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Texto @) iikippe Bernoux , La Sori gin doy Organisation Powis , Seuil, 1965 _ pouvoir. Et ce conf 5 Trois concepts clefs de Vanalyse stratégique 1. Le pouvoir Poser le probleme du pouvoir comme le probléme central «unc organisation (et non plus les besoins ou les motivations) est une petite révolution dans Punivers des représentations de Tentreprise, Longtemps, en effet, celle-ci a été montrée, en particulier par ceux qui y possédaient une responsabilité, comme un ensemble qui ne fonctionnait que sur un consensus, On youlait y voir Pimage harmonicuse de membres (une collectivité soli- daire unissant leurs efforts pour lutter dans un univel dur, hostile, impitoyable et finissant par triompher grace Jeur union, Dans cette représentation idyllique, un peu « image d'Epinal », de Ventreprise, le jeu du pouvoir, les rivalités intetnes étaient passés pudiquement sous silence ou ignorées, ; Sans nier la nécessité dune unité, force est de'reconnat- tre que les choses ne se passent pas d'une maniére aussi harmonicuse. La vie quotidienne de toute organisation est constituée de contlits de pouvoir. Ccux-ci ne sont pas liés seulement & des ambitions personnelies, ct, par principe, Panalyse stratégique s’interdit de porter des jugements moraux. On constate que des individus et des groupes, différents de par leur formation et leur fonction, ont des objectifs qui ne coincident jamais exactement, Chacun a sa vision des moyens nécessaires pour assurer 1é fonetion- nement de ensemble, Cette vision différente entraine des stratégies pas toujours concordantes. II y a conflit de_ entraine 4 son tour le besoin d'un” 126 La théorie de rganisation _pouvoir régulateur de c té d'on “pouvoir. ‘On illustre facilement ce fait par te constat suivant Chaque grande fonetion de Pentreprise est occupée par des personnes qui ont regu une formation différente et dont les objectifs sont — en partie — contradictoires, Lopposition entre Pobjectif de la production produit de série, done ie plus homogene. poss et Pobjectif du commercial — adapter chaque produit au gout du client, done avoir des produits diversifiés — est proverbial, On rapporte 4 ce propos ta phrase d’Henry Ford & ses agents commerciaux : « Demandez- moi n'importe quelle couleur de voiture, pourvu qwelle soit noire. » Toute analyse un peu approfondie entreprise révéle te méme type de phénoménes. On y rencontre des conflits entre services qui prennent Ia forme de conflits de pouvoir : chacun cherche a in- fluencer en faveur de la solution qui a sa préférence. conflits devront étre arbitrés par I'équipe d direction ou le ditigeant, jowant ainsi un second jeu de _ pouvoir, conflits. Double née A. D ition du pouvoir Ces exemples vont nous permettre de donner du pouvoir une premiére définition trés générale : le pouvoir est la capacité pour certains individus ou groupes d'agir sur autres individos ou groupes ~ Cette definition a Pintérét de mettr caractere relationnel du pouvoir. C'est dire qu présente comme une relation et non comme un attribut. Un atiribut se définit comme « ce qui est propre, appar- tient ‘particuligrement & un étre, A une chose », selon le Petit Robert qui donne comme’ exemple : « le’ droit de ‘Ace était un des attributs dv droit divin ». Cet attribut se définissait indépendamment de son exercice, en soi pour- rait-on dire. Le définir comme une relation, c'est mettre Paccent sur Je fait que le roi, se voyant reconnaitre ou exercant conerétement ce droit, est en relation avec ses sujets, objets potentiels ou en actes de ce droit. Avant défin 127 Trois concepis elefs & “analyse stratégique méme de gracier conerdtement tel ou tel condamné, la possession du droit de griice crée une relation particuligre entre le roi et ses sujets. La critique —- violente — de Parbitraire royal portera, entre autres, sur la posse: de ce droit, que les révolutionnaires tenteront de définir comme une relation entre le peuple souverain et le pouvoir auquel ce dernier peut déléguer momentanément Jains droits. Liidée de relation va au-dela de la délégation, clut Pidée de réciprocité. Celui qui détient le pouv s supérieur — peut contraindre un inférieur a agit, mai “celui-ci peut exécuter cette action de multiples maniéres. ‘[L peut obéir avec z2le, ou en trainant les pieds, mettre accent _sur tol aspect de sa mission plutdt que sur tel, iutre, C'est un fait Pexpérience courante de constater {que tel subordonné juge important tel aspect que son supérieur traite, au contraire, comme mineur. Tl va «fignoler » une’ production, un rapport, alors que le supérieur souhaiterait que les choses aillent vite et que, dans