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Accompagnement pédagogique pour la gestion des

différences et pour l'égalité dans les espaces de formation


et d'insertion en Île-de-France.
Récit d'expérimentation : le cas du CFA textile 3A
Isabelle Deslogis
Conseillère technique et pédagogique
Article paru dans la revue "Actualité de la formation professionnelle"-
Centre Inffo-2009

Les acteurs de la formation et de l’insertion se trouvent au cœur des questions


liées à l’égalité en milieu professionnel aussi bien pour l’accès à l’emploi que
pour le maintien dans le métier. Ces fonctions se trouvent particulièrement
interrogées lorsqu’on s’adresse à des jeunes se préparant à communiquer avec
le monde de l’entreprise où ils/elles devront mobiliser des compétences
communicatives et d’adaptation aux interlocuteurs et où l’on peut être
confronté à des refus ou des situations perçus comme des rejets.

Outiller pour des communications égalitaires, pour que chacun puisse occuper
une place sociale et professionnelle selon les différents moments des contacts
(stage en alternance, recrutement éventuel, relations au sein de l’entreprise)
devient donc un objectif pédagogique au même titre que les objectifs
techniques rattachés à l’apprentissage d’un métier.

La mise en œuvre d’une action visant à promouvoir l'égalité a été proposée,


afin d’introduire la réflexion sur les modes actionnels les plus efficaces auprès
des publics, en cohérence avec les objectifs phares des dispositifs dans
lesquels s’inscrivent les actions de formation. La réflexion peut être portée
dans des démarches de « formation-action » où les mêmes thématiques sont
abordées par les formateurs et les publics dont ils s’occupent. Une démarche
de co-construction émerge par la suite dans les équipes pédagogiques qui
interviennent de façon transversale et décloisonnée par rapport à l’accès au
monde de l’entreprise. Des modules « égalité » peuvent être construits et
proposés aux publics-cibles.

Si les discriminations directes et indirectes sont nombreuses dans le monde de


l’entreprise et que les publics migrants ou d’origine étrangère peuvent se
trouver au centre des traitements inégalitaires, nous n’abordons pas ces
questions sous l’angle du « racisme » et de la seule composante identitaire liée
à ces aspects. Nous partons du principe que nous sommes tous discriminants
et que les confrontations égalitaires déclenchées par les jeux des
communications et des confrontations à l’Autre favoriseront la consolidation
des places sociales et professionnelles afin que des évolutions puissent
intervenir.

Le rapport à l’Autre, à la différence – quel que soit le domaine de l’identité ou


de l’apparence – se travaille en continu et l’élaboration du discours fait partie
des compétences favorisant les traitements égalitaires. Nuance et complexité
sont des paramètres essentiels pour l’analyse des situations d’inclusion ou
d’exclusion liées au monde professionnel.
Contexte du projet
Dans le cadre d'un projet soutenu par le Conseil Régional d'Île-de-France visant
l'accompagnement pédagogique pour la gestion des différences et pour
l'égalité dans les espaces de formation, a été présenté la démarche et les
outils à l'ensemble de l'équipe du CFA Textile 3A dans le but de sensibiliser et
de former les enseignants et les apprentis à la thématique. En effet, l'équipe
du CFA, dans son observation quotidienne des interactions entre les apprentis
du centre, rapporte que les relations entre garçons et filles sont « parfois
tendues et fonctionnant souvent sur le mode de la provocation ». De plus, ils
notent parfois « des difficultés à prendre position sur certains sujets sans avoir
peur du regard et du jugement des autres ». Il est également constaté que
« les modes de communication à l'œuvre en interne et dans les rapports avec
leurs patrons d'apprentissage sont parfois conflictuels ». Les attentes de
l'équipe, même si elles ne sont pas aussi clairement exprimées, concernent
aussi la gestion des relations des apprentis, d'une part avec l'équipe
administrative et les enseignants, d'autre part avec l'extérieur (employeurs,
partenaires divers). Le fait de « favoriser de meilleures communications
sociales et professionnelles » a un impact important sur tous les acteurs
impliqués dans la formation des apprentis et émerge comme objectif principal
du projet à mettre en place.

