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EMPAN N° 48
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Comment le groupe s’impose aux enfants
Les groupes qui fonctionnent et se retrouvent Entre la cour d’école de maternelle et celle de
d’une récréation à l’autre, voire d’une année sur l’école élémentaire, la situation évolue. Dans la
l’autre, sont ceux où l’échange humain trouve première, les enfants sont moins nombreux et
son équilibre et permet le plaisir du jeu. Chez restent souvent confrontés à une classe d’âge
les enfants de l’école maternelle, l’entente entre restreinte. Tout au plus, les trois sections se
les joueurs semble beaucoup dépendre des retrouvent pour la récréation, des enfants entre
savoir-faire d’un leader qui est à l’initiative de trois et six ans. À l’école élémentaire où je me
la mise en place d’une structure de groupe. Il suis rendue, plus de deux cents élèves entre six
s’impose aux autres parce qu’il réussit à mettre et onze ans partagent un même espace. La cour
en route un jeu et à accorder les participants sur est donc objectivement beaucoup plus dange-
les règles. Il se fait remarquer pour son imagi- reuse pour ceux qui la fréquentent, en particu-
nation et ses facilités à enrichir le jeu. Mais il lier du fait des différences d’âge, car les enfants
est apprécié aussi pour la richesse des relations prennent surtout plaisir à embêter leurs cadets.
humaines qu’il propose et permet grâce à son Mais les plus jeunes le savent et s’appliquent à
attention à l’autre et à sa conscience du groupe. éviter les dangers et à se tenir sur des territoires
Il peut ainsi chercher à contenter un pair qui se non convoités par leurs aînés. Pourtant, même si
plaint de son rôle dans le jeu tout en préservant les tensions sont fréquentes, les conflits ne sont
l’élan ludique. pas proportionnels au nombre d’enfants parce
que les élèves s’en protègent par leurs compor-
Les enseignants repèrent facilement ces enfants
tements individuels et par leur formation en
qui sont remarquables aussi bien dans la cour
bandes qui dissuadent les attaquants. Bien sûr,
qu’en classe :
cette formation apporte aussi la force qui
Un maître de CE2 parle de deux élèves : « Elles permet d’attaquer.
sont une autorité par leur assurance, leur aisance
Un autre facteur engendre la transformation des
à l’intérieur de la classe, et ce sont des
conflits entre les deux cours. C’est celui de
références pour les autres, au niveau scolaire et
l’âge, qui commande une certaine relation à
au niveau des valeurs. Elles ont une aisance
l’autre. Chez les plus jeunes, qui découvrent les
dans le langage que les autres n’ont pas forcé-
relations de pouvoir, les affrontements opposent
ment (…). Priscilla a de l’autorité, un charisme,
souvent les leaders de deux bandes. Ils sont une
un pouvoir de séduction sur les autres (…). »
prise de conscience du collectif, un apprentis-
Le vrai leader, tel que l’appelait une institutrice, sage des rapports de force entre groupes qui
se distingue ainsi du faux leader qui voudrait s’attaquent et où le leader met en jeu son
tyranniser sa bande sans apporter de réconfort à pouvoir sous le regard de ses pairs. Chez les
ses membres, sans permettre le plaisir du jeu. plus grands (les CE2 rencontrés à l’école
L’influence du premier dépasse aussi son activité élémentaire), les bandes perdent de l’impor-
au sein du groupe car il sait souvent se lier avec tance et les frictions se déclarent davantage
des enfants d’autres classes et défendre sa bande, entre deux enfants suite à des insultes verbales
si nécessaire, d’assauts extérieurs. où les enfants se traitent mutuellement.
L’affrontement vient donc réparer un honneur
Se protéger des autres blessé.
