article 3 commun a connu un usage
extensif mais aussi a gommé la dichotomie entre conflit interne et international .

Mots-clés : Droit international humanitaire, conflit armé non international, juridiction international,
droit de l’homme

INTRODUCTION

Le droit international humanitaire moderne (DIH ci-après), construction juridique essentiellement


stato-centrée dans ses origines, est né et s’est constitué avec pour ambition d’être universellement
accepté, parce que traitant de l’universel humain . La clause De Martens évoquait déjà cette
orientation fondamentale. En vertu de cette importante clause dont la Cour international de Justice a
dit dans un avis de 1996 qu’elle était toujours applicable et faisait partie intégrante du droit coutumier
international, les puissances ont convenu que les belligérants et les populations civiles restent sous la
sauvegarde et sous l’empire des principes du droits des gens. Six ans avant cet avis, la conclusion un
peu trop rapide que la fin de la guerre froide allait tourner le dos aux « guerres par procuration » et
donc permettre à l’ONU de réduire toutes les crises, les tensions, de prévenir tous les conflits, de
mettre fin à toutes les guerres se mua vite en un ubris1. Les guerres civiles que l’on appelle dans le
langage juridique, des « conflits armés non internationaux , restent, non seulement, ce qui nous
1
La fin de la bipolarité a fait croire à une unification du monde sous des auspices. Certains croyaient que le
monde se dirigerait inéluctablement vers un état post-historique, sans drames et sans heurts (les démocraties ne
se faisant pas la guerre entre elles) et régulé par le commerce et les échanges.

1
oppose et ce qui nous est commun, pour paraphraser Héraclite 2, mais davantage, imposent leur
présence tragique. Alors que les guerres interétatiques faisaient jusque-là surtout des victimes
militaires, de plus en plus les civils fournissent malheureusement un nombre croissant de victimes3 .

Pendant longtemps le principe de souveraineté a gouverné le droit de la guerre4. C’est à Jean-Jacques


Rousseau que revient le mérite d’avoir, le premier, posé clairement ce principe : « La guerre n'est pas
une relation d'homme à homme mais une relation d'État à État, dans laquelle les particuliers ne sont
ennemis qu'accidentellement, non point comme hommes, ni même comme citoyens, mais comme
soldats, non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs »5.
Ainsi, dans la société internationale post westphalienne, se lançait le débat exclusivement sur la guerre
entre souverains égaux en droits. N’étant pas les destinataires directs des obligations du droit
international, les acteurs non étatiques sont généralement peu enclins à respecter le droit international
humanitaire qui ne leur est, a priori, pas opposable. Vattel fut le premier à dénoncer de manière incisive
cette situation et proposa d'appliquer les lois et coutumes de la guerre aux relations entre un souverain
et ses sujets révoltés : « C'est une question fort agitée de savoir si le Souverain doit observer les Loix
ordinaires de la Guerre envers des sujets rebelles, qui ont pris ouvertement les armes contre lui. Un
flatteur ou un dominateur cruel a bientôt dit que les Loix de la Guerre ne sont pas faites pour des
rebelles dignes des derniers supplices. 6»
Il ya une vingt ans, soulignait François Bugnion, un étudiant en droit auquel on aurait posé cette
question lors d’un examen aurait répondu par la négative de crainte d’être recalé7. Aujourd’hui, l’article
3 commun aux conventions de Genève , enclave appelé à juste titre par la plupart de théoriciens comme
une « mini-convention », a largement dépassé le statut minimaliste a acquis une stature internationale
extraordinaire. Le protocole additionnel II avait d’ailleurs pour but de le développer. Ainsin, ils forment
un duo et leur destin est intimement lié. Ils permettent aujourd’hui d’organiser procédurale ment et

2
On sait depuis Héraclite que la guerre est à la fois ce qui nous oppose et ce qui nous est commun (« ton
polemon eonta zunon »). Cité par Mireille Delmans, in « Le droit pénal comme éthique de la mondialisation »
http://www.defensesociale.org/xvcongreso/ponencias/MireilleDelmas.pdf
3
Les victimes des atrocités survenus au Rwanda en 1994 que l’on peut qualifier de point culminant de violation
du droit international humanitaire et leur prolongement tragique en RDC achèvent de nous inculquer ( dans le
sang ) que les conflits armés internes sont plus à redouter que les conflits armés internationaux les plus
caractérisée. Et plus particulièrement les ennemis ne sont pas en dehors des frontières, mais à l’intérieur, ils sont
des voisins identifiables non pas seulement à leurs uniformes, mais à leurs appartenances ethniques, à leurs
noms, parfois aussi à leurs visages !
4
Le droit humanitaire est né de la confrontation sur le champ de bataille entre souverains égaux en droits. Il s’est
agi longtemps d’un corps de règles coutumières que les rois observaient vis-à-vis de leurs semblables, mais qui
ne s’appliquaient pas aux rapports entre un souverain et ses sujets révoltés.
5
Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Livre I, chapitre IV, Paris, Éditions Garnier, 1962, pp. 240-241
(première édition, 1762).
6
Emer de VATTEL, Le Droit des Gens, Ou Principes de la Loi naturelle appliqués à la conduite & aux affaires
des Nations & des Souverains, livre III, chapitre III, paragraphes 39 et 41, Genève, Éditions Slatkine Reprints et
Institut Henry Dunant, 1983, tome II, p. 238 (première édition : Londres, 1758).
7
François Bugnion, « le droit international humanitaire coutumier et les conflits armés non internationaux »,in
droit international humanitaire coutumier : enjeux et défis contemporain, p.180

2
concrètement la criminalisation des infractions graves commises durant les conflits non
8
internationaux devant les tribunaux internationaux ( TPIR,TPIY, CPI ) .
Comment ces juridictions ont eu recours aux règles contenues dans cet article, pour renforcer la
protection des victimes des conflits internes. Le but de la présente contribution , qui est à la
croisée des plus formidables évolutions du droit international humanitaire depuis plus d’un demi siècle
mais en même temps des plus ambigües, est de mesurer le chemin parcouru par ce duo en faisant un
décryptage de la jurisprudence. Nous nous focaliserons sur la jurisprudence relatifs aux modalités et
conditions d’applicabilité du droit de la guerre9 plutôt que des actes constitutifs de crimes de guerre
prévus à l’article 3 §1 commun10 et de l’article4§2 du protocole II qui visent à protéger les personnes ne
participant pas directement aux hostilités dans le contexte d’un conflit interne. La contribution des TPI
ad hoc en la matière est modeste comparativement au crime de génocide.

I. Considérations sur les conflit internationaux et non internationaux

Le droit international humanitaire s'applique en période de conflit armé. La notion de conflit


armé représente l’écorce du droit international humanitaire, seule la présence factuelle d’une
réalité « belligène » pourrait engendrer l'application de cet ensemble normatif. Il faut bien
noter que l’encadrement normatif des belligérants dans un conflit interne est beaucoup plus
limité11 que dans les conflits internationaux. La distinction entre conflit armé international et
8
D’autres juridictions pénales internationales ont été créées de manière encore différente, à savoir, par accord
entre l’ONU et l’Etat concerné : c’est, notamment, le cas du Tribunal spécial pour la Sierra Leone (2002), des
Chambres extraordinaires pour le Cambodge (2003) et du Tribunal spécial pour le Liban (2007) : on les a
appelés des tribunaux hybrides ou mixtes car ils comportent des juges nationaux de l’Etat en cause et des juges
dits « internationaux », c’est-à-dire des juges étrangers généralement proposés par le Secrétaire général des
Nations Unies.
9
Il faut comprendre que certains de ces actes (assassinats, viols, torture) sont des crimes de droit commun, des
crimes ordinaires s’ils ne sont pas commis dans un contexte de guerre et par les belligérants et les tribunaux
doivent donc montrer le lien entre ces actes et le conflit armé. Quant à la jurisprudence relatifs aux conflits
internationaux, elle domine en quantité et recouvre certains de ces incriminations.
10
Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui
ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour
toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère
défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout
autre critère analogue.
A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l'égard des personnes mentionnées ci-
dessus:
a) les atteintes portées à la vie et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les
mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices;
b) les prises d'otages;
c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants;
d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal
régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples
civilisés.
11
Un exemple : les insurgés dans un conflit interne ne bénéficient aucunement du statut protecteur de prisonnier
de guerre qu’ont les soldats (hors de combat) dans les conflits internationaux. Ils peuvent notamment être
poursuivis, condamnés, exécutés, pour le fait d’avoir pris les armes, ce qui n’est jamais le cas dans un conflit

3
non international me semble toujours pertinente aujourd’hui. Il importe de définir le concept
de « conflit armé » véritable acte-condition de l’applicabilité du DIH. Il peut s'agir d'un conflit
armé international, mais aussi d'un conflit armé non-international.