L'expérimentation
- Objectifs

Concernant l'équipe du CFA, un des objectifs spécifiques était de s'interroger


sur les représentations à l'œuvre dans l'enseignement de façon à comprendre
les enjeux de la communication, notamment professionnelle, et à outiller les
apprentis pour qu’ils puissent éventuellement répondre à des situations de
discrimination . Un autre objectif était de travailler sur la cohésion de la classe
dès le début de l'année scolaire et de favoriser une démarche alliant réflexion
et échanges autour de l'égalité.

Concernant les apprentis, les objectifs se sont déclinés comme suit :


- créer une synergie dans un groupe nouvellement constitué
- comprendre les modes de communication à l'œuvre dans les rapports
filles/garçons et les analyser pour établir des relations égalitaires
- réfléchir à la notion d'identité et à son impact sur le rapport à l'autre et
produire un discours élaboré, distancié
- réfléchir à l'impact des stéréotypes sur le discours et voir l'autre dans sa
diversité et sa complexité pour mieux communiquer
- favoriser les attitudes responsables et égalitaires dans les situations
socioprofessionnelles

- Modalités

Mise en œuvre
L'équipe du XXX(1) a proposé des alternances entre formation des apprentis et
rencontres avec les enseignants pour, d'une part, prolonger la réflexion
pédagogique et aménager les temps d'intervention en fonction des contraintes
professionnelles des apprentis et, d'autre part, adapter le traitement des
contenus en fonction des problématiques ayant émergé lors des échanges.

Durée et fréquence des interventions


L'action s'est déroulée d'octobre 2007 à juin 2008 à raison d'une séance toutes
les cinq semaines en alternance sur deux groupes (pour les apprentis).

Evaluation interne
L'évaluation s’est faite, dans un premier temps, à la fin de chaque séance sous
la forme d'un tour de table visant à faire le point sur ce qui a été appris,
compris, élucidé, interrogé. Un compte-rendu de séance a été établi après
chaque intervention, ainsi que des réunions régulières avec l'équipe
pédagogiques du CFA.

L'évaluation finale, en juin 2008, a mesuré l'impact des formations sur


l'ensemble des acteurs impliqués dans la démarche au moyen de
questionnaires individuels ou collectifs.

Evaluation externe
Un cabinet expert est chargé d'évaluer l'impact de l'action dans le but de
mesurer en quoi cette démarche contribue aux changement de regards dans
les espaces de formation et d'insertion.

- La mise en projet : quelques observations préliminaires

L'intérêt du compte-rendu de l'expérience menée avec le CFA 3A réside


principalement dans le fait qu'elle peut être transposée dans d'autres espaces
de formation, d'insertion ou encore dans l'espace scolaire et périscolaire.
L'objectif transversal de cette action est en effet la mise en place d'une
formation-action pouvant être démultipliée en direction d'autres groupes.

La formation-action au CFA a été initiée lors de rencontres préparatoires


définissant les deux phases du projet :

- la première phase (voir schéma 1) associant l'ensemble de l'équipe du CFA


(directeur, enseignant référent, secrétaire) à la réflexion autour de leurs
propres représentations et leur implication directe dans leurs pratiques
pédagogiques. L'importance de cette phase d'exploration des concepts
abordés à travers les outils proposés a été essentielle car l’adhésion de
l'ensemble des acteurs concernés aux principes de l’égalité dans la diversité
constitue l'une des conditions nécessaires à la mise en œuvre du projet.

