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U.N.E.S.C.0. INTERNATIONAL CONFERENZA CONFERENCE ee CONFERENCE INTERNAZIONALE INTERNATIONALE (iso OF ARTISTS DEGLI ARTISTI DES ARTISTES VENICE, 1952 VENEZIA, 1952 VENISE, 1952 ART/3 PARIS, le 11 aoat 1952 ‘Traduit de Vanglais EXPOSE PRELIMINAIRE SUR LE THEATRE Le Théatre dans la soviété moderne par Mare Connelly Hest indispensable de connaftre quelque peu histoire du théatre pour comprendre ta place quill occupe dans le monde moderne, Pendant prés de deux mille cing cents ans, ses rapports avec la société ont donné Ue A con troverse, Des sa naiseance, le pouvoir tyrannique a redouté sa voix pulssante, a voula lui arracher Ia langue, si- non Venvoyer au bacher. Et méme torsqu'il n'était pas menacé par l'intolérance religieuse ou par un régime Gloppression politique, on entendait ses plus sincéres partisans se lamenter sur son déclin ou $a disparition pro~ chaine, De sicle en sidcle, iln'a cessé de vair se dresser devant lui l'image de sa mort imminente, Et cependant le légendaire malade a toujours réussi A se relever de sa couche, rajeuni, sinon méme A ressus~ iter, plas beau que jamais, de la fosse dinfamic ott on l'avait jeté. Partout of! cet art apparait, iL continue a fas~ ciner le public, et on est si heureux de avoir que nul ne stinquldte de savoir pourquoi sa séduction est si grande et comment il & réussi a vivre si longtemps. De meme que Whumanité a accueilli ta fable du phénix sans se demander comment cet oiseau fabuleux pouvait renaftre de ses cendres, de méme elle s'est contentée dladmirer le theatre pour sa brillante parure ct pour tes, envolées qu'il permet. Le rire, "émoi, souvent la jovissance artistique qu'il provaque, sont "immédiate ut gené~ reuse récompense des spectateurs, qui pour la méritor, n'ont qu'a désirer la recevoir, On ne peut gubre slatten- dre dans ces conditions que le grand public soit incite 4 analyzer son plaisir ; homme averti, néanmoins, @ tou jours eu conscience que le théatre offratt plus que ce simple plaisir. Analysons un peu le pouvoir particulier quiil exerce sur nous, Comme institution vulturelle, le théatre est gé- néreux, qu'on ad-nette ou non. I vous instruit par une imperceptible action, On yeut dire que, par toutes se= formes et modalités d'expression, i donne A Uhomme le moyon de mesurer on propre développement. It thinvite A chercher ta vérité dans Vamusemont. Tne lui montre pas seulement, comme dans un miroir, ce qulest "uma nité actuelle : il lui fait entrevoir tes changements éventuels que subiront demain les ensembles de notions mora les et les concepts d'éthique. Schiller, le dramaturge classique allemand, disait du théatre que clest une “institu- tion morale". Mais malheur au théatre qui veut moraliser ! Le theatre pir est amoral, en ce sens que jamais i ne dit aux hommes ce quiils doivent penser ; il se contente de les inciter & former eux-mémes leur opinion, Ja~ mais il ne soutient de thése ; il suggtre seulement, en se gardant dlatfirmer, Seul Ie theatre didactique, ou poli- Hique, voudrait dter A homme le droit de réfiéehir seul, Comment le theatre exerce-t-il son heureuse action sur les spectateurs ? Allons, si vous le voulez bien, dans une salle oft une bonne pidce va @tre présentée, habilement ct intelligemment, Mais d'ahord nous voicl arrétés un moment dehors pour observer un incident dont je veparlerai plus loin, Sur te trottofr qui longe le théatre, un bruit nous Frappe : celsi dune querelle entre un homme et une femme, Ni vous ‘ni moi, ni les autres passants, ne connaissons cet homme et cette femme. Pendant lez quelques instants quilts vont retenir nos regards, peut-€tre nous amuserons-nous de leur comportement, o& soulfrirons-nous aves eux de Vembarras of nous les mettrons en les regardant, Chacun dleux peut peut-€tre rappeler a votre souvenir oa au mien certains traits de caract#re que vous ou moi avons relevés chez de gens que nous connaissons et chez nous~ mémes en particulier. Mais voila que l'homme et 1a ferme s'en vont, ou bien clest nuus qui poursuivons notre chemin. Nous présentons nos billets & Ventrée du theatre, et nous y péaGtrons. Clest une repeésentation normaie, don- née par des artistes professionnels. Nous nous procirons dont des programmes et Vouvreuse nous conduit 4 nos places. Nous regardons les inconnus qui nous entourent, et aver qui nous allons partager des émet ions, ou bien ous jetons les youx sur lesnoms et les détails de carriére qut figurent au programme, La dame qui mlaccompa- gne - ou celte qui est avec vous - remarque que c'est son décorateur préféré quia dessin€ les maquettes, ot vous ‘ou mot, nous demandons si notre plaisir ne va pias étre gdté par le coude de notre voisin. ART/S ~ page 2 Enfin, les lumigres de In salle s'éteignent ot {i stétablit ce silence magique qui préctde toute representation, Pais lo ridewu se leve et le décor stoffre A nous. Il représente par exemple une bibliotheque ; 11 a été exécuté dans un esprit réaliste, et selon le bon godt d'aujourd'hui ; peut-étre serons-nous frappés de sa valeur, et le ju~ kerons-nous supérieur & ce qu’a fait antériourement le méme dessinateur. Bn voyant la robe de Vhérofne, peut Fire nos compagnes seprécipiterant-elles sur le programme pour savoir le nom de 1a maison de couture. Il ost possible aussi qu'en voyant lacteur qui joue un maftre dih6tel je me demande si co n'est pas lui que {fal vu le mois, dernier dans le réte de Mercutio, .. Liaction commence, traduite par les gestes et les paroles des acteurs, Nous regardons et nous écoutons, in- capables encore d!éprouver "Villusion dramatique" nécessaire, Puis arrive le moment du "premier tressailie= ment", dont avaient coutume de parler les Grecs ; sans que nous en ayons conscience, les acteurs sont devenus des étres dont nous vivons avec eux les aventures plus que nous ne les observons, L'action se précipite, et nous y participons de plus on plus. Nous n'avons plus conscience do notre personnalité. Nous ne sommes plus des person~ ‘hes individuelles. Nous constituons un public. Nos compagnes ont oublié le nom dc la maison de couture... clest tune bibliothéque que nous voyons maintenant ét non plus un décor, En fait, il nly a plus rien entre la scone et nous, cot jfai oublié le coude de mon voisin. Je ne suis plus le méme moi, uni par les mémos rapports au monde physi- que, et votre moi également a changé, Par ce phénomine de catalyse que produit le theatre, nous avons été trans- formés en un "public", en cette espece d'etre vivant réagissant dans une sorte d'hypnose a ce qul se passe sur la sctne, mais sans activité cérébrale propre. Un public ne peut pas penser comme un étre humain normal. Lorsque, ‘au cours d'une représentation, on note