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Zorel justifie ses particularités de caractère

1. (Zorel : ) « Je possédais de naissance un tempérament coléreux. Au lieu d'atténuer


celui-ci par une éducation douce et raisonnable et de former autant que possible ma raison, on
m'a infligé toutes les punitions imaginables. Mes parents ont toujours été mes plus grands
tourmenteurs ! S'ils avaient uni la compréhension à la bonne volonté, ils auraient pu m'élever
comme un ange des Juifs : mais mille punitions ont fait de moi un tigre ! A qui donc la faute
si je suis devenu ce tigre ? D'une part, je n'ai pas pu choisir de plus sages parents avant d'être
conçu et mis au monde, d'autre part, après ma naissance, j'étais certes loin d'être un Platon ou
un Phrygius et il n'y avait pas davantage trace en moi d'un Socrate, je n'ai donc pas pu
m'éduquer moi-même ! Qu'aurait-il fallu pour que je devinsse un homme meilleur et non un
tigre ?
2. Je te crois trop sage pour ne pas trouver toi-même la bonne réponse à cette question.
Chez vous autres Juifs, on rencontre de temps en temps des hommes possédés par des esprits
malins, comme celui que j'ai vu il y a quelques semaines à peine chez les Gadaréniens, et ce
n'était pas le pire : ce doit être quelqu'un que votre diable juif qui hante les plus noires des
nuits ! Mais avec ce diable de jour, on en avait aussi pour son argent : car des foules entières
de gens ne pouvaient en venir à bout. Ses actes étaient à faire frémir n'importe quel être
humain. Mais si l'on parvenait de quelque manière à guérir ce possédé de son mal, quel
imbécile de juge humain, dis-le-moi, serait assez aveugle et obtus pour produire à l'homme
guéri les atrocités inouïes qu'il a commises lors de sa possession et l'inviter à s'en repentir
dans les larmes et à s'améliorer ? Cet homme y pouvait-il quelque chose s'il avait commis de
telles horreurs dans sa possession ?!
3. Réponds-moi, ami plein de sagesse : imagine qu'un gros rocher tombe d'une grande
hauteur et, arrivant au pied de la falaise, écrase par hasard vingt hommes qui se tiennent là.
Pourquoi cela devait-il avoir lieu ? Qui est responsable de cette calamité ? Mais je suppose
encore, ce qu'on peut au moins imaginer, qu'arrive là-dessus un puissant magicien qui, tels
Deucalion et Pyrrha, transforme le rocher en homme doué d'intelligence et de raison. Et tandis
que le nouvel homme se tient là tout gaillard, arrive un juge savant et impitoyable qui lui dit :
"Regarde, maudit ! Voici ton oeuvre ! Pourquoi, quand tu étais rocher, es-tu tombé de tout ton
poids sur ces vingt hommes ? Explique toi, ou tu peux t'attendre à la plus terrible punition
pour ton acte !" Que pourrait bien répondre le nouvel homme à ce juge stupide, sinon ceci :
"Y puis-je quelque chose si, premièrement, quand j'étais un lourd rocher totalement dépourvu
de conscience, j'ai été séparé de mes pareils par une force étrangère, et si deuxièmement j'étais
aussi lourd, et en troisième lieu, ai-je par hasard invité ces hommes que j'ai broyés à venir
attendre ici que je tombe et les tue tous ?! »
4. Tu comprends bien, je l'espère, combien il serait déraisonnable à ce juge si malin
d'accuser le nouvel homme, mais peut-être comprends-tu aussi que moi-même, qui suis
seulement en train de devenir un nouvel homme au lieu d'une brute grossière, je ne suis guère
plus responsable de mes mauvaises actions que le rocher brutal devenu homme dont je viens
de parler ! Si tu ne veux pas être un juge stupide, juge-moi selon l'équité de la raison pure, et
non selon ton humeur qui se croit sage ! Sois un être humain comme je le suis moi aussi à
présent ! »
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Cyrénius s'émerveille de la sagacité de Zorel