Ce travail auprès de l'équipe à également permis aux équipes pédagogiques


intervenant au CFA de se rendre compte que leurs observations (provocations
des jeunes entre eux, envers les enseignants ou les employeurs) ne se
traduisent pas en objectifs d'apprentissage. La démarche portée par le XXX et
ses outils pédagogiques partent de ces constats pour construire la formation
action.dans le but d'aborder les problématiques de façon explicite et
objectivée.
- la seconde phase (voir schéma 2) permet la construction du parcours de
formation proposé aux étudiants et articule les propositions du XXX avec les
contraintes liées au programme de formation des apprentis du CFA. Les
préconisations pédagogiques ont ensuite été validées par l'équipe du CFA.
- Compte-rendu de la première séance ayant permis l'élaboration des
contenus de formation

La première séance autour du jeu pédagogique Distinction, outil visant à faire


émerger les modes de communication et les représentations à l'œuvre dans les
groupes, a servi de base pour construire avec les apprentis des objectifs dans
leur parcours d'apprentissage, liés à la thématique de l'égalité dans la
diversité. Pendant la séance de jeu, sur certaines des questions abordant les
différences entre les filles et les garçons, les participants ont exprimé la
difficulté à communiquer sur certains sujets, à donner son avis, à prendre
position, sans avoir peur du regard des autres et de leurs jugements.

Le débat qui a suivi le jeu a fait émerger une réflexion sur les rapports
égalitaires suscités par les règles du jeu de Distinction : respect du temps de
parole et du rôle de l'arbitre, place de chacun des joueurs, question du choix
d'une réponse pouvant éventuellement provoquer des réactions négatives,
écoute indifférenciée, etc. De plus, confrontés à des difficultés à argumenter ou
à gérer leurs émotions, certains joueurs se sont réfugiés dans des propos
circulant au quotidien entre eux. Par exemple, pour exprimer son désaccord
avec un ami dans un situation imaginaire, un jeune évite une réponse : « Si on
me parle mal, je cogne.... », « je lui mets un balle dans la tête, c'est pas
possible ! ». Ceci a permis à l'intervenant de réfléchir ensuite à la façon
d'outiller les étudiants pour produire du discours élaboré.

Les participants ont également évoqué le rôle des patrons d'apprentissage


dans leurs difficultés de communication au quotidien :
- « Ce sont les patrons qui devraient jouer à ce jeu »
- « Seriez-vous prêt à jouer avec eux ? »
- « Moi, ma patronne, je ne peux même pas parler avec elle »

L'intervenant a pu ainsi évoquer les situations conflictuelles qui s'installent


parfois dans les rapports avec les autres et proposer de travailler sur la
question des représentations et des interprétations dans la communication :
s’est alors profilé un projet de formation ayant pour objectif la construction de
rapports moins conflictuels et plus égalitaires entre les apprentis mais
également avec leurs enseignants et leurs employeurs.

Les jeunes apprentis ont poursuivi la discussion et une jeune femme a énoncé
que « si la discrimination est souvent associée à l'origine, l'exclusion de l'autre
peut aussi se manifester à travers d'autres critères ». Cette réflexion a amené
les participants à contextualiser la thématique des discriminations en relation
avec la sphère politique mais leurs échanges ont évolué vers une prise de
conscience en fin de séance : « Nous pouvons tous être discriminants ».

Dans l'espace de formation, le pari était de sensibiliser et d'outiller les futurs


salariés pour sortir des propos réducteurs et globalisants comme « les
patrons », « les Français », « les apprentis » qui enferment dans des catégories
souvent binaires opposant le « eux » et « nous » et empêchant une
communication interpersonnelle efficace, réussie, réaliste, entre deux
personnes et non pas deux catégories.
Après cette première rencontre, la pertinence des actions de sensibilisation
auprès des publics est apparue évidente aux formateurs. Cependant, la
nécessité d'être outillé pour gérer les débats et répondre aux questions
soulevées induit l'accompagnement de ces professionnels dans leur rôle de
régulateur. La réflexion autour des concepts d'égalité et de diversité doit
également faire l'objet d'une attention particulière avant la mise en œuvre des
séances. En outre, le formateur doit être capable de se décentrer des
problématiques liées aux processus de discrimination pour répondre de façon à
la fois distanciée et en cohérence avec les équipes référentes de l'institution où
il intervient.

- Séances suivantes

A partir des objectifs définis lors des réunions de préparation d'une part et des
constats issus de la première séance d'autre part, les contenus ont été abordés
à travers les fiches pédagogiques du Guide Plus d'égalité dans la diversité, un
défi pour la formation (voir schéma 2).