mentalemant que telle chose est mal ou que telle chose est bien, an cesse fe faire partie du “public” ; on est alors un étre individuel qui a échappé & la catalyse : un spectateur, ‘non un par~ ticipant, En vn sens, le "public" est comme un nouveau-né : II n'a aucun souvenir, Il n'a pas davantago de notions du temps, de Vespace, ou de la vie, hormis celles qu'il découvre dans son unique cosmos qui est Ia seéne, Mais au- un nouveauné ne Se développe aussi rapidement qu'un public, dds le moment oi il est formé. Instantanément, grdce A la mystériouse collaboration dy talent créateur de Vauteur et di talent d'interprétation des acteurs, le pu Die, pour le temps quiil va exister en tant que tel, regoit la lumibre et entre dans le cerele divin, Liinspiration religiouse de Vancien theatre, la gravité profonde et le caractére sacré qu'il y avait sous les cabrioles et la bout fonnerie des premidres comédies satiriques, en bref, le désir d'union avec le divin, tout cela se retrouve dans la -mentalité de notre Une oouvre d'art staccomplit, Le drame - "la chose faite” - est magnifiquement vivant. Comment ce caracttre divin se manifeste-t-il chez le public ? Par Vintérét sacré qu'il porte & la vérité et par son aptitude & la découvrir, La manibre dont au théatre on rencontre la vérite n'est pas trés différente de ce qui se passe dans los autres arts. On sent qu'elle est toute proche quand on a W'impression d'étre emporté vers elle aun mouvement irrésistible que n'interrompent ni ne génent plus les artifices, Lorsque la vérité se manifesie dans art, on constate une mervellleuse économie des modes d'expression, La nuance la plus délicate, le geste le plus discret, le soupir le plus léger marquent les phases de l'action qui se précipite vers son dénouement fatal. Notre perception, en tant que public, dépasse infiniment celle que nous avions en tant quiindividus, lorsque nous sommes entrés dans la salle. Nous voici donc, dans cet état d'exaltation, participant a la révélation de la vérité par la pitce. Comme de grands dieux de UOlympe, nous voyons avec une sublime sérénité se préciser les traits 8e Vhumanité, sans nous soucler de billevesées telles que le chatimont des affronts faits & la vertu ; ce soin pent Gtre laissé A des dicux inférieurs, des dieux vengours, tels que Vuleain et Thor, dont les coups de tonnerre sont les seuls arguments, Ainsi qu'on un microcosme, nous voyons tout dans la piées. Clest pour nous camme la gout~ te de rosée de Dunsany od Wimmensité du ciel se réfléchit, Dans la biblioth®que qui est devant nous, un homme et une femme commencent A se quereller, Leurs éclats de voix sont exactement coux du malheureux couple que nous avons reneantré tout A Vhetire sur le trattoir, Leur dia- logue est presque celui que nous avons entendu, quand nous nlétions encore que des individus, et leur rancosur pa raft s'exprimer avec la méme vivacité. Mais maintenant que nous faisons partie du publie, nous tenons la clé ds mystére, Nous connaissons tous les éléments du différend, qui pour la plupart peut-@tre Gehappent aux deux anta~ gonistes, Clest en vérité des hauteurs célestes que nous les observons. Bien entendu, il est rare que le charme se prolonge pendant toute la pice. Notre subtil pouvoir émotif, notre “ichor” a nous, peut se vicier s'il ne regoit plus de la scone l'aliment qui lui convient. Le jeu dacteurs maladroits, lune mise en scéne pet appropriée, des artifices trop voyants, oi un intérét dramatique mal soutenu peuvent indis~ poser le public, qui, si ces défauls persistent, va se désintégrer, se décomposer en ses éléments constitutifs qui sont vous, mol, et les autres spectateurs. Mais si notre divine fonction ne prend pas prématurément fin, nous ne reviendrons sur terre qu'an dernier moment, ddment marqué par la descente du rideau, Thornton Wilder, dans ‘The Bridge of San Luis Rey, interrompt la querelle entre la Périchole et son directeur pour placer par parenthése cette observation * "Nous venons d'un monde oft nous avons wu d'incroyables merveilles. Nous nous en rappelons confusément les heautés, que nous n'avons plus retrouvées ensuite, Et nous retournons vers ce monde-la,”” Tel est du théatre le pouvoir magique, que n'ébranlent ni les mistres, ni les grandeurs de ce monde, qui sur vit aux guerres, aux bombardements, % occupation militaire, aux défaites et aux vietotres. Car aucun évenement, si heurewx ou terrible qu'il soit, n'est capable de détrulre Vaspiration humaine vers "ce monde dont on se rappelle confusément les beautés". Crest pourquos, tout au lung de histoire, les xouvernements ct les empires aut eu besoin di theater ot «pu A ta seule exception pout-cire de to grande démarratic de mon pays = ifs unt eu vonseiener deve hresoia, Au Ile sidele avant J.-C., la République dlAthines secordail a see acteurs certalng privileges, tels que Vexemption des impots et du service militaire ; de plus, les aetcurs pouvalent aller 8 ICtranger, ot faire ainsi apprécier les chefe-dlocuyre de art dramatique alhénice duns tout le monde connu de Uépoque ~ ce qui prouve gue Tes moyens de propagande cutturelle gat toujours été les mémes. La République de Rome, environ lan 200 avant J,-C., offrait & ses cltoyens des représentations théatrales pour chactn des quarante-huit jours de fétes officiolles, Certaincs des pices étaient sans aieun doste des tradue~ Hons di grec, car dds 272 avant J.-C. vivait & Tarente un certain Livius Andronicus, qui devint le premier tradue- tour de pidces de théatre ; il traduisit toutes les tragédies de Sophocle et d'Buripide, ainsi que des comédivs grec~ ques, et ce furent probablement ses traductions qui, dans une grande mesure, encouragerent son contemporain Naevius, auteur particulitrement fécond, & écrire dos comédies dont certaines étaiunt encore populaires & Wépo~ que de Civéron, Lléglige aussi eut son theftre, au temps de sa suprématic. AU Moytn-Age, malgré la suspicion foncitre qutel- le nourrissait envers un art capable de faire naftre dans lame humaine toutes sortes de mmwvais sentiments, elle donna son consentement & un théatre qui n'était que le prolongement de llenseignement religieux sur le plan drama tique, Ce theatre présentait non point homme on tant qu'individa, mais Uospece humaine aux prisus avee la loi di- vine. La moralité était en fait une transposition seénique, visuelle vt orale, de la doctrine chréticnne sur le bien et le mal, le ciel et Menfer, la faiblesse de Ia créature et te pouvoir aunlime du eéuteur, Comme dans la version moderne quiont établie de 1a moralité Hoffmannsthal ot Reinhardt, le héros était toujours "Everyman" (Monsieur Tout lo Monde}. Ou bien, lorsque le theatre religicux ne transposait pas dramatiquemcn* des enseignements che