A. Conflit armé international

Le Protocole I définit un conflit armé international comme étant tout conflit qui «
se déroule sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces
armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui,
sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de
son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations
militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole »

Le TPIY a, quant à lui, été contraint de se livrer à cet exercice de sémantique particulièrement
périlleux. Dans la première affaire dont il a eu à juger, l’affaire Tadic (arrêt de la Chambre
d’appel du 2 octobre 1995, Tadic), il a estimé que l’article 2 de son statut, précité, ne
s’appliquait que dans les conflits internationaux dont il aurait à connaître. L’article 3 qui visait
plus le droit de La Haye, continue d’être utilisé à ce titre mais le caractère non limitatif de la
liste de crimes qui y est présentée a conduit le Tribunal à y inclure les crimes commis dans les
conflits internes. Cette interprétation, qui trouble l’ordonnancement de son statut (droit de
Genève à l’article 2, droit de La Haye à l’article 3), a été critiquée.

Pourtant cette interprétation a permis, dans les premiers temps de l’activité du Tribunal, elle a exigé
plutôt, que les Chambres de première instance mettent en évidence le caractère international des
conflits yougoslaves que certains acteurs cherchaient à présenter comme des conflits internes. Ainsi, le
conflit en Bosnie entre les forces gouvernementales et les serbes de Bosnie a été considéré comme
international en raison du fait que les Serbes de Bosnie étaient en réalité des agents de la Serbie. De
même, le conflit en Bosnie entre les forces gouvernementales et les forces croates a été considéré
comme international du fait de l’implication de la Croatie en soutien des croates de Bosnie. D’un point
de vue historique, cette mise en lumière de l’action des Etats voisins est extrêmement intéressante. On
notera qu’ultérieurement, afin d’éviter d’avoir à démontrer la nature internationale des conflits, le
procureur s’est contenté, dans ses actes d’accusation, de viser l’article 3 et de poursuivre donc des
comportements qui sont criminels dans tous les types de conflits.

international.

4
D’après la décision du 5 octobre 1995, rendu par le Tribunal Pénal International pour l’ex-
Yougoslavie, dans l’affaire Tadic12, le fait qu’un État intervienne au côté des rebelles ou de la partie
non étatiques, internationalise le conflit. Par conséquent, les règles des conflits armés internationaux
deviennent applicables à celui-ci. En revanche, si un État intervient au côté du gouvernement en place
pour réprimer, ou se placer contre les forces rebelles, le conflit demeure non international au moins
entre le gouvernement et entre les forces non gouvernementales. Cependant, une partie de la doctrine
dont le professeur David soutient que toute intervention étrangère internationalise le conflit13.

Ainsi, la Chambre d'appel, dans l’affaire Tadic, maintes fois repris, a considéré qu'il existait un conflit
armé : « chaque fois lorsqu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un conflit prolongé entre les
autorités gouvernementales et les groupes armés organisés ou entre des groupes armés au sein d'un
Etat »14 . Le Tribunal offre, par ce biais, une réponse aux atermoiements insistants d'une partie de la
doctrine qui hésitait à qualifier le conflit armé des incidents isolés tels que les escarmouches à la
frontière ou des incidents navals. Il confirme implicitement que les critères de durée ou d'intensité des
combats sont indifférents à la qualification d'un conflit armé international.
Cependant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, deux Etats peuvent se trouver en situation de
conflit armé sans qu'un seul coup de feu ait été échangé. Cette hypothèse est réglée par le Droit
conventionnel. L'article 2(2) commun des Conventions de Genève qualifiant en effet le conflit armé :
l'occupation militaire totale ou partielle réalisée sans la moindre résistance. On considère qu'un conflit
armé a éclaté dès lors que de simples déclarations formelles en ce sens ont été promulguées et cela
même si les actes de violence ne sont que futurs, voire potentiels. Dans une telle éventualité, qui peut
parfois perdurer, si l'un des Etats belligérants décide d'interner les civils de nationalité ennemie
présents sur son territoire ces derniers pourront bénéficier des dispositions de la IV Convention de
Genève bien que les combats n’aient pas encore éclaté15.

Dans l’affaire Tadic, la défense faisait valoir qu’il n’y avait pas d’hostilités actives dans la région de
Prijedor où les camps de détention dans lesquels œuvrait Tadic étaient situés. La situation n’est donc
pas, selon la défense, une situation régie par le droit de la guerre. De manière subsidiaire, la défense
faisait valoir que s’il existait un conflit dans d’autres zones de la Bosnie, ce conflit était en tout état de

12
Tadic§72
13
. QUÉGUINER Jean-François, Dix ans après la création du Tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie : évaluation de l’apport de sa jurisprudence au droit international humanitaire, in the
International Review of the Red Cross, numéro 850, Juin 2003, p. 288. La question reste ouverte de savoir si les
relations entre l’Etat intervenant et les rebelles peuvent être assimilées à un conflit international. Un autre
problème demeure : lorsque la partie non étatique grâce à l’appui de la puissance étrangère prend le pouvoir, les
rebelles deviennent alors les anciennes forces armes .
14
Définition apparue pour la 1ère fois dans l'affaire Tadic, décision du 2 octobre1995 (para.70)
15
C. Guenwood , « The concept of war in international law », International and comparative law quarterly, Vol.
36, 1987, P.285

5
cause un conflit interne auquel le statut du Tribunal, et les infractions énumérées à ce statut, ne
pouvaient s’appliquer.
La Chambre d’appel du Tribunal, dans cet arrêt , a été conduite à s’interroger l’existence et la nature
du ou des conflits pour identifier le droit applicable. Elle a estimé que divers conflits, présentant des
natures variables, existaient dans l’ex-Yougoslavie. Elle a en conséquence renvoyé la détermination de
la nature de ces conflits aux Chambres de première instance qui ont tantôt été conduites à appliquer le
droit des conflits armés internationaux, tantôt le droit des conflits armés internes.

A partir d'une analyse des Conventions de Genève de 1949 et de leur second protocole, la Chambre
d’appel précise : « Un conflit armé existe chaque fois qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou
un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou
entre de tels groupes au sein d'un Etat. Le droit international humanitaire s'applique dès l'ouverture
de ces conflits armés et s'étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu’à la conclusion générale de
la paix; ou, dans le cas de conflits internes, jusqu'à ce qu'un règlement pacifique soit atteint.
Jusqu'alors, le droit international humanitaire continue de s'appliquer sur l'ensemble du territoire des
Etats belligérants ou, dans le cas de conflits internes, sur l'ensemble du territoire sous le contrôle
d'une partie, que des combats effectifs s’y déroulent ou non. »16

B. La qualification du conflit armé non international dans le droit conventionnel

Les situations de conflits armés internes sont régies par l'application de l'article 3 commun aux quatre
conventions encore appelé convention en miniature. Elle regorge le minimum de règles applicables en
cas de conflit ne présentant pas un caractère international. Cet article est complété par le Protocole II
relatif aux conflits armés non internationaux.

1. L'article 3 communs aux quatre conventions de Genève

L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève revêt une importance particulière.
S’appliquant aux conflits armés « ne présentant pas un caractère international », cet article
énonce des obligations et règles de base qui doivent être respectées, en l’absence d’autre
précision ou restriction, dans tous les conflits armés, quelle que soit leur nature.

Les conflits armés internes sont des affrontements armés qui se déroulent dans les limites du territoire
d’un seul Etat . Les origines des conflits internes sont diverses. Il peut s’agir du non respect du droit

16
Tadic, §§ 67 et 70.

6
des minorités ou de violations des droits de l’homme. Ici les insurgés se battent pour prendre le
pouvoir ou dans le dessein de faire sécession. Les affrontements peuvent également opposer divers
groupes dans une lute pour le pouvoir dans un pays où l’ autorité étatique n’existe pas (le phénomène
des failled states).
Le problème de réglementation des conflits non internationaux a été donc évoque pour la première fois
dans l’article « commun aux conventions de Genève. Celui -ci comprend une série de dispositions
protectrice dont le contenu est limité. Il comprend notamment des obligations relatives à la protection
des personnes qui ont à souffrir directement de la guerre. Les belligérants doivent traiter avec
humanité toute personnes qui ne prend pas part au x hostilités.