ce cas, on produise plutot de la « grosse cavale- rie ». Si la pression du supéricur est alors plus forte, P'infé- rieur en profitera pour demander des choses qui lui tiennent a cour ct qu'il réclame depuis longtemps sans jamais arriver a les obtenir: davantage de moyens, la possibilité d'un ace’s a tel service, la mutation dun membre de son équipe et/ow un recrutement nouveau, etc.La réciprocité inclut Pid “celui qui recoit un ordre sur celui qui le donne. L’ ‘a méme intérét A savoir quelle importance est accordée par le supérieur a Pexécution de Pordre en question. Plus cette exécution est un enjeu important pour Ie supérieur, plus Pinféricur pourra tenter d’obtenir les avantages qu'il demande depuis longtemps. 1 se développe ainsi toute une stratégie de la connaissance des enjeux des supérieurs permettant aux inférieurs de mener leurs stratégies. _Chacun essaic de savoir «ce qui est important pour le chef », parce qui est pour tut indispensable-de-pouvoir ‘son comportement en conséquence. I aligne son ‘objectif sur ceux du chef et il peut alors faire pression de. maniére efficace. a c dune pression possible de j x i 128 La théorie : Vorganisation Trois concepts cle,.. de Vanalyse stratégique 129 I ne peut le faire cependant que dai une certain ‘On aboutit ainsi a une premidre définition du pouvoir : mesure, car Ta relation de pouvoir reste une relation le pouvoir de A sur B est la cupacité de A d’obtenir que B }} déséquilibrée. I est incontes Je supérieur, saul, fasse quelque chose qu'il n'aurait pas fait sans Pinterver cas_exceptionnels, a davantage de ressources que l'infé- tion de A’, Cette dé Pavantage de montres stigur, On pense ici non seulement au pouvoir formel qui —_—_clairement la dépendance de B par rapport A A et le fait hi résulte de sa positi rarchique, mais A sa meilleure que A dispose de ressources supérieures a celles de B. aitrise de information, 4 son systéme de relations, as Mais elle ne met pas en lumiére la réciprocité possible de acités d'intervention, ete, Incontestablement, il pos- B par rapport a A. Bt si B ne veut pas faire ce que veut A, ‘tout ‘ow réclame — expliciteinent ou implicitement — un prix trop élevé pour exécuter ordre ? Conerétement, les choses ne se passent pas vraiment comme le laisse entendre cette définition, qui a un aspeet trop mécanique, Avant de donner un ordre tout supérieur s'assure ou a itérél A s’assurer que son ordre sera exécuté, Faute de quoi, il risque ou une mauvaise exécution ou un affronte~ ment, contre lequel il doit c a prea lable. Faute de quoi il prend le risque d'une épreuve le force qu'il faut prévoir, 1a aussi. -On en arrive done, pour la rendre plus proche des faits, _A'modifier la définition du pouvoir de fa_manidre sui “ante : le pouvoir de A sur B est la capacité de A d’obtenir que, dans sa relation avec B, les termes de l’échange lui. soient favorables, Cette _définition efface le caractére , Pautomatisme de la premiére. I n'est jamais vrai que le supérieur, par le scul fait qu’il soit supérieur, puisse .obtenir ce qu’il veut. Il doit préparer le terrain, mancu- wer, avoir un comportement statégique pour y par Sa simple position hiérarchique ne suffit pas, : Crest au « change» de déelder ‘Quel que soit le pouvoir que posséde le « changeur », quel que soit son tang dans la higrarchie, le « changé » reste maitre de la décision finale. C'est Vemployé, le plus mal payé aussi bien, qui, ndernicr ressort, décide s'il ira ou non travailler, C'est Penfant qui décide en dernier resort s'il obéira ou non. Crest le ‘ posstcle un certain pouvoir, sinon | “réalifé et fa totalité du pouvoir, Elémentaire, mon cher Watson, Elle renvoie ecpendant a deux types de dif cultés. Peer La_premidze est de savoir ce que Yon entend par solution des problémes cruciaux, Le nombre d’experis, trés compétents dans un domaine particulier mais ineapa- bles de saisir les répercussions de leur expertise sur 1, L'Acteur et le Systeme, op. cit. p. 2 "analyse stratégique 133 Pensemble des autres domaines, est considérable. L’uni~ vers de lentreptise est rempli de projets morts-nés, ou, pire encore, qui ont mis longtemps & moutie (cf. infra le cas Secobat). Ces projets avaient été pourtant mis au point par des experts compétents. S'il s’agit d'intreduire un systéme d'informatique de gestion dans une entreprise, le spécialiste de ce systéme aura un certain pouvoir. Quelle est sa mesure ? Ne vaudrait-il pas mieux dire que celui qui commande Pexpert, tant que la pertinence de cette expertise est reconnue par l'ensemble de ses pairs, a du pouvoir? Celui qui, ayant une situation institution- nelle de pouvoir et faisant appel A unc nouvelle technolo- ie