Extrait de la séance de février 2008, après le visionnage du film J'apprends


ce métier, mais pas pour devenir un homme et une nouvelle séance de
Distinction, demandée par les apprentis « pour voir où on en est ».

Les objectifs de cette séance étaient de permettre aux participants de :

- réfléchir sur les représentations dans le monde de l'apprentissage


- permettre de faire un point sur les évolutions constatés depuis la
première séance à partir du jeu
Dans un premier temps, la projection du film J'apprends ce métier mais pas
pour devenir un homme a permis de travailler sur la notion de variable du
genre. Le premier constat des étudiants a été celui de l'excellence des filles
dans certaines filières, lorsqu'elles avaient l'occasion d'intégrer des corps de
métiers jusqu’alors réservés aux garçons. Les jeunes ont également relevé le
fait que les employeurs pouvaient dépasser leurs représentations sur « les
filles choisissant des métiers destinés aux garçons », lorsqu'ils prenaient en
compte leur motivation ou leurs compétences.

La séance de jeu a permis de repérer les questions sur lesquelles le groupe a


voulu débattre collectivement : à la question « Quand vous voyez une
personne pour la première fois, que regardez-vous en premier ? », à
l’unanimité, le regard sur l'autre concerne l'aspect physique auquel peuvent
être associées des caractéristiques psychologiques, morales, intellectuelles. La
question du jugement, inévitable pour certains, a été mise en débat. A partir
d 'exemples, cette logique de jugement a été déconstruite à partir d'exemples
rapportés par les joueurs.

Une question interrogeant la rôle du père « comme étant le seul chef de la


famille », est abordée au début de la discussion comme « naturel », « normal ».
Là encore, ce sont les participants qui établissent, à l'aide d'exemples, que le
père et la mère ont autorité égale au sein de la famille. L'un d'entre eux pointe
le fait que, au regard de la loi, il n'y a pas de différence entre les parents car
« pour l'école ou pour les papiers, les deux ont les mêmes responsabilités ».
Une jeune femme résume ainsi : « Dans ma culture d'origine, c'est le père qui
a tous les pouvoirs et la mère s'occupe uniquement de la maison, pourtant
j'essaie de voir les choses autrement, il faut une égalité au sein d'un couple,
c'est à nous de faire que les mentalités changent ».

Une question autour du choix d'orientation soulève également un débat


autour des enjeux de l'égalité entre filles et garçon illustré par le récit de C. :
« Moi, j'ai fait une terminale STG pour être topographe géomètre, j'ai même
fait un stage mais après, les profs et ma famille m'ont expliqué que ce n'était
pas un bon travail pour une fille, qu'il n'y aurait que des hommes dans ce job,
que j'aurais trop de problèmes; à la fin, j'ai renoncé mais je regrette encore; ce
serait maintenant, je ne me laisserais pas faire ».

Nous avons ensuite demandé au groupe ce qui, d'après eux, avait changé
depuis la première séance cinq mois auparavant :
- « on se connait mieux, c'est plus facile de discuter ensemble »
- « on est mieux préparé à ce que l'autre ne soit pas forcément d'accord
avec vous »
- « on est capable d'entendre des points de vue différent »

- Les mots du bilan

En mai 2008, à la question : « Selon vous, quels changements ont été observés
dans le groupe d'apprentis concernés par la formation ? », l'enseignant a
répondu : « Une plus grande tolérance et moins d'ostracisme, l'entraide et les
échanges sont plus courants ».