Hens, il présentait la vie du Christ dans des "Passions", Mais ctest la monarehie gut a ou te plus vivement conscience de importance du théatee, en ce quelle a vu A a fois ornament et comme la mesure de sa gloire, et Von ne saurait douter de la sagesso de cotte concoption en considérant dlautre part le caractére combien éphemere des conquétes faites par les armes et la diplomatic. Pre~ none exemple de Lovis XIV, de France, qui, sclon Sainte-Beuve, "n'avait que du hon sens, ais en avait beau= coup", ct dont le regne fit un des plus longs vt des pls brillants des temps modernes ; son systeme compliqué dlalliances, destiné A mettre la France 4 Vabri des Invasions, nien fut pas moins menace déja de son vivant, et en moins d'un sidcle, son neuvre immense de conquéte st de consolidation dev conquétey fut entidrement détruite, et ho fut ensuite reprise que gour dire de nouveau anéantic, Mais lw théatee que son régne inspira, et qui constitua Hornement de ce rgne, nia cossé de resplendir ct sa gloire rejaillit encore sur Louis XIV. On ne pout penser & Cornville, & Racine, A Moliére, sans évoquer le Roi Soletl, de méme quion we peut penser 4 Schiller et A Goethe sans évoquer Ia figure du Due de Weimar, Aurait-on jamais parlé du Duc de Weimar si Goethe n!avait pas organisé et dirigé son theatre de cour, écri- vant pour lui des pidces, et encourageant Schiller Aen composer ? Weimar était une desnombreuses petites prin- cipautés de Vempire austro-allomand du XVifle aitcle, et son duc tavait aueun rSle Lmportant en politique. Mais le drame clagsique allemand, ca prenant naissance dans son diché, lul a conféré le prestige durable d'un grand prince, Pendant tout le XIXe siecle ct, en fait, jusqu'a 1918 et & Uavenement de tn Kepublique de Wuimar. tous les princes allemands, grands ct petits, s'appliquécent & imiler le Duc ami de Gocthe, Leur Hoftheater faisnit leur Herté et leur jale ; pour Pentretenin, mul sacrifice p'était trop grand, Entre res Altcsses sérénissimes, c'était méme 4 qui monterait les spectables les plus nombreux et les meilleurs. Les princes allaient jusqu'a se voler les uns aux autres les directeurs, les metteurs on scene, les actrices of avicurs principaux, Certains de ces theatres de cour ont joué un réle dans Vhistoire de Uart + je pense en particulier au théatre de Meiningon et & celai de Darm~ stadt, qui eurent tant dlinfluence sur la mise en actne ct le jeu des acteurs. Parmi les protecteurs coyaux du theatre, (un dleux mérite au moins qu'on sfarréic un instant & mesurer tes consequences de sa générosité envers les artistes : clest le Roi de Sutde Gustave Il], qui aprés avoir visité le thé- Atre quo Frédéric le Grand, son oncle par mariage, avait fait édificr pour Mtalien Barberini, décida quy ta salle jadis constrnite par un de ses ancétres dans la residence dléte royale de Drottningholnt située dans une petite Ne Ue Ia bantieue de Stockholm - ne devait pas seulement scrvir de cadre 4 dloffielellos soirées théatrales données de temps en temps. En quelques années, Gustave fit de cette salle minuscule le theatre le plus vivant peut-Cire et le plus dynamique WEurope. Dramaturges, musiciens, acteurs, décoratours,, tous acceptaient avec empressement Vhospitalite que leur offrait le roi. Ce theatre était, tout au long de lannée, le siege dune passionnante experience et dine magnifique renaissance artistique. Quand, vers la fin da XVUlle sidele, Gustave fut assassing au cours d! lun bal masque par un ennemt politique, le thédtre se ferma et tomba dans Voubld, jusqu'a ee qwun jeune étudiant a!Upsala, préparant une thése de doctorat, peu apres 1920 vint visiter le charmant domaine of se trouve le chateau de la Reine, A une quinzain de minutes en auto do la ville de Stockholm, Purctant dans le foyer du théatre, que remplissaicnt les vieilleries, il arriva jusqi't In salle rostée intacte, dans (lat méme oll elle se trouvait le soir 90 Gustave fut poignardé. Le jeune éludiant est devonu maintenant le professeur Agne Beijer, administratour de ev theatre of se jouent chaque été des opéras. La musique qui y résonnait jadis au temps de sa premiére splendeur continue dly attirer le public international, les artistes et les amateurs dopéra. C'est 18 un des prinelpaux thee tres-mustes du monde, digne diéire Gtudié par tows reux qui s'intéressent 4 art dramatique: ART/S - page 4 Les divtateurs également ont eu conscience de Vimportanee du théatre. Napoléon fer, par exemple, qui aimait Vart dramatique, savait quiily avait IA de quoi rehausmer ausel ('éelat de son empire. Rappelons a cet égard le Congrés des Princes qu'il convoqua 8 Erfurt en 1808, Ce fut une manifestation grandiose, congue pour séduire les satellites effrayés et les alliés hésitants, Pour cela, Napoléon tit venir le plus grand acteur francais, Talma, et avec {ui la troupe de choix de la Comédic franguise, réalisant ainsi ce qu'un témoin a appelé "une veritable levée en masse des tragédiens", Tlnty avait qu'une chose ficheuse dans cette "lovée en masse" : toutes les tragédies Uataiont de Pépoque de Louis XIV, car les auteurs frangais contemporains a'écrivaient que des comédies, et des plus légbres. Ce regrettable état de choses irritait des plus vivement Napoléon, qui ne saisissait pas pourquoi, Tui qui offrait A son peuple une épopée vivante, It devait se contenter des insipides vaudevilles du trop fécond Dé- savgier, Ce quiil ne pouvast pas, ou qu'il ne voulait pas, comprendre, c'est que ta censure qu'exergaient en son om Fouche et Savary, sévére au point de supprimer certains vers de Corneille jugés subversits, n'ineitait per~ sonne A écrire de grands drames, Crest A ce Congres d'Erfurt que Napoléon eut avee Goethe la céltbre conversation au cours de laquelle il sug- ora’ ce dernier d'écrire une nouvalle "Mort de César", d'un tour plus constructif ; cette nouvelle Mort de César devait prouver au monde que César aurast fait le bonheur de Uhumanité si seulement on lu avait laissé Te temps: dtexéeuter ses vastes desseins, Goethe, qui était un grand admirateur de Napoléon ~ a notre époque, it aurait pro- bablement été condamné pour collaborationnisme -, trouva la proposition d'une simplicité et d'une habiteté admi- Fables ; cependant {Ine la réalisa jamais. Et Von voit Jef, en un résumé saisiseant, le probleme que pose le theatre & tous les dictateurs ainsi qu’ tous les dramaturges qui se mettent A leur service : jamais les exigences de art dramatique et celles de Vopportunité politique ne coincident. Vota pourquot les dictateurs ne troavent jamais leur compte & vouloir soumettro le théa= re a leur censure et & lit imnposer leurs idées, co qui nlempéche qulinvarlablement (ls essaient de le faire. Hitler fut un de ces dictateurs qui, bien qu'aimant