aprés avoir convaineu ses pairs de la nécessité cle son troduction, fait appel & un expert en tui faisant sentir sa dépendance, celui-Id renforce considérablement son-pou- voir. I n’en est pas foreément de méme de Mexpert proprement dit, L’expertise confére du pouvoir si elle est uation stable et reconnue dans organisation, Plus que expertise, il convient donc de parler ici de compétence liée A un statut stable dans l’entreprise. De méme, le chef ne doit pas étre le plus compétent dans tous les domaines. Il doit P’étre assez pour comprendre les langages, les objectifs ct les stratégies de ses subordonnés et coordonner leur action, C'est la que réside sa principale compétence. La seconde question posée par I'expertise coneerne ‘adhésion du groupe aux conclusions de expert. Celui ci peut bien proposer de bonnes solutions. Si ceux qui sont chargés de les mettre en application ne les accep- tent pas, elles resteront lettre morte. On est au coeur du probléme de la rationalité wébérienne et du scicntisme tayloricn, L’idéal de la domination rationnelle a tendance As'incarner dans l'expertise, idéal relayé par le modéle de division du travail proposé par Taylor. La_« science », jet de la vénération de_notre société “technique, est_ jtimée par toute sorte «institutions, dont Pécole et les. spécialistes qu’elle produit !, L’homme de science y paratt Trois concepts elefy 1. Cette vénération est renforeée dans la société frangaise : « Le statut upérieur accordé au savoir scientifique dans la société frangaise, statut attest6 par Ia place qu’y tient Mingénieur, a donné, dans tous les groupes 134 La théorie de «organisation comme celui que l'on ne peut contester, Or ses échecs ‘sont liés cette intouchabilité du savoir ; « Puisqu’il est le plus compétent, sa décision ne peut qu’étre bonne. » Une décision, en effet, n’a pas de sens seulement en elle- méme, mais en liaison au groupe social auquel elle S’appliquera. Le pouvoir de Pexpert est toujours un pouvoir dangereux. Les groupes dans entreprise le sentent bien qui le mettent en échec. Si elle est évidente, {te source de pouvoir est donc fragil La secondé\source concréte du pouvoir dans les organi- sations réside dans Ja maitrise des relations avec l'environ- welle s’insére mieux dans le tissu des [ Trois concepts clefs we analyse stratégique 135 la décision a 6t6 mal transmise et done Pexécution nadéquate. ‘Tout individu a besoin informations et il .dépeind pour elles de ceux quiles détiennent, On sait bien ‘que des conseillers informant A sens unique peuvent infléchir ou modifier une politique. Réciproquement, celui qui regoit ces informations peut, & son tour, peser sur ses correspondants par celles qu'il transmet ou non._La communication d'informations a toujours une grande — valeur stratégique. Elle s'effectue donc en fonction des ‘objectifs des individus et de ccux qu'ils prétent a leurs gorrespondants, Demiére source de pouvoir répertoriée_par nos relations habituclles qui font la vie de Pentreprise, ectte ‘source est plus importante et plus stable. Inutile dinsister sur Pimportance des communications, sur le fait que Vinformation est du pouvoir parce qu'elle permet de mieux maitriser les incertitudes devant affecter organisa tion. Celle-ci en effet regoit des ressources dle son env ronnement avec lequel elle échange en permanence. La force de celui qui mattrise les relations avec Penvironne- ment et les communique a l'entreprise vient de ce qu’ détient la connaissance des réseaux a la fois dans les deux domaines. C'est le fameux marginal sécant, « partie prenante dans plusieurs syst¢mes d'action en relation les uns avec les autres '». Il peut, micux que Pexpert qui en est démuni, utiliser ses connaissances dans les deux milicux pour consolider et agrandir son pouvoir. Un acteur utilise, dans une organisation, les relations qu’il a avec une autre organisation A des fins parfaitement stratégiques. a troisiome) s urce de pouvoir est proche de cette demigre. Ts‘agit de la communication. Rien n'est sans doute plus difficile organiser qu'unbon réseau de ‘communications, Une décision peut échouer non par la qualité de ceux qui Pont préparée mais parce que leurs informations étaient préalablement insuffisantes ou que sociaux, une Iégitimité particlitre aux services techniques et au taylorisine Inisméme, en raison de sa seicntiicté alfichée » (Alain A'Tsibarne, Recherches économiques et sociales, n° 8, 1983). 