La même question posée aux apprentis en fin d'année recueille les réponses
suivantes :

Jessica : « On a appris à mieux se connaître, et du coup à s'apprécier parce que


quand on ne connaît pas les autres, on ne peut pas savoir si on a des points
communs avec eux »

Nicolas : « J'ai appris qu'on pouvait ne pas juger selon les différences, j'ai
réfléchi à ça »

Trézo : « Moi aussi, j'ai compris que les différences, ça permet de savoir plus
de choses sur les autres et de ne pas trop les juger même si on n'est pas
d'accord »

Janine : « J'ai appris une autre vision de la discrimination, que ce n'est pas
forcément négatif, par exemple si je regarde un handicapé dans la rue, ça veut
pas dire que je le respecte pas ou que j'ai pitié, je le regarde c'est tout, comme
quelqu'un d'autre »

Samantha : « Moi, j'ai compris que si on évite de juger les autres, ça peut
éviter les conflits, on vit plus en paix quand on ne juge pas »

Emilie : « Moi, je voudrais dire que la discrimination qui me gène beaucoup


c'est celle des gens qui regardent les pauvres d'une certaine façon, ce sont des
regards qui font mal, on devrait leur apprendre à mieux regarder »

Nicolas ajoute que le fait d'avoir joué à Distinction en début d'année, lorsqu'ils
ne se connaissaient presque pas, les a beaucoup rapprochés et que c'était plus
facile après de travailler ensemble, ce qui est confirmé par l'ensemble des
participants.

Synthèse
Tout au long des séances de formation , les questions en lien avec la
discrimination liée au racisme, à l'égalité hommes-femmes ou au handicap ont
fait l'objet d'un traitement spécifique et ont permis de s'interroger, d'analyser
et de décrypter certains concepts, d'envisager de nouvelles façons de
communiquer, de témoigner collectivement de la progression des réflexions.

A travers les comptes-rendus de séances, on peut suivre les évolutions,


observer un changement de regard, notamment sur l'égalité garçons/filles, une
prise de conscience par rapport au travail de veille nécessaire pour maintenir
un rapport égalitaire dans les interactions diversifiées auxquelles ces jeunes
adultes sont confrontés tout au long de leur parcours.

Cependant, des problématiques nouvelles apportées par les apprentis lors des
séances ont interrogé la notion de diversité en dehors des questions liées aux
origines ou à l'égalité garçons/filles. Pour illustrer ce propos, on notera la
réponse d’un enseignant à la question sur les changements attendus par la
formation-action :
- « Pour vous, quels étaient les changements attendus par la mise en
place de modules Égalité dans la diversité ? »
- « La cohésion et l’émulation pour forger un esprit de groupe dans une
section de plusieurs nationalités différentes ».

Cette réponse montre que la diversité est une notion qui véhicule l'idée selon
laquelle elle concerne essentiellement les questions liées aux origines, à la
nationalité, au racisme, à la discrimination... Cette vision peut être réductrice
car elle évacue les autres aspects de la diversité, notamment celui qui prend
en compte l'égalité comme principe et impose l'application des outils
nécessaires à sa mise en œuvre.

Dans le cas du CFA, la diversité sociale a fait l'objet d'une interrogation


particulière de la part des jeunes apprentis. En effet, est apparu assez
rapidement chez les apprentis le besoin d'exprimer leur malaise face aux
représentations négatives qui leurs sont renvoyées concernant les conditions
qui les ont amenés au choix de l'apprentissage plutôt qu'à la poursuite d'un
cursus classique. Même si, pour certains, ce choix s'est fait en raison d'un
intérêt pour tel ou tel métier, d'autres l'ont vécu comme la soumission au choix
des enseignants par rapport à un niveau scolaire jugé insuffisant pour intégrer
une filière générale : on est souvent orientés « par défaut » c'est à dire en
fonction de critères de niveau, de places disponibles dans telle ou telle filière.

L'apprentissage répond à la vocation inclusive de la société envers ses jeunes


en les formant à devenir des professionnels. Il est donc surprenant que des
représentations stéréotypées lors des choix d'orientations entachent leur
parcours de jeunes adultes plus de deux ans après leur sortie de filière
générale. Cela donne à voir l'étendue des questions restées en suspens sur le
sujet.