L'article 3 commun aux Convention de Genève comporte « les conditions minimales d'humanité »
selon la CIJ17 selon lesquelles toutes les personnes, qui ne participent pas ou plus aux hostilités soient
traitées sans aucune discrimination avec humanité. L’article3 ne définit pas les conflits armés « ne
présentant pas un caractère international ». Comment les différencier des simples troubles internes ?
C’est le protocole additionnel II qui viendra combler cette lacune comme nous le montrerons dans la
suite. Pour être soumis au droit international humanitaire, ces affrontements atteindre un certain
degré de violence : Ils doivent être distingués des situations de tensions internes, de troubles intérieurs,
d'émeutes et d’autres actes de violence isolés et sporadiques, qui ne sont pas considérés comme des
conflits en tant que tels. La condition est que les insurgés constituent un groupe organisé qui contrôle
une portion du territoire et qui est capable de mener des opérations militaires continues et de respecter
l’art.3. Il appartient cependant toujours à l’Etat concerné de dire quand cesse le simple maintien de
l’ordre et quand commence le conflit armé, donc l’applicabilité de l’art.3.Le contrôle d’ une partie du
territoire est donc une condition d’application supplémentaire du protocole II18.
Dès avant la Seconde voire la Première Guerres mondiales, le CICR cherchait à rendre le jus in bello
ou le DIH automatiquement applicable aux conflits armés internes, sans qu’il y ait besoin de la
reconnaissance discrétionnaire de belligérance par les Etats. Ces derniers, selon qu’ils étaient
confrontés ou risquaient d’être confrontés ou pas à des mouvements insurrectionnels, étaient partagés
entre la reconnaissance classique et l’application automatique.

Dix ans après la guerre civile espagnole et au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’article3
commun établit un compromis. A l’intérieur de traités relatifs aux conflits armés internationaux, il
énonce un « traité en miniature » applicable aux conflits n’entrant pas dans la catégorie des conflits
internationaux, c’est-à-dire les guerres interétatiques et la résistance organisée à l’occupation militaire.

17
CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Nicaragua c. Etats-Unis, 27 juin
1986. P 114 § 218
18
Il est généralement reçu que l’art. 1er du Protocole II est plus restrictif que l’art. 3 (ce qui conserve tout l’intérêt
de l’art. 3, même s’il est moins large de par ses protections .Voir Patricia Buirette et Phillipe Lagrange, le droit
International humanitaire, la découverte,2008,P58

7
Il stipule qu’« en cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international (...), chacune des
parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes ». Les non combattants
(civils non insurgés ou combattants hors de combat) seront en toutes circonstances « traités avec
humanité » . Sont ainsi prohibés les atteintes à la vie et à la santé, la torture et les traitements cruels ou
dégradants, les prises d’otages, les condamnations et les exécutions sans jugement régulier.

Les membres des insurgés ne bénéficient pas du statut de combattants légaux ni, en cas de capture ou
de reddition, de celui de prisonnier de guerre19. Ils demeurent des combattants illégaux, sauf
reconnaissance de belligérance par le gouvernement légal . Ils peuvent donc être considérés et traités
comme des criminels. Ils ont simplement droit à un traitement humain décent et à un procès équitable.
Définir la « participation directe aux hostilités » est un enjeu crucial car elle conditionne le statut de la
personne capturée dans un conflit armé international. Si, elle a le droit de participer directement aux
hostilités (et elle se distingue de la population civile pendant la préparation de ses actes de combats et
pendant ceux-ci),elle a le droit au statut de combattant et donc de prisonnier de guerre. Si elle n’a pas
le droit de participer directement aux hostilités, elle est civile et peut-être jugée pour le seul fait d’y
avoir participé.« Bien que l’expression « participation active aux hostilités » utilisée à l’article3
commun aux Conventions de Genève se soit transformée en « participation directe aux hostilités »
dans le texte des Protocoles additionnels de 1977, le Commentaire du Protocole Additionnel I
(confirmé par la jurisprudence du Tribunal pénal International pour le Rwanda) considère ces deux
formulations juridiques comme synonyme.20»
Pour certains experts, cette distinction permet de définir les acteurs des conflits dans une logique
d’appartenance ; au sein des civils, le terme « active » renvoie à « ceux qui contribuent de plus en plus
aux opérations de soutien militaire » et le terme « directe » renvoie aux « civils purs » tels que les
enfants qui doivent en tout temps être protégés et dissociés des activités militaires.
Ce raisonnement par appartenance pose problème car il crée une sous-catégorie au sein des civils, et à
moyen terme, risque de « saper » la protection accordée aux civils. C’est donc la logique fonctionnelle
qui est retenue, avec la notion de participation directe aux hostilités. Le rapport de la conférence du
CICR du 02 juin 2003, nous explique différents cas où la personne est considérée comme participant
directement aux hostilités. Ce sont les cas d’attaques des forces armées, de leurs équipements ou de
leurs positions, des lignes de communication militaires, ainsi que des collectes d’informations à des
fins21.

19
Avec les droits que confère ce statut : irresponsabilité pénale sauf crimes de guerre, régime d’internement et
non d’emprisonnement, interrogatoire limité avec interdiction d’user de contrainte pour obtenir des
renseignements, respect de l’allégeance et interdiction d’être astreint à des travaux à caractère militaire ou d’être
enrôlé, droit de chercher à s’évader et de n’encourir pour cela que des mesures disciplinaires
20
La participation directe aux hostilités en droit international humanitaire, Le rapport de la conférence du CICR
du 02 juin 2003
21
Idem

8
Le bilan de la mise en œuvre de l’art.3 semble modeste : les Etats sur le territoire desquels se
déroulent des guerres civiles préfèrent nier son applicabilité, pour être plus libres de réprimer
l’insurrection ; les insurgés trouvent peu d’intérêt à en respecter les prescriptions, puisqu’ils savent
qu’ils seront de toute façon punis pour leurs actions22.

2. Le protocole additionnel II aux conventions de Genève

Les gouvernements et les fractions adverses s’étant opposés à l'application aux guerres civiles de
l'article 3 commun, le Protocole II relatif aux conflits armés non internationaux a été adoptée en
197723. En effet, avec le développement des guerres de libérations il était devenu de plus en plus
difficile d’ignorer les conflits armés non internationaux, même si l’article 3 commun aux quatre
convention de Genève étendait déjà le champ d’application de la clause De martens24.En effet, sous
prétexte que le conflit interne couve une poudrière qui peut être utilisée à des fins de sécession ou de
rébellion ou servir de rampe de lancement à des groupuscules sécessionnistes, les États ont trop
longtemps refusé d'adopter des règles en vue de limiter la violence de la guerre civile et d'en protéger
les victimes.
C’est sans compte la pression des Etats du Tiers-Monde que, lors de la Conférence diplomatique de
1974-1977, que la définition des conflits armés internationaux a été élargie pour inclure les conflits
« dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre
les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »25. Il convient de
souligner que la reconnaissance par le protocole I des mouvement de libérations nationales comme
conflits internationaux a finalement vidé le protocole II de sa substance au cours de la Conférence
diplomatique de 1974-197726. Implicitement, le protocole 2 se réfère à des conflits qui ne sont pas ou
pas encore considérés comme des luttes de libération nationale, parce qu’ils ne renvoient pas à des
situations coloniales, postcoloniales ou d’apartheid.

Le protocole établit un compromis entre la défense de la souveraineté et de l’intégrité des Etats d’une
part, la protection des populations et des « victimes » de la guerre civile d’autre part. D’un côté, il ne
22
L’applicabilité de l’art.3 a néanmoins été reconnue dans les conflits suivants, explicitement : Guatemala
(1954), Algérie (1955), Liban (1958), Cuba (1958), Yémen (1962),Saint Domingue (1965), Biafra (1969-70),
Timor oriental (1975), implicitement : Indochine (1946-54), Costa-Rica (1955), Chypre(1955-58), Laos (1959-
75), Angola, Mozambique et Guinée-Bissau (1961-74).
23
Linda (A.M.), Les droits de l'homme dans le droit international, éd.; nouveaux horizons-ARS, Paris, 2004,
P.112
24
Le moins que le puisse dire, c’est que la règle de l’article 3 commun avait été systématiquement bafoué lors des
guerres de décolonisation.
25
Article 1, alinéa 4, du Protocole I de 1977.
26
Si le protocole II, sous l'impulsion de plusieurs pays en développement confrontés à des conflits internes et
soucieux d'éviter une ingérence dans leurs affaires intérieures, s'est en fin de compte soldé par un dispositif
relativement simplifié ne comportant que 28 articles, le protocole I se présente quant à lui comme un dispositif
beaucoup plus étoffé, comportant 102 articles, et touchant à des domaines divers du droit humanitaire.