1. L’Adieur et le Systeme, op. cit, p. 73. auteurs : (utilisation des régles organisationnelles) Les membres d'une organisation sont d’ dans une relation de pouvoir qu’ils maftrisent la connais- sance des ragles et savent les utiliser. Les grandes organi- sations ont familiarisé leurs menibres et leurs utilisateurs a Pidée qu’on ne se débrouille bien, et done que Pon ne peut exercer une pression efficace, que dans la mesure od les régles sont connues. Cela apparait assez clair pour qu'il Wy ait pas licu Cinsister. I vaut quand méme Ja peine de faire remarquer que la multiplication des régles 1a done pas seulement comme résultat de formaliser et de préciser les régles du jeu — faisant exister par li méme d'autres rgles informelles od se distribue le pouvoir —, mais aussi de favoriser ceux qui ont le temps ou le got i Gtudier. Par exemple, les regles.d’avancement “dans la fonction publique ne servent pas seulement lutter contre Parbitraire en limitant le pouvoir des supéricurs ;,elles .Servent a coux qui, dans le sérail, les ont apprises, vécucs ~ et peuvent alors les utiliser_mieux que ceux qui_les connaissent moins. ‘Les quatre sources du pouvoir renvoient toutes a la maitrise d’une zone Cincertitude. Ce concept est fonda- mental dans Ia perspective de I'analyse stratégique. altant plus Bagnants >" + SNe poten 136 La théorie we Vorganisation 2. La zone @incertitude On ne peut comprendre le pouvoir qu’en le liant & sa tessource principale, Tautonoinie, Soit que celle: crive dans un cadre formel : un responsable hiérarchique dispose _de_pouvoirs formels dans la mesure oi ila ‘Vattribut_de la décision ultime. Tl peut, par exemple, ‘engager la société a laquelle il appartient parce qu’il a regu délégation de signature pour certains actes. A ce niveau, it posséde donc une autonomie de décision. Méme s'il doit, par la suite, rendre compte de Pusage fait de cette autonomie, celle-ci n’en existe pas moins, J/’autonomic. Deut aussi tre contenue jmplicitement dan’ la definition ic Ia fonction : Pow la charge de faire marcher une machine. II dispose d'une certaine marge (autonomic pour le faire, ou il s’en empare ', Dans le premier cas, le pouvoir formel est lid au statut. Dans le second, il Pest au poste de travail, done plus & la compétence de Pouvrier gu’a son statut ; si les réglages sont mauvais, le régleur fera le travail A la place de Pouvrier. Ces deux exemples illustrent le poids d toute situation organisationnelle e Pautonomie de Pacteur et la possibilité p de fair des choix. Ce point est capital, Si, en effet, il est récusé, Panalyse Stratégique Pest aussi. Or une certaine expé: rience pédagogique montre que cette évidence — possibi lité des choix — pas pour tout le monde, Non plus pour des jeunes, débutant dans la vie active et qui sont avant tout sensibles au poids des contraintes ct des higrarchies pesant sur eux. Ils ne cessent daffirmer qu’ils ne sont pas libres, qu’ils doivent faire ce qu’on leur demande sans pouvoir sten écarter, méme lorsqu’ : Vincertitude 1. Cette autonomic atti phénoméne d'appropriation, tui-méme élément central de Hiden ‘travail. Sur appropriation, cf. Ph. Bernoux Un travail @soi, Toulouse, Privat, 198). Sur Videntité, R. Sainsaulicn, L’Identié au travail, Paris, ENSP, 1977. Trois concepts clefs de Vanalyse stratégique 137 débutent avec un bon dipléme les plagant dans une situation hiérarchique non négligeable en début de car- ritre. omic L’autonomie de l'acteur est également souvent niée ‘cou qui, en bas de réchatle hierarchique, font un travail déqualifié, sans_beaucoup (autonomic. Affirmer que TOS des entreprises industrielles posséde une autonomie dont il se sert, c'est se faire souvent qualifier au micux-de doux réveur, au pire de falsificateur cherchant & peindre en couleurs joyeuses le bagne de ’OS. Car ily serait libre Loin de nous lidée de représenter le travail non qualifié, travail Ala chaine ou autre, sous un aspect serein et non aliénant. Mais enfin, si Pexpression de « travail enchainé » fait choc et rappelle, & juste titre, la réalité dun travail déqualifié et ses contraintes, il serait tout aussi faux de passer sous silence les espaces de liberté que conquidrent en permanence les OS. L'appropriation du travail, faut-il le rappeler, a Gé observée par tous les témoins et observateurs ! au point que l’existence dune qualification réelle du monde des OS commence a étre reconnue, Il ne_ S’agit_pas seulement de tours de main qui permettent @exécuter_mieux_ou plus rapidement des opérations Gtudiées tres rigoureusement et sérieusement par les ‘bureaux des méthodes. Ceux-ci, méme en faisant le plus consciencicusement leur travail de préparation, laissent toujours des domaines mal définis od s’engouffre V'nitia- tive des OS. Les tours de main permettent (aller plus vite ct avec plus de précision. La qualification réelle mais non formellement reconnue des OS s'exerce aussi A