1. Jean se met à réfléchir profondément à ces paroles frappantes de Zorel il ne les


trouve pas sans fondement, et silencieusement, c'est-à-dire dans son cœur, il Me demande ce
qu'il faut faire maintenant de cet homme dont, visiblement, il ne peut venir à bout.
2. Cependant, Je dis à Jean : « Laisse-le tranquille un moment : ensuite, Je te mettrai
de nouveau dans le cœur et sur la langue ce dont tu devras parler avec lui. » Ce que fait Jean.
3. Cyrénius, qui a suivi avec une grande attention la justification de Zorel, Me dit : «
Seigneur, je dois admettre ici ouvertement que cet homme est vraiment remarquable ! On
dirait qu'il a réussi à faire sérieusement réfléchir le sage disciple Jean lui-même. Bref, à sa
place, j'aurais maintenant épuisé toute ma sagesse et, en tant que juge, il me faudrait le tenir
quitte de toute culpabilité !
4. Mais je ne parviens pas à comprendre d'où ce scélérat fini tient une compréhension
si aigus et si frappante de ses actions ! Que des hommes comme par exemple le supérieur
Stahar ou même Zinka soient capables de défendre leur point de vue avec une grande
intelligence avant de mieux Te connaître, cela est compréhensible, car ce sont des hommes
très instruits et d'une grande expérience en beaucoup de domaines : mais que celui-ci, qui a
sans doute toujours été la dernière des canailles, montre une telle lucidité ! Ah, je n'ai jamais
rien vu de pareil de toute mon existence ! O Seigneur, il faut que Tu me dises comment cet
homme en est arrivé là ! »
5. Je dis : « Il n'a jamais été aussi vain que tu le dis ; car les Grecs ont toujours été à
Rome les meilleurs avocats ! ils connaissent la rigueur inflexible des lois romaines, et c'est
pourquoi ils les étudient avec une minutie extraordinaire, afin d'avoir à leur disposition, si un
juge leur demande compte de quelque délit, une défense toute prête et parfaitement appropriée
: des hommes comme lui, qui se sont proposé de duper l'État dans les grandes largeurs, ont
certes particulièrement bien assimilé le droit étatique et humain et ont également étudié avec
la plus grande attention les écrits des différents philosophes. C'est à cette catégorie
qu'appartient notre Zorel.
6. Avant le sommeil extatique, cependant, il n'aurait jamais su parler avec une telle
lucidité ; mais son âme a gardé de ce sommeil une sorte d'arrière-goût venu de son esprit, et
c'est pourquoi elle a maintenant un esprit critique si aiguisé. Cependant, cette acuité elle-
même se perdrait bientôt s'il était replongé dès aujourd'hui dans son ancien milieu : mais ce
traitement le rendra au contraire de plus en plus perspicace, ce que Je permets aussi tout
exprès pour le bien de Mes disciples, afin qu'ils apprécient un peu en cette occasion ce que
peut être l'intelligence humaine du monde, ce qui leur est salutaire. Car bien qu'ils soient des
hommes d'une grande humilité et au cœur compréhensif, il leur arrive encore de temps à autre
d'avoir des pensées de suffisance, et contre cela, un tel homme est une pierre de touche idéale.
7. Jean m'a déjà fait savoir dans son cœur l'insuffisance de sa sagesse, et les autres
disciples ne cessent de se demander à qui ils ont affaire : mais je les laisserai encore réfléchir
un peu, afin qu'ils s'y retrouvent mieux. Lorsqu'ils se seront un peu retrouvés par eux-mêmes,
Je les aiderai de nouveau à avancer. D'ici là, il leur chatouillera encore si bien les oreilles
qu'ils se les gratteront tous furieusement ! Mais ensuite. ils feront un nouveau pas en avant. A
présent, Je vais délier la langue de Jean, et il se remettra à parler : sois donc très attentif !
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Jean exhorte Zorel à changer de vie