9
confère pas aux organisations insurgées le droit de belligérance, ni aux insurgés le statut de
combattants légaux, si bien qu’en cas de capture ou de reddition, ils n’ont pas droit au statut de
prisonnier de guerre. Ils demeurent des combattants illégaux, sauf reconnaissance de belligérance par
le gouvernement légal ou décision du Conseil de sécurité. L’inégalité fondamentale entre les parties au
conflit interne ne cesse que devant les dispositions du protocole, qui s’appliquent à toutes les parties, à
l’exception de celles relatives à l’aide humanitaire étrangère. D’un autre côté, les garanties relatives au
« traitement humain » sont renforcées.

Selon l’art.1-1, est conflit armé non international le conflit qui se déroule sur le territoire d’un Etat
entre les forces gouvernementales et des forces insurgés remplissant quatre conditions cumulatives :
avoir un commandement responsable, contrôler une partie du territoire, être capable de mener des
opérations militaires continues et de respecter le protocole (il ne s’agit donc pas de simples actes
sporadiques et isolés de violence). L’hypothèse de la lutte pour le pouvoir entre deux ou plusieurs
factions, en l’absence de gouvernement établi, n’est pas mentionnée.

L’art.2-2 stipule que toutes les personnes qui auront été l’objet d’une privation ou d’une restriction de
liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, ainsi que celles qui seront l’objet de telles
mesures après le conflit pour les mêmes motifs, bénéficieront des dispositions des art.5 et 6 jusqu’au
terme de cette privation ou de cette restriction de liberté. L’art.5 développe la protection des personnes
internées pour des motifs liés au conflit armé, en soulignant leur droit à un traitement décent quant à
leurs conditions de vie ou de travail, leur sécurité, santé et intégrité, leur possibilité de recevoir des
lettres, visites ou secours. L’art.6 développe la protection des personnes soumises à des poursuites
pénales en relation avec le conflit armé, bref, les personnes soupçonnées de délits politiques, en
soulignant leur droit à une procédure judiciaire légale avec toutes les garanties. Il n’est cependant pas
question d’un simple régime d’internement, ni d’interdire des interrogatoires, ni de respecter
l’allégeance du détenu envers la partie dont il relève (en guerre civile, les protagonistes cherchent au
contraire à retourner leurs adversaires), ni d’un droit de s’évader... Dans son dernier alinéa, l’art.6
stipule qu’à l’issue du conflit, les autorités en place s’efforceront d’accorder une large amnistie aux
personnes ayant pris part aux hostilités, l’amnistie étant généralement une condition du retour à la paix
civile.

S’ajoute le droit au retour des personnes réfugiées ou déplacées. Il n’évoque cependant pas les
méthodes et moyens de combat, qu’ils soient terrestres, maritimes, aériens. Il n’évoque pas non plus
les armements ; mais c’est un principe reconnu que les règles du droit des conflits internationaux
relatives aux armes s’appliquent aussi dans les conflits non internationaux 27. S’il confirme la règle du

27
La convention de Genève du 10 octobre 1980 s’applique aux conflits non internationaux depuis sa
modification en 2001 (art1-6)

10
quartier, il ne mentionne pas directement l’interdiction de la perfidie, ni celle des attaques pouvant
causer des pertes civiles disproportionnées par rapport à l’avantage militaire attendu, ni le contrôle de
la mise en œuvre des dispositions du Protocole, ni la répression des violations graves du DIH
applicable. Il ne traite pas des représailles, se bornant à interdire « en toutes circonstances » ou « en
tout temps » les attaques contre les blessés, malades, naufragés (art.7-2), personnels et biens sanitaires
(art.11-1) ; les représailles contre les personnes ou biens civils, y compris les biens culturels, ne sont
donc pas expressément interdites (s’agissant des biens culturels, elles le sont par le deuxième
Protocole additionnel de 1999 à la Convention de La Haye de 1954). Sont également interdits : le
recrutement, l'enrôlement et l'autorisation des enfants de moins de 15 ans à prendre part aux
hostilités28.Le protocole additionnel II aux conventions de Genève complète donc l'article 3 communs
aux conventions de Genève.

II. VERS UNE CRIMINALISATION DES INFRACTIONS GRAVES DANS LES


CONFLIT NON INTERNATIONAUX : LES TROIS LIGNES D'EVOLUTIONS

Après l’adoption de la Convention de Genève de 1949, le processus de criminalisation des conflits non
internationaux a suivi trois lignes principales d’évolution: la réaffirmation et le développement du
droit international des droits de l’homme, (A)la cristallisation de la coutume par les TPI,(B) le
passage de la ponctualité à la permanence dans le système pénal international (C).

A. la réaffirmation et le développement du droit international des droits de l’homme

Les crimes de droit international sont des infractions qui portent atteinte à des règles de droit
international. Ces crimes relèvent d’atteintes graves au droit humanitaire et aux des droits de
29
l’homme . L'article 3 commun aux quatre Conventions de Genève porte sur des questions touchant
aux affaires intérieures des États. La manière de régler les problèmes intérieurs étant,
fondamentalement, l'une des prérogatives des États souverains, il faut considérer comme un grand
événement la décision prise en 1949 d’insérer l'article 3 dans chacune des quatre Conventions de
28
Article 4 du protocole additionnel II 1977
29
Il ya souvent une polémique entre les théories complémentaristes (coexistence des deux régimes) et
intégrationnistes (DIH et DH forment un même ensemble normatif tourné vers la protection de la personne
humaine). Les droits de l’homme impliquent un rapport entre l’Etat et ses propres citoyens ou des personnes
sous sa juridiction, tandis que le droit humanitaire s’intéresse essentiellement aux rapports entre un État et les
combattants ou civils qui n’ont pas sa nationalité. le droit humanitaire ne chercherait pas à protéger les individus
contre l’Etat, mais cherche bien à diminuer la violence étatique ou autrement collective (entité insurrectionnelle).
La seule différence réside dans l’intensité de la violence qu’on cherche à limiter, qui est directement fonction des
situations dans lesquelles s’appliquent ces deux corps de normes : le temps de paix pour le premier, le temps de
guerre (en principe plus violent) dans le second. Et d’ailleurs l’opposition radicale des deux corps de normes est
devenue assez absurde : l’interdiction du génocide et du crime contre l’humanité relève aussi bien du droit
international des droits de l’homme puisque ces comportements sont parfois adoptés en temps de paix sans
cesser d’être interdits.

11
Genève. Véritable petit traité inséré à l'intérieur des Conventions, l'article 3 commun établit les règles
essentielles que les Etats sont tenus de respecter lorsqu'ils affrontent un groupement armé constitué sur
leur propre territoire. Il convient cependant de se souvenir qu'une année auparavant, en 1948,
l'Assemblée générale des Nations Unies avait adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Ce document reflétait l'attention croissante portée, sur le plan international, à ce volet important des
affaires intérieurs des États.

Même si certains traités relatifs aux droits de l'homme permettent aux Parties de déroger à la majorité
des dispositions en temps de guerre, à l'exclusion de ce que l'on nomme communément le «noyau dur»
des droits, Il convient de souligner ici leur rôle déterminant dans l’extension du droit humanitaire aux
conflits armés internes. Cette évolution a commencé à se dessiner lors de la Conférence des Nations
Unies sur les droits de l'homme qui s'est tenue à Téhéran en 1968 : non seulement le développement
du droit international humanitaire y fut encouragé, mais on vit se dégager une tendance consistant,
pour les Nations Unies, à faire de plus en plus usage du droit humanitaire lorsqu'elles examinent la
situation des droits de l'homme dans certains pays ou lorsqu'elles étudient certains grands thèmes.

Cette conférence internationale des droits de l’homme à Téhéran le 12 mai 1968, a souligné que la
paix est la condition première du plein respect des droits de l’homme et (…) la guerre est la négation
de ces droits30. Les participant à cette conférence reconnaissaient que la mise en œuvre du DIH
constituait la meilleure garantie de protection des droits de l’homme dans les situations de conflit
armé. D’après le 1er alinéa de la résolution adoptée par la Conférence internationale des droits de
l’homme à Téhéran le 12 mai 1968, le recours à la force est en soi une violation des droits de
l’homme. Les délégués adoptèrent une résolution qui invitait le Secrétaire général des Nations Unies à
se pencher sur le développement du droit humanitaire et à examiner les mesures qu'il faudrait adopter
pour en favoriser le respect31.
L'adoption, en 1977, des deux Protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 a, d'un
certain point de vue, fait écho à ce qui s'était passé à Téhéran neuf ans plus tôt. Le monde du droit
humanitaire rendait hommage à celui des droits de l'homme. En effet, l'article 75 du Protocole I,
intitulé «Garanties fondamentales», traite de thèmes et adopte un langage qui sont directement inspirés
par les grands instruments relatifs aux droits de l'homme. On y trouve ainsi prescrits le principe de
non-discrimination, les principales interdictions relatives à l'intégrité physique et mentale des
individus, la prohibition de la détention arbitraire, ainsi que les garanties judiciaires essentielles. Les
mêmes remarques peuvent être formulées au sujet des articles 4, 5 et 6 du Protocole Il qui constituent
le pendant de l'article 75 du Protocole I dans les situations de conflits armés non internationaux.