travers des réglages de machine, par exemple, confiés de facto aux “exécutants, ou par’ des « régulations », « procédures ajustement » ? nécessaires parce qu'il y'a toujours unc variabilité des conditions de ’exécution du travail. Toute situation organisationnelle, quelle qu’elle soit, contient toujours une marge d'incertitude sur laquelle’ Panalyse stratégique braque le projecteur. Bille le fait parce que la maitrise de cette incertitude_ 1. Nous x a s0i, op. cit. 2.'Un travail @ soi, op. city p. AS. wwoyons, sur ce sujet, a notre bibliographic dans Un travail 138 La théorie we lorganisation xconfére un pouvoir a celui qui la détient. L’OS a qui te “Tégleur, suroceupé a certains moments de la journée, a confié de petits réglages non prévus dans la fonction peut refuser de les faire. Ce refus géne le régleur. Pour obtenir les avantages qu'il peut souhaiter de la part de ce dernier, POS a done intérét A faire les réglages, puis & laisser entendre qu'il pourrait & certains moments refuser de les re. Ce jeu classique, traditionnel, donne un pouvoir a TOS, qui sen servira vis-a-vis du régleur, voire s-a-vis du chef d’équipe qui, le plus souvent au courant, Taisse faite ces ajustements nécessaires, 1) faut insister sur la nécessité de ces jeux. Aucun responsable n'ignore que ‘on service marche grace & ces ajustements, on pourrait “Gor wehe que grace 4 eux, Toute organisation, méme celle oi les fonctions sont définies avec le plus de précision, les connait aussi La ressource duu pouvoir est done cette marge de liberté dés individus ou des groupes les uns vis-a-vis des autre: “‘Conerétement, elle réside dans la possibi 7 x té qu’a in vidu de refuser ou de négocier ce que autre li demande, du de chercher & obtenir quelque chose de lui, ow de lui faire payer eher cette demande, Or cette pos existe dans la mesure of Pun a réussi & se préserver une zone que Pautre ne maitrise pas et od le premier peut rendre son comportement imprévisible ', Il ne suffit pas, en effet, de jouir d’une autonomic pour posséder du pouvoir. Encore faut que Tusage de cote autonomic ne soit pas prévisible. Il ne suifit pas que FOS, Sache Taire et fasse effectivement de petits réglages. Si le chef «’équipe peut prévoir quel moment ’OS va réfuser de Tes faire, faire, il peut mettre en place un dispositif pour ‘pallier ce réfus. Le premier n’aura du pouvoir que s'l “at A ne pas laisser savoir le moment de son refus. Ia tout intérét A le rendre imprévisible. L’incertitude réside alors dans Pimprévisibilité du comportement. Mais limprévisibilité ne dépend pas seulement de la ~apacité des acteurs & cacher leur jeu. Cela est particulit- A.M. Crovier avait mis en éviden bureaucratic comme systeme Worgs ssociologic, vol. 2, 1961, p. 18-52. c ce rapport fondamental in « Dela nisation », Archives européennes de eer eter Trois concepts ele,.. de analyse stratégique 139 cadre dune organisation bureauera- uc, of les jeux des acteurs paraissent figés par la précision des regles. La, chacun cherche & obtenir du pouvoir en se créant une zone d'incertitude, comme le font, par exeinple, les ouvriers dentretien du Monopole industriel, qui s’arrangent pour étre les seuls experts capables analyser une panne, excluant les agents de maitrise de ectte capacité dexpertise (cf. infra le cas du Monopole industriel). L’analyse stratégique ne se contente copendant pas de rendre compte du fonetionnement interne dune organis rement vrai di tion. Elle Gtudie aussi Pincertitude — et le jeu du pouvoir ‘comme ayant sa source dans l'environnement '. Toute oxganisation, et particulitrement l'entreprise, est soumi ux contraintes de Penvironnement et sans doute part jérement aux fluctuations de celui-ci ®. A certains égards, ‘on peut affirmer qu'elle en est dépendante. ‘Tout un courant de recherches connu sous le nom de « théorie de, la contingence structurelle » s'est efforcé d’analyser le poids de ces ‘ces contraintes sur Pentreprise et de détinir le meilleur type C'orpanisation permettant de faire face aux, ‘fluctuations, -Un des ouvrages les plus connus du milicw des organisateurs en France’ mettait accent sur l'adap- tation nécessaire des structures de Pentreprise, faute de quoi celle-ci risque de disparaitre. Tl est clair que l'incertitude ne réside pas seulement dans le fonctionnement interne de entreprise, mais tout autant, et peut-étre beaucoup plus, dans les contraintes de- Penvironnement. Le nombre de faillites d'entreptises 1. Nous nous appuyons ici sur ta 2° partie, chap. 1v et ¥ surtout, de TActeur et le Systdme, op. elt. 7. "Notons au passage qu'un pays comme la France, qui a longtemps vvécu& Pintéricur de ses fronligres dans un systeme proteetionniste, en particulier entre la Premitre et In Seconde Guerre mondiale, est particulidrement sensible aux fluctuations de eet environnement indus: {riel. Rappelons que le traité de Rome, instituant la Communauté Economique européenne, date du 25 mars 1957. Cet événement est Deacoup dobservatcurs comme la sortic de la période de protecti ‘pour la France. La mondialisation des échanges écono- Imiques et Faccélération de ses effets [ui sont postéricurs. 