Les apprentis formulent les regards et attitudes « de l'extérieur » à l'aide de


mots qui sont, selon eux, employés de façon récurrente comme étant
synonymes de CFA : « en échec, en difficulté, mauvais, ratage, pas intelligent,
jeune à problèmes, etc. »

Les participants concernés expriment clairement que leur origine (réelle ou


supposée) est souvent la raison des négociations à mettre en œuvre lors de
leurs recherches de stage, d'appartement, d'emploi et qu'une longue pratique
les a rompus à ces exercices de justification d'appartenance. Ceci n'empêche
évidemment pas les sentiments d'injustice et de colère face à ces situations
récurrentes, chaque changement étant soumis au déploiement de stratégies
de contournement, d'insistance ou de fuite.

Les jeunes apprentis font face à cette situation en développant des stratégies
de repli à l'intérieur du groupe : la classification dichotomique NOUS/EUX étant
alors activée. Les frontières ainsi posées, elles se conçoivent aussi comme
étant « à traverser ». La mise en place de passerelles se fait notamment en
situation de passage du dedans au dehors, dans les va-et-vient entre CFA et
lieu de travail mais aussi lors des échanges dans les groupes de travail
« Autour de l'égalité... », dans les groupes théâtre proposé par leur enseignant,
où se donnent à voir stéréotypes et représentations auxquels ils font face,
desquels ils sont acteurs.

Le constat interroge le concept de diversité lui-même. En effet, la diversité est


fréquemment acceptée comme une réalité sociale traversant tous les champs
d'intervention de la vie citoyenne : des espaces éducatifs aux espaces sociaux,
de la vie professionnelle aux échanges personnels. Qu'en est-il de la diversité
sociale dans ce qui oppose un discours où la poursuite du cursus scolaire
classique sert de mesure de jugement sur l'autre à un discours de valorisation
de l'apprentissage relayé à la fois par le centre, les employeurs et les médias ?
Quelle posture implique la perception du décalage entre ces discours ? A mi-
chemin entre l'école et le monde du travail, les regards croisés permettent-ils
la rencontre des uns avec les autres ? En quoi la pédagogie de l'égalité dans la
diversité peut être un outil de régulation ?

Nous avons pu observer un changement des regards et des attitudes de nos


jeunes apprentis au cours de cette expérience, notamment au niveau de leur
capacité à s'écouter, à poser le dialogue comme une règle de vie commune, à
percevoir leurs différences tout en étant prêt à en débattre.

Les rendez-vous mensuels avec le groupe ont mis en évidence le besoin


d'analyser le rapport à l'autre dès lors qu'il s'agissait d'enjeux liés à leur avenir
professionnel : comment élaborer une parole qui soit prise en compte par
l'enseignant, l'employeur ? Comment prendre position dans le groupe de
pairs ? Comment aborder la complexité d'un monde à mi-chemin entre l'école
et le travail ? Et enfin, et ce n'est pas de moindre importance, quelle lecture
puis-je avoir, moi, de ces mondes qui ne communiquent pas toujours, quelles
passerelles est-il possible d'emprunter pour que mes choix bénéficient d'une
image positive ?

L'espace proposé pendant ces rencontres a visiblement servi à tenter de


répondre, au moins en partie, à ces questions. La compétence de
« décentration » travaillée tout au long de cette formation est une compétence
réellement utile lorsqu'il s'agit d'être outillé face à des attitudes ou des actes
discriminatoires. Cependant, comme nous avons pu le constater en fin d'année,
tant que la diversité ne sera pas « pensée » dans l'égalité et par conséquent
tant que le regard de tous les acteurs de l'éducation et de la formation n'aura
pas suffisamment évolué, un espace de régulation sera nécessaire pour que le
choix d'un apprentissage puis d'un métier puisse se décider au-delà des
représentations.

Si ces espaces ont existé, dans le cas de cette expérimentation, comme un lieu
de « réparation », ce n'était pas l'objectif initialement visé. Ce glissement vers
un objectif redéfini en fonction de la progression des travaux menés dans le
groupe permet d'avancer l'hypothèse que seul un travail conjoint des équipes
et de l'institution encadrant l'action de formation en garantit l'efficacité.

(1) L'association porteuse de l'expérimentation a été dissoute en Juin 2009

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