30
Protection des droits de l’homme en cas de conflits armé, résolution XXIII, Conférence internationale des
droits de l’homme à Téhéran le 12 mai 1968,
31
Résolution XXIII, «Protection des droits de l'homme en cas de conflit armé», adoptée par la Conférence
internationale des droits de l'homme, Téhéran, 12 mai 1968

12
Un autre exemple issu du droit conventionnel figure dans la Convention sur les droits de l'enfant de
1989. Cette convention fait un clin d’œil au droit des conflits armés. Elle le fait à son article 38 en
posant, d'une part, un renvoi général aux dispositions du droit humanitaire applicable aux enfants
(paragraphe 1), d'autre part, elle prescrit elle-même des règles applicables en cas de conflit armé32.

Cette tendance se voit aussi confirmée dans des instruments internationaux juridiquement moins
contraignants. En particulier, plusieurs résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies
mélangent dans un même texte des références au droit humanitaire et aux droits de l'homme. C'est
ainsi que pour orienter ses activités, l'Assemblée générale se déclare souvent «guidée par les principes
énoncés dans la Charte des Nations Unies, la Déclaration universelle des droits de l'homme, les Pactes
internationaux relatifs aux droits de l'homme et les normes humanitaires que consacrent les
Conventions de Genève du 12 août 1949 et les Protocoles additionnels de 1977 s'y rapportant»33.

Ainsi, les conflits internes qui étaient considérés auparavant comme le domaine réservé de l’État ont
acquis peu à peu une dimension internationale34. Cette internationalisation des conflits internes, qu’ils
aient lieu dans le cadre de conflits armés ou qu’ils soient plus largement considérés comme
appartenant à la catégorie des troubles et tensions internes va jouer un rôle considérable.

B . Au de-là de traités : la cristallisation de la coutume par les TPI ad hoc

Du point de vue conventionnel, les règles de droit international humanitaire régissant les conflits
armés non internationaux apportent moins de protection que les règles régissant les conflits armés
internationaux. Il faut ici rappeler que les TPI sont censés appliquer un droit coutumier, liant
universellement tous les Etats donc, afin de dépasser les problèmes que susciterait la non ratification
de certains instruments conventionnels par les Etats et de consolider un droit homogène. On est donc
ici en présence d’une jurisprudence créatrice sur la caractérisation du crime de guerre, à partir d’une
analyse des éléments coutumiers.

La référence est souvent faite au droit de fond appliqué par les TPI comme étant du droit international
humanitaire . Cela pourrait prêter à confusion puisque le DIH est habituellement défini de manière
restreinte pour designer les seuls règles applicables aux conflits armés et destinées à régler des

32
Selon l’article 38.1 de la CDE, les Etats partis s’engagent à respecter et à faire respecter les règles du DIH qui
leur sont applicables en cas de conflit armé et dont la protection s’étend aux enfants.
33
Résolution 46/136 sur la situation des droits de l'homme en Afghanistan. Voir aussi, entre autres, la résolution
46/135 sur la situation des droits de l'homme au Koweït sous occupation iraquienne et la déclaration 47/133 sur
la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées
34
Voir Meron (Th), «International Criminalization of Internal Atrocities », American Journal of International law,
Vol. 89. No. 3. July 1995. pp. 554-577

13
problèmes découlant directement de ces conflits. Dès lors, il est plus approprié de parler plutôt du droit
international pénal ,car ce terme reflète mieux le droit matériel appliqué par les TPI. En effet, le droit
international pénal est constitué par les normes internationales visant à qualifier, poursuivre ou
réprimer les infractions graves au DIH. Il constitue un ensemble de règles gouvernant l’incrimination
et la répression des infractions qui représentent un éléments d’extranéité ou qui sont d’origine
internationale. Le terme droit international pénal permet ainsi de recouvrir non seulement le DIH
matériel au sens strict mais aussi toutes les règles de fonds. Or si on retient une définition stricte et
retreinte du terme DIH, une partie des crimes autonomes par rapport aux conflits armés pourraient ne
pas trouver sa place dans le DIH.

1 . Les TPI dans la définition du contexte des crimes de guerre


Le TPIR fait figure d’innovation puisqu’il serait le premier instrument juridique international à
consacrer la criminalisation de violation graves de droit humanitaire dans un conflit interne.
Le statut du TPIR se rapporte aux violations de l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève
de 1949 et au protocole II de 1977. Le Statut du TPIR reprend ces dispositions conventionnelles
relatives aux conflits internes, toutefois, il n’y a que peu de jurisprudence sur ce point, sauf sur les
critères d’application du Protocole II, car l’essentiel du travail du Tribunal porte sur le génocide, et
non sur les crimes de guerre35. Le TPIR a jusqu’à maintenant retenu une seule condamnation pour
crime de guerre. La réticence du tribunal s’expliquerait par une volonté de ne pas froisser le régime de
Kigali hostile à toute poursuite pour les crimes de guerre perpétrés lors d’un conflit dont son armée
avait remporté au prix de combats atroces36.

En vertu de l’article du statut du TPIR, seules les « violations graves » de l’article 3 commun aux
conventions de Genève et du protocole additionnel II sont réprimées par la juridiction ad hoc. A la
différence des crimes des crimes contre l’humanité ou du crime de génocide, qui peuvent avoir lieu
aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix, les crimes de guerre ne peuvent avoir lieu en
dehors du contexte d’un conflit armé. Le conflit armé qui se déroulait au Rwanda avant le génocide a
été considéré sans trop de difficulté par le Conseil de sécurité comme étant constitutive de conflit
interne dès le départ. Et Tribunal n’ a pas eu de difficultés à trouver dans la situation rwandaise un

35
certains évoquent la peur des juges que les aspects juridiques du génocide risqueraient de devenir bien obscurs
si les victimes étaient, d’une part, simplement considérées comme des victimes collatérales d’un conflit armé.
Voir Franck Harhoff, « Le Tribunal international pour le Rwanda : présentation de certains aspects juridiques
» (Décembre 1997) 828 R.I.C.R
36
Parmi les affaires étudiées, des chefs d’accusation fondés sur des violations de l’article 3 commun et du
Protocole II ont été émis contre Akayesu, Kayishema, Ruzindana, Rutaganda et Musema et Bagilishema. Tous
ces chefs d’accusation sont relatifs aux articles 4 a) ou 4 e) du Statut. A chaque fois, les juges de première
instance ont prononcé des verdicts de non culpabilité. La Chambre d’appel n’a eu pour l’instant à se prononcer
qu’une seule fois sur ce fondement, dans l’affaire Akayesu. C Renault, « La place des crimes de guerre dans la
jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, p.31

14
conflit armé, vu le caractère des parties en conflits . Le caractère non international a été aussi
confirmé, malgré la contestation de la défense.
Dans l’affaire Akayesu37, le TPIR rendait en date du 2 septembre 1988 son premier jugement relatif à
la répression des violations commises dans le cadre d'un conflit interne. En 1998, la chambre de
première instance du TPIR considéra, dans le procès Akayesu, qu’il existait au Rwanda un conflit
armé interne en 1994, du fait que le FPR était un groupe armé exerçant un contrôle sur un territoire
situé au Rwanda38. La Chambre s’appuyait notamment sur le témoignage du Général Dallaire qui avait
souligné que les hostilités étaient engagées entre deux armées, les FAR et le FPR, que ces deux armées
étaient coiffées respectivement de commandement et que les deux forces occupaient des parties
distinctes d’une zone démilitarisée et clairement délimitée39 .
En 1999, dans le procès Kayishema au TPIR, il est dit non seulement « qu’il y avait au Rwanda un
conflit armé à caractère non international », mais également que « ce conflit armé opposait les forces
armées gouvernementales, les FAR, aux forces armées dissidentes, le FPR », entre avril et juillet
199440. La même année, dans l’affaire Rutaganda, la chambre de première instance du TPIR a « fait
siennes les conclusions dégagées à cet égard dans le Jugement Akayesu »41. Le 25 février 2005, la
chambre de première instance III a souligné que « tant qu’il n’est pas prouvé que des forces
étrangères ont pris part aux affrontements, et se sont opposées aux Forces Armées Rwandaises
(FAR) », le caractère international du conflit armé ne peut être retenu42.