3. P. R, Lawrence et J. W, Lorsch, Adapter les structures de Ventre- prise, Paris, Bd. organisation, 1973, Poriginal étant par aux Biats ‘Unis en 1967. 140 La théorie de organisation cenregistré en France ces dernigres années en parait une preuve indéracinable. Que ces contraintes soient d'ordre. économique, social, politique, ou qu’elles viennent de tout autre source n’y change rien. Le poids de environ: hement est une source dincertitude majeure. Fautil cependant conclure de cette évidence a I'ab- sence de liberté des acteurs de Pentreprise quant a leurs choix possibles? Toute une littérature et un cert discours tendraient & cette conclusion. « L’entreprise n'a pas le choix », « les contraintes nous imposent,.. » laissent entendre qu'il existe un déterminisme des choix et que entrepreneur ou des directeurs sont contraints de choi sir. Cette maniere de voir est fausse parce qu'excessive, Que les modifications des technologies, évolution de la “concurrence nationale_ou internationale, Tes_problémes monétaires, etc., posent des questions qu’aucune entre- prise ne peut eviler, cela, encore une fois, est une évidence. Mais la question n'est pas 1, Elle est de savoi _ces questions imposent une réponse d’un seul type, Retourner la question sous cette forme, qui est la seule véritable formulation, entraine une réponse elle aussi évidente, c contrainte technique ni é mique qui dicte une décision unique de la part de Pentreprise. e. Celle-ci a toujours des choix possibles a la fois dans son insertion sur le marché et dans sa propre organisation, Si le développement de Pinformatique et de la robotique, par exemple, semble une nécessité aujour- hui inéluctable pour les entreprises qui entrent dans leur champ (application, les questions conerdtes posées par Pachat du matériel, le moment de cet achat, les licux ot Vintroduire C'abord, ete., dune part, celles encore plus importantes de son retentissement dans Porganisation, a savoir la formation des salariés, la modification de Porga~ nigramme, du systéme hiérarchique, des communications, des horaires de travail, etc., d'autre part, ne sont pas résolues pour autant. Or 1a réponse & ces questions déterminera la réussite ou P’échec de Pimplantation des nouvelles technologies. Le probleme n'est pas acheter plus ou moins de robots et d’ordinateurs. Hest beaucoup ‘phis_de-savoir en servir mieux que Tes autres pour fabriquer des produits plus concurrenticls. Un bon usage Trois concepts clefs de Vanalyse stratégique 141 permettra de produire micux, de vendre plus, de racheter autres robots, etc. Or aucune technologie ni aucune pression de environnement n'impose a organisation tune adaptation simple au sens oi il n'y aurait qu'une seule solution possible pour y faire face. On verra plus bas, lorsqu’on abordera le question de la culture des groupes humains, qu'il existe, par exemple, des modéles nationaux différenciés. Il faudra essayer Wen comprendre les raisons et de se demander si ces modéles sont exportables, come cerlaines modes tenteraient de le faire croire. Mais ici il faut relever une confusion de catégorie qui fait le lit du raisonnement déterministe. Colui-ci a tendance A confondre interaction et interdépen- dance, Quiily ait interact tre Pentreprise et son environnement, céla_est-en fois évident. Cela ignifie simplement que, lorsque Penvironnement change, “ce changement affeste-Pentreprise au point que celle-i doit modifier son comportement. Réciproquement dail- Teurs, une entreprise peut modifier l'environnement éo. nomique et social cn modifiant ses produits. My interaction entre les deux, On ajoute souvent qu'il y interdépendance au sens od lentreprise dépend de son environnement. Si un concurrent parvient a vendre nota blement moins cher un produit semblable, Pentreprise peut disparaitre. Elle dépend done de ses concurrents. ‘Y il pour autant dépendance des structures par rapport a cet environnement ? Ce quia été dit plus haut montre que non. Ily a, par contre, sirement, interaction. Celle-¢i est doit faire limitée au fait que tout changement dune part intervenir un changement dans une autre partic. sous quelle form: Interaction et interdépendance renvoient l'une et Pau- fe A la noiion de systéme: Celle-ci est, avec le pouvoir ct la zone incertitude, le troisitme élément théorique de “Panalyse stratégique. 