1. Après un bref instant, Jean dit à Zorel : « Je ne peux nier que ton raisonnement a
posé plus d'une question, et ce non sans motif, assurément : mais il s'applique bien mal, voire
pas du tout, à ta propre vie, car ton âme a toujours été en elle-même assez évoluée pour savoir
distinguer le vrai du faux. Mais une âme qui, comme la tienne, sait faire cela avec tant de
sagacité peut aussi distinguer le bien du mal, et si elle le peut, elle pèche donc contre sa
propre connaissance et sa propre conscience et qui pèche contre sa connaissance et sa
conscience ne peut se purifier de la saleté de ses anciens péchés et devenir agréable à Dieu
que par un vrai repentir et une vraie pénitence.
2. Tu veux et tu dois devenir un homme meilleur ! Et si tu veux cela, tu dois aussi
reconnaître que tu étais bien responsable de toutes tes mauvaises actions : et si tu l'étais, il ne
tient également qu'à toi de comprendre qu'il n'est pas juste de rejeter la faute sur un autre, et
que tu dois au contraire la reconnaître comme entièrement tienne et en éprouver un vrai
repentir, puisque, sachant à maints égards fort bien reconnaître le vrai et le bien, tu t'es
pourtant décidé en faveur de leur opposé dans l'action.
3, Oui, s'il n'y avait pas eu en toi la moindre notion de ce qu'est la pure vérité, donc le
bien, et qu'au contraire tu eusses croupi dans une noire superstition motivée par ton domaine
d'existence, tes actions, si mauvaises fussent-elles par elles-mêmes devant le tribunal de la
raison la plus pure qui soit, ne pourraient t'être comptées comme fautives : tu n'aurais pas
davantage péché que ton tigre ou ton rocher devenu homme, et nul ne serait en droit de te dire
: "Corrige-toi, repens-toi de tes méfaits et fais une juste pénitence, afin de te rendre agréable
au vrai Dieu !
4. Avant de le faire, on devrait alors t'instruire en détail de tout ce qu'est la vérité, te
montrer le droit chemin et t'y guider pendant un temps ! Et si un homme à qui l'on aurait
parfaitement enseigné cette vérité retombait dans ses anciennes erreurs et agissait aussi mal
qu'auparavant, c'est alors seulement qu'il pécherait, parce qu'il agirait contre sa ferme
conviction et déclencherait de grands troubles dans sa conscience. Les images que tu as
employées ne sont donc valables que pour des hommes qui, à l'instar des bêtes, n'ont encore
jamais connu aucune vérité : mais tu n'es pas un profane en ce qui concerne la vérité
authentique : au contraire, tu sais la reconnaître presque aussi bien que moi, et ce depuis
longtemps déjà. D'ailleurs, ta conscience t'a toujours reproché tes mauvaises actions : mais tu
ne lui prêtais que peu d'attention et cherchais à la faire fuire par toutes sortes de fausses
bonnes raisons. De même, tu as toujours éprouvé du remords à chaque fois que tu avais
commis une mauvaise action à l'encontre de ce que tu savais et de ta conscience : mais jusqu'à
présent, tu n'es jamais allé jusqu'à faire pénitence et vouloir t'améliorer.
5. Cependant, c'est pour cette raison que Dieu le Seigneur t'a laissé tomber aujourd'hui
dans une si grande misère. Tu n'as plus rien : même ton ancien associé dans le commerce
d'esclaves t'a laissé choir et se trouve à présent en Europe, où il mange son substantiel
bénéfice. Maintenant, tu es nu et tu cherches de l'aide. Et tu la recevras : mais auparavant, tu
dois t'en rendre digne, c'est-à-dire que tu dois de ton propre chef décider de ne pratiquer
désormais dans ta vie que le vrai et le bien. C'est alors que tu seras véritablement secouru, en
ce monde et pour l'éternité.
6. Mais si tu persistes à agir selon ce que tu sais aussi bien que moi être faux et
mauvais, tu resteras misérable ta vie durant, et ce qu'il adviendra de toi dans l'autre monde,
car il existe une vie véritable après la mort du corps, ta propre raison pure peut le conclure
aisément si tu songes que la vie d'ici-bas est la semence dont la vie éternelle de l'au-delà est le
fruit.
7. Si, dans le jardin qu'est ta vie, tu plantes dans le sol une bonne et précieuse
semence, tu récolteras aussi de précieux fruits : mais si tu sèmes des chardons et des ronces
dans le sol de ce jardin, tu ne récolteras dans l'au-delà que ce que tu auras semé ! Car tu sais
très bien que les tiges des chardons ne donnent pas de figues et les ronces pas de raisins !
8. Tu vois que je ne t'ai pas jugé, mais je n'ai fait que te montrer comment tu devais
agir par la suite, et je n'ai pas eu envers toi de dures paroles et t'ai parlé d'un ton doux ! Suis ce
que je t'ai dit, et, sur ma vie, je te donne ma parole d'ami que tu n'auras éternellement jamais à
t'en repentir ! »

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De la volonté de connaissance et de la volonté de jouissance en l'homme