Dès lors, il était évident qu’en ce qui concerne les crimes de guerre, le TPIR n’est compétent que vis-
à-vis de violation sérieuses de certains règles de DIH, applicables aux conflits armés non
internationaux. Une des conséquences de ce fait est que la jurisprudence du TPIT relative aux crimes
de guerre porte moins sur les conditions d’application de l’art 4 du statut que sur la définition des
éléments relevant de cette disposition, là où la jurisprudence correspondante du TPIY contient ces
deux aspects et apparait donc, de ce point de vue, plus riches que son homologue.

Le TPIR s’est attelé à définir les différents critères du conflits armé non international tels
qu’énumérés par les termes du protocole additionnel II qui , à la différence de l’art3 communs aux
conventions de Genève, définit le conflit armé à caractère non-international 43. Ainsi l’expression »

37
TIPR, chambre de première instance I, 2 septembre 1998, Procureur C/J.P. Akayesu, affaire N° ICTR96-4-
T.§36
38
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 174
39
TPIR, Affaire N°. ICTR-96-4-T
40
www.ictr.org/FRENCH/cases/KayRuz/judgement/contents.htm, par.597
41
Voir affaire Rutanganda N°ICTR963A §382
42
Les avocats de la défense revenant sur cette question du caractère international du conflit rwandais, le 16 juin
2006, la Chambre d’appel, pour couper toute discussion sur le sujet, prit une décision qui dresse le constat
judiciaire du caractère non international du conflit.
43
Conflit se déroulant » sur le territoire d’une haute partie contractante entre les forces armés et des forces
armées dissidentes ou des groupes organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exercent sur

15
forces armées » doit être entendu e dans son acception la plus large, afin de couvrir toutes les forces
armées telles que décrites dans les législations nationales44. Quant au « commandement responsable »
qui doit caractériser le grouper armé non étatique, il « suppose un degré d’organisation au sein du
groupe armé ou des forces armées dissidentes(…) de nature à permettre au groupe armé ou aux forces
dissidentes de planifier et de mener des opérations militaires concertées, et d’imposer la discipline au
non d’une autorité de facto »45. Les forces dissidentes ou insurgés doivent également » être capable de
contrôler une partie suffisante du territoire pour mener des opérations militaires continues et
concertées et d’appliquer le protocole additionnel II et mener des opérations « continues et
planifiées »46.
Le TPIR a précisé que le seuil d’application du protocole II est plus élevé que celui de l’article3
commun aux conventions de Genève47, ce qui implique que la définition de conflit armé interne est
légèrement différente, selon qu’on se réfère à l’article 3 commun ou au protocole additionnel. Par
exemple la définition donnée par le protocole II semble exclure de cette notion un conflit qui se
déroulerait sur le territoire d’un Etat entre deux groupes armés non étatiques, tandis que la définition
jurisprudentielle du conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens de l’article3
commun, n’exclut pas une telle hypothèse. La définition qui a été retenu dans l’affaire Akayesu et
selon laquelle « le conflit armé ne présentant pas un caractère international » au sens de l’article 3
commun aux conventions de Genève existe « chaque fois qu’il (…) conflit armé prolongé entre les
autorités gouvernementales et les groupes armés organisés ou entre des tels groupes au sein d’un
Etat »48.
Prenant acte de cette différence dans la définition du conflit armé à caractère non international, le
TPIR a conclu que dans tous les cas où les infractions sous l’empire de l’article 3 commun et du
protocole additionnel II sont allégués en même temps, le procureur devrait prouver que les critères
d’application de l’article 3 commun, d’une part, et du protocole II d’autre part, ont été satisfaits49. Cela
veut dire que l’existence d’un conflit armé interne est évalué par le TPIR selon des critères plus
restrictifs, et donc, plus favorable à l’accusé, posés par le protocole additionnel II50.Il ressort de la
jurisprudence du TPIR que le conflit interne, tel qu’il relève de l’article 3 commun ou du protocole II,
se distingue des troubles internes, de simples actes de banditisme ou d’insurrections inorganisée, de
par son intensité ainsi que de part l’organisation des parties en conflit51 .

une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener des opérations militaires continues et
concertées et d’appliquer le présent protocole » voir aussi, Yves Sandoz (éditeur) commentaire des protocoles
additionnel du 8 juin 1977 aux conventions de Genève, CICR, Genève 1986,P.1376
44
Musema,ChI, Jugement, §256
45
Ibid
46
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 626
47
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 618
48
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 619
49
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 618
50
C Renault, « La place des crimes de guerre dans le jurisprudence des tribunaux, P29
51
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 620,Rutaganda, §93

16
2. Les TPI dans la détermination du lien de connexité

Le TPIR considère que, pour qu’une infraction soit condamnable en tant que crime de guerre au sens
de l’article 4 du statut, il doit exister un lien de connexité entre l’acte en question et le conflit armé52.
L’exigence d’un tel lien se justifie par le fait que l’article3 commun et le protocole Ii aux quels le
statut renvoie » ont pour vocation de protège les victimes d’un conflit armé53.
Toujours selon le Tribunal, le lien qui doit exister entre le conflit et les actes constitutifs de crimes de
guerre doit être direct54 . Mais ce lien n’implique pas forcement que les auteurs des infractions
constitutives de crimes de guerre soient des membres de forces armées55, ni que ces infractions aient
nécessairement eu lieu sur le champs de combats. En effet, la chambre I avait considéré dans l’affaire
akayezu que seuls étaient susceptibles d’être responsable de crimes de guerre » les individus de tous
rangs qui appartiennent aux forces armées sous le commandement militaires de l’une ou l’autre partie
belligérante » ou ceux qui ont été dument mandatés et qui sont censés soutenir ou mettre en œuvre les
efforts de guerre du fait de leur qualité de responsable ou agents de l’Etat ou de personnes occupant un
poste de responsabilité ou de représentant de facto du gouvernement56. Mais la chambre d’appel n’ a
pas suivi cette direction. Tout en reconnaissant qu’un lien de étroit entre l’auteur les parties en conflits
reste trop probable en lien du lien exigé entre le conflit armé et les violations de l’article 3 commun,
la chambre d’appel a considéré qu’un tel rapport particulier n’est pas un préalable à l’application de
l’article 3 commun57. Peuvent donc être responsable de crimes de guerre aussi bien les membres des
forces armées que les personnes civiles.

Le TPIR a également considéré qu’il n’est pas nécessaire que les crimes de guerre pertinents soient
commis sur le théâtre des opérations et que les violations présumées « ne doivent être envisagée dans
un cadre géographique et temporelle étroit mais plutôt comme des crimes commis dans le cadre d’un
conflit armé, dès lors que l’existence d’une relation entre ce conflit et leur perpétration peut être
établie58. Prenant acte de l’article 3 et le protocole additionnel II qui prohibent les crimes de guerres
en tout temps et en tout lieu, le tribunal a estimé sur le plan temporelle que le DIH doit continuer à
s’appliquer tant qu’un règlement pacifique n’est pas encore intervenu59. De la même manière, il a
52
Kayishema et Ruzindana §185
53
Ibid
54
Kayishema et Ruzindana,§104-105
55
De l’avis du Procureur, dans l’affaire Rutaganda, les Interahamwe ont organisé les massacres à l’occasion de
leur soutien aux FAR dans le conflit contre le FPR, et comme l’Accusé exerçait une autorité sur les
Interahamwe, les actes qu’il a commis s’inscrivaient ipso facto dans le cadre de ce soutien.voit Rutaganda, §577
56
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 631
57
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 444
58
Kayishema et Ruzindana,§182-183
59
On peut déjà s’interroger sur le destin de cette jurisprudence devant la CPI dans le cadre de la mise en œuvre
du principe de la complémentarité. En effet, il est facile et fantastique pour les bourreaux de négocier la paix et
d’échapper à la justice ; les exemples sont légion ( Dayton, Sierra Léone) Charles Taylor avait participer à
plusieurs accords de paix et les exactions n’avaient jamais cessé. Dans ce cas d’espèce un acte d’accusation est

17
estimé que sur le plan géographique, le DIH continue à s’appliquer sur » l’ensemble du territoire se
trouvant sous le contrôle d’une partie, peu importe qu’il soit ou non le théâtre de véritable combats et
que les crimes perpétrés soient considérés comme des crimes commis dans le contexte d’un conflit
armé »60.