142, La théorie Vorganisation 3. Le syst#me action concret ! Le concept de systéme d’action concret tient une place centrale dans analyse stratégique, La raison en vient de la définition que Pon s'est donnée de Porganisation, celle d'un construit humain ou d’un ensemble humain struc- turé, Cet ensemble, composé de membres qui y dévelop- pent des stratégies particuliéres, qui les structurent dans un ensemble de relations réguligres soumises aux contraintes changeantes de environnement, est donc lui-méme en mouvement permanent. II se donne de uuveaux objectifs, change les anciens, recrute du person- nel, en licencie, etc. II a done besoin d’ajustements > permanents, Ceuixci se font, non dabord par Ie biais de organisation formelle, mais par celui des relations entre les membres cherchant & reconstruire ensemble mis ainsi cen mouvement. Mais organisation ne réagit pas comme un_corps humain ; il_n’y a jamais d’ajustements « natu- rels ». Ceux-ci sont construits. L’ensemble de ce construit en_ajustement_permanent-constitue le systéme d'action coneret. A actenr et le syste Précisons d'abord Péquilibre délicat_existant entre Manalyse_par Paeteur-et analyse pa Te je systéme, entre le “raisonnement stratégique et le raisonnement systémique. ‘Ce sont_bien des acteurs, relativement libres et autono- un s aude relations 8 ils négocient, échangent, ‘prennent des décisions. Le concept de systéme d'action ajoute 4 Pidée de réseau le fait que ce réseau. nne selon un modle particulier qui permet aux 1. Nous nos inspiron iid a3 parte, « anaye syetémique » de Aceuret te Spon op. cls PBI ee eel Trois concepts ele, de Panalyse stratégique a3 acteurs derésoudre les problémes conerets de a vie de Vorganisation selon des relations habituelles. Celles-ci sont eréées, maintenues, entretenues on fonction des intéréts des individus, des contraintes de environnement et done des solutions proposées par les acteurs. Reprenons ici Pexemple de POS qui fait de_petits réglages sur sa machine, réglages qui, selon la definition des fonctions, relevent du travail du régleur, L’OS le fait pour plusieurs raisons : mieux connaitre sa machine, se Papproprier, avoir une vraie responsabilité, se conformer ja norme du groupe qui dévalorise ouvrier incapable de ses réglages, pouvoir se débrouiller en l'absence du fi répleur, arriver done & faire sa production malgré des aléas imprévisibles, se faire bien voir du régleur, du chef Equipe, mais en méme temps avoir un certain pouvoir sur eux, etc. Finalement, la liste de ces objectifs, qui pourrait étre allongée a Vinfini, n'a pas une importance majeure. D'une certaine maniére, ils se raménent, pour POS, a gagner un certain pouvoir sur le groupe de travail, le régleur et le chef d’équipe. Il a un comportement stratégique. De son c6t6, le régleur, acceptant de faire faire les réglages, le fait également pour beaucoup de raisons : faire faire par d'autres les petits réglages qui Pintéressent peu, se reposer (éventuellement), étre dispo- nible dans le cas des réglages longs et difficiles sur cerlaines machines complexes, avoir du temps disponible pour se perfectionner en allant voir d'autres machines phis performantes dans d'autres parties de Pusine. On vient d'énumérer ses objectifs, et il pourrait — comme OS — en avoir beaucoup (autres, On peut également proposer une liste des raisons pour lesquelles le chef d’équipe, responsable hiérarchique de POS et du régleur, tolere ces comportements : donner des responsabilité 4 'OS, ne pas mécontenter le régleur, obtenir un fonctionnement Satisfaisant parce que la machine de POS est réglée et parce que le régleur peut se consacrer a de longs réglages Sans Ctre dérangé, otc. La aussi, ge sont ses objectifs qui sont énumérés. On notera au passage que ces objectifs “sont_conjointement des objectifs personnels et une re de résoudre les problemes concrets posés pat les aléas du travail quotidien. 