le theatre, se méprennent singulitrement aur sa nature, Un fait particuibrement caractéristique A cet égard est qu'Hitler, le Troisiéme Reich a peine né, plaga le theatre e1- Temand sous le cantrole du Ministre de la propagande, dirigé par le Dr Goebbels. It n'aurait pu proclamer d'une fagon plus criante ses intentions 7 il voulait transformer "institution morale" de Sehiller on un instrument politi- que, Comme on pouvait sty attendre, cette mesure nteut qu'un effet négatif : i fut impossible d'écrire des pitces dans lesquolles on plaisantat le régime ou bion dénongat les horribles et tragiques conflits provoqués par la mons trnoaité de ses principes et de ses lois ; et dlautre part, personne n'écrivit de pitce exaltant Videologie nazie. En nit, pendant les douze années que dura le nazisme, pas une seule pice de quelque intéret ne fut montée an Allema- gne, De méme, pas une seule pivce étrangtre de quelque originalité ne parut dans les thédtres allemands, of pour- tant on est curieux en général de choses nouvelles et ot Von fait preuve d'un godt véritablement universel. Méme certaines des oeuvres classiques allemandes furent mises & I'index par les nazis, en particulier Nathan le Sage, de Lessing, pitce prdnant la tolérance raciale et que Von jugeait par conséquent des plus subversives. La censure pourtant n'était pas absolue : Goebbels estima pas opportun d'interdire Schiller, de sorte qu'on entendait les spectateurs allemands éclater en applaudissements significatifs toutes les fois que le Marquis Posa pronongait ces paroles oélebres : "Sire, donnex-nous la liberté de pensce ! Nous aurons Voceasion de reparier, dans un autre ordre dlidées, du thédtre totalitaire, Qu'on me permette du moins dlobserver des maintenant quo si la censure appauvrit le répertoire, il ne faut pas croire qu'elie tue le thé- Aire. Rien ne pout tuer le théatre. Nous l'avons dit, la réalité n'est jamais si terrible qu'elle puisse faire dispa~ vaftre dans ame des hommes V'aspiration vers "le monde dont on se rappelle confusément les beautés". C'est ainsi que, méme avec un cholx de pitces limite, les Allemands, sous le régime nazi, se précipitaient vers les sal- los de spectacles, pour chercher & y oublier l'épuisante fatigue des bombardements et de Vimminence de ta défaite. ‘Tout cela indique bien que la vitalité dy théAtre tient du miracle, En ce moment méme, elle staffirme dans le monde entier et dans les conditions les plus diverses, En certains pays, le théatre mene une existence libre et saine ; dans d'autres, 11 doit staccommoder de contraintos idéologiques qui menacent de W'étouffer ; mais on peut parler & coup str que, longtemps apres la mort de cas idéologies, le théatre, lui, sera encore bien vivant, Voyons maintenant plus précisément ce qu'il est devenu dans les différents pays depuis la fin de ta deuxitme guerre mondiale, ot quels ont été ses rapports avec la société, Pronons d'abord le eas de la France, of une tradition dlactivité théatrale est depuis longtemps fermement éta~ blie. Test amusant de penser que c'est en 1812, alors que son armée piétinait & Moscou, que Napoléon dressa le plan de la réorganisation du Thédtre frangais. Selon la plupart des historiens, c!6tait 1A pour Tui une diversion : il voulait se faire eroire A lui-méme que'sa campagne malhetureuse se déroulait comme fl lavait préve ; telle serait 1a raison pour laquelle fl fatsait semblant de s'intéresser A des questions civiles aussi insignifiantes que la situa- tion du theatre A Paris, La vérité est qu'en France les théatres nationaux ont toujours ¢1é considérés comme tres importants par le Gouvernement ; leur solidité inébrantable en est la preuve, My a quatre theatres nationaux a Paris : VOpéra, WOpéra-Comique, 1'Odéon et 1a Comédie frangaise. Its dé- pendent du Ministre de l'Education nationale et leur défieit d'exploitation est couvert par "Etat. Pour ne parler que de Tart dramatique, 1a Comedie frangaise excelle dans la présentation ds chefs-d'oeuvre classiques Frangais, dont, depuis trois cents ans, tous les citoyens Instruits de ce pays, hommes et femmes, ont 16 nourris ds Ven- ART/5 ~ page 5 fanee. A toutes les matinGes, om pout voir des groupes de jounes filles, que surveille une femme mélancolique, leur professcur, goftant religicusement les heautes du style d'une tragédie de Corneille ov dune comedie de Mo- Hare, On voit aussi des gens au€s suivre des lavrns le rythme des vers qui sont déclamés sur la scene - des vers quits ont appris it y a tres longtomps ct quiils nlont cessé de wonserver vivants dang leur coeur et dans leur es rit. ‘On ne connaft rien des Frangais si on ne connaft leur thédtre classique, qui constitue le fond du langage et des attitudes mentales et affectives méme du "Frangais moyen". Ce mest pas par hasard que dans le grand roman de Proust, A la recherche du temps perdu, Francoise, la servante, parlo le frangais noble et pur du grand siécle. ILy a également quatre jeunes compagnies, subventinanées par I'Etat, qui font des tournées dans tes villes de provinee, privées du plaisir du théatre, car Vorganisation du théatre en France est enti¢rement centralisée a Pa- ris ; méme les grandes villes de province n'ont pas de troupe permanente, Du moins ces compagnies sont-elles dtune haute valeur ; chacune ne monte que quatre ou cing pices par an, ef les joue pendant un mois environ, géné~ ralement raison d'une représentation par soirée et par ville ; les népétitions durent trois 4 quatre semaines, et ont jamais lieu pendant la période des représentations. Le theatre commercial, qui est pléthorique A Paris, dispose de quelques trés grands acteurs et actrices, mais souvent, les rdles se: wodaires sont médiocrement tenus, ct les décors, comme In mise en scéne, laissent a dési~ rer. Actuellement toutefois, le theatre en France est extraordinairement favorisé en ce sens qu'aucun autre thea tre au mondo ne compte des auteurs dramatiques d'un pareil talent, Ils sont une dizaine qui présentent chaque an- née une nouvelle pitce, quelques-uns méme plus souvent, Je veux parler de Sartre, de Montherlant, de Cocteau, de Salacron, d'Anouith, de Camus, d!Aymé, de Roussin ~ sans oublier Henry Bernstein, au vivace et robuste t lent, et certains auteurs moins féconds, mais fort distingués, comme Claudel, Mauriac et Gabriel Marcel. En dehors du théatre classique, il existe en France une autre"tradition : celle du théatre “intime" ow dlessai, spécialement destin 2 satisfaire Ie gott de certains gourmets ou de ceux qui veulent A tout prix "autre chose". Ces thedtres d'essai provoquent 'éclosion de nouveautés. Le plus remarquable est probablement le Théétre national populaire, que dirige Jean Vilar, Ce dernier a introduit en France, non