TMI et plus encore la jurisprudence du Tribunal a beaucoup insisté sur le lien de connexité qui doit
être établi, aux fins de la poursuite pénale, entre crime contre l’humanité et les autres crimes . En
somme dans le jugement de Nuremberg, il n’y a pas d’autonomie conceptuelle du crime contre
l’humanité, contrairement à ce que le statut permettait sans doute. La jurisprudence ultérieure va
donner un relief spécifique à la catégorie criminelle, en la dissociant définitivement du crime de
guerre même si des incertitudes subsistent61.Le statut du TPIR le crime peut être bien le fait d’un état
que d’une organisation non étatique : une « organisation »62. Dans la définition des crimes contre
l’humanité tels qu’adopté dans le statut de la CPI8, il n’y aucune exigence d’un lien avec un conflit
armé. Conséquence, la Cour pourra connaître des violations des droits de l’homme, à condition que
ceux-ci atteignent le seuil d’applicabilité des crimes contre l’humanité. Le statut de la Cour pénale
internationale a en quelque sorte codifié les avancées jurisprudentielles des TPI.
Il convient juste de rappeler ici que dans son approche d’analyse du droit coutumier , la
Chambre d’appel du TPIY, toujours dans l’affaire Tadic (arrêt du 2 octobre 1995) nous a
proposé une définition de la « violation grave ». La Chambre présente deux critères
permettant de qualifier la gravité de la violation du droit de la guerre. Elle doit en effet :
« constituer une infraction aux règles protégeant des valeurs importantes et cette infraction
doit emporter des graves conséquences pour la victime ». Le TPIR a interprété le terme de
violation grave comme signifiant « une infraction à une règle protégeant des valeurs
importantes qui doit emportent de graves conséquences pour la victimes63, suivant en cela la

plus à même de favoriser la paix. La stratégie actuelle du procureur est d’une transparence cristalline : la Cour ne
peut prendre en considération les accords de paix que si ils sont cumulativement en harmonie avec les intérêts
de la justice et des victimes . Effectivement la paix au détriment de la justice violent les droits des victimes et
inapte à l’instauration d’une paix durable et d’une réconciliation constructive. On peut opine que le procureur en
vertu de l’article 53 et la chambre préliminaire seront continuellement attentifs même après les accords de paix.
60
Kayishema et Ruzindana,§183.

61
Cette position a été reprise par le TPIY, dont le statut retranscrit – sans doute un peu brutalement – la
définition de 1945 (voy. article 5). Pour la Chambre d’appel du Tribunal le lien avec le conflit armé est un critère
pour l’établissement de sa compétence mais pas un élément de la définition coutumière du crime : arrêt Tadic,
compétence, 2 octobre 1995.On notera qu’une conclusion similaire avait été formulée par la cour de district de
Jérusalem dans l’affaire Eichmann, 12 décembre 1961.
62
Un mouvement rebelle ou même un groupe terroriste qui réussirait à perpétrer massivement les faits énoncés
dans le cadre d’une attaque systématique et planifié contre une population civile pourrait donc se voir imputer le
CCh au sens du statut
63
Akayesu, ICTR-96-4-T, para. 616

18
chambre d’appel du TPIY64. Le tribunal a déclaré également que l’article3 commun aux
conventions de Genève a acquis le statut de règle de droit coutumier65, là encore en s’appuyant
sur la jurisprudence du TPIY. Il a pareillement conclu au fait que les garanties prévues par
l’article 4 du statut et relevant du protocole II font partie du droit international
coutumier66.Largement complémentaire à celle du TPIY, la contribution du TPIR dans la
définition des crimes de guerre consacrées dans son statut réside dans le fait d’avoir participe
à la précisions de leurs caractéristiques fondamentales et à la définition de leurs acte
constitutifs. Au moment où les tribunaux pénaux internationaux pour l’Ex-Yougoslavie et le
Rwanda s’apprêtent à fermer leur porte, On devrait rechercher les ressources insoupçonnées que
recèle le travail de ces tribunaux ad hoc et, par la suite espérer que leur héritage jurisprudentiel soit
plus fécond pour la justice internationale pénale devenue permanente.

C.L’actualité de l‘article 3 commun devant la Cour pénale international

La création de la Cour pénale internationale (ci-après la CPI ou la Cour) est fille d’un
mouvement visant à éradiquer l’impunité des violations massives des droits de l’homme67 et
du droit humanitaire. Avec sa création un mythe mourait, celui de l’impossibilité de la justice
internationale. Aux termes du statut de Rome, la Cour est une juridiction permanente ayant
compétence pour juger les personnes responsables des crimes les plus graves touchant
l’ensemble de la communauté internationale (génocide, crimes contre l’humanité, crimes de
guerre et crime d’agression lorsqu’une définition aura pu être adoptée pour ce dernier ). Les
compétences matérielle, territoriale et temporelle de la Cour sont beaucoup plus étendues que
celles des deux tribunaux ad hoc. Elles sont cependant limitées aux crimes commis après le
1er juillet 2002 sur le territoire d’un Etat Partie ou par un ressortissant d’un Etat partie (ou
d’un Etat ayant reconnu la compétence de la Cour pour une affaire donnée) à moins que la
Cour ne soit saisie par le Conseil de sécurité agissant sur le fondement d’une résolution
adoptée sous chapitre VII de la Charte des Nations Unis.

64
TPIY,Tadic,ch. D’appel, arrêt relatif à l‘appel de la défense concernant l’exception préjudicielle
d’incompétence, 2 octobre 1995,§94
65
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 608
66
Akayesu, ICTR-96-4-T, § 609. A noter que dans l’affaire Kayishema et Ruzindana, la Chambre II a évité de
débattre de la nature coutumière des crimes de guerre consacrées par le statut, se contentant de rappeler qu’au
moment des faits ,le Rwanda était liés par les instruments conventionnelles pertinentes.
67
Pour beaucoup c’est le début d’une nouvelle ère, bouteille à moitie vide et à moitie pleine.

19
Le Bureau du Procureur de la CPI a commencé à recevoir des communications au
titre de l’article 15 du Statut, lequel confère à cet organe le pouvoir d’ouvrir des
enquêtes de sa propre initiative au vu de renseignements concernant des crimes
relevant de la compétence de la Cour, avant même que la Cour ne devienne
fonctionnelle. Trois Etats africains lui ont déféré des situations se déroulent sur leurs
propres territoires, tandis que le Conseil de sécurité lui a renvoyé la situation au
Darfour. Ainsi, le Procureur a ouvert des enquêtes sur ces situations, ce qui a conduit
à l’émission de mandats d’arrêts contre plus d’une dizaine de personnes, et à la
confirmation de charges contre certains accusés et un seul procès sur le fond en
cours.

L’article 8 du statut qui nous intéresse ici comprend une liste impressionnante de crime de guerre,
liste qui non seulement couvre à peu près toutes les incriminations figurant dans les conventions de
Genève d 1949,le premier protocole additionnelle et des TPI, mais qui en outre énonce de nouvelles
infractions. L’attribution d’un crime de guerre à un individu suppose la réunion de plusieurs éléments :
le comportement visé doit correspondre à une incrimination comme crime de guerre dans un texte
applicable ou dans la coutume internationale et ce comportement doit être imputable à l’individu
concerné. Cette dernière condition suppose soit que la personne ait commis matériellement le crime,
soit qu’elle en ait été complice, soit qu’elle en ait ordonné l’exécution, soit encore qu’en tant que
supérieur hiérarchique, elle n’ait pas empêché le crime en sachant qu’il allait être commis ou n’en ait
pas assuré la répression 68.
Il n’y a pas moins de16 catégories de violation du droit des conflits armés qui sont érigés en crimes de
guerre lorsque ces violations sont commises dans le cadre d’un conflit armé non international, à savoir
les violations de l’article3 commun aux conventions de Genève de 19949 ainsi que un certains nombre
de violations d’autre règles. La conférence de Rome a donc emprunte le chemin ouverte par le TPIR-
une des premiers textes à incriminer des violations du droit des conflits armés commises dans le cadre
d’un conflit interne - et le fameux jugement rendu en 1995 par la chambre d’appel du TPIY dans
l’affaire Tadic69.

La Cour est actuellement saisie de quatre affaires : sur requête des Etats concernés s’agissant
de la République démocratique du Congo, de l’Ouganda et de la République centrafricaine ;
sur saisine du Conseil de sécurité pour le Darfour-Soudan. Le Procureur a indiqué avoir
ouvert par ailleurs des enquêtes préliminaires en Géorgie, en Afghanistan et en Colombie.