Le regroupement des enfants en bandes trouve Ainsi, au cours de leur scolarité, les enfants
son utilité en ce qu’il permet de mieux se découvrent que la violence n’est pas
protéger des autres. Isolé, on est une cible facile anarchique, elle est habitée d’une morale, et le
pour ceux qui voudraient s’amuser à attaquer. À conflit éclate souvent pour rétablir la loi des
plusieurs, on peut répondre aux tentatives pairs, répondre à un « code d’honneur 3 »
d’approche indésirables et protéger son jeu des construit autour de valeurs que les enfants
assaillants. reprennent des adultes pour les appliquer à leurs
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Comment le groupe s’impose aux enfants
Celui-ci se met en place et s’entretient au fil des cette approche pédagogique. L’une des écoles
jours, et finit par constituer une culture de pairs maternelles de mon échantillon ne laissait pas
commune à l’ensemble des membres du groupe. autant d’autonomie aux élèves, les reprenant
En effet, chaque groupe se consacre souvent à pour un comportement déplacé, et les enfants
un jeu pendant une période donnée ; et même n’avaient donc pas à gérer leurs histoires les
s’il a quelques jeux favoris, ceux-ci restent plus délicates, manquant une occasion de se
souvent habités d’un même état d’esprit. limiter par eux-mêmes. On le voit aujourd’hui
dans les médias, la cour devient l’objet d’une
On peut donc parler d’une identité sociale et attention particulière quand elle est regardée
culturelle qui repose aussi sur une différence comme le théâtre de violences et d’incivilités.
appuyée avec ceux qui ne sont pas admis dans On n’en perçoit alors que les dimensions dange-
le groupe. C’est ainsi que l’on peut comprendre
reuses et négatives et l’on aimerait les contrôler,
l’intérêt des enfants de l’école maternelle pour
sans même connaître la fonction enfantine de ce
une activité qui marque la frontière entre ceux
lieu et sans comprendre qu’il est un espace de
de la bande et les autres. Elle consiste à courir
socialisation qui, parce qu’il s’inscrit dans
après un enfant extérieur au groupe en criant :
« À l’attaque ! », davantage pour l’intimider que l’enceinte scolaire, se construit sous l’influence
pour le frapper. Cette occupation, vécue comme de ce modèle. Insérée entre deux temps de
une violence par celui qui la subit, montre classe, la récréation amène les enfants à
comment on l’exclut pour mieux s’unir. reprendre certaines règles et valeurs véhiculées
par les enseignants, à respecter en partie le
Présenter les éléments qui dirigent la construc- règlement de l’établissement, et à construire
tion des groupes supposerait que l’on explique leur univers dans ce contexte structurant 4. Plus
les phénomènes de rapprochement par sexe, par qu’un autre espace, il les conduit à accepter les
affinités à l’intérieur d’un choix limité (celui règles sociales en se les appropriant par leurs
des élèves d’une classe), et autour des leaders
jeux, dans un désir de s’intégrer au groupe de
dont il faut se faire accepter. On se contentera
pairs. Il leur permet d’être acteurs de leur socia-
ici de les signaler.
lisation au sens fort, c’est-à-dire de mesurer les
enjeux du respect ou de l’infraction des règles
La cour d’école, espace éducatif négligé ?
collectives et de se contraindre entre eux à la loi
Étant donné l’importance de la cour de récréa- des pairs, chacun acceptant (ou non) la pression
tion dans le quotidien des élèves et pour leur du groupe parce qu’elle amène une compensa-
socialisation, on pourrait s’attendre à ce qu’elle tion immédiate : le plaisir ludique.
soit l’objet d’attention lors de la formation des
enseignants et pendant leur exercice. Il semble Cette réflexion veut donc participer à ce que
qu’il n’en est rien. Si la récréation paraît oubliée l’on considère l’école non comme un simple
pendant la formation, elle est ensuite un lieu d’instruction, mais comme lieu de vie et de
moment de surveillance et de repos des ensei- socialisation proprement enfantine. Par ce
gnants. Leur non-investissement dans ce temps partagé et une confrontation au groupe,
moment tient aussi à l’idée que les enfants ont les enfants ne sont pas que des élèves : ils
besoin de développer leur autonomie pendant ce développent une culture ludique et ils
temps de jeu, et mon travail ne peut que soutenir « s’approprient la société ».
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