seulement Mere Courage, de Vauteur com- muniste allemand Bert Brecht, mais aussi cotte merveille qu'est le Prince de Homburg, de Heinrich von Kleist, auteur allemand du debut da XIXe sitcle, oeuvre qui nlavait jamais encore été traduite en frangais. Vilar fait des tournées avec sa troupe pour atteindre un public qui ne pourrait venir & lui ; et Yon notera a cet gard une expé- rience amusante dans Vordre des rapports entre le théatre et la société : pour intéresser ce nouveau public au thé- Atre, il organise des réunions od les spectateurs coudoient les artistes, et méme des bals o& l'on danse ensemble Mais c'est en Allemagne quo le thédtre fait réellement partie intégrante de In vie quotidienne. Par bonheur, immédiatement apres la guerre, les autorités doccupation alliées comprirent que la réouverture des theatres @- tait aussi urgente que ~ disons - la réparation des canalisations, et beacoup plus urgente que l'enlévement des dé- combres. Ce fut une entreprise considérable, étant donné que toutes les grandes villes, et presque toutes les petl- tes, avaient leurs théftres et que 99 % de ceux-ci avaiont été complétement détruits par les bombardements aé~ riens. C'était le cas notamment de tous les theatres d'Etat, & "exception de deux ; ces théstres d'Etat n'étaient en réalité que les anciens Hoftheater sous un autre nom ; les différents tats en avaient simplement pris possession lorsque les princes avaient été déposés, en 1918. Liorganisation était restée essentiellement la méme sous la Ré~ publique de Weimar, ainsi que sous le Troisitme Reich ; administration des thédtres était & la charge de chaque Etat qui, avec Vaide des villes, couvrait le deficit d'exploitation. Crest essentiellement sur ces théatres d'Etat que reposait la culture dramatique en Allemagne ; aussi, en dé pit des défaites, les représentations devaient-elles reprendre, Cest ainsi que, dis l'été de 1945, on vit des thé- Atres de fortine s'installer dans des brasseries, des clubs, des bourses ot méme dans des batiments en raines pour peu qu'on y fat & Vabri de la pluie, On y jouait de tout : des ocuvres classiques, des opéras et de nombreuses pices étrangeres, Au temps de la République de Weimar, il y avait 257 théatres, dant 147 étaient des thédtres d'Etat ou muniei- paux, 56 des entreprises commerciales, et 54 des salles spéotalisées. En 1948, dans la seule Allemagne occiden- tale, clest-a-dire sur un territoire beaucoup moins étendu, il y avait Géja 114 theatres, dont 88 étaient subvention- és ot 26 fonctionnaient sur une base commerciale. Précisément parce que I'Allemagne occidentale est privée de centre culture! - Berlin en effet est & Vheure actuelle un avant-poste, non une capitale ~ la décentralisation du thé tre, que la République allemande a héritée de la monarchie, présente une importance nouvelle, Quelques-uns des plus habiles directeurs allemands ont repris exploitation de certaines salles, dans de petites villes de province, oils organisent das représentations remarquables. Cependant, test Berlin qui demeure la ville du théatre par excellence ; 1A, le sectour oriental rivalise avec le secteur occidental on matiére de spectacles. Pendant queleme temps, le secteur oriental a eu une léghre avance sur l'autre ~ pour la simple raison que chez les Russes comme chez los Allemands, le theatre est traditionnellement subventionné par 1"Etat ou par les munieipalités, tradition. qui est étrangbre aux occupants de langue anglaise. Clest ainsi que les huit theatres du secteur Bst de Berlin re- Solvent des subventions de I'Elat ou de la municipalité, ou des doux A la fois, tandis que, dans to secteur Ouest, trois seulement en regoivent. Tes Allemands ont encore quelques acteurs et direetours excetlents, mais {ls n'ont que deux auteurs dramati- ques, Liun d'eux est Uécrivain communiste Bert Brecht, qui réside dans la zone orientale, mais dont les oouvres Sont exécutées également en Allemagne occidentale, Son activité de propagande est relativement discrete, Sa der= ART/5 - page 6 nibre pita, que nous avons montionnée AA, Mave Courage, est um exemple du thidtre dit ¢pique qui a fat son pparitioe on Al y t a “a triste toire de ceite fille A sol: cpparition cn Allemagne ily a pres dane treniaine Wannées, En rotragant la triste histoire de celte tll Poe eoasoc ses enfants, sulvait tes armen pendant In gucrre de ‘Prente Ans, auteur entond montrer que [a ato au ; Sat tee ae chose safernate smais Nr monte mused sautce chose, A savoir quil importe pev qu'on soit dane un se ltans un autre toujours Talore rst infernate, Cortains signes permettent de penser quan paciisme eee eins avec tout ee quit Impliqu, nest pas du got dev Kusues, vt qufon consbquence, Brecht est en dé- Le Gi Zuckmayer est le seul auteur dramatique allemand qui tire ses sujets de Vhistoire européenne des vingt der- nidres années, Pour sa derniére oeuvre, it a choisi comme thbmo la résistance frangaise, Il est surprenant a! ailleurs que, dans un pays of abondent les sujets de drames ct de tragédies, il n'y ait pas d'autres éerivains pour tirer parti d'une matibre auesi riche ; jusqu'a présent, Zuckmayer reste le seul. La plupart des oeuvres dramati~ ques jouges en Allemagne occidentale sont américaines. Ceriains des succés de Broadway, comme Life with Fa ther et Voice of the Turtle, ont été bien accusillis, Mais dlautres, comme The Women, ont df leur réussite & une méprise ~ méprise dangereuse - des Allemands, qui ont vu dans ces pices une peinture de la vie méme que leurs conquérants ménent cher, cux. Le fait est que certaines des comédies qui viement d’Amérique sont si étrangeres A ta mentalite et a In manitre de vivre des Européens, que ce public est absolument incapable de distinguer la ré=- lite de la satire ou de la fantaisic, et qu'il ressort du theatre plus seeptique encore qu'avant & égard des Améri- cains. Clest A ce propos que je pourrals, si jfon avais le loisir, traitor d'un aspect particulier du théatre moderne la difficulte que le traductour rencontre & trangposer une pibce dune culture dans autre. Clest 1a un probleme sériews qui malheureusement se posera aussi longtemps que les cultures régionales engeadreront un theatre ré- ional, Autant vaut peut-6tre présenter ici une courte observation sur cette opinion courante selon laquelle te nombre de bonnes pitces nouvelles est bien faible, ce qui présagerait Ia fin du théatre. .. Mais quand donc, je vous te de~ ‘mando, a-{-on éerit plus de bonnes pikes que maintenant ? Cortainemant pas au temps de Goethe, Entre los chefs-doeuvre que Schiller et Iui écrivaient pour le théatre de Weimar s'étendaient de longues périodes creuses, pendant lesquelles Goathe était heureux de faire appel a la collaboration de Kotzebue