68
Eric David, Principes de droit des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 3ème éd., 2002 ; pp. 662
69
aff,IT/94-1-Ar72, 2 oct 1995,§88 et ss

20
Dans le cadre de la situation relative au Nord de l’Ouganda, le Procureur a, après avoir annoncé
l’ouverture d’une enquête sur la situation, émis des mandats d’arrêt contre cinq ressortissants
ougandais, tous dirigeants de l’ARS : Joseph Kony70, Vincent Otti71, Okot Odhiambo72, Dominic
Ongwen73 et Raska Lukwiya74. Aucun de ces suspects n’a été arrêté cependant. Deux d’entre eux, Otti
et Lukwiya sont aujourd’hui décédés.

Dans le cadre de la situation en RDC, le Procureur a fait émettre quatre mandats d’arrêts contre quatre
ressortissants congolais impliqués dans le conflit ayant sévi dans la province congolaise de l’Ituri :
Thomas Lubanga75, chef de l’UPC/FPLC (Union des patriotes congolais/Front patriotique pour la
libération du Congo) ; Germain Katanga76, ancien commandant de la Force de résistance patriotique en
Ituri (FPRI) ; Mathieu Ngujolo77, ancien dirigeant du FNI (Front des nationalistes et
intégrationnistes) ; et Bosco Ntaganda78, commandant militaire de l’UPC.
Toujours dans le cadre de la situation en RDC, le 26 septembre 2008, la Chambre préliminaire I a
rendu la décision sur la confirmation des charges contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo, dont
les affaires ont été jointes79. La Chambre de première instance a ainsi confirmé qu’il existe des preuves
suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que ces deux personnes ont conjointement
commis une série de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité punissables en vertu du Statut80.

Dans le cadre de la situation en RCA, la CPI a rendu public un mandat d’arrêt contre le ressortissant
congolais, Jean Pierre Bemba81, chef du Mouvement pour la libération du Congo (MLC), un des plus
importants groupes politico-militaires ayant pris part au conflit congolais, et principal mouvement

70
Situation en Ouganda, Chambre préliminaire II, Mandat d’arrêt de Joseph Kony delivré le 8 juillet 2005, tel
que modifié le 27 septembre 2005 (ICC-02/04-01-05-53) (Ci-après, Mandat d’arrêt modifié contre Kony).
71
Situation en Ouganda, Mandat d’arrêt contre Vincent Otti, 8 juillet 2005 ((ICC-02/04-01-05-54).
72
Situation en Ouganda, La Chambre préliminaire II, Mandat d’arrêt de Okot Odiambo, 8 juillet 2005 (ICC-
02/04).
73
Situation en Ouganda, La Chambre préliminaire II, Mandat d’arrêt de Dominic Ongwen, 8 juillet 2005 (ICC-
02/04)
74
Situation en Ouganda, La Chambre préliminaire II, Mandat d’arrêt de Raska Lukwiya, 8 juillet 2005 (ICC-
02/04-01-05-55).
75
Situation en RDC, Le Procureur c./ Thomas Lubanga Dyilo, La Chambre préliminaire I, Mandat d’arrêt, 10
février 2006 ; Décision relative à la requête du Procureur aux fins de délivrance d’un mandat d’arrêt en vertu
de l’article 58, 24 février 2006 (ICC-01/04-01/06).
76
Situation en RDC, La Chambre préliminaire I, Mandat d’arrêt à l’encontre de Germain Katanga, 2 juillet
2007 (ICC-01/04-01/07) (Ci-après, Mandat d’arrêt à l’encontre de Germain Katanga, 2 juillet 2007).
77
Situation en RDC, La Chambre préliminaire II, Mandat d’arrêt à l’encontre de Mathieu Ngudjolo Chui, 6
juillet 2006 (ICC-01/04-02/07).
78
Situation en RDC, La Chambre préliminaire I, Le Procureur c. Bosco Ntaganda, Mandat d’arrêt, 22 août 2006
(ICC-01/04-02/06).
79
Chambre préliminaire I, Décision relative à la jonction des affaires concernant Germain Katanga et Mathieu
Ngujolo Chui, 10 mars 2008 (° No: ICC-01/04-01/07).
80
CPI, Décision relative à la confirmation des charges présentées dans l’affaire Le Procureur c. Germain
Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, La Haye, 26 septembre 2008 (ICC-CPI-20080926-PR357 FRA).
81
Trial Chamber I, Decision on the release of Thomas Lubanga, 2 July 2008.

21
d’opposition en RDC. Celui-ci a été arrêté en Belgique qui l’a remis à la CPI, où il a comparu pour la
première fois le 4 juillet 2008.
Dans le cadre de la situation de Darfour, les mandats délivrés visent le Président de la
République en exercice, le soudanais Omar Al-Bachir, pour les crimes commis au Darfour et
un actuel secrétaire d’Etat et un chef de milice soudanais pour leur responsabilité dans des
massacres commis au Darfour (Ahmad Harun et Ali Kushayb). En effet, après avoir
considéré que les conditions posées à l’article 17 du Statut de Rome et à l’article 53 (1) étaient
réunies et après une enquête de 20 mois commencée le 1er juin 2005, le Procureur a soumis sa
première requête à la Chambre préliminaire I de la Cour, pour que celle-ci délivre des
citations à comparaître ou des mandats d’arrêt contre M. Ahmad Muhammad Harun (ancien
vice-ministre de l’intérieur et ministre aux affaires humanitaires au moment de la présentation
de la requête) et Ali Kushayb (commandant des miliciens) pour « des crimes […] perpétrés
lors d’attaques menées conjointement par les Forces armées soudanaises et les
Milices/Janjaouid contre 4 villages et villes du Darfour-Ouest : Kodoom ; Bindisi, Mukjar et
Arawala ».82

Sans exception, toutes les personnes ayant fait l’objet de mandats d’arrêts de la CPI sont accusées de
chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. De même, tous ces individus appartiennent à
des groupes politico-militaires ayant pris part à des conflits s’étant déroulé ou se déroulant dans les
territoires des Etats à l’origine du renvoi des situations en question, et aucun d’entre eux ne relève du
camps politique des gouvernements ayant pris la décision du renvoi à la CPI.

Conclusion
Au total, après les développements normatifs réalisés avec l'adoption des quatre conventions de
Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, les Etats poursuivent leurs efforts pour
l'amélioration de la protection des victimes des conflits internes.
Ce processus vertueux soulèvent cependant les difficultés qui sont d’ordre juridique et théorique.
L’encadrement normatif des belligérants dans un conflit interne, pourtant plus répandu actuellement,
est beaucoup plus limité que dans les conflits internationaux. Les insurgés dans un conflit interne ne

82
CPI, “Fiche de synthèse: situation au Darfour”, février 2007 (http:// www,icc-cpi.int/). La CPI a émis deux
mandats d’arrêt les deux personnes poursuivies en date du 27 avril 2007.

22
bénéficient aucunement du statut protecteur de prisonnier de guerre qu’ont les soldats (hors de
combat) dans les conflits internationaux. Ils peuvent notamment être poursuivis, condamnés, exécutés,
pour le fait d’avoir pris les armes. différence dans l’étendue de la réglementation explique les enjeux
de la qualification des conflits comme internes ou internationaux

Depuis la fin de la « Guerre froide », le domaine du droit pénal international a connu un


développement sans précédent de ses règles juridiques, ses institutions et ses pratiques
Il faut observer que la superposition de ces différentes prescriptions applicables aux conflits internes
soulève certaines difficultés : la lecture combinée des textes du 2e Protocole de 1977, du Statut de la
CPI (art. 8 § 2 f ) et de l’article 3 commun (1949) montre qu’il existe aujourd’hui trois types de
conflits armés non internationaux ! Le seuil entre la situation de simples tensions internes et celle de
conflit armé proprement dit varie selon les instruments juridiques susmentionnés: le texte de l’article 1
du Protocole II de 1977 est le plus restrictif et celui de l’article 3 commun aux quatre Conventions de
Genève de 1949 le plus large… Alors que dans le cas d’un conflit international, un simple incident de
frontière (avec intention belligérante) suffit à déclencher la mise en oeuvre du droit international
humanitaire, dans l’hypothèse d’un conflit
armé non international les conditions sont beaucoup plus exigeantes. Le seuil de déclenchement est
plus élevé car les Etats craignent, de manière assez irrationnelle, d’encourager les rébellions en
réglementant ce type de conflits.

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