1. Zorel dit : « Ah, je veux bien qu'on me parle ainsi ! Car tes paroles semblent
véritablement humaines, et ce que tu me diras ainsi en tant qu'homme et non en tant que juge,
je ferai tous mes efforts pour m'y conformer. Cher ami, je me connais bien à présent, et le
noyau intérieur de ma vie ne me paraît pas vraiment des pires : mais ma surface, elle, est
mauvaise d'un bout à l'autre ! S'il m'était possible de me défaire totalement de ma chair ainsi
que des parties mauvaises de l'âme qui la prolongent, et d'envelopper ce noyau intérieur de vie
d'une chair meilleure, je deviendrais un homme très bien mais tel qu'est constitué mon corps à
présent, il n'y a rien à faire ! Je ne suis certes plus un si fieffé coquin que je l'étais auparavant :
mais je ne pourrai jamais me fier à ma chair. Il est tout de même remarquable qu'à chacune de
mes mauvaises actions, même les pires, ma volonté ne soit jamais intervenue ! A chaque fois,
j'y étais entraîné comme par hasard, et il arrivait exactement le contraire de ce que je voulais
en réalité ! Comment cela se fait-il ? »
2. Jean dit : « Vois-tu, la volonté de l'homme est double : la première de ces deux
volontés est celle sur laquelle la connaissance de la vérité possède un pouvoir de direction et
d'attraction, celui-ci toujours assez faible ; quant à la seconde, le monde des sens et ses
messages délicieusement parfumés possèdent également sur elle une force d'attraction, mais
celle-ci puissamment confortée par toutes sortes d'habitudes de vie. Dès que le monde te
laisse entrevoir un bon morceau et l'occasion de t'en emparer facilement, cette puissante force
d'attraction se met à tirer violemment sur la corde de la volonté de ton cœur, et même si la
force moins puissante de la connaissance du vrai se met alors elle aussi à tirer de son côté,
cela ne sert pas à grand-chose, car de tout temps la force l'a emporté sur la faiblesse.
3. Pour être agissante, la volonté doit se montrer ferme et résolue et n'avoir peur de
rien. Elle doit considérer avec l'indifférence la plus stoïque et tourner en dérision tous les
avantages du monde, et suivre le lumineux sentier de la vérité, fût-ce au prix de la vie du
corps qu'elle habite. C'est alors que la volonté de connaissance, qui sans cela demeure faible,
devient forte et puissante et s'assujettit pleinement la volonté purement mondaine des
sensations et du plaisir. Celle-ci finit par entrer elle-même totalement dans la lumière de la
volonté de connaissance, et l'homme est ainsi enfin unifié, ce qui est d'une importance capitale
pour l'accomplissement de sa nature immortelle.
4. Car si tu ne peux être en accord avec toi-même et avec ta pensée, comment pourras-
tu dire : "J'ai reconnu la vérité dans toute sa plénitude et sa profondeur", si tu demeures en toi-
même totalement divisé, donc toi-même un mensonge pur et simple ? Mais le mensonge n'est
rien d'autre, comparé à la vérité, que ce qu'est la plus épaisse des nuits pour le jour le plus
lumineux. Une telle nuit ne connaît pas la lumière, et un homme qui est un mensonge en soi
ne peut reconnaître aucune vérité lumineuse, et c'est pourquoi, chez les hommes qui se sont
trop usés en ce monde, la volonté de connaissance a si peu de force qu'elle est jetée aux orties
et vaincue par la moindre traction de la volonté de jouissance mondaine.
5. Du fait que, chez beaucoup d'hommes, la volonté de jouissance en ce monde a
vaincu et étouffé pour toujours la volonté de connaissance, en sorte qu'il s'en est suivi pour
eux une espèce d'unité intérieure dans l'ignorance, ces hommes sont morts en esprit et sont
donc en soi des damnés qui ne pourront éternellement revenir à la lumière que lorsque leur
matière grossière aura brûlé au feu allumé par leur concupiscence. Mais la matière de l'âme a
la vie bien plus dure que celle du corps, et il faut un feu très puissant pour consumer et
anéantir toute cette matière de l'âme.
6. Mais comme une âme ne se soumettra pas à une purification si terriblement
douloureuse par amour de la vérité ou de la lumière, mais que, tel Protée, elle essaiera au
contraire, par désir ignorant de jouissance et de pouvoir, de se soustraire à son emprise, un
homme qui s'est totalement identifié en ce monde à la nuit de son existence est pour ainsi dire
perdu pour l'éternité.
7. Seul l'homme qui, par sa volonté énergique et lucide de connaissance, a totalement
vaincu la volonté de jouissance et s'est donc unifié intérieurement dans la lumière et la vérité,
est devenu toute lumière et toute vérité, et donc la vie même. Pour cela, comme je te l'ai dit, il
faut toutefois un renoncement à soi-même véritablement stoïque - et pas seulement celui, en
soi orgueilleux, de votre Diogène, qui s'estimait supérieur à un Alexandre étincelant d'or, mais
bien l'humble renoncement d'Hénoch, d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Si tu es capable de cela,
tu seras secouru en ce monde et éternellement : mais si tu ne le peux pas, et ce malgré ta
propre capacité de reconnaître la vérité, c'en est fait de toi, et tu ne pourras plus être secouru,
ni ici-bas, ni dans l'au-delà. Mon avis est pourtant que cela est en ton pouvoir : car tu ne
manques ni de jugement, ni de connaissance. Que t'inspire à présent ton âme en réponse à cela

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