ou de quelque autre auteur de Second ordre. Il semble done que, le theatre devenant de plus en plus cosmopolite et les piéces & succds étant tra~ duites et adaptées de pays A pays, les salles ont la possibilite de choisir, sinon entre des chefs-dlocuvre, du ‘moins entre des pices plus intéressantes qu'il n'était possible de le faire & aucune autre période de l'histoire, si ce n'est dans ancienne Gréce, Ce caractire cosmopolite du thédtre est partivuliérement frappant en Europe septentrionale, A Helsinki, & Osio, & Stockholm, on peut voir un soir telle pibee de Giraudoux, le lendemain tolle pidee de T.S, Bliot, le eurlen- demain Un Tramway nommé désir ou Le Général du Diable. Dans les pays scandinaves commo en Allemagne, le theatre est, si Von peut ainsi parier, Te pain quotidien de Ia culture et V'on trouve des salles non seulement dans les capitates, mais partout en province. Prenons l'exemple de la Suede : Stockholm, qui a moins de 800.000 habi- tants, posséde 16 théatres excellents ; et il en est également de trés bons dans la plupart des villes de province. En outre, une compagnie thédtrale nationale fait des tournées dans plus de $00 localités, d'un bout A Vautre du Pays. Ces grandes entreprises sont financées par I"Etat et les munioipalités, tandis que quelques tournées et thea- tres en plein air le sont par les syndicate, Passons maintenant au théatre de longue anglaise. A la différence des pays du vieux continent, ol le théatre Jouit depuis tongtemps aun grand prostige, Tes pays de langue anglaise ne lui ont reconnu que par intermittence le caractére dun art digne de ce nom, Nien Angleterre, mi aux Etats-Unis, on ne voit dans le tneste un clement in dispensable de la vie culturelie, comme en Aliemagne ct dans les pays scandinaves, Lattitude pwritaine & égard fu thédtre, qu'au temps du Commonwealth 'Angleterre on condamnait comme "un ensemble de spectactes coupa- bles. paiens, impudiques et impivs, une antreprise de corruption des plus pernicicases" - je cite William Prynne- cette attitude subsiste encore plus ou moins inconscierment chez tes Angto-Saxons, Quand, par exemple, le Gou- yemeur de UBtat de New-York, au conrs dhine période recente a le charhon manquait, envisagealt de fermen tous tes thédtres, salles de paris et salles de jeux de quilles", iL rangeatt evidemment le théatre parmi les dis teactions, au Yeu do tui reconmaftre sa valeur duastitution culturelie, Pourtant on a de plus en plus conscience de Vimportance que te theatre présente pour ka civilisation, et de la pratection qu'il mérite. A cet €gard, Mintercl que le Gouvernement britannique Ini porte depuis quslqves annces est Significatif | si certains pays continentaux lui con sacrent des sommes incomparahiement plus élevées, du moins le Gouvernement britannique est-il devenu un veri ARTS - page 7 table protecteur du thedtre - et cela sans chercher en aucune manilve A entraver son Libre développement ou & Vutiliser & des fins de propagande En Grande-Bretagne, il n'y a pas de ministére des beaux-arts, ni rien qui y resemble. Dans ce domaine, clest VArts Council of Great Britain, doté en 1948 dlune Charte royale, qui exerce Vautorité, L!Arts Council est ane institution remarquable, Ses statuls lui donnent pour mission exclusive de développer "la connaissance, ta comprehension et la pratique des heaux-arts, ot en particulier de rendre coux-ei plus accessibles au public. Bien que fonctionnant sous les auspices du Gouvernement et avoe une subvention de I'Btat, l'Arts Council n'est nullement un service officiel et a sa pleine indépendance. [lest divisé en trois sections : celles du theatre, de la musique ot des arts. En 1950-1951, la subvention annuciie que le Trésor britannique lui ectroie s'est élevée A 875, 000 livres. Le Conseil 2 son tour, accorde son aide financitre & des groupements sans but lucratif ou & des fondations charitables, qui organisent & intention du public des disteactione d'un niveau élevé. Les accords fi nanciers que le Conseil conclut avec ses "organisations associées" ~ ainsi qu'on les nomme - sont de forme di- verse, [I slagit tantot de préts, tantét de dons purs et simples, tantat diume garantie limitée contre des peries. Dans ensemble, ls pol a jue du Conseil consiste & soutenir les entreprises plutdt qua instituer uno organisation officielle des distractions. En 1950, les “organisations associées" comptatent huit festivals, cing théatres, ving!- cing compagnies theatrales, sept troupes d'opéra et de corps de ballet ; ily figurait des organisations aussi eéls- bres que les compaynics de Sadiers Wells et WOld Vie, le théatre national non officiel de la Grande-Bretagne. L'Arts Council accorde également son aide & 'Old Vic School, tandis que la Royal Academy of Dramatic Art est directement subventionnés par le Gouvernement, Aucune autre école dramatique de Grande-Bretagne ne regoit june aide de lui, mais en revanche des autorités locales comme les County Councils et les Borough Councils ac~ cordent des bourses & leurs éléves les plus brillants, Test hors de doute que 1'Arts Counoil exerce sur le theatre britannique ne influence stimulante, of i faut espérer que son activité féconde ne souffrira pas dune diminution des erédits qui tui sont alloués. Tournons-nous maintenant vers ls Etats-Unis et lour théatre. Colui-ci est unique en son genre, en ce qu'il dépond encore presque entibroment de concours privés, Ni le Gouvernement fédéral, ni les Btats, ni les munici- palités ne lui viennent en aide ; seul, le Barter Theatre de Virginie regait de (/Etat une subvention annuelle de 10:000 dollars. Le théatre américain doit done faire de W'argont lui-méme ou disparaftre, Aussi s'est~il élablé un systtme d'organisation théatrale qui a pour centre Broadway, & Now-York ~ un bien petit coin dane l'immensité du pays. Dans les quelques Mlots qui constituent le quartier di Broadway theatral, 90 pices ~oeuvres nouvelles ou reprises - ont été montées au cours de la saison 1950-1951 ; 21 autres pidces, qui avaient €16 jouées déja les sai- sons précédentes, ont reparu sur Vaffiche, On estime qu'au cours de la présente saison le nombre des spectateurs des thédtres de Broadway a atteint 9.260.090 - ot c'est le chiffve le plus has qu'on ait jamais enregistré. Bien des gens affoctent de dédaigner le “mercantilisme grossier” dv theatre de Broadway, Nl met au premier rang, disent-ils, la forme thédtrale la plus triviale : la comédie musicale, 11 est oxnct qua co gonre jouit A Broad~ way dlune grande popularité ; cortaines de ces oeuvres tiennent I'affiche pendant des années. Mais il n'est pas moins exact, comme le signale Rosamond Gilder, que la comédie musicale américaine est devenue "ane forme @lart veritable, quiont portée a sa perfection les efforts communs d'écrivains, de musicieas, dlartistes, de cho- régraphes et de metteurs en scene, tous extrémement compétents. " Cortaines de ces pidcos, dune étincelante aaieté, constituent 4 notre époque harassante une distraction d'une essentielle valeur. Tl semble au surplus que le godt de Broadway, malgré ce mereantilisme sordide, est partagé par de nombroux pays, quoi qu'on puisse en penser. La preuve est dans accueil qui est fait presque partout & maints succts de Broadway. Jo répéterai ici ce que jlai déja dit : les grandes ocuvres n'apparaissent pas en série, et je crois quien fait de pitces intéressantes Broadway fournit plus que sa part. En outre, il est plusieurs compagnies, comme col- les & organisation desquelles contribue l'American National Thoutre Association, qui apportent un concours pré cloux aux theatres régionaux d'Amérique. Créée depuis peu, VANTA a déja présenté & ses abonnés, entre autres oeuvres, une tragédie greeque et des pieces choisies parmi les meilloures d'lhsen, de Lorea et de James Barrie ; clest aussi grace & VANTA que Jouvel ct sa troupe ont pu venir en Amérique, ce quia donné aux New-Yorkais occasion de voir le grand actour dans I'Reole des Femmes, peu de temps avant qu'il mourdt si prématurément, Le détaut que révble Vorganisation du théatre en Amérique, avec sa dépendance absolue des capitaux privés, réside non pas tellement dans le mereantilisme de Broadway, mais dans le fait quien dehors de Broadway il nlexis~ te pour ainsi dire pas dlantre thédtre professionnel, Ce facheux état de choses est incomprehensible pour les Eu ropéens ; il semblerait indiquer que le théatre ne jowe quasiment aucun réle dans la vie quotidienna de I'immense majorite des Américains , onen tire le plus souvent Is conclusion que le théaire est totalement supplanté par le ci- nema, La réalité nest pas aussi sombre. D'abord, iy a des tournées, qui vont présenter les pitees de Broadway dans les grandes et les petites villes du pays. Puis, ily a les théatres dits d'été qui, dans beaucoup de localites, jovent entre juin et octobre et font salle comble. U existe aussi des troupes professionnelles permanentes qui jouent en hiver ; Il ya une trentaine d'années, elles se comptaient par centaines ; depuis, leur nombre a diminué au point quiil n'en reste plus que quelques-unes ; mais leur activité a repris ces derniéres années, cu qui est ca ractéristique et du meilleur augure. ART/S - page 8 fl reste cependant ~ c'est une chose quta étranger pou de gens savont ~ quiaux Etats-Unis, en réalité, ce sont dos amateurs plutot que des professionnels qui cultivent art dramatique, Le théatre d'amatcurs sous toutes Ses formes - theatre de communauté, thédire éducatif et semi-professionnel ~stest constamment développé au Cours dus ving! derniéres années et A un rythme vortigineux. Si l'on prend ensemble des groupements qui te Constituent, on constate que le théatre dlamateurs est de cinquante & cent fois plus Important que le theatre profes~ Stonnel, Dans une ville telle que Détroit ou Cleveland, plus de 500 pitces par saison sont montées par des ama~ fours. Des dizaines de milliers d'autres le sont dans Vensemble dy pays par pros d'un demi-million de groupe ents, Meme dans des hameaux de 50 habitants, on trouve quefque groupement de ce genre ; toutes les écoles se~ Condaires, lous les colleges universitaires en ont un ; et certains font d'excellent travail, notamment en ce qui conceme ies décors et les costumes. Tl existe ax Etats-Unis environ 300 thédtres moderes, trés bien équipés, Gui surpassent maint théatie professionnel de Broadway pour ce qui est des perfectionnements techniques. Le Seal reproche qu'on puisse adresser av théatre dlamateurs est qu'il est encore moins enclin qu‘on ne l'est & Broad= way A faire des experiences. Une étude intitulée A Survey of College and University Play Production a montré quen 1948-1949, sur les 403 pibces qui avaient été Jouges dans 128 colleges ef universités, 11 seulement étaient uouvel- tes, et que la plupart étaient des revues ; en d'autres termes, les colldges et universités montent surtout des pit- ces qui ont déja connw le succes sur les actnes commerciales. Ien est de méme pour les théatres de communau- te} ume enquéte a fait apparaftre quien 1949-1950, sur 879 pices qui avaient été joubes dans 185 théatres de com- munauté, 45 sculement étaient nouvelles, tandis que 709 venatent de Broadway. Que peuvent donc faire, se deman- Gera-t-on, les jeunes auteurs dramatiques de talent, condamnés au silence parce que le mercantilisme grossier de Broadway leur Ste toute chance d'etre joués ? On bien, les thédtres d'amateurs sont-ils si timorés, manquent~ {ls & ce point de sens critique qulils ne veuillent ou ne puissent reconnaftre le talent s'il n'a d'abord été consacré par Broadway ? Cependant, on est loin de se désintGresser du théatre aux Etats-Unis ; une aide intelligente, si modeste fat-el- le, permet trait dlavoir un plus grand nombre de bons théatres professionnels, au moins dans les grandes villes. Cette aide deveait venir des municipalités et des Ptats plutat que du Gouvernement fédéral. Le moment est vem pour les autorités de reconnaftre au thédtre la place éminente qui lui revient dans la structure de la société amé- Nous commengons A comprendre, en ce pays, qulon ne saurait comparer le cinéma au theatre, Pour ce qui est de “eréer' un public, le theatre, avec ses acteurs vivants, a un énorme avantage sur le cinéma, dont action dra~ ‘matique mécanisée porte moins. Sans doute, y a-t-il de temps a autre de grands films, mais en général, l'emploi prédominant de moyens mécaniqnes ahoutit plutdt A des effets d'habileté technique que dlexcetlence artistique et ne Saurait gure engendrer les satisfactions profondes que donne le théatre. Jetons maintenant un coup d'oeil sur Ia situation du thé@tre dans les autres pays du mondo, en essayant dy dé- couvrir quelques faits caractéristiques et des indications pour Vavenir, Voici par exemple l'Islande, of le premier theatre national s'est ouvert en 1950, Voici Italie, of le Gouvernement accorde 8 des compagnies théatrales pri- vées des subventions n'attdgnant pas moins de 383.000 dollars, et la Belgique, of le Gouvernement répartit 340, 000 dollars ontre le theatre de langue Irangaise et le théatre de langue flamande, En Thailande, Uannée 1949 = #16 marquée par ouverture, dans le ville de Bangkok, grace a Vinitiative d'un groupe déhommes d'affaires, d'un theatre pourvu des deraters perfectionnements qui joue surtout des pitces modernes.~ traductions dloeuvres oc cidentales, ou pitces siamoises originales. La Turquie connaft une véritable renaissance théatrale, De nouveaux theatres surgissent partout. Liintérét que prend le public a Tart dramatique est extraordinaire. La plupart des pidees viennent des pays occidentaux, en particulier des Etats-Unis, mais les auteurs dramatiques que compte la Turquie commencent & créer un théatre of s'exprime la vie de leur pays, A Rio, au Brésil, 14 salles fonetionnent, Gont te Théatre de Copacabana qui, la saison dernitre, a monté quatre oeuvres nouvelles dautcurs brésiliens. En Grace, lactivite théatrale ast immense : au cours de ia saison dernitre, quinze compagnies ont monté 60 pidces, dont certaines étaient de remarquables créations grecques. ‘Tout cela montre bien que, dans Vensemble du monde libre, le théatre est extraordinairement vivant, Reste maintenant a se poser la question : quel est le sort du théatre dans le monde of n'existe pas la méme liberté : le monde de derritre le rideau de fer? IL n'y a sans doute aucun autre pays o& Yon soit plus attiré vers le théatre quien Russie, Les noms dlun Sta~ nislawski, d'un Mayerhoff, d'un Tehekhov, éveiltent des souvenirs enchanteurs au cocur de tous les amateurs de theatre. Jusque vers 1936, le thédtre soviétique vivait dans une Liberté relative : les acteurs jouissaient de grands priviléges ; ils étaient bien logés, bien vétus ot bien payés. Le Kremlin, se rendant campte de la réputation mon- diale quiavait le theatre russe, n'en était pas peu fier. Il Vest toujours d'ailleurs. Moscou compte encore cinquante grands théftres nationaux, dont chacun a ses traditions et son style particuliers, Le niveau des spectacles est en- core des plus ¢levés. Mais dlannée en année, le contréle et la censure posent plus lourdement sur ta pensée qui anime ces merveilleux théatres. Staline, comme tous les autres dictateurs avant lui, est farouchement resolu faire de art dramatique un instrument de propagande politique, Certes, on peut e wre jouer en Russiv Gogol, Tolstof, Tehekhov, m€me Shakespeare et Calderon, Mais en gé- néral,, les pitces qui ne stinspirent pas di message marxiste sont stigmatisées de qualificatits tels que "formalis~ tes", "naturalistes" ou "cosmopolites", co dernicr représentant la plus récente et In plus grave des critiques dont Puisse étre accablé un dramaturge russe, Quiun auteur soit soupgonne de croire 4 Vuniversalité de Vart et A la Possibilité dun rapprochement artistique entre VEst et Ouest, test aussitot Vobjet de la désaffection géncrate. ART/S5 ~ page & be meme, on ne peut que stapiteyer sur fe sort des autours dramatiques qui sont tancés par la Pravda pour avolr nogligé certains themes inspirés des grands projets d'Clectrification et @irrigation, des exploits accomplis par ws travailleurs progressistes et les Kolkhioziens, ou du développement de ta culture et du confort en Russie. Com- mo il est regrettable que toujours les dictateurs confondent les pices do thétre avec des tracts de propegande Le résultat en est que la nouvelle littérature dramatique de la Russie est extrémement pauvre, et comment pour- rait-il en étre autrement ? En Pologne, en Tehécoslovaguie et dans tous les autres pays satellites, on se rbgle en mative de théatre sur les prescriptions de Moscou, La auiesi on considere en principe Te theatre comme un instrument destiné & faire Education du parfait eitoyen communiste, ot ('on voit dliin mauvais oeil les pibces "eontre-révolutionnaires™ qui ‘exposent des opinions contraires la politique du parti, Fn pratique cependant, quelques concessions y sont en core faites au goft bourgeois. La Pologne, en particulior, of Yon a la passion du theatre, accueille encore les comédies musicales de style américain, Tl est intéressant de signalor & ce propos que Varsovie, ville de 700, 000 hhabitants, a douze théatres professionnels et seulement neuf salles de cinéma c'est Ia seule grande ville du monde qui posstde plus de théatres authentiques que de cinémas, et les Polonais prétendent que dix theatres de plus feraient encore salle comble. En Tchécoslovaquio, Mrs. Warren's Profession et The Importance of Being Earnest connaissent toujours le suceds, mais les nouvelles pices teh®ques sont pour ta plupart de tendances net- fement politiques et strictement marxistes. Quelques-unes, notamment L'honorable Ueutenant Baker, d'Ota Safra~ heck, ne sont pas autre chose que de la propagande anti-américaine. Sous la censure et le contréle moral, je Wai déjd dit, le théatre étoulfe, mais il n'en meurt pas : rien ne peut e tuer. Cotte indestructibilité, cependant, ne saurait nous contenter, et nous devons chercher les moyens d'sssu~ rer son plein épanouissement, un un temps o0 Vhumanité souffrante a tant besoin de Vaide spirituelle qu'il peut, tui apporter. Les anciens Grecs connaissaient l'effer salutaire du théatre, Sur les callines qui dominaient Epidaure, cette grande ville-hopital, ils avaient construit un vaste theatre ; les malades qui se faisaient traiter par les eaux béné- Fiques des sources allaient d'autre part s'y soumettre & la thérapeutique spirituelle que dispense Vart dramatique Le theiitre est resté cet agent de thérapeutique spirituelle, Le clown comme le podte font partie du personnel chargé de rendre & tous ta viguour et la santé ; l'un et Vlautre permettent & l'homme de se purifier et de se régené~ rer par examen de soi. Clest pourquoi le théatre doit recevoir une aide officielle, de préférence par Vintermé- diaire dlorganismes régionaux, et non fédéraux. Bt il ne doit étre soumis & aucun contréle politique, Dans le do- maine des droits de l'homme, le théatre est un des secteurs vers lesquels 'Unesco dirige particuliérement ses efforts. Le respect dans tous les pays de la liberté persomnelle et de la Liberté intellectuelle, Ia joulssance par ehacun dans un monde pacifique de la santé du corps et de Mesprit, ne sont que les conditions nécessaires & Uhom< ‘me pour pouvoir ensuite s'enrichir par la culture des arts. Les fins idéales de l'art sont dlessence aussi abstraite fet subtile que celles de la démocratie. La démocratie est um mouvement, une ardente aspiration vers la réalisa- tion du bien spirituel de I'homme, et la preuve méme que ce bien existe. Quoiqulelle eo:t incapable par nature @latteindre jamais A absolu, & un point d'aboutissement Hnal od l'homme puisse un jour starréter, et regarder derrigre soi les étapes qu'il a gravies vers la perfection, la démocratie ne doit jamais cesser de progresser, si- non la civilisation devra périr. Le thédtre, en tant que forme de Wart, est un foyer lumineux, et les gouverne= ments ont le devoir d'entretenir ce foyer, pour qu’ sa lumiere l'homme puisse, a chaque pause de son long voya~ ge, stexaminer lul-méme et tirer de cet examen un encouragement a reprendre la raute de son destin.

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