144, La théorie © “organisation Ces trois acteurs ont bati un systéme concret d'action. Ce systéme — POS se débrouille et ne fait-appel au régleur que pour les gros problémes — est celui griice auquel Ia production sort sans trop daléas, Leur entente pour résoudre ces questions pratiques se fait selon un inode Je plus souvent informel, sur une acceptation de ‘positions et de comportements réciproques. A ce stade, ‘on est dans Je domaine du systéme, non dans celui de Tacteur, 7 ‘Cro: il fallait modifier la cr ot Friedberg potent que, s situation, il serait absurde de se lancer dans une recherche ‘du coupable, Supposons que les réglages ne soient pas tres que esoier ‘bons et que la qualité de la pice en souffre, done celle du. ‘produit, [ce supéricur hiérarchique doit intervenir,, mais comment ? Tlaurait tort de vouloir modifier la situation en s‘atiaquant d’abord aux personnes. I! devra peut-étre le faire, mais aprés avoir compris les raisons d’existence du syst@me comme, par exemple, les impondérables de la fabrication qui demandent, pour étre résolus, une cer- {aine improvisation des acteurs sur le terrain, Mais le chef naboutirait qu’A décourager les individus et a dérégler le systéme s'il réprimandait FOS qui s’oceupe de ce qui ne le regarde pas, le régleur qui ne fait-pas son travail, le chcf Equipe qui ferme les yeux sur tout cela. Ce qui, en snéral, se fait dans Jes entreprises od accent est mi le fait, pour Pindividu, dassumer ses responsabi done sur la recherche du coupable, c6té responsable. Or lc chef hiérarchique doit faire ’abord une analyse straté- gique (quels acteurs ?) et une analyse systémique (pour quelles saison-ce systéme ?). Faute de quoi il jouera au Gribouille, se mettra tout fe monde & dos et empéchera son atelier de fonctionner normalement. B,_La théorie générale des systémes, Ce dernier exemple et Phypothese sur le comportement probable du chef hiérarchique — réprimander les person- montrent a quel point Fidée méme de systéme V action’ concret est mal acceptée..Face A une dysfonction, le réflexe de la plupart des supérieurs est la recherche du Trois concepts cle, te analyse straiégique 145 coupable, Lorsqu’ils croient Pavoir trouvé, ils le blment ‘ou le remplacent, modifient quelquefois Porganigramme ‘et pensent le probléme résolu, Or il Pest rarement_par ite méthode, qui se réduit finalement & un changement ‘de_personnes. Celuicci peut s'avérer nécessaire, mais sculement aprés avoir compris & quelle logique d'action répondaient ces comportements et dans que! systéme ils Sinscrivaient. Pour ces raisons, la notion de systéme d'action parait fondamentale, Il faut toutefois la définir avec rigueur et, pour le faire, dg situer dans la shéorie des systémes. On verra apparaitre différences importantes, le concept du systéme dac~ tion concret sintégrant et s’opposant celui a systéme, a Ja fois_parce qu’il_ne_s'agit pas d’organicisme et ‘seulement non plus d’interdépendance. ‘Au fonidement de Ja théorie des systémes, on.trouve Vintuition st important d'identi- Pensemble, la totalité des éléments et les relations Tes éléments que analyser indépendamment les attributs de chacun Weux!, » Cette intuition est féconde ‘au sens of elle permet d’éliminer des approches fac- tuelles, mettant Paccent sur {el aspect du fonctionnement, ou des contraintes, ou des approches s'intéressant plus aux personnes qu’a leurs relations congues comme systéme. “Ii semble cependant impossible de parler de théories “des systomes sans évoquer le modele de lorganisme. C'est ‘une démarche fréquemment suivie dans les exposés clas- siques®, méme s'il s’y introduit la nuance de systémes ouverts. Pour reprendre expression d’Henri Mendras : «Les vues organicistes et fonctionnalistes demeurent une des tentations contre lesquelles te sociologue moderne doit toujours se défendre », On ajouterait volontiers ict 1. Jean-Louis Le Moigne, Les Systémes de décision dans les organisa- tions, Patis, PUP, 1974, p. 9. Nous nous inspitons beaucoup, dans ec sage, de cet ouvrage résumant bien Papport de la théorie des Systemes a analyse générale des organisations, ‘2. On s'appuie ici en particulier sur Vouvrage de D. Silverman, The Theory of Organization, Londres, Heinemann Educational Books, 1970, iad, fr., La Théorie des organisations, Paris, Dunod, 1973. ‘3. H. Mendras, op. cit,, 4 &d., p. TL f~% 146 La théorie dy “organisation quil doit aussi Iutter contre celle de Pesprit de sys- teme. Quoi quill en soit, tout organisme est généralement décrit dans un schéma oi l'on trouve : un apport de ressources, souvent appelé input ; — un processus de transformation, throughput ; — la fourniture d'un produit, output. Limage du syst?me demeure malheureusement impré- gnée de ce schéma évoquant Porganisme, au sens od ce dernier posséde la qualité de tout indivisible, De son cété, le systéme proprement dit se définit a partir de la notion @interdépendance, ce qui est aussi une j Qualité attribuée & Vorgantsme. Un_systéme, c’est_un | «ensemble d’éléments interdépendants, cest-d-dire liés entre eux par des relation Pune est modifi¢e, ‘ Jes_autres Te son que, par_conséquent, tout JLensemble est transformé '», Cette définition classique repose sur les deux concepts